PSG et Monaco
Cavani, Falcao: le PSG et Monaco ont-ils le droit de recruter des stars?
Le transfert de Cavani au PSG relance la question du fair-play financier. Un serpent de mer de l'UEFA qui entre enfin en vigueur et pourrait causer bien du souci aux deux géants de Ligue 1.
- Edinson Cavani, après avoir marqué un but en Coupe de confédérations contre le Brésil, le 26 juin 2013 à Belo Horizonte. REUTERS/Ricardo Moraes -
Depuis l'arrivée des Qataris au PSG, la France vit un rêve éveillé à chaque mercato. En deux ans, le club aura fait venir Javier Pastore, Zlatan Ibrahimovic, Thiago Silva, Ezequiel Lavezzi, Lucas Moura, David Beckham et maintenant Edinson Cavani, ce dernier pour 64 millions d'euros. Tant et si bien que les arrivées des stars James Rodriguez, João Moutinho et Falcao, un des meilleurs attaquants de la planète, à Monaco n'étonnent presque personne.
La Ligue 1 est devenue une partie géante de Football Manager, où deux clubs s'achètent tout ce qu'ils veulent (dans la limite des stocks disponibles). En attendant peut-être un jour un troisième larron, avec le rachat du RC Lens, mal en point depuis plusieurs saisons, par des investisseurs azéris.
Mais comme dans tous les jeux vidéo, il y a un moment où les parents viennent débrancher la console. Fin de la récréation.
Le rabat-joie s'appelle Michel Platini, le patron de l'UEFA. Le grand projet qu'il porte depuis 2007, le fair-play financier, va enfin entrer en vigueur pour la saison 2013-2014.
Très technique, le fair-play financier ne suscite guère la curiosité du public. Si, sémantiquement, il renvoie au bon vieux Challenge du fair-play qui distribue des bons points aux clubs de Ligue 1, Michel Platini ne brandira pas de cartons bleus mais bien des cartons rouges, qui pourraient valoir exclusion de la Ligue des champions dès 2014.
Rembourser Falcao avec les recettes de Louis-II
Au crash test du fair-play financier, le PSG passe tout juste, mais en force façon bus de l'équipe Orica sur le Tour de France. Quant à Monaco, on ne voit pas encore comment les dépenses somptuaires du propriétaire russe Dmitry Rybolovlev peuvent satisfaire aux exigences de l'UEFA.
Le fair-play financier impose d'équilibrer ses dépenses avec ses recettes sur une période de deux ans. Rien n'interdit d'avoir une dette abyssale (comme le Real Madrid), mais le déficit est désormais proscrit. Ce qui veut dire en clair qu'il faut compenser ses transferts galactiques par des recettes équivalentes en billetterie, droits télé, sponsoring, ventes de maillot ou revente de joueurs.
Point crucial: au-delà d'une certaine limite, l'actionnaire n'a pas le droit de régler la différence, ce qui enlève beaucoup d'intérêt aux puits gaziers qataris. Du côté de Monaco, rembourser les 60 millions de Falcao avec les modestes recettes de billetterie de Louis-II (7.000 spectateurs de moyenne lors de la dernière saison en L1) ne sera assurément pas simple. Sans parler de son salaire de 14 millions d'euros.
Dans sa grande mansuétude, l'UEFA offre un petit matelas de 5 millions de déficit aux clubs. Ils peuvent aussi, à condition que la facture soit réglée par l'actionnaire, avoir 45 millions de déficit supplémentaires par saison pour les premiers exercices couverts par le fair-play financier, 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014. Puis 30 millions pour les 3 saisons suivantes, et encore moins ensuite. 50 millions, ça permet d'acheter un Thiago Silva par an, mais guère plus, si les recettes ne suivent pas.
Un contrat miraculeux
Le PSG croyait avoir trouvé la parade: l'actionnaire ne pouvant pas faire marcher la planche à billets, le Qatar va se faire sponsor du club et régler ainsi la facture. Le club a signé fin 2012 un «contrat d'image», d'un montant de 150 à 200 millions d’euros par an pendant quatre ans, avec la Qatar Tourism Authority.
Magie: le contrat est rétroactif et s'applique aussi à la saison 2011-2012, première année concernée par le fair-play financier! Le PSG peut donc présenter à l'UEFA des comptes équilibrés, avec 5 millions de pertes l'an dernier.
Ce montage financier n'a échappé à personne et il pourrait arriver au PSG ce qu'il est arrivé à Nicolas Sarkozy avec le Conseil constitutionnel: l'ICFC, l'instance de contrôle de l'UEFA, pourrait dès 2014 réévaluer ses comptes et prendre une lourde décision.
Le règlement de l'UEFA prévoit que dans le cas d'un parrainage par une «partie liée» (filiale, entreprise liée à l'actionnaire du club...), il faut compter la somme au prix du marché, c'est-à-dire bien en deçà des 200 millions par an payés par les Qataris: pour situer, le contrat de sponsoring de la Fondation du Qatar avec le Barça se monte à environ 30 millions d'euros par an... Même si, selon le PSG, la «juste valeur» de son contrat d'image avec le Qatar n'est pas estimablepuisque c'est le premier contrat de ce genre dans le football.
Si l'office du tourisme qatari était reconnu comme une «partie liée» du PSG (ce que la direction conteste aussi), le club pourrait donc avoir à retrancher jusqu'à 170 millions d'euros de ses comptes. Et peut-être dire adieu à la Ligue des champions l'année suivante. On ne plaisante pas avec le fair-play financier à l'UEFA, comme en a fait les frais le club espagnol de Malaga, rayé des compétitions européennes cette année.
On attend toujours l'astuce de Monaco
Le cas de Monaco semble encore plus compliqué. Ancien pensionnaire de Ligue 2 avec un budget de 30 millions d'euros l'année dernière, le club est encore loin d'avoir les rentrées d'argent pour compenser ses dispendieux transferts.
Le fair-play financier aboutit à figer les positions au sein de l'élite européenne, les nouveaux entrants comme Monaco étant découragés d'investir les centaines de millions nécessaires pour intégrer le gotha européen. Pour dépenser, il faut déjà avoir gagné de l'argent.
Auditionnée par une mission parlementaire sur le fair-play financier, l'administratrice de Monaco, Tetiana Bersheda, a indiqué que le club respectait les limites fixées par l’UEFA pour les saisons 2011, 2012 et 2013. Sans convaincre les députés, qui notent dans leur rapport:
«On peut toutefois s’interroger sur la soutenabilité de la stratégie menée au regard du fair-play financier européen. Compte tenu des montants dont il est fait état dans la presse à propos des récents recrutements du club (60 millions d’euros pour Radamel Falcao, 45 millions d’euros pour James Rodriguez et 25 millions d’euros pour João Moutinho) [...].»
L'UEFA fera-t-elle une «Balladur» au PSG?
Cela étant, on s'interroge sur la véritable capacité de l'UEFA à sanctionner. Une application stricte du fair-play financier pourrait transformer la Champion's League en une Bundesliga augmentée de quelques autres clubs vertueux. Les clubs allemands sont réputés pour leur modèle financier sain, à l'image du Bayern Munich qui affiche chaque année des bénéfices.
C'est loin d'être le cas partout en Europe, où des clubs comme Manchester City ou l'Anzhi Makachkala affichent des modèles économiques proches de ceux du PSG et de Monaco. A défaut de faire une «Sarkozy», l'UEFA pourrait faire au PSG une «Balladur»: ses comptes douteux avaient été validés au nom de la raison d'Etat en 1995.
Les clubs peuvent aussi espérer s'en sortir par une autre acrobatie juridique. Les nouveaux riches de l'Est de l'Europe, financés par la manne pétrolière et gazière russe, ont ainsi peut-être trouvé une astuce pour rentrer dans les clous de l'UEFA. Gazprom (qui possède le Zenith Saint-Petersbourg) pourrait lancer en 2014 un championnat unifié de Russie et d'Ukraine dont les participants seraient grassement rémunérés: 22 millions d’euros pour la simple participation et 92 millions d’euros pour le vainqueur.
Le fantôme de Bosman
Il reste enfin une dernière parade: Daniel Striani, un agent de joueurs, a déposé le 20 juin une plainte auprès de la Commission européenne contre le principe du fair-play financier. Selon l'agent belge, les règles de l'UEFA contreviennent au droit européen de la concurrence en limitant les investissements des clubs et enfreignent également le principe de libre circulation des travailleurs.
Fait significatif: Daniel Striani est défendu par Jean-Louis Dupont, ancien avocat de Jean-Marc Bosman, un ancien joueur belge resté célèbre pour l'arrêt qui porte son nom et qui a autorisé, en 1995, les clubs européens à recruter autant d'étrangers qu'ils le souhaitaient du moment qu'ils étaient ressortissants de l'Union européenne. Et si le PSG et Monaco étaient sauvés par un second arrêt Bosman?
Vincent Glad