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Egypte

  • L’armée, les urnes, la rue



    par Serge Halimi, août 2013

    Ils avaient juré qu’ils ne brigueraient pas la présidence égyptienne. Ce premier serment rompu, les Frères musulmans devaient apporter « pain, liberté, justice sociale ». Sous leur férule, l’insécurité s’est accrue, la misère aussi. La foule a alors reconquis la rue pour exiger le départ du président Mohamed Morsi (lire « En Egypte, la révolution à l’ombre des militaires »). Certaines révolutions commencent ainsi. Lorsqu’elles triomphent, on les célèbre pendant des siècles sans se soucier exagérément de leur spontanéité relative ou des fondements juridiques de leur déclenchement. L’histoire n’est pas un séminaire de droit.

    Au lendemain de la dictature de M. Hosni Moubarak, il était illusoire d’imaginer que l’étouffement prolongé de la vie politique, du débat contradictoire, ne pèserait pas sur les premiers scrutins. Dans de tels cas, les électeurs confirment souvent l’influence des forces sociales ou institutionnelles les mieux structurées (les grandes familles, l’armée, l’ancien parti unique) ou celle des groupes organisés qui ont maillé leurs réseaux clandestins pour échapper à la répression (les Frères musulmans). L’apprentissage démocratique déborde largement le temps d’une élection (1).

    Des promesses non tenues, des dirigeants élus de justesse et qui affrontent aussitôt la désaffection ou la colère de l’opinion, des manifestations géantes organisées par une coalition hétéroclite : ces dernières années, d’autres pays que l’Egypte ont connu des situations de ce type sans que, pour autant, l’armée ne prenne le pouvoir, n’emprisonne sans jugement le chef de l’Etat, n’assassine ses militants. Sinon, on appelle cela un coup d’Etat.

    Ce terme, les pays occidentaux ne l’emploient pas. Arbitres des élégances diplomatiques, ils semblent estimer que certains putschs — au Mali, au Honduras, en Egypte... — sont moins inadmissibles que d’autres. D’abord, les Etats-Unis ont appuyé les Frères musulmans, puis ils ont maintenu leur aide militaire au Caire lorsque le président Morsi fut « déposé » par l’armée. Une alliance conservatrice entre celle-ci et les Frères aurait constitué le scénario rêvé de Washington ; il est par terre. S’en réjouissent à la fois les nostalgiques de l’ancien régime, des nationalistes nassériens, les néolibéraux égyptiens, des salafistes, la gauche laïque, les monarques saoudiens. Il y aura forcément des déçus parmi eux…

    Bien que l’Egypte soit en banqueroute, l’affrontement entre les militaires et les islamistes ne concerne guère les choix économiques et sociaux, largement inchangés depuis la chute de M. Moubarak. Pourtant, qu’elle débouche sur des élections ou qu’elle recoure à un coup d’Etat, que vaut au juste une révolution si elle ne change rien sur ces plans-là ? Les nouveaux dirigeants subordonnent le salut de leur pays aux aides financières (12 milliards de dollars) des Etats du Golfe — en particulier de la très réactionnaire Arabie saoudite (2). Si cette option se confirme, les juristes auront beau dire et médire, le peuple égyptien reprendra le chemin de la rue.

    Serge Halimi

     

  • Egypte:Les Frères musulmans au service de la bourgeoisie


     

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      L'Egypte du changement

     

     

                                                   «Moubarak est le père de tous les Egyptiens»

                                                  Mohamad Badie guide suprême des Frères musulmans (1).

     

     

     

    Depuis l'arrivée de Mohamed Morsi au pouvoir en juin 2012 (2), la résistance aux Frères musulmans et aux salafistes leurs alliés se poursuit et s'amplifie. La police et les milices des Frères ne font désormais plus peur aux contestataires. Grèves, manifestations pacifiques et affrontements violents se produisent régulièrement un peu partout en Égypte. Les manifestants accusent les Frères musulmans d'avoir confisqué et trahi la révolution qu'ils n'ont, par ailleurs, jamais vraiment acceptée. Rappelons pour mémoire que la Confrérie a refusé de participer à la grande manifestation populaire du 25 janvier 2011 qui a forcé Moubarak, dix huit jours après, à quitter le pouvoir le 11 février. Entre la population et le régime, la rupture est totale. Les masses opprimées égyptiennes se sont vite rendues compte que ni l'armée, ni les Frères musulmans ne servent leurs intérêts. Bien au contraire, ces deux pouvoirs, comme celui de Moubarak et de Sadate, sont au service des classes possédantes égyptiennes et de l'impérialisme américain. En Égypte, le processus révolutionnaire est loin d'être terminé(3).

     

     

    En quelques mois seulement, trois secrétaires d’État américains se sont rendus en Égypte pour apporter leur soutien à Morsi alors que celui-ci est contesté dans tout le pays (4). En mai 2013, l'Administration de Barack Obama a reconduit discrètement l'aide militaire à l’Égypte (1,3 milliard de dollars). Cette «aide» revêt aujourd'hui une importance particulière. Les américains savent que le rôle politique des militaires est déterminant. L'armée égyptienne reste pour eux le moyen le plus sûr pour sauvegarder leurs intérêts ainsi que ceux d'Israël. Rappelons que le montant de cette «aide» a nettement augmenté depuis la signature du traité de paix avec Israël en 1979 concédé par Sadate et non remis en cause par les Frères musulmans. De son côté, le Fonds monétaire international (FMI), bras financier de Washington, presse le pouvoir égyptien à accepter ses conditions comme, entre autres, la suppression des subventions aux produits de première nécessité en échange d'un prêt de 4,8 milliards de dollars. Le Qatar, satellite et sous-traitant des américains, ne cesse de déverser ses pétrodollars sur le régime des Frères pour le sauver de la colère populaire (5). L'Union Européenne n'est pas avare non plus avec la Confrérie:« L'Union européenne et des institutions financières associées ont offert un montant de plus de cinq milliards d'euros, ou plus de 6,5 milliards de dollars, en dons, prêts à taux réduit et prêts pour la période 2012-2013 afin de soutenir la transition démocratique en Egypte» affirmait le président du Conseil européen Herman Van Rompuy (6). Tous les pays impérialistes petits et grands, d'une manière ouverte ou dissimulée déploient leurs efforts pour maintenir, vaille que vaille, au pouvoir un régime contesté par une grande partie de la population.

     

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    Les pays capitalistes qui ont brisé l'élan et la vitalité admirables des soulèvements populaires dans le monde arabe, soutiennent aujourd'hui par tous les moyens la confrérie des Frères musulmans ennemis du changement et du progrès. Les pays impérialistes menés par les États-Unis sont, dans une large mesure, responsables du maintien au pouvoir des tyrans arabes anciens et nouveaux. Leurs intérêts sont profondément incompatibles avec ceux despeuplesde cette région du monde qui n'aspirent qu'à se débarrasser de ces despotes d'un autre âge. Chaque révolte, chaque soulèvement réellement populaire est, directement ou indirectement, réprimé dans le sang. Le cas de Bahreïn est exemplaire à cet égard (7). Mais Bahreïn n'est que l'arbre qui cache la forêt. Combien de révoltes ont été brisées en Arabie Saoudite (8), en Jordanie, au Yémen, à Oman, au Koweït etc.? Les premières révoltes populaires et pacifiques en Libye et en Syrie ont été transformées par l'intervention impérialiste en guerre civile. Des mercenaires et des forces obscurantistes ont été armés, entraînés, financés et soutenus médiatiquement par l'occident capitaliste pour renverser les régimes en place. Les Frères musulmans, qui soutiennent les «rebelles» syriens, viennent de rompre toute relation diplomatique avec Damas. Morsi a même appelé «la communauté internationale» à mettre en place une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Syrie! Leurs positions se confondent ainsi avec celles des États-Unis et de ses satellites locaux comme l'Arabie saoudite, le Qatar ou encore la Turquie.

    Dans le cas de la Libye, il a fallu une intervention militaire directe de l'OTAN, bras armé de l'impérialisme, pour renverser le régime de Kadhafi. «L'intervention impérialiste en Libye a fait des dizaines de milliers de victimes innocentes. Elle a détruit l'essentiel de l'infrastructure économique du pays. Elle a brisé l'unité de la nation libyenne. L'impérialisme américain et son supplétif européen ont imposé au peuple libyen par la violence un pouvoir sans légitimité aucune, mais qui leur est totalement soumis» (9).

     

    Le soulèvement populaire en Égypte, s'il a écarté Moubarak du pouvoir, n'a pas réussi à renverser son régime. Les Frères musulmans ont repris tel quel l'appareil répressif d’État et le font fonctionner pour leur propre compte afin de sauvegarder les intérêts des classes dominantes et de l'impérialisme américain leur protecteur. Les structures économiques, sociales et politiques sont, à quelques inflexions près, restées les mêmes. Le régime se régénère et se reproduit avec une rhétorique différente dans une situation différente. La tête de Morsi a remplacé celle de Moubarak au sommet de l’État. Le régime continue à fonctionner avec un discours différent mais avec les mêmes pratiques et les mêmes politiques économiques de classes : misères et exploitation pour l'immense majorité de la population avec des promesses d'un monde meilleur au Paradis, richesses et pouvoir ici-bas pour une petite minorité d'exploiteurs menée par les Frères musulmans.

    Les dirigeants de la Confrérie qui nient en théorie la division de la société en classes et, partant, la lutte des classes, mènent pourtant une véritable politique économique au service d'une seule et même classe sociale, la bourgeoisie. Pour la Confrérie, «Les ouvriers ne sont qu’une masse infâme utile à leur propagande religieuse. Ils partagent ce mépris pour la classe ouvrière avec leurs alliés extrémistes, les Salafistes» (10).

     

    Répartition des richesses, travail pour tous, justice sociale, droits des femmes, droits des minorités religieuses, lutte contre la corruption, démocratie, dignité etc., toutes ces revendications portées par le soulèvement populaire ont été effacées par le nouveau pouvoir et remplacées par des préoccupations plus libérales que théologique. Les préoccupations matérielles de classes l'emportent largement ici sur les considérations religieuses. Pour la bourgeoisie égyptienne, l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans est une aubaine qui lui permet d'apaiser sa conscience tourmentée et assoiffée de profit. La Confrérie lui apporte une précieuse légitimation de l'exploitation et de la détention des richesses.

     

    Les opprimés d’Égypte n'ont pas dit leur dernier mot. L'histoire leur a appris comment résister aux oppresseurs avant de les renverser. L'unité des travailleurs, des paysans pauvres et de tous les laissés-pour-compte est vitale pour affronter efficacement les nouveaux pharaons. Leur intérêt est de rendre la révolution permanente, jusqu'à éloigner du pouvoir les classes possédantes et leurs serviteurs, l'armée et les Frères musulmans.

     

    Mohamed Belaali

     

     

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    (1) Mohamad Badie chef suprême des Frères musulmanshttp://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/0/10/124/2186/Fr%C3%A8res-musulmans-Les-hommescl%C3%A9s-.aspx

     

    (2) Les mouvements de contestation appellent à une grande manifestation le 30 juin 2013 date anniversaire de la prise de pouvoir par Morsi.

    Par ailleurs, Morsi vient de nommer 17 gouverneurs appartenant à la Confrérie, à l'armée et aux services de Sécurité. Le nouveau gouverneur de Louxor Adel al-Khayyat appartient, lui, au Parti de la construction et du développement, la branche politique du groupe Gamaa-Al- Islamiya qui a revendiqué en 1997 l'attaque sur un site pharaonique de la région de Louxor, qui avait fait selon les sources entre 62 et 68 morts principalement des touristes.

    Les Frères musulmans poursuivent ainsi leur mainmise sur tous les rouages de l’État.

     

    (3) A propos des débats sur la révolution égyptienne, voir (en arabe) Atef Said :«Le libéralisme impérialiste et la révolution égyptienne»

    http://www.jadaliyya.com/pages/index/11333/

     

    (4) Hillary Clinton le 21 novembre 2012, John Kerry le 2 mars 2013 et le secrétaired'Etat à la Défense, Chuck Hagel le 24 avril 2013

     

    (5) http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL5N0CX4KZ20130410

     

    (6) http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRPAE90C03C20130113

     

    (7) http://www.belaali.com/article-l-intervention-saoudienne-a-bahrein-et-le-silence-complice-des-bourgeoisies-occidentales-69874090.html

     

    (8) http://www.belaali.com/article-arabie-saoudite-le-silence-complice-des-bourgeoisies-occidentales-sur-les-revoltes-populaires-109557989.html

     

    (9) http://www.belaali.com/article-la-libye-apres-l-intervention-imperialiste-108002868.html

     

    (10) http://www.belaali.com/article-egypte-de-mohammed-ali-a-mohamed-morsi-un-combat-permanent-entre-le-passe-et-l-avenir-114107860.html