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I AM A MAN, DE MEMPHIS À FERGUSON

 

Dans un Vite dit paru ici cette semaine et intitulé Ferguson / Photos : retour aux années 60, il était question d'un article du New York Times traitant des images de Ferguson qui ne seraient pas sans rappeler celles de la lutte pour les droits civiques des années 60. Des images qui se ressemblent, sans aucun doute :


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Photo © Whitney Curtis pour le New York Times


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Photo © Danny Lyon / Etherton Gallery


« Certains échos visuels des années 60, comme l'utilisation de chiens par la police de Ferguson, ne sont probablement pas intentionnels », écrit le NY Times (on ose l'espérer !).


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Photo © David Carson


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Photo © David Carson


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Photo © Bill Hudson / AP


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Photo © Charles Moore


« Mais du côté des manifestants, continue le quotidien, on a délibérément fait des efforts pour évoquer les manifestations non-violentes de l'époque de la lutte pour les droits civiques. Avec, notamment, ces t-shirts au slogan I Am A Man emprunté aux panneaux brandis pendant la grève des éboueurs de Memphis en 1968. »

Ici le NY Times se trompe, aucune photo prise à Ferguson ne montre de tels t-shirts. L'inscription, en revanche, se retrouve sur des panneaux brandis (voir plus loin).

Cela dit, la grève des éboueurs de Memphis est historique : le 1er février 1968, deux éboueurs noirs, qui n'avaient pas le droit de s'abriter de la pluie ailleurs qu'à l'arrière des camions-benne, furent broyés par l'un de ces camions. La grève fut déclarée le 12. Le maire la déclara illégale, recruta des "jaunes" (forcément blancs) pour vider les poubelles.

De nombreuses manifestations non-violentes eurent lieu ; les employés municipaux noirs y dénoncèrent, en brandissant des panneaux portant les mots I Am A Man, ces deux morts atroces ainsi que leurs conditions de travail dangereuses et la discrimination qu'ils subissaient par rapport aux éboueurs blancs.


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Photo © Ernest C. Withers, 28 mars 1968


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Photo © Richard L. Copley, Memphis, 1968


Martin Luther King rencontra les grévistes le 18 mars, participa dix jours plus tard à une manifestation au cours de laquelle un adolescent de seize ans fut tué par la police. Il fut quant à lui assassiné le 4 avril, au Lorraine Motel de Memphis. Le 8, 42 000 personnes manifestaient silencieusement dans la ville. Le 16, la municipalité se pliait aux exigences des éboueurs grévistes.

La phrase I Am A Man est une référence à Am I Not A Man And A Brother (Ne suis-je pas un homme et un frère), slogan de la britannique Society for the Abolition of the Slave Trade créée en 1787 par des Quakers. Voici son emblème, abondamment copié :

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Emblème de la société des Amis des Noirs,
créée à Paris en 1788


À Ferguson, aujourd'hui, on défile en brandissant des panneaux I Am A Man.

« Diane McWhorter, continue le NY Times, auteure de Carry Me Home: Birmingham, Alabama, the Climactic Battle of the Civil Rights Revolution, dit qu'elle a également vu des échos de ces pancartes dans les bras levés des manifestants. Il s'agit là d'une image instantanément reconnaissable qui semble née de la rapidité avec laquelle les nouvelles circulent sur internet, et qui à son tour contribue à cette rapidité. Dans le premier cas, les pancartes I Am a Man sont une sorte d'affirmation massive d'humanité ; dans le second, celui des mains levées, c'est une manifestation de masse d'innocence. Deux images très fortes. »

Le même pouvoir suggestif parce que dans les deux cas ce sont des milliers de personnes qui disent Je suis un homme, Ne tirez pas.


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Photo © Wiley Price / St Louis American


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Pendant ce temps, note enfin le NY Times, certains historiens s'inquiètent de ces rapprochements Ferguson 2014 / Droits civiques années 60 : « Nous pouvons regarder ces images et dire que Ferguson est comme Los Angeles ou Birmingham parce que ça y ressemble, dit le professeur Berger. Mais si nous devons nous demander "Qu'est-ce qui est pareil ?" nous devons aussi nous demander "Dans quelle mesure l'Amérique a-t-elle changé ?" Histoire d'avoir une conversation qui ne s'arrête pas aux brutalités policières, ce qui ne nous mène pas très loin. »

Certes. Il est vrai qu'une image ne dit pas tout, loin de là. Ou bien elle dit tout et son contraire, selon la légende qu'on y appose. Mais tout de même. Les rapprochements sont nombreux :

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Si en 1968 les éboueurs de Memphis soutenus par Martin Luther King ont choisi leur slogan I Am A Man en s'inspirant de la devise des abolitionnistes du XVIIIe siècle Am I Not A Man And A Brother et si les manifestants de Ferguson brandissent ces jours-ci des pancartes I Am A Man, cela signifie peut-être que rien n'a vraiment changé. L'esclavage fut aboli en 1863, la déségrégation commença lentement en 1954, mais aujourd'hui encore c'est un policier de Ferguson qui traite les Noirs d'enculés d'animaux…


 … après qu'un autre a abattu un jeune homme noir nommé Michael Brown (et l'on pense à Trayvon Martin, abattu par un vigile volontaire le 26 février 2012, voir cette précédente chronique). Dans les faits, rien n'a vraiment changé, non.

Reste la lutte et l'espoir chantés par Pete Seeger dont le texte fut repris par Martin Luther King, We shall overcome (Nous vaincrons). Someday.


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Martin Luther King à Lakeview (État de N.Y.), 12 mai 1965

 

chronique du 23/08/2014 par Alain Korkos

 

 

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Dans Le Monde.fr à la date du 22 août, un article d'Annick Cojean intitulé Tommie Smith, le poing noir de l'Amérique. Tommie Smith et John Carlos levèrent le poing sur les marches du podium aux J.O. de Mexico en 1968 (pour abonnés).

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