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Voyage

  • A Madagascar, on ne rigole pas avec la loi...

    Un périple autour du monde : à Madagascar, on ne rigole pas avec la loi

    Publié le 27 août 2015 dans Culture
     

    Parce qu’un con qui marche va toujours plus loin qu’un intellectuel assis, deux frères sont partis sur les routes depuis de longs mois, traversent les frontières, les villes et les campagnes à l’occasion d’un tour du monde à durée indéterminée, sans casques ni golden-parachutes. Au fil de leur voyage, ils livrent leurs impressions sur des expériences qui les ont marqués.

    Aujourd’hui, face à l’inflexible bureaucratie malgache.

     

    À Kampala (Ouganda), trois semaines après avoir croisé mon ami Florian à Mbeya (Tanzanie), je me voyais successivement refuser les visas éthiopien et saoudien (je ne voulais qu’un jour de transit pour faire les 50km entre les Émirats et le Qatar), pendant qu’il voyait son arrivée à Madagascar compromise par des douaniers un peu trop scrupuleux. Nous avions déjà fait part dans un précédent article de notre amour incommensurable pour les douaniers et de quelques moyens pour les berner. De sa plume, il livre à son tour son expérience des uniformes, malgaches cette fois :

    Après trois mois et demi à arpenter l’est de l’Afrique je m’envolais gaiement rejoindre un pote à Madagascar. D’après ses retours, à Mada c’est la fête permanente et nous allions bien en profiter. Bref j’étais impatient, d’autant plus que j’allais revoir mon plus vieux compagnon de voyage.

    J’arrive donc à l’aéroport d’Antananarivo et commence les formalités administratives : check de santé, achat du timbre et file d’attente pour l’obtention du visa. Une fois au guichet je vois qu’ils vérifient scrupuleusement si l’on a son billet de retour, je n’en ai pas, je n’en prends jamais pour garder de la flexibilité dans mes voyages.

    Une fois au guichet, cela devient un gros problème et on me met sur le côté.

    Ce n’est que le début d’une longue attente, 27 heures en tout, pour que l’on décide quoi faire de moi qui viens de commettre une si grave infraction aux règles de l’administration malgache.

    Quand je suis conduit au bureau de la douane je ne m’inquiète pas. Je n’imagine pas qu’une broutille comme ça puisse être grave, au pire j’achèterai un billet retour immédiatement ou lâcherai un bakchich. J’attends donc, longtemps, je m’emmerde et je tourne en rond. Autour de moi les douaniers sont estomaqués, venir à Madagascar sans un billet retour c’est inimaginable, inconscient, presque criminel. J’ai beau leur dire que j’ai déjà été dans plus de vingt pays, y compris la Russie et la Chine, sans aucun souci, ils sont inflexibles : dans les autres pays peut-être, mais à Madagascar on respecte les règles !

    Après deux heures d’attente, je rencontre enfin le chef, en costume militaire, belles épaulettes et chaussures de luxe, il prend l’affaire très au sérieux.

    Je m’explique, lui dis que je peux acheter un billet s’il le faut, et avec tous les sous-entendus que ça implique, qu’il y a forcément un moyen de « s’arranger » (il y a cinq personnes autour de nous je ne peux pas lui proposer d’argent devant eux). Il rigole méchamment et me dit qu’il doit réfléchir.

    Au bout de quelques temps un employé d’Air Madagascar vient me voir et me propose de réserver un faux billet pour dans trois jours, ainsi j’aurai un visa provisoire et à moi ensuite de me débrouiller pour le faire prolonger. Ça marche pour moi, on fait la commande, on imprime et on retourne voir le chef. Mais non ce n’est pas si simple, si j’ai un avion dans 3 jours je vais devoir attendre 3 jours à l’aéroport. J’abandonne donc l’idée et me prépare à passer la nuit à l’aéroport.

    Au cours de ces 27 heures j’ai eu le temps de causer avec tous ceux qui ont un problème avec la douane. Il y a un Kényan qui a bien un billet de retour mais qui visiblement ne plaît pas aux douaniers, il attendra trois heures avant d’obtenir son visa, pendant lesquelles il n’a jamais bien compris pourquoi il était là. Il y a aussi une Malgache, qui veut partir en Chine mais a un problème de visa. Pour une mystérieuse raison, au lieu de rentrer chez elle, elle restera avec nous pendant 24 heures. Le troisième est un Turc qui par je ne sais quel miracle a un visa touriste et un visa étudiant commençant le même jour, un crime odieux qui mérite certainement l’expulsion.

    Mais le plus chanceux d’entre nous c’est Thomas le Camerounais, il est volontaire pour une église depuis trois mois, pour faire renouveler son visa il a fait un aller-retour aux Seychelles. Là-bas ils l’ont expulsé parce qu’il n’avait pas assez d’argent. Il restera 24 heures à la douane avant de subir un interrogatoire de police puis trois jours de prison, le temps de trouver les fonds pour payer son retour au Cameroun. Le pire dans tout ça c’est qu’il est ami avec un des douaniers.

    Parmi les flics, certains sont assez sympas, nous accompagnent manger, nous installent pour dormir. Du coup on discute un peu et je vois qu’eux aussi trouvent ça stupide. Il y en a même un qui connait l’étudiant turc et essaie de l’aider, je lui saute dessus et lui demande de parler au chef pour moi, il s’enfuit presque en courant… Pas bon signe ça.

    Tous mes collègues d’infortune restent d’un calme olympien, assis sur leurs chaises à ne rien faire. Je ne sais pas comment ils font, moi je tourne en rond d’ennui et de rage, je demande toutes les 2 heures où ça en est. Au bout d’un moment je pète un plomb et je gueule, voici plus de 15 heures que cela dure et va falloir trouver une solution avant que je doive passer une autre nuit à l’aéroport. Je finis par apprendre que le chef suprême a pris sa décision et que je rentre à la maison par le premier avion. Pas de possibilité d’arrangement, de pot de vin, rien. Je suis expulsé.

    Voilà, je dois donc prendre un billet, à mes frais bien sûr. L’administration locale étant d’une efficacité redoutable, il faudra bien 3 heures (il faut dire que je trouve tous les moyens de faire chier, c’est ma petite revanche mesquine).

    Ils refuseront catégoriquement que j’aille ailleurs qu’en France, parce qu’ils sont persuadés qu’aucun pays ne me donnera de visa sans billet de retour…

    Il y a bien la possibilité d’aller à La Réunion mais il faut attendre un jour de plus ici, et à ce moment-là, je n’ai qu’une envie, celle de partir de cet endroit.

    Juste avant mon départ, le chef des douanes me dira qu’ils ont expulsé vingt personnes pour la même raison depuis le début de l’année, qu’il ne décide pas des lois mais se contente de les appliquer, bête et méchant. Je suis tombé sur le seul type du pays qui respecte la loi, c’est quand même con.

    Le pire dans cette histoire est que je connais au moins deux personnes qui sont entrées dans le pays sans billet de retour…

  • Périple autour du monde

    Un périple autour du monde : un peu de sécurité et de verdure au Nicaragua, Costa Rica et Panama

    Publié le dans Culture

    Parce qu’un con qui marche va toujours plus loin qu’un intellectuel assis, deux frères sont partis sur les routes depuis de longs mois, traversent les frontières, les villes et les campagnes à l’occasion d’un tour du monde à durée indéterminée, sans casques ni golden-parachutes. Au fil de leur voyage, ils livrent leurs impressions sur des expériences qui les ont marqués.

    Aujourd’hui, traversée plus calme et plus agréable des trois pays d’Amérique centrale.

    Par Grégory.

    Après le Guatemala, le Salvador et le Honduras, nous finissons enfin par trouver un pays moins hostile en Amérique centrale : le Nicaragua. Des paysages moins arides, des canneraies à perte de vue et des moustiques en folie. La nourriture y est très bon marché, un repas dans un troquet local coûte dans les 3$ environ. Nous traversons le pays en 5 jours, profitant brièvement de ses grandes étendues verdoyantes et des anciennes villes coloniales aux ruelles pavées ou très animées : Leon et Granada notamment.

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    Nous retentons également notre chance auprès d’un volcan en activité après l’épisode des bandits du Guatemala : le volcan Masaya. Cette fois, l’entrée du parc est payante, ce qui nous garantit un minimum de sécurité. Les pentes pour y accéder sont rudes et la récompense à l’arrivée n’est pas du côté que l’on pense. Le volcan est enfumé comme jamais et nous ne voyons pas l’ombre d’un soubresaut de lave. L’autre côté de la colline offre en revanche une vue splendide sur la plaine environnante que nous venons de traverser. En bordure de cratère, nous faisons la connaissance d’un couple de Français qui remontent l’Amérique en voiture et qui était au courant que deux Français s’étaient faits attaquer au Guatemala. Les nouvelles vont vite en Amérique Centrale car ils arrivent du Costa Rica où nous n’avons pas encore passé une roue !

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    Nous campons deux jours plus tard à la frontière de Peñas Blancas pour passer au Costa Rica. Comme prévu, les enfumeurs ne sont pas que volcaniques et les vendeurs ambulants tentent par tous les moyens de nous refourguer, entre deux ventes de Marijuanol (du Biactol à la Marijuana), le formulaire de sortie pour 1$. Comme s’il fallait désormais payer les Cerfa… Nous n’échapperons à l’arnaque qu’avec l’aide d’un Panaméen avec qui nous discutons dans la file d’attente de 3/4 d’heure. Nous ne pouvons éviter la taxe municipale de sortie de territoire, très classique, pour des raisons évidentes de… hum ! Voilà quoi, c’est une taxe de sortie, son existence coule de source pour équilibrer le budget.

    Dès notre arrivée, le Costa Rica nous offre un style plus tropical. Il fait chaud, lourd, la végétation est dense. La richesse du pays ne se ressent pas immédiatement, il faudra pour cela s’approcher un peu plus de la capitale, San Jose, ville développée absolument sans intérêt, vilaine et chère. Chère, comme le reste du pays d’ailleurs. Les Américains ont tellement investi cet endroit qu’on pourrait presque le considérer comme le 51ème État US. Toute la culture espagnole a quasiment disparu et le touriste est pris pour une vache à lait quelle que soit l’activité envisagée. Vous souhaitez visiter un parc national : 20€. Apercevoir le volcan de X : 15€. Je n’ai jamais bien compris le principe de payer des fortunes pour visiter des endroits naturels qui ne nécessitent finalement rien d’autre qu’un peu de nettoyage quand l’incivilité des visiteurs a laissé des traces. Pour info, l’entrée du Grand Canyon coûte 10-12$ max. Ça, c’était pour les mauvais côtés. Heureusement, pas besoin de chercher bien loin pour découvrir la luxuriante nature costaricienne : nous avons eu la chance de camper au milieu des singes, d’assister au bord d’une plage, à des vols d’aras, et de manger au milieu de pélicans. Le tout par hasard. Et puis les Costariciens sont adorables et se sont souvent arrêtés sur la route pour nous offrir de la nourriture.

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    Mais nous avions un tout autre objectif au Costa Rica : développer un site pour permettre aux voyageurs de se suivre et se rencontrer d’après une seule et même carte. Pendant quelques semaines de repos dans un hostel de San Jose, Alex a donc développé NOMADSTEP. Si vous êtes voyageurs, nous vous invitons à vous enregistrer et à créer votre carte de voyage. Le service est gratuit et à votre disposition.

    Et vint le jour où il fallut repartir sur les routes. Une heure avant le départ, Alex entre dans ma chambre pour m’annoncer qu’il partait en bus avec sa compagne Chilienne du moment. Un vélo restait donc disponible et je me tournais immédiatement vers Karin, Autrichienne de son état, pour lui proposer un petit périple improvisé à bicyclette. Après quelques essais sans bagages puis avec, nous partions 3h plus tard en direction du Costa Rica.

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    Eh bien, je crois qu'on ne se lavera pas aujourd'hui!

    Karin n’a jamais vraiment fait de vélo et sûrement pas dans ces conditions. Heureusement, San Jose culmine à plus de 1000 mètres d’altitude et la première journée est une longue descente de 50 km. Les jours suivants furent plus difficiles et j’avais beau lui enseigner le mental ninja de Schwarzenegger, son compatriote, cela ne calmait ni les douleurs musculaires, ni la fatigue mentale. Les journées d’enthousiasme alternaient avec le désespoir sous des chaleurs caniculaires (environ 38˚C tous les jours). Une semaine après notre départ, le vélo, le camping, le manque d’hygiène et un rythme trop élevé, tout cela était de trop pour quelqu’un qui n’y était pas préparé. Elle aura tout de même pédalé 400km, confirmant qu’il n’est pas nécessaire d’être un sportif aguerri pour voyager à vélo. Il faut avant tout vouloir le faire, tout le reste n’est qu’une question d’habitude. Si vous pensez que vous pouvez le faire, vous avez raison. Si vous pensez que vous ne pouvez pas, vous avez également raison.

    Notre petit voyage commun à deux roues nous aura mené de San José aux frontières de la péninsule d’Osa et enfin jusqu’à la frontière panaméenne. De là, nous n’avions d’autre choix que de faire du stop pour faire souffler les guiboles de ma partenaire. Et puis voyager au pouce avec une femme, c’est comme appeler un taxi sur la 5ème avenue, il n’y avait plus qu’à embarquer et admirer le paysage d’une route peu attractive et en travaux jusqu’à Panama city. Les Panaméens ont la réputation d’être froids et peu souriants. C’est vrai, au premier abord. Mais à l’instar des Russes, nous avons aussi découvert des gens qui avaient une vraie volonté d’aider : notre chauffeur de camion nous a par exemple réservé une chambre et conduit jusqu’à notre hôtel en ville, on m’a offert des fruits alors que je pédalais dégoulinant de sueur, en direction de Colon pour attraper le ferry vers la Colombie. C’est à souligner, ça n’arrive pas tous les jours. Ses paysages, contrairement à son voisin, m’ont laissé plutôt insensible mais peut être est-ce dû à une certaine lassitude des pays latinos. Il est peut-être temps d’envisager un changement d’air.

    Pour l’anecdote, la monnaie locale, le dollar panaméen a la particularité d’être indexé sur le dollar à un taux fixe de 1 pour 1. Il est donc possible de payer dans les deux monnaies en même temps, les pièces étant différentes mais de même format alors que les billets sont tous des dollars US.

    Je voudrais revenir pour conclure sur la péninsule d’Osa, au Costa Rica, haut lieu des exploits de Cizia Zykë, aventurier français dont les péripéties nous font passer pour des pré-pubères du voyage. Pour résumer brièvement le personnage, il est d’abord devenu roi de la nuit et du tripot clandestin de Toronto à 23 ans, a organisé un trafic de camion à travers l’Afrique, a monté une mine d’or au Costa Rica donc, à l’aide d’une bande de hors-la-loi devenus semi-esclaves, puis une seconde en Australie, avant une tentative de lupanar flottant sur la frontière entre le Surinam et la Guyane. L’argent accumulé finissant systématiquement entre drogues, bonnes amies, pots de vin et casinos avant qu’il ne recommence sur un autre continent. Bref, c’est loin d’être un cave et pour vous dire comme tout cela est sérieux, il fut invité chez Pivot (car en plus d’avoir des baloches en acier, monsieur était aussi un écrivain pas trop moche) pour une interview d’anthologie que vous pouvez retrouver ci-dessous :

     

    Bref, je ne pouvais pas passer aussi près d’Osa sans évoquer le monument et conseiller ses bouquins : Oro, Sahara, Parodie, Oro & co. On regretterait presque à la lecture de ces exploits qu’il ne soit mort que d’une crise cardiaque il y a 3 ans. Et quand un type comme ça s’en va, il n’y a pas de place à prendre, c’est la fin d’une époque.

  • Un périple autour du monde : safari cycliste au Botswana

     

    Publié le 24 juin 2015 dans Culture

    Parce qu’un con qui marche va toujours plus loin qu’un intellectuel assis, deux frères sont partis sur les routes depuis de longs mois, traversent les frontières, les villes et les campagnes à l’occasion d’un tour du monde à durée indéterminée, sans casques ni golden-parachutes. Au fil de leur voyage, ils livrent leurs impressions sur des expériences qui les ont marqués.

    Aujourd’hui, route mouvementée à travers le Botswana…

    Par Greg.

    Je n’ai pas vu les plus beaux paysages du Botswana donc ne m’en voulez pas si je n’en parle pas. Je me suis contenté de suivre la route principale jusqu’en Zambie, surtout par manque de temps. Et pourtant, il s’est passé beaucoup de choses pendant ces quelques jours.
    Frustré de n’avoir pas pu me payer les excursions safari trop chères d’Afrique du Sud, j’apprenais peu avant la frontière que le Botswana allait m’offrir ce plaisir gratuitement, et en vélo. Vous me direz, les lions en liberté, les bestioles, comment on gère ça en vélo ? Ça a aussi été ma première question mais tout le monde se voulait rassurant sur le fait que je devrais être OK sur la route. Je gardais quand même l’option de bifurquer au Zimbabwe au dernier moment mais ma rencontre avec Eelco, le retraité cycliste sud-africain m’avait convaincu d’y aller.

    Je passais donc la frontière à Groblersburg, un village planté au milieu du bush. Comme d’habitude, on me questionne beaucoup sur mon voyage des deux côtés. Oui oui, je vis comme ça, c’est un long voyage et oui avec ce vélo, pas celui du voisin. Ils sont toujours aussi marrants au Botswana et surtout fiers que leur pays soit sûr. C’est un point sur lequel ils insisteront beaucoup au cours de mon séjour et c’est vrai qu’à aucun moment je ne me suis senti en insécurité, tout du moins à cause des gens.

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    Mon parcours au sud du pays fut assez monotone. Il y a peu de villes et d’activités sur mon passage et les villages ne sont souvent qu’un ensemble de trois ou quatre huttes rondes en terre dispersées dans la brousse. Les habitants, peu nombreux, accompagnent parfois un troupeau de chèvres au milieu du bush ou glandent à l’ombre d’un arbre. L’activité réduite au milieu des logements au toit bancal me rappelle la campagne laotienne : même climat, même ambiance, pas tellement un hasard finalement. Les Africaines portent tout et n’importe quoi sur la tête, le gamin harnaché dans le dos avec un morceau de tissu coloré : sacs de farine, eau, branches, l’une d’entre elles se promenait avec un sac « Dubaï 2020 ». Les femmes travaillent plus que les hommes mais l’activité ne semble tout de même pas harassante. Tout le monde se déplace à un rythme très africain et celui qui transpire le plus dans l’histoire, c’est moi. L’horizon est aride et la chaleur s’installe logiquement au fur et à mesure que je file au nord. À coups de 100-150km par jour, on a vite fait de prendre 10 ou 15 degrés dans la semaine et cela me fait finalement le plus grand bien après quelques jours de gastro en Afrique du sud. J’ai du choper un coup de froid avec la pluie dans les montagnes du Highveld.

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    J’alterne mes ravitaillements en eau entre les villes (Palapye ou Francistown) ou les petits bleds comme Serule. Je peux transporter 3 ou 4 jours de nourriture mais difficilement plus d’une journée d’eau. Certains refusent de me servir l’eau qu’ils boivent sous prétexte que je ne la supporterais pas (trop salée, c’est vrai qu’elle donne un peu soif et la courante, mais rien de bien grave) et vont puiser dans leurs réserves d’eau de pluie. D’autres veulent bien m’écouter et font confiance à mon estomac canin. À Serule, on me fait attendre une demi-heure pour m’amener de l’eau qu’ils jugent correcte. Il faut dire que la plus grande partie du village est désormais fantôme depuis que le tracé de la nouvelle route le contourne et que les habitants ont fui l’arrivée du train qui tuait le bétail. On prend soin du « white guy » un peu con qui ne veut pas utiliser les bus. Après qu’on m’ait offert une chemise en Afrique du sud, un autre citoyen de ce pays prend pitié de moi et m’offre une paire de lunettes de soleil. Un peu plus tard au Botswana, un expatrié m’offrira un bière sur la route et un couple sud-africain, de la viande séchée. Que demander de plus à ces gens ? Ils sont parfaits et tous heureux de voir des cyclistes traverser leur continent. Ils aimeraient faire savoir au monde entier qu’on peut voyager sereinement dans leurs pays magnifiques.

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    J’arrive à Nata après 3 jours de route. Je pensais la ville plus importante et le supermarché fait peine à voir, je n’achète que le minimum pour mon périple. Au départ, tant que je vois des panneaux signalant la présence de bétail, je pense être tranquille. Puis deux Botswaniens m’invitent alors à partager leur repas au bord de la route : du milmil (farine de maïs) avec du bœuf et des herbes, un plat traditionnel de cette région d’Afrique. Le tout se mange avec les doigts. Ils possèdent une ferme un peu plus loin et apportent le ravitaillement en bière Chibuku aux ouvriers. Les lions tuent régulièrement leur bétail mais eux n’ont pas le droit de les tuer, au risque d’aller en prison. Le gouvernement indemnise la perte à hauteur de 1500 pulas alors que la bête se vend à plus de 3000 sur le marché.

    Je poursuis donc en sachant que le panneau bétail n’est pas forcément synonyme de sécurité. Je commence par apercevoir quelques antilopes/gazelles puis rapidement trois éléphants, l’air pataud. J’ai peine à imaginer ces bestioles agressives. Moi, je tremble surtout pour les lions et les chauffeurs me disent en voir régulièrement au bord de la route, observant les voitures. Me savoir en vélo au milieu de cette faune me fait peur et m’excite au plus au point. Je suis sans cesse partagé entre l’envie et la peur d’en voir plus. Savoir que d’autres cyclistes ont pris cette route par le passé me rassure. Ma première journée se déroule sans accroc, et je peux observer quelques pachydermes d’assez près. Pour peu qu’on les laisse à bonne distance, ils font leur vie sans se soucier des humains. On reconnaît assez vite les zones à éléphants par les troncs d’arbres défoncés et l’écorce arrachée.

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    À 16h, j’arrive vers l’antenne relai qu’Eelco m’avait indiqué. Le petit chemin de terre y menant ne me plaît pas vraiment mais il faut bien y aller. Il n’y a personne sur place et la grille est fermée par un cadenas. Hors de question de dormir à l’extérieur avec les félins en liberté, pour entrer, je coupe un bout du grillage, et je referme immédiatement derrière moi. Je passe la nuit sur un petit toit à 3 mètres de hauteur. Au moins, je dors tranquille.

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    Mon petit déjeuner du lendemain sera en revanche perturbé par un animal auquel je ne m’attendais pas ici : l’abeille. Alors que je cuisinais tranquillement, des dizaines puis des centaines d’abeilles envahissent ma tente, mes affaires, tout est recouvert. Ça devient franchement agaçant, voire inquiétant. Je jette tout en bas et cours d’un coin à l’autre de l’enclos tout en rangeant tout péniblement pour éviter un maximum de piqûres. Elles ne sont pas agressives mais je les ai un peu dérangées et me prends deux coups de dard… Le petit dej’ est foutu et je pars le ventre creux pour mon deuxième jour de savane. J’observe toujours un maximum de gazelles (ou un animal du même genre) quand la circulation est réduite, une bonne dizaine d’éléphants ainsi que des zèbres.

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    Un éléphant, légèrement énervé que ses petits n’aient pas osé traversé la route en me voyant au loin décide de me charger en barrissant. Je descends du vélo et recule immédiatement de 2-3 pas, il s’arrête. Je me sens tout petit, ridicule face à ce monstre. Il est à 20 ou 30 mètres maintenant. Il repart sur 4-5 mètres, je recule de nouveau, il s’arrête encore puis, au moment où il s’apprête à lancer une troisième charge, une voiture arrive et le fait revenir vers ses petiots. Sachant que parfois je ne vois aucun véhicule pendant 20 minutes, c’est un sacré coup de pot ! Mon taux d’adrénaline est à son maximum et je sursaute désormais au moindre mouvement dans les fourrés. Je prends mon bâton en main, c’est dérisoire, mais ça me détend, c’est psychologique. « Croqué par un félin au Botswana », ma famille en parlerait encore pendant quelques générations mais je ne tiens pas spécialement à cette gloire posthume.

    Il fait très chaud et les camionneurs prennent pitié de moi et m’offrent parfois oranges et boissons. La route quant à elle, m’offre encore quelques vues sur des phacochères et une bande d’une trentaine de babouins à l’approche de Pandamatenga, mon refuge pour la nuit. Je passe la soirée à discuter avec une bande d’alcooliques près d’un restaurant rudimentaire fait de bâches plastiques. Rien de bien intéressant n’en sort mais le contact humain fait du bien avant une dernière journée dans la brousse en direction de la frontière Zambienne. Ils me rassurent encore une fois sur les lions qui dorment au loin quand il fait chaud et qui fuient si on leur fonce dessus. On verra pour cette option.

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    On me promet girafes et lions pour le lendemain, je n’aurais finalement droit à rien de tout cela malgré les affirmations des automobilistes me jurant en avoir vu une heure après mon passage. Tant pis pour moi, j’ai droit à quelques buffles au loin (animal peureux et pacifique en Asie et très dangereux en Afrique), des phacochères, des babouins et une espèce d’oiseau énorme, type ptérodactyle des temps modernes. Je traverse ensuite le fleuve Zambèze sur une barque, direction la Zambie avant me rendre à Livingstone où m’attendent les chutes Victoria. Malgré d’autres promesses de spectacles d’animaux en Zambie, rien ne se produira. Les chutes Victoria sont en revanche magnifiques, entourées d’une brume et d’un arc-en ciel permanent, le brouhaha assourdissant est à la hauteur du paysage offert. On tente d’abord de se protéger des trombes d’eau projetée par les chutes, avant de se laisser emporter par la magie du Zambèze, trempé, en tentant d’observer le fond du gouffre masqué par la brume. Quelques Africaines en visite entonnent des chants rythmés qui ajoutent de la couleur à l’endroit et quelques chanceux survolent le tout en deltaplane, comme Belmondo dansItinéraire d’un enfant gâté. Je reste profiter du lieu jusqu’au coucher du soleil.

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    Demain, je m’offrirai quelques jours de repos après 3000km pédalage en un mois et je campe un dernier soir près des chutes, en bordure du Zambèze et de son débit impressionnant, gardé par un type armé d’une kalachnikov, les hippopotames ayant l’habitude de s’aventurer sur mon aire de repos.

    Cela conclut superbement et paisiblement ces quelques jours au milieu des animaux. L’Afrique me procure tous les jours un maximum d’excitation et d’adrénaline, des rires, des chants, des sourires en pagaille. J’ai rarement pris autant de plaisir au cours de ce voyage.

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    Pour ceux qui ont 50 minutes à perdre, j’ai exceptionnellement fait une vidéo de mon safari que vous pouvez visionner ci-dessous. Il y a de vrais morceaux de gros mots et je me plante régulièrement sur les noms des animaux, c’est du live.

  • Un périple autour du monde

    Un périple autour du monde : à la découverte de l’Afrique

    Publié le 4 juin 2015 dans Culture

    Parce qu’un con qui marche va toujours plus loin qu’un intellectuel assis, deux frères sont partis sur les routes depuis de longs mois, traversent les frontières, les villes et les campagnes à l’occasion d’un tour du monde à durée indéterminée, sans casques ni golden-parachutes. Au fil de leur voyage, ils livrent leurs impressions sur des expériences qui les ont marqués.

    Aujourd’hui, arrivée mouvementée en Afrique du sud.

    Par Greg.

    J’arrive à Johannesburg à 6h00 du matin après deux retards successifs à New York et Dubai. Pas le temps de gamberger, je déplie le vélo et sors de l’aéroport sans trop savoir où je suis, et des pesos colombiens plein les poches que personne n’a voulu me changer. Je sais simplement que je veux me diriger à l’Est. Coup de pot, l’aéroport est du bon côté et je m’enfile donc directement sur l’autoroute sans réfléchir, ce qui m’évite de traverser une ville plus célèbre pour ses carjackings au magnum et les tours/safaris dans Soweto que pour le charme de ses ruelles.

    La route est d’abord sans intérêt et d’un banal à faire blêmir une méduse. Quelques propriétés barbelées et des débuts de bidonvilles me rappellent où je suis et me sortent de la torpeur où mes deux heures de sommeil me glissaient petit à petit. Mon premier vrai contact avec la population se fait au supermarché, car il fallait que je rachète le peu de victuailles que les douanes m’avaient confisquées. Je découvre rapidement que les gens n’arrêtent pas de déconner ici, bien loin de l’image qu’on peut en avoir de l’étranger. Pour le moment, ceux qui me parlent ont tous la banane bien que je découvre quelques visages fermés ou inamicaux au détour d’un quartier moins fréquenté.

    Après une petite sieste vitale de deux heures dans un champ, voilà qu’un premier policier m’arrête pour me signaler que l’autoroute n’est pas faite pour les vélos.
    – Vous voyez des gens sur l’autoroute ici ?
    – Euh… oui. Plein. Regardez, là !
    – Oui bon bref, c’est interdit donc vous prenez la 4ème sortie pour rejoindre la route qu’il vous faut et c’est marre.

    La quatrième sortie débouche directement sur un township bondé. Il rêve éveillé, l’argousin, je vais pas là-dedans pour mon premier jour en Afrique du sud, ma bande d’arrêt d’urgence me convient parfaitement. Il m’escortera si ça l’amuse mais je ne bouge pas d’ici.
    J’ai beau m’éloigner de la ville, la densité de marcheurs/autostoppeurs le long de la route reste constante, pas moyen de trouver un coin isolé. Je m’enfonce donc rapidement dans un champ de maïs, décapite trois plans et y passe une nuit paisible à l’abri des regards indiscrets.

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    Au petit matin, alors que je chargeais mes affaires sur mon véhicule à l’entrée du champ, un black en salopette bleue se pointe. Je me dis que c’est un ouvrier du champ et qu’on va discuter tranquillement. Il entame les démarches :

    – « Qui t’es ? Tu fais quoi ? Donne moi de l’argent !
    – De l’argent, pourquoi ?
    – Parce que t’es trop riche ! »

    Ah, ça sent le faisan, là.

    – « Moi trop riche ? Mais non regarde, je dors dans les champs. C’est ton champ ?
    – Securit’ ! Give me money !
    – Non, de toute façon je dois y aller.
    – Don’t move ! »  
    me dit-il en relâchant la courroie qu’il tient dans la main et en appelant je ne sais qui d’autre avec son portable.

    Un type, je peux gérer, il peut éventuellement me faire mal mais il n’arrivera pas à me maîtriser avec sa pauvre courroie. Et j’ai aussi quelques arguments matériels. Par contre, s’il fait rappliquer ses potes, je ne me sens pas l’âme d’un Jet Li. Le dialogue de sourd dure quelques secondes de plus jusqu’à ce que j’attrape ma chaise pliante pour la ranger. Sur ce, mon créancier prend peur (de ma chaise ?) et s’enfuit en courant téléphone à l’oreille. Ni une ni deux, je cours sur l’autoroute profitant d’une si belle occasion. Première matinée en Afrique, ça promet. À mon avis, c’était un ouvrier du champ qui a tenté sa chance car je verrai beaucoup d’autres salopettes bleues par la suite mais je ne tiens pas vraiment à le savoir.

    Les jours suivants me rassureront progressivement. Les habitants devenaient de plus en plus sympathiques au fur et à mesure que je m’engouffrais en direction de Nelspruit et de la « Panorama Road ». Les blancs me demandaient si je n’étais pas effrayé du taux élevé de crimes tandis que les blacks me parlaient plutôt des serpents que je risquais de rencontrer lors de mes soirées camping. Mais en pleine campagne, je ne voyais ni serpents, ni malfaisants, alors je rassurais régulièrement tout le monde d’un sourire.

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    Sur la route après Graskop, les paysages de toute beauté qui se succédaient pendant plusieurs jours, couplés aux discussions toujours drôles que j’avais avec les locaux, m’ont fait complètement oublier la réputation du pays. Je me cachais toujours pour dormir mais c’était presque plus par habitude que par réelle crainte. La route que j’empruntais surplombait une immense plaine que l’on apercevait par intermittence. Sur quelques kilomètres, The Pinnacle, God’s Window ou encore Three Roundavelts m’offraient certains des plus beaux paysages de mon voyage. On m’a dit que la région de Cape Town était encore plus belle, il faudra donc que je revienne vérifier. J’étais en plein rêve, l’Afrique était paradisiaque et ne ressemblait en rien à tout ce que j’imaginais avant d’y poser mes roues. Mes journées devenaient même de plus en plus longues à cause des discussions hilarantes que j’avais avec les locaux.

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    Puis j’arrivais à Burgersfort, petite ville que j’avais pointée sur ma carte comme prochain lieu de ravitaillement. Un sentiment mitigé m’envahissait dès l’entrée de la ville. J’avais bien vu le supermarché Spar, mais l’ambiance qui régnait devant ne me plaisait guère et je ne m’arrêtai donc pas. Pas de sourires, on répondait à mes saluts par des gestes dédaigneux de la tête (vous savez, ce mouvement de bas en haut comme pour dire ouais, t’es qui toi ?!  ). Je fais le plein d’eau à la station service et les employés du car cash m’interpellent, ils s’inquiètent pour moi. « Don’t sleep in the bush, here people kill other people. You should stay at the next garage tonight. Etc. » Il est 14h30, si je dors au garage dans 200m je suis pas bien plus avancé. J’aperçois des policiers, je vais donc leur quémander un avis objectif. C’est à peine s’ils me considèrent. « Mouais, c’est OK tu peux y aller » Je sais bien que je peux y aller gros malin, je veux savoir si je vais en sortir surtout. Toujours pas vu un autre blanc dans le coin. Bon, j’y vais, je n’aime pas cet endroit et je veux partir vite, pensant quitter la ville en 10 minutes. J’essaye de saluer le plus de monde possible et très peu me répondent, jusqu’à ce que certains commencent à me gueuler des trucs en dialecte local. Je ne sais pas trop si c’est hostile ou non même si le ton laisse peu de place au doute. Je souris tout de même bêtement pour les détendre. « Fuck off ! » « Leave ! Leave ! » Ah, ça c’est hostile. Je le sens de moins en moins, la ville ne s’arrête jamais et grimpe légèrement sur 20km, j’en peux plus et je m’attends à voir surgir un type avec une machette pour me tailler en pièces pendant plus d’une heure.

    Puis les maisons se dispersent un peu, les esprits semblent plus calmes et certaines voitures s’arrêtent désormais pour savoir ce que je fais là, mais gentiment. Au coucher du soleil, je trouve finalement refuge chez Harry, un ingénieur électricien de la mine de platine. Il m’offre un coin de son jardin pour la nuit et part dans un fou rire à chaque fois que je lui explique comment je vis.

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    Au petit matin, à la sortie d’un bain salvateur, sa femme prit pitié de moi et de mon unique chemise mouillée en m’en offrant une de son mari. On me confirme également une première fois (d’autres suivront plus tard) que Burgersfort n’est définitivement pas un coin recommandable pour un blanc-bec en vélo. Le mauvais endroit donc. Outre les grandes agglomérations, il existe donc quelques îlots à éviter en Afrique du Sud. Après cet épisode, j’ai demandé aux gardiens blacks d’une mine qui m’hébergeront pour la nuit s’il existait encore des tensions raciales en Afrique du Sud. Ils en rigolent presque. Pour eux « c’est du passé, mais on ne peut pas empêcher quelques imbéciles d’exister. »

    La suite de la route vers Mokopane puis à la frontière Botswanienne est des plus tranquilles, quelques animaux de safaris font leur apparition au loin dans les réserves et les Sud-Africains ont tous retrouvé le sourire. Il est pas beau celui de Georges?

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    On insiste pour me filer de l’herbe à fumer dont je ne veux pas, et surtout, ils se foutent de ma façon de voyager. Je suis complètement con pour eux. Ils ne comprennent pas. « Mais pourquoi tu t’infliges ça ? » est une question récurrente. « On te paye pour ça ? Non ? » Ou alors « Tu vas en Ethiopie ? Avec ce vélo ? Tu mens ! » . Parfois j’indique simplement que je me rends à la prochaine ville et que je repars en France pour abréger. Autrement, s’en suivent systématiquement des dialogues hilarants de 20 minutes où un attroupement se forme autour de moi pour parler de mon périple, ou bien interpelle des automobilistes inconnus pour les prévenir. Automobilistes qui s’arrêtent à leur tour au milieu de la voie pour poser des questions. Ça klaxonne derrière mais personne ne bouge sans au moins connaître ma destination finale, d’où je viens et pourquoi je fais ça. Question à laquelle il est parfois plus ardu de répondre qu’on ne pourrait le penser.

    La route jusqu’à la frontière du Botswana est infiniment droite et plate. Plus aride aussi. Ça ressemble à l’Afrique qu’on voit dans les reportages animaliers. Je rencontre beaucoup de blancs qui s’en vont en Safari et qui m’apprendront que mon chemin au Botswana comprend une portion de 300km avec des lions et des éléphants en liberté. Des lions ?! Mais c’est dangereux ça ! « Ah oui mais les éléphants encore plus. Si tu restes sur la route tu devrais être OK. » Je devrais, l’emploi du conditionnel est admirable.

    Le voyage en vélo semble être un concept encore peu répandu en Afrique du Sud (en comparaison à l’Amérique latine par exemple) et les réactions des gens me laissaient presque penser que j’étais le seul cycliste du pays, ce qui m’étonnait un peu. Jusqu’à ce qu’on me signale un matin que mon ami était passé 20 minutes avant moi. Mon ami ? Un type en vélo ? Faut que je le rattrape ! Après une vingtaine de kilomètres au galop, je rattrapais Eelco, un Sud-Africain de 65 ans qui voyage en vélo de Cape Town jusqu’aux chutes Victoria. Il a déjà fait la route il y a 30 ou 40 ans et connaît quelques coins où dormir à peu près en sécurité sur la route des lions. Eh bien voilà des infos qui datent un peu mais qui valent de l’or 50km avant de passer la frontière.

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    L’Afrique du Sud a été une très bonne découverte. J’en étais un peu effrayé avant d’arriver et j’ai découvert un pays magnifique aussi bien pour ses habitants que ses panoramas incroyables. Oui, il existe encore quelques zones d’ombre, certains lieux à éviter, les nombreuses pubs pour les compagnies de sécurité en témoignent. Bien sûr, les infos mettront toujours plus l’accent sur ces zones que sur les points positifs du pays. Vous entendez beaucoup de bonnes nouvelles en écoutant les news ? Bref, ferme ta TV et file découvrir l’Afrique du sud :

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  • A la Dominique, la croisière n’amuse pas

    Quelques coups de boutou [1] derrière le crâne viennent parachever les derniers élans d’une résistance vaine. Le gommier [2] chaloupe sous le poids de l’animal hissé péniblement à bord : un thon jaune d’une cinquantaine de kilos. Les visages se décrispent alors qu’on recouvre le poisson de feuilles de bananier sèches. Les deux pêcheurs relèvent la tête et s’épongent le front. Face à eux, à une quinzaine de kilomètres, se dessine le profil escarpé de l’île caribéenne de la Dominique. Une dizaine de volcans crevant les nuages à plus de 1 000 mètres d’altitude, des mornes aux pentes abruptes [3], couverts d’une végétation dense, qui tombent à pic dans une mer d’un bleu intense.

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    La baie de Kashakrou (Soufrière) vue depuis le village de Galion. Paysage volcanique typique de l’île.
    © Romain Philippon

    La capitale, Roseau, est une minuscule ville coloniale. Des rues parallèles bordées de vieilles maisons en pierre à un étage laissent rapidement la place à de modestes cases en bois sous tôles. Des enfants à la peau noire brillante remontent la rue dans des uniformes à cravate, les adultes vont au travail dans des chemises bouffantes et pantalons à pli, tailleurs pour les femmes. La pauvreté photogénique des Antilles anglophones…

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    Terrain de football de Pottersville, Roseau.
    © Ro. Ph.

    Des grappes de touristes se promènent dans les rues qui jouxtent le quai sur lequel accostent les bateaux de croisière. Peau blanche, chapeau large, short de bain, sandales. Parfum de crème solaire. L’appareil photographique noir avec téléobjectif se porte en pendentif, le petit appareil compact en bracelet argenté. Quelques hommes arborent un torse nu rougi par le soleil. Des femmes mûres portent un t-shirt flottant sur lequel il est écrit un « No problem » précédé du nom de l’une des îles visitée précédemment par le bateau. A la différence des maisons du centre-ville, la navire à quai peut compter jusqu’à quinze étages. Tel un immeuble de verre du centre-ville de Miami couché sur une barge et accosté le long de l’avenue principale de la capitale du pays le plus pauvre des Petites Antilles.

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    Touristes déambulant le long des stands installés dans la zone fermée.
    © Ro. Ph.

    Le tourisme de croisière débute à la Dominique au milieu des années 1980. Ceux qui ne veulent plus de contact avec l’Occident esclavagiste ont été « pacifiés » par les forces de police du pays fraîchement indépendant. Quelques leaders ont été tués ou emprisonnés. On ne peut désormais plus jeter de pierres sur ces visiteurs blancs [4]. En 1991, il y a déjà à la Dominique chaque année plus de croisiéristes que d’habitants (environ 70 000 habitants aujourd’hui). En 1996, ils sont trois fois plus nombreux. Un pic est atteint en 2010 avec plus d’un demi million de touristes. Mais à la fin de l’année 2010 une grande compagnie maritime déprogramme la venue de quelques-uns de ses navires. Pour la première fois depuis des années, le quai de Roseau restera désert certains mois durant la basse saison. En un an, la fréquentation connaît une baisse de 35 %, présentée localement comme un cataclysme [5].

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    Un groupe de touristes accompagnés par le guide d’une agence vers le minibus qui les emmènera en visite.
    © Ro. Ph.

    Roseau compte deux immeubles. Le premier est gris et austère. Il date visiblement de la fin des années 1970 et rappelle tristement l’architecture soviétique. Il s’agit du siège du gouvernement, probablement construit au moment de l’accession à l’indépendance en 1978. Un double escalier central ouvert mène aux petits bureaux qui hébergent les différents ministères. Deux par palier. En face se trouve un bâtiment jaune climatisé à la façade de verre.

    Deux ascenseurs mènent aux étages qui abritent notamment le bureau des statistiques nationales, les bureaux de l’Eastern Caribbean Bank et le bras exécutif du ministère du tourisme : la Discover Dominica Authority (DDA). Le bureau du directeur de la DDA, Colin Piper, est décoré de plaques dorées vantant la qualité de service, récompenses de compagnies croisiéristes. Quelques trophées en plastique d’employés du mois, une petite collection d’ouvrages touristiques français et anglais sur la Dominique. Le tout sous vitrine. Colin Piper est un jeune homme dynamique, dans la trentaine, de complexion claire. Il porte une chemise, une cravate et un badge. Il a fait ses études aux États-Unis.

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    Un chauffeur de taxi indépendant essaye d’attirer l’attention des croisiéristes puerto-ricains depuis la barrière empêchant l’accès à l’avenue du front de mer (Gauche). Couple de touristes à proximité du marché d’artisanat (Droite).
    © Ro. Ph.

    « Avant, c’était l’île nature », nous explique-t-il. Depuis les années 1980 de nombreux touristes visitent en effet la Dominique différemment. Le lieu est bien connu par les amateurs de tourisme vert et de plongée. Il s’agit de l’île la plus montagneuse et la mieux conservée de la région. Elle compte d’innombrables rivières, des sources chaudes noyées dans la végétation, un lac d’eau bouillante situé au cœur d’un cratère volcanique et des paysages à couper le souffle. A la différence des croisiéristes, les touristes de séjour passent plusieurs jours dans l’île. Ils dorment dans les hôtels locaux, mangent dans les petits restaurants et consomment beaucoup plus. En moyenne, d’après le directeur de la DDA, un croisiériste dépense l’équivalent de 35 euros par jour quand un touriste de séjour dépense plus de 100 euros. Sur une année, les recettes touristiques liées au tourisme de croisière s’élèvent à moins de 12 millions d’euros. Les recettes liées au tourisme de séjour sont sept fois plus élevées. « Quand nous avons commencé la croisière [à grande échelle] certains ont fait beaucoup de bruit » continue Colin Piper...

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    Des chauffeurs de taxi indépendants tentent d’attirer un client isolé qui n’a pas réservé de tour auprès d’une agence.
    © Ro. Ph.

    Car contrairement à ce qu’affirme le directeur de la DDA, ces deux formes de tourisme ne sont pas complémentaires. Loin de là. Ken Hill est directeur d’une petite agence de voyage spécialisée dans les excursions à l’intérieur de l’île. Son entreprise en propose à la fois aux touristes de croisière et aux touristes de séjour. Pour cet homme noir d’une cinquantaine d’années, polo uni à l’effigie de son entreprise, jean et chaussures de randonnée aux pieds, le tourisme de croisière est devenu nécessaire. Mais « les touristes de séjour prennent très mal de voir arriver sur les sites d’intérêt des centaines de visiteurs débarqués des bateaux de croisière », explique-t-il.

    Les premiers marchent, par petits groupes, sac sur le dos, et visitent à un rythme lent des sites réputés pour leur calme et leur végétation extraordinaire. Les seconds descendent du bateau par milliers, se déplacent en cohortes bruyantes et n’ont que quelques heures pour voir les lieux les plus réputés avant de lever l’ancre à 16 heures. Pour eux, le parking des chutes de Traffalgar ou de Emerald Pool se transforment en marché d’artisanat, où dominent les produits made in China et des groupes de musique folklorique surfaits. Le doudouisme a toujours la côte dans ces espaces aux ambiances madras et chapeaux bakoua.

    Ces touristes ne sont pas les seuls à se plaindre de la vue des croisiéristes. Les pancartes « Tourism is everybody business », installées par le gouvernement à l’entrée des villages il y a quelques années, ont rapidement disparu. Il n’en reste aujourd’hui que les moignons métalliques. Seules les publicités télévisées peuvent encore distiller ce message, avant les émissions locales dans lesquelles des personnes à l’accent britannique débattent sans fin des mille et une façons de mieux recevoir les croisiéristes pour qu’ils reviennent toujours plus nombreux.

    Dans la ville un homme à bout s’énerve et insulte un chauffeur qui tente d’attirer quelques touristes : « Magie [6] ! Vous dites que c’est le business de tout le monde mais on ne peut même plus trouver un bus pour aller travailler ! » « Partez tous ! », s’écrie un autre, les yeux exorbités.

    Une partie de la population est visiblement de plus en plus agacée : l’avenue principale de la capitale est fermée à la circulation pour permettre aux croisiéristes de flâner entre les cybercafés et des magasins hors taxes, la circulation et les livraisons sont rendues difficiles et les chauffeurs de bus préfèrent tenter leur chance auprès de ces touristes que de faire les habituels allers-retours entre les villages et la capitale. On les trouve malpolis... Et surtout, on peine à voir les bénéfices de cette activité pourtant très lucrative. Résultat, d’après Yvonne Armour, présidente de la Dominica Hotel and Tourism Association [7], quand ils remontent à bord du navire, les touristes se plaignent des comportements antisociaux de la population…

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    Le port et le centre ville, zone réservée
    La principale avenue de la capitale est fermée et réservée aux touristes lorsqu’un bateau de croisière est accosté en ville. La sécurité veille à ce que les taxis indépendants ne puissent pas pénétrer la zone réservée aux agences (Gauche). Les touristes des bateaux de croisière tels que les verront la plupart des Dominicais, de l’autre coté de la vitre fermée, dans un bus climatisé (Droite). 
    © Ro. Ph.

    Sur le port, nous rencontrons une ancienne vedette de la scène locale de Calypso. Un homme noir, grand et sec, qui approche les 70 ans. Pour survivre, il se mêle aujourd’hui au groupe des taxis indépendants qui tentent de proposer des excursions à ces touristes de croisière, en dehors des circuits pré-vendus par les grosses agences locales. « Le tourisme de croisière est devenu une drogue pour nous... ».

    Ces chauffeurs et guides travaillant à leur propre compte sont devenus en quelques années la bête noire du gouvernement, des agences locales et des compagnies de croisière américaines. « Ils cannibalisent le marché », nous affirme le directeur de la DDA. Daniel Nunez, directeur d’une petite agence proposant des excursions va dans le même sens. La baisse récente de fréquentation de l’île par les paquebots serait liée, entre autres choses, au « harcèlement » des taxis indépendants.

    D’après le ministre du tourisme Ian Douglas ces chauffeurs privés ont pris une part trop importante du marché aux agences locales, ce qui explique la désaffection des compagnies croisiéristes. Ces dernières prennent entre 25 et 35 % de marge sur les excursions qu’ils proposent à terre. En général, lorsque les indépendants prennent plus de 40 % du volume total de visiteurs à ces agences, la compagnie se retire pour chercher des bénéfices plus importants dans les îles voisines…

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    Une touriste américaine devant le bateau de croisière.
    © Ro. Ph.

    Au gouvernement de faire en sorte que cela ne se produise pas. La législation sur la certification pour exercer le métier de taxi indépendant est devenue de plus en plus contraignante ces dernières années. Début 2013, le ministère a été jusqu’à mettre en place l’initiative des « premium access passes » : les jours où un bateau de croisière est à quai, seules les agences peuvent acheter des tickets d’accès aux principaux sites touristiques avant 13h. Quant à l’accès au quai, il est interdit aux taxis indépendants durant la descente des croisiéristes.

    Seules les agences ont le droit de garer leurs véhicules à proximité du navire et leurs agents sont les premiers à pouvoir proposer leurs services, y compris aux plus indécis qui n’ont pas réservé une excursion depuis le bateau. De l’autre côté des grilles, surveillées par des policiers armés de matraques et les agents de sécurité du port, les indépendants doivent attendre leur tour. « On ne ramasse que les petits poissons qui s’échappent du filet », se plaint amèrement le chanteur de calypso.

    Les bénéfices générés par la croisière, à la Dominique comme ailleurs, se répartissent entre les firmes de croisière, les agences de voyage locales qui organisent les excursions dans l’île, les taxis indépendants et les commerçants. Les firmes croisiéristes sont dominées par trois entreprises américaines en situation d’oligopole, qui contrôlent 80 % du marché caribéen (Carnival, Royal Caribbean et Norwegian Cruise Line). Ces compagnies tirent des bénéfices des cabines qu’elles louent sur leur bateaux, des alcools et des attractions vendues à bord (casino, cinéma, soirées, etc.) et des marges sur les excursions proposées par les agences de voyage locales. Ces firmes sont les véritables moteurs du tourisme de croisière et en sont les principaux bénéficiaires.

    Les seules excursions à la Dominique leur rapportent environ 5 millions de dollars [8]. Et une croisière normale représente six escales de ce genre durant la semaine. Les agences de voyage locales sont les autres grandes gagnantes de ce business, qui se négocie en tête à tête avec les compagnies croisiéristes au Seatrade, organisé chaque année à Miami par la Florida Caribbean Cruise Association (FCCA).

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    Un indépendant qui a réussi à pénétrer dans la zone fermée tente discrètement de proposer un tour à un petit groupe de touristes.
    © Ro. Ph.

    Le schéma classique dans la Caraïbe veut qu’une agence locale se place en situation de quasi-monopole, tandis que quelques concurrents plus petits se disputent les miettes. A la Dominique cette agence s’appelle la Whitchurch Limited. D’après la DDA, la firme contrôlerait environ 80 % des excursions. L’agence de voyage n’est d’ailleurs qu’une de ses nombreuses branches d’activité : import-export, services financiers, vente de gros et de détail (nourriture, matériaux de construction)... Pour les seules excursions proposées aux croisiéristes, la Whitchurch réalise un bénéfice net avoisinant les 5,6 millions de dollars [9].

    Lorsque nous avons demandé au ministère du tourisme et à la DDA des lettres d’introduction pour rencontrer et interviewer les responsables des agences de voyage locales, nous avons reçu quatorze enveloppes. Seule manquait la lettre destinée à… Gerry Aird, le directeur général de la Whitchurch Ltd ! Devant notre insistance, nous avons finalement pu nous présenter à lui muni d’un de ces courriers « recommandant fortement [le directeur] de [nous] recevoir et de nous accorder un entretien dans le cadre d’une étude soutenue par la DDA et le ministère du tourisme ». Averti par une secrétaire, un petit homme blanc, en fin de soixantaine, se dirige vers nous d’un pas rapide. Il est visiblement très agacé. Il ressemble furieusement à un béké de l’île voisine de la Martinique. Même teint, mêmes tâches sur la peau qu’on appelle les « fleurs de cimetière ». Il a les yeux clairs, ses cheveux blancs sont rabattus sur le côté et il porte une cravate rouge à fleurs jaunes. La lettre à en-tête de la DDA tremble entre ses doigts fins : « Pourquoi ils ne m’ont pas prévenu ? Nous sommes en contact tout le temps pourtant ! Je n’ai pas le temps ! Demain non plus ! Non, pas en fin de semaine. Nous sommes très occupés (...). Retournez les voir et dites leur de ne pas m’embarrasser ! »

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    Les croisiéristes partent avant tout pour des vacances sur un bateau de croisière. Pas pour les îles. Un touriste prend en photo le bateau.
    © Ro. Ph.

    Contrairement à la Whitchurch, le gouvernement dominicain tire très peu de bénéfices du tourisme de croisière. Certes, il existe des taxes sur l’activité : taxes portuaires, impôts sur les bénéfices des sociétés locales et taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Mais le rapport de force est tout à fait défavorable au gouvernement : la seule compagnie Carnival affiche un chiffre d’affaires annuel de plus de 13 milliards de dollars [10] quand le PNB de la Dominique dépasse à peine les 400 millions de dollars. Résultat, les taxes gouvernementales sont minimes : un total de 2,9 millions de dollars pour 2011. En contrepartie, il faut en premier lieu construire et entretenir les infrastructures portuaires pour accueillir ces géants des mers. Ces infrastructures sont extrêmement coûteuses et endettent le pays.

    Il faut aussi payer les salaires des nombreux fonctionnaires nécessaires à la bonne marche de l’activité et précéder sans cesse les nouvelles demandes pour s’assurer que les compagnies reviendront l’année suivante : renforcer la sécurité des sites, construire et entretenir des routes de bonne qualité vers le port, s’occuper du problème des drogués et des estropiés qui mendient en guenilles dans les rues, installer des poubelles, nettoyer. Les dernières études montrent que les touristes trouvent maintenant l’île trop bruyante...

    Tout dans le rapport annuel des comptes nationaux semble indiquer que l’opération est en fait nulle ou presque. Rares sont les îles tentant le bras de fer avec les compagnies pour augmenter leurs taxes. Les compagnies n’ont d’ailleurs dans ce cas là qu’à faire jouer la concurrence avec les îles voisines. Les retombées pour la population sont donc très faibles et se mesurent à l’aune des quelques emplois gracieusement « offerts ». « Nous pensons que le tourisme dans son ensemble génère 3 000 emplois », nous explique Colin Piper, « mais nous n’avons pas d’études sur la question ».

    Cette estimation large, qui agrège le tourisme de séjour, inclut aussi les centaines de vendeuses vivant très chichement de la vente occasionnelle d’un artisanat bon marché made in China aux couleurs de la Dominique. Elle inclut aussi les nombreux guides et chauffeurs des agences, qu’on appelle occasionnellement, la veille pour le lendemain, et qui gagnent alors en une journée l’équivalent d’une trentaine de dollars. Reste à espérer quelques pourboires car le coût de la vie augmente très rapidement en Dominique. Les emplois générés sont en outre peu qualifiés, les gérants des Duty free et des bars ciblant les touristes sont le plus souvent français ou nord-américains. En dehors de ces étrangers, seule la petite bourgeoisie claire locale a le capital pour investir dans les activités liées au tourisme.

    L’article publié dans le Chronicle du 8 février 2013, sur la baisse de fréquentation récente, n’a pas même la décence de mentionner les quelques retombées pour l’île. La seule chose signalée par le ministère et la DDA : « permettre aux opérateurs de croisières de faire plus d’argent en Dominique » [11] . Pour cela, c’est aux Dominicains qu’on en demande encore et toujours plus : « de la propreté de nos rues à la convivialité de notre population, nous devons faire tous les efforts... » Le tourisme de croisière à la Dominique, à l’image du reste de la Caraïbe, rappelle le titre de cette pièce de Shakespeare : « Beaucoup de bruit pour rien ».

    Déçues, les compagnies se retirent aujourd’hui de l’ïle, espérant trouver des marges plus alléchantes ailleurs...

    Cet article est la synthèse d’un projet de recherche financé par le Ceregmia, Centre d’Etude et de Recherche pluridisciplinaire de l’Université des Antilles et de la Guyane.

    Toutes les photographies sont de Romain Philippon

    Notes

    [1] Une matraque de bois lourd dans le créole des îles des Petites Antilles. Le mot dérive de langues amérindiennes.

    [2] Petite embarcation de pêche traditionnelle qu’on construisait encore récemment dans le tronc de l’arbre du même nom.

    [3] collines formées par les volcans inactifs

    [4] On lira sur cette période l’excellent Bayou of Pigs de Madison Stewart Bell.

    [5] Les chiffres sont ceux de la Caribbean Tourism Organization(CTO) et de la Discover Dominica Authority (DDA).

    [6] Littéralement « foutaises » en créole de la Dominique.

    [7] Lire « 18 % drop in cruise ship calls expected this season », Chronicle, 8 février 2013.

    [8] Les valeurs sont en dollars des États-Unis. Les calculs de bénéfice sont effectués en croisant l’étude de la FCCA sur les recettes touristiques dans la Caraïbe et les comptes nationaux publiés par le Central Statistics Services (CSS) de la Dominique.

    [9] Calcul réalisé en croisant les chiffres des comptes nationaux et des études de la FCCA.

    [10] D’après le rapport annuel de comptes de la compagnie (2009).

    [11] Article du Chronicleop. cit..

     

    vendredi 26 avril 2013, par Bruno Marques et Romain Cruse