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Societe

  • Délinquance sur les chantiers à Marseille

     
     
     
    Si tu ne nous embauches pas, le chantier s'arrête": c'est ce qu'entendent de nombreux responsables de chantiers du BTP dans les quartiers sensibles à Marseille. Rackets, pressions à l'embauche, menaces, extorsions à la sous-traitance font désormais l'objet de toute l'attention des autorités.

    Longtemps ces infractions sont passées sous les radars de la police et de la justice car les entreprises préféraient souvent acheter leur tranquillité. Ce n'est plus le cas.

    Lorsqu'il avait rencontré des représentants de la police et de la justice, le responsable d'une grosse entreprise de BTP l'avait prédit: le chantier de la "L2", grand contournement autoroutier de Marseille de l'Est au Nord, dont le chantier a redémarré il y a un an et demi, allait traverser "des quartiers à problèmes" et "gêner" un certain nombre de gens. "On sera rackettés".

    La suite lui donne raison: le 26 janvier 2015, trois engins de chantiers - parmi eux, une foreuse quasi-unique en Europe - sont incendiés pour un préjudice supérieur à 1 million d'euros.

    Trois jours plus tard, la société reçoit un devis de la société de gardiennage Télésurveillance, Gardiennage, Intervention (TGI). Il s'accompagne d'une promesse, celle qu'il n'y aura pas de problème avec les cités voisines si l'entreprise est retenue, raconte le procureur de la République Brice Robin, lors d'une conférence de presse.

    Des émissaires de TGI se font plus explicites auprès de l'entreprise de BTP: oui, ce sont bien eux qui ont incendié les engins. Et si la police est prévenue, ils promettent "de mettre le feu aux cités".

    De fait, lorsque le contrat de gardiennage est conclu, le calme revient, malgré les absences régulières des employés de TGI.

    - Rodéo dans un coffre -

    Autre cadre, procédé semblable: un conducteur de travaux de Campenon Bernard Provence se retrouve dans le sous-sol d'un logement social en construction, front contre front avec l'un de ses employés originaire du quartier. Si son contrat n'est pas prolongé, le responsable finira "dans un coffre ou dans un cave", lui promet-on.

    Des menaces qui ne sont pas forcément en l'air: lors d'une audience, un magistrat a raconté comment un chef de chantier s'était retrouvé enfermé pendant plusieurs heures dans le coffre d'une voiture partie "faire un rodéo dans la ville".

    Et lorsque les entreprises cèdent - ce qu'elles font souvent -, leurs ennuis ne sont pas terminés. Les pièces d'enquête consultées par l'AFP dressent un portrait peu flatteur des salariés ainsi recrutés: refus du port du casque car "ça fait tomber les cheveux", chute à scooter qu'on tente de faire passer en accident du travail, heures de travail passées à laver les voitures du quartier, vol des clefs des engins, absences répétées puis pressions pour se faire noter présent...

    "Sur un chantier, un employé s'est battu avec un contremaître parce que les autres ouvriers faisaient du bruit et l'empêchaient de dormir!" raconte une source proche du dossier.

    Certains noms apparaissent dans plusieurs dossiers distincts. Comme celui de Karim Ziani, mis en examen et détenu dans l'affaire de la L2, il apparaît aussi dans celle de la construction de HLM.

    S'agit-il d'organisations de type mafias italiennes ? "Non, on n'en est pas là", répond clairement le procureur adjoint de Marseille André Ribes, qui ne minore pas pour autant cette délinquance dont "le chiffre d'affaires est important, notamment sur la sécurité".

    Depuis quelques mois en tout cas, les arrestations se multiplient et les condamnations tombent au tribunal correctionnel de Marseille.

    Mi-2015, après cinq mois d'enquête, une douzaine de personnes sont arrêtées dans le dossier de la L2, quatre sont mises en examen et aujourd'hui encore en détention provisoire. Début décembre, trois hommes, qui avaient extorqué leur embauche, ont été condamnés à des peines d'entre 18 et 30 mois de prison. En tout, cinq dossiers ont été ouverts en 2015.

    Pour en arriver là, la justice et la police ont dû changer leurs méthodes. D'abord, il a fallu regagner la confiance des acteurs du BTP, qui portaient rarement plainte.

    "Il faut se mettre à la place d'un chef de chantier qui a été menacé: il a en face de lui un voyou. (En cas de plainte), c'est la parole de l'un contre la parole de l'autre. Ensuite il se retrouve seul sur le terrain face au voyou, et nous, on n'est plus là", explique le directeur départemental de la sécurité publique des Bouches-du-Rhône Pierre-Marie Bourniquel. "Ca n'est pas facile pour un employé", confirme Philippe Deveau, le patron de la fédération BTP du département.

    - Chiffres noirs de la délinquance -

    Une petite dizaine de policiers ont été choisis pour faire partie du Groupe voie publique "chantiers" sous l'égide du commissaire Jean-Baptiste Corti. Ce groupe, doté d'équipements spécialisés et de moyens humains, "traite ces affaires de chantage de chantiers comme de la grande criminalité", explique M. Bourniquel.

    Bailleurs, donneurs d'ordres, fédération du BTP, police se sont par ailleurs regroupés sous l'autorité du parquet au sein d'un Groupe local de traitement de la délinquance (GLTD).

    Deux magistrats ont été nommés pour suivre ces dossiers. "Des stratégies d'enquête sont déterminées, des stratégies de qualifications juridiques qui permettent de faire aboutir" les procédures, explique le procureur adjoint Ribes, qui cite l'exemple de l'extorsion par menaces "déguisées", toujours difficile à caractériser.

    Après les premières peines de prison, les professionnels de la construction affichent leur satisfaction. "Ca nous a permis de nous rapprocher de la police et de la justice", explique Philippe Deveau.

    Cette criminalité faisait partie jusque-là des "chiffres noirs" de la délinquance, selon M. Ribes: des faits non portés à la connaissance de la police et de la justice, et qui n'existent donc pas officiellement.
    Avant la mise en place du dispositif, le parquet n'était saisi d'aucun dossier de ce type.

    Cette criminalité avait pourtant un coût: autour de 50 millions d'euros par an pour les seules Bouches-du-Rhône comprenant les vols, les dégradations ou incendies de matériel et les pertes d'exploitation liées à des chantiers arrêtés ou ralentis, selon M. Deveau.

    Ces problèmes sur les chantiers "existent partout" en France, précise-t-il. "Je ne pense pas qu'il y ait plus de racket ici dans le BTP qu'ailleurs", abonde M. Ribes.

    La justice compte également surveiller le comportement du secteur. Le magistrat affirme: "Le discours du procureur a toujours été très clair: un acte de délinquance est un acte de délinquance. S'il s'agit de travail dissimulé, l'action publique sera aussi exercée".
     
     


    avec l'AFP
     
     

  • I AM A MAN, DE MEMPHIS À FERGUSON

     

    Dans un Vite dit paru ici cette semaine et intitulé Ferguson / Photos : retour aux années 60, il était question d'un article du New York Times traitant des images de Ferguson qui ne seraient pas sans rappeler celles de la lutte pour les droits civiques des années 60. Des images qui se ressemblent, sans aucun doute :


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    Photo © Whitney Curtis pour le New York Times


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    Photo © Danny Lyon / Etherton Gallery


    « Certains échos visuels des années 60, comme l'utilisation de chiens par la police de Ferguson, ne sont probablement pas intentionnels », écrit le NY Times (on ose l'espérer !).


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    Photo © David Carson


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    Photo © David Carson


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    Photo © Bill Hudson / AP


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    Photo © Charles Moore


    « Mais du côté des manifestants, continue le quotidien, on a délibérément fait des efforts pour évoquer les manifestations non-violentes de l'époque de la lutte pour les droits civiques. Avec, notamment, ces t-shirts au slogan I Am A Man emprunté aux panneaux brandis pendant la grève des éboueurs de Memphis en 1968. »

    Ici le NY Times se trompe, aucune photo prise à Ferguson ne montre de tels t-shirts. L'inscription, en revanche, se retrouve sur des panneaux brandis (voir plus loin).

    Cela dit, la grève des éboueurs de Memphis est historique : le 1er février 1968, deux éboueurs noirs, qui n'avaient pas le droit de s'abriter de la pluie ailleurs qu'à l'arrière des camions-benne, furent broyés par l'un de ces camions. La grève fut déclarée le 12. Le maire la déclara illégale, recruta des "jaunes" (forcément blancs) pour vider les poubelles.

    De nombreuses manifestations non-violentes eurent lieu ; les employés municipaux noirs y dénoncèrent, en brandissant des panneaux portant les mots I Am A Man, ces deux morts atroces ainsi que leurs conditions de travail dangereuses et la discrimination qu'ils subissaient par rapport aux éboueurs blancs.


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    Photo © Ernest C. Withers, 28 mars 1968


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    Photo © Richard L. Copley, Memphis, 1968


    Martin Luther King rencontra les grévistes le 18 mars, participa dix jours plus tard à une manifestation au cours de laquelle un adolescent de seize ans fut tué par la police. Il fut quant à lui assassiné le 4 avril, au Lorraine Motel de Memphis. Le 8, 42 000 personnes manifestaient silencieusement dans la ville. Le 16, la municipalité se pliait aux exigences des éboueurs grévistes.

    La phrase I Am A Man est une référence à Am I Not A Man And A Brother (Ne suis-je pas un homme et un frère), slogan de la britannique Society for the Abolition of the Slave Trade créée en 1787 par des Quakers. Voici son emblème, abondamment copié :

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    Emblème de la société des Amis des Noirs,
    créée à Paris en 1788


    À Ferguson, aujourd'hui, on défile en brandissant des panneaux I Am A Man.

    « Diane McWhorter, continue le NY Times, auteure de Carry Me Home: Birmingham, Alabama, the Climactic Battle of the Civil Rights Revolution, dit qu'elle a également vu des échos de ces pancartes dans les bras levés des manifestants. Il s'agit là d'une image instantanément reconnaissable qui semble née de la rapidité avec laquelle les nouvelles circulent sur internet, et qui à son tour contribue à cette rapidité. Dans le premier cas, les pancartes I Am a Man sont une sorte d'affirmation massive d'humanité ; dans le second, celui des mains levées, c'est une manifestation de masse d'innocence. Deux images très fortes. »

    Le même pouvoir suggestif parce que dans les deux cas ce sont des milliers de personnes qui disent Je suis un homme, Ne tirez pas.


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    Photo © Wiley Price / St Louis American


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    Pendant ce temps, note enfin le NY Times, certains historiens s'inquiètent de ces rapprochements Ferguson 2014 / Droits civiques années 60 : « Nous pouvons regarder ces images et dire que Ferguson est comme Los Angeles ou Birmingham parce que ça y ressemble, dit le professeur Berger. Mais si nous devons nous demander "Qu'est-ce qui est pareil ?" nous devons aussi nous demander "Dans quelle mesure l'Amérique a-t-elle changé ?" Histoire d'avoir une conversation qui ne s'arrête pas aux brutalités policières, ce qui ne nous mène pas très loin. »

    Certes. Il est vrai qu'une image ne dit pas tout, loin de là. Ou bien elle dit tout et son contraire, selon la légende qu'on y appose. Mais tout de même. Les rapprochements sont nombreux :

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    Si en 1968 les éboueurs de Memphis soutenus par Martin Luther King ont choisi leur slogan I Am A Man en s'inspirant de la devise des abolitionnistes du XVIIIe siècle Am I Not A Man And A Brother et si les manifestants de Ferguson brandissent ces jours-ci des pancartes I Am A Man, cela signifie peut-être que rien n'a vraiment changé. L'esclavage fut aboli en 1863, la déségrégation commença lentement en 1954, mais aujourd'hui encore c'est un policier de Ferguson qui traite les Noirs d'enculés d'animaux…


     … après qu'un autre a abattu un jeune homme noir nommé Michael Brown (et l'on pense à Trayvon Martin, abattu par un vigile volontaire le 26 février 2012, voir cette précédente chronique). Dans les faits, rien n'a vraiment changé, non.

    Reste la lutte et l'espoir chantés par Pete Seeger dont le texte fut repris par Martin Luther King, We shall overcome (Nous vaincrons). Someday.


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    Martin Luther King à Lakeview (État de N.Y.), 12 mai 1965

     

    chronique du 23/08/2014 par Alain Korkos

     

     

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    Dans Le Monde.fr à la date du 22 août, un article d'Annick Cojean intitulé Tommie Smith, le poing noir de l'Amérique. Tommie Smith et John Carlos levèrent le poing sur les marches du podium aux J.O. de Mexico en 1968 (pour abonnés).

  • L'IMAGE DES NOIRS AMÉRICAINS ...

    DE SELMA À URGENCES : L'IMAGE DES NOIRS AMÉRICAINS AU CINÉMA ET DANS LES SÉRIES TÉLÉ


     

    Mercredi dernier est sortie sur les écrans une bobine intitulée Selma qui raconte les marches pour les droits civiques menées en 1965 par Martin Luther King.

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    Selma est une ville située en l'État d'Alabama aux États-Unis. Dans les années 60 sa population s'élève à 30 000 âmes, dont la moitié sont des Noirs. Parmi eux, trois cents personnes seulement sont habilitées à voter. Car à cette époque, les électeurs des États du Sud doivent passer un test d'écriture voire s'acquitter d'une taxe pour avoir le droit de s'approcher les urnes. Ces deux conditions éliminent la quasi-totalité de la population noire, qui ne prend même pas la peine de s'inscrire sur les listes électorales.

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    Selma, dans Selma


    En 1963, Amelia Boynton lance à Selma l'American Civil Rights Movement (le Mouvement pour les droits civiques) dont le but est l'abolition de la ségrégation raciale et la possibilité pour tout citoyen américain d'accéder, sans condition aucune, au droit de vote.

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    Lorraine Toussaint dans le rôle d'Amelia Boynton


    La même année, Martin Luther King prononce son célèbre I Have a Dream à Washington. L'année suivante est voté le Civil Rights Act qui abolit toute discrimination raciale. Sauf que les États du Sud ne sont pas d'accord, refusent par la force que les Noirs s'inscrivent sur les listes électorales. En février 1965, un manifestant est tué à Marion, petite ville située à quarante kilomètres de Selma.

    Le 7 mars, six cents manifestants menés par Amelia Boynton veulent marcher de Selma à Montgomery, capitale de l'Alabama, là où Rosa Parks refusa en 1955 de céder sa place de bus à un Blanc (ce fut le sujet d'un précédent article, voir par là). Mais la police montée intervient sur le pont Edmund Pettus, fait de nombreux blessés. Parmi eux, Amelia Boynton dont la photo du corps à terre fera le tour du monde. Cette première marche sera baptisée Bloody Sunday.

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    Photogrammes issus de Selma
    et photos du 7 mars 1965


    Martin Luther King lance alors un appel pour une seconde marche qui doit s'effectuer deux jours plus tard, le 9 mars. Mais les manifestants finissent par renoncer car, sans la protection de la police locale, ils risquent fort d'être attaqués par des milices blanches.

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    David Oyelowo dans le rôle de Martin Luther King

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    Photogrammes issus de Selma
    et couverture de Life du 19 mars 1965

    Aussi rejoignent-ils l'église de Selma, sous la houlette du pasteur. Cette nuit-là, le pasteur James Reeb, venu de Boston, est assassiné par un groupe d'hommes blancs.

    Le 21 mars a lieu la troisième marche. Protégés par des soldats, des gardes nationaux et des shérifs fédéraux, deux mille manifestants partent de Selma pour rejoindre Montgomery, à quatre-vingt-dix kilomètres de là.

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    Ils y arrivent trois jours plus tard, ils sont alors vingt-cinq mille. Réunis devant le Capitole, ils écoutent un discours de Martin Luther King. Cinq mois plus tard, le gouverneur George Wallace signe le Voting Right Act.

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    Photo de Stephen Somerstein

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    Photogrammes issus de Selma
    et photos du 24 mars 1965


    Ces événements sont le coeur du film Selma réalisé par Ava DuVernay avec David Oyelowo dans le rôle du pasteur King et Oprah Winfrey (qui est co-productrice) dans celui d'Annie Lee Cooper. Cette femme, qui fit la queue pendant des heures en janvier 1965 pour s'inscrire sur les listes électorales de Selma, fut chassée à coups de matraque par le shérif Jim Clark. Annie Lee Cooper se rebella, lui colla un vigoureux bourre-pif, fut aussitôt saisie par les nervis dudit shérif.

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    Oprah Winfrey dans le rôle d'Annie Lee Cooper


    Accusée de "provocation criminelle", elle passa onze heures en prison au cours desquelles elle ne cessa de chanter des negro spirituals.

    Les marches de Selma sont, pour les Américains, un moment historique d'une extrême importance. Barack Obama s'y rendit le 7 mars dernier à l'occasion du cinquantième anniversaire du Bloody Sunday, prononça un discours sur le pont Edmund Pettus. Il en avait prononcé un autre la veille à la faculté Benedict de Columbia, en Caroline du Sud, au cours duquel il avait évoqué la mort de Michael Brown à Ferguson (lirecette précédente chronique) et celle d'Eric Garner, tué lui aussi par un policier à New York le 17 juillet dernier. Il avait également déclaré : «Selma, c'est maintenant. Selma, c'est le courage de gens ordinaires faisant des choses extraordinaires parce qu'ils croient qu'ils peuvent changer le pays, qu'ils peuvent modeler le destin de la nation. Selma, c'est chacun d'entre nous se demandant ce qu'il peut faire pour améliorer l'Amérique. »

    La dernière phrase est un écho de celle que Kennedy prononça le 20 janvier 1961 : «Mes chers compatriotes, ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour lui. » Et le « Selma is now » sonne terriblement juste à l'heure où trente-et-un États sur cinquante (dont la totalité de ceux du Sud) demandent maintenant aux électeurs un papier officiel avec photo d'identité alors qu'auparavant une facture ou une signature suffisait. Cette mesure, qui touche essentiellement les Noirs n'ayant, bien souvent, ni passeport ni permis de conduire (lire cet article deLa Croix), rappelle tristement les restrictions au droit de vote pratiquées à l'époque des marches de Selma.Selma now! est aussi l'un des slogans du film :

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    Ces derniers mois ont vu l'émergence de plusieurs films étazuniens parlant des Noirs : Dear White People de Justin Simien (sorti en mars 2014) est une comédie satirique racontant la vie de quatre étudiants noirs dans une faculté blanche ;

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    Fruitvale Station de Ryan Coogler (sorti en janvier 2014) raconte les vingt-quatre heures précédant le moment où Oscar Grant croise des policiers dans la station de métro Fruitvale à San Francisco ;

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    12 Years a Slave de Steve McQueen (sorti en janvier 2014) raconte la vie d'un esclave avant la guerre de Sécession (on en avait parlé par là).

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    Ces trois bobines cartonnèrent au box-office. Aussi, McQueen est-il en train de préparer un film sur Paul Robeson, célèbre chanteur qui immortalisa Old Man River dans le film Show Boat de James Whale (1936). Ryan Coogler, quant à lui, travaille sur un film intitulé Creed, un spinoff mettant en scène le petit-fils d'Apollo Creed, adversaire et ami de Rocky Balboa.

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    Si les films ont un impact certain sur les consciences, les séries télé marquent sans doute plus durablement les esprits. Sauf que malheureusement, ces dernières sont beaucoup moins ambitieuses que les bobines de cinéma. C'est ce que raconte par le détail un article de Pierre Langlais paru cette semaine sur le site deTélérama : De l'image trop rose de la vie des Noirs américains dans les séries. Il y cite Black-ish, une série comique dans laquelle un homme noir travaillant dans une boîte de pub à Los Angeles et marié à une chirurgienne noire itou, se rend compte petit à petit qu'il est devenu, comme disent les Africains de France, un Bounty : noir dehors, blanc dedans. Aussi va-t-il tenter une espèce de retour aux sources.

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    « Black-lish, peut-on lire dans l'hebdomadaire, s'inscrit dans le même registre bienveillant et optimiste[que le Cosby Show ou Le Prince de Bel-Air], alors que les événements tragiques de Ferguson, de New York ou de Berkeley soulignent les inégalités et les injustices raciales dont la communauté noire continue d'être victime. »

    Autres séries américaines mettant en scène des personnages noirs : Scandal et How to get away with murderde Shonda Rhimes, la créatrice de Grey's Anatomy. Là encore, la réussite individuelle prime sur une vision de l'état de la société : l'héroïne de Scandal officie dans les relations publiques et est mêlée à un scandale impliquant la Maison-Blanche, celle de How to get… est avocate.

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    David J. Leonard, spécialiste de l'image des minorités raciales dans les médias américains cité par Télérama, pense que ces séries « parlent de l'individu, pas de la société, et réduisent des questions globales à des ­enjeux intimes. Elles nous font croire que la réussite d'un citoyen dépend de sa volonté, de ses valeurs et de sa culture ».

    Nous sommes loin de The Wire (Sur écoute) et Treme, deux séries créées par David Simon dans lesquelles les problèmes raciaux étaient traités frontalement : la première évoquait (entre autres choses) le trafic de drogue à Baltimore, la seconde racontait l'après-Katrina à La Nouvelle-Orléans avec son flot de corruption. Mais ces deux séries, tout à fait extraordinaires, n'eurent que peu d'écho aux USA.

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    Il exista cependant une série télé vue par des millions de téléspectateurs qui aborda avec beaucoup de réalisme et de subtilité les problèmes raciaux : Urgences (ER en anglais). Les quinze saisons furent diffusées en France à partir de 1996 (et sont actuellement rediffusées sur la chaîne belge AB3).

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    Dans cette série chorale étaient traités plusieurs problèmes inhérents à la société américaine. Parmi eux, l'assurance-maladie que seuls les plus riches peuvent s'offrir, la guerre des gangs, le racisme et l'image du Noir. Le Dr Pratt cristallisait ces deux derniers points, en voici deux exemples.

    L'épisode 16 de la saison 9 intitulé Mille oiseaux de papier (A Thousand Cranes) nous montre le docteur Chen entrevoyant un type qui sort en courant du diner situé en face des urgences et qui monte dans une voiture. Elle découvrira ensuite qu'une tuerie a eu lieu dans ce coffre shop et déclarera aux policiers :

    — J'ai vu l'un d'eux, je pense qu'il était noir.

    Au plan suivant, les docteurs Pratt et Gallant se font arrêter.

    —Bienvenue dans le ghetto, dit Pratt.

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    Ils sont plaqués au sol, l'un des policiers appuie sa chaussure sur le cou de Pratt, les deux hommes se retrouvent peu après incarcérés.

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    Ils seront plus tard libérés et raconteront leur mésaventure à l'hôpital où Jerry, le réceptionniste pince-sans-rire, leur dira :

    —Le problème c'est que vous êtes tous les deux coupables.
    —De quoi !? demande Pratt.
    —De conduite en état de négritude.

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    Le Dr Elizabeth Corday fait alors l'apologie du contrôle au faciès, ce qui surprend désagréablement les personnes présentes. Peu de temps après, le policier qui avait arrêté les docteurs Pratt et Gallant est blessé, arrive aux urgences. Après avoir reçu les premiers soins, il se retrouve seul avec eux.

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    —Là, vous devez vraiment avoir peur, dit Pratt au flic alité. Tous les Blancs sont sortis, il n'y a plus que vous et deux grands nègres avec des couteaux…

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    Dans l'épisode 9 de la saison 12 intitulé Une demande galante (I Do), le jeune KJ, fils de Darnell Thibeaux, est injustement accusé d'avoir volé une caméra vidéo avant que d'être innocenté. KJ, Darnell et le Dr Pratt se retrouvent devant l'entrée des urgences :

    Pratt : — Finalement, c'est toujours les Noirs qu'on vient chercher. Même si t'as un bon boulot, que tu habites dans un bon quartier et que tu gagnes beaucoup d'argent…

    Darnell : —… Les flics finissent par t'arrêter pour avoir traversé un quartier blanc.

    KJ annonce alors qu'il ne veut plus retourner travailler comme volontaire à l'hôpital :

    On me tombera toujours sur le dos, même si je fais du bon boulot.

    Darnell : —Oui, et ça sera toujours comme ça, alors il faut t'y habituer. Faut pas y penser, vis ta vie de ton mieux.

    Pratt : — Il faut rester dans la course, KJ, sinon c'est eux qui gagnent.

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    Dans d'autres épisodes le Dr Pratt se retrouve réquisitionné pour jouer le rôle de nègre de service : on lui demande d'aller parler avec tel ou tel membre de gang blessé dans une bagarre, une fusillade.

    Nous n'avons pas de conscience collective, se défend le médecin, souvent préoccupé par sa réussite personnelle. Mais finalement, il ira parler au petit malfrat.

    Il est à espérer que ce thème du racisme ainsi que les autres problèmes de société traités pendant les quinze saisons d'Urgences auront touché le public et continueront de le toucher, puisque la série est toujours diffusée ici où là. Et peut-être Oprah Winfrey, co-productrice de Selma et d'autres films, devrait-elle investir ses picaillons dans une série télé à l'opposé de celles qui mettent en avant la réussite individuelle. Une série susceptible de passionner les foules sur le modèle d'Urgences, par exemple.

     

  • La drague, crime contre l’humanité féminine ?

     

    Des temps sombres s’annoncent pour les mâles

     

     

     

    À l’arrivée, la journaliste s’est plainte de l’attitude du joueur, le club en a été informé, qui a infligé au champion une amende de 10 000 dollars. La raison invoquée est l’invitation lancée (en public, devant les caméras de télévision) à la journaliste d’aller « boire un verre après le match ». Sans oublier le compliment réitéré sur ses « magnifiques yeux ». On comprend la vexation de la « journaliste », car cela signifie en creux qu’il lui prête plus de qualités sensuelles que professionnelles. Sans verser dans le machisme le plus éhonté, le milieu journalistique, et a fortiori télévisuel, qui plus est dans le domaine sportif, regorge de journalistes femmes choisies sur des critères physiques.
    Concrètement, personne ne va mettre un thon à l’antenne ou aux interviews sur le terrain, au risque de faire peur au public. Que les lesbiennes ultra se calment, c’est le même tarif pour les hommes, chosifiés par le capitalisme médiatique : au Canal Football Club, on n’invite que des footballeurs sexy... car on sait que les femmes vont regarder avec leur mari. Pur calcul de rentabilité basé sur la séduction du téléspectateur.
    Pas la peine de trouver ça injuste, ou ignoble, c’est comme ça, c’est la télé, c’est pas du machisme, seulement une technique d’attraction du public et des sportifs interrogés. Dans le domaine de l’information, le directeur de LCI Jean-Claude Dassier n’avait pas hésité, dans les années 2000, à lancer une ribambelle de bimbos présentatrices, qui, il est vrai, avaient toutes leur diplôme de journaliste... Mais le diplôme de journaliste, aujourd’hui, ne vaut plus grand-chose. Seul le terrain et l’expérience font la différence. Mais ne nous égarons pas.

    La pression féministe mondiale (encore une invention de ces pu(ri)tains d’Américains) transforme une petite parenthèse de séduction innocente – sans vanne lourde du type Patrick Sébastien à Aïda Touihri pendant les Victoires de la Musique – en crime contre la Femme, contre toutes les femmes.

     

     

    D’abord, sachons faire la différence entre le lourdaud qui bave devant une beauté à la limite de la provocation (l’exercice naturel du pouvoir des femmes sur les hommes, surtout pour ceux qui ne peuvent socialement y prétendre), et le mec qui drague pour s’amuser, car la drague est un jeu entre l’homme et la femme, depuis le début des Temps. Adam a bien dû draguer Ève, pour parvenir à ses fins. Et à la fin du Paradis terrestre, mais ça, c’est un autre débat.

    Chacun sait que la protection de la femme dans la patrie du patriarcat (les États-Unis) a dérivé vers la criminalisation globale de l’Homme, de son instinct (désirer naturellement la Femme), changeant tout geste ou parole à légère ou lointaine connotation sexuelle en agression manifeste. Tout devient alors affaire de « parole contre parole », et dans ce cas, la parole de la victime prime celle de l’agresseur supposé. Attention, nous faisons bien la différence entre les violeurs, les agresseurs, ceux qui harcèlent les femmes, et les hommes non pathologiques qui entrent dans le jeu de la séduction, partition que les femmes jouent brillamment du matin au soir. Elles ne se réduisent pas à ça – même Nabilla doit bosser un peu – mais elles ont 20 longueurs d’avance sur les hommes en la matière. Une jeune fille de 15 ans saura par instinct – ou culture transmise – faire tourner la tête d’un mec amoureux d’elle, jusqu’à le faire ramper.

     

     

    C’est le pouvoir éternel de la femme, de susciter le désir, et de transformer ce désir en pouvoir sur l’autre. Toutes ne jouent pas ce jeu, qui peut sortir du domaine du jeu (on oublie l’amour pour le pouvoir), ou qui peut basculer, la patience de l’homme humilié se changeant en colère. C’est la limite du pouvoir féminin : l’homme peut à tout moment reprendre le pouvoir en imposant sa force physique. Mais ce faisant, il risque (du moins le croit-il) de perdre son statut de prétendant, et voir un autre, plus soumis, lui passer devant. Les choses ne sont pas aussi simples, nous ne rentrerons pas dans tous les cas de figure de cette arborescence.

     

     

    On peut sans trop se tromper assimiler le jeu de séduction de la femme à celui d’un dresseur de fauves. Suffisamment sûre de sa puissance (séductrice), une femme peut dominer ce fauve qu’est l’homme, et le domestiquer. Ce qui arrive la plupart du temps. Le fauve se transforme alors en gentil toutou à pantoufles, qui chasse pour sa femelle, et qui ne va pas (trop) voir ailleurs. On a beaucoup parlé, depuis 50 ans et la « libération » féministe, des femmes brimées, dominées, soumises, mais très peu des hommes réduits à leur fonction nourricière, esclavagisés dans leur quotidien par une épouse qui réclame la « sécurité » matérielle (dans le sempiternel « j’ai épousé un homme avec une bonne situation », comprendre plutôt « j’ai épousé une bonne situation avec cet homme »)). Un homme devenu, par amour, la propriété exclusive de la femme. Parce que c’est de ça qu’il s’agit ! Le problème, c’est qu’un homme soumis n’est plus vraiment un homme. Alors, évidemment, notre schéma est quelque peu caricatural, l’échelle de dominance offrant une infinité de nuances, mais ce sont choses taboues.

     

     

    Au fond, il s’agit ni plus ni moins, au-delà de la séduction et de l’instinct de reproduction, que d’une lutte de pouvoir entre hommes et femmes, qui n’est plus du domaine de la séduction. D’une espèce de guerre civile entre genres. La femme (occidentale et bourgeoise, précisons) se servant de son ancien statut de victime pour arracher des droits, sur le modèle que nous connaissons tous des minorités autrefois opprimées qui aujourd’hui font la loi, ou les lois. Un jour, il y aura peut-être une loi mémorielle interdisant à tout homme d’aborder une femme sans son consentement. Une sorte de loi Gayssotte, et tout le monde sera malheureux. L’amour courtois pourra aller se rhabiller, et il restera l’amour tarifé, la rencontre industrielle sur critères techniques, le refuge de la virilité dans le porno, qui accoucheront d’une vie sociale triste comme un jour sans sourire (non calculateur) entre deux inconnus.

  • Attentat de San Bernardino

    Attentat de San Bernardino : un trou de 18 minutes dans le parcours des tueurs

    V.F. | | MAJ :
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    Syed Farook et Tashfeen Malik avaient tenté de s'échapper dans un 4X4 noir mais ils avaient été tués par la police lors d'un échange de plus d'une centaine de tirs.
    Syed Farook et Tashfeen Malik avaient tenté de s'échapper dans un 4X4 noir mais ils avaient été tués par la police lors d'un échange de plus d'une centaine de tirs.
    (AFP/ Joe Raedle.)

    La police fédérale FBI a lancé mardi un appel à témoins pour compléter le parcours de Syed Farook et Tashfeen Malik, le couple qui a tué 14 personnes début décembre à San Bernardino (Californie). La tuerie, attentat terroriste le plus meurtrier aux Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, est intervenue lors d'un déjeuner de Noël pour les employés des services sanitaires du comté, dont faisait partie Syed Farook. 

    Les enquêteurs ont déjà reconstitué le parcours du couple radicalisé d'origine pakistanaise pendant toute la durée du drame, jusqu'à leur mortdans un échange de tirs nourris avec la police environ sept heures plus tard. Mais ils n'ont pas d'éléments pour les dix-huit minutes qui ont suivi la tuerie et précédé l'affrontement avec la police.

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    Ces 18 minutes sont «cruciales» pour l'enquête. «Nous voulons savoir s'ils se sont arrêtés quelque part, une maison ou un lieu commercial dont nous n'aurions pas idée. Nous voulons savoir s'ils ont contacté quelqu'un pendant ce laps de temps», a expliqué lors d'une conférence de presse le directeur du FBI à Los Angeles, David Bowdich. «Je demande aux citoyens de nous aider dans cette enquête, et, s'ils savent quelque chose, qu'ils nous contactent», a-t-il ajouté.

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    Syed Farook, 28 ans, a quitté son domicile le 2 décembre vers 8 h 37 pour arriver vers 8 h 47 au déjeuner de Noël organisé dans le Centre régional Inland de San Bernardino, à environ 1 heure de Los Angeles. «Il en est reparti à 10 h 37 puis est revenu vers 10 h 56. L'attaque a eu lieu dans les minutes suivantes et quatorze personnes ont été tuées. Puis ils se sont rendus près d'un lac» dans un SUV noir, a détaillé David Bowdich.

    Le trou noir des enquêteurs dans les faits et gestes du couple meurtrier se situe entre 12 h 59 et 13 h 17. Les enquêteurs ont ensuite retrouvé leurs traces grâce notamment à des caméras de surveillance et des témoins. «Nous savons qu'ils se sont arrêtés à plusieurs endroits», a noté David Bowdich. Le couple a été repéré par les forces de l'ordre et une course-poursuite s'est engagée, se terminant par la mort des tueurs. Le lac a été exploré par des plongeurs du FBI qui n'ont pas retrouvé d'élément «pertinent pour l'enquête».

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    Les autorités américaines ont qualifié la tuerie d'«acte d'inspiration terroriste» mais n'ont trouvé «aucun signe qu'elle ait été dirigée depuis l'étranger». Le 16 décembre, le FBI a arrêté et inculpé Enrique Marquez, ami proche d'un des deux tueurs. Ce complice a été notamment inculpé de projets d'attentat avec Syed Farook en 2011 et 2012 dans une université et sur une autoroute. Il est également accusé d'avoir fourni «illégalement» à Farook des explosifs et deux fusils utilisés à San Bernardino. Il fait l'objet d'un troisième chef d'accusation pour «avoir trompé les services fédéraux de l'immigration en faisant un mariage blanc» avec une femme, dont la soeur avait épousée le frère de Syed Farook, selon un communiqué du département américain de la Justice (DoJ).