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Societe - Page 2

  • Etes-vous pauvre ?

    Etes-vous pauvre ? Mesures de la pauvreté et impact sur le taux de pauvreté

     

     

    Etes-vous pauvre ? Cette question en apparence simple est en réalité assez complexe ! En effet, d'un point de vue statistique, pour être capable de définir si une personne est pauvre, il faut être capable de définir un niveau (ou un seuil) précis en dessous duquel une personne est alors considérée comme pauvre (et au dessus duquel elle ne l'est pas). Mais comment justement fixer ce niveau et comment l'ajuster dans le temps ? Est-on pauvre lorsque l'on dispose de moins 1000 euros par mois ? Est-on pauvre lorsque l'on est moins riche qu'un certain pourcentage de la population ? Est-on pauvre lorsqu'on ne peut pas s'acheter de la viande au moins une fois par semaine ? Avec ces trois questions, le Captain' vient d'introduire indirectement trois méthodes différentes pour mesurer la pauvreté : (1) la mesure monétaire absolue (un niveau de vie inférieur à x euros par mois, avec un seuil qui s'ajuste dans le temps en prenant en compte l'inflation), (2) la mesure monétaire relative (un niveau de vie inférieur à x% du niveau de vie médian des habitants de votre pays) et (3) la mesure de la pauvreté en tant que privation (ou mesure en conditions de vie). Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients, et selon le choix de la mesure et du seuil, le nombre de pauvre dans un pays peut drastiquement augmenter ou diminuer. C'est parti pour le grand test : "Etes-vous pauvre 2015 ?" !

     

     

    Selon les derniers chiffres de l'INSEE, 14,3% de la population française est pauvre, soit environ 8,6 millions de personnes (source : "Pauvreté en 2012 : comparaisons régionales - INSEE"). Selon l'INSEE, vous êtes "pauvre" si votre niveau de vie est inférieur à 987 euros par mois. Donc si vous gagnez le SMIC (1096 euros net en 2012), vous n'êtes pas pauvre ; et ce même si vous habitez tout seul à Paris et que votre loyer est de 700 euros (ce qui peut être discutable...) ! Si vous touchez uniquement le Revenu de Solidarité Active (RSA - 467 euros par mois), vous êtes alors considéré comme pauvre (là dessus, peu de discussions possibles) !

     

    Mais comment est calculé ce seuil de 987 euros ? Le seuil de pauvreté en France est défini par l'INSEE comme étant égal à 60% du niveau de vie médian de la population française : c'est donc une mesure relative, qui dépend directement du revenu médian du pays. Pour illustrer cela, supposons alors un pays avec 21 habitants, ayant chacun le niveau de vie suivant (voir tableau ci-dessous). Pour simplifier, on suppose alors que chaque habitant est célibataire et sans enfant, en évitant ainsi les problématiques relatives aux unités de consommation (pour plus d'infos à ce sujet, voir "La mesure de la pauvreté - INSEE").

     

    seuil-pauvrete-60

     

    La première étape consiste donc à calculer le niveau de vie médian. Dans notre exemple, le niveau de vie médian est de 1500 euros, ce qui signifie que 10 habitants ont un revenu supérieur à ce niveau et 10 habitants ont un revenu inférieur. Pour définir le seuil de pauvreté, on multiplie ensuite 1500 par 60%, ce qui nous donne un seuil à 900 euros. Ensuite, sont considérés comme pauvres tous les habitants ayant un niveau de vie inférieur à 900 euros (soit dans notre cas 5 habitants - et donc un taux de pauvreté de 23,8%). La prise en compte d'un seuil de pauvreté en fonction d'un niveau relatif de niveau de vie permet donc d'évaluer une notion de pauvreté à un moment donné et pour un pays donné. 

     

    Mais il y a aussi tout de même pas mal de limites à cette mesure. Supposons que du jour au lendemain, une croissance incroyable touche notre pays, et que le niveau de vie de l'ensemble des habitants double. Dans cette situation, avec un seuil de pauvreté défini de manière relative, il y aura toujours autant de pauvre dans notre pays : le seuil de pauvreté passant à 1800 euros, les pauvres d'avant sont toujours pauvres (au sens statistique) et ce malgré le fait que leur niveau de vie ait doublé. A l'inverse, il est possible de voir une baisse du taux de pauvreté dans un pays si les pauvres restent aussi pauvres (en euros) mais que les plus riches deviennent moins riches (une baisse du niveau de vie médian pouvant entraîner une baisse du taux de pauvreté, même sans hausse du niveau de vie réel des plus pauvres). Ces deux exemples sont assez extrêmes, mais illustre tout de même assez simplement les problématiques relatives à l'utilisation d'un seuil relatif.

     

    De plus, il est important de faire bien attention à ne pas tirer de conclusions hâtives lors des comparaisons internationales du taux de pauvreté. Par exemple un pays "A" où l'ensemble des habitants a le même niveau de vie (500 euros par mois par exemple) sera considéré comme ayant 0% de taux de pauvreté, tandis qu'un pays "B" où l'habitant le plus pauvre a un niveau de vie de 1000 euros mais où il existe de plus fortes inégalités pourrait avoir par exemple un taux de pauvreté de 20%.... Pourtant, les non-pauvres du pays "A" seraient tous pauvres dans le pays "B" (à un ajustement de revenu médian près) ! Le taux de pauvreté mesuré d'une manière relative se rapproche donc davantage d'une mesure des inégalités dans un pays donné que d'une réelle mesure de la pauvreté (même si les deux mesures peuvent être liées).

     

    Plutôt qu'une mesure relative, il est aussi possible de mesurer la pauvreté monétaire de manière absolue : c'est à dire en utilisant un niveau fixe dans le temps (avec simple ajustement pour l'inflation) ne dépendant pas de la richesse moyenne ou médiane d'un pays. Les Etats-Unis utilisent par exemple principalement une mesure monétaire absolue pour définir le taux de pauvreté. Le seuil de pauvreté a été défini en 1963 comme étant égal à trois fois le montant d'un régime alimentaire minimum, et est ajusté chaque année pour prendre en compte l'inflation. Par exemple, s'il faut au minimum 300$ par mois pour pouvoir se nourrir correctement aux USA, le seuil de pauvreté sera fixé à 900$. Cela nous donne donc une mesure absolue de la pauvreté, qui est par la suite ajustée en fonction de la situation familiale et du nombre d'enfant (source : "How the Census Bureau Measures Poverty"). Par exemple, un individu seul avec un niveau de vie inférieur à 12.119$ par an (1009$ par mois) sera considéré comme pauvre aux USA.

     

    poverty-threshold-usa

     

    En utilisant cette mesure monétaire absolue du seuil de pauvreté, le taux de pauvreté aux Etats-Unis est relativement stable, ce qui signifie que le niveau de vie des pauvres augmente à peu près au même niveau que l'inflation. Cependant, si les Etats-Unis utilisaient une mesure relative comme la France, il y a fort à parier que les conclusions seraient très différentes : la hausse des inégalités (cf travaux de Piketty par exemple) aux USA devraient en effet se traduire par une hausse du taux de pauvreté avec une mesure relative.

     

    Pour les pays en voie de développement, une mesure de pauvreté monétaire absolue souvent utilisée est celle de 1,25$ PPA par jour ("Banque Mondiale - Ratio de la population pauvre disposant de moins de $1,25 par jour (PPA) (% de la population)"). L'objectif ici est assez différent, mais cela permet une comparaison internationale entre les pays et la fixation d'objectifs de réduction de la pauvreté à l'échelle mondiale, comme par exemple, dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : "Ojectif 1 - Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour" (objectif atteint, principalement grâce à la forte croissance en Inde et en Chine - avec ajustement à 1,25$ par la suite)

     

    Intuitivement, le Captain' a donc tendance à préférer la mesure absolue (ajustée de l'inflation et/ou avec taux de change PPA) plutôt que la mesure relative. En effet, le problème avec la mesure relative est, qu'à part en réduisant les inégalités, il est très difficile de réduire le taux de pauvreté. De plus, à très long-terme, il est possible d'imaginer un monde avec un taux de pauvreté quasi-nul si l'on mesure cela d'un point de vue absolu (#Bisounours), tandis qu'à part à avoir un monde communiste, la pauvreté sera toujours présente et ne baissera pas vraiment si l'on garde une mesure relative.

     

    Une dernière méthode consiste non pas à s'appuyer sur des variables monétaires (niveau de vie, revenu, consommation) mais sur des notions de privations ou de conditions de vie. Une personne est alors considérée comme pauvre si elle est privée d'accès à un certains nombres de biens, de services ou de "capacités" (mais pas au sens des "capabilities" d'Amartya Sen) jugés comme "essentiels". Selon Eurostat par exemple (source : "Material deprivation statistics"), une personne est pauvre si elle n'a pas accès au minimum à 4 des 9 biens/services/capacités :

     

    1. Etre capable de payer son loyer ou son emprunt hypothécaire
    2. Pouvoir chauffer suffisamment pour son logement
    3. Partir une semaine en vacances par an
    4. Manger une fois tous les deux jours un repas avec viande, poulet, poisson ou équivalent végétarien
    5. Faire face à des charges financières imprévues
    6. Avoir un téléphone (y compris le téléphone mobile)
    7. Avoir un téléviseur couleur
    8. Avoir une machine à laver
    9. Avoir une voiture


    En prenant en compte cette notion de privation, "seulement" 5,1% des français sont alors considérés comme pauvre (contre plus de 14% avec la mesure relative de l'INSEE - voir graphique ci-dessous pour un comparatif du taux de privation dans différents pays). De plus, les questions étant les mêmes pour l'ensemble des pays, une comparaison internationale est alors plus facile qu'avec la notion de pauvreté relative (qui dépend du revenu médian du pays) et les problématiques de parité de pouvoir d'achat sont indirectement intégrées. L'INSEE utilise d'ailleurs aussi un indicateur de pauvreté en condition de vie pour compléter l'approche monétaire (voir par exemple "INSEE - Pauvreté en conditions de vie") qui ressemble pas mal à celui d'Eurostat mais en mettant l'accent sur les restrictions de consommation, les retards de paiements, l'insuffisance des ressources et les difficultés de logement.

     

    taux-privation

     

    Mais pour revenir au taux de pauvreté calculé de manière relative, et pour compléter son argumentation sur "pourquoi le Captain' n'aime pas trop cet indicateur relatif", voici un comparatif du taux de pauvreté en Europe en prenant donc en compte le pourcentage de population dans chaque pays ayant un niveau de vie inférieur à 60% du niveau de vie médian de ce pays (source : "INSEE").

     

    europe-pauvrete-seuil

     

    Avec ce genre d'indicateur, et si l'on ne fait pas attention à la manière dont le taux de pauvreté est calculé, on se retrouve à penser que le taux de pauvreté en Espagne est similaire à celui de la Bulgarie, de la Grèce ou de la Roumanie... Mais si on regarde le niveau de vie moyen ou le taux de privation (graphique ci-dessus), il est assez simple de voir qu'en réalité, le taux de pauvreté est nettement inférieur en Espagne qu'en Bulgarie (et si vous avez voyagé dans les deux pays, il y a peu de débat là dessus). Attention, le Captain' ne dit pas qu'il n'y a pas de pauvre en Espagne ou que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais simplement qu'une carte telle que celle ci-dessus n'a en réalité pas beaucoup de sens (en tout cas en tant que mesure de la pauvreté).

     

    Conclusion : Un indicateur n'est ni bon ni mauvais : un indicateur sert simplement à mesurer une situation donnée... Ensuite, pour que cela ait de la valeur, il faut être capable d'analyser et de "faire parler" cet indicateur. Le problème avec le taux de pauvreté mesuré de manière relative est que l'interprétation est assez complexe et que le lien entre "le taux de pauvreté baisse" et "les pauvres sont moins pauvres" n'est pas direct ! Bien que la mesure des privations ou la mesure absolue aient aussi des défauts, cela se rapproche davantage, selon le Captain', du concept de "taux de pauvreté" tel qu'il pourrait être imaginé par un individu n'ayant pas de connaissances poussées en statistiques ou en économie. Dans le meilleur des mondes, il faudrait donc regarder en parallèle l'évolution de ces trois indicateurs, afin d'avoir une meilleure compréhension globale de la pauvreté dans un pays donné, tout en pouvant comparer l'évolution par rapport à ses voisins et être capable de mesurer si la pauvreté diminue ou non dans le temps. Voilà, la prochaine fois qu'un de vos amis vous dira "je suis pauvre en ce moment", vous aurez de quoi argumenter pas mal sur cette notion de pauvreté relative, absolue ou de privation (le pote relou de base !)...

     

  • Gratuité, neutralité, facebook

     

    Publié le dans Édito

    Voilà, ça y est, nous sommes en 2016. Et rien ne change : les États se démènent toujours autant pour nous éviter de tomber bêtement dans la richesse ou la prospérité. Force est de constater qu’ils y arrivent plutôt bien.

    C’est ainsi qu’on apprend qu’après l’Inde, c’est au tour de l’Égypte de mettre un terme à l’actuel service de Mark Zuckerberg, Free Basics, proposé depuis quelques mois dans le pays. Avec ce projet (initialement lancé sous le nom d’internet.org), le dirigeant et philanthrope de Facebook vise en effet à offrir un accès internet aux populations des pays en voie de développement qui n’y ont pas accès, et permet d’accéder via une appli mobile à tout un éventail de services gratuits couvrant les domaines de la santé, de l’emploi, ou des informations locales. Ciblant en particulier l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie, Free Basics est disponible dans 37 pays, via des partenariats avec des opérateurs télécoms locaux.

    facebook - become a fan

    Mais en Inde, puis en Égypte, l’initiative rencontre de vives critiques, à tel point qu’elle est interrompue : en substance, Free Basics, bien que gratuit, ne respecterait pas la neutralité du net, c’est-à-dire l’égal accès à tous les services accessibles sur internet. En Inde par exemple, Facebook décide des services gratuits et ceux payants, et favorise bien évidemment ceux de son choix : version allégée de Facebook, recherche par Bing, mais Google Search et Youtube payants.

    Bref : le service, bien que gratuit, serait honteusement biaisé et donc pas assez bon pour justifier une autorisation de commercialisation, tant l’État indien qu’égyptien savent en effet mieux que leurs citoyens ce qui est bon pour eux. Les autorités ont heureusement agi pour éviter que, de fil en aiguille, leurs citoyens s’habituent à d’aussi honteuses facilités.

    Et c’est bien normal, après tout : si c’est gratuit, c’est donc que les utilisateurs ne sont pas des clients, mais des produits. Quel scandale ! Si c’est gratuit, c’est pour augmenter le nombre d’utilisateurs de Facebook. Quelle honte ! Et si c’est gratuit maintenant, c’est à l’évidence pour obtenir un retour sur investissement pour la société de Mark Zuckerberg. Quelle ignominie !

    … Mais d’un autre côté,…

      • C’est ça ou rien. Apparemment, pour ces États, pour ces détracteurs du service Free Basics, ce « rien » est préférable, puisqu’au moins, rien serait neutre. C’est évidemment faux : « rien » est la situation de base, contre laquelle chaque individu travaille et lutte, souvent chèrement. Et lorsqu’enfin un moyen apparaît pour surpasser ce problème, l’État intervient heureusement et évite ainsi que l’abondance survienne et biaise malencontreusement une situation auparavantneutre par l’aspect universel de son emmerdement. C’est super, non ?

     

      • Ça ne coûte rien au contribuable. Or, toute solution vraiment neutre apportée par l’État et ses sbires se traduira par une facture bien réelle, qui sera envoyée aux citoyens solvables (ou à leur descendance). Si ce système (collectiviste par essence) fonctionnait si bien, ça se saurait ; les cas des transports en commun, de l’eau, de l’électricité, de la santé, avec leur cortège de corruption, de capitalisme de connivence, ou de gestion publique calamiteuse viennent à l’esprit. L’alternative (revenir à la situation où le service n’existe plus, et l’État ne fait rien) coûte malgré tout, non seulement par les efforts qu’il aura fallu faire pour annuler le déploiement du service, mais par les efforts qu’il faudra faire pour chaque individu afin d’obtenir quand même le service équivalent devenu intégralement payant.

     

      • Et puis, si on comprend bien que l’utilisateur est le produit, si on imagine sans mal que Facebook en tirera, à terme, un bénéfice, on semble ici oublier très vite que pour ces individus aussi, obtenir une connectivité se traduira très vite par des retombées économiques palpables pour eux puis, par voie de conséquence, pour ceux qui vivent autour d’eux et qui commercent avec eux. Autrement dit, si Facebook sera un bénéficiaire évident de cette opération, sinon immédiat, au moins à terme par retombées commerciales diverses, il reste cependant extrêmement dommageable pour tout le monde, État y compris, de s’interdire ce genre de facilités pour des raisons qui sont exclusivement idéologiques. Par analogie, si Facebook était dans le domaine de l’eau potable, on reprocherait ainsi à cette entreprise de distribuer gratuitement une ou deux marques d’eau de source spécifiques plutôt que toutes celles possibles sur le marché. Seulement de la Volvic et pas de la St-Yorre ? Pouah, autant tout interdire !

     

    Au passage, on ne s’étonnera pas trop de retrouver dans les États qui interdiront avec le plus de véhémence ce genre de services ceux qui ont, assez généralement, beaucoup à perdre d’une nouvelle forme d’indépendance de la population vis-à-vis d’eux. Ce n’est pas un hasard du tout : si internet est un bienfait, il l’est par sa capillarité qui touche tous les individus, depuis le patron du CAC40 jusqu’au guerrier Masaï au fin fond du Kenya en passant par le petit commerçant du Caire ou de Calcutta, et qui permet à chacun d’entre eux de s’affranchir progressivement de toutes les contraintes que les États s’ingénient à construire pour se rendre omniprésents et indispensables.

    Alors oui, bien sûr, l’initiative de Zuckerberg est lourdement teintée de marketing, d’une vision qui n’est clairement pas entièrement philanthropique, mais si l’on dépasse l’idéologie idiote, purement anticapitaliste, et qu’on en reste aux faits, on doit constater qu’en définitive, les perdants de cette interdiction, bien avant Facebook, seront les individus les plus pauvres qui seront tendrement protégés d’un accès gratuit à internet.

    Ah, franchement, si l’État n’était pas là, qui s’occuperait d’interdire l’internet gratuit ?

    without government who would neglect the roads

     

  • Un monde immonde engendre...

     
     
     

    15 novembre 2015

     
     

    A l’heure où nous écrivons le bilan des tueries parisiennes est de 128 morts et de 300 blessés. L’horreur de cette violence injustifiable est absolue. La condamnation doit l’être tout autant, sans aucune restriction et/ou nuance. Les acteurs et/ou commanditaires de ces meurtres aveugles ne peuvent invoquer aucune raison légitime pour justifier ces actes immondes. La tragédie que nous vivons débouchera sur une prise de conscience collective des dangers qui nous menacent ou au contraire sur un processus de reproduction dramatique, en fonction de notre capacité collective à tirer les leçons de la situation qui engendre un tel résultat. L’émotion est légitime et nécessaire mais ne peut pas être la seule réponse. La réponse uniquement sécuritaire est également impuissante. C’est justement dans ces moments marqués par l’émotion collective que nous ne devons pas renoncer à la compréhension, à la recherche des causes et à la lucidité face aux instrumentalisations de l’horreur.

     



    Les postures face à notre tragédie

    En quelques heures toute la panoplie des postures possibles face à la tragédie s’est exprimée. Il n’est pas inutile de s’arrêter sur chacune d’entre elles. La première se contente de dénoncer Daesh et à exiger cette dénonciation de manière pressante de nos concitoyens musulmans réels ou supposés. Le projet politique de Daesh et les actes qui en découlent ont déjà été dénoncés par la très grande partie des habitants de notre pays, populations issues de l’immigration incluses.

    Il faut vraiment être coupés de nos concitoyens musulmans réels ou supposés pour en douter. Ces concitoyens français ou étrangers vivant en France sont les premiers à souffrir de cette instrumentalisation de leur foi à des fins politiques, réactionnaires et meurtrières. « Qu’est-ce qu’on va encore prendre » est la réaction la plus fréquente qui suit l’émotion face à ces meurtres, conscients qu’ils sont des instrumentalisations de l’émotion à des fins islamophobes qui ne manquerons pas. Il ne s’agit pas d’une paranoïa mais de l’expérience tirée du passé et en particulier des attentats du début de l’année. Dans ce contexte les injonctions à la dénonciation sont ressenties comme une suspicion de complicité ou d’approbation. Une nouvelle fois ce qui est ressenti c’est une accusation d’illégitimité de présence chez soi. Voici ce qu’en disait Rokhaya Diallo dans une émission radio à la suite des attentats de janvier :

    « Quand j’entends dire que l’on somme les musulmans de se désolidariser d’un acte qui n’a rien d’humain, oui, effectivement, je me sens visée. J’ai le sentiment que toute ma famille et tous mes amis musulmans sont mis sur le banc des accusés. Est-ce que vous osez me dire, ici, que je suis solidaire ? Vous avez vraiment besoin que je verbalise ? Donc, moi, je suis la seule autour de la table à devoir dire que je n’ai rien à voir avec ça (1). »

    La seconde posture est l’essentialisme et le culturalisme. Les actes barbares que nous vivons auraient une explication simple : ils sont en germe dans la religion musulmane elle-même qui à la différence des autres, porterait une violence congénitale, une barbarie consubstantielle et une irrationalité dans son essence. Cette religion à la différence des autres religions monothéiste serait allergique à la raison et inapte à la vie dans une société démocratique. De cette représentation de la religion découle la représentation de ses adeptes. Les musulmans seraient, contrairement aux autres croyants, une entité homogène partageant tous le même rapport au monde, à la société et aux autres. Une telle posture conduit inévitablement à l’idée d’une éradication, l’islam apparaissant comme incompatible avec la république, la laïcité, le droit des femmes, etc. Résultat de plusieurs décennies de diffusion politique et médiatique de la théorie du « choc des civilisations », cette posture s’exprime dans des formes plus ou moins nuancées mais est malheureusement bien ancrée dans notre société (2).

    La troisième posture est celle de la relativisation de la gravité des tueries. Celles-ci ne seraient que le résultat d’une folie individuelle contre laquelle on ne pourrait rien si ce n’est de repérer le plus tôt possible les signes annonciateurs dans les comportements individuels. Nous ne serions qu’en présence d’accidents dans les trajectoires individuelles sans aucune base sociale, matérielle, politique. Une telle posture de "psychologisation" occulte que les individus ne vivent pas hors-sol et que leur mal-être prend telle ou telle forme en rencontrant un contexte social précis. C’est à ce niveau que se rencontre l’individu et sa société, la trajectoire individuelle et son contexte social, la fragilisation et les offres sociales et politiques qui la captent pour l’orienter. Il est évident que les candidats « djihadistes » sont issus de trajectoires fragilisées mais cela ne suffit pas à expliquer le basculement vers cette forme précise qu’est la violence nihiliste (3).

    La quatrième posture s’exprime sous la forme de la théorie du complot. Les tueries seraient le fait d’un vaste complot ayant des objectifs précis : complot juif mondial, "illuminati", actes des services secrets, etc. Elle conduit à un aveuglement face au réel et à l’abandon de l’effort de compréhension du monde et des drames qui le secouent. Elle suscite une dépolitisation se masquant derrière une apparente sur-politisation : dépolitisation car il serait vain de rechercher dans l’économique, le social, le politique, etc., les causes de ce que nous vivons et sur-politisation car tout serait issu d’une cause politique occulte portée par un petit groupe secret. Elle est entretenue par la négation dominante de la conflictualité sociale, des oppositions d’intérêts et des stratégies des classes dominantes pour orienter l’opinion dans le sens de ses intérêts matériels. A ce niveau l’accusation de « confusionnisme » de toute dénonciation des stratégies des classes dominantes conduit consciemment ou non à entretenir la théorie du complot. Certains « anti-confusionnistes » de bonne foi ou non entretiennent en effet boomerang le « complotisme ». Ce faisant, certains « anti-confusionnistes » entretiennent la confusion (4).

    La cinquième posture est l’explication en terme du « virus externe ». Notre société serait victime d’une contamination venant uniquement de l’extérieur contre laquelle il faudrait désormais se prémunir. Elle débouche sur une logique de guerre à l’externe et sur une logique sécuritaire à l’interne. Elle est créatrice d’une spirale où la peur et le discours sur la menace externe suscite une demande d’interventions militaires à l’extérieur et de limitation des libertés à l’interne. Susciter une demande pour ensuite y répondre est un mécanisme classique des périodes historiques réactionnaires. L’absence de mouvement anti-guerre dans notre société est le signe que cette posture est largement répandue. Or comme la précédente, elle conduit d’une part à l’abandon de la recherche des causes et d’autre part au sentiment d’impuissance (5).

    Il reste la posture matérialiste ne renonçant pas à comprendre le monde et encore plus quand il prend des orientations régressives et meurtrières. Minoritaire dans le contexte actuel, cette posture est pourtant la seule susceptible d’une reprise de l’initiative progressiste. Elle suppose de recontextualiser les événements (et encore plus lorsqu’ils prennent des formes dramatiques) dans les enjeux économiques, politiques et sociaux. Elle nécessite la prise en compte des intérêts matériels qui s’affrontent pour orienter notre demande et qui produisent des conséquences précises. Elle inscrit les comportements individuels comme étant des résultats sociaux et non des essences en action. Elle prend l’histoire longue et immédiate comme un des facteurs du présent. Elle peut certes se tromper en occultant par méconnaissance une causalité ou en la sous-estimant, mais elle est la seule à permettre une réelle action sur ce monde.

    Dans un monde marqué par la violence croissante sous toutes ses formes, le renoncement à la pensée nous condamne pour le mieux à une posture de l’impuissance et pour le pire à la recherche de boucs-émissaires à sacrifier sur l’autel d’une réassurance aléatoire.

    Une offre de « djihadisme » qui rencontre une demande

    Il existe une offre de « djihadisme » à l’échelle mondiale et nationale. Elle n’est ni nouvelle, ni inexplicable. Elle a ses espaces de théorisations et ses Etats financeurs. L’Arabie Saoudite et le Qatar entre autres, pourtant alliés des Etats-Unis et de la France, en sont les principaux (6).

    Ces pétromonarchies appuient et financent depuis de nombreuses années des déstabilisations régionales dont elles ont besoin pour maintenir et/ou conquérir leur mainmise sur les richesses du sol et du sous-sol du Moyen-Orient. Cette base matérielle est complétée par un besoin idéologique. Elles ont besoin de diffuser une certaine vision de l’Islam pour éviter l’émergence et le développement d’autres visions de l’Islam progressistes et/ou révolutionnaire qui menaceraient l’hégémonie idéologique qu’elles veulent conquérir. Plus largement les pétromonarchies sont menacées par toutes les théorisations politiques qui remettent en cause leur rapport aux grandes puissances qui dominent notre planète : nationalisme, anti-impérialisme, progressisme dans ses différentes variantes, communisme, théologie de la libération, etc.

    C’est à ce double niveaux matériel et idéologique que s’opère la jonction avec la « réal-politique » des puissances impérialistes. Elles aussi ont un intérêt matériel à la déstabilisation de régions entières pour s’accaparer les richesses du sol et du sous-sol, pour justifier de nouvelles guerres coloniales en Afrique et au Moyen-Orient, pour supplanter leurs concurrents, pour contrôler les espaces géostratégiques et pour balkaniser des Etats afin de mieux les maîtriser. Elles aussi ont un besoin idéologique de masquer les causes réelles du chaos du monde c’est-à-dire la mondialisation ultralibérale actuelle. Il n’y a aucune amitié particulière entre les classes dominantes occidentales et les pétromonarchies et/ou les « djihadistes », mais une convergence relative d’intérêts matériels et idéologiques. Comme le soulignait De Gaulle pour décrire la réal-politique : « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». C’est cette réal-politique qui a conduit dans le passé à présenter les « djihadistes » en Afghanistan comme des combattants de la liberté et qui conduit un Fabius à dire aujourd’hui : « El Nosra fait du bon boulot ».

    Mais se limiter à l’offre ne permet pas de comprendre l’efficacité actuelle du phénomène. Encore faut-il expliquer le fait que cette offre rencontre une « demande ». Nous disions plus haut que cette offre n’est pas nouvelle. Nous l’avons-nous même rencontrée dans les quartiers populaires, il y a plus de trois décennies. Simplement à l’époque, elle ne rencontrait aucune « demande ». Nous pensions à vivre, à nous amuser, à militer et à aimer et regardions ces prédicateurs comme des allumés. C’est la raison pour laquelle il faut se pencher sur les processus d’émergence et de développement de cette demande « made in France ». A ce niveau force est de faire le lien avec les processus de paupérisation et de précarisation massive qui touchent les classes populaires. L’existence avérée de candidats « djihadistes » non issus de familles musulmanes souligne que c’est bien l’ensemble des classes populaires qui sont concernés par ces processus conduisant les plus fragilisés de leurs membres à sombrer dans des comportements nihilistes. Force également est de faire le lien avec les discriminations racistes systémiques et institutionnelle qui abîment des vies pour nos concitoyens noirs, arabes et musulmans. Force enfin est de prendre en compte dans l’analyse les effets des discours et pratiques islamophobes qui se sont répandus dans la société française et qu’il de bon ton de relativiser, d’euphémiser, voir de nier. Ce sont l’ensemble de ces processus qui conduisent à l’émergence du nihilisme contemporain.

    Enfin la vision méprisante des habitants des quartiers populaires comme « sous-prolétariat » incapable de penser politiquement conduit à sous-estimer le besoin du politique dans les classes populaires en général et dans leurs composantes issues de l’immigration post-coloniale en particulier. Ces citoyennes et citoyens observent le monde et tentent de le comprendre avec les grilles disponibles dans une séquence historique donnée. Ils et Elles ne peuvent que constater que des guerres se multiplient et que l’on trouve des financements pour le faire alors qu’on leur serine que les caisses sont vides. Elles et ils ne peuvent qu’interroger la soi-disant nécessité urgente d’intervenir en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Lybie, en Côte d’Ivoire, au Mali, etc. et à l’inverse la soi-disant nécessité urgente à soutenir l’Etat d’Israël en dépit de ses manquements à toutes les résolutions des Nations-Unies. Tous ces facteurs conduisent pour la majorité à une révolte qui cherche un canal d’expression et pour une extrême minorité à l’orientation nihiliste.

    A ne pas vouloir comprendre qu’un monde immonde conduit à des actes immondes, on constitue le terreau de la rencontre entre l’offre et la demande de nihilisme.

    Notes :

    1) http://www.atlasinfo.fr/Charlie-Heb...

    2) Voir sur ce sujet : Jocelyne Cesari, l’Islam à l’épreuve de l’Occident, La Découverte, Paris, 2004.

    3) Sur la rencontre entre le contexte social et effets fragilisant sur les trajectoires individuelles voir Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Le Seuil, 1952.

    4) Luc Boltanski, Enigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes, Gallimard, Paris, 2012.

    5) Voir notre article avec Yvon Fotia « Discrimination systémique » , Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe, Syllepse, Paris, 2012.

    6) David Benichou, Farhad Khosrokhavar, Philippe Migaux, Le jihadisme, comprendre pour mieux combattre, Plon, Paris, 2015. Et Richard Labévière, Les dollars de la terreur, Les Etats-Unis et l’islamisme, Grasset, Paris, 1999.

  • Ebriété guerrière

    Après les attentats du 13 novembre

     

    17 novembre 2015
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    « Etoiles » (un marché à Damas, en Syrie)
    cc Christophe

    Le 13 novembre 2015, une série de fusillades et d’explosions ont endeuillé Paris et Saint-Denis, provoquant la mort de 130 personnes. Les auteurs de ces attentats, souvent des jeunes Français musulmans, ont motivé leur acte en invoquant l’intervention militaire de leur pays en Syrie contre l’Organisation de l’Etat islamique (OEI). Deux jours plus tard, Paris a procédé à de nouveaux bombardements contre les positions de l’OEI en Syrie, principalement dans la « capitale » de l’organisation, à Rakka. Et, dorénavant, le gouvernement français comme l’opposition de droite s’accordent sur la nécessité de multiplier les « frappes » en Syrie. L’urgence de mener sur le front intérieur une « guerre » implacable ne les distingue pas davantage.

    La seule question qui semble faire débat entre eux tient à la composition de la coalition internationale combattant l’OEI. Avec ou sans la Russie ? Avec ou sans l’Iran ? Avec ou sans le gouvernement syrien ? La politique étrangère française, dont le crédit a été largement atteint par une succession d’hypocrisies et de maladresses, paraît à présent se rallier à l’idée d’une alliance aussi large que possible. Une telle position est déjà celle que défendent l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, l’ancien premier ministre François Fillon et l’ancien ministre des affaires étrangères Alain Juppé. Tous exigeaient il y a encore quelques mois, ou quelques semaines, le départ préalable du président syrien Bachar Al-Assad ; tous y ont dorénavant renoncé.

    Décidée de manière solitaire, sans débat public, sans participation autre que purement décorative du Parlement, dans un alignement médiatiqueconforme aux habitudes du journalisme de guerre, l’intervention militaire française soulève néanmoins plusieurs questions de fond.

    L’existence d’une « coalition », tout d’abord : celle-ci est d’autant plus large que les buts de guerre de ses principaux membres diffèrent, parfois très sensiblement. Certains participants (Russie, Iran, Hezbollah libanais, etc.) veulent avant tout maintenir au pouvoir le régime de M. Al-Assad, bien que celui-ci soit détesté par une large partie de la population. D’autres (Turquie et Arabie saoudite en particulier), qui ont manifesté de la complaisance envers l’OEI jusqu’à ce que celle-ci se retourne contre eux, aimeraient s’assurer que M. Al-Assad va tomber. Comment imaginer que ce malentendu fondamental ne débouche pas sur de nouvelles convulsions dans l’hypothèse d’une victoire des alliés de circonstance contre l’OEI ? Faudra-t-il alors imaginer une nouvelle intervention pour séparer (ou pour détruire) certains des ex-coalisés ? Les atrocités de l’OEI sont largement documentées, y compris par l’organisation elle-même. Malgré cela, elle a été bien accueillie dans des régions sunnites d’Irak et de Syrie dont les habitants avaient été exploités ou tyrannisés par des milices chiites. Aussi éprouvés soient-ils par la férule qu’ils subissent en ce moment, ces habitants ne se sentiront pas forcément libérés par leurs anciens persécuteurs.

    L’autre question fondamentale tient à la légitimité et à l’efficacité des interventions militaires occidentales par rapport même aux buts qu’elles s’assignent. L’OEI n’est que l’avatar un peu plus sanglant d’un salafisme djihadiste encouragé par le wahabbisme d’Arabie saoudite, une monarchie obscurantiste que les capitales occidentales n’ont cessé de dorloter. Au demeurant, à moins d’imaginer que l’objectif que visent à présent les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, etc., soit simplement de s’assurer que le Proche-Orient et les monarchies obscurantistes du Golfe demeureront un marché dynamique pour leurs industries de l’armement, comment ne pas avoir à l’esprit le bilan proprement calamiteux des dernières expéditions militaires auxquelles Washington, Paris, Londres, etc. ont participé, ou que ces capitales ont appuyées ?

    Entre 1980 et 1988, lors de la guerre entre l’Iran et l’Irak, les pays du Golfe et les puissances occidentales ont largement aidé le régime de Saddam Hussein, en espérant ainsi affaiblir l’Iran. Objectif atteint au prix d’un million de victimes. Quinze ans plus tard, en 2003, une coalition emmenée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (mais sans la France) détruisait l’Irak de Saddam Hussein. Résultat, ce pays, ou ce qu’il en reste, est devenu un allié très proche… de l’Iran. Et plusieurs centaines de milliers de ses habitants ont péri, principalement des suites d’affrontements confessionnels entre sunnites et chiites. Pour que le désastre soit tout à fait complet, l’OEI contrôle une partie du territoire irakien.

    Même scénario en 2011 quand, outrepassant le mandat d’une résolution de l’Organisation des Nations unies, les Occidentaux ont provoqué la chute de Mouammar Kadhafi. Ils prétendaient ainsi rétablir la démocratie en Libye, comme si ce souci avait jamais déterminé la conduite de leur politique étrangère dans la région. Aujourd’hui, la Libye n’est plus un pays, mais un territoire où s’affrontent militairement deux gouvernements. Elle sert d’arsenal, de refuge aux groupes terroristes les plus divers, dont l’OEI, et de facteur de déstabilisation régionale. Serait-il insolent de réfléchir quelques secondes — voire davantage — au bilan de ces dernières interventions occidentales avant d’en engager une nouvelle, dans l’enthousiasme général évidemment ? L’année dernière, à West Point, le président américain Barack Obama admettait lui-même :« Depuis la seconde guerre mondiale, quelques-unes de nos erreurs les plus coûteuses sont venues non pas de notre retenue, mais de notre tendance à nous précipiter dans des aventures militaires, sans réfléchir à leurs conséquences. »

    Comme toujours, le discours de « guerre » se double d’un dispositif sécuritaire et policier renforcé. On sait à quels excès cela a donné lieu aux Etats-Unis. En France, il est déjà question de rétablissement des contrôles aux frontières, de déchéances de nationalité et de modification de la Constitution afin, comme vient de l’expliquer le président de la République, de « permettre aux pouvoirs publics d’agir contre le terrorisme de guerre ».

    A l’évidence, nul ne saurait nier la nécessité d’une protection des lieux publics contre des actes de terreur, d’autant que les attentats coordonnés du 13 novembre viennent de témoigner d’une défaillance évidente des services de sécurité. Doit-on pour autant bricoler dans la hâte un nouvel arsenal de restriction des libertés individuelles, alors même que des lois « antiterroristes » n’ont cessé de se succéder, souvent durcies avant même d’entrer en application ? L’actuel climat d’affolement et de surenchère sécuritaire favorise par ailleurs les suggestions les plus inquiétantes. Ainsi celle d’incarcérer les « suspects » de djihadisme, ou de radicalisation, ce qui reviendrait à confier à la police et à l’administration le droit de rendre la justice, y compris pour décider unilatéralement des mesures privatives de liberté.

    Après une série de crimes prémédités ciblant des lieux de loisirs et de sociabilité un vendredi soir, l’émotion de la population française est compréhensible. Mais les responsables politiques ont pour responsabilité de réfléchir aux motivations de leurs adversaires et aux dynamiques qu’ils engagent plutôt que d’enchaîner les rodomontades dans l’espoir éphémère de conforter leur popularité flageolante.

    On en est loin.

  • Une bataille déjà perdue ?


    La France en guerre

     

    La France tétanisée, l’état d’urgence pour trois mois, la république martiale, les descentes de police, les renforts militaires, la limitation des libertés, la multiplication des bombardements aériens au dessus de la Syrie : l’Organisation de l’Etat islamique (OEI) aurait-elle déjà gagné une bataille, à Paris, depuis ce funeste vendredi 13 ? « Il aura fallu payer le prix du sang pour que les Français comprennent qu’ils sont en guerre », estimait dès le lendemain des massacres sur France Inter le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre et professeur à Sciences-Po, pour qui il s’agit d’un « retour au réel », suivi aussitôt d’un « virage sécuritaire de Hollande » (1).

    par Philippe Leymarie, 20 novembre 2015
    Une bataille déjà perdue ?
     

    « Vos guerres, nos morts »… Submergés par l’émotion, accablés par le chagrin, transportés parfois par la colère et la révolte contre l’injustice : nous avons été tout cela, ces jours-ci, à l’évocation du sort de ces cent vingt-neuf jeunes hommes et femmes exécutés au hasard, dans des lieux de convivialité, de ces centaines de traumatisés dans leurs corps et leurs âmes, par le malheur de leurs proches. « Les attentats de vendredi ont visé le fait de profiter de la vie, en allant voir un match, boire un verre, écouter de la musique »,constate la neuropsychologue Sylvie Chokron. « Le risque est de voir se développer dans l’inconscient la peur de la vie » (2).

    Quelque chose n’a pas marché

    Lire « Ebriété guerrière », La valise diplomatique, 17 novembre 2015.La population a-t-elle été assez protégée ? « Le Bataclan a été le Sedan de l’opération Sentinelle »,estime Jean-Dominique Merchet sur son blog Secret Défense, faisant référence à la ligne Maginot du siècle dernier, contournée par les Allemands. Cette fois encore, alors que les effectifs de l’opération militaire Sentinelle, déclenchée sur le territoire national à la suite des attentats de janvier, étaient « scotchés » autour des sites réputés « sensibles », l’adversaire s’attaquait à des terrasses de café, à une salle de spectacle et — heureusement sans succès, dans ce cas — au principal stade du pays.

    « On a perdu une bataille terrible », conclut Merchet, pour qui l’investissement sur Sentinelle depuis janvier — un demi-million d’euros par jour, 175 millions par an — aurait pu sembler peu coûteux, comparé aux 32 milliards d’euros du budget défense, si seulement le dispositif avait pu empêcher les carnages du vendredi 13…

    Si le combat contre un adversaire usant de méthodes terroristes et s’en prenant à la population est par essence inégal, voire impossible à gagner, il semble tout aussi évident que le déploiement sur le territoire national, en mode « surveillance et dissuasion », de militaires équipés et entraînés pour les crapahutages sous d’autres latitudes, fait pour rassurer quelque peu l’opinion au lendemain des attentats de janvier, est inadapté, inefficace et par ailleurs trop voyant (et d’ailleurs assez mal vécu par les intéressés).

    Marteau-pilon

    Les attentats de ces derniers mois ont prouvé également qu’en dépit de l’activité soutenue des services français — une dizaine de milliers d’agents, en incluant les renseignements militaires, qui ont déjoué six projets de type terroriste depuis le printemps 2015, d’après le ministère de l’intérieur, dont quatre fomentés par le belge Abdelhamid Abaaoud (3) — il a été impossible d’anticiper plusieurs attentats majeurs, dont ceux du vendredi 13, menés par des équipes nombreuses, équipées, coordonnées, qui ont répandu la terreur et contraint l’exécutif à annoncer un train de mesures, dont des restrictions significatives des libertés.

    Et la question surgit, pas seulement de la part de la droite (elle-même responsable, en son temps, de l’affaiblissement du dispositif de sécurité, avec la suppression de douze mille postes de policiers et gendarmes entre 2007 et 2012), mais aussi de toute la société civile : l’état d’urgence, les assignations, les renforts de police, les contrôles aux frontières, les bombardements plus intensifs… Que nos gouvernants ne les ont-ils pas lancés plus tôt, dans la foulée des attentats contre Charlie et l’Hyper Cacher, en janvier ?! N’était-ce pas déjà assez grave ?

    Ce n’est en tout cas pas faute d’avoir légiféré : seize textes antiterroristes ont été adoptés en quinze ans, et le dernier il y a quelques mois (la loi sur le renseignement, qui facilite les écoutes (4)). Le juge Marc Trevidic, qui vient de passer dix ans au pôle antiterroriste de Paris — mais qui vient d’être muté à Lille, en vertu d’une règle de rotation qui tombe bien mal… — estime que ce corpus de lois est amplement suffisant, qu’il suffisait de s’en servir, à condition bien sûr de disposer du personnel nécessaire (magistrats, greffiers, enquêteurs, gardiens).

    Les articles 421-1 et 421-2 du Code pénal, en particulier, qui sont « tout à fait contradictoires avec les libertés publiques », comme le souligne Jean Guisnel, sont aussi « d’une redoutable efficacité » : ce « marteau-pilon juridique » permet aux magistrats et aux policiers de surveiller et d’interpeller quiconque est à leurs yeux susceptible de s’engager dans une action terroriste, y compris s’il n’y a pas le moindre élément de réalisation. Reste que la machine judiciaire et pénitentiaire ne suit pas toujours…

    Renforts à tous les étages

    Etoffer à nouveau maintenant les effectifs de police et gendarmerie ? C’était déjà le cas, notamment dans les secteurs du renseignement, de la lutte contre le cyberterrorisme, particulièrement choyés depuis quelques années. Mais l’objectif d’ouvrir cinq mille postes dans les deux ans, annoncé par le président Hollande dans la foulée des attentats, paraît difficile à tenir, en raison notamment de l’engorgement des centres de formation (5).

    A deux vitesses

    Autre annonce : le projet de création d’une garde nationale, en s’appuyant sur les réservistes — une force intermédiaire de renfort, plus spécialisée dans la surveillance et le maintien de l’ordre intérieur que ne le sont les militaires (notamment ceux déployés actuellement au titre de l’opération Sentinelle) ? Mais cela reviendrait à consacrer une armée à deux vitesses. Et n’est-ce pas déjà la mission de la gendarmerie — cette force de police de statut militaire, déployée dans les campagnes, et à l’occasion dans les villes (avec notamment ses unités de gendarmerie mobile), beaucoup plus proche de la société civile que ne le sont à priori les soldats ?

    La décision du président Hollande d’annuler le plan de diminution d’effectifs militaires jusqu’en 2019 donne en tout cas un sérieux coup d’oxygène aux armées, qui pourront renforcer les unités opérationnelles, retrouver des marges pour l’entraînement, et développer des secteurs comme la cyberdéfense ou le renseignement, tout en sauvant une partie des services de soutien dont la disparition était programmée. Et donc continuer à guerroyer sur plusieurs théâtres simultanés, comme c’est le cas actuellement.

    Finalement, en ajoutant les annonces faites lundi au Congrès sur le renforcement des effectifs de policiers, gendarmes, personnels pénitentiaires, douaniers, etc. — soit 15 000 postes créés ou maintenus — toutes les réductions opérées en leur temps par l’ex-président Sarkozy auront été compensées. Mais une partie des recrutements et formations (notamment celle des analystes, des enquêteurs) prendront du temps, et il faudra veiller à ce que ces effectifs supplémentaires soient placés aux bons endroits (et non affectés à des gardes statiques, des emplois administratifs, etc.).

    Blessures de guerre

    Quant à assigner à résidence, voire interner l’ensemble des fichés « S » (comme « sûreté »), comme le demande sans cesse la droite ? La plupart des dix mille personnes concernées (selon Jean-Jacques Urvoas, député PS spécialiste des questions de sécurité) ne savent pas qu’elles sont « S » : ce moyen de signalement est destiné à alimenter les dossiers de police, et à justifier le moment venu d’éventuelles surveillances plus étroites ; il n’a pas de portée judiciaire, et n’est pas en soi une indication, et encore moins une preuve de délit. La mise sous contrôle permanent d’un effectif d’individus aussi important nécessiterait en outre un personnel décuplé de police et gendarmerie.

    La guerre, disent-ils

    François Hollande l’a mentionnée à dix reprises dans son discours devant le Congrès, lundi à Versailles : on sait que ce président, détenteur de records d’impopularité, endosse volontiers la posture de chef des armées, ou de « grand » du monde, qui lui redonne à chaque fois et pour un temps la stature perdue sur le terrain politique.

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    Des avions de chasse Dassault à la « une » du journal de Dassault
    Capture d’écran de la page Facebook du « Figaro », 19 novembre 2015

    La formule ne fait d’ailleurs pas l’unanimité : la guerre, c’est en principe pour l’extérieur, avec une armée sachant la « faire », un ennemi en bonne et due forme, des règles d’engagement, des conventions internationales (6), etc. La « guerre contre le terrorisme » est-elle d’ailleurs le bon moyen pour annihiler (« éradiquer », dirait François Hollande) Daech (acronyme arabe désignant l’OEI) ? L’ex-premier ministre Dominique de Villepin estime que, pour combattre un adversaire conduit d’une main aussi invisible, opportuniste, et ne respectant aucun cadre, il faut non pas du pilonnage militaire, mais de la politique, une vision, de la ruse ; il soutient qu’il n’y a pas d’exemple où la « guerre contre le terrorisme » n’ait conduit à plus de chaos, et invite à se souvenir que « nous avons en grande partie enfanté nous-même Daech ».

    Mais, pour ce qui est des attentats de ces derniers mois dans l’Hexagone, tout ramène effectivement à la guerre : la volonté d’en découdre et d’affronter l’adversaire, le type d’armes utilisé, le professionnalisme des attaquants, leur formation et tutelle à distance, sans parler des « blessures de guerre » qu’ont eu à traiter les médecins urgentistes.

    Quant à la guerre menée par la France à l’extérieur, même si elle a longtemps été limitée, pratiquement invisible et presque indolore, elle est permanente depuis cinq ans, et sur plusieurs fronts : après l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, la Libye, la Centrafrique, le Mali, le Sahel maintenant, et aujourd’hui l’Irak, la Syrie — au nom des « responsabilités historiques de la France », de ses « devoirs de membre permanent du Conseil de sécurité » et… de son souci de garder une influence internationale, que ne lui autorise plus sa relative faiblesse économique.

    A trop déclarer la guerre sans la mener vraiment, et comme cela a longtemps été le cas à propos de la Syrie, ne prend-on pas le risque de grandir l’adversaire, de l’exciter, de susciter encore plus de pratiques terroristes (comme l’a montré l’exemple afghan) ? « On ne peut mener la guerre à Rakka sans être en guerre en France », estimait l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin sur France Inter, le 16 novembre, en s’en prenant aux « attitudes de coq de village » à propos des trois frappes délivrées par l’aviation française en l’espace de six semaines — dont un premier bombardement, le 8 octobre, sur une ex-base militaire de l’armée syrienne à Rakka, servant apparemment de centre d’entraînement à la mouvance francophone de cette organisation : l’opération avait pour but d’éliminer plusieurs chefs identifiés de ce groupe, dont peut-être l’un des instigateurs des attentats de vendredi à Paris.

    Depuis, les autorités françaises s’attendaient à une réplique de Daech sous une forme ou une autre, et auraient dû, selon certains, avertir au moins la population, suggérer ou imposer des mesures de prudence ou de protection, multiplier les contrôles sur les axes de transport et frontières, même si — pour le politologue Gilles Kepel, sur France Inter le 15 novembre — « il y aurait eu des attentats avec ou sans intervention en Syrie ».

    Cycle des représailles

    « Pouvait-on imaginer que cela n’aurait pas de répercussions sur le territoire français ? », se demande encore le sénateur Raffarin qui, tout en ne se voulant pas dans le camp des « guerriers », estime que, si on fait la guerre comme on le proclame sur tous les tons ces jours-ci, il faut se mettre en situation de la gagner, avec :

     à l’intérieur, un investissement plus massif qu’annoncé par le président Hollande en matière de sécurité (surveillance, assignations, portiques, contrôles aux frontières, etc.) ;
     et à l’extérieur, la mise sur pied d’une coalition unique forgée après accord avec la Russie et l’Iran, en sortant pleinement de l’ambiguïté à la française (le « d’abord Bachar », puis le « ni Bachar ni Daech » de Fabius) ou à la turque (Ni Bachar ni les Kurdes), dotée de moyens militaires significatifs et coordonnés ;
     à quoi le traditionnel belliciste Bernard-Henri Levy ajoute un engagement des troupes occidentales au sol, au nom d’un « No boots on their ground, more blood on our ground » (Pas de bottes sur leur terre, encore plus de sang sur la nôtre) (7).

    Depuis les attentats du vendredi 13 à Paris, le cycle des représailles est enclenché : les raids nocturnes des Rafale et Mirage français sur Rakka, la capitale du califat de Daech, ont été quotidiens, à partir de leurs bases en Jordanie et aux Emirats arabes unis. Avec des bilans toujours impossibles à établir. Et la certitude que les troupes de Daech ont pris des dispositions pour se mettre à l’abri.

    Certains voient dans la montée des opérations-suicide le signe que Daech, dont l’expansion a été tout de même contenue par les bombardements aériens, cherche à mettre en œuvre un plan de désencerclement, en portant la guerre au maximum chez l’adversaire. Dans cette optique, certains experts du renseignement se demandent si les carnages de Paris sont une opération de vengeance isolée, à destination spécialement de la France, qui en appelle éventuellement d’autres sur l’Hexagone ou si c’est un élément d’une séquence plus « internationale » : attentat (anti-kurde et anti-opposition) à Ankara, en Turquie, attentats (anti-chiites) à Beyrouth et Bagdad la veille et le matin des tueries à Paris ; avion russe abattu au dessus du Sinaï… et maintenant une opération annoncée à Washington ?

    Etat final recherché

    Le « professionnalisme » des tueurs en tout cas n’étonne pas les connaisseurs. Au sein du gouvernement de Daech, il y a notamment un « ministre des opérations kamikazes ». Les forces de l’organisation sont encadrées par d’ex-officiers de l’armée de Saddam Hussein, dissoute par l’occupant américain, devenus « mercenaires » pour assurer leur survie, ou au nom de la lutte contre la domination chiite : ils peuvent être spécialistes des blindés, des explosifs, de la logistique, etc.

    Une coalition-bis ?

    Le gouvernement français a par ailleurs consenti à un virage diplomatique dans le sillage des attentats. Bachar Al-Assad, le président syrien, n’est plus l’ennemi numéro un : on verra plus tard. La Russie redevient soudain fréquentable, y compris à un niveau militaire. Le porte-avions Charles de Gaulle, en route avec son escadre depuis mercredi pour la Méditerranée orientale, pourrait même coopérer avec la marine russe, comme l’a souhaité le président Vladimir Poutine.

    Reste à tenter de mettre sur pied une stratégie commune entre les pays engagés contre l’OEI. Commentaire à ce sujet du général Vincent Desportes, dans La Croix du 15 novembre : « Vous pouvez déployer toute la force militaire que vous voulez, si vous ne le faîtes pas au service d’une stratégie claire et cohérente, cela ne sert à rien, comme on l’a vu en Afghanistan et en Irak. On n’arrivera à rien tant que les différentes parties prenantes à la lutte contre Daech — Américains, Russes, Iraniens, Saoudiens et Turcs — ne se mettront pas d’accord sur l’état final recherché, c’est-à-dire le futur du Moyen-Orient. Quand ce sera fait, nous pourrons bâtir une stratégie adaptée. La première étape est donc diplomatique, ce qui n’exclut pas de continuer à frapper pour affaiblir Daech ».

    Alliés de cœur

    Le président François Hollande, justement, doit se rendre la semaine prochaine à Washington et à Moscou, pour obtenir les feux verts des président Obama et Poutine en faveur d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU légitimant une intervention concertée en Syrie. A charge ensuite, pour l’ensemble des pays de la nouvelle coalition ainsi esquissée, de déterminer qui sont ses alliés de cœur ou plus souvent de raison sur le terrain, et à appuyer concrètement leur action.

    L’autre démarche post-attentats est de mettre cette fois les Européens« face à leurs responsabilités », selon les mots de François Hollande, en les appelant à s’impliquer sur le terrain militaire en Syrie, ainsi que sur les autres théâtres d’opération où sont engagés les Français, notamment au Sahel ; et en les invitant à compenser au moins financièrement les efforts que Paris assure engager souvent au nom de l’Europe sur des théâtres extérieurs.

    La France, précise le site B2 (17 novembre), « veut aussi faire prendre conscience de la nécessité pour les Européens — les Etats membres mais aussi les autres institutions européennes comme le Parlement européen — d’avancer sur certaines mesures législatives ou opérationnelles en matière de lutte antiterroriste, notamment sur l’échange de renseignements. Au passage, l’ouverture de cette clause permet d’avancer vers une reconnaissance d’une exception pour circonstances exceptionnelles du pacte de stabilité dont pourrait bénéficier la France ».

    Une demande « d’aide et d’assistance » qui a été aussitôt approuvée par les Européens, mais sans que cela ne les engage en rien à faire la guerre,si l’on en croit Jean-Dominique Merchet, définitivement sans illusions sur « l’Europe de la défense », même dans sa version antiterroriste. Le fameux projet de fichier PNR (Passengers Name Record), en attente depuis plusieurs années, qui permettrait une meilleure surveillance du trafic aérien, n’a d’ailleurs toujours pas été mis en œuvre par les instances européennes.

    Philippe Leymarie