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Conso

  • Posséder ou partager ?

     

    Et si l’usage ne correspondait pas nécessairement à la propriété ? Soucieuses d’en finir avec l’hyperconsommation d’objets qui ne servent que très rarement, confrontées à un pouvoir d’achat en berne, de nombreuses personnes s’organisent pour partager et troquer. Un mouvement en pleine expansion que les groupes privés ont vite détourné pour élargir le cercle… des acheteurs.

    par Martin Denoun et Geoffroy Valadon, octobre 2013

    « Au domicile de chacun d’entre nous, il existe à la fois un problème écologique et un potentiel économique. Nous avons dans nos foyers de nombreux biens que nous n’utilisons pas : la perceuse qui dort dans un placard et ne servira en moyenne que treize minutes dans sa vie, les DVD visionnés une ou deux fois qui s’entassent, l’appareil photo qui attrape la poussière plus que la lumière, mais aussi la voiture que nous utilisons en solitaire moins d’une heure par jour ou l’appartement vide tout l’été. La liste est longue. Et elle représente une somme impressionnante d’argent comme de déchets futurs. » Telle est, en substance, l’accroche des théoriciens de la consommation collaborative. Car, assène avec un grand sourire Rachel Botsman (1), l’une de leurs chefs de file, « vous avez besoin du trou, pas de la perceuse ; d’une projection, pas d’un DVD ; de déplacements, pas d’une voiture ! »…

    Jeremy Rifkin est celui qui a diagnostiqué cette transition d’un âge de la propriété vers un « âge de l’accès (2) » où la dimension symbolique des objets décroît au profit de leur dimension fonctionnelle : alors qu’une voiture était autrefois un élément de statut social qui en justifiait l’achat au-delà de son usage, les consommateurs se sont mis à louer leur véhicule.

    Aujourd’hui, c’est même leur propre automobile ou leur propre domicile que les jeunes proposent à la location. S’ils font ainsi le désespoir de nombreux industriels du transport ou de l’hôtellerie, d’autres y voient un détachement vis-à-vis des objets de consommation porteur d’espoir. Les plates-formes d’échange permettent une meilleure allocation des ressources ; elles atomisent l’offre, éliminent les intermédiaires et facilitent le recyclage. Ce faisant, elles érodent les monopoles, font baisser les prix et apportent de nouvelles ressources aux consommateurs. Ceux-ci seraient ainsi amenés à acheter des biens de qualité, plus durables, incitant les industriels à renoncer à l’obsolescence programmée. Séduits par les prix réduits et par la commodité de ces relations « pair à pair » (P2P), ils contribueraient à la réduction des déchets. La presse internationale, du New York Times au Monde en passant par The Economist, titre sur cette « révolution dans la consommation ».

    Un tour de passe-passe

    Les partisans de la consommation collaborative sont souvent des déçus du « développement durable ». Mais, s’ils lui reprochent sa superficialité, ils n’en font généralement pas une critique approfondie. Se réclamant surtout de Rifkin, ils n’évoquent jamais l’écologie politique. Ils citent volontiers Mohandas Gandhi : « Il y a assez de ressources sur cette terre pour répondre aux besoins de tous, mais il n’y en aura jamais assez pour satisfaire les désirs de possession de quelques-uns (3). » Cela ne les empêche pas de manifester une forme de dédain à l’égard des décroissants et des militants écologistes en général, vus comme des utopistes marginaux et « politisés ».

    « C’est en 2008 que nous avons buté contre le mur. Ensemble, mère nature et le marché ont dit “stop !”. Nous savons bien qu’une économie basée sur l’hyperconsommation est une pyramide de Ponzi (4), un château de cartes », argumentait Botsman lors d’une conférence Technology, Entertainment and Design (TED) (5). Selon elle, la crise, en contraignant les gens à la débrouille, aurait provoqué un sursaut de créativité et de confiance mutuelle qui aurait fait exploser ce phénomène de la consommation collaborative (6).

    De plus en plus de sites Internet proposent de troquer ou de louer des biens « dormants » et coûteux : lave-linge, vêtements de marque, objets high-tech, matériel de camping, mais aussi moyens de transport (voiture, vélo, bateau) ou espaces physiques (cave, place de parking, chambre, etc.). Le mouvement touche jusqu’à l’épargne : plutôt que de la laisser dormir sur un compte, des particuliers se la prêtent en contournant les banques (7).

    Dans le domaine des transports, le covoiturage consiste à partager le coût d’un trajet ; une sorte d’auto-stop organisé et contributif, qui permet de voyager par exemple de Lyon à Paris pour 30 euros, contre 60 euros en train, et de faire connaissance avec de nouvelles personnes le temps du trajet. Plusieurs sites sont apparus en France dans les années 2000 pour proposer ce service. Puis s’est produite l’évolution typique des start-up du Web : on se bat pour s’imposer comme la référence incontournable de la gratuité, et, une fois cette position obtenue, on impose aux utilisateurs une facturation à travers le site, « pour plus de sécurité », en prélevant une commission de 12 %. Alors que le numéro un français, Covoiturage.fr, est devenu BlaBlaCar afin de se lancer à la conquête du marché européen, et que son équivalent allemand, Carpooling, arrive en France, des covoitureurs excédés par le virage mercantile du site français ont lancé la plate-forme associative et gratuite Covoiturage-libre.fr.

    L’autopartage traduit lui aussi une avancée culturelle et écologique. Des plates-formes comme Drivy permettent la location de véhicules entre particuliers. Pourtant, les acteurs dominants du marché sont en fait des loueurs flexibilisés (location à la minute et en self-service) qui ont leur propre flotte. La réduction annoncée du nombre de véhicules est donc toute relative. Même la flotte Autolib’, mise en place par la mairie de Paris avec le groupe Bolloré sur le modèle des Vélib’, se substitue aux transports en commun davantage qu’elle ne permet de supprimer des voitures (8).

    S’agissant de l’hébergement, Internet a également favorisé l’envol des échanges entre particuliers. Plusieurs sites (9) permettent de contacter une foule d’hôtes disposés à vous recevoir gratuitement chez eux pour quelques nuits, et cela dans presque tous les pays. Mais le phénomène du moment, c’est le « bed and breakfast » informel et citadin et son leader incontesté, Airbnb. Cette start-up vous propose de passer la nuit chez des Athéniens ou des Marseillais qui vous concocteront un généreux petit déjeuner « en option » pour un prix inférieur à celui d’un hôtel. Une pièce vide chez vous ou votre appartement lorsque vous partez en vacances peuvent ainsi devenir une source de revenus. En un mot : « Airbnb : travel like human » Avec Airbnb, voyagez comme des êtres humains »). Dans la presse économique, cependant, la start-up montre un autre visage. Elle s’enorgueillit de prélever plus de 10 % de la somme payée par les hôtes, et de voir son chiffre d’affaires de 180 millions de dollars en 2012 croître aussi rapidement que sa capitalisation boursière, de près de 2 milliards de dollars.

    « La richesse réside bien plus dans l’usage que dans la possessionAristote », clamait l’entreprise d’autopartage City Car Club. Mais, à y regarder de plus près, le détachement vis-à-vis de la possession diagnostiqué par Rifkin ne semble pas en impliquer un vis-à-vis de la consommation : le rêve d’antan était de posséder une Ferrari ; aujourd’hui, c’est simplement d’en conduire une. Et si les ventes diminuent, les locations augmentent. Cet « âge de l’accès » révèle une mutation des formes de la consommation lié à un changement logistique : la mise en circulation des biens et des compétences de chacun à travers des interfaces Web performantes. Loin de s’en effrayer, les entreprises voient dans cette fluidification tout un potentiel de transactions nouvelles dont elles seront les intermédiaires rémunérés.

    D’une part, cela permet d’élargir la base des consommateurs : ceux qui n’avaient pas les moyens d’acheter un objet coûteux peuvent le louer à leurs pairs. D’autre part, la marchandisation s’étend à la sphère domestique et aux services entre particuliers : une chambre d’amis ou le siège passager d’une voiture peuvent être proposés à la location, de même qu’un coup de main en plomberie ou en anglais. On peut d’ailleurs anticiper le même effet rebond que dans le domaine énergétique, où les réductions de dépenses issues de progrès techniques conduisent à des augmentations de consommation (10) : les revenus qu’une personne tire de la mise en location de son vidéoprojecteur l’inciteront à dépenser davantage.

    Pourtant, il existe bien de nouvelles pratiques qui vont à rebours du consumérisme. Elles sont très diverses : les couchsurfers (littéralement, « surfeurs de canapé ») permettent gracieusement à des inconnus de dormir chez eux ou bénéficient de cette hospitalité. Les utilisateurs de Recupe.net ou de Freecycle.org préfèrent offrir des objets dont ils n’ont plus l’utilité plutôt que les jeter. Dans les systèmes d’échange locaux (SEL), les membres offrent leurs compétences sur une base égalitaire : une heure de jardinage vaut une heure de plomberie ou de design Web. Dans les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), chacun s’engage à s’approvisionner pendant un an auprès d’un même agriculteur local avec lequel il peut développer des liens, et participe bénévolement aux distributions hebdomadaires de légumes. Cet engagement relativement contraignant traduit une démarche qui dépasse la simple « consomm’action » consistant à « voter avec son portefeuille ».

    Quel est le point commun entre ces projets associatifs et les start-up de la distribution C2C — pour consumer to consumer, « de consommateur à consommateur » ? Comparons les couchsurfers et les clients d’Airbnb : pour les premiers, l’essentiel réside dans la relation avec la personne rencontrée, et le confort est secondaire, tandis que pour les seconds, c’est l’inverse. Les critères de leurs évaluations respectives sont donc sensiblement différents : ce qui prime sur Airbnb, au-delà du prix, c’est la propreté du lieu et la proximité avec le centre touristique, alors que sur Couchsurfing.org, au-delà de la gratuité, ce sont les moments avec l’hôte. De même, les plates-formes telles que Taskrabbit.com proposent des échanges de services entre particuliers payants, alors que les SEL reposent sur le don.

    Si, dans leurs articles destinés au grand public, les promoteurs de la consommation collaborative citent souvent les initiatives associatives pour vanter l’aspect « social » et « écologique » de cette « révolution », celles-ci disparaissent au profit des start-up lorsqu’ils s’expriment dans la presse économique. Non seulement parce que les échanges à but non lucratif sont plus difficilement monétisables, mais aussi parce qu’ils ne sont pas « massifiables ». En fait, on ne peut réunir les deux démarches sous l’étiquette d’« économie du partage » qu’en se focalisant sur la forme de ces relations, et en minorant les logiques très différentes qui les nourrissent. Cet amalgame, qui culmine dans le tour de passe-passe consistant à traduire to share partager ») par « louer », est largement encouragé par ceux qui cherchent à profiter du phénomène. Par un subterfuge qui s’apparente au greenwashing habillage vert »), des projets tels que les AMAP en viennent à servir de caution. Ceux qui s’en font l’écho en minorant les valeurs sociales sous-jacentes à ces projets participent ainsi à une sorte de collaborative washing. Les personnes qui offrent leur toit, leur table ou leur temps à des inconnus se caractérisent en effet généralement par des valeurs liées à la recherche de pratiques égalitaires et écologiques ; ce qui les rapproche davantage des coopératives de consommation et de production que des plates-formes d’échange C2C.

    Cette dualité en recoupe bien d’autres : celle qui sépare le « développement durable » de l’écologie politique, ou encore le mouvement du logiciel open source — qui promeut la collaboration de tous pour améliorer les logiciels — de celui du logiciel libre — qui promeut les libertés des utilisateurs dans une perspective politique. A chacun de ces domaines, on pourrait étendre la fameuse distinction opérée par Richard Stallman, l’un des pères du logiciel libre : « Le premier est une méthodologie de développement ; le second est un mouvement social (11). »

    Martin Denoun et Geoffroy Valadon

    Animateurs du collectif La Rotative, www.larotative.org
  • Posséder ou partager ?

    Un amoncellement d’objets dormants et coûteux

     

    Et si l’usage ne correspondait pas nécessairement à la propriété ? Soucieuses d’en finir avec l’hyperconsommation d’objets qui ne servent que très rarement, confrontées à un pouvoir d’achat en berne, de nombreuses personnes s’organisent pour partager et troquer. Un mouvement en pleine expansion que les groupes privés ont vite détourné pour élargir le cercle… des acheteurs.

    par Martin Denoun et Geoffroy Valadon, octobre 2013

    « Au domicile de chacun d’entre nous, il existe à la fois un problème écologique et un potentiel économique. Nous avons dans nos foyers de nombreux biens que nous n’utilisons pas : la perceuse qui dort dans un placard et ne servira en moyenne que treize minutes dans sa vie, les DVD visionnés une ou deux fois qui s’entassent, l’appareil photo qui attrape la poussière plus que la lumière, mais aussi la voiture que nous utilisons en solitaire moins d’une heure par jour ou l’appartement vide tout l’été. La liste est longue. Et elle représente une somme impressionnante d’argent comme de déchets futurs. » Telle est, en substance, l’accroche des théoriciens de la consommation collaborative. Car, assène avec un grand sourire Rachel Botsman (1), l’une de leurs chefs de file, « vous avez besoin du trou, pas de la perceuse ; d’une projection, pas d’un DVD ; de déplacements, pas d’une voiture ! »…

    Jeremy Rifkin est celui qui a diagnostiqué cette transition d’un âge de la propriété vers un « âge de l’accès (2) » où la dimension symbolique des objets décroît au profit de leur dimension fonctionnelle : alors qu’une voiture était autrefois un élément de statut social qui en justifiait l’achat au-delà de son usage, les consommateurs se sont mis à louer leur véhicule.

    Aujourd’hui, c’est même leur propre automobile ou leur propre domicile que les jeunes proposent à la location. S’ils font ainsi le désespoir de nombreux industriels du transport ou de l’hôtellerie, d’autres y voient un détachement vis-à-vis des objets de consommation porteur d’espoir. Les plates-formes d’échange permettent une meilleure allocation des ressources ; elles atomisent l’offre, éliminent les intermédiaires et facilitent le recyclage. Ce faisant, elles érodent les monopoles, font baisser les prix et apportent de nouvelles ressources aux consommateurs. Ceux-ci seraient ainsi amenés à acheter des biens de qualité, plus durables, incitant les industriels à renoncer à l’obsolescence programmée. Séduits par les prix réduits et par la commodité de ces relations « pair à pair » (P2P), ils contribueraient à la réduction des déchets. La presse internationale, du New York Times au Monde en passant par The Economist, titre sur cette « révolution dans la consommation ».

    Un tour de passe-passe

    Les partisans de la consommation collaborative sont souvent des déçus du « développement durable ». Mais, s’ils lui reprochent sa superficialité, ils n’en font généralement pas une critique approfondie. Se réclamant surtout de Rifkin, ils n’évoquent jamais l’écologie politique. Ils citent volontiers Mohandas Gandhi : « Il y a assez de ressources sur cette terre pour répondre aux besoins de tous, mais il n’y en aura jamais assez pour satisfaire les désirs de possession de quelques-uns (3). » Cela ne les empêche pas de manifester une forme de dédain à l’égard des décroissants et des militants écologistes en général, vus comme des utopistes marginaux et « politisés ».

    « C’est en 2008 que nous avons buté contre le mur. Ensemble, mère nature et le marché ont dit “stop !”. Nous savons bien qu’une économie basée sur l’hyperconsommation est une pyramide de Ponzi (4), un château de cartes », argumentait Botsman lors d’une conférence Technology, Entertainment and Design (TED) (5). Selon elle, la crise, en contraignant les gens à la débrouille, aurait provoqué un sursaut de créativité et de confiance mutuelle qui aurait fait exploser ce phénomène de la consommation collaborative (6).

    De plus en plus de sites Internet proposent de troquer ou de louer des biens « dormants » et coûteux : lave-linge, vêtements de marque, objets high-tech, matériel de camping, mais aussi moyens de transport (voiture, vélo, bateau) ou espaces physiques (cave, place de parking, chambre, etc.). Le mouvement touche jusqu’à l’épargne : plutôt que de la laisser dormir sur un compte, des particuliers se la prêtent en contournant les banques (7).

    Dans le domaine des transports, le covoiturage consiste à partager le coût d’un trajet ; une sorte d’auto-stop organisé et contributif, qui permet de voyager par exemple de Lyon à Paris pour 30 euros, contre 60 euros en train, et de faire connaissance avec de nouvelles personnes le temps du trajet. Plusieurs sites sont apparus en France dans les années 2000 pour proposer ce service. Puis s’est produite l’évolution typique des start-up du Web : on se bat pour s’imposer comme la référence incontournable de la gratuité, et, une fois cette position obtenue, on impose aux utilisateurs une facturation à travers le site, « pour plus de sécurité », en prélevant une commission de 12 %. Alors que le numéro un français, Covoiturage.fr, est devenu BlaBlaCar afin de se lancer à la conquête du marché européen, et que son équivalent allemand, Carpooling, arrive en France, des covoitureurs excédés par le virage mercantile du site français ont lancé la plate-forme associative et gratuite Covoiturage-libre.fr.

    L’autopartage traduit lui aussi une avancée culturelle et écologique. Des plates-formes comme Drivy permettent la location de véhicules entre particuliers. Pourtant, les acteurs dominants du marché sont en fait des loueurs flexibilisés (location à la minute et en self-service) qui ont leur propre flotte. La réduction annoncée du nombre de véhicules est donc toute relative. Même la flotte Autolib’, mise en place par la mairie de Paris avec le groupe Bolloré sur le modèle des Vélib’, se substitue aux transports en commun davantage qu’elle ne permet de supprimer des voitures (8).

    S’agissant de l’hébergement, Internet a également favorisé l’envol des échanges entre particuliers. Plusieurs sites (9) permettent de contacter une foule d’hôtes disposés à vous recevoir gratuitement chez eux pour quelques nuits, et cela dans presque tous les pays. Mais le phénomène du moment, c’est le « bed and breakfast » informel et citadin et son leader incontesté, Airbnb. Cette start-up vous propose de passer la nuit chez des Athéniens ou des Marseillais qui vous concocteront un généreux petit déjeuner « en option » pour un prix inférieur à celui d’un hôtel. Une pièce vide chez vous ou votre appartement lorsque vous partez en vacances peuvent ainsi devenir une source de revenus. En un mot : « Airbnb : travel like human » Avec Airbnb, voyagez comme des êtres humains »). Dans la presse économique, cependant, la start-up montre un autre visage. Elle s’enorgueillit de prélever plus de 10 % de la somme payée par les hôtes, et de voir son chiffre d’affaires de 180 millions de dollars en 2012 croître aussi rapidement que sa capitalisation boursière, de près de 2 milliards de dollars.

    « La richesse réside bien plus dans l’usage que dans la possessionAristote », clamait l’entreprise d’autopartage City Car Club. Mais, à y regarder de plus près, le détachement vis-à-vis de la possession diagnostiqué par Rifkin ne semble pas en impliquer un vis-à-vis de la consommation : le rêve d’antan était de posséder une Ferrari ; aujourd’hui, c’est simplement d’en conduire une. Et si les ventes diminuent, les locations augmentent. Cet « âge de l’accès » révèle une mutation des formes de la consommation lié à un changement logistique : la mise en circulation des biens et des compétences de chacun à travers des interfaces Web performantes. Loin de s’en effrayer, les entreprises voient dans cette fluidification tout un potentiel de transactions nouvelles dont elles seront les intermédiaires rémunérés.

    D’une part, cela permet d’élargir la base des consommateurs : ceux qui n’avaient pas les moyens d’acheter un objet coûteux peuvent le louer à leurs pairs. D’autre part, la marchandisation s’étend à la sphère domestique et aux services entre particuliers : une chambre d’amis ou le siège passager d’une voiture peuvent être proposés à la location, de même qu’un coup de main en plomberie ou en anglais. On peut d’ailleurs anticiper le même effet rebond que dans le domaine énergétique, où les réductions de dépenses issues de progrès techniques conduisent à des augmentations de consommation (10) : les revenus qu’une personne tire de la mise en location de son vidéoprojecteur l’inciteront à dépenser davantage.

    Pourtant, il existe bien de nouvelles pratiques qui vont à rebours du consumérisme. Elles sont très diverses : les couchsurfers (littéralement, « surfeurs de canapé ») permettent gracieusement à des inconnus de dormir chez eux ou bénéficient de cette hospitalité. Les utilisateurs de Recupe.net ou de Freecycle.org préfèrent offrir des objets dont ils n’ont plus l’utilité plutôt que les jeter. Dans les systèmes d’échange locaux (SEL), les membres offrent leurs compétences sur une base égalitaire : une heure de jardinage vaut une heure de plomberie ou de design Web. Dans les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), chacun s’engage à s’approvisionner pendant un an auprès d’un même agriculteur local avec lequel il peut développer des liens, et participe bénévolement aux distributions hebdomadaires de légumes. Cet engagement relativement contraignant traduit une démarche qui dépasse la simple « consomm’action » consistant à « voter avec son portefeuille ».

    Quel est le point commun entre ces projets associatifs et les start-up de la distribution C2C — pour consumer to consumer, « de consommateur à consommateur » ? Comparons les couchsurfers et les clients d’Airbnb : pour les premiers, l’essentiel réside dans la relation avec la personne rencontrée, et le confort est secondaire, tandis que pour les seconds, c’est l’inverse. Les critères de leurs évaluations respectives sont donc sensiblement différents : ce qui prime sur Airbnb, au-delà du prix, c’est la propreté du lieu et la proximité avec le centre touristique, alors que sur Couchsurfing.org, au-delà de la gratuité, ce sont les moments avec l’hôte. De même, les plates-formes telles que Taskrabbit.com proposent des échanges de services entre particuliers payants, alors que les SEL reposent sur le don.

    Si, dans leurs articles destinés au grand public, les promoteurs de la consommation collaborative citent souvent les initiatives associatives pour vanter l’aspect « social » et « écologique » de cette « révolution », celles-ci disparaissent au profit des start-up lorsqu’ils s’expriment dans la presse économique. Non seulement parce que les échanges à but non lucratif sont plus difficilement monétisables, mais aussi parce qu’ils ne sont pas « massifiables ». En fait, on ne peut réunir les deux démarches sous l’étiquette d’« économie du partage » qu’en se focalisant sur la forme de ces relations, et en minorant les logiques très différentes qui les nourrissent. Cet amalgame, qui culmine dans le tour de passe-passe consistant à traduire to share partager ») par « louer », est largement encouragé par ceux qui cherchent à profiter du phénomène. Par un subterfuge qui s’apparente au greenwashing habillage vert »), des projets tels que les AMAP en viennent à servir de caution. Ceux qui s’en font l’écho en minorant les valeurs sociales sous-jacentes à ces projets participent ainsi à une sorte de collaborative washing. Les personnes qui offrent leur toit, leur table ou leur temps à des inconnus se caractérisent en effet généralement par des valeurs liées à la recherche de pratiques égalitaires et écologiques ; ce qui les rapproche davantage des coopératives de consommation et de production que des plates-formes d’échange C2C.

    Cette dualité en recoupe bien d’autres : celle qui sépare le « développement durable » de l’écologie politique, ou encore le mouvement du logiciel open source — qui promeut la collaboration de tous pour améliorer les logiciels — de celui du logiciel libre — qui promeut les libertés des utilisateurs dans une perspective politique. A chacun de ces domaines, on pourrait étendre la fameuse distinction opérée par Richard Stallman, l’un des pères du logiciel libre : « Le premier est une méthodologie de développement ; le second est un mouvement social (11). »

     

    Martin Denoun et Geoffroy Valadon

    Animateurs du collectif La Rotative, www.larotative.org
  • BONS PLANS CONSOM'ACTION

     

     

    image: http://www.consoglobe.com/wp-content/uploads/2015/04/marques-amazon-dash-france-00-ban.jpg

    Amazon Dash : le cauchemar commercial bientôt en Europe ?

    Amazon Dash : le cauchemar commercial bientôt en Europe ?

     

    Sur votre lave vaisselle, un bouton de la marque de votre détergent préféré. Sur votre lave linge, un autre pour votre savon habituel. Idem pour votre paquet de couches, de papier toilette ou d’eau minérale. Magique : en pressant ce bouton, une commande automatique est envoyée par les airs, et Amazon vous livre les produits, sans que vous n’ayez rien eu d’autre à faire. Rêve du consommateur pressé ? Ou cauchemar du consumérisme sans limite ? C’est en tout cas le nouveau service que déploie actuellement la célèbre firme logistique sur Internet, pour l’instant aux États-Unis.

    « Amazon Dash » – consommer n’a jamais été aussi simple

    Amazon a conçu une véritable révolution commerciale. Les boutons Amazon Dash sont aujourd’hui disponibles d’après le site pour 271 produits. Apposez-le où vous souhaitez grâce à son adhésif repositionnable, et, via votre application sur smartphone, vous pouvez le configurer pour que chaque pression passe commande du produit que vous souhaitez. Chaque commande passée par le bouton est inscrite sur votre téléphone, où vous devez la confirmer dans la demi-heure.

    Précaution bienvenue : même si vous pressez plusieurs fois le bouton, celui-ci ne peut effectuer une nouvelle commande tant que la précédente n’a pas été approuvée et livrée. Votre nourrisson précoce ou votre chat prodige ne pourront donc pas commander frénétiquement – respectivement… – leurs bonbons ou leur litière préférés.

    image: http://www.consoglobe.com/wp-content/uploads/2015/04/marques-amazon-dash-principe.png

    marques-amazon-dash-principe

    Une fois la première commande validée, vous pouvez choisir d’automatiser le fait que la pression équivaut à la commande automatisée.

     

    Donc, avec Dash – un trait, en français, comme dans courir d’un trait, mais aussi « foncez », voire « précipitez-vous » -, comme le met en avant Amazon, l’idée c’est de « simplement presser et ne jamais être à court ». Amazon promet de livrer les produits favoris de la maison, pour que « vous puissiez sauter le trajet de dernière minute au magasin. » Pressez le bouton et vous êtes livré dans les deux jours, indique la porte-parole de la société, Kinley Pearsall.

    Slogan existentiel proposé « ne laissez pas le fait d’être à court vous gâcher la journée »

    On imagine les armées de drones livrant sur votre pas de porte en urgence votre marque absolument indispensable de mousse à raser ou, comme dans la vidéo ci-dessous (en anglais) de capsule café, sans laquelle « votre journée serait gâchée »… Ouf, merci Amazon Dash !

     VIDEO – Amazon lance le bouton Dash

    Ce n’est pas une blague

    Le fait que l’annonce ait été faite aux États-Unis la veille du 1er avril aurait pu laisser penser à une blague. Non, l’offre est tout à fait sérieuse, même si elle est actuellement réservée aux « membres premium » d’Amazon, et sur invitation, et aux seuls habitants des États-Unis.

    Toutefois, la soif commerciale d’Amazon, qui se positionne comme fournisseur sur Internet d’une gamme de produits de plus en plus large, est bien connue. A n’en pas douter, ce premier test estannonciateur d’une stratégie de déploiement ambitieuse, tablant sur l’ubiquité des smartphones et des accès wifi (dont les boutons Dash ont besoin).

    Le shopping sous son plus mauvais jour

    La vidéo d’Amazon paraît presque être une anti-publicité pour son service. Même sans comprendre les paroles, si l’anglais n’est pas votre fort, ce qu’on y voit met en scène le consumérisme moderne sous son pire jour : une consommation de produits standardisés en masse, à un rythme frénétique, et selon un cycle semble-t-il infini, et qu’il ne faudrait surtout pas ralentir. A l’opposé direct de la consommation de produits locaux, aux emballages réduits, consommés et appréciés en quantité adéquate.

    image: http://www.consoglobe.com/wp-content/uploads/2015/04/marques-amazon-dash.jpg

    marques-amazon-dash

    Exemple de marques concernées par Amazon Dash aux Etats-Unis : de grandes marques de consommation courante, ce qui tend à limiter le consommateur à ces marques.

     

    Et on n’a pas tout vu. Amazon travaillerait d’après le Wall Street Journal avec des fabricants pour développer des machines – lave-linge, machine à expresso, distributeur de nourriture pour animal domestique, etc. – qui anticiperaient vos besoins en produits pertinents et les commanderaient pour vous avant même d’en venir à bout. Kinley Pearsall, la porte-parole, indique ainsi au journal que « le véritable but à long terme c’est que vous n’ayez jamais à vous préoccuper de presser ce bouton ».

    Tel Mickey dans cette scène de Fantasia où les balais se multiplient à l’infini et versent toujours plus d’eau dans le château que Mickey devait nettoyer, serons-nous aussi un jour noyés sous les hordes de coursiers, drones et autres camions de livraison d’Amazon nous livrant des montagnes de bouteilles de liquide vaisselle ou de rouleau d’essuie-tout ?


    En savoir plus sur http://www.consoglobe.com/amazon-dash-cg#IwXf3jZvMKqi00De.99

  • Aluminium: Attention

    Toujours plus d’aluminium dans l’environnement

    Toujours plus d’aluminium, quels effets sur la santé ?

    Toujours plus d’aluminium, quels effets sur la santé ?

     

    Dans un article publié dans Environmental Science : Processes and Impacts, Christopher Exley, professeur à l’université de Keele (Royaume-Uni), lance un signal d’alarme concernant notre exposition à l’aluminium. C’est un phénomène récent à l’échelle humaine : voilà moins de deux siècles que les Hommes savent exploiter l’aluminium de manière industrielle. Métal désormais le plus consommé après le fer, l’aluminium a vu sa demande multipliée par 30 depuis 1950. Elle pourrait encore doubler d’ici 2050. Or, la majeure partie de l’aluminium produit provient de nouvelles extractions et non du recyclage.

    Si la demande en aluminium explose, c’est parce que le métal a trouvé des 

    applications
     dans de nombreux domaines : bâtiment (huisseries), transports (avions), agroalimentaire (additifs), emballage (canettes), ustensiles de cuisine (casseroles), médecine (adjuvants de vaccins, alliages dentaires), cosmétique (déodorants, maquillage), traitement des eaux, etc. L’exposition alimentaire est une question récurrente ces dernières années.

     

    L’Efsa, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, a rendu un avis public en 2008 sur la question de l’aluminium alimentaire. S’il est présent naturellement dans les fruits et légumes, l’aluminium favorise aussi la conservation des aliments, et sert d’agent levant et de colorant. Selon l’agence européenne, les principales sources alimentaires d’aluminium seraient les céréales et leurs produits dérivés, les légumes, les boissons et… certaines préparations pour nourrissons ! De fortes concentrations ont été relevées dans des feuilles de thé, des herbes, du cacao et des épices.

    L’Efsa a fixé la dose maximale hebdomadaire à ne pas dépasser à 1 mg/kg, tout en affirmant que cette limite serait franchie par une part significative de la population : l’exposition des Européens se situerait entre 0,2 à 1,5 mg/kg/semaine. Le cas des enfants est inquiétant en raison de leur faible poids. Si l’eau ne représente qu’une partie mineure des apports, de nouvelles recommandations visant à prévenir le risque de maladie d’Alzheimer suggèrent d’éviter l’aluminium dans la cuisine. Pourquoi ces précautions ?

    Des effets nocifs ont été observés chez les professionnels travaillant au contact de l’aluminium, mais aussi chez des patients dialysés. Ces derniers peuvent être exposés à des doses élevées à cause des fluides utilisés par la dialyse : des dommages au cerveau et des pathologies proches d’Alzheimer ont pu être observés chez eux.

    Considérée comme toxique, l’exposition humaine à l’aluminium a été évoquée dans différentes pathologies : maladies des os, cancers (avec un débat autour du cancer du sein et des déodorants) et maladie d’Alzheimer. L’étude Paquid (Personnes âgées quid ?), menée en France, avait montré que le risque de maladie d’Alzheimer était associé à la concentration d’aluminium dans l’eau. L’aluminium pourrait favoriser l’agrégation des protéines amyloïdes dans le cerveau des malades. Mais la relation entre la maladie d’Alzheimer et l’aluminium reste controversée.

     

  • Santé: Monsanto en Argentine

    Novopress a traduit en français une enquête décapante de Micheal Warren et Natacha Pisarenko (Associated Press) datant du 20 octobre dernier et portant sur les effets secondaires dévastateurs des produits agro-chimiques de la firme Monsanto, multinationale spécialisée dans les pesticides et semences génétiquement modifiées. Source originale et nombreuses photos 

    L’ouvrier agricole Fabian Tomasi n’avait pas l’habitude d’utiliser des vêtements de protection lorsqu’il manipulait des pesticides sous forme pulvérulente. À 47 ans, il n’est plus aujourd’hui qu’un squelette vivant. L’institutrice Andrea Druetta vit dans une ville où il est illégal d’épandre des pesticides à moins de 500 mètres des habitations, et pourtant, il y a du soja planté jusqu’à 30 m de son domicile ; récemment, ses garçons furent arrosés de produits chimiques alors qu’ils se baignaient dans la piscine derrière la maison. Les recherches menées par Sofia Gatica pour comprendre la mort de son nouveau né suite à des troubles rénaux a conduit l’an dernier à la première enquête en Argentine sur les épandages illégaux. Mais 80% des enfants en observation dans son voisinage portent des traces de pesticides dans leur sang.

    Dans la province de Santa Fe, cœur de l’industrie du soja, le nombre moyen de cancers est deux fois supérieur à la moyenne nationale.

     

    La biotechnologie américaine a hissé l’Argentine au troisième rang des plus importants producteurs de soja, mais les produits chimiques à l’origine de ce boom ne sont pas circonscrits aux seuls champs de soja, de coton et de blé. L’Associated Press a relevé des dizaines de cas où ces poisons sont utilisés de manière contraire à toutes les règlementations existantes.
    Et les médecins avertissent maintenant que l’usage incontrôlé de pesticides pourrait être la cause de plus en plus de problèmes de santé parmi les 12 millions d’habitants de la plus vaste zone agricole du pays.
    Dans la province de Santa Fe, cœur de l’industrie du soja, le nombre moyen de cancers est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Dans le Chaco, la province la plus pauvre du pays, les enfants ont quatre fois plus de risques de naître avec de graves troubles congénitaux depuis ces dix dernières années, marquées par l’expansion dramatique d’une industrie agricole liée aux biotechnologies.
    « Les changements dans la manière de cultiver ont clairement modifié les caractéristiques des maladies » affirme le Dr Medardo Avila Vasquez, pédiatre cofondateur de l’association « Doctors of fumigates towns » (médecins des villes sous fumigation). « Nous sommes passés d’une population en excellente santé à une autre avec un taux de cancers, de troubles en néonatalogie et de maladies, rarement observé antérieurement ».

    Connue autrefois pour sa viande de bœuf issue de ses vastes prairies, l’Argentine a subi une remarquable mutation de puis 1996, quand la compagnie Monsanto, domicilié à St Louis (USA), vendit la promesse de meilleurs rendements avec moins de pesticides grâce à ses semences et ses produits chimiques.
    Aujourd’hui, tout le soja argentin, mais aussi la plus grande partie de son blé et aussi de son coton, sont issus de semences génétiquement modifiées. La culture du soja a triplé pour atteindre 47 millions d’âcres (environ 19 millions d’hectares), et comme aux USA, le bétail est maintenant nourri de soja et de céréales dans des parcs d’engraissage.
    Mais lorsque les insectes et les mauvaises herbes devinrent à leur tour résistants, les agriculteurs multiplièrent par neuf la charge en produits chimiques, passant de 9 million de gallons (40 millions de litres) en 1990 à plus de 84 (378 millions de litres) aujourd’hui. Et surtout les agriculteurs argentins épandent aujourd’hui 4,3 livres de concentré de pesticides par âcre (soit environ 5 kg à l’hectare), deux fois plus que les agriculteurs américains, si l’on en croit une enquête d’Associated Press croisant les données gouvernementales et celles de l’industrie des pesticides.

    Les registres hospitaliers relèvent un quadruplement des affections congénitales dans le Chaco, passant de 19,1 / 10 000 à 85,3 / 10 000 dans les dix années suivant l’autorisation d’introduction des produits chimiques.

    En réponse à un nombre croissant de plaintes, la présidente Cristina Fernandez créa en 2000 une commission pour étudier l’impact des épandages de produits phytosanitaires sur la santé humaine. Son premier rapport demanda « un contrôle systématique des concentrations d’herbicides et de leurs composants… ainsi que des études approfondies tant en laboratoire que sur le terrain lors de l’usage de formules contenant des glyphosates (herbicide systémique connu sous le nom de Roundup), ainsi que de son interaction avec d’autre produits agro-chimiques utilisés actuellement dans notre pays ». Mais la commission n’a plus siégé depuis 2010 comme le découvrit récemment le vérificateur général. Dans une déclaration écrite, le porte-paroles de Monsanto, Thomas Helscher, assure toutefois que le compagnie « ne ferme pas les yeux sur les mauvais usages de pesticides, ou la violation des lois concernant leur usage ».

    Une étude épidémiologique portant sur 65 000 personnes à Santa Fe, conduite par le Dr Damian Vezenassi de l’Université Nationale de Rosario, a relevé un taux de cancers deux à quatre fois plus élevé que la moyenne nationale, ainsi que des problèmes thyroïdiens, respiratoires et autres affections rarement observées autrefois. « Il pourrait y avoir un lien avec les produits agro-chimiques » pense Verzenassi, « ils [Monsanto] font de nombreuses analyses de toxicité de leurs ingrédients de base, mais n’ont jamais étudié la toxicité due à l’interaction des différents produits chimiques qu’ils utilisent ».

    Les registres hospitaliers relèvent un quadruplement des affections congénitales dans le Chaco, passant de 19,1 / 10 000 à 85,3 / 10 000 dans les dix années suivant l’autorisation d’introduction des produits chimiques. Une équipe de médecins a alors suivi 2051 personnes dans six villes, et a découvert un nombre élevé de maladies quand ces personnes vivaient dans un environnement de agricole.

    Dans le village rural de Avia Terai, 31% des personnes interrogées ont déclaré avoir un membre de leur famille atteint d’un cancer ; un nombre à comparer aux 3% atteints de la même maladie dans le village de ranchs classique de Charadai. Ils ont également relevé des cas de malformation du squelette, d’atteintes à la moelle épinière, de surdité, de cécité, de dégâts neurologiques et des atteintes dermatologiques atypique. Peut-être est-il impossible de prouver qu’un produit chimique est à l’origine d’une maladie précise. Mais les médecins appellent de leurs vœux la multiplication des études, et des études plus larges, à plus long terme et surtout indépendantes, affirmant que c’est maintenant au gouvernement de prouver que le cumul des charges agricoles ne rend pas les gens malades.