Des embryons clonés par l’université nationale de Séoul, en février 2004 (AP Photo/Seoul National University)
Imaginons un monde où l’on croiserait des animaux étranges, hybrides artificiels de plusieurs espèces créés pour complaire aux exigences de la mode. Le lapin-chat serait la dernière tendance de la collection animale estivale.
Dans ce monde, on aurait également modifié le génome de nos cousins chimpanzés pour les rendre plus intelligents. Une réussite : ils nous auraient débarrassé des tâches manuelles contraignantes sans exiger de salaire – ni de droits.
Les hommes, plus intelligents, s’ennuieraient. Ils vivraient beaucoup plus vieux grâce aux dernières avancées thérapeutiques et ne mourraient presque plus d’accidents et de maladies : des sociétés proposeraient des clones, véritables réservoirs à cellules souches et organes.
Et pour donner les meilleures chances à leur progéniture, ils sélectionneraient leurs traits et aptitudes dans un catalogue. Conséquence logique : aux plus riches les enfants les plus beaux, intelligents et résistants, laissant sur le bas-côté l’autre humanité, affreusement normale et « naturelle ».
Voilà un monde où l’homme maîtriserait parfaitement la genèse de la vie sans s’encombrer de considérations morales.
Une science (-fiction) très rentable
De la science-fiction ? Oui, mais toutes les techniques permettant la réalisation de ce monde sont devenues – ou en passe de devenir – réelles. On appelle cela la génomique : l’étude du génome des organismes vivants.
Maîtriser cette science, c’est gagner le pouvoir d’écrire la vie et de réécrire la nature. Maîtriser cette science est encore synonyme de rentrées d’argent colossales : la génomique devrait peser au moins 1 000 milliards par an dans l’économie mondiale d’ici 2025.
Ce pouvoir de créer et modifier le vivant promet de grandes avancées dans le domaine médical et peut laisser rêveur de nombreux hommes d’affaires. Pourtant, laisser la génomique évoluer en roues libres laisse entrevoir des perspectives moins réjouissantes, pas si éloignées de celles décrites en début d’article.
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Les chimères : créatures « mi-hommes, mi-animales »
English : Chimera. Apulian red-figure dish, ca. 350-340 BC« La Chimère », plat à figures rouges, Apulie, v. 350-340 av. J.-C., musée du Louvre (Jastrow/Wikimedia Commons/CC)
L’une des portes entrouvertes par la génomique avancée renvoie à l’un des plus vieux mythes de l’humanité : les chimères, créatures monstrueuses issues de l’hybridation de plusieurs espèces animales.
En termes scientifiques, la transgénique est la discipline menant à la création d’une espèce à partir du matériel génétique de plusieurs espèces distinctes – dont potentiellement l’homme, vous l’aurez compris.
Ses défenseurs avancent l’argument que de telles expériences pourraient servir à développer de nouvelles thérapies pour l’homme et se réfugient derrière l’obligation juridique globalement adoptée de ne pas laisser vivre les embryons plus de deux semaines. Donc aucune de ces chimères ne devrait voir le jour, en théorie.
Des minotaures en gestation
A LIRE : « LES ANIMAUX DÉNATURÉS » DE VERCORS
Des anthropologues découvrentune colonie de bipèdes qui forment le « chaînon manquant » entre l’homme et l’animal. Un homme d’affaires tente d’en faire une main-d’œuvre bon marché en les réduisant en esclavage. Mais sont-ils hommes ou animaux ? Il faudra d’abord répondre à la question : qu’est-ce que l’homme ?
Pourtant, en 2011, le Daily Mailrévélait que 150 embryons hybrides « homme-animal » avaient été créés dans les laboratoires du prestigieux King’s College de Londres.
Selon le parlementaire Lord Alton cité dans l’article, les cellules souches qui ont servi à l’élaboration des thérapies expérimentales auraient été prélevées sur des individus déjà nés – qui ont donc dépassé le stade embryonnaire.
Ce n’est pas un cas isolé. En 1998, l’équipe du laboratoire américain Advanced Cell Technology a annoncé avoir introduit des cellules humaines dans un ovule de vache – un minotaure, en somme. Cinq années plus tard, une équipe chinoise a fait de même en vue de créer un « homme-lapin ».
Menées dans le plus grand secret, ces expériences pourraient continuer à être réalisées sans contrôle : aucune des grandes nations scientifiques ne veut rester sur la touche dans les progrès réalisés en matière médicale. Et si un pays repousse les limites de ce qui est autorisé, les autres ont tendance à s’aligner sur lui.
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Sélection génique : la tentation eugéniste
Si l’on interrogeait la population sur la question de l’eugénisme, on peut difficilement imaginer qu’elle l’approuverait. Mais comme l’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est à nouveau les dérives potentielles que pointent du doigt certains scientifiques.
En Chine : une génération de bébés génies
On apprenait ainsi il y a quelques mois que la société chinoise BGI Shenzen aurait collecté des échantillons d’ADN de 2 000 des personnes les plus « intelligentes » de la planète. L’objectif ? Identifier les gènes et interactions géniques qui déterminent les performances de l’intellect et, à terme, faire gagner 5 à 15 points de QI à chaque génération de citoyens chinois.
Il n’est même pas question ici d’ingénierie génétique : la méthode développée par l’entreprise ne modifie pas l’embryon mais identifie le plus « performant » grâce à un diagnostic préimplantatoire après fécondation in vitro. Adieu les enfants au QI trop faible ou dans la moyenne.
Sélection des traits humains
A VOIR : « BIENVENUE À GATTACA » D’ANDREW NICCOL
Dans un futur proche, chacun peut choisir le génotype de son enfant, perpétuant un eugénisme à grande échelle. Les employeurs recrutent également leurs employés en se basant sur leur potentiel génétique malgré que la pratique soit interdite par la loi.
Les individus nés « naturellement » se voient logiquement relégués au ban de la société, résumés à leur sous-humanité. L’un d’entre eux va déjouer les règles de Gattaca.
Une équipe de scientifiques arécemment réussi à séquencer entièrement le génome d’un fœtus pendant et sans interférer avec la grossesse.
L’objectif : diagnostiquer les maladies génétiques graves pour interrompre la grossesse si nécessaire.
Un objectif louable, sauf qu’une fois encore, il s’agit de savoir où placer la limite : alors que les chercheurs identifient toujours plus de marqueurs génétiques responsables de certains troubles, quand juger qu’une maladie est suffisamment grave (pour l’enfant ou la mère) pour justifier une interruption de grossesse ?
Pour pousser encore plus loin la réflexion, on peut s’interroger sur la combinaison de ces avancées avec la démocratisation des diagnostics préimplantatoires précédant une fécondation in vitro. Une fois la cartographie génique des embryons établie à des fins de dépistage d’éventuelles maladies, des parents pourraient vouloir privilégier celui présentant certaines dispositions telles que l’apparence, la résistance, l’intelligence, etc.
En Suisse par exemple, on peut déjà choisir le sexe de son enfant s’il existe un risque de transmission de certaines maladies génétiques et héréditaires.
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Clonage humain : du thérapeutique au reproductif
Il existe aujourd’hui un moratoire mondial sur le clonage de l’être humain. Au-delà des résistances morales face à une telle expérience, il existait également des difficultés techniques comme le fait que les mammifères clonés souffraient dégénérescences génétiques graves après quelques générations. Cet obstacle a été finalement contourné en début d’année par une équipe de chercheurs japonais.
Produire des cellules souches par clonage
Une autre avancée majeure en matière de clonage a fait les gros titres de la presse scientifique le mois dernier : après seize ans d’efforts, des scientifiques ont finalement réussi à utiliser une technique de clonage pour obtenir des cellules souches indifférenciées utiles au traitement de certaines maladies.
Ce qui pourrait être source de réjouissance a suscité l’inquiétude de certains commentateurs, comme Andrew Pollack du New York Times :
« Le fait que des scientifiques aient réussi à maintenir en vie des embryons d’humains clonés suffisamment longtemps pour en extraire des cellules souches peut être perçu comme un pas supplémentaire dans le clonage humain reproductif. »
L’humain : un produit ?
A VOIR : « THE ISLAND » DE MICHAEL BAY
[Attention : spoiler] Lincoln et Jordan
évoluent dans un gigantesque complexe fermé et aseptisé, confinés pour survivre à une terrible contamination qui a ravagé la Terre. Leur seul espoir d’évasion : gagner à la loterie pour gagner l’« Ile », dernier havre terrestre épargné. Troublés, ils découvrent qu’en réalité eux et les autres « survivants » sont des clones de personnalités, des « polices d’assurance » vouées à être détruites pour sauver leur alter ego originel.
Cette avancée pose la question de savoir si l’homme, même à l’état embryonnaire en laboratoire, peut être considéré comme un produit servant à des fins thérapeutiques.
Elle ouvre aussi la voie à ces « réservoirs à cellules souches », des clones dont l’usage serait limité à fournir la matière nécessaire à reconstruire les tissus de l’individu originel.
Une question déjà posée dans une moindre mesure avec la naissancedes premiers « bébés-médicaments » – ces enfants sélectionnés pour sauver leur frère ou sœur d’une maladie grave : a-t-on le droit de donner naissance à un être qui aurait une autre fonction – principale ou accessoire – que de vivre ?