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  • Maroc: Sale temps pour les immigrés

     

     
     
     

    Les autorités mènent une guerre sans merci aux sans-papiers depuis trois semaines. Les associations dénoncent et appellent à une politique migratoire respectueuse de l’être humain. Quelles sont les raisons de ce tour de vis ?

      

    A l’heure du déjeuner ce lundi, on sert du tiébou dieun, le plat national sénégalais. Nous sommes au petit marché de la vieille médina de Casablanca, sur l’avenue des FAR. Les commerces des immigrés subsahariens ont désormais pignon sur rue. Les filles se font des tresses dans la boutique de coiffure du coin, tandis que Mohamed Mustapha Guèye, le premier Sénégalais à s’installer dans ce marché en 2009, s’affaire a confectionner les costumes et habits traditionnels et de ville dont il maîtrise la technique. L’ambiance est détendue et les affaires marchent. Le courant semble passer entre les nouveaux gérants des boutiques spécialisées dans les produits « africains » et les vendeurs marocains de DVD et d’accessoires de téléphone.

     

    Entre 500 à 600 expulsions

    Mais au-delà de cette apparente quiétude, se cache un profond malaise des immigrés subsahariens. Depuis environ trois semaines, les associations font état d’une large campagne d’arrestation d’immigrés sans papiers et dénoncent des délits de faciès. Les rafles ont concerné d’abord la ville de Casablanca, puis Rabat, Fès, Tanger ou encore Taourirt. Mais c’est cette dernière localité qui s’est particulièrement distinguée.

    Un rapport de l’AMDH (Association marocaine des droits humains), publié le 14 juin, dénonce une violente campagne d’arrestation dans cette petite ville proche de Nador. L’association accuse les autorités de Taourirt d’avoir monté les habitants contre les immigrés, en brûlant notamment leurs bagages devant la foule !

    A Hay Salam à Oujda, les Marocains qui hébergent des étrangers « clandestins » ont été menacés de poursuites pour « assistance et hébergement de personnes en situation irrégulière ». Résultat : les habitants ont peur de louer des logements aux Subsahariens, même à ceux qui sont en situation régulière.

     

    D’autres incidents ont été signalés notamment dans la gare de Fès ou 150 immigrés ont été arrêtés. Plusieurs autres associations, dont l’OMDH, le syndicat ODT et les associations de Subsahariens dénoncent cette « chasse » aux clandestins. Une pétition circule et un rassemblement devait se tenir jeudi 21 juin devant l’ambassade marocaine à Paris.

    En tout et pour tout, « 500 à 600 immigrés ont été conduits au poste frontière d’Oujda en près de trois semaines », croit savoir Hicham Rachidi, secrétaire général du GADEM (Groupe anti-raciste d’accompagnement et de défense des étrangers et des migrants). Selon les estimations des ONG, il y aurait entre 12 000 et 15 000 immigrés en situation irrégulière sur le territoire national. Et ces derniers temps, il ne fait pas bon en faire partie.

     

    Vols de passeports, bakchichs…

    Cette campagne a installé un climat de terreur dans les milieux des immigrés. Au souk de la vieille médina de Casablanca,  Malik, vendeur de colliers sénégalais est à bout de force. Il envisage de rentrer au plus tôt dans son pays après deux ans passés au Maroc. « On est fatigué, il y a trop de problèmes. Je passe mon temps à contourner la police dans la rue. » Comme nombre de ses concitoyens, il trouve toutes les difficultés du monde à renouveler sa carte de séjour.

    Mohamed Mustapha Guèye est lui aussi condamné à se cacher en attendant sa carte. « Chaque année, ils demandent de nouveaux documents. Je suis le premier commerçant étranger ici. Je fais travailler des Marocains et des Subsahariens. Ils veulent des bulletins de salaire, mais un contrat de bail devrait suffire ! Je suis pour mettre dehors les gens qui font des trafics, mais moi je ne fais pas de zigzag. Je ne suis pas un mafiosi », s’insurge-t-il.

     

    Daouda Mbaye, lui, est journaliste. Il est installé au Maroc depuis plus de vingt ans avec sa petite famille dans un appartement qu’il a acheté. Ses enfants sont de nationalité marocaine. Tout cela ne lui épargne pas les tracasseries administratives et policières. Il dénonce la multiplication des délits de faciès. « J’ai été contrôlé par la police une ou deux fois mais, heureusement, j’avais mes papiers. Il faut être en règle, on est d’accord ; mais le hic est que les démarches sont fastidieuses et à Casablanca, quatre ou cinq policiers s’occupent des formalités administratives de tous les étrangers et sont débordés. Ça favorise les trafics », explique Daouda. Les trafics que dénoncent les immigrés vont du vol de passeport par des bandes organisées aux bakchichs pour obtenir par exemple de fausses déclarations à la caisse sociale.

     

    … Racket et viols !

    Qu’ils soient en attente de papier ou sans papiers, les immigrés vivent dans la peur. S’ils sont arrêtés, ils attendent au poste pendant 48h la décision d’expulsion du juge en vertu de la loi 02-03 qui fixe les modalités du retour au pays d’origine. « On nous prend quatre photos, comme si on était des criminels », s’insurge une jeune femme dont la sœur a fait les frais de ces arrestations. Les immigrés sont la plupart du temps emmenés en bus à Oujda ou « ils sont refoulés aux frontières », explique Pierre Delagrange, président du Collectif des communautés subsahariennes. Il ajoute qu’ils finissent par revenir, en passant par d’autres chemins, en prenant le risque de subir des tirs de sommation des gardes-frontières algériens. « Les arrestations collectives et les refoulements sont normalement interdits par la loi. Le renvoi aux frontières algériennes est illégal. Il faudrait enquêter au cas par cas, les mettre dans un avion à destination de leur pays. Malheureusement, l’Union européenne, qui veut combattre l’immigration, donne les moyens de la répression mais ferme les yeux sur le respect des procédures », renchérit Hicham Rachidi, qui réclame la régularisation de la situation de tous les immigrés.

     

    L’absence de politique migratoire favorise les réseaux de mafias, dénonce un autre militant. Les immigrés sont rackettés, les femmes subissent des viols, et certaines jeunes femmes tombent sciemment enceintes pour ne pas être expulsées, car la loi interdit le renvoi dans ce cas. Quid donc de l’avenir de ces enfants qui naissent sur le sol marocain et devront aller à l’école, à l’hôpital ? On l’aura compris : l’immigration est devenue un véritable enjeu sécuritaire mais aussi humanitaire pour le Maroc. Le Royaume étant passé de pays de transit à une terre d’accueil des immigrés, comment gérer les flux d’arrivée ? Quelle politique migratoire adopter ? Les solutions ponctuelles ont fait leur temps…

    Zakaria Choukrallah

     

    Les immigrés, un risque terroriste ?


    Comment s’explique ce tour de vis ? « C’est à lier à la dernière réunion des pays sahélo-sahariens au Maroc. A chaque réunion officielle, le Royaume veut faire démonstration de sa politique préventive. En 2004, une importante campagne d’arrestations a été menée dans les forêts du Nord. C’était une semaine avant l’arrivée de Zapatero », estime Hicham Rachidi.

    D’autres sources avancent comme argument le risque terroriste que font planer les groupes armés du Sahel, renforcés après la chute du régime de Kadhafi. Le député socialiste Abdelhadi Khairate a même adressé une question orale au gouvernement où il s’inquiète des « armes libyennes qui équipent des candidats à l‘immigration clandestine embusqués au Maroc ». Des déclarations jugées « scandaleuses » et « stigmatisantes » par les associations. « Cela m’étonne de la part d’un député de gauche. Si c’est le cas, pourquoi les autorités ne procèdent-elles pas à des coups de filet dans ce milieu en nous montrant ces armes ? », s’insurge Rachidi, qui y voit une tentative de préparer l’opinion publique à ces campagnes.

     
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  • Maroc : Adoptions


    Le ministre de la Justice, Mustafa Ramid, a interdit l’adoption aux couples qui vivent à l’étranger. Argument : il y aurait un risque de changement de religion. Mais est-ce bien raisonnable ?

     

    Au moment où vous lisez ces lignes, quatre-vingts enfants orphelins ne sont plus sûrs d’avoir une famille. Pourtant, les démarches administratives étaient bouclées par les familles étrangères, en majorité espagnoles, mais aussi françaises, belges et mêmes australiennes, qui désirent les adopter.

    Tout était fin prêt jusqu’à ce qu’une circulaire s’en mêle… Le 19 septembre, le ministre de la Justice et des Libertés, Mustafa Ramid, a adressé aux procureurs des différents tribunaux une note administrative (N°40 S/2). Une note qui opère un changement radical dans les procédures d’adoption. Elle interdit dorénavant aux personnes non résidentes au Maroc le droit à la kafala, soit la prise en charge de l’enfant sans être une adoption au sens strict du terme (la seule méthode d’adoption compatible avec l’islam et permise au Maroc). La décision concerne aussi bien les familles étrangères que les couples de Marocains résidant à l’étranger.

    Depuis la publication de l’information, la polémique a fait boule de neige. Le Parlement s’en est emparé, suscitant un nouveau couac au sein de la majorité entre le PJD et le PPS. La députée PPS et ancienne ministre de la famille, Nouzha Skalli, s’est publiquement opposée à la décision de la majorité, appelant à l’annulation de la circulaire lors de la séance des questions orales au Parlement le 7 novembre.

    Une réaction qui fait écho à l’indignation de la société civile qui s’est constituée en collectif, le « Collectif Kafala », regroupant six associations parmi les principales œuvrant dans le domaine de l’enfance (SOS Villages d’Enfants, l’Association Bébés du Maroc, la Fondation Rita Zniber, l’Association Dar Atfal Al Wafae,  l’Association Osraty et l’association Amis des Enfants).

    Si cette circulaire ministérielle suscite autant d’émoi, c’est parce qu’elle a de lourdes conséquences sur l’avenir des petits orphelins marocains. « Près de 50% des kafalas étaient jusque-là accordées aux étrangers et aux MRE », observe Béatrice Beloubad, directrice du bureau national de SOS Villages d’Enfants et membre du « Collectif Kafala ».

     

    Contrôle religieux

    Selon une étude menée par la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance, une instance officielle, près de 6 000 enfants sont abandonnés chaque année au Maroc. L’association Insaf estime, quant à elle, à 8 000 le nombre d’enfants abandonnés. L’initiative de Ramid devrait donc priver de l’adoption entre 3 000 et 4 000 enfants chaque année.

    Au-delà du grand nombre d’enfants concernés, Mustafa Ramid a cru devoir justifier sa décision, selon Akhbar Al Youm, en évoquant un argument de poids : le risque de voir, si ces enfants étaient ainsi adoptés, « entre 20 000 et 30 000  conversions au christianisme sur une vingtaine d’années ». Interrogé par Nouzha Skalli, le ministre a défendu sa circulaire, arguant qu’elle avait reçu l’aval du chef du gouvernement et l’a motivée par « la difficulté dans le contrôle de l’éducation religieuse des enfants marocains une fois qu’ils ont quitté le Royaume ».

     

    Il y a plus urgent

    Il y a bien eu, si l’on en croit les autorités, des tentatives de conversion « d’enfants musulmans » par des « missionnaires évangélistes ». La plus importante remonte à mars 2010. Le Maroc avait expulsé seize encadrants du « Village of Hope », un orphelinat situé à Aïn Leuh. Mais ces conversions supposées n’ont jamais été prouvées devant un tribunal. Or, pour les associations, la position du ministre confine à une position idéologique qui ne prend pas en compte « l’intérêt suprême de l’enfant ».

    « Il n’y a eu qu’un seul cas de conversion rapporté dernièrement au ministre. On ne peut pas à partir d’un cas isolé prendre une telle décision », s’insurge la députée PPS Aïcha El Korch. Elle demande qu’il  y ait d’abord une véritable enquête sur la famille qui va accueillir l’enfant, que les parents adoptifs vivent au Maroc ou à l’étranger. « Le ministre devrait se soucier d’abord des cas de pédophilie au sein du Royaume », poursuit-elle.

    Béatrice Beloubad abonde dans le même sens et explique, qu’au moins, et contrairement à ce qui se passe au Maroc, une enquête rigoureuse est opérée par les autorités du pays étranger qui accueille les enfants kafil. « Les MRE et étrangers sont aussi pratiquement les seuls qui adoptent des enfants handicapés », remarque-t-elle en se fondant sur son expérience à la tête de SOS Villages d’Enfants.

     

    Enquête sociale

    Cela étant, tout le monde ne réfute pas les arguments de Mustafa Ramid. Zohra Fourat, juge des mineurs et ex-cadre associatif dans le domaine de l’enfance, soutient la circulaire. Elle estime que la difficulté du contrôle de la kafala accordée aux étrangers est une réalité.

    « Certains MRE adoptent des enfants uniquement pour bénéficier d’allocations chômage et d’avantages sociaux dans les pays d’accueil. Et, en règle générale, il est impossible de contrôler dans quelles conditions est élevé l’enfant », explique-t-elle. Mais la magistrate reconnaît qu’il y a plus urgent. Notamment la mise en place d’une « enquête sociale » avant l’accord de kafala. Une procédure… qui n’est toujours pas juridiquement obligatoire au Maroc, remarque-t-elle !

     

    Corruption et discrimination

    Pire, les enfants orphelins subissent la discrimination avant leur adoption. « Des parents veulent des enfants blonds, aux yeux verts. Ils préfèrent les filles, car ils pensent qu’elles sont faciles à élever. Ils ne veulent pas de bébés, car ils n’ont pas envie de changer de couches, etc. Tout cela et l’absence d’enquête en bonne et due forme favorise la corruption et la discrimination », assène la magistrate.

    Le « Collectif Kafala » publie, lui, un chiffre qui fait froid dans le dos : 80% des enfants qui restent dans les orphelinats deviennent des délinquants et 10 % d’entre eux se suicident. Pour l’heure, la circulaire est en vigueur mais le CNDH (Conseil national des droits de l’homme) s’est mobilisé pour écouter les associations et transmettre leurs griefs. La priorité : sauver les quatre-vingts orphelins et, à terme, annuler la circulaire.

    Zakaria Choukrallah

  • LES PAYS QUI ESPIONNENT LEURS CITOYENS

     

    Au moins 36 gouvernements (dont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne) utilisent des logiciels de haute technologie pour espionner leurs citoyens.

    La carte publiée par Citizen Lab



     
     

    Le centre de recherche canadien Citizen Lab vient de publier un rapportsur les 36 Etats clients de FinFinisher, une entreprise d’«intrusion technologique», comme elle s’auto-décrit, dont les affaires marchent manifestement très bien: il y a à peine deux mois, elle ne travaillait en effet «que» pour 25 Etats.

    FinFinisher appartient à la compagnie britannique Gamma International: sollicitée par plusieurs dizaines de gouvernements, elle espionne les individus en infectant leurs ordinateurs et leurs portables grâce à une série de stratagèmes plus tordus les uns que les autres.

     
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    Exemples choisis (extraits du rapport de Citizen Lab):

    «Nous avons identifié plusieurs instances où FinSpy utilise le code et le logo de Mozilla. Leur plus récent échantillon en malais prétend être le serveur Mozilla Firefox dans les propriétés de ses fichiers et son manifeste.»

    « Nous avons également identifié un échantillon de FinSpy s’adressant aux personnes qui parlent malais dissimulé dans un faux document sur l’élection en Malaisie en 2013.»

    «Dans le passé, nos recherches ont dévoilé des preuves que FinFinisher(…) avait pour cible des activistes de Bahreïn.»

    «Nous avons également exposé l’utilisation commerciale de maliciel de surveillance développés par l’entreprise italienne Hacking Team et ayant pour cible un dissident dans les Emirats Arabes Unis.»

    Quartz ajoute que FinSpy utilise «la (très élégante) ruse du “right-to-left override”» un caractère unicode qui permet d’inverser une chaîne de caractères pour une lecture de droite à gauche ou de gauche à droite (en français, «texte bidirectionnel»). Ce caractère était destiné à renverser les chaînes de caractères pour les langues qui se lisent de droite à gauche, mais peut également servir à camoufler les noms d’extension de fichiers dangereux –ou de logiciels d’espionnage. 

    Une brochure FinFisher mise en ligne par Wikileaks annonce également que «FinSpy a été installé dans plusieurs ordinateurs dans des cybercafés dans des zones critiques pour surveiller des activités suspectes, surtout la communication Skype de plusieurs individus étrangers. En utilisant la Webcam, plusieurs photos de la cible ont été prises alors qu’ils utilisaient le système».  

    Alors qui sont les pays clients de Gamma International? La liste mise à jour par Citizen Lab montre que, comme les vendeurs d’armes, l’entreprise fournit à la fois des gouvernements occidentaux et des régimes répressifs:

    Cliquez sur l'image pour voir la carte en grand (via Citizen Lab)
    • Amériques: Etats-Unis; Canada; Mexique; Panama
    • Asie/Pacifique: Australie; Bangladesh; Brunei; Inde; Indonésie; Japon; Malaisie; Mongolie; Pakistan; Turkménistan; Vietnam; Singapour
    • Afrique: Ethiopie; Nigéria; Afrique du Sud
    • Europe: Autriche; Bulgarie; République Tchèque; Estonie; Allemagne; Hongrie; Lettonie; Lituanie; Macédoine; Pays-Bas; Roumanie; Serbie; Royaume-Uni
    • Moyen-Orient: Bahreïn; Turquie; Qatar; Emirats Arabes Unis

    Encore une fois, cette liste ne comprend que les clients de Gamma International. Sachant que cette entreprise n’a pas le monopole du marché de la surveillance, on peut imaginer que d’autres Etats (peut-être la France, donc) surveillent tout autant leurs citoyens. Les sociétésTrovicor et Vupen, basées en Allemagne et en France, commercialisent ainsi des produits similaires à FinFisher, selon Quartz.

    En 2011, le Wall Street Journal estimait le marché des «outils de surveillance» à 5 milliards de dollars annuels

    D.D.

  • Procès Bradley Manning

    Procès Bradley Manning: c'est de la vengeance, pas de la justice

    Permettre au gouvernement de juger celui qui a fourni à WikiLeaks des rames entières de données pour «collusion avec l'ennemi» est un dangereux précédent.

    Bradley Manning est escorté devant le tribunal militaire de Fort Meade dans le Maryland, le 18 juillet 2013. REUTERS/Jose Luis Magana

    - Bradley Manning est escorté devant le tribunal militaire de Fort Meade dans le Maryland, le 18 juillet 2013. REUTERS/Jose Luis Magana -

    Le gouvernement veut-il vraiment gratter la moindre livre de chair disponible sur le dos du première classe Bradley Manning pour le punir d'avoir fourni à WikiLeaks un énorme paquet d'informations? La réponse, lamentable, est oui.

    Jeudi, le juge militaire chargé du procès de Manning a décidé de ne pas abandonner le chef d'accusation le plus grave –et le moins supportable– pesant sur sa personne, la «collusion avec l'ennemi». Une charge qui, au départ, n'aurait même pas dû être avancée par le gouvernement.

     
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    Qu'importe votre avis sur Manning, cela crée un terrible précédent pour les «whistleblowers», les lanceurs d'alerte. Et son seul intérêt est la possibilité d'une peine de prison à perpétuité pour un jeune homme de 25 ans ayant d'ores et déjà plaidé coupable pour des chefs d'accusation susceptibles de l'envoyer vingt ans derrière les barreaux. On est devant une affaire de vengeance, pas de justice.

    La fuite dont est responsable Manning est, bien sûr, gigantesque. En 2009, il a donné à WikiLeaks des rames entières de câbles diplomatiques, des carnets de guerre sur les conflits en Irak et en Afghanistan, des dossiers sur Guantánamo, des notes internes des services secrets américains et la vidéo du raid d'un hélicoptère Apache en Irak, responsable de la mort «collatérale» d'un photographe de Reuters et de son chauffeur.

    Manning a reconnu être à l'origine des fuites, en plaidant coupable pour dix des chefs d'accusation pesant sur lui. Mais il affirme ne pas être coupable de collusion avec l'ennemi, car son intention n'était pas de voir la publication des documents secrets aider des organisations terroristes comme Al-Qaïda.

    Voici ce que dit la loi: la charge concerne «quiconque aide ou tente d'aider l'ennemi avec des armes, des munitions, du matériel, de l'argent et autres ressources;  ou qui, sans en avoir l'autorisation idoine, dissimule, protège, renseigne, communique ou correspond avec ou encore établit un lien quelconque avec l'ennemi, sciemment et de manière directe comme indirecte».

    Le chef d'accusation est large – le juge ne l'a pas inventé de toutes pièces. Mais dans d'autres affaires, les tribunaux ont requis que l'accusé ait spécifiquement et volontairement aidé l'ennemi. La charge a jusqu'à présent été réservée à des traîtres murmurant aux oreilles de nos adversaires.

    Comme le faisait remarquer en mars Yochai Benkler, un des experts de la défense dépêché au procès Manning, dans les colonnes de la New Republic, la collusion avec l'ennemi a auparavant été utilisée dans des«affaires stratégiques où quelqu'un avait remis des informations sur des mouvements de troupes directement à un individu que le collaborateur estimait être 'l'ennemi', où des prisonniers de guerre américains avaient collaboré avec leurs geôliers nord-coréens, ou encore dans le cas d'un citoyen germano-américain ayant participé à une opération de sabotage pour le compte des Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale».

    Une jurisprudence qui ne correspond à aucun des faits de l'affaire Manning. Pour le gouvernement et l'armée, les fuites relèvent du sabotage et de la folie. Mais selon Manning, son geste visait à provoquer un débat public. Il avait de plus en plus de doutes sur la guerre et voulait révéler les exactions de l'armée américaine pour que l'opinion sache. Ou pour citer la déposition de Manning devant la cour, plus tôt cette année:

    «Mon sentiment, c'était que nous prenions trop de risques pour des gens peu disposés à coopérer avec nous, ce qui générait de la frustration et de l'amertume des deux côtés. La situation, dans laquelle nous nous embourbions davantage année après année, s'est mise à me déprimer. (…) J'ai aussi cru que l’analyse détaillée des données sur le long terme et réalisée par différents secteurs de la société pouvait permettre à celle-ci de réévaluer le besoin, voire l'envie, de s’engager dans des opérations de lutte contre le terrorisme ou contre l’insurrection, ignorant les dynamiques complexes des populations vivant au quotidien dans les régions concernées». Pour lire sa déclaration complète, c'est ici.  

    Pour justifier leur décision, les procureurs ont fait valoir que «les preuves montreront que l'accusé a sciemment donné des renseignements à l'ennemi». Les preuves, c'est que certains des documents révélés par Manning, une fois sur Internet, ont atteint Ben Laden et ont été retrouvés sur son ordinateur.

    En d'autres termes, en donnant des informations à WikiLeaks, Manning les donnaient aux terroristes. Il s'agit d'une interprétation scandaleusement trop large d'une loi rédigée à l'emporte-pièce. Elle compromet toutes sortes d'individus publiant des choses susceptibles de contrarier les intérêts américains en ternissant l’image des Etats-Unis à l'étranger.

    Ce que font tous les jours des journalistes, ce que font tous les jours des tas de gens sur les réseaux sociaux. On appelle cela la liberté d'expression. La plupart des critiques de l'Amérique n'ont pas accès au genre de données nuisibles que Manning avait en sa possession. Mais désormais, quand ils l'auront, ils devront craindre que leur publication soit l'équivalent juridique d'un cadeau aux terroristes.

    Comme le souligne Benkler, qu'importe que la plate-forme de publication soit WikiLeaks, le New York Times ou Twitter. Et cette théorie de collusion avec l'ennemi est «inédite dans l'histoire américaine contemporaine». Il nous faut remonter à la Guerre de Sécession et à une affaire où un officier de l'Union avait donné à un journal de Virginie une liste de camarades soldats pour trouver l'équivalent du cas Manning.

    Si Manning passe le restant de ses jours en prison pour un geste de défiance commis au début de sa vingtaine, cela sera du même acabit que ses conditions de détention préventive que, dans un énorme euphémisme, le juge estimait «excessives».

    Pendant neuf mois, dans une prison militaire, Manning était à l'isolement pendant 23 heures par jour. Il devait dormir nu, sans draps ni oreillers. Il n'avait aucun moyen de faire du sport. La version officielle, c'est qu'il présentait un risque suicidaire élevé, mais, encore une fois, cela ressemble bien davantage à de la vengeance. 

    Aujourd'hui, pas même Manning n'en appelle à sa libération. Son affaire ne relève pas de la culpabilité ou de l'innocence, mais de la proportionnalité. En choisissant la démesure, le gouvernement et le tribunal risquent d'aller trop loin et vers un endroit trop sombre. La voie juridique est bien assez large pour punir Manning sans avoir à effectuer ce genre d'embardée. Et les raisons de s'en passer sont, aussi, bien plus que suffisantes.  

    Emily Bazelon 

  • Ce geste répugnant n'est pas si rare que cela...

    Depuis quand lance-t-on des excréments en signe de protestation?

     

    Un manifestant antimondialisation lance un seau de déjections humaines sur des policiers à Cancun, au Mexique, pendant une rencontre de l'OMC le 13 septembre 2003. REUTERS/Daniel Aguilar

    - Un manifestant antimondialisation lance un seau de déjections humaines sur des policiers à Cancun, au Mexique, pendant une rencontre de l'OMC le 13 septembre 2003. REUTERS/Daniel Aguilar -

    Mark Cavendish a été victime lors de la 11e étape du Tour de France d’un jet d’urine venant de supporters mécontents du supposé coup d’épaule que le sprinteur britannique aurait donné la veille au Néerlandais Tom Veelers, qui avait chuté dans le sprint final. L’épisode n’est pas sans rappeler un autre incident survenu quelques jours plus tôt dans des circonstances bien différentes, quand la présentatrice de TF1 Claire Chazal s’est fait renverser un seau d’excréments dessus alors qu’elle conduisait sa voiture avec la vitre ouverte, sans que l’on connaisse pour le moment les motivations de son agresseur.

    Depuis quand lance-t-on des déjections corporelles sur des gens, et pourquoi?

     
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    Personne ne connaît la période exacte à laquelle le lancer d’excrément est apparu, mais il s’agit d’une pratique répandue qui ne se limite pas à un espace géographique en particulier, le plus souvent en signe de protestation ou pour humilier quelqu’un.

    Dans l'Antiquité déjà, les selles représentaient l’une des choses les plus sales et humiliantes qu’il soit. Dans l’Ancien Testament, Dieu ordonne au prophète Ezéchiel de faire manger aux Israélites des gâteaux d’orge cuits avec des excréments humains, tandis que le Talmud parle de faire bouillir dans des excréments l’esprit de ceux qui veulent du mal à Israël pour les humilier. Dans la Divine Comédie de Dante, les flatteurs se retrouvent en enfer dans une fosse remplie d’excréments.

    Aujourd’hui, les excréments et l’urine sont utilisés dans certainesméthodes de torture. L’une des photos de la tristement célèbre prison d’Abou Ghraib, où des soldats américains ont multiplié les actes de torture et d’humiliation pendant la guerre en Irak, montre un prisonnier enduit de fèces.

    Geste de protestation politique

    Le lancer d’excréments est parfois utilisé comme un geste de protestation politique. Dans quasiment toutes les sociétés humaines, la saleté est une offense contre l'ordre social. Lancer des selles prend alors toute sa signification contestataire. En 2008, lors de la Convention nationale du Parti démocrate à Denver, les autorités avaient voté une loi interdisant les manifestants à porter des seaux remplis de fèces pour prévenir d’éventuels lancers de selles.

    Plus récemment, un membre du mouvement Occupy Wall Street a été photographié à New York en train de déféquer sur une voiture de police, tandis que la ville de Chicago a équipé en 2012 ses policiers anti-émeute de visières pour se protéger des éventuels jets d’urine et de matière fécale des manifestants contre le sommet du G8 qui s’est tenu dans la ville.

    La manifestation scatologique n’est pas l’apanage des Américains. En juin, plusieurs personnes ont été arrêtées en possession de sacs d’excréments en marge d’une manifestation contre le manque d’installations sanitaires dans la ville sud-africaine de Cape Town, ce qui n’avait pas empêché plusieurs sacs de fèces d’être déversés dans des bureaux d’élus locaux.

    La présidente de la province du Cap-Occidental avait été aspergée de la même matière une semaine plus tôt lors d’une visite dans les quartiers pauvres de la ville. Les habitants des townships protestaient ainsi contre les toilettes collectives en extérieur insalubres dont beaucoup doivent se contenter.

    Du côté de l’Asie, un Sud-Coréen a été interpellé l’année dernière après avoir lancé des excréments humains sur l'ambassade du Japonpour protester contre la revendication territoriale de Tokyo sur des îlots sud-coréens dans la mer de l'Est.

    Pulsions

    Dans d’autres cas, les lancers de défécations ou d’urine n’ont absolument aucun but politique, et semblent plutôt répondre des pulsions irrépressibles. En 2011, trois supporters du FC Cologne ont été interdits de stade dans toute l’Allemagne pour trois ans, la peine maximale dans leur cas, pour avoir lancé des gobelets remplis de fèces et d’urine dans les tribunes. Au Japon, un ouvrier qui s’était rendu de lui-même à la police parce qu’il avait jeté ses selles sur des passantes en circulant à moto a expliqué son geste par le fait que son travail le stressait trop.

    Si l’origine de la pratique chez l’homme n’est pas claire, nous partageons cette tendance à jeter nos excréments sur nos semblables avec le chimpanzé, qui est un véritable habitué du lancer de fèces. Des scientifiques sont même arrivés à la conclusion qu’il s’agissait d’unsigne d’intelligence chez notre cousin éloigné.