Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Maroc : Adoptions


Le ministre de la Justice, Mustafa Ramid, a interdit l’adoption aux couples qui vivent à l’étranger. Argument : il y aurait un risque de changement de religion. Mais est-ce bien raisonnable ?

 

Au moment où vous lisez ces lignes, quatre-vingts enfants orphelins ne sont plus sûrs d’avoir une famille. Pourtant, les démarches administratives étaient bouclées par les familles étrangères, en majorité espagnoles, mais aussi françaises, belges et mêmes australiennes, qui désirent les adopter.

Tout était fin prêt jusqu’à ce qu’une circulaire s’en mêle… Le 19 septembre, le ministre de la Justice et des Libertés, Mustafa Ramid, a adressé aux procureurs des différents tribunaux une note administrative (N°40 S/2). Une note qui opère un changement radical dans les procédures d’adoption. Elle interdit dorénavant aux personnes non résidentes au Maroc le droit à la kafala, soit la prise en charge de l’enfant sans être une adoption au sens strict du terme (la seule méthode d’adoption compatible avec l’islam et permise au Maroc). La décision concerne aussi bien les familles étrangères que les couples de Marocains résidant à l’étranger.

Depuis la publication de l’information, la polémique a fait boule de neige. Le Parlement s’en est emparé, suscitant un nouveau couac au sein de la majorité entre le PJD et le PPS. La députée PPS et ancienne ministre de la famille, Nouzha Skalli, s’est publiquement opposée à la décision de la majorité, appelant à l’annulation de la circulaire lors de la séance des questions orales au Parlement le 7 novembre.

Une réaction qui fait écho à l’indignation de la société civile qui s’est constituée en collectif, le « Collectif Kafala », regroupant six associations parmi les principales œuvrant dans le domaine de l’enfance (SOS Villages d’Enfants, l’Association Bébés du Maroc, la Fondation Rita Zniber, l’Association Dar Atfal Al Wafae,  l’Association Osraty et l’association Amis des Enfants).

Si cette circulaire ministérielle suscite autant d’émoi, c’est parce qu’elle a de lourdes conséquences sur l’avenir des petits orphelins marocains. « Près de 50% des kafalas étaient jusque-là accordées aux étrangers et aux MRE », observe Béatrice Beloubad, directrice du bureau national de SOS Villages d’Enfants et membre du « Collectif Kafala ».

 

Contrôle religieux

Selon une étude menée par la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance, une instance officielle, près de 6 000 enfants sont abandonnés chaque année au Maroc. L’association Insaf estime, quant à elle, à 8 000 le nombre d’enfants abandonnés. L’initiative de Ramid devrait donc priver de l’adoption entre 3 000 et 4 000 enfants chaque année.

Au-delà du grand nombre d’enfants concernés, Mustafa Ramid a cru devoir justifier sa décision, selon Akhbar Al Youm, en évoquant un argument de poids : le risque de voir, si ces enfants étaient ainsi adoptés, « entre 20 000 et 30 000  conversions au christianisme sur une vingtaine d’années ». Interrogé par Nouzha Skalli, le ministre a défendu sa circulaire, arguant qu’elle avait reçu l’aval du chef du gouvernement et l’a motivée par « la difficulté dans le contrôle de l’éducation religieuse des enfants marocains une fois qu’ils ont quitté le Royaume ».

 

Il y a plus urgent

Il y a bien eu, si l’on en croit les autorités, des tentatives de conversion « d’enfants musulmans » par des « missionnaires évangélistes ». La plus importante remonte à mars 2010. Le Maroc avait expulsé seize encadrants du « Village of Hope », un orphelinat situé à Aïn Leuh. Mais ces conversions supposées n’ont jamais été prouvées devant un tribunal. Or, pour les associations, la position du ministre confine à une position idéologique qui ne prend pas en compte « l’intérêt suprême de l’enfant ».

« Il n’y a eu qu’un seul cas de conversion rapporté dernièrement au ministre. On ne peut pas à partir d’un cas isolé prendre une telle décision », s’insurge la députée PPS Aïcha El Korch. Elle demande qu’il  y ait d’abord une véritable enquête sur la famille qui va accueillir l’enfant, que les parents adoptifs vivent au Maroc ou à l’étranger. « Le ministre devrait se soucier d’abord des cas de pédophilie au sein du Royaume », poursuit-elle.

Béatrice Beloubad abonde dans le même sens et explique, qu’au moins, et contrairement à ce qui se passe au Maroc, une enquête rigoureuse est opérée par les autorités du pays étranger qui accueille les enfants kafil. « Les MRE et étrangers sont aussi pratiquement les seuls qui adoptent des enfants handicapés », remarque-t-elle en se fondant sur son expérience à la tête de SOS Villages d’Enfants.

 

Enquête sociale

Cela étant, tout le monde ne réfute pas les arguments de Mustafa Ramid. Zohra Fourat, juge des mineurs et ex-cadre associatif dans le domaine de l’enfance, soutient la circulaire. Elle estime que la difficulté du contrôle de la kafala accordée aux étrangers est une réalité.

« Certains MRE adoptent des enfants uniquement pour bénéficier d’allocations chômage et d’avantages sociaux dans les pays d’accueil. Et, en règle générale, il est impossible de contrôler dans quelles conditions est élevé l’enfant », explique-t-elle. Mais la magistrate reconnaît qu’il y a plus urgent. Notamment la mise en place d’une « enquête sociale » avant l’accord de kafala. Une procédure… qui n’est toujours pas juridiquement obligatoire au Maroc, remarque-t-elle !

 

Corruption et discrimination

Pire, les enfants orphelins subissent la discrimination avant leur adoption. « Des parents veulent des enfants blonds, aux yeux verts. Ils préfèrent les filles, car ils pensent qu’elles sont faciles à élever. Ils ne veulent pas de bébés, car ils n’ont pas envie de changer de couches, etc. Tout cela et l’absence d’enquête en bonne et due forme favorise la corruption et la discrimination », assène la magistrate.

Le « Collectif Kafala » publie, lui, un chiffre qui fait froid dans le dos : 80% des enfants qui restent dans les orphelinats deviennent des délinquants et 10 % d’entre eux se suicident. Pour l’heure, la circulaire est en vigueur mais le CNDH (Conseil national des droits de l’homme) s’est mobilisé pour écouter les associations et transmettre leurs griefs. La priorité : sauver les quatre-vingts orphelins et, à terme, annuler la circulaire.

Zakaria Choukrallah

Les commentaires sont fermés.