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Societe - Page 10

  • La « banlieue » selon M6

     

    par Vincent Bollenotle 11 mai 2015

    En cette période de bruit médiatique aux lendemains des attentats perpétrés contre Charlie Hebdo, mais aussi au moment où certaines thématiques favorites du Front national ont pignon sur rue, « Zone Interdite », magazine d’information et de reportage de M6, a décidé de consacrer, le 19 avril 2015, une heure et quarante minutes d’antenne aux « zones sensibles ». Une heure quarante de clichés qui n’ont pour effet que de perpétuer une image désastreuse de « la banlieue », proche semblerait-il de la réserve de bêtes sauvages. Ce traitement médiatique biaisé de leurs quartiers a provoqué la résistance des habitants.

    Enquête en « zone interdite »

    Le ton du reportage diffusé sur M6 est donné dès l’introduction, en moins de deux minutes. Sur fond de musique angoissante, sont montrés de jeunes hommes trafiquant de la drogue, des parents convertis à l’islam faisant prier leurs enfants, ou encore un adolescent armé d’un revolver.

    La présentatrice donne ensuite le « La » politique de l’émission :

    Il y a trois mois, après les attentats à Paris, Manuel Valls a employé des mots très forts pour décrire la France d’aujourd’hui : un pays divisé par l’ « apartheid ». Une partie de la population serait mise à l’écart sans possibilité de s’intégrer. (…) Si certains habitants jouent la carte de l’intégration [on voit l’image d’un homme noir en costard], d’autres au contraire s’enferment dans leur communauté ethnique ou religieuse [on voit une femme noire qui danse en boubou]. Dans ces ghettos, une constante apparait : l’absence des pères. Sans modèle, sans autorité, certains jeunes dérivent, et jusqu’au pire. Quartiers sensibles, le vrai visage des nouveaux ghettos.

    Il ne faudra donc pas s’attendre à une analyse politique et sociale des « quartiers sensibles » puisque cette mise en bouche annonce un plat amer : la distribution de bons et de mauvais points symboliques entre ceux qui « jouent la carte de l’intégration », et les autres qui« s’enferment dans leur communauté ethnique ou religieuse  ». Les mots « communauté » et « communautarisme » seront d’ailleurs prononcés pas moins de douze fois en 1 h 40 ! Car il va de soi, suppose insidieusement l’émission, que seuls les étrangers ou les « immigrés de xième génération » (paradoxal statut symbolique) se tournent vers leur « communauté ». Et cela ne fait pas de doute que l’ « enfermement » dans une communauté relève d’un choix individuel, et ne répond pas à des assignations sociales… et médiatiques !

     

    « Repli communautaire »

    Le reportage commence à Roubaix, où l’on apprend que « les habitants des quartiers se sentent discriminés » et qu’« à Roubaix, le repli communautaire semble être devenu une solution face aux problèmes d’emploi et de misère. Ce repli est tel que certains habitants se convertissent à l’islam ». Un peu plus loin on apprend qu’en s’éloignant du centre ville, « les commerces communautaires se multiplient », puis un propriétaire de boucherie halal fait faire au reporter le tour des commerces « communautaires » du quartier.

    Imaginons un instant les déclinaisons possibles de cette brillante manière de voir les choses : « multiplication des bistros français à New York, le "vivre ensemble" américain menacé » ; ou encore :« ouverture de dizaines de crêperies rue de Brest : la communauté bretonne met en danger la République ». Un habitant interviewé se défend donc : « C’est la société qui nous pousse au communautarisme, ce n’est pas nous qui le voulons, c’est la société qui nous pousse à ça ». Pas très difficile de deviner la question à laquelle il répond… Ne lâchant pas son leitmotiv, la voix off affirme une minute plus tard que « le marché est aussi un endroit où les communautés s’affichent. Depuis peu, certains articles religieux ont pris place sur les présentoirs, comme ces voiles musulmans à dix euros. »

    Après quelques minutes consacrées à filmer des jeunes récoltant des fonds pour la construction d’une mosquée, on retrouve la thématique favorite de « Zone Interdite » : « À Roubaix et dans la métropole Lilloise, l’appartenance religieuse a pris une place importante dans certains quartiers. Cette affirmation communautaire séduit de plus en plus d’habitants qui se convertissent à l’islam. » Viennent alors huit minutes consacrées à une famille convertie à l’islam.

    En définitive, sur 28 minutes accordées à Roubaix, si l’on ne prend pas en compte toutes les autres (et nombreuses) invocations de la religion parsemant le reportage, c’est plus d’un quart de l’enquête qui est consacré à l’islam. Ce rôle central accordé à la religion dès le début d’un reportage portant, rappelons-le, sur les « quartiers sensibles » et non sur la religion, n’est évidemment pas anodin. L’espace médiatique est ainsi occupé par la religion, perçue comme un « problème », plutôt que d’être centré autour du chômage, des services publics, des associations, de l’exclusion scolaire, des discriminations raciales, etc. Et pourtant, une critique des médias est distillée par l’une des musulmanes interrogées qui, tendant un numéro de Valeurs Actuelles (flouté), dénonce l’image des musulmans véhiculée par certains médias.

    On retrouve notre thématique un peu plus loin, dans une partie consacrée aux trafics de drogue (au lieu de le consacrer à un autre aspect de la vie quotidienne et sociale des gens « des quartiers »). Après avoir donné brièvement (puis repris précipitamment) la parole aux « jeunes », qui ont l’honneur d’être sous-titrés, tels des étrangers, alors qu’ils parlent un français tout à fait compréhensible, la voix-off nous renseigne ainsi : « Pourtant, il y a des opportunités à Evreux, mais les rares cas de réussite sont communautaires. »Puis, quelques secondes plus tard : « Le pouvoir politique ne semble pas avoir pris en compte la montée du communautarisme que l’on constate aujourd’hui dans les quartiers. »

    Plus loin, aux Mureaux, on nous martèle que les familles les plus pauvres, restées dans un quartier promis à la destruction faute de solution de relogement, « se sont repliées sur elles mêmes », que les gens y « vivent presque exclusivement entre eux ». Les questions posées à une femme noire portent à nouveau sur son appartenance, comme l’indique sa réponse : « On vit en communauté, il y a la communauté africaine […] il y a la solidarité. […] Ce n’est pas notre choix, on nous a obligés à faire ça. » À nouveau, ces « communautaristes » noirs sont sous-titrés…

     

    « Absence du père »

    Vient ensuite le (long) chapitre de psychologie de bas étage. Les problèmes des « quartiers sensibles » seraient en (grande) partie dus à l’absence généralisée de père. Sans statistiques à l’appui [1], on apprend ainsi que « dans les quartiers, de nombreux pères n’assument pas leur rôle de parent. La figure d’autorité à la maison c’est alors bien souvent la mère. […] Quel est l’impact d’absence de père sur ces enfants ? Comment se construisent-ils sans cette autorité ? » Peu avant, on entendait que le « père attentif, [est en banlieue] un exemple trop rare ». En plus du sous-entendu sexiste voire homophobe de tels propos, cette analyse n’est à nouveau politiquement pas anodine. Elle laisse à penser que les problèmes de banlieue ne sont pas avant tout politiques et économiques mais d’ordre psychologique et trouvent leurs causes dans la « perte de repères » familiaux.

    À Marseille, le mépris de classe pour ces parents des milieux populaires qui, décidément, ne savent pas éduquer leurs enfants, n’est pas plus dissimulé : « Il est 18 h 30, les jeunes trainent, les parents, eux, sont invisibles ». Les parents sont même accusés de« ferm[er] les yeux » sur le trafic de drogue. Enfin le journaliste explique que derrière les jeunes, « il y a des parents, des parents qu’il faut écouter, comprendre, mais aussi parfois rappeler à l’ordre ». Puis il déplore qu’au stage de responsabilité parentale assigné par la justice auquel il a l’occasion d’assister, sur 22 familles convoquées, seules 10 soient venues, représentées par les seules mères. Le registre est le même dans la question s’adressant à une femme de Bobigny : « Cinq enfants, ça peut paraitre beaucoup de nos jours, surtout pour quelqu’un qui ne travaille pas, t’as jamais pensé à prendre la pilule ? » Puis, face à une organisation de sa vie qui visiblement le dépasse complètement, le journaliste demande :« Est-ce que les cinq enfants étaient désirés ? » La violence de l’interrogatoire se passe de commentaire. De même que cette ultime allégation après un passage sur un jeune délinquant : « Un père absent, une mère qui baisse les bras, Loan n’a personne à admirer. »

    Ainsi, après la stigmatisation du « communautarisme », ce sont les mauvais parents, ces pères et ces mères des classes populaires incapables d’élever leurs enfants, qui sont pointés du doigt et vus comme les causes des problèmes des banlieues.

    Comme si le reportage n’avais pas été assez explicite, la présentatrice conclut, après ces 1 h 40 d’images insolites : « On vient de voir la dérive de ces jeunes, sans pères, sans repères, sans horizon. Alors que faire pour enrayer la violence et le repli communautaire ? »

     

    La résistance des habitants contre M6

    Ce genre de reportage est constitué de véritables attaques symboliques contre les quartiers populaires. Non parce qu’ils traitent d’aspects de la vie qui posent problème dans ces lieux (drogue, délinquance…), mais parce que sous prétexte de parler des quartiers populaires, ils ne traitent que de (certains de) leurs problèmes, qui plus est avec un ton paternaliste.

    Face à cela, les habitantes et les habitants des quartiers filmés ont réagi : les Jeunes Communistes des villes de Bobigny et Drancy ont déposé plainte, lundi 20 avril 2015, auprès du procureur du TGI de Bobigny. Par ailleurs, le « fixeur », employé par les journalistes pour entrer dans les quartiers vus dans le reportage, a lui aussi décidé de porter plainte [2]. Des habitants d’Evreux ont quant à eux pris l’initiative d’une pétition pour demander des excuses à M6. Des articles publiés sur Internet ont aussi critiqué l’émission (voir surRue89 ou sur le Huffington Post, entre autres).

    Accusée sur de nombreux fronts d’avoir pris de nombreuses libertés avec la réalité, la direction de M6 s’est défendue avec élégance : « Le magazine a fait son travail en montrant la vérité et si la vérité dérange, ce n’est pas de notre faute ». De deux choses l’une : soit elle n’assume pas et couvre un magazine racoleur censé apporter de l’audimat, soit, plus probablement, elle pense que ce qui est montré dans son reportage est « la vérité ». C’est dire alors la vision des quartiers populaires qui domine dans cette rédaction.

    Vincent Bollenot

    Notes

    [1] On apprendra seulement vers la fin qu’à Bobigny « officiellement » une famille sur cinq (donc 20 %) est monoparentale, mais que « officieusement », ce serait beaucoup plus (sans qu’aucune source ne soit citée). Pour information : en France, 22 % des familles avec enfants sont monoparentales.

    [2] Les « fixeurs » sont employés par les journalistes en terrain de guerre et… en banlieue. Ils aident les journalistes à trouver des repères dans un terrain dans lequel ils n’ont jamais mis les pieds, n’étant pour leur immense majorité pas issus des quartiers populaires.

  • Les musulmans français face à la méfiance

     

    Publié le 12 mai 2015 dans Nation et immigrationReligion

    Face au terrorisme et au djihadisme, que penser des réactions des musulmans français ?

    Par Yves Montenay

    Musulman - Hernán Piñera (CC BY-SA 2.0)

     

     

    Face au terrorisme et au djihadisme qui touchent maintenant la France, et à la méfiance qui en découle, quelles sont les réactions et les analyses politico-sociales des musulmans européens ?  Et leurs idées personnelles et religieuses ? Voici le premier volet d’une série de deux articles.

    Socialement, les musulmans occidentaux sentent grandir une méfiance à leur égard. Et souvent bien plus qu’une méfiance. En tant que rédacteur de la lettre « Échos du monde musulman », je me trouve embarqué dans des débats où s’étale une hostilité due à une ignorance reflétant parfois le racisme le plus cru. Avec beaucoup d’autres, je fais de mon mieux pour réduire cette ignorance. Mais il y a souvent un blocage intellectuel total.

    Les musulmans occidentaux attribuent cette méfiance aux médias, en constatant qu’on les présente comme violents, délinquants, et maintenant djihadistes. Les islamophobes insistent par exemple sur le fait que la majorité des détenus dans les prisons françaises sont musulmans, ce qui est exact, mais ces détenus ne représentent que moins de 1% de la population musulmane française. Voir sur ce sujet l’étude de Farhad Khosrokhavar sur « Les prisonniers musulmans en France ».

    On y voit notamment que cette forte proportion de musulmans chez les détenus vaut non seulement pour la France, mais également pour l’Europe, et n’est valable que pour les hommes et non pour les femmes. Bref s’il y a un réel problème, dont on discutera les causes à l’infini (culturelles ? sociales ?), il reste néanmoins qu’il ne concerne pas 99% de la population musulmane française.

    Cette méfiance est bien sûr ressentie comme une injustice par les musulmans occidentaux, d’autant qu’elle accroît les discriminations à l’embauche, ce qui nourrit un cercle vicieux d’assistanat, d’humiliation, et, maintenant, de disponibilité envers les arguments des salafistes et djihadistes. C’est donc une catastrophe nationale.

    Les réactions à la méfiance

    En gros, il y a eu trois périodes.

    – Dans un premier temps, les musulmans français constataient un racisme banal, mais minoritaire, notamment alimenté par l’amertume des Pieds-Noirs, et les réactions étaient inexistantes, ou demandaient une meilleure intégration.

    – Une deuxième période commence en 2001 avec l’attentat contre le World Trade Center de New York, la multiplication des attentats en Occident ensuite, et maintenant les tueries de l’État islamique. Ce sont alors multipliés des discours du genre « les musulmans modérés sont sympathisants ou complices des terroristes, puisqu’ils ne manifestent pas leur réprobation ». Il suffisait pourtant d’aller dans leurs réseaux sociaux et de lire leurs interventions publiques pour constater cette réprobation.

    Ces accusations de complicité ont été contre-productives : « Pourquoi nous, musulmans occidentaux, devrions-nous nous sentir coupables parce que des fous furieux massacrent à 5000 km d’ici en se proclamant musulmans ? Les chrétiens, les juifs ou les hindous descendent-ils dans la rue lorsqu’un autre chrétien, juif ou hindou commet un attentat dans un pays lointain ? »  D’où le slogan qui a fait rapidement le tour de la planète : « Nous n’avons pas à nous excuser d’être musulmans ».

    – Nous entrons maintenant dans une troisième époque, après notamment l’attentat contre Charlie Hebdo : ce n’est plus à 5000 km, mais ici, en France, que les attentats ont lieu, tandis que de jeunes musulmans, dont 22% de fraîchement convertis, rejoignent en Syrie les rangs de l’EI.

    Cela fait évoluer les réflexions de nombreux musulmans, comme nous le verrons dans le deuxième article, mais en attendant, l’incompréhension est plus vive que jamais.

    Deux exemples d’incompréhension

    Un sondage, mondial et très remarqué, montre que la grande majorité des musulmans est favorable à la charia. Voilà une preuve de leur barbarie disent les islamophobes. Ils oublient que le terme signifie en gros « le chemin qui mène à Dieu », ce qui en donne une idée positive, et qu’il a de plus une connotation identitaire (« c’est notre droit »).

    Les musulmans sondés n’imaginent pas pour autant une seconde d’en appliquer les brimades et les violences, ce qu’ils ne font plus depuis des siècles, voire n’ont jamais fait. On remarque que c’est dans les pays occidentaux, ou à proximité, que les musulmans sont moins favorables à la charia, probablement parce qu’ils ont l’expérience d’un autre droit et que pour eux il s’agit d’une question concrète et pas seulement de réagir à un mot.

    De même, mais en sens inverse, pour « laïcité ». Elle était plébiscitée par les sondages auprès de musulmans français parce qu’ils y voyaient la liberté d’être musulman dans un État considéré comme chrétien. Elle est moins bien vue depuis qu’ils se voient apostropher au nom de cette laïcité. Les musulmans qui ignorent l’histoire de France pensent même qu’il s’agit d’une « invention » récente mise en place pour s’attaquer à eux. C’est un beau gâchis !

    Bref les sondages sont rares, et les questions et réponses ne sont pas comprises de la même façon par les sondeurs et les sondés.

    L’évolution des réflexions

    Une autre idée répandue est que les musulmans ne distinguent pas entre politique et religion. Non seulement l’islam n’a pas l’équivalent de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », mais Mahomet, contrairement à Jésus, n’était pas seulement prophète, mais aussi chef d’État et chef de guerre. Certes, mais c’est donner aux textes plus d’importance qu’ils n’en ont : l’histoire nous montre que, contrairement à ces textes, l’Église catholique et les églises protestantes ont longtemps joué un rôle politique en Occident, alors que dans les pays musulmans, le palais a souvent ignoré ou combattu la mosquée et réciproquement.

    Dans ce domaine, les islamistes sont en train de nous rendre un immense service : leur passage au pouvoir a fait comprendre à la masse des musulmans du Nord comme du Sud qu’il ne fallait surtout pas mélanger politique et religion, et les islamistes ont été écartés du pouvoir (Tunisie, Égypte), ou ne se maintiennent que par la force (Iran).

    Sur le plan géopolitique, la réaction est moins nette, car le rejet de l’État islamique et la peur qu’il inspire sont partiellement compensés par la réaction anti-israélienne, qui vire souvent à l’antisémitisme. Or les États-Unis sont à la fois de proches alliés d’Israël et à la tête de la coalition contre l’EI, ce qui amène certains musulmans, arabes surtout, à se féliciter des victoires de l’EI. Reste le plan personnel et les convictions religieuses. C’est un vaste sujet que je traiterai dans une prochaine tribune.

    Vous remarquerez que je parle des musulmans et non de l’islam, car ce qui compte est ce que pensent et font des individus concrets. Une autre raison est d’éviter de tomber dans le même piège que les islamophobes. Ces derniers, en répétant sur Internet « nous sommes en guerre contre l’islam » font le jeu des terroristes qui clament « venez nous rejoindre, car l’Occident est en guerre contre notre religion ». Les djihadistes, qui sont quelques dizaines de milliers, rêvent ainsi d’enrôler tous les musulmans, soit plus d’un milliard et demi de personnes. Ne les aidons pas !

  • A corps et à cris, cinq fessées érotiques: "Un grand huit émotionnel et excitant"

    Des récits bien écrits et évocateurs dans lesquels il manquerait parfois un peu plus de sens.

    Dominique Leroy e-book

     

    Malgré une couverture discutable, le recueil de nouvelles apporte de nouveaux regards, tous plus émoustillants les uns que les autres, sur la pratique parfois taboue de la fessée. Silenus l'a dévoré, voici ses impressions.

    Camille, qui tient la boutique de Sexpress, a lancé le club de lecture Sexpress. Une idée sympathique à laquelle j'ai postulé sans trop hésiter. J'ai ensuite été dirigé par mail vers ChocolatCannelle, directrice de la collection e-ros des Editions Dominique Leroy, qui avait pour moi plusieurs propositions d'e-books à découvrir. Merci Camille! 

    La fessée à grand bruit

    J'ai choisi le recueil A corps et à cris, cinq fessées érotiques et accepté de livrer mes impressions. En quelques coups de doigts, les précieux bits se sont retrouvés dans mon smartphone et j'ai pu les faire glisser pour lire tout cela en toute impunité dans le métro. 

    Ah, la fessée... Tour à tour menace, jeu, punition, encouragement, comme la lune qu'elle vise, elle revêt divers apparats. Membre de droit de l'arsenal érotique avec un rapport de domination ou au moins d'autorité, qu'elle soit pratiquée avec ou sans instrument, la fessée est une paraphilie répandue que l'on confesse discrètement ou que l'on évoque par allusions comme Jean-Jacques Rousseau

    J'ai lu avec un appétit certain ce recueil, qui présente les nouvelles de cinq auteurs aux parcours et aux styles très différents. Je passerai sur la couverture, que je trouve discutable, pour aller directement aux textes. 

    Cinq manières de se faire fesser

    Dans L'amour badine, Karine Géhin nous emmène sur les chemins de la complicité érotique. La fessée est alors un jeu d'adultes frais et printanier, comme un exercice physique sain et vivifiant, comme le vent frais qui fouette le sang des sportifs matinaux en hiver. 

    Désie Filidor fait grimper la tension érotique d'un cran dans Electrodynamique quantique sous haute tension. Le jeu jubilatoire entre collègues est fait de provocations et de claques bien senties sur le fessier pour mieux attendrir les chairs, comme un boucher amoureux préparerait en souriant une escalope viennoise avant de la passer au feu. 

    Le Pensionnat de Gilles Milo-Vacéri présente la fessée punition dans un univers clos, où les jeunes garçons pubères cèdent discrètement aux tentations de la chair dans la crainte que la surveillante, matrone autoritaire et castratrice, les surprenne et les punisse physiquement. Mais comme l'auteur, expérimenté, le suggère dans sa punchline osée, il y a des punitions qui ont un fort goût de récompense... 

    Stéphane Lourmel est un esthète sensuel et cela se traduit clairement dans les impressions que laisse sa prose dans 88-89. Son histoire aux sports d'hiver exhale comme un parfum de nostalgie et d'ailleurs, avec une délicatesse dans les détails qui ferait presque oublier que sa Clara avait un cul sublime. 

    Danny Tyran avec Bonne fille apporte une touche de modernité et replace la fessée dans le cadre du couple bien installé. Pensées masturbatoires honteuses, jardin privé et partage d'expériences sur les forums en ligne amènent à une correction bien sentie et sans doute recherchée. On est clairement dans la "discipline domestique" codifiée voire internalisée et tacite, au point que la fin elliptique sonne comme une évidence. 

    Un traitement érotique réussi

    Lu d'une traite, l'ensemble m'a donné l'impression que c'était inégal, au sens où l'on navigue entre différents états sur des textes courts et percutants, comme une sorte de grand-huit émotionnel. Il aurait peut-être été préférable de les picorer au hasard, sans chercher à les enchaîner. La courte présentation de l'auteur éclaire chaque nouvelle, mais réserve parfois quelques surprises, c'est pourquoi je conseille de prendre le temps de la lire à chaque fois. 

    Le traitement érotique est réussi et on évite les périphrases parfois trop "cuculs" de certaines bluettes trop guimauve. Au final, j'ai été parfois transporté, parfois amusé, un peu émoustillé, et même un peu excité par ces évocations. J'ai un peu regretté que les conséquences de ces fessiers maltraités soient passées sous silence, de la posture assise douloureuse aux bruits que voisins ou témoins involontaires pourraient surprendre et interpréter. 

    J'aurais aimé que soient davantage racontés les sens, l'odeur de la peau battue, les sons produits, les phases de la lune. La fessée n'est pas encapsulée dans une intimité confortable, dans un lieu clos ou isolé. Mais je crois que je vais prendre le temps de découvrir un peu plus quelques auteurs de ce recueil, en particulier Stéphane Lourmel et Gilles Milo-Vacéri.

  • Mourir pour des dessins

     

    mercredi 14 janvier 2015, par Alain Garrigou

    Douze personnes ont été assassinées le 7 janvier 2015 dans l’attaque du journal Charlie Hebdo. Dans les guerres comme dans les attentats, chaque fois que la violence humaine tue volontairement, la question resurgit : pourquoi meurent-ils ? Il en va ainsi depuis que l’on ne peut demander de sacrifices sans leur donner du sens, comme dans les grands conflits depuis la guerre du Péloponnèse jusqu’aux guerres mondiales, et que la sensibilité exige que l’on ne puisse plus se résoudre à des morts pour rien. Les douze personnes prennent place dans la longue série de l’héroïsme civique, tel qu’il s’est construit au 19e siècle dans les révolutions et les luttes pour la démocratie. Comme un irrémédiable scénario tragique de l’histoire, on en retrouve tous les éléments avec d’abord les morts qui se savaient menacés, les collaborateurs de Charlie Hebdo, mais aussi indirectement ceux qui ont perdu leur vie en protégeant les premiers comme les policiers. Il est bien clair que dans la rédaction collectivement visée, à en croire la revendication des tueurs – « On a tué Charlie Hebdo » –, les dessinateurs de presse étaient davantage visés car les dessins parlent un langage universel. Ces hommes et femmes étaient engagés dans une cause dont ils savaient les risques. Ils en payaient les coûts ordinaires de la peur pour soi et les proches, manifestant ainsi un courage physique de longue haleine. Ils ont eu aussi des mots sublimes qui sont à la fois la prémonition et le sens du sacrifice. S’agissant des humoristes de Charlie Hebdo, on n’a que l’embarras du choix. Au XIXe siècle était restée célèbre cette phrase du député Alphonse Baudin, avant qu’il meure sur la barricade le 3 décembre 1851, par laquelle il répliquait à ceux qui lui rappelaient qu’il était bien payé comme parlementaire : « vous allez voir comment on meurt pour 25 francs ».

    Le dernier dessin de Charb

    Cela lui valut l’admiration, comme devrait la susciter le dernier dessin de Charb, directeur de publication de Charlie Hebdo, s’étonnant qu’il n’y ait pas eu d’attentat en France en ce début d’année 2015, un islamiste répondant que pour les vœux, « il avait jusqu’à la fin de janvier ». Le lendemain intervenait la « belle mort » selon les termes qu’on employait aussi au XIXe siècle et qu’on hésite aujourd’hui à employer tant la mort est devenue taboue. Peut-être certaines personnes assassinées n’auraient-elles d’ailleurs pas récusé cette belle mort tant leurs visions ont été pétries d’héroïsme civique.

    On a évidemment remarqué que la revendication d’héroïsme s’était immédiatement exprimée chez les assassins. Quel héroïsme y a-t-il à tuer avec des fusils d’assaut des professionnels de la plume hostiles à la violence ? On aurait tort de succomber aux faiblesses du relativisme. L’héroïsme des djihadistes s’ancre aussi dans l’histoire, mêlant à celui des guerriers le martyre religieux. Or plutôt que de renvoyer dos à dos toutes ces revendications, il faut remarquer que l’héroïsme civique s’est justement constitué contre les héros guerriers et religieux, les premiers rangés par Voltaire au rang de « saccageurs de province », les autres au rang de fanatiques. Les vrais héros, ont pensé les jansénistes puis les philosophes des Lumières, étaient les hommes se sacrifiant pour une juste cause. Ce sont aussi les assassins, les tortionnaires, qui les désignent comme tels. Charlie Hebdo, ce n’est pas faire injure aux victimes qui y ont participé indirectement ou autrement, se distingue par ses dessins et son humour. Les assassins ont ainsi montré ce qui les a dérangés : la caricature et l’humour. De quoi laisser humbles ceux qui ont la plume mais pas le trait pour exprimer les révoltes. De quoi rappeler chacun à ne pas s’abandonner à la colère méchante quand l’humour la soigne, la sert, avec tant d’efficacité. De quoi encourager ceux qui désespéraient de l’utilité de leurs combats de plume dans un monde dominé par le cynisme et le matérialisme.

    Dans cette époque de nihilisme européen qu’avait prophétisée Nietzsche, on s’étonnerait presque quand une société est ainsi ramenée à s’interroger sur ses valeurs. On ne boudera donc pas les paroles d’unanimité et d’union quand il s’agit de défendre la liberté. En même temps, on doit aux victimes et à la vérité d’exercer la raison, sans nécessairement se départir de l’émotion et, dans les luttes d’interprétation inévitables après les événements traumatiques, de poser rationnellement la question : pour quelle cause sont-ils morts ? La liberté d’expression bien sûr, mais en l’exerçant et non en brandissant l’étendard d’un mot abstrait. C’est-à-dire aussi, comme certains l’ont heureusement rappelé, mais comme beaucoup l’ont oublié dans leur unanimisme corporatif ou émotif, en dérangeant beaucoup de monde, à commencer par ceux-là mêmes qui se livrent aujourd’hui aux hommages. En la matière, on entre volontiers dans les morts comme dans un moulin, selon l’expression de Jean-Paul Sartre.

    Or, hommage du fanatisme à la vertu, les assassins ne se sont pas attaqués à n’importe qui. On pardonne à ceux qui, n’ayant pas eu le temps de comprendre, ont repris le refrain du « terrorisme aveugle » malgré l’évidence. Rien de moins aveugle que de s’en prendre à un journal satirique, de gauche comme on ne l’a guère entendu, unanimisme et corporatisme obligeant, et iconoclaste. Avec les anciens comme Cabu et Wolinski sont morts les figures d’une pensée critique ayant formé les esprits depuis les années 1960, et l’ayant entretenue avec leurs cadets en dignes continuateurs de « la pensée 68 », même si, comme souvent, certains s’étaient assagis. Tant mieux si les thuriféraires de la liberté d’expression qui n’avaient pas de mots assez durs pour les gens de Charlie Hebdo s’aperçoivent aujourd’hui que ces dessinateurs de presse et chroniqueurs étaient les meilleurs défenseurs de la liberté d’expression en s’en servant. Et puisque l’attaque de Charlie Hebdo relève de l’assassinat politique, autant que du terrorisme, il faut bien chercher pourquoi ce sont ces gens qui ont été assassinés et non d’autres. Car l’émotion suscitée le 7 janvier 2015 dans les salles de rédaction ne saurait faire oublier que la connivence, la pusillanimité et la soumission caractérisent plus l’ensemble des médias que l’insolence, l’impertinence, l’irrévérence de Charlie Hebdo. On ne saurait oublier que ce journal n’a pas exercé sa dérision seulement à l’égard de ses assassins djihadistes mais aussi à l’égard des autres religions qui lui ont intenté des procès, de tous les pouvoirs, des politiques, qui ne les aimaient guère, de l’orthodoxie libérale comme le faisait Bernard Maris, mais aussi des médias « sérieux ». Quelques commentateurs ont eu l’honnêteté de s’en souvenir.

    Le sacrifice de douze personnes n’aura pas été vain, comme on le disait immanquablement dans un temps où l’héroïsme était amplement célébré. Il nous aura déjà libéré de la fatigue morale et du cynisme mercantile en rappelant qu’en matière de liberté, on ne saurait se contenter d’être des héritiers, comme si tous les combats avaient été menés et gagnés. A l’évidence, il faut des drames pour prouver que la plume reste l’arme des combats contre l’obscurantisme, mais comme Charlie Hebdo le martelait au cours des semaines et des combats, il en est d’autres moins virulents mais peut-être pas moins dangereux. Il faut encore mourir pour des idées. Avec dérision et raison.

     

    Notes

    Cf. Alain Garrigou, Mourir pour des idées. La vie posthume d’Alphonse Baudin, Paris, Les Belles Lettres, 2011.

  • "Le sexe est maltraité par les médias"

    Aurélia Aurita

    En 2006, Fraise et chocolat, journal intime d'Aurélia Aurita, a fait l'effet d'une bombe érotique dans le 9e art. En haut, à dr., retour sur le point G avec Martin Veyron, en 2009, dans Blessure d'amour-propre. Ci-contre, Emmanuelle, de Guido Crepax. Après le livre et le film, la BD fit scandale, en 1978.

    Aurélia Aurita/impressions nouvelles

     

    Avec Fraise et chocolat, Aurélia Aurita a levé un tabou sur la représentation du sexe dans la BD. Explication.

    Qu'est-ce qui vous a incitée à écrire Fraise et chocolat ?

    Ma rencontre avec Frédéric Boilet a tout déclenché. J'ai simplement voulu retranscrire les émotions qui me traversaient. Je voulais lui dire, en BD, que je l'aimais. Au départ, c'était donc juste entre lui et moi. Ensuite, Frédéric m'a encouragée à continuer, à publier mes pages. Comme moi, il se demandait pourquoi ce sujet n'était jamais traité avec plus de simplicité. 

    Aviez-vous des modèles en tête ?

    J'ai été profondément marquée par L'Amant, de Marguerite Duras. Quand je l'ai lu, j'avais l'âge de l'héroïne, 16 ans. A la même époque, j'écoutais aussi Je t'aime... moi non plus. En bande dessinée, j'aime beaucoup le travail de Joe Matt. C'est notamment à lui que je fais référence, quand je parle des "kamikazes de l'autobiographie" dans Buzz-moi. Bien que je ne partage pas sa vision de la sexualité, je lui suis très reconnaissante d'avoir réussi à tirer de son expérience personnelle un récit universel. 

    Comment expliquerces "attaques" que vousrelatez dans Buzz-moi ?

    Le sexe est maltraité par les médias de masse. Il n'y a aucune imagination, on se contente d'endormir les gens avec les mêmes stéréotypes : le sexe comme objet de consommation, de scandale, de misogynie. L'hypocrisie avec laquelle on en parle m'insupporte ! Fraise et chocolat traite du bonheur, mais aussi de la jouissance et des orgasmes d'une femme amoureuse. Aujourd'hui, l'orgasme féminin est loin d'être un thème neutre. C'est même une revendication. Les lecteurs de BD et les critiques restent en grande majorité des hommes, et Frédéric et moi, nous doutions bien que mon livre en irriterait quelques-uns.

     

    Par Gilles Médioni, publié le 28/01/2010 à 08:12