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Societe - Page 7

  • Posséder ou partager ?

    Un amoncellement d’objets dormants et coûteux

     

    Et si l’usage ne correspondait pas nécessairement à la propriété ? Soucieuses d’en finir avec l’hyperconsommation d’objets qui ne servent que très rarement, confrontées à un pouvoir d’achat en berne, de nombreuses personnes s’organisent pour partager et troquer. Un mouvement en pleine expansion que les groupes privés ont vite détourné pour élargir le cercle… des acheteurs.

    par Martin Denoun et Geoffroy Valadon, octobre 2013

    « Au domicile de chacun d’entre nous, il existe à la fois un problème écologique et un potentiel économique. Nous avons dans nos foyers de nombreux biens que nous n’utilisons pas : la perceuse qui dort dans un placard et ne servira en moyenne que treize minutes dans sa vie, les DVD visionnés une ou deux fois qui s’entassent, l’appareil photo qui attrape la poussière plus que la lumière, mais aussi la voiture que nous utilisons en solitaire moins d’une heure par jour ou l’appartement vide tout l’été. La liste est longue. Et elle représente une somme impressionnante d’argent comme de déchets futurs. » Telle est, en substance, l’accroche des théoriciens de la consommation collaborative. Car, assène avec un grand sourire Rachel Botsman (1), l’une de leurs chefs de file, « vous avez besoin du trou, pas de la perceuse ; d’une projection, pas d’un DVD ; de déplacements, pas d’une voiture ! »…

    Jeremy Rifkin est celui qui a diagnostiqué cette transition d’un âge de la propriété vers un « âge de l’accès (2) » où la dimension symbolique des objets décroît au profit de leur dimension fonctionnelle : alors qu’une voiture était autrefois un élément de statut social qui en justifiait l’achat au-delà de son usage, les consommateurs se sont mis à louer leur véhicule.

    Aujourd’hui, c’est même leur propre automobile ou leur propre domicile que les jeunes proposent à la location. S’ils font ainsi le désespoir de nombreux industriels du transport ou de l’hôtellerie, d’autres y voient un détachement vis-à-vis des objets de consommation porteur d’espoir. Les plates-formes d’échange permettent une meilleure allocation des ressources ; elles atomisent l’offre, éliminent les intermédiaires et facilitent le recyclage. Ce faisant, elles érodent les monopoles, font baisser les prix et apportent de nouvelles ressources aux consommateurs. Ceux-ci seraient ainsi amenés à acheter des biens de qualité, plus durables, incitant les industriels à renoncer à l’obsolescence programmée. Séduits par les prix réduits et par la commodité de ces relations « pair à pair » (P2P), ils contribueraient à la réduction des déchets. La presse internationale, du New York Times au Monde en passant par The Economist, titre sur cette « révolution dans la consommation ».

    Un tour de passe-passe

    Les partisans de la consommation collaborative sont souvent des déçus du « développement durable ». Mais, s’ils lui reprochent sa superficialité, ils n’en font généralement pas une critique approfondie. Se réclamant surtout de Rifkin, ils n’évoquent jamais l’écologie politique. Ils citent volontiers Mohandas Gandhi : « Il y a assez de ressources sur cette terre pour répondre aux besoins de tous, mais il n’y en aura jamais assez pour satisfaire les désirs de possession de quelques-uns (3). » Cela ne les empêche pas de manifester une forme de dédain à l’égard des décroissants et des militants écologistes en général, vus comme des utopistes marginaux et « politisés ».

    « C’est en 2008 que nous avons buté contre le mur. Ensemble, mère nature et le marché ont dit “stop !”. Nous savons bien qu’une économie basée sur l’hyperconsommation est une pyramide de Ponzi (4), un château de cartes », argumentait Botsman lors d’une conférence Technology, Entertainment and Design (TED) (5). Selon elle, la crise, en contraignant les gens à la débrouille, aurait provoqué un sursaut de créativité et de confiance mutuelle qui aurait fait exploser ce phénomène de la consommation collaborative (6).

    De plus en plus de sites Internet proposent de troquer ou de louer des biens « dormants » et coûteux : lave-linge, vêtements de marque, objets high-tech, matériel de camping, mais aussi moyens de transport (voiture, vélo, bateau) ou espaces physiques (cave, place de parking, chambre, etc.). Le mouvement touche jusqu’à l’épargne : plutôt que de la laisser dormir sur un compte, des particuliers se la prêtent en contournant les banques (7).

    Dans le domaine des transports, le covoiturage consiste à partager le coût d’un trajet ; une sorte d’auto-stop organisé et contributif, qui permet de voyager par exemple de Lyon à Paris pour 30 euros, contre 60 euros en train, et de faire connaissance avec de nouvelles personnes le temps du trajet. Plusieurs sites sont apparus en France dans les années 2000 pour proposer ce service. Puis s’est produite l’évolution typique des start-up du Web : on se bat pour s’imposer comme la référence incontournable de la gratuité, et, une fois cette position obtenue, on impose aux utilisateurs une facturation à travers le site, « pour plus de sécurité », en prélevant une commission de 12 %. Alors que le numéro un français, Covoiturage.fr, est devenu BlaBlaCar afin de se lancer à la conquête du marché européen, et que son équivalent allemand, Carpooling, arrive en France, des covoitureurs excédés par le virage mercantile du site français ont lancé la plate-forme associative et gratuite Covoiturage-libre.fr.

    L’autopartage traduit lui aussi une avancée culturelle et écologique. Des plates-formes comme Drivy permettent la location de véhicules entre particuliers. Pourtant, les acteurs dominants du marché sont en fait des loueurs flexibilisés (location à la minute et en self-service) qui ont leur propre flotte. La réduction annoncée du nombre de véhicules est donc toute relative. Même la flotte Autolib’, mise en place par la mairie de Paris avec le groupe Bolloré sur le modèle des Vélib’, se substitue aux transports en commun davantage qu’elle ne permet de supprimer des voitures (8).

    S’agissant de l’hébergement, Internet a également favorisé l’envol des échanges entre particuliers. Plusieurs sites (9) permettent de contacter une foule d’hôtes disposés à vous recevoir gratuitement chez eux pour quelques nuits, et cela dans presque tous les pays. Mais le phénomène du moment, c’est le « bed and breakfast » informel et citadin et son leader incontesté, Airbnb. Cette start-up vous propose de passer la nuit chez des Athéniens ou des Marseillais qui vous concocteront un généreux petit déjeuner « en option » pour un prix inférieur à celui d’un hôtel. Une pièce vide chez vous ou votre appartement lorsque vous partez en vacances peuvent ainsi devenir une source de revenus. En un mot : « Airbnb : travel like human » Avec Airbnb, voyagez comme des êtres humains »). Dans la presse économique, cependant, la start-up montre un autre visage. Elle s’enorgueillit de prélever plus de 10 % de la somme payée par les hôtes, et de voir son chiffre d’affaires de 180 millions de dollars en 2012 croître aussi rapidement que sa capitalisation boursière, de près de 2 milliards de dollars.

    « La richesse réside bien plus dans l’usage que dans la possessionAristote », clamait l’entreprise d’autopartage City Car Club. Mais, à y regarder de plus près, le détachement vis-à-vis de la possession diagnostiqué par Rifkin ne semble pas en impliquer un vis-à-vis de la consommation : le rêve d’antan était de posséder une Ferrari ; aujourd’hui, c’est simplement d’en conduire une. Et si les ventes diminuent, les locations augmentent. Cet « âge de l’accès » révèle une mutation des formes de la consommation lié à un changement logistique : la mise en circulation des biens et des compétences de chacun à travers des interfaces Web performantes. Loin de s’en effrayer, les entreprises voient dans cette fluidification tout un potentiel de transactions nouvelles dont elles seront les intermédiaires rémunérés.

    D’une part, cela permet d’élargir la base des consommateurs : ceux qui n’avaient pas les moyens d’acheter un objet coûteux peuvent le louer à leurs pairs. D’autre part, la marchandisation s’étend à la sphère domestique et aux services entre particuliers : une chambre d’amis ou le siège passager d’une voiture peuvent être proposés à la location, de même qu’un coup de main en plomberie ou en anglais. On peut d’ailleurs anticiper le même effet rebond que dans le domaine énergétique, où les réductions de dépenses issues de progrès techniques conduisent à des augmentations de consommation (10) : les revenus qu’une personne tire de la mise en location de son vidéoprojecteur l’inciteront à dépenser davantage.

    Pourtant, il existe bien de nouvelles pratiques qui vont à rebours du consumérisme. Elles sont très diverses : les couchsurfers (littéralement, « surfeurs de canapé ») permettent gracieusement à des inconnus de dormir chez eux ou bénéficient de cette hospitalité. Les utilisateurs de Recupe.net ou de Freecycle.org préfèrent offrir des objets dont ils n’ont plus l’utilité plutôt que les jeter. Dans les systèmes d’échange locaux (SEL), les membres offrent leurs compétences sur une base égalitaire : une heure de jardinage vaut une heure de plomberie ou de design Web. Dans les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), chacun s’engage à s’approvisionner pendant un an auprès d’un même agriculteur local avec lequel il peut développer des liens, et participe bénévolement aux distributions hebdomadaires de légumes. Cet engagement relativement contraignant traduit une démarche qui dépasse la simple « consomm’action » consistant à « voter avec son portefeuille ».

    Quel est le point commun entre ces projets associatifs et les start-up de la distribution C2C — pour consumer to consumer, « de consommateur à consommateur » ? Comparons les couchsurfers et les clients d’Airbnb : pour les premiers, l’essentiel réside dans la relation avec la personne rencontrée, et le confort est secondaire, tandis que pour les seconds, c’est l’inverse. Les critères de leurs évaluations respectives sont donc sensiblement différents : ce qui prime sur Airbnb, au-delà du prix, c’est la propreté du lieu et la proximité avec le centre touristique, alors que sur Couchsurfing.org, au-delà de la gratuité, ce sont les moments avec l’hôte. De même, les plates-formes telles que Taskrabbit.com proposent des échanges de services entre particuliers payants, alors que les SEL reposent sur le don.

    Si, dans leurs articles destinés au grand public, les promoteurs de la consommation collaborative citent souvent les initiatives associatives pour vanter l’aspect « social » et « écologique » de cette « révolution », celles-ci disparaissent au profit des start-up lorsqu’ils s’expriment dans la presse économique. Non seulement parce que les échanges à but non lucratif sont plus difficilement monétisables, mais aussi parce qu’ils ne sont pas « massifiables ». En fait, on ne peut réunir les deux démarches sous l’étiquette d’« économie du partage » qu’en se focalisant sur la forme de ces relations, et en minorant les logiques très différentes qui les nourrissent. Cet amalgame, qui culmine dans le tour de passe-passe consistant à traduire to share partager ») par « louer », est largement encouragé par ceux qui cherchent à profiter du phénomène. Par un subterfuge qui s’apparente au greenwashing habillage vert »), des projets tels que les AMAP en viennent à servir de caution. Ceux qui s’en font l’écho en minorant les valeurs sociales sous-jacentes à ces projets participent ainsi à une sorte de collaborative washing. Les personnes qui offrent leur toit, leur table ou leur temps à des inconnus se caractérisent en effet généralement par des valeurs liées à la recherche de pratiques égalitaires et écologiques ; ce qui les rapproche davantage des coopératives de consommation et de production que des plates-formes d’échange C2C.

    Cette dualité en recoupe bien d’autres : celle qui sépare le « développement durable » de l’écologie politique, ou encore le mouvement du logiciel open source — qui promeut la collaboration de tous pour améliorer les logiciels — de celui du logiciel libre — qui promeut les libertés des utilisateurs dans une perspective politique. A chacun de ces domaines, on pourrait étendre la fameuse distinction opérée par Richard Stallman, l’un des pères du logiciel libre : « Le premier est une méthodologie de développement ; le second est un mouvement social (11). »

     

    Martin Denoun et Geoffroy Valadon

    Animateurs du collectif La Rotative, www.larotative.org
  • DÉNONCER LE SEXISME ORDINAIRE

    observatoire du 30/10/2014 par Robin Andraca

    DÉNONCER LE SEXISME ORDINAIRE ET ÊTRE ACCUSÉ DE RACISME

    Une vidéo virale américaine crée la polémique

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    Après Bruxelles, New York. Une jeune Américaine se filme en train de marcher dans les rues de Manhattan, pour montrer le harcèlement de rue dont elle est victime quotidiennement. Une jeune étudiante flamande avait eu la même démarche, en 2012, en se filmant dans un quartier populaire de Bruxelles. Alors que ces vidéos souhaitaient attirer l'attention sur le sexisme ordinaire, elles sont toutes les deux taxées de racisme. 

    Une polémique peut parfois en cacher une autre. Equipée de deux micros et d'une caméra (planquée dans un sac à dos quelques mètres devant), cette jeune femme souhaitait alerter l'opinion publique sur le harcèlement dont elle est victime quotidiennement. Et ça semble plutôt bien parti : postée sur Youtube par le collectif international Hollaback, qui lutte depuis des années contre le harcèlement de rue, la vidéo a déjà été vue plus de 15 millions de fois.

    Sauf que. Sur Youtube, la jeune femme a été menacée de viol par plusieurs utilisateurs et la vidéo a été critiquée dans les médias. Slate et Salon se sont par exemple tous les deux penchés sur le phénomène et arrivent à la même conclusion : ce n'est pas seulement l'histoire d'une jeune femme harcelée verbalement par des hommes dans les rues de New York. C'est aussi (et surtout ?) la journée d'une jeune femme blanche harcelée par des hommes qui sont pour la plupart noirs ou latinos. Difficile, en effet, au vu de la vidéo, de leur donner tort.

    FÉMINISTE OU RACISTE ?

    Et ce n'est certainement pas la justification de Rob Bliss, directeur de l'agence marketing partenaire de cette opération, sur le réseau social Reddit, qui éteindra la polémique. "Nous avons eu une bonne quantité de Blancs, mais pour plusieurs raisons, beaucoup de ce qu'ils ont dit l'était en passant, ou hors-caméra. Du coup, leurs scènes étaient beaucoup plus courtes, mais leur nombre était à peu près le même", argue Bliss avant de développer : "Il y a parfois une sirène qui coupe la scène ou quelqu'un qui passe devant la caméra, on a donc dû travailler avec ce qu'on avait. Les villes sont bruyantes et remplies de gens qui passent devant la caméra, vous savez ?". Réponse de Hanna Rosin, qui tient un blog féministe sur Slate : "C'est peut-être vrai mais si au final il faut supprimer tous les passages avec des personnes blanches, autant faire une autre prise". 

    Ce n'est d'ailleurs pas la première fois, Rosin le rappelle également, que l'agence de marketing est soupçonnée de racisme. Dans une vidéo destinée à promouvoir la ville de Grand Rapids, l'agence avait été vivement critiquée par un blogueur localpour avoir transformé une ville pauvre du Michigan, dont 20% de la population est noire, en un gigantesque spot de pub, où presque tous les acteurs sont blancs et semblent tout droit sortis des plus belles parades de Disney World (le lipdub de plus de 9 minutes, est visible ici pour les plus curieux).

    Autre forme de critique : le très populaire site humoristique Funny or Die a aussi détourné le message de la vidéo, en mettant un scène un homme blanc qui marche silencieusement dans les rues de New York.

    La vidéo féministe a (déjà) sa parodie

    LE PRÉCÉDENT BELGE

    En 2012, le film d'une étudiante flamande, qui prétendait aussi dénoncer le sexisme ordinaire, avait déjà suscité la critique en Belgique (et en France, où la vidéo avait été largement reprise par la plupart des médias). La raison ? Annessens, le quartier où a été tournée la vidéo, est principalement habité par la communauté maghrébine de Bruxelles. Interrogée à l'époque sur la chaîne de télévision flamande VRT, Sofie Peeters ne s'en cachait pas : "C'était l'une de mes grandes craintes, comment traiter cette thématique sans tourner un film raciste. Je ne le dis pas volontiers, mais il s'agit de personnes d'origine étrangère dans 95% des cas. Il y a une méconnaissance de nos cultures respectives. Les musulmans ont un comportement assez insistant par rapport à la sexualité : porter une jupe pour une femme, c'est déjà risqué". Taoufil Amzile, responsable de l'association belge des professionnels musulmans, avait réagi à ces propos, estimant que "ce type de comportement dépend de beaucoup trop de facteurs pour simplement le réduire à une question d'origine. Je ne pense pas qu'il existe de déterminisme à ce niveau-là".

    ET EN FRANCE ?

    "Envoyé Spécial" s'était penché, en mars 2013, sur ce sujet. La journaliste Virginie Vilar, équipée à son tour d'une caméra cachée et d'un micro, s'était rendue sur les Champs-Elysées à Paris et à Mantes-la-Jolie pour filmer les harceleurs de rue.

    Interrogée en fin d'émission sur le profil de ces harceleurs, la journaliste estimait qu'ils étaient "surtout jeunes et majoritairement d'origine étrangère". Tout en s'interrogeant à demi-mots : "Ces jeunes parlent-ils de sexualité à la maison ? Quelle image ont-ils de la femme ? Est ce que c'est un mot tabou, la sexualité ? En tout cas, moi ce que j'ai ressenti, c'est qu'il y avait beaucoup de frustration, comme si pour eux, le fait d'aborder une inconnue dans la rue n'était pas si facile, et s'ils le faisaient toujours de manière maladroite, voire agressive".

    L'occasion de relire notre papier : "Un film belge attire l'attention sur le harcèlement de rue".

     
  • Tour de France: le piége à con

    18 juillet 2015 | Par Gregoiredsj

     

    Aujourd'hui c'est notre Tour...

    Samedi 18 juillet, le Tour de France passe dans le village des Vignes, en Lozère. Une portion de la route des Gorges du Tarn a été élargie (3 km environ) pour pouvoir faire passer les cyclistes, pour la modique somme de 1 600 000 € ( 1 000 000 € pour le Conseil Général, 600 000 € pour le Conseil Régional). Ils doivent passer devant notre hôtel-restaurant. On nous a prévenu, ça va être impressionnant... Nous attendons.

    A 11h00, la circulation est coupée, et pour l'instant il faut bien le reconnaître, il n'y a personne. A 12h00, une gendarme est déposée sur notre parking pour vérifier que le public respecte bien les consignes de sécurité, mais du public, il n'y en a toujours pas. Chômage technique... Elle cuit doucement sous un soleil de plomb. Jusqu'à 14h00 c'est le calme plat. On vend quelques bières, sodas, cafés. Et puis, une petite foule commence à se former le long des routes, sur notre terrasse. Il paraît que la caravane du Tour est bientôt là. On est venu en famille pour voir ce fabuleux spectacle, ce grand rendez vous sportif. Pas mal de retraités, des parents, des enfants, des adolescents. Ils attendent tous le passage de la mythique caravane du Tour. Quelques motards commencent à débouler à toute vitesse. Un mélange de presse, de gendarmes et puis soudain, comme un éclair arrive une ribambelle de véhicule publicitaire: Vittel sont les premiers, en camion rouge vif. La foule se dresse et s'agglutine au bord du bitume. Sur les camions, de jeunes créatures souriantes et vulgaires se mettent à balancer des échantillons d'eau minérale. Comme une meute de chiens, le public se jette dessus. C'est le début de la curée. Les vieux, les enfants, les ados, les femmes, les hommes se jettent sur les cadeaux, Skoda avec des bobs vert fluos, Festina avec des casquettes, RAGT (semencier industriel) avec des sachets de graines, Haribo avec des sachets de bonbons, Skip avec de la lessive, Le Crédit Lyonnais avec des casquettes jaunes pétard, ERDF avec des portes clefs, Force Ouvrière... Tout le monde est là, les industriels, les syndicats, les cyclistes, le public, ensemble dans cette grande communion commerciale, vide de sens à en gerber.

    Nous sommes pourtant dans une nature magnifique, avec la rivière sous nos fenêtres, les vautours, des mouflons dans les falaises, des paysans qui s'acharnent à produire des produits de qualité (charcuterie, fromages, légumes, vin) et que j'essaye d'aider à mon humble échelle en proposant leurs produits à la carte de notre restaurant. Et là sous nos yeux, avec le soutien financier de toutes nos institutions, défile toute la merde du monde industriel. C'est consternant, aberrant et affligeant. On a envie de dégoupiller une grenade. Au lieu de ça, je vide mon sac sur cette page. Ca n'enlève pas toute cette laideur, mais ça soulage...

  • Ondes, Linky, trafic d’influence, combines.. La ritournelle habituelle !

     

    Ondes électromagnétiques : l’industrie entre négation et collusion

    L’intolérance aux ondes électromagnétiques est une question décriée dans la communauté scientifique. Au mieux, il faudrait être indifférent aux souffrances des électrosensibles. Au pire, les envoyer en psychiatrie. Les choses changent mais très lentement. La raison ? Le jeu trouble des industriels mais également celui d’organisations supposées défendre les électrosensibles. Révélations.

     

    Un constat accablant

    Celui-ci est posé par le professeur et toxicologue Paul Héroux, directeur du programme de santé au travail à la faculté de médecine de l’Université McGill (Canada). Que dit-il ? Il existe depuis 50 ans une bataille continue entre les physiologistes, qui savent de quoi ils parlent, et les industriels, qui veulent maintenir des seuils très élevés concernant les normes, simplement pour faciliter le déploiement des technologies.

    Or, en 2001, le centre international de recherche contre le cancer (CIRC), dépendant de l’Organisation mondiale de la santé, a reconnu qu’il y a une connexion entre les champs électromagnétiques de basse fréquence et la leucémie chez l’enfant, connexion confirmée depuis. En 2011, ce même CIRC démontre la connexion entre l’exposition à long terme aux ondes cellulaires et le cancer, notamment le cancer au cerveau. De fait, Paul Héroux avance que tout le spectre électromagnétique est en cause.

    Dès lors, quelles ont été les réactions des autorités politico-sanitaires ? Aucune ! Paul Héroux dit quelque chose de très juste : l’industrie préfère se réfugier dans l’ignorance et la négation. Il est ainsi plus simple (rentable…) de garder des normes anciennes et des préjugés qui collent à notre intérêt plutôt que d’essayer de comprendre ce qui peut devenir le scandale sanitaire de ce siècle.

    La guerre des lobbies

    Il est vain de raconter, une nouvelle fois, les manœuvres du lobby des opérateurs de téléphonie mobile pour minimiser le Grenelle des ondes en 2009 tout comme la proposition de loi de la députée EELV Laurence Abeille en 2013. L’entrisme de France Telecom dans les allées du pouvoir, à l’image de celui d’EDF concernant les questions nucléaires, est tel que tout débat ou législation pour contrecarrer un futur désastre sanitaire est voué à l’échec.

    Mélange des genres, création de pseudo comités scientifiques indépendants, regroupant généralement les mêmes personnages : le connaisseur n’a pas besoin qu’on lui rappelle les états de service du docteur André Aurengo, membre de l’académie de médecine et chef de service à la Pitié-Salpétriêre, tour à tour membre du conseil d’administration d’EDF, du conseil scientifique de Bouygues Telecom et de l’Association française des opérateurs mobiles. Rien de tel pour émerveiller les ministres et conseillers en charge des questions de santé publique.

    Tout ceci est connu mais il apparaît un nouveau genre de compromission : celui d’organisations censées lutter aux côtés des électrosensibles.

    Le jeu de dupes

    La journaliste scientifique Annie Lobé a levé plusieurs lièvres en suivant les débats de l’Assemblée nationale concernant l’adoption obligatoire du compteur Linky, les 20/21 mai.

    Pour résumer, la manière dont se déroule le vote est assez effarante, réalisée en quelques minutes alors que l’enjeu est de si grande importance. Les députés sont suivistes. Le travail de lobbying, de phagocytage des pensées a été réalisé bien en amont par les industriels. Les parlementaires votent à l’unisson, à gauche comme à droite. Où est la prise en compte des effets sanitaires des ondes ?

    Les amendements déposés, notamment par EELV, sont retoqués même s’ils sont très édulcorés… par les députés eux-mêmes ! En effet, Annie Lobé précise bien, en prenant l’exemple de la députée écolo Barbara Pompili, que celle-ci omet de parler des radiofréquences comme cancérogène possible (d’après le CIRC) quand elle prend la parole. Or, « c’est pourtant la donnée cruciale qui engendre un risque judiciaire pour les législateurs du Linky ! Le jour ou l’affaire de santé publique éclatera, ni Barbara Pompili et ni aucun autre député EELV ne pourra dire qu’ils « ne savaient pas », puisque c’est écrit dans l’amendement déposé en leur nom ! »

    Mais là n’est pas le pire… En effet, la députée PS et rapporteur de la loi, Sabine Buis, s’est prévalu d’une expertise réalisée par le bien connu CRIIREM pour le compte du SIPPEREC (Syndicat Intercommunal de la Périphérie de Paris pour l’Electricité et les Réseaux de Communication) pour demander le retrait des amendements parlant des effets sanitaires des ondes.

    Et que dit cette étude (que personne n’a pu lire, d’ailleurs) ? Qu’il n’y a ni risque sanitaire ni rien à craindre du développement du Linky ! Or, cela laisserait à penser que le CRIIREM joue double jeu. Ce Centre de Recherche et d’Information Indépendant aurait-il, lui aussi, cédé aux sirènes des lobbies ? S’institutionnaliser, recevoir des financements publics, bref, jouer la caution « morale », celui qui défend les électrosensibles mais qui, à la fin, se rallie aux industriels… Belle évolution depuis sa création. Mais est-ce si étonnant ?

    A regarder le CRIIREM de près, on y retrouve quelqu’un de bien connu des mouvements antinucléaires : Michèle Rivasi, fondatrice de la CRIIRAD, qu’elle a su installer dans le paysage et qui joue actuellement plus un rôle de faire-valoir à EDF-AREVA qu’un vrai opposant au système nucléariste, ce qu’elle était à l’origine. Quant à Madame Rivasi, elle est devenue entre-temps députée européenne sous l’étiquette EELV : une véritable sinécure…

    En clair, le vote de la loi a permis de révéler des alliances contre nature (sans parler des combinazione entre le PS et EELV), les faux nez des industriels, les intérêts cachés des uns et des autres, se rejoignant à la fin, sans honte. Quant aux électrosensibles, ils attendront !

    djuVSondes
    Agoravox
  • Révolution numérique… et révolution érotique !

     

    Publié le 23 juin 2015 dans Technologies

    Par Cyrille Bret.

    Robot Love credits FatcatsimageLLC via Flickr ( (CC BY-NC-ND 2.0) )

     

    La révolution numérique est désormais partout, au travail et en vacances, dans les soirées entre amis et dans les familles, pour le shopping et les déclarations d’impôts. Et s’il est un domaine qu’elle a profondément bouleversé, c’est bien celui de notre vie érotique, au sens large : sentiments, pulsions, affections et affinités. Le compagnonnage de l’amour et de la philosophie – amour de la sagesse – exige de questionner le bouleversement des catégories de l’amour.

    Les sites de rencontre ont assurément donné un nouvel élan à nos quêtes amoureuses, à nos recherches matrimoniales et, bien sûr, à nos vagabondages sexuels. Avec leurs batteries de critères et leurs tourbillons de photographies, avec leurs boutons like et leurs outils de géolocalisation, Meetic, Happn, Tinder, Grindr ou encore Gleeden ont ouvert à nos désirs un champ à leur mesure : infini. La dynamique insatiable et nomade du désir, bien mise en évidence par Platon, Saint-Augustin ou encore Pascal, ne trouve-t-elle pas ici un terrain de jeu inépuisable ? Les startupers de l’amour n’ont-ils pas réalisé ce que les philosophes entrevoyaient à peine : le bonheur des sens et la félicité des sentiments ?

    Dans ce domaine, la disruption numérique paraît évidente : le numérique a fait disparaître l’antique métier de la marieuse et a marginalisé la vénérable institution des agences matrimoniales ou des petites annonces. Tout paraît au mieux dans le royaume de l’amour digital : le tragique des amours impossibles est aboli, la misère sexuelle appartient à un âge révolu et la solitude n’est plus jamais subie.

    Toutefois, l’amour au temps du numérique n’est peut-être pas aussi radicalement révolutionnaire et émancipé qu’il y paraît : de vieux démons amoureux et philosophiques réapparaissent en effet sous de nouvelles formes. La liberté et la félicité ne règnent pas nécessairement sur le royaume de l’amour numérique.
    L’humanité entre-t-elle réellement dans un nouvel âge de l’amour, celui du désir libre et de l’amour heureux ?

    La fin des amours tragiques Platon, smartphone en main

    De prime abord, les outils de l’amour numérique semblent supprimer le tragique de nos vies personnelles.
    Les impasses du désir amoureux sont mises en scène par Platon dans Le banquet. Pourquoi le désir est-il si puissant, si universel et souvent si malheureux ? Pour répondre, un des personnages de Platon, Aristophane, propose une allégorie philosophique. Dans les premiers temps, les êtres humains étaient complets. Androgynes, ils étaient dotés de quatre jambes, de quatre bras, de deux têtes et de deux sexes. Ils étaient heureux parce qu’autosuffisants. Leurs désirs étaient assouvis par eux-mêmes. Le vide du désir leur était inconnu. Ivres de leur félicité autarcique, ils défièrent les dieux et en furent punis de la façon la plus cruelle : les Olympiens les découpèrent en deux et les dispersèrent. La nouvelle condition humaine fut régie par les affres du désir : à la recherche éperdue de leur autre moitié, les êtres humains commencèrent à traquer le bonheur d’être complets.

    Ils chercheraient encore sans Internet…

    Mais voilà qu’entrent en scène les sites de rencontre : recrutant la multitude et démultipliant les campagnes de communication, ils offrent à chaque humain incomplet un immense terrain de recherche. La disproportion entre la finitude de la connaissance individuelle et l’infini des désirs amoureux est désormais abolie, par un usage intensif des sites et par une succession d’essais et d’erreurs, l’humain peut trouver son âme sœur et son corps manquant.

    Le tragique de la séparation originelle est désormais en voie de réduction. Ni la souffrance des Androgynes, ni le décalage entre Saint-Preux et Julie dans La nouvelle Héloïse de Rousseau ne sont désormais possibles : la félicité par la libération des désirs est à portée d’écran tactile. La misère sexuelle et la solitude subie sont elles aussi en recul : tout est affaire d’activité sur Internet.

    Armé d’un smartphone et d’une bonne appli, Platon pourrait proclamer les désirs humains à l’abri du malheur.

    L’amour au temps du numérique : le grand retour de la raison ?

    Certains aspects de l’amour au temps du numérique ne laissent pourtant pas d’intriguer le philosophe. Au premier chef le culte du soi et de la rationalité économique. Dans L’amour au temps du choléra, Gabriel Garcia Marquez met en scène l’indéfectible amour de Florentino, poète maudit, pour Fermina. L’ambitieuse jeune fille finit par préférer le riche Juvenal au dévouement inconditionnel de son adorateur. Médecin promis à une belle carrière politique, Juvénal satisfait les aspirations sociales de la belle. L’amour passionné jusqu’au sacrifice est éclipsé par les solides vertus du mariage de raison. Ce thème bien connu fleure le 19ème siècle, ses tabous bourgeois et ses unions planifiées. L’amour passion est éclipsé par le choix de raison, fondé sur des critères bien solides. Après plusieurs décennies de libération sexuelle, d’émancipation sentimentale et d’individualisation des choix, l’amour au temps du numérique ne propulse-t-il pas les choix rationnels et économiques sur le devant de la scène ?

    Choisir, c’est éliminer selon la belle maxime rousseauiste. Si le foisonnement des sites donne le vertige de possibilités infinies, les critères de recherche engagent le sujet désirant dans un processus de hiérarchisation, de sélection et, finalement d’appariement. Le désir est conscientisé, rationalisé et verbalisé. L’inconscient des pulsions est encadré pour que le match soit parfait. L’imprévu et l’inconnu de l’altérité sont réduits. L’amour non planifié (celui de Swann pour Odette dans La recherche de Proust) devient presque impossible.

    L’acteur de ces limitations du désir et le responsable de cette canalisation des souhaits n’est personne d’autre que le sujet désirant lui-même. Il calcule les chances de succès et les probabilités de compatibilité, soupèse les coûts de la recherche et les bénéfices de la conclusion. On peut même s’interroger si, dans le choix de tel ou tel site, dans l’élaboration et dans la réélaboration d’un ensemble de critères, la fermeture à l’autre ne s’exprime pas sous la forme la plus classique qui soit, le narcissisme.

    L’amour propre des moralistes du 17ème siècle réduit autrui à un instrument du culte du moi. Être ami avec telle célébrité, avoir conquis telle beauté ne sont pas des ouvertures à l’autre. Les autres ne sont que des ornements du moi et des tributs à son amour-propre. Additionner les like et varier les critères de recherche reconduit le sujet désirant à lui-même, à ses fantasmes et à la conscience qu’il a de lui-même. Sortir de soi devient bien difficile.
    L’amoureux digital ne serait-il épris que de lui-même ?

    Les nouveaux jeux de l’amour et du hasard

    La révolution numérique est incontestablement disruptive dans le domaine amoureux : les corps et les imaginaires sont libérés des tabous traditionnels ; la recherche de partenaires est affranchie des limites de l’ignorance constitutive de la condition humaine pré-numérique. Mais les limites de la révolution érotique se font elles aussi sentir : le sujet désirant se fait rapidement agent économique ; le moi assoiffé d’amour se transforme aisément en Narcisse confortablement installé dans la multiplication de relations virtuelles.
    Face au retour de la raison contre l’amour passion, contre les risques de déréalisation de l’autre et à rebours du culte du moi, certaines stratégies numériques insèrent de l’incertitude. Masquer les photographies et organiser des blind dates comme le site Smeeters ; organiser du chaos dans les relations en subvertissant les frontières entre réseaux sociaux amicaux, professionnels et érotiques, telles sont les tactiques numériques aujourd’hui à l’œuvre.
    La nouvelle carte du tendre, numérisée et interactive, ne conduit pas nécessairement l’humanité de l’âge de la frustration à l’ère du bonheur. Mais elle démultiplie les champs pour de nouveaux jeux de l’amour et du hasard.