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Economie - Page 9

  • Inégalités : le retour des pharaons

     

    mardi 14 mai 2013

    « Les inégalités ont toujours existé », entend-on souvent dire par ceux qui aimeraient banaliser leur flambée. Certes, mais elles étaient encore plus prononcées du temps des pharaons. Notre modernité s’inspirerait-elle donc du temps de l’Egypte ancienne ?

    Inde, Chine, Russie, Italie, Etats-Unis, pays du Golfe : l’essor des fortunes et du nombre de milliardaires paraît caractériser l’état des lieux, comme le détaille le dernier numéro du Monde diplomatique. Un dernier exemple vient de nous en être donné dans les entreprises américaines.

    Ainsi que le rappelle Business Week (1), qui ne passe pas pour une publication anticapitaliste, le très célèbre théoricien du management Peter Drucker avait théorisé en 1977 qu’une entreprise dans laquelle les écarts de salaires dépassaient un rapport de 1 à 25 voyait ses performances diminuer. Car plus les inégalités se creusent, plus une mentalité individualiste destructrice sape le travail collectif, l’esprit d’équipe et, au final, les résultats de l’entreprise, y compris pour ses actionnaires. Être payé autant en une journée que d’autres en un mois semblait donc représenter la limite à ne pas dépasser. Non pas tant pour les ouvriers et employés qui, en général, ne se font guère d’illusion sur le côté « famille heureuse » de la structure privée qui les emploie (« Ils sont déjà persuadés, écrivait Drucker, que leurs patrons sont des escrocs »). C’est donc plutôt de l’encadrement que les problèmes surgiraient : au-delà d’un certain écart de rémunération, le cynisme gagne, le cœur à l’ouvrage se perd, l’absentéisme s’envole.

    Logiquement, Business Week a donc voulu savoir quelle était la situation actuelle aux Etats-Unis. C’est peu de dire que l’écart de 1 à 25 est pulvérisé. J. C. Penney, qui vend des chemises et des pantalons bon marché, permet aussi à son patron de ne pas se soucier de faire des économies vestimentaires. Chaque jour, la rémunération de Ronald Johnson correspond en effet à plus de six années de salaire d’un de ses employés. Car l’écart va de 1 à 1 795 entre la paie annuelle du premier (53,3 millions de dollars) et celle du vendeur moyen (vraisemblablement une vendeuse…), de J. C. Penney (29 000 dollars). A Abercrombie (2), médaille d’argent de l’iniquité, l’écart va de 1 à 1 640.

    Parmi les autres « lauréats » de ce classement, Starbucks est cinquième (écart de 1 à 1 135). Et Ralph Lauren, Nike, Ebay, Honeywell, Walt Disney, Wal-Mart et Macy’s se disputent les vingt premières places. A Intel, centième (et dernier) de la liste, l’égalité n’est pas tout à fait réalisée non plus, mais l’écart n’est « que » de 1 à… 299 (3).

    Bien sûr, certains vont trouver injuste de mettre sur le même plan la rémunération d’un « capitaine d’industrie » — forcément brillant, talentueux, innovant — avec celle d’un de ses employés qui, lui, n’aurait d’autre souci dans la vie que d’obéir. L’étude d’une autre publication, tout aussi peu subversive que Business Week, risque par conséquent de les décontenancer. Consacrant un dossier détaillé aux « Entreprises plus fortes que les Etats », L’Expansion (mai 2013) a cette fois comparé la rémunération des patrons du privé avec celle de responsables politiques de premier plan, à qui il arrive peut-être, à la Maison Blanche ou à l’Elysée, de prendre des décisions qui ne sont pas insignifiantes. On apprend alors que M. Tim Cook, patron d’Apple gagne près de 1 000 fois le salaire annuel de son compatriote Barack Obama (378 millions de dollars dans un cas, 400 000 dollars dans l’autre). Et que M. Maurice Lévy, patron (intouchable) de Publicis, s’attribue 127 fois la rémunération de son compatriote François Hollande.

    (1) Elliot Blair Smith et Phil Kuntz, «  Disclosed : the pay gap between CEOs and employees  », 6 mai 2013.

    (2) L’enseigne de prêt-à-porter s’est encore illustrée récemment, comme le relevait Rue89, par son refus de faire don des vêtements invendus, préférant les brûler.

    (3) Le patron d’Intel, Paul Otellini, s’adjuge 17,5 millions de dollars par an, contre 58 400 dollars à son salarié moyen.

  • Du droit des peuples au droit des banques

     

    Outre le fait que la démocratie représentative n'est pas une démocratie — on ne continue à employer ce doux mot de “démocratie” que pour endormir le bon peuple qui se laisse ainsi berner — deux événements majeurs ont accentué le pouvoir des banques ces dernières décennies : le premier est le droit d'ingérence, le second est l'article 107 du traité de Maastricht (1992).

    Le droit d'ingérence a violé le droit international qui valide au contraire le “principe de non-ingérence”.

    Rappelons que le droit international prend naissance en 1648 avec les Traités de Westphalie, qui font suite à la guerre de trente ans qui a ravagé l'Europe.

    On se penche alors sur la question de la souveraineté des États et l'on en donne pour la première fois une définition : la souveraineté est le pouvoir absolu et perpétuel de l'État, c'est le plus grand pouvoir de commandement. L'État, en la personne du monarque, est la suprême puissance à l'intérieur de ses territoires, il est indépendant de toute autre autorité légalement égale aux autres États.

    Trois notions fondamentales du droit international sont issues des principes westphaliens :

    1. Équilibre des puissances : tout État, petit ou grand, a le même poids dans la négociation qu'un autre État.

    2. Inviolabilité de la souveraineté nationale : on respecte la souveraineté nationale de chaque État.

    3. Principe de non-ingérence : il est interdit à un État de s'immiscer dans les affaires d'un autre État.

    Si l'on ajoute à cela un principe de la convention de Monté-Vidéo (1933) selon lequel un État n'a pas besoin d'être reconnu par les autres États pour être souverain, ce qui fait que l'existence politique d'un État est indépendante de sa reconnaissance par les autres États, on en arrive à un système de droit public international viable.

    Le premier viol du droit international a donc été le droit d’ingérence.

    À l'origine, il s'agissait d'ingérence humanitaire, mais ce droit a très vite dégénéré en ingérence militaire : ce fut là un pas important vers l'hégémonie bancaire.

    En effet, les banques tirent un profit énorme du droit d’ingérence : elle prête à tous les belligérants, elle prête pour la constructions des armes, elle prête pour la reconstruction des pays dévastés.

    Par ce droit d'ingérence, on est bien passé du droit des peuples aux droits des banques.

    Ce droit des banques a été consolidé par l'article 107 du Traité de Maastricht qui proclame l'indépendance de la B.C.E. (Banque Centrale Européenne) et des banques nationales, même si le mot “indépendance” n'est pas écrit.

    Cet article 107 du traité de Maastricht dit en effet : “Dans l'exercice des pouvoirs et dans l'accomplissement des missions et des devoirs qui leur ont été conférés par le présent traité et les statuts du S.E.B.C (Système Européen des Banques Centrales), ni la B.C.E, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme. Les institutions et organes communautaires ainsi que les gouvernements des États membres s'engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la B.C.E ou des banques centrales nationales dans l'accomplissement de leurs missions”.

    Les banques nationales et la B.C.E ne peuvent donc “solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme”, on enfonce ensuite le clou en précisant que “les gouvernements des États membres s'engagent à respecter ce principe”.

    Ce qui signifie que la B.C.E est indépendante et ne peut pas être dirigée par un gouvernement d'un État membre : c'est la banque qui gère les États.

    Auparavant, c'étaient les États qui géraient la banque, maintenant, c'est la banque qui gère les États : on est donc bien passé du droit des peuples aux droits des banques.

    À partir de là, les peuples pourront aussi bien voter à gauche qu'à droite, peu lui chaut, la banque étant indépendante, rien ne modifiera sa politique, c'est elle qui décide : c'est la négation pure et simple des peuples, des États, de la démocratie.

    Quant à l'article 50 du Traité de Lisbonne qui permettrait de sortir de l'Union Européenne, il est inemployable car les obstacles sont tels que c'est irréalisable : il faut “fixer les modalités du retrait” et tenir compte “du cadre de ses relations futures avec l’Union”, l'accord de retrait doit être “négocié conformément à l’article 188N”, on statue ensuite “à la majorité qualifiée”, et il faut finalement “l'approbation du Parlement européen”.

    Autant dire qu'il est impossible de se retirer de l'Union Européenne par cette voie.

    Si le Traité de Lisbonne avait dit explicitement “sortie interdite”, ça aurait été l'équivalent de toutes ces longueurs qui sont autant de bâtons dans les roues à coups de “conformément à”, de “tenant compte de”, de “l'approbation de”, de “sauf si”, et ainsi de suite.

    Toute Constitution doit être fondée sur un peuple, elle doit commencer par “Nous, le peuple”, ce que ne fait pas et ne peut pas faire le Traité de Lisbonne qui sert de Constitution Européenne, et ce, parce qu'il n'y a pas de peuple européen.

    Le mot “souveraineté” doit s'y trouver toujours écrit en toutes lettres, cette notion fondamentale étant évoquée presque immédiatement : il fait cruellement défaut dans le Traité de Lisbonne qui n'aborde pas la question essentielle de souveraineté.

    Le Traité de Lisbonne n'est pas une Constitution sur le fond, c'est une Constitution artificielle qu'on impose au peuple par le biais des mass-média et des représentants qui collaborent à son maintien.

    La démocratie est évidemment bafouée : le peuple n'a jamais demandé qu'on abandonne ni le franc, ni les libertés, ni la souveraineté, il n'a jamais demandé non plus à être ruiné.

    Le peuple doit adhérer aux principes d'une Union pour qu'elle soit légitime, c'est ce qu'on appelle dans la jurisprudence l'affectio societatis, à savoir une volonté commune de s'associer, ce qui n'est pas le cas s'agissant du Traité de Lisbonne qui n'a pas l'adhésion des Français.

    Si la sortie de l'Union Européenne est possible, ce ne sera pas via l'inexploitable article 50 mais en invoquant la clause “rebus sic stantibus” de la Convention de Vienne (1969), à savoir que quand on s’aperçoit que les objectifs d'un Traité ne sont pas atteints ou sont contraires aux objectifs initiaux, le Traité devient caduc de lui-même : “rebus sic stantibus”, littéralement, “les choses se maintenant ainsi”, c'est-à-dire “à condition que la situation demeure normale ou stable”.

    Or, ce n'est pas le cas puisque l'Euro échoue.

    Pour continuer à soutenir l'Euro à tout prix, les européistes ont créé le M.E.S (Mécanisme Européen de Stabilité) et le T.S.C.G (Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance) qui outragent manifestement la clause “rebus sic stantibus”.

    Le droit international est donc encore une fois piétiné par l'invention du M.E.S et du T.S.C.G.

    On aurait d’ailleurs dû arrêter la construction de l'Union Européenne dès 2005 avec le rejet par référendum du T.C.E (Traité de Constitution Européenne).

    À chaque nouvelle occasion, les européistes continuent de violer le droit international.

    Quant à la Constitution française, elle est désormais bloquée par Bruxelles : tous les instruments de souveraineté qui permettraient à l'État français d'agir pour se libérer du joug européen, sont inutilisables.

    Le peuple français est emprisonné dans cette Union factice mais il se rend bien compte, sans avoir besoin d'être jurisconsulte, qu'il n'est pas dirigé conformément à sa volonté, ce qui est politiquement gravissime.

    Quand un incendie se déclare, on est sous le coup de la clause “rebus sic stantibus” qui nous autorise à nous retirer : même si l'interdiction de passer est affichée sur la porte, il est légitime de fuir quand même les lieux par cette issue.

    Si le Traité de Lisbonne signifie “sortie interdite”, rien ne nous empêche de pousser la porte pour quitter l'Union Européenne au nom de cette clause, comme l'ont très bien fait les Islandais qui ont écarté les responsables du chaos et réécrit eux-mêmes une Constitution.

  • Rapport sur le développement humain 2013

     
     

    4 juin 2013

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    Selon sa bonne habitude, le récent rapport du PNUD renferme une mine d’informations, mais souvent aussi des chiffres intéressants. Marc Vandepitte a épinglé les plus remarquables de ces chiffres.

     

    Plus riche qu’on ne pense
    Le monde n’a jamais produit autant de richesse qu’aujourd’hui. En cas de distribution égale de la richesse, une famille moyenne (au niveau mondial, deux adultes et trois enfants) pourrait disposer d’un revenu de 2.850 dollars par mois. C’est étonnamment beaucoup. Ce montant ne permettrait sans doute pas de vivre dans le luxe mais il est toutefois plus que suffisant pour fournir à tous les habitants de cette planète des installations sanitaires, l’électricité, l’eau potable et une maison confortable, même si cela devait se faire selon des méthodes écologiquement durable.(2)
    Autrement dit, il y a suffisamment de richesse pour tous, mais un humain sur trois ne dispose pourtant pas de sanitaires les plus élémentaires, un sur quatre n’a pas d’électricité, un sur sept vit dans un bidonville, un sur huit a faim et un sur neuf ne dispose pas d’eau potable.(3)
    Cela, parce que la richesse est répartie d’une façon extrêmement inégale. Avec la richesse produite aujourd’hui, chaque personne pourrait disposer en moyenne d’un revenu de 19 dollars par jour. En réalité, un humain sur six doit se débrouiller avec moins de 1,25 dollar par jour.
     
    Des rapports mondiaux qui basculent

    Ces trente dernières années, les pays du Sud sont occupés à effectuer un retour remarquable sur la scène mondiale. En 1980, leur part dans la production mondiale n’était encore que de 33 %. En 2010, cette part atteignait déjà 45 %. Durant cette période, leur part dans le commerce mondial a doublé, passant de 25 % à 47 %. La hausse la plus rapide s’est produite dans les investissements étrangers : de 20 % à 50 %.(4)

    Suite à un excédent de leur balance commerciale, les pays du Sud ont vu leurs surplus financiers augmenter de façon spectaculaire. Entre 2000 et 2011, ils ont pris à leur compte les trois quarts de l’accroissements de toutes les réserves étrangères. Le Sud se mue lentement en carte Visa du Nord qui, lui-même, est confronté à une grave et tenace crise du crédit. Ce n’a pas toujours été le cas.(5)

    Cette tendance se poursuivre très vraisemblablement à l’avenir et, depuis la crise du crédit, elle n’a été qu’en accélérant. En 1950, le Brésil, la Chine et l’Inde, les trois pays du Sud faisant partie du BRIC, représentaient à peine 10 % du produit mondial, alors que les six principaux pays du Nord en accaparaient environ la moitié. En 2050, les trois pays du BRIC en prendront 40 % à leur compte, soit le double des six principaux pays du Nord.(6)

    De nouveaux rapports Nord-Sud

    Les pays du Sud ont aussi resserré fortement leurs liens mutuels. La part du commerce Sud-Sud dans le total du commerce mondial a augmenté, entre 1980 et 2011, passant de 8 % à 27 %. La hausse s’est surtout manifestée à partir de la fin du siècle. (7)

    Les investissements étrangers dans les pays en voie de développement ne sont plus l’apanage du Nord. Entre 1996 et 2009, les investissements Sud-Sud ont augmenté de 20 % par an. En ce moment, les investissements Sud-Sud représentent de 30 à 60 % de tous les investissements étrangers dans les pays les moins développés.(8)

    Nombre de ces pays du Sud, surtout ceux qui ont facilement accès au commerce mondial (côtes et routes commerciales situées à proximité), profitent de ces relations Sud-Sud en hausse. Il s’agit d’investissements, de transferts de technologie, de commerce et de transferts financiers.

    Ces nouvelles relations compensent dans une certaine mesure la baisse de la demande de la part du Nord, suite à la crise. Si la Chine et l’Inde avaient connu une crise similaire à celle des pays du Nord, la croissance économique des pays en voie de développement, entre 2007 et 2011, aurait été de 0,3 % à 1,1 % inférieure. (9)

    Le rapport mentionne en particulier ici l’Afrique subsaharienne, ce qu’on appelle le « continent perdu ». Durant les cinq années qui ont précédé la crise, le PNB par habitant y a augmenté annuellement de 5 %, soit deux fois plus que dans les années 1990. Cette tendance a principalement résulté des hausses de prix de leurs principaux produits d’exportation, grâce à la demande de ces produits affichée par les pays émergents, avec la Chine en tête.(10)

    Le rapport fait état d’une étude récente qui prouve que l’expansion économique de la Chine entre 1988 et 2007 a eu un effet positif sur la croissance économique d’autres pays en voie de développement, surtout parmi les partenaires commerciaux de la Chine. (11)

    Il n’y a pas que le commerce avec la Chine, mais aussi les investissements en provenance de ce pays, qui contribuent à la croissance économique des pays en voie de développement qui les reçoivent. Entre 2003 et 2009, les investissements chinois ont accru la croissance économique de 1,9 % en Zambie. Au Congo, il s’est agi de 1 %, au Nigeria de 0,9, à Madagascar et au Niger de 0,5 % et au Soudan de 0,3 %. (12)

    L’extrême pauvreté

    Les rapports mondiaux qui basculent et l’accroissement des relations Sud-Sud ont des conséquences radicales pour la pauvreté. Entre 1990 et 2008, l’extrême pauvreté (1,25 $ par jour) a baissé, passant de 36 % à 19 % de la population mondiale. En chiffres absolus, il s’agit d’une diminution de 620 millions de pauvres.

    Cette amélioration considérable est due en grande partie à la Chine. Ce pays à lui seul a sorti 510 millions de ses habitants de la pauvreté, contre 110 millions pour le reste du monde. Les grandes différences peuvent également se voir dans la diminution relative (en pourcentage) par pays, comme le montre clairement le graphique ci-dessous. (14)

    Aujourd’hui, 1,2 milliard d’humains vivent dans l’extrême pauvreté, soit 17 % de la population mondiale. Le graphique ci-dessous montre la répartition mondiale de cette extrême pauvreté. (15)

    La Chine, l’Inde et le Pakistan

    Avec la Guinée équatoriale, la Chine a connu une croissance économique phénoménale, ces vingt dernières années. Dans les deux pays, le PNB par habitant a crû en moyenne de 9 % par an. Soit un doublement tous les huit ans. Durant la même période, seuls douze pays ont connu une croissance de leur PNB par habitant de plus de 4 %. Dans 19 pays, il s’est même agi d’une baisse. (16)

    Mais, dans bien des pays, la croissance économique ne se traduit pas par un progrès social (proportionné). En Chine, c’est toutefois le cas. Ces trente dernières années, l’augmentation de son Indice de développement humain (IDH) a été pour ainsi dire la plus élevée au monde (17) : trois fois supérieure à la moyenne mondiale (18). Sur ce plan, le Vietnam et l’Inde présentent également de bons résultats.

    Les prestations de la Chine ne deviennent claires que lorsqu’on les compare à celles des pays comparables. En Inde, l’analphabétisme est 6 fois plus élevé, et au Pakistan 7 fois plus élevé qu’en Chine. Le pourcentage de gens vivant dans une pauvreté extrême est environ 2 fois plus élevé, et 3 fois plus élevé en Inde.(19)

    La mortalité infantile est peut-être l’indicateur qui rend le mieux le développement social d’un pays, parce que cet indicateur rassemble à lui seul toute une série de facteurs : soins de santé, alimentation et eau potable, degré d’enseignement de la mère, logement, hygiène. Sur ce plan, la Chine présente nettement les meilleurs résultats. Au Pakistan meurent 5 fois plus d’enfants, en Inde 3,5 fois plus. Le rapport prévoit que, proportionnellement, entre 2010 et 2015, 5 fois plus d’enfants mourront en Inde et même 8,4 fois plus au Pakistan.(20)

    Au vu de l’augmentation de son IDH, l’Inde ne s’en tire pas mal. Mais, à l’aune de ses possibilités économiques, le pays pourrait faire bien mieux. Ainsi, son PNB par habitant est deux fois plus élevé que celui du Bangladesh, mais un Indien vit en moyenne trois ans de moins qu’un Bangladais. De plus, en Inde, le travail des enfants est toujours une plaie importante : il concerne un enfant sur huit soit 17 millions d’enfants au total.(21)
     
    Le Venezuela

    L’Indice de développement humain est un instrument assez efficace pour mesurer le développement social d’un pays. Une augmentation rapide montre que le gouvernement d’un pays donne la priorité au bien-être social de sa population. En cas d’augmentation lente, c’est le contraire, qui est vrai.

    Ci-dessus, nous avons vu que la Chine faisait un bon score, sur ce plan. La même chose vaut pour le Venezuela ces 12 dernières années. Dans les années 1980 et 1990, on a assisté à une très lente augmentation. Le développement social du reste de l’Amérique latine était plus de trois fois plus grand et l’assez grand avantage que le pays avait connu s’était mué en un retard.

    Cela a changé complètement dès que Hugo Chávez est devenu président. Le développement social a grimpé en flèche et a bien vite augmenté une fois et demie plus vite que dans le reste du continent. En 2010, l’IDH du Venezuela repassait à nouveau au-dessus de la moyenne de l’Amérique latine.(22)

    Cuba

    À Cuba, il n’y a pas que la croissance rapide de l’IDH, qui surprend, mais surtout son ampleur ou, mieux, le constat de ce que le développement est très anormalement élevé par rapport à la base économique.

    Ce pays a un revenu par habitant six fois inférieur à celui des pays riches. Mais, malgré le manque de moyens économiques et la pénurie de certains médicaments suite au blocus économique, ses soins de santé font partie des meilleurs au monde. Cuba dispose du nombre de médecins le plus élevé au monde par habitant, à savoir 6,4 pour 1000 habitants. C’est 2,5 fois plus qu’aux États-Unis, deux fois plus qu’en Belgique, trois fois plus qu’en Amérique latine et près de cinq fois plus que la moyenne mondiale.(23)

    Sur le plan de l’enseignement aussi, Cuba fait partie des meilleurs au monde. Le pourcentage de Cubains adultes qui suivent un enseignement supérieur est la plus élevé au monde, après la Corée du Sud, soit 95 %. Il est à remarquer que le Venezuela se pointe en 8e position, avec 78 %.(24)

    Cuba présente de tels résultats parce que le pays consacre un pourcentage élevé de sa richesse aux soins de santé et à l’enseignement. On peut le voir sur le graphique ci-dessous.(25)
     

    Plus généralement, il s’agit de la question de savoir dans quelle mesure un pays consacre ses moyens économiques (limités) au développement social de sa population ou, encore, à quel point un pays est réellement « social ». Le rapport le fait systématiquement en comparant le classement sur le plan de la richesse économique (PNB par habitant) à celui sur le plan de l’IDH.

    Vu ce qui précède, il ne faut pas s’étonner que Cuba fasse le meilleur résultat. Sur le plan du PNB par habitant, Cuba ne se classe qu’en 103e position. Mais, sur le plan de l’IDH (hors économie), il gagne 77 places pour se retrouver en 26e position. D’autres pays affichent de bons résultats aussi – même s’ils sont un peu moins bons : la Géorgie, la Nouvelle-Zélande et Madagascar. D’autres pays – des pays « antisociaux », donc – font de très mauvais scores : les États du Golfe, la Turquie, la Guinée équatoriale, le Botswana…(26)

    Même le graphique ci-dessus montre que Cuba atteint un score comparable à celui de la Belgique et même meilleur que celui de la Grande-Bretagne. Cela montre qu’un pays ne doit pas disposer directement de moyens financiers pour atteindre quand même un développement social élevé. C’est un constat des plus encourageants, pour une importante partie du monde.

    Le graphique ci-dessous présente une comparaison des résultats de Cuba aux meilleurs résultats mondiaux. Un résultat de 100 signifie qu’on est le meilleur au monde et 0 qu’on est le plus mauvais. Un résultat intermédiaire montre votre position par rapport aux deux. La ligne en pointillé est celle des résultats de l’OCDE, le club des 30 pays les plus riches de la planète. Sur le plan de la mortalité infantile et de l’espérance de vie, Cuba propose des résultats tournant autour de la moyenne de l’OCDE. Sur le plan de l’enseignement, il fait même mieux que la moyenne. Mais son PNB par habitant, par contre, est nettement inférieur.

    Pour la plupart des pays, la mesure du bas (le PNB par habitant) est à peu près au même niveau que les trois du dessus (indicateurs sociaux). Pour Cuba, ce n’est pas le cas, la différence est remarquable. Dans le rapport, on ne trouve aucun pays avec un profil semblable. Seuls le Vietnam et le Kerala (un États du sud-ouest de l’Inde) s’en rapprochent un peu.(27)

    Empreinte écologique et catastrophes naturelles

    Le rapport déplore que peu de pays combinent un développement social élevé et une faible empreinte écologique. Une faible empreinte écologique signifie que le modèle de consommation et de production ne dépasse pas la biocapacité moyenne du monde (1,8 ha par habitant), autrement dit, que le pays a assez d’une seule planète pour assurer son mode de vie.(28)

    Neuf pays entrent en ligne de compte pour une combinaison socio-écologique favorable : la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, l’Albanie, la Jamaïque, Cuba, l’Équateur, le Pérou et le Sri Lanka. Si nous prenons l’IDH moyen des 47 pays les plus riches (0,758), il ne reste plus que Cuba. (29)

     

     

    Le réchauffement climatique a son prix, littéralement parlant. Les catastrophes naturelles sont de plus en plus fréquentes et de plus en plis violentes. Le coût des catastrophes naturelles qui se sont surtout produites dans les pays du Sud, a été en 2011 de 365 milliards de dollars. C’est près de trois fois plus que l’aide totale au développement cette même année.(30)

    Les dégâts environnementaux provoquent également la pauvreté, surtout dans les pays du Sud. Si des modifications considérables ne se produisent pas dans la politique environnementale, le rapport prévoit que l’extrême pauvreté s’accroîtra dans le monde, passant de 1,2 milliard en 2010 à 3,2 milliards en 2050. Par contre, une politique mûrement réfléchie sur le plan social et écologique pourrait entièrement, ou presque, éradiquer l’extrême pauvreté pour cette même date.(31)
     
     
    Source : Investig'Action

    Notes :
     
    [1] De UNDP is het VN-orgaan dat zich bezighoudt met armoede en ontwikkeling in de wereld. Het rapport van 2013 vind je hier.
    [2] In 2011 bedroeg de totale geproduceerde rijkdom (het zogenaamde wereldbrutoproduct) 69.014 miljard dollar (uitgedrukt in 2005 PPP dollars). [p. 165] De berekening voor het gemiddelde gezin gaat van de plausibele veronderstelling uit dat het besteedbaar inkomen 70% van het bnp bedraagt. In sommige landen is dat meer, in andere minder. De cijfers worden uitgedrukt in dollar PPP. Dat cijfer houdt rekening met de prijsverschillen tussen landen voor dezelfde goederen of diensten en drukt de reële koopkracht uit.
    [3] Bronnen :
    [4] Bronverwijzing : Aandeel in wereldproductie : p. 2 ; handel : p. 45 ; buitenlandse investeringen : p. 47.
    [5] p. 17.
    [6] p. 12.
    [7] p. 45.
    [8] Resp. p. 45 en 15.
    [9] p. 3.
    [10] p. 25-6.
    [11] p. 43.
    [12] p. 51.
    [13] Het rapport steunt zich hiervoor op een studie van de Wereldbank.http://siteresources.worldbank.org/INTPOVCALNET/Resources/Global_Poverty_Update_2012_02-29-12.pdf.
    [14] p. 26.
    [16] p. 25.
    [17] Sinds het rapport van 2011 geeft de UNDP twee soorten van Human Development Index (HDI). De eerste HDI houdt rekening met gezondheid, onderwijs en het bnp per inwoner. De tweede indicator is de Non-income HDI. Daar laat men het bnp per inwoner weg. Deze indicator geeft vooral de sociale score weer van een land.
    [18] p. 149-151. Het betreft hier de HDI met inbegrip van het bnp per inwoner. Het rapport geeft geen evolutie van de non-income HDI.
    [19] Analfabetisme : p. 145-6 ; aantal extreem armen : p. 160-1 en http://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.DDAY.
    [20] Resp. p. 167-8 en p. 90.
    [21] Levensverwachting : p. 146-7 ; kinderarbeid : p. 176 ; zie ook http://blog.wisdomjobs.com/child-labour-in-india/.
    [22] p. 149 en 151.
    [23] p. 166-9.
    [24] p. 170-1.
    [25] p. 162-5.
    [26] p. 144-7.
    [27] Voor Vietnam zijn de percentages voor de sociale indicatoren resp. 88%, 21% en 77%. Voor het bnp per inwoner is de score 3%. [p. 146, 168 en 172.] Deelstaten zoals Kerala worden niet opgenomen in het rapport. De percentages voor Kerala zijn resp. 95%, 24%, 73% en 7%. 
    Bronverwijzing : http://pib.nic.in/newsite/PrintRelease.aspx?relid=73084 ;http://www.srtt.org/institutional_grants/pdf/globalisation_higher_education.pdf ;http://www.undp.org/content/dam/india/docs/inequality_adjusted_human_development_index_for_indias_state1.pdf, p. 16.
    [28] p. 34.
    [29] Het rapport vermeldt de landen niet expliciet ; we hebben de lijst zelf samengesteld. Voor de HDI, zie p. 144-7 ; voor de voetafdruk : http://en.wikipedia.org/wiki/File:H....
    [30] p. 95. De ontwikkelingshulp bedroeg in 2011 133,5 miljard dollar. http://www.oecd-ilibrary.org/develo....
    [31] p. 96.
  • La poussière sous le tapis

     

    Il ne fait pas de doute que le triste record de progression du taux de CO2 dans l’atmosphère soit passé aux pertes et profits de la société de consommation, comme si désormais l’effondrement total( la destruction programmée de toute vie sur terre) était considéré comme inéluctable.

    Quoi que l’on fasse ou quoi que l’on dise, aucuns des acteurs majeurs de la fuite en avant sociétale et économique du monde ne désire réellement se passer de son pouvoir de nuisance. Le FMI vient à point nommé nous rappeler aujourd’hui que les 0.5 % plus riches de la population mondiale détiennent à eux seuls 35 % de la richesse de ce bas monde.

    Comme ceux-là mêmes qui spolient effrontément tous les autres n’ont aucune envie de se passer de cette part du gâteau, il n’y a aucune chance que le reste de l’humanité se contente de bouffer des miettes, aussi la seule issue possible reste la poursuite de la mondialisation qui perpétue les inégalités et protège les oligarchies mondiales. Ce système intègre le fait de dégrader tant et plus les derniers arpents de terres vierges, les dernières gouttes d’or noir et les derniers camps retranchés du bon sens commun.

    La société de consommation est l’ultime féodalité, faite de terre brûlée, de saccages environnementaux, de destruction massive des écosystèmes, de transformation du bien durable en un austère périmètre de subsistance artificielle. De compétition généralisée entre les hommes, d’esclavagisme intellectuel pour la multitude.

    Tout ce qui est périssable, et les ressources carbonées en sont l’exemple emblématique, doit être exploité, vendu, converti en royalties pour une bande de profiteurs occultes. Jusqu’à transformation complète de notre lieu de vie ancestral. Les dégâts collatéraux sont énormes mais ceux-ci participent de la croissance, comme la guerre participe du PIB global.

    Comme le nettoyage d’une plage participe autant de la croissance que la marée noire qui le rend nécessaire.

    Alors comme l’alerte du franchissement du seuil de 400 ppm de CO2 dans l’atmosphère n’a ému personne, d’aucuns se demande déjà comment faire du business avec l’enfouissement de ce CO2 dans le sous-sol.

    Voilà la méthode absolue, le green business, la croissance verte comme ils disent.

    Produisons tant et plus du CO2, ne nous soucions plus des moyens de ne plus en produire mais trouvons plutôt les moyens de l’enfouir dans le sous-sol, comme une vulgaire poussière qu’on aurait envie de planquer sous le tapis. Cela aura au moins l’avantage de contenter tout le monde, les producteurs et les nettoyeurs, qui récolterons les fruits de l’ingéniosité économique, à défaut de ceux de l’intelligence écologique.

    L’idée se fait donc jour dans la tête de nos apprentis-sorciers modernes de capter à la source le CO2 produit et de l’envoyer dans des couches de terrain, traduisant dans les gestes l’argumentaire des planqueurs de déchets nucléaires. Cette solution est le plan de la CCS la Carbon Capture and Storage, basée sur une technologie controversée et risquée.

    il s'agit rien moins que de capter le CO2 dans les lieux industriels les plus pollueurs, puis de le transporter par des pipe-lines ou par bateau, pour l'enfouir enfin sous terre. Greenpeace a déjà fustigé cette solution qui ne serait viable à grande échelle que dans une vingtaine d'année mais qui a surtout l'inconvénient de produire elle-même de la pollution par l'énergie nécessaire et émettrice de gaz à effet de serre, autant durant les opérations d'extraction que d'enfouissement et de transport.

    Comme si le green business n'était qu'une vaste plaisanterie destinée à rassurer l'opinion sur l'infaillibilité de l'économie de marché. Comme si le développement n'avait de durable que le temps du profit.

  • Réserve naturelle de biocombustibles (1/2)

     

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    Sénégal, région de Saint-Louis. L'entreprise italo-américaine Senhuile-Senethanol a obtenu une concession de 20.000 hectares de terres pour 55 ans pour cultiver des tournesols et des patates douces. L'investissement, qui vise essentiellement à produire de l’éthanol pour l'export n'est pas la première tentative de l'entreprise dans le pays : elle avait déjà essayé l'année précédente à Fanaye. A la suite d'une manifestation de protestation ayant entraîné deux morts et un vingtaine de blessés, le gouvernement avait opté pour la délocalisation du projet. C'est ainsi qu'une réserve naturelle, la réserve Ndiaël protégée par la convention de Ramsar, a été déclassifiée de son statut au nom de l’intérêt public et concédée à l'entreprise. La zone n'est pourtant pas moins peuplée que Fanaye, ni moins vitale pour ses habitants qui l'utilisent pour leurs propres activités économiques et leur subsistance.

    Avec 3,8 millions d'hectares de terres arables et 60% de la population active occupée dans l'agriculture familiale, le Sénégal n'est toujours pas en mesure de garantir sa souveraineté alimentaire et il importe le 60% de sa consommation, principalement le riz, le blé et le maïs. Cette dépendance a montré largement ses limites quand la crise pétrolière de 2006 s'est répercutée sur le marché agroalimentaire et a provoqué une forte inflation des prix des biens de première nécessité. A Parcelles, dans la banlieue de la capitale sénégalaise, le riz a augmenté de 35% en une seule journée1. L'ancien président Wade, avec la devise d'assurer l'indépendance énergétique du pays et faire face à la crise alimentaire, avait lancé en 2008 la Grande offensive agricole pour la nourriture et l'abondance (GOANA), programme politique dans lequel s'était inscrit deux ans plus tard la Loi d'orientation des biocarburants2 qui trace le cadre général pour le développement de l'industrie des biocarburants dans le pays.

    Un programme spécial biocarburants visant à promouvoir la culture du Jatropha Curcas3 avait déjà été lancé en 2007 dans le cadre du plan Retour Vers L'agriculture (REVA) (2006), prévoyant de « créer une dynamique nationale de retour massif des populations vers la terre » à travers la création de « pôles d’émergence agricoles (PEA) », mais ayant explicitement pour finalité la promotion de l’initiative privée dans le secteur agro-industriel, ce qui a surtout provoqué des attributions massives en faveur des dirigeants politiques et religieux, et des sociétés internationales. Il en a été de même pour la GOANA qui exhortait elle aussi tous les Sénégalais en mesure de cultiver la terre à le faire et demandait aux communautés rurales de mettre à la disposition de ce programme une superficie de 1.000 hectares chacune, en donnant la priorité à ceux qui avaient les moyens de se lancer dans une exploitation rentable.

    Ce n'est donc pas un hasard si depuis 2006 le Sénégal a connu une forte augmentation des investissements directs étrangers dans l'agriculture. « Nous sommes en présence d'un mécanisme construit pour enlever les terres aux paysans et les faire revenir dans les mains de l'état, qui à son tour les accorde aux grands capitaux » déclare Mariam Sow, coordonnatrice d'Enda Pronat4, ONG sénégalais active dans le champ du développement rural et parmi les premières a avoir attiré l'attention sur l'ampleur des acquisitions de terres dans le Pays. L'IPAR, Initiative Prospective Agricole et Rurale affirme5 qu'en mai 2011, 249.353 hectares ont déjà fait l’objet de transactions à destination de privés étrangers, et 160.010 sont passés dans les mains de nationaux ne résidant pas dans les communautés rurales intéressée, soit au total plus de 10% du potentiel agricole du pays.

    Il faut donc s'inscrire dans ce panorama pour comprendre l'histoire du projet agricole Senhuile-Senéthanol initiée le 20 juillet 2010 quand M. Karasse Kane, président du conseil rural de la communauté de Fanaye, (département de Podor, région de Saint-Louis) signe avec l'entreprise Senéthanol un accord de mise à disposition de 20.000 hectares de terrain situé sous sa juridiction. Le projet, un investissement de 137 milliards de francs CFA (environ 228 millions d'euros), prévoyait la conversion de terres agropastorales, composées de savane et de plaines sèches, utilisées alors pour l'élevage traditionnel en une culture intensive de patate douce pour la production d'éthanol.

    Senéthanol est composée à 25% de capitaux privés sénégalais les 75% restants appartenant à ABE ITALIA SRL, elle-même propriété de ABE LLC (Advanced Bioenergy, USA) à 66% et AGR.I. SRL à 34%. Comme c'est souvent la méthode pour rentrer sur ce type de marché, c'est une entreprise partiellement locale qui négocie l'accord avec les autorités, mais ce n'est en réalité que l'arbre qui cache la forêt puisqu'en marge de cet accord, Senéthanol signe une alliance avec une autre société Italienne TAMPIERI FINANCIAL GROUP, spécialisée elle dans la culture de tournesols pour la production d'huile et de biocarburant, donnant naissance à Senhuile-Senéthanol détenue à 49% par SENETHANOL SA et 51% par TAMPIERI FINANCIAL GROUP SPA6.

    Selon ses promoteurs le projet agricole de Fanaye aurait dû créer au moins 5.000 emplois, et on peut se demander lesquels en considérant que ce type d'exploitation entièrement mécanisée ne nécessite que très peu de main d’œuvre, exception faite dans certains cas de la récolte, ce qui ne se produit que quelques mois dans l'année. Le recrutement n'a pas eu lieu, ce qui a renforcé la position des habitants qui jugent inacceptables de telles concessions dans un pays où l’accès à la terre est déjà précaire. L'arrivée de l'armée et la sécurisation de la zone n'a pas contenu la protestation, et six mois après les violents affrontements de Fanaye, le 20 mars 2012, deux décrets sont émis le même jour.7 Le premier établit la déclassification partielle d'une aire de 26.550 hectares située dans la réserve naturelle de Ndiaë, déclarée en 1977 « zone humide d'importance internationale » par la Convention de Ramsar. Le second décret en attribue 20.000 pour une période de 55 ans au projet Senhuile-Senéthanol. Une antenne de 6.000 hectares située en périphérie de la zone est destinée au relogement des populations qui habitent la terre désormais concédée à l'entreprise. Il s'agit de 37 villages, 9.000 habitants des communautés rurales de Ngnith, Diama de Ronkh et Ross-Béthio.

    Les Peuls, éleveurs semi-nomades, qui habitent depuis des siècles l'Afrique occidentale, représentent le principal groupe ethnique dont la plupart étaient déjà sur place avant que la zone ne soit déclarée réserve naturelle, ce qui les avait alors privés de la possibilité d'avoir ne serait-ce qu'un droit d'usage de la terre à des fins agricoles. La communauté s'était cependant vu accorder le droit d'utiliser le bois mort, la nourriture et les plantes médicinales, gommes et résines que l'on trouve naturellement dans la réserve. Ils étaient également autorisés à utiliser la zone pour le pâturage, le site étant le seul espace encore disponible pour l'élevage dans la région. On comprend donc les raisons de l'indignation des villageois qui déclarent n'avoir pas été mis au courant avant la mise en exploitation du projet. Ils l'ont découvert brutalement, réveillés un beau matin par le bruit des machines au travail.

    Une telle course à la terre peut paraître surprenante, et en particulier dans un pays caractérisé par la faible disponibilité en eau et la désertification croissante des sols. Ce n'est pas l'avis de la Banque mondiale qui dans son rapport Awakening Africa's Sleeping Giants publié en 2009, décrit la savane guinéenne comme l'une des plus grandes réserves de terres agricoles sous-utilisées dans le monde et insiste sur l'idée que des potentiels agricoles nettement sous-explorés se cachent dans toute l'Afrique, incluant notamment des zones semi-désertiques. Sous la formule Land Abundant, Investor Scarce la Banque mondiale semble donc justifier les investissements terriens sur le continent, en souhaitant leur réglementation dans un optique win-win. On est de fait face à une pression pour la commercialisation à grande échelle de la terre sur le continent Africain.

    Quatre ans plus tard, cette approche n'a pas changé, la dernière publication sur le site de la Banque mondiale8affirme que le potentiel du secteur agricole et agroalimentaire en Afrique pourrait se chiffrer à 1.000 milliards de dollars à l’horizon 2030. C'est à dire trois fois plus qu'aujourd'hui. On y trouve aussi confirmée l'idée que l'Afrique concentre plus de la moitié des terres fertiles et pourtant inexploitées de la planète.

    La Banque mondiale interprète ici ce que les marchés avaient déjà commencé à mettre en application : depuis l'année 2008, environ 45 millions d'hectares (représentant l'équivalent de plus de 80% de la surface de la métropole française) ont été l'objet de transactions financières visant à investir dans des projets agricoles, les deux tiers ayant eu lieu sur le sol africain et concernant des terrains d'une superficie comprise entre 10.000 et 200.000 hectares. Selon l'ONG Grain, la superficie vendue ou concédée serait en réalité largement supérieure, de l'ordre 56 millions d'hectares pour la seule période 2008-2009 si l'on considère l’ensemble des chiffres rapportées par les médias et les dénonciations des réseaux locaux. Ce sont les économies les moins développées, caractérisées par la prédominance du secteur agricole, qui attirent le plus ces capitaux. D'après les données relevées pour le Land Matrix Database9, les investisseurs sont attirés par des pays qui combinent une bonne garantie institutionnelle des investissements et une faible sécurité foncière pour les populations autochtones, ce qui permet un accès facile à la terre tout en assurant un prix bas10.Au Sénégal, du fait de la persistance de la loi sur le domaine national, la plupart des terres ne sont affectées que pour un droit d’usage, pouvant être facilement révoqué par l'état au nom de l'intérêt public, notion dont le cadre manque fort de précision.

    Lors d'un repérage dans la région, accompagnée par Isma Ba, le chef du village de Yowré, et Stefano Lentati, directeur de l'ONG italienne Fratelli dell'uomo11, nous avons pu observer nous-même l'exploitation. On n'est qu'à quelques kilomètres de la frontière avec la Mauritanie où la nature semble n'offrir que du sable et quelques herbes sèches, et des centaines de milliers de tournesols et de longs canaux remplis d'eau se détachent du décor. En se déplaçant de quelques kilomètres, on peut voir en action le système d'arrosage projeter en l'air d'énormes quantités d'eau. Une telle technique d'irrigation, canaux à ciel ouvert et jets continus en plein soleil par 45 degrés, entraîne vraisemblablement une perte des deux tiers du précieux liquide par évaporation avant même d'avoir pénétré le sol. De leur coté, les femmes de Iowre marchent dix kilomètres de plus chaque matin pour atteindre le puits où se fournir en eau : les gardiens placés au contrôle de la zone interdisent le passage.

    (… à suivre)

    1ALAIN ANTIL, « Les émeutes de la faim » au Sénégal. IFRI, mars 2010

    2Loi 2010-22 du 15 Décembre 2010

    3Plante non comestible mais dont les graines sont riches en matières grasses transformables (env. 35% d'huile)

    5Faye I.M., Benkahla A., Touré O., Seck S.M., Ba C.O,Les acquisitions de terres à grande échelle au Sénégal : description d’un nouveau phénomène.Initiative Prospective Agricole et Rurale, mai 2011

    6Impact des investissements agricoles italiens dans les biocarburants au Sénégal, Dossier IPAR, avril 2012

    7Décret n°2012-366 du 20 mars 2012 et Décret n°2012-3667 du 20 mars 2012

    9http://landportal.info/fr/node/10290 : Le Land Matrix est une base de données publique en ligne qui permet à tous les utilisateurs d'accéder et de contribuer à améliorer les données sur les transactions foncières.

    10Anseeuw, W. ; Boche, M. ; Breu, T. ; Giger, M. ; Lay, J. ; Messerli, P. ; Nolte, K. Transnational Land Deals for Agriculture in the Global South, Analytical Report based on the Land Matrix Database Number 1, April 2012. The Land Matrix Partnership (CDE, CIRAD, GIGA, GIZ, ILC)