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Economie - Page 5

  • Traité de libre échange USA - UE

     
     

    13 novembre 2013

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    L'année 2013 semble être une année trépidante pour le lobby des multinationales ainsi que pour les défenseurs du libre-échange. Alors qu’ils s'activent frénétiquement d'une conférence mondiale sur le libre-échange à une autre, telles des abeilles butinant de délicieuses orchidées, leurs efforts commencent à porter leurs fruits.

     

    Rien que le mois passé, les dirigeants de 12 pays dont les Etats-Unis, l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et le Mexique, ont promis de signer le Trans-Pacific Partnership (TPP) d'ici la fin de l'année. Pendant ce temps, de l'autre côté de la planète, l'Europe a signé un traité majeur de libre-échange avec les Etats-Unis, le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Malgré le scandale des allégations selon lesquelles la NSA (agence de sécurité nationale) et le GCHQ (centre d'interception des télécommunications étrangères) auraient mis sur écoute des dirigeants européens, la majorité des membres de l'UE sont déterminés à s'assurer que les retombées de ce scandale n'affectent pas les négociations actuelles du TTIP. Ce traité réunirait alors les pays qui concentrent à eux seuls la moitié du PIB de la planète dans une vaste zone de libre-échange.

     

     

    Cependant le président du Parlement Européen, Martin Schultz, a déclaré qu'il serait peut-être nécessaire de suspendre temporairement les négociations. En fait, ce n’est pas qu’il se soucie du danger de conclure un partenariat étroit avec un pays dont les actions récentes ont bafoué toute notion de confiance mutuelle et de coopération. C’est parce qu’il craint que la poursuite des négociations dans le climat actuel entraîne un mouvement plus général d'opposition au libre-échange :

     

     

     

     

    « Si les faits continuent à prendre de l'ampleur, je crains que les opposants à l'accord de libre-échange ne deviennent majoritaires » a déclaré M. Schultz lors du sommet de l'UE de la semaine dernière. « Je conseille donc de suspendre les négociations dans l'immédiat et de réfléchir à comment éviter qu'un tel mouvement d'opposition se développe ». Tout ceci soulève une question : pourquoi cet engouement soudain pour plus de libre-échange ? Et qui plus est : pourquoi toute cette discrétion ? Pourquoi nos dirigeants tentent-ils désespérément de reconfigurer les méga-structures légales du marché mondial sans même prendre la peine de consulter leurs électeurs ou du moins leur en dire davantage quant au bénéfice à tirer des négociations ?

     

    Après tout, même les statistiques officielles sont claires : les bénéfices à tirer de ces accords sont, dans le meilleur des cas, quasiment nuls. Dans le cas du TTIP, l'UE et les Etats-Unis peuvent s'attendre à recevoir à terme (peut-être après une période d'une dizaine d'années) 100 milliards d'Euros pour augmenter leurs PIB respectifs. Ce sont des sommes qui, il fut un temps, étaient considérées comme astronomiques et pouvaient signifier quelque chose. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui du moins plus depuis que la Fed (Réserve fédérale) et la Bank of England (Banque d'Angleterre) ont mené le système bancaire mondial à recourir à la planche à billets dans des proportions jamais atteintes auparavant.

     

    Pendant ce temps, dans la région Asie-Pacifique, on s'attend à ce que l'accord TPP ouvre des perspectives nouvelles pour les affaires, qu'elles soient petites ou grandes alors que de nouveaux réseaux d'échange se créent entre les économies dont les taux de croissance sont les plus élevés au monde.

     

    Néanmoins même si les bénéfices de ce nouvel accord commercial sont supposés être gigantesques, ils ne peuvent pas être divulgués au public pour le moment. Comme l'a précisé récemment le représentant américain du commerce, Ron Kirk, à l'agence Reuters : à ce stade des négociations il paraît prématuré de rédiger un texte préliminaire afin de recueillir l'avis du public. Mais il n'est pas exclu « qu'il y ait, à un moment donné, lorsque nous nous serons mis d'accord sur le texte comme nous l'avons fait pour d'autres accords, un texte préliminaire ». Le message ne peut être plus clair : comme disait feu le grand BillHicks : « Retournez vous coucher, Amérique, Europe, Asie et Australie : nos gouvernements contrôlent la situation. »

     

     

    Le véritable ordre du jour

     

    Pour les quelques insomniaques qui demeurent encore éveillés, le but du jeu dans cette ère nouvelle du libre-échange (ou plutôt de protection du pouvoir absolu des multinationales) devient de plus en plus claire. Selon Andrew Gavin Marshall, ces nouveaux accords n'ont pas grand chose à voir avec le véritable « commerce » mais concernent, au contraire, l'extension des droits et des pouvoirs des grandes multinationales : les multinationales sont devenues des entités économiques et politiques qui rivalisent avec les plus grandes économies nationales et ont de ce fait revêtu un caractère « cosmopolite ».

     

    Selon un classement publié par Global Trends pour 2012, 58% des 150 entités économiques les plus importantes au monde sont des multinationales. Parmi elles, les principales entreprises pétrolières, de gaz naturel et d'exploitation minière, les banques et les assurances, les géants de la télécommunication, les géants de la grande distribution, les fabricants automobile et les entreprises pharmaceutiques.

     

    L'entreprise qui arrive en tête du classement est la Royal Dutch Shell, qui a enregistré en 2012 un chiffre d'affaires dépassant les PIB de 171 pays faisant d'elle la 26ème puissance économique au monde. Elle arrive devant l'Argentine et Taïwan malgré le fait que Shell n'emploie que 90.000 personnes. En effet, le chiffre d'affaires cumulé des cinq plus grandes compagnies pétrolières (Royal Dutch Shell, ExxonMobil, BP, Sinopec et China National Petroleum) équivalait à 2,9 % du PIB mondial en 2012.

     

    Devrions-nous paraître surpris par ces gigantesques multinationales privées qui en veulent toujours plus pour elles et de ce fait, en laissent moins pour les autres ? Après tout, l'augmentation du chiffre d'affaires est leur raison d'être ; c'est ce qui fait battre leur cœur de sociopathes. « En agissant au travers d'associations d'industries, de lobbies, de groupe d'experts et de fondations, les multinationales mettent en œuvre de vastes projets visant à concentrer les pouvoirs économiques et politiques transnationaux entre leurs mains » écrit A.G. Marshall. « Avec l'ambitieux projet de mise en place d'une zone de libre-échange Europe-Amérique, nous assistons à la mise en place d'un projet international sans précédent, nouveau et global de colonisation corporatiste transnationale »

     

    A la base de ce modèle se trouve la notion selon laquelle les profits et les retours sur investissement priment sur les inquiétudes quant à l'intérêt général. De ce fait, comme le souligne Open Democracy, les règlements de différends entre les investisseurs sous l'effet du TTIP permettraient aux multinationales basées en Europe et aux Etats-Unis de prendre part à (ou de déclencher) des guerres d'usure afin de limiter le pouvoir des gouvernements des deux côtés de l'Atlantique :

     

     

    Or, des milliers d'entreprises européennes et américaines ont des filiales de l'autre côté de l'Atlantique ; grâce au TTIP ces entreprises pourraient engager des procédures en dommages et intérêts par le biais de leurs filiales afin de contraindre leur propre gouvernement à renoncer à édicter des lois qui les dérangent.

     

    Avec une ironie écœurante, un nombre croissant de pays remettent en question voire même abandonnent les arbitrages entre investisseurs justement en raison des retombées négatives sur l'intérêt général. En effet, de puissants lobbies en Europe et aux Etats-Unis y compris Business Europe (la fédération européenne des employeurs), la Chambre américaine du Commerce, AmCham EU et le Transatlantic Business Council font pression pour l'introduction de l'arbitrage dan le TTIP.

     

    Et comme vous le savez, ils obtiendront tout ce qu'ils souhaitent !

     

     

    Le dernier effort

     

    Comme pour la signature de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) et la création du GATT (Global Agreement on Tariffs and Trade) qui deviendra plus tard l'OMC (Organisation Mondiale du commerce) il n'y aura aucune consultation populaire sur les conséquences potentielles du traité.

    Feu Sir James Goldsmith nous avait mis en garde contre le GATT, l’ALENA et la souveraineté des Etats membres qui se fondrait dans l'UE elle-même. Dans cette interview étrangement prophétique avec Charlie Rose en 1994, il avait déclaré que la mise en application de ces traités mènerait à l'élimination de millions d'emplois occupés par la classe moyenne et à la destruction de l'agriculture (comme on l'a vu au Mexique) et du commerce de proximité. Et qui, en connaissance de cause, mis à part nos maîtres corporatistes et leurs fidèles alliés, voterait de telles mesures ?

     

    Néanmoins, la dernière génération de traités commerciaux dépasse largement ce qui avait été envisagé pour l’ALENA ou le GATT. Ce que les instigateurs de ces traités cherchent à obtenir c'est le transfert du peu de souveraineté nationale que détiennent encore les Etats pour la transférer dans les QG de gigantesques conglomérats internationaux. En résumé, c'est le coup de grâce de ce coup d'Etat. Pas une balle ne sera tirée. Cependant tout le pouvoir sera concentré entre les mains d'individus et tout cela sera facilité par nos élus qui, en signant ces traités, renoncent à la responsabilité qui est la leur, à savoir de représenter et protéger les intérêts des électeurs.

     

     

    Par exemple, une fuite récente sur le texte du TPP nous révèle que les nouvelles dispositions limiteraient le pouvoir que détiennent les gouvernements pour intervenir en matière de service public, de transports, de santé ou d'éducation. Ces mesures viseraient également à restreindre l'accès partiel ou total à ces services fondamentaux.

    Mais ceci n'est que la pointe de l'iceberg. Comme on l'apprend sur Alternet le traité entraînerait également les conséquences suivantes : les droits d'auteur pour tous les contenus émanant des grosses sociétés seraient garantis pour une durée surprenante de 120 ans. Le traité permettrait également de transformer les fournisseurs d'accès internet en Big Brother en un véritable pouvoir policier capable de contrôler l'activité des utilisateurs, de supprimer du contenu et de priver les utilisateurs de l'accès à internet. Il autoriserait aussiBig Pharma à continuer à exercer son monopole sur les tarifs des brevets, ce qui lui permettrait de bloquer la circulation de médicaments génériques moins chers.

    Les gouvernements n’auraient plus d’autorité en matière de régulation des exportations de pétrole ou de gaz naturel vers les pays membres du TPP. Cela aurait pour conséquence une intensification massive du processus destructeur des forages à travers le monde. Les géants de l'énergie pourraient alors exporter du gaz naturel en provenance de et vers n'importe quel pays membre sans qu'aucun gouvernement ne puisse émettre son avis quant aux conséquences sur l'environnement et l'économie des communautés locales ou sur les intérêts nationaux respectifs.

    Les taxes sur les transactions (comme la Robin Hood Tax– taxe sur les transactions financières) auxquelles sont soumis les spéculateurs qui déclenchent régulièrement des crises financières et économiques à travers le monde, seraient interdites. Le traité permettrait également de restreindre les réformes « pare-feu » qui séparent les opérations bancaires des particuliers des opérations d'investissement à haut risque. Enfin ce traité serait l'occasion pour les « to-big-to-fail » (grandes entreprises dont la faillite serait catastrophique pour l'économie selon les gouvernements qui sont prêts à les soutenir cas de pépin) de se soustraire aux lois nationales visant à limiter leur taille.

     

    Ce ne sont ici que quelques exemples des propositions qui sont parvenues aux oreilles du public uniquement grâce à l'acte courageux d'un informateur (ou ce que l'administration Obama nomme : un terroriste). Mais qui nous dira ce qui se trame dans notre dos dans les salles de conférence des hôtels les plus luxueux du monde ?


    Pourtant ce qui ne fait aucun doute c'est que la dictature des multinationales est quasi en place. L'horloge tourne et à moins que les peuples de toutes les nations d'Est en Ouest et du Nord au Sud ne prennent conscience des agissements de leurs gouvernements, il sera bientôt trop tard. Les nouvelles règles seront rendues légales et nous vivrons une nouvelle dystopie (contre-utopie) présentant une certaine ressemblance avec le totalitarisme inversé comme l'avait prédit Sheldon Wolin. Une contre-utopie dans toutes les directions et aussi loin que l'oeil de Big Brother puisse voir.


    Traduit de l'anglais par Carolina Badii pour Investig'Action

    Source : Raging Bullshit

     

     

     

    Marché transatlantique

     
  • Attention, Israël camoufle ses produits dans votre supermarché !

    Les pratiques de tromperie sur la marchandise, d’étiquetage frauduleux destinés à masquer l’exportateur israélien sont légion dans les grandes surfaces. Malgré les plaintes et « signalements » à la Direction des Fraudes, aucune sanction n’a été prise à ce jour. Aujourd'hui, des militants qui ont appelé au boycott des produits exportés par l'occupant israëlien sont poursuivis en justice par le gouvernement...

     

    Nous vous appelons à rejoindre cette campagne, et à refuser de financer l’occupation israélienne !
    - Regardez attentivement les étiquettes des produits avant de les acheter. N’acceptez pas les étiquetages incomplets ou trompeurs (dernier en date repéré dans une grande surface : « avocats Kenya/Israël »*). Demandez des explications aux commerçants.
    - Rappelez-leur qu’ils ont l’obligation légale d’inscrire la provenance exacte de tous les produits frais et fruits secs qu’ils vendent en caractères aussi gros que les prix.
    Cela vaut autant pour le supermarché que pour l’épicier du coin, ou encore pour les vendeurs de fruits et légumes sur les marchés.
    Et venez nombreux soutenir les militants poursuivis en justice par le gouvernement !
     
    Prochains procès BDS :
    - A la Cour d’Appel de Colmar, le mercredi 16 octobre à 9 H du matin. Les 12 militants de Mulhouse ont gagné leur procès en première instance, à Mulhouse, mais le gouvernement fait appel !
    - A la Cour d’Appel de Paris, le mercredi 30 octobre à 13 H 30. Olivia, Maha, Mohamed et Ulrich ont été relaxés par le tribunal de Bobigny, mais le gouvernement a fait appel !

    Les fameux avocats « Kenya/Israel » :

     
    Mais les pratiques de tromperie sur la marchandise, d’étiquetage frauduleux destinés à masquer l’exportateur israélien sont légion dans les grandes surfaces. Pour n’en citer que quelques exemples :

    Oranges (Jaffa) du « Mexique »
     
    Ciboulette bretonne « made in Israël » (« Que Choisir »)

     

    Dattes Medjoul, « origine France » !


    Avocats (Carmel) du « Mexique »


    Pomelos (Carmel) du« Mexique »

    Avocats du « Pérou » sur l’ardoise, mais « origine Chili », et exportés par l’entreprise israélienne « Mehadrin » sur le carton qui les contient !


    Et malgré nos plaintes et « signalements » à la Direction des Fraudes, aucune sanction n’a été prise à ce jour.
    Merci de faire circuler au maximum ces informations, afin d’éclairer le public et de l’engager à réagir.

    Pour écrire à Madame Taubira, ministre de la Justice, et dénoncer ce scandale :
    Mme Christiane Taubira
    MINISTERE DE LA JUSTICE
    13, place Vendôme
    75042 Paris Cedex 01
    Téléphone : +33 1 44 77 60 60
    Pour envoyer un message : http://www.justice.gouv.fr/contact.html
     

    Avocats du « Pérou » sur l’ardoise, mais « origine Chili », et exportés par l’entreprise israélienne « Mehadrin » sur le carton qui les contient !


    Et malgré nos plaintes et « signalements » à la Direction des Fraudes, aucune sanction n’a été prise à ce jour.
    Merci de faire circuler au maximum ces informations, afin d’éclairer le public et de l’engager à réagir.

    Pour écrire à Madame Taubira, ministre de la Justice, et dénoncer ce scandale :
    Mme Christiane Taubira
    MINISTERE DE LA JUSTICE
    13, place Vendôme
    75042 Paris Cedex 01
    Téléphone : +33 1 44 77 60 60
    Pour envoyer un message : http://www.justice.gouv.fr/contact.html

  • Réflexions sur les théories du complot


    TRIBUNE
    04/08/2013 à 12h23

    11 Septembre, OGM, ondes... : la science citoyenne, cette fumisterie

    Jérôme Quirant | Enseignant-chercheur

    TRIBUNE

    Lorsqu’en 2008 je me suis penché sur les théories du complot autour des attentats du 11 septembre 2001, je n’imaginais pas que cela m’amènerait à m’intéresser à des domaines aussi divers que les OGMles ondes électromagnétiques ou le nucléaire.

    Confronté à l’époque à des théories conspirationnistes plus insolites les unes que les autres sur les effondrements des tours du World Trade Center, j’avais certes trouvé une source inépuisable de sujets d’examen, ludiques, pour mes étudiants, mais je ne pouvais non plus me résoudre à laisser circuler de telles inepties.

    Cela m’a conduit à créer un site Internet, puis à coordonner un numéro spécial de la revue Science et pseudosciences qui donnait la parole aux – vrais – spécialistes du domaine, pour expliquer quelle est la connaissance scientifique sur un sujet précis.

    C’est à la suite de ce numéro que j’ai été invité, en 2011, à entrer dans le comité de rédaction de cette revue, éditée par l’Association française pour l’information scientifique.


     

    Depuis, j’ai été sidéré par les similitudes entre le mouvement conspirationniste autour du 11 septembre et ceux agissant dans bien d’autres domaines (OGM, nucléaire, etc.) :

    • des associations se revendiquant « citoyennes »,
    • des pétitions,
    • des actions médiatiques,
    • la dénonciation d’un complot dont ils seraient les uniques pourfendeurs,
    • le souhait d’organiser des débats publics,
    • le vide en matière d’argumentation scientifique.

    Pas besoin d’associations citoyennes
    pour démontrer le théorème de Pythagore

    Pourtant, nul besoin d’associations « citoyennes » pour démontrer le théorème de Pythagore. Il n’existe pas plus de science citoyenne que prolétarienne ou bourgeoise, mais une démarche scientifique qui permet d’expliquer notre monde et de proposer des solutions techniques pour améliorer notre quotidien.

    Et toute allégation, quelle qu’elle soit, doit être vérifiable et vérifiée par n’importe quel scientifique respectant les fondements de la démarche scientifique. Ainsi progresse la science.

    Or, si sur le 11 septembre ces gesticulations n’ont eu aucune influence sur la production scientifique – elle en est restée à un enchaînement « crash d’avion – incendie – affaiblissement de la structure – effondrement » pour les tours du WTC –, il en va autrement pour d’autres secteurs d’activité. Souvent, les mouvements « anti » ont instillé la frilosité, voire sapé toute recherche ou développement industriel :

    • Alors que dans les années 90, la France était leader sur les OGM, il est devenu impossible de faire la moindre recherche de manière sereine sur ce sujet.
    • Dans les années 70 et 80, des projets industriels majeurs ont vu le jour en France (TGV, Airbus, Ariane, nucléaire civil…). Aujourd’hui, quels sont les grands desseins capables de doper une industrie moribonde et créer les emplois qui iraient avec ?

    Des collectifs « indépendants »... de toute démarche scientifique sérieuse

    Ces associations citoyennes se revendiquent aussi et surtout « indépendantes ». Reopen911, qui a donné du crédit en France aux théories complotistes sur le 11 septembre, demande une enquête « indépendante » pour expliquer comment se sont effondrées les tours du World Trade Center, alors que cette question est réglée depuis longtemps dans la communauté scientifique.

    L’association Robin des toits, « indépendante du lobby de la téléphonie », lutte pour la baisse d’intensité des champs électromagnétiques (supposés nocifs) induits pas les antennes de téléphonie mobile et s’esbaudit devant n’importe quelle expérience allant dans ce sens, même totalement inepte.

    La dernière en date était celle de lycéennes danoises, qui ont magistralement démontré que l’exposition de semences à des conditions de température et d’hygrométrie différentes (les graines étaient placées derrières les ventilateurs d’ordinateurs !) joue sur leur croissance

    Le Criigen, farouchement opposé au développement des OGM, a été capable de recueillir 2 millions d’euros pour financer une étude « indépendante », mais qui ne vaut rien sur le plan scientifique…

    Le Criirad, censé révéler la vérité vraie sur le nucléaire, a redécouvert la radioactivité naturelle grâce à ses compteurs Geiger. L’association, « indépendante du lobby nucléaire », a même dû mettre à jour ses connaissances sur la mesure de la radioactivité suite à la catastrophe de Fukushima.

    On le voit, ces associations sont surtout « indépendantes » de toute démarche scientifique, une notion qui leur est même totalement étrangère. Cela n’empêche pas les médias de leur fournir régulièrement des tribunes, leur octroyant une légitimité qu’elles n’ont jamais acquise sur le plan scientifique.

    Car si on peut être « anti » pour diverses raisons, justifiées et tout à fait honorables (qu’elles soient économiques, sociétales, environnementales, etc.), il n’est pas acceptable que les données scientifiques soient travesties de manière fallacieuse à des fins idéologiques.

    La science ne sort pas forcément victorieuse des « débats publics » sur les sujets sensibles

    L’autre dada des associations citoyennes est l’organisation de débats publics qu’elles réclament à cors et à cris. Pourquoi ? Platon l’a très bien expliqué dans son « Gorgias », trois siècles avant J.-C., en écrivant un dialogue entre Gorgias, maître rhéteur, et Socrate : 

    « Suppose qu’un orateur et qu’un médecin se rendent dans la cité que tu voudras, et qu’il faille organiser, à l’assemblée […], une confrontation entre le médecin et l’orateur pour savoir lequel des deux on doit choisir comme médecin.

    Eh bien j’affirme que le médecin aurait l’air de n’être rien du tout, et que l’homme qui sait parler serait choisi s’il le voulait. […] Car il n’y a rien dont l’orateur ne puisse parler, en public, avec une plus grande force de persuasion que celle de n’importe quel spécialiste.

    Ah, si grande est la puissance de cet art rhétorique ! [...]

    – La rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ; simplement, elle a découvert un procédé qui sert à convaincre, et le résultat est que, devant un public d’ignorants, elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs ».

    Non seulement la vérité scientifique est loin d’être assurée de sortir victorieuse de tels débats, mais comme l’a souligné le physicien Serge Galam dans une tribune parue dans Le Monde en avril, le débat est une machine à produire de l’extrémisme :

    « Le débat public […] cache une machine infernale de production d’extrémisme au service des a priori, des menteurs, des préjugés ». A supposer même que ces débats puissent se tenir. »

    Quoiqu’il en soit, s’il est concevable que des débats publics soient organisés sur des choix sociétaux ou autres, il faut aussi rappeler que jamais dans l’histoire aucun « débat public » n’a fait avancer la connaissance scientifique d’un pouce. Jamais. Ce n’est tout simplement pas là que la science se développe.

    Le savoir académique est devenu inaudible

    Hélas, de nos jours, lorsqu’un scientifique donne des explications sur un sujet sensible, il est systématiquement accusé d’être en « conflit d’intérêt », vendu aux « lobbies » et au « grand capital ».

    Le savoir académique est devenu inaudible : on se retrouve à devoir choisir, par exemple, entre l’avis d’un scientifique compétent sur le nucléaire, mais par la force des choses en relation avec l’industrie ou la recherche dans le domaine, et celui d’un « citoyen » incompétent qui se promène avec son compteur Geiger (remplacer « nucléaire » par « cancer » ou « OGM », et « compteur Geiger » par « poudre de perlimpinpin » ou « tomate bio » pour le même effet).

    Pourtant, une simple étude bibliographique de la littérature scientifique à disposition suffit à tordre le cou à pas mal de contre-vérités. Malheureusement, les médias sont plus enclins à donner du crédit aux associations citoyennes véhiculant un message simple (voire simpliste) plutôt que de se plonger dans un article scientifique à la compréhension ardue.

    Pire, ils les mettent sur un même plan, comme si la connaissance scientifique avait la même valeur que le premier propos impromptu de comptoir.

    C’est ce qui m’a amené à proposer plusieurs articles sur Rue89, mais en me bornant bien sûr à des études bibliographiques d’articles parus dans des revues scientifiques. N’étant pas spécialiste des domaines traités il n’était pas question de me substituer aux personnes faisant référence dans leur secteur.

    Les revues à comité de lecture ne sont certes pas la panacée (elles sont devenues, elles aussi, une véritable industrie), mais le processus de « peer-review » reste un premier filtre efficace pour éliminer la majeure partie du grand n’importe quoi qui est proposé sur le Net ou dans les médias avides de sensationnel, mais peu de démonstrations scientifiques.

    La situation économique de la France, avec une industrie atone et un commerce extérieur catastrophique, est grave. Les Chinois exportent leur propre TGVou leurs centrales nucléaires… Nos récoltes ne se vendent plus à l’étranger, car non OGM ( !)... et demain, nous en serons réduits à acheter les semences issues de laboratoires indiens.

    Sous prétexte de principe de précaution, nous en sommes arrivés à ne plus rien faire du tout, et même à régresser. De façon paradoxale, alors que la gauche a été porteuse des progrès considérables que nous avons connus au XXe siècle, elle est aujourd’hui en prise avec les pires obscurantismes contemporains.

    Il serait temps d’en prendre conscience avant de percuter le mur vers lequel nous avançons à vive allure. Et surtout de relancer la recherche en France, seule façon pour les « citoyens » français de subsister encore au XXIe siècle.

    Dans les années 70, on disait qu’en France on n’avait pas de pétrole, mais des idées. Aujourd’hui, le paradigme s’inverse : il semblerait qu’on ait du gaz de schistes (à vérifier) mais qu’on soit en panne d’idées…

     
  • Grande-Bretagne : le contrat zéro-heure

    Grande-Bretagne : le contrat zéro-heure ou la précarité institutionnalisée

    08/08/2013 | 16h45
    Un MacDo à Londres (Finbarr O'Reilly/Reuters)

    Ni temps de travail garanti, ni salaire minimum, les « zero-hours contracts » (contrats zéro-heure) concernent plus d’un million de Britanniques. Et c’est McDonald’s qui en comptabilise le plus, avec 82 800 employés sous ce type de contrat très spécifique.

     

    A la base du concept du contrat zéro-heure, une liberté quasi-totale : l’employeur n’est pas obligé d’offrir un travail régulier à son employé, l’employé n’est pas obligé d’accepter les heures que son employeur lui propose. Un retraité qui cherche à arrondir ses fins de mois s’en accommoderait parfaitement, et pourrait décliner poliment une proposition de travail le vendredi soir car un film qu’il adore passe à la télé. Un étudiant pourrait également se satisfaire de ce travail à la carte, et accepter toutes les heures qu’on lui propose en soirée comme en week-end, car il prévoit de s’offrir une place pour un festival de musique avec ses potes le mois prochain (festival pendant lequel il refusera légalement les heures de travail proposées).

    Sauf que le contrat zéro-heure concerne aujourd’hui plus d’un million de Britanniques, dont des hommes et des femmes devant subvenir aux besoins de leur famille. Ceux-ci se retrouvent, de par la nature aléatoire de leur contrat, dans une situation de précarité.

    Triste record pour MacDo

    Le nombre de contrat à zéro-heure en Grande Bretagne a dépassé le seuil record du million, et ne cesse d’augmenter. Ce chiffre alarmant a été révélé par le Chartered Institute of Personnel Development, contredisant le rapport officiel commandé par le gouvernement. En effet, si le Bureau national des statistiques a reconnu une hausse considérable des contrats zéro-heure, il ne les a chiffré qu’à 250 000 en 2012 – en admettant tout de même que ce chiffre était sans doute inférieur à la réalité. Pourtant présent depuis longtemps sur le pays (une porte-parole du groupe McDonald’s confie au journal anglais The Guardian que la chaîne emploie ce type de contrats depuis son implantation en 1974) c’est seulement sous le gouvernement Cameron que cette pratique a commencé à être quantifiée et à faire polémique.

    L’impact d’un tel type de contrat sur les conditions de travail et le niveau de vie des Britanniques a été ignoré. Aujourd’hui, les employés en contrat à zéro-heure n’ont aucune marge, aucune souplesse. Il leur est impossible de se projeter à moyen et long terme ou de rembourser leurs dettes. Ils peuvent travailler 12 heures ce mois-ci, 45 celui d’après : aucun salaire minimal garanti. Les syndicats travaillistes veulent interdire ce contrat d’un nouveau genre, et déplorent son expansion qui accentue selon eux la précarité. Militant pour cette abolition, le syndicaliste Andy Sawford ironise dans le journal anglais The Guardian en prenant pour cible les chaînes de fast-food comme McDonald, Subway ou KFC :

    « Dans la gestion de leurs produits, il savent précisément estimer les besoins de leurs clients pour leur donner la parfaite quantité de nourriture et éviter le gaspillage. Ils pourraient utiliser le même processus pour estimer les besoins de leurs employés et leur offrir la stabilité nécessaire. »

    McDonald’s n’avait pas besoin de l’émergence de ce type de contrats pour faire polémique autour des conditions de travail de ses employés. Le 5 août dernier, la plus grande chaîne alimentaire du Royaume-Uni a remporté le triste record de l’entreprise ayant signé le plus de contrats à zéro-heure. Avec 82 800 employés sous ce type de contrats, elle devance de loin la chaîne de pubs/bars JD Wetherspoon (24 000) et Sports Direct (20 000), la plus grosse chaîne de magasins de vente d’articles de sports du pays.

    Si Karl Marx voyait ça

    D’après le site du Guardian, un contrat type zéro-heure stipule à l’adresse de l’employé que :

    « L’entreprise n’a pas le devoir de vous proposer du travail. Vos heures de travail ne sont pas prédéterminées et vous seront notifiées sur une base hebdomadaire dès que le responsable du magasin sera en mesure de vous les fournir. L’entreprise a le droit de vous demander de travailler pour des heures variées, et prolongées. »

    Et si en contrepartie, l’employé peut refuser les heures qu’on lui propose, il s’expose à des représailles. L’employeur qui a besoin que son employé soit à son poste tel jour pendant tant d’heures, sera tenté, après un refus, de ne plus lui proposer de travail pendant une période donnée. Comme l’écrit le service économie du Guardian sur son blog, « dommage que Karl Marx ne soit plus là pour voir ça ».

  • Qui gouvernera Internet ?


    Multinationales, Etats, usagers

     

    En France, le fournisseur d’accès à Internet Free reproche au site de vidéo YouTube, propriété de Google, d’être trop gourmand en bande passante. Son blocage, en représailles, des publicités de Google a fait sensation. Free a ainsi mis à mal la « neutralité d’Internet » — l’un des sujets discutés en décembre à la conférence de Dubaï. La grande affaire de cette rencontre a cependant été la tutelle des Etats-Unis sur le réseau mondial.

    par Dan Schiller, février 2013

    Habituellement circonscrite aux contrats commerciaux entre opérateurs, la géopolitique d’Internet s’est récemment étalée au grand jour. Du 3 au 14 décembre 2012, les cent quatre-vingt-treize Etats membres de l’Union internationale des télécommunications (UIT, une agence affiliée à l’Organisation des Nations unies) s’étaient donné rendez-vous à Dubaï, aux Emirats arabes unis, pour la douzième conférence mondiale sur les télécommunications internationales. Une rencontre où les diplomates, abreuvés de conseils par les industriels du secteur, forgent des accords censés faciliter les communications par câble et par satellite. Longues et ennuyeuses, ces réunions sont cependant cruciales en raison du rôle déterminant des réseaux dans le fonctionnement quotidien de l’économie mondiale.

    La principale controverse lors de ce sommet portait sur Internet : l’UIT devait-elle s’arroger des responsabilités dans la supervision du réseau informatique mondial, à l’instar du pouvoir qu’elle exerce depuis des dizaines d’années sur les autres formes de communication internationale ?

    Les Etats-Unis répondirent par un « non » ferme et massif, en vertu de quoi le nouveau traité renonça à conférer le moindre rôle à l’UIT dans ce qu’on appelle la « gouvernance mondiale d’Internet ». Toutefois, une majorité de pays approuvèrent une résolution annexe invitant les Etats membres à « exposer dans le détail leurs positions respectives sur les questions internationales techniques, de développement et de politiques publiques relatives à Internet ». Bien que « symbolique », comme le souligna le New York Times (1), cette ébauche de surveillance globale se heurta à la position inflexible de la délégation américaine, qui refusa de signer le traité et claqua la porte de la conférence, suivie entre autres par la France, l’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Kenya, la Colombie, le Canada et le Royaume-Uni. Mais quatre-vingt-neuf des cent cinquante et un participants décidèrent d’approuver le document. D’autres pourraient le signer ultérieurement.

    En quoi ces péripéties apparemment absconses revêtent-elles une importance considérable ? Pour en clarifier les enjeux, il faut d’abord dissiper l’épais nuage de brouillard rhétorique qui entoure cette affaire. Depuis plusieurs mois, les médias occidentaux présentaient la conférence de Dubaï comme le lieu d’un affrontement historique entre les tenants d’un Internet ouvert, respectueux des libertés, et les adeptes de la censure, incarnés par des Etats autoritaires comme la Russie, l’Iran ou la Chine. Le cadre du débat était posé en des termes si manichéens que M. Franco Bernabè, directeur de Telecom Italia et président de l’association des opérateurs de téléphonie mobile GSMA, dénonça une « propagande de guerre », à laquelle il imputa l’échec du traité (2).

    Fronde antiaméricaine

    Où que l’on vive, la liberté d’expression n’est pas une question mineure. Où que l’on vive, les raisons ne manquent pas de craindre que la relative ouverture d’Internet soit corrompue, manipulée ou parasitée. Mais la menace ne vient pas seulement des armées de censeurs ou de la « grande muraille électronique » érigée en Iran ou en Chine. Aux Etats-Unis, par exemple, les centres d’écoute de l’Agence de sécurité nationale (National Security Agency, NSA) surveillent l’ensemble des communications électroniques transitant par les câbles et satellites américains. Le plus grand centre de cybersurveillance du monde est actuellement en cours de construction à Bluffdale, dans le désert de l’Utah (3). Washington pourchasse WikiLeaks avec une détermination farouche. Ce sont par ailleurs des entreprises américaines, comme Facebook et Google, qui ont transformé le Web en une « machine de surveillance » absorbant toutes les données commercialement exploitables sur le comportement des internautes.

    Depuis les années 1970, la libre circulation de l’information (free flow of information) constitue l’un des fondements officiels de la politique étrangère des Etats-Unis (4), présentée, dans un contexte de guerre froide et de fin de la décolonisation, comme un phare éclairant la route de l’émancipation démocratique. Elle permet aujourd’hui de reformuler des intérêts stratégiques et économiques impérieux dans le langage séduisant des droits humains universels. « Liberté d’Internet », « liberté de se connecter » : ces expressions, ressassées par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton et les dirigeants de Google à la veille des négociations, constituent la version modernisée de l’ode à la « libre circulation ».

    A Dubaï, les débats couvraient une myriade de domaines transversaux. Au programme, notamment, la question des rapports commerciaux entre les divers services Internet, comme Google, et les grands réseaux de télécommunication, tels Verizon, Deutsche Telekom ou Orange, qui transportent ces volumineux flux de données. Crucial par ses enjeux économiques, le sujet l’est aussi par les menaces qu’il fait peser sur la neutralité du Net, c’est-à-dire sur le principe d’égalité de traitement de tous les échanges sur la Toile, indépendamment des sources, des destinataires et des contenus. Le geste de M. Xavier Niel, le patron de Free, décidant début janvier 2013 de s’attaquer aux revenus publicitaires de Google en bloquant ses publicités, illustre les risques de dérive. Une déclaration générale qui imposerait aux fournisseurs de contenus de payer les opérateurs de réseaux aurait de graves conséquences sur la neutralité d’Internet, qui est une garantie vitale pour les libertés de l’internaute.

    Mais l’affrontement qui a marqué la conférence portait sur une question tout autre : à qui revient le pouvoir de contrôler l’intégration continue d’Internet dans l’économie capitaliste transnationale (5) ? Jusqu’à présent, ce pouvoir incombe pour l’essentiel à Washington. Dès les années 1990, quand le réseau explosait à l’échelle planétaire, les Etats-Unis ont déployé des efforts intenses pour institutionnaliser leur domination. Il faut en effet que les noms de domaine (du type « .com »), les adresses numériques et les identifiants de réseaux soient attribués de manière distinctive et cohérente. Ce qui suppose l’existence d’un pouvoir institutionnel capable d’assurer ces attributions, et dont les prérogatives s’étendent par conséquent à l’ensemble d’un système pourtant extraterritorial par nature.

    Profitant de cette ambiguïté originelle, les Etats-Unis ont confié la gestion des domaines à une agence créée par leurs soins, l’Internet Assigned Numbers Authority (IANA). Liée par contrat au ministère du commerce, l’IANA opère en qualité de membre d’une association californienne de droit privé, l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), dont la mission consiste à « préserver la stabilité opérationnelle d’Internet ». Quant aux standards techniques, ils sont établis par deux autres agences américaines, l’Internet Engineering Task Force (IETF) et l’Internet Architecture Board (IAB), elles-mêmes intégrées à une autre association à but non lucratif, l’Internet Society. Au vu de leur composition et de leur financement, on ne s’étonnera pas que ces organisations prêtent une oreille plus attentive aux intérêts des Etats-Unis qu’aux demandes des utilisateurs (6).

    Les sites commerciaux les plus prospères de la planète n’appartiennent pas à des capitaux kényans ou mexicains, ni même russes ou chinois. La transition actuelle vers l’« informatique en nuages » (cloud computing), dont les principaux acteurs sont américains, devrait encore accroître la dépendance du réseau envers les Etats-Unis. Le déséquilibre structurel du contrôle d’Internet garantit la suprématie américaine dans le cyberespace, à la fois sur le plan commercial et militaire, laissant peu de marge aux autres pays pour réguler, verrouiller ou assouplir le système en fonction de leurs propres intérêts. Par le biais de diverses mesures techniques et législatives, chaque Etat est certes à même d’exercer une part de souveraineté sur la branche « nationale » du réseau, mais sous la surveillance rapprochée du gendarme planétaire. De ce point de vue, comme le note l’universitaire Milton Mueller, Internet est un outil au service de la « politique américaine de globalisme unilatéral (7) ».

    Leur fonction de gestionnaires a permis aux Etats-Unis de propager le dogme de la propriété privée au cœur même du développement d’Internet. Quoique dotée, en principe, d’une relative autonomie, l’Icann s’est illustrée par les faveurs extraterritoriales accordées aux détenteurs de marques commerciales déposées. En dépit de leurs protestations, plusieurs organisations non commerciales, bien que représentées au sein de l’institution, n’ont pas fait le poids face à des sociétés comme Coca-Cola ou Procter & Gamble. L’Icann invoque le droit des affaires pour imposer ses règles aux organismes qui administrent les domaines de premier niveau (tels que « .org », « .info »). Si des fournisseurs nationaux d’applications contrôlent le marché intérieur dans plusieurs pays, notamment en Russie, en Chine ou en Corée du Sud, les services transnationaux — à la fois les plus profitables et les plus stratégiques dans ce système extraterritorial — restent, d’Amazon à PayPal en passant par Apple, des citadelles américaines, bâties sur du capital américain et adossées à l’administration américaine.

    Dès les débuts d’Internet, plusieurs pays se sont rebiffés contre leur statut de subordonnés. La multiplication des indices signalant que les Etats-Unis n’avaient aucune intention de relâcher leur étreinte a progressivement élargi le front du mécontentement. Ces tensions ont fini par provoquer une série de rencontres au plus haut niveau, notamment dans le cadre du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), organisé par l’UIT à Genève et à Tunis entre 2003 et 2005.

    En offrant une tribune aux Etats frustrés de n’avoir pas leur mot à dire, ces réunions préfiguraient le clash de Dubaï. Rassemblés en un Comité consultatif gouvernemental (Governmental Advisory Committee, GAC), une trentaine de pays espéraient convaincre l’Icann de partager une partie de ses prérogatives. Un espoir vite déçu, d’autant que leur statut au sein du GAC les mettait au même niveau que les sociétés commerciales et les organisations de la société civile. Certains Etats auraient pu s’accommoder de cette bizarrerie si, malgré les discours lénifiants sur la diversité et le pluralisme, l’évidence ne s’était imposée à tous : la gouvernance mondiale d’Internet est tout sauf égalitaire et pluraliste, et le pouvoir exécutif américain n’entend rien lâcher de son monopole.

    Revirement de l’Inde et du Kenya

    La fin de l’ère unipolaire et la crise financière ont encore attisé le conflit interétatique au sujet de l’économie politique du cyberespace. Les gouvernements cherchent toujours des points de levier pour introduire une amorce de coordination dans la gestion du réseau. En 2010 et 2011, à l’occasion du renouvellement du contrat passé entre l’IANA et le ministère du commerce américain, plusieurs Etats en ont appelé directement à Washington. Le gouvernement kényan a plaidé pour une « transition » de la tutelle américaine vers un régime de coopération multilatérale, au moyen d’une « globalisation » des contrats régissant la superstructure institutionnelle qui encadre les noms de domaine et les adresses IP (Internet Protocol). L’Inde, le Mexique, l’Egypte et la Chine ont fait des propositions dans le même sens.

    Les Etats-Unis ont réagi à cette fronde en surenchérissant dans la rhétorique de la « liberté d’Internet ». Nul doute qu’ils ont aussi intensifié leur lobbying bilatéral en vue de ramener au bercail certains pays désalignés. A preuve, le coup de théâtre de la conférence de Dubaï : l’Inde et le Kenya se sont prudemment ralliés au coup de force de Washington.

    Quelle sera la prochaine étape ? Les agences gouvernementales américaines et les gros commanditaires du cybercapitalisme tels que Google continueront vraisemblablement d’employer toute leur puissance pour renforcer la position centrale des Etats-Unis et discréditer leurs détracteurs. Mais l’opposition politique au « globalisme unilatéral » des Etats-Unis est et restera ouverte. Au point qu’un éditorialiste du Wall Street Journal n’a pas hésité, après Dubaï, à évoquer la « première grande défaite numérique de l’Amérique (8) ».

    Dan Schiller

    Professeur de sciences de l’information et des bibliothèques à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign.