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Azel Guen : Décryptage de l'Actu Autrement - Page 94

  • "Balancer des noms ?

    "Balancer des noms ? Ce n'est pas le rôle de la presse "

    Evasion fiscale : comment rompre l'omerta ?

    600 milliards d'euros, rien que ça ! Ce serait le produit de l'évasion fiscale en France. Une évasion fiscale que la justice et la police se garderaient bien de combattre malgré les moulinets officiels contre les paradis fiscaux. C'est l'accusation lancée par un journaliste de La Croix, Antoine Peillon, dans un livre paru il y a quelques semaines et qui bizarrement, semble passer sous le radar des médias dominants.

    Nous avons donc souhaité l'inviter pour en savoir plus sur les mécanismes de cette évasion fiscale. A ses côtés, nous recevons également Xavier Harel, spécialiste de l'évasion fiscale et auteur d'un livre intitulé La grande évasion (éd. Les Liens qui libèrent et Babel) ; et Philippe Dominati, sénateur UMP et président d'une commission d'enquête au Sénat sur l'évasion fiscale.

    Dans ce domaine complexe, les choses pourraient bien évoluer assez rapidement : deux heures après le tournage de notre émission, on apprenait qu'une information judiciaire devait s'ouvrir sur l'évasion fiscale orchestrée par UBS.

    L'émission est présentée par Daniel Schneidermann, préparée par Marion Mousseau et Dan Israel
    et déco-réalisée par Dan Israel et François Rose.

    Chroniqueurs: Anne-Sophie Jacques, Didier Porte, Maja Neskovic, et Charline Vanhoenecker

    La vidéo dure 1 heure et 33 minutes.

    Si la lecture des vidéos est saccadée, reportez-vous à nos conseils.


    Une fois n'est pas coutume, nous commençons l'émission par la chronique de Maja Neskovic, qui est allée @ux sources d'un autre chroniqueur d'@si : Didier Porte ! Comment trouve-t-il l'inspiration ? Un travail d'équipe...

    On enchaîne logiquement par la chronique de Didier Porte. Cette semaine, il s'est intéressé à la Politique Académy de France 4 : "Qui veut devenir Président ?". Une émission au casting de rêve... (acte 1)

    Place au débat : l'exil fiscal. Un thème choisi après les révélations de l'ancien directeur du Monde, Eric Fottorino, dans notre émission D@ns le texte . Selon lui, la justice aurait stoppé des enquêtes sur des évasions fiscales impliquant des hommes politiques. Un sujet tabou, l'évasion fiscale ? Dans son livre, Ces 600 milliards qui manquent à la France (reportez-vous au compte-rendu d'Anne-Sophie Jacques si vous ne l'avez pas encore fait), Antoine Peillon a enquêté sur les activités de la filiale française de la banque suisse UBS, qui apparaît comme "la Rolls" de l'évasion fiscale. Comment ça marche ? "Des commerciaux suisses d'UBS sont invités le territoire français à l'occasion d'événements mondains, et sont mis en contact, via leurs collègues d'UBS France, avec des clients très fortunés, explique Peillon. La discussion est conviviale, discrète et elle aboutit à la proposition d'ouverture de comptes non déclarés de l'autre côté de la frontière". Ce procédé est doublement illégal car, outre l'évasion fiscale, il est interdit à un agent suisse d'opérer sur le territoire français. 

    A propos du travail de son confrère, Xavier Harel est dithyrambique : "Il y a un scoop, toutes les deux pages", assure-t-il. Certes, on savait déjà qu'UBS avait eu les mêmes pratiques aux Etats-Unis mais c'est la première fois que le mécanisme est décrit précisément en France. Philippe Dominati, président d'une commission d'enquête au Sénat sur l'évasion fiscale, assure qu'il n'était pas au courant du cas particulier de cette banque. Mais Peillon doit témoigner devant la commission la semaine prochaine. D'ailleurs, le journaliste assure que certaines de ses sources "sont déterminées à venir devant la commission" pour témoigner et "certains sont prêts à sortir de l'anonymat". Mais comment expliquer que la création de cette commission d'enquête au Sénat ait été passée sous silence jusqu'à présent ? "L'ampleur du phénomène [de l'évasion fiscale] a été très peu perçu, y compris par des confrères très bien informés", assure Peillon. "C'est en cours de travail que, moi-même, j'ai découvert les montants, les proportions et le poids en conséquence sur notre économie", ajoute-t-il. (acte 2) 

    Si Peillon n'a pas rencontré la direction d'UBS au cours de son enquête, il a été confronté, sur la télévision suisse, à un dirigeant de cette banque lors de la sortie du livre. Tout en réfutant le contenu du livre, ce dirigeant a déploré la méthode du journaliste, qui n'aurait cherché à joindre la direction de la banque que la veille de la remise du manuscrit. "C'est une blague, rétorque Peillon. Mais il n'a cherché à joindre la direction que son enquête bouclée. "Si je l'avais fait avant, ils auraient empêché ce travail", assure le journaliste avant d'ajouter : "On est sur des affaires où la situation est très tendue du point de vue de la sécurité". L'enquête a débuté en août 2011 et dès le mois de novembre, plusieurs sources de Peillon lui ont rapporté qu'il était surveillé. "Ils m'ont dit qu'il fallait que je prenne des précautions et de ce point de vue, ces avertissements sont assez désagréables car ils sont lourds". Dans ces conditions, comment recueille-t-on des informations sur ce type de sujet ? "La source d'information, ce n'est jamais la direction de la banque" qui s'abrite derrière le secret bancaire selon Harel. "Ce sont souvent des individus au sein de la banque, qui ont eux-mêmes été menacés parce qu'ils ont refusé de faire ce qu'on leur disait". 

    Depuis 2009, Nicolas Sarkozy assure "qu'il n'y a plus de paradis fiscaux" ou presque. Or, pour Xavier Harel, "rien ou presque n'a changé". D'ailleurs, si ça avait été le cas, "les paradis fiscaux se seraient vidés comme une baudruche" puisque tous les avoirs seraient rentrés. Seule (maigre) avancée : un début d'échange d'informations entre les pays européens et les paradis fiscaux. Car pour éviter d'être sur une liste noire, un pays, considéré comme un paradis fiscal, doit signer 12 conventions d'échanges d'informations bancaires avec d'autres pays. Sauf que les paradis fiscaux ont signé des conventions entre eux : "Le Lichtenstein a signé neuf conventions sur douze avec des paradis fiscaux", ironise Harel. Et comme par magie, aujourd'hui, il n'y a plus de pays dans la liste noire. Quant aux pays qui ont signé une convention avec la France, les résultats parlent d'eux-mêmes : seules 30% des demandes d'informations sur des comptes soupçonnés d'évasion fiscale ont été satisfaites... et les données transmises étaient déjà connues de la France. Un système totalement inefficace donc. D'ailleurs, "les fuites de l'argent français vers la Suisse se sont aggravées cette année" selon Peillon. Philippe Dominati ne partage pas ce pessimisme et assure qu'il y a eu de réelles avancées : "Le fisc a récupéré seize milliards d'euros cette année, soit un de plus que l'an dernier". (acte 3)

    Que font le fisc, la justice, la police française face à l’évasion fiscale? "Ils transmettent au Parquet de paris", répond Peillon. "Mais un an, deux ans passent, et rien n’est instruit. Ils s’en étonnent et commencent même à s’en scandaliser". La section financière est appelé le coffre-fort, "tout est verrouillé", assure-t-il. Sarkozy ne souhaite pas de poursuites judiciaires contre les bénéficiaires d’évasion fiscale? demande Daniel. "En tout cas les poursuites qui devraient avoir lieu n’ont pas lieu" répond Peillon. Dominati rétorque que c’est la Cour de cassation qui a empêché le gouvernement de poursuivre plusieurs personnes, car elle estimait qu’ils n’y avait pas assez de preuves. Les listes obtenues par Peillon sont-elles exploitables juridiquement? "Elles sont déjà exploitées, transmises au Parquet", assure-t-il.

    Pourquoi la question est-elle absente de la campagne? s'interroge Daniel. Peillon n'est pas aussi scandalisé. "C’est certainement parce que les candidats découvrent tout juste sa dimension économique, le montant n’était pas connu auparavant", assure-t-il. "Le sujet est compliqué", ajoute Harel, " il en train d’infuser". "Le problème est que le sujet est verrouillé dans le débat démocratique, il y a des gens qui profitent de l’évasion fiscale, des financements dans les partis qui ne sont pas légaux", ajoute Peillon. "Des hauts fonctionnairesme disent : nous ne pouvons plus faire notre métier dans de bonnes conditions. Certains intérêts particuliers empêchent que cela fonctionne". De son côté, Dominati rappelle que, depuis 2008, "il y a eu 23 lois pour lutter contre la fraude fiscale, votées à l’unanimité". (acte4)

    Le thème n’est pas complètement absent de la campagne présidentielle: sur France 2, dans l’émission "Des paroles et des actes", Eva Joly a accusé Sarkozy de bénéficier indirectement de l'évasion fiscale en recevant des financements politiques illicites de ceux qui détiennent ces comptes. "Mes sources m’ont dit que la campagne présidentielle de 2007 présente des gros problèmes de légalité", souligne Peillon. "Mais je ne suis pas sur que d’autres candidats n’ont pas bénéficié de systèmes équivalents", ajoute-t-il. Et d’assurer: "La justice ira jusqu’au bout", se fondant sur "beaucoup de contacts dans le monde judiciaire". Remarque prémonitoire, puisque nous apprenions quelques heures après l'enregistrement, que la justice s'apprêtait à ouvrir une information sur UBS .

    Comment faire émerger ce sujet dans le débat public?, se demande Anne-sophie. Elle propose dans son article de faire comme les Américains, "balancer les noms" qui sont sur les listings. "Ca a fait énorme débat idéologique chez nous, au Seuil" confie Peillon. "Ce n’est pas forcément le rôle de la presse de faire ce relaisparce qu’il y a défaut du système judiciaire", ajoute-t-il. "On a donné les noms de gens qui ont une notoriété publique importante, précise-t-il. L'Intérêt de ce livre, n'est pas de donner des noms, mais de soulever un phénomène dont l'ampleur dépasse les noms qui sont donnés." Au passage, Peillon précise que Fottorino travaillerait aussi sur le sujet. "Je sais que mes sources sont aussi les sources de Fottorino", précise-t-il.

    Charline s’est glissé cette dans les coulisses de l’émission "Des paroles et des actes" jeudi soir. Surprise: Mélenchon tutoie les journalistes. (acte 5) Re-surprise : Mélenchon a livré un scoop interplanétaire à la notre chroniqueuse, par ailleurs journaliste à la RTBF, sur la Wallonie dans une future et hypothétique VIe République. 


     

  • UN LIVRE DÉNONCE L'IMPUNITÉ DE L'ÉVASION

    Un livre dénonce l'impunité de l'évasion fiscale en France 

    "Ces 600 milliards qui manquent à la France"

    Et si l’évasion fiscale industrialisée était le prochain gros scandale à faire trembler le pouvoir ? La lecture du livre d’Antoine Peillon, journaliste de la Croix, donne sacrément envie de mettre la lumière sur ces pratiques frauduleuses jusqu'alors restées dans l'ombre de Bernard Squarcini, patron de la DCRI, ou dans les placards du procureur du parquet de Nanterre, Philippe Bourion. A la clé: 600 milliards d'euros.

     

    En refermant le livre d’Antoine Peillon, on reste médusés : comment ? Alors que manifestement la filiale française de la banque Suisse UBS organise quasi industriellement l’évasion fiscale, aucune instruction judiciaire n’a encore été ouverte ? Comment ? Nous, pères la morale montrant du doigt les vilains Grecs fraudeurs, on laisse s’évader ainsi l’équivalent de cinq fois les recettes annuelles de l'impôt sur le revenu ? En pleine crise de la dette publique, mère des plans d’austérité, rien n’est fait pour retenir ne serait-ce qu’une petite partie des grosses fortunes qui partent travailler pour espérer des rendements grassouillets ?

    Tout donne le tournis dans l'enquête de Peillon. Les chiffres d’abord, à commencer par le plus gros, celui de la couverture : 600 milliards d’euros. Ce chiffre est la somme de toutes les recettes qui ont échappé au fisc français du fait de l’évasion fiscale. Par an, selon l’auteur, ce sont 30 milliards qui manquent à l’appel. Il s’appuie sur les estimations des cadres de la banque UBS qui avancent également le chiffre de 850 millions (en dix ans) soustraits au fisc français par leur seule banque. Et encore, nous dit Peillon, c'est la fourchette basse. Basse peut-être, mais bien plus élevée que les chiffres officiels repris tels quels dans la presse. Le syndicat SNUI-SUD Trésor évalue la fraude entre 15 et 20 milliards. Toute fraude confondue (sur la TVA, le travail au noir, les prélèvements sociaux évités, plus l’évasion fiscale) la Cour des comptes penchait, en 2007, pour une perte comprise entre 29 et 40 milliards d’euros.

     

    Mais ce n’est pas tant les sommes sous-évaluées qui provoquent le vertige que les pratiques d’évasion fiscale organisées par la banque UBS. Pourquoi cette banque-là et pas les autres ? Après tout, Peillon estime que la banque suisse, premier groupe mondial dans la gestion de patrimoine, gère "seulement" un vingtième de l’évasion fiscale en France. BNP Paribas, la Société générale, les Banques populaires, toutes ont un don pour l’évasion. Mais l’auteur ne s’est pas intéressé à UBS par hasard.

    UBS et les riches américains

    Déjà, il y a un précédent aux Etats-Unis. Le fisc américain a mis au jour un manège d’évasion fiscale à grande échelle organisé par UBS. Rien qu’en 2004, la banque suisse avait créé 900 sociétés écrans pour garantir l’anonymat des grosses fortunes et ouvert 52 000 comptes non déclarés. L’année 2008 signe la fin de récré : la banque est lourdement condamnée, des têtes tombent, les Etats-Unis menacent UBS de retirer sa licence bancaire et décident coûte que coûte de récupérer l’argent évadé.

    Ces pratiques ne se sont pas limitées aux frontières des Etats-Unis. Pour Peillon, la création de la filiale UBS France en décembre 1998 n’avait pas d’autres buts que de capter des gros clients français pour les inviter à placer leur argent au chaud, dans les paradis fiscaux. La preuve ? UBS France enregistre un déficit comptable structurel de 560 millions. C’est-à-dire qu’avec sa seule activité de banque en France, UBS perd de l’argent. Un comble non ? Ce déficit ne cache-t-il pas un loup ? Non, il cache des vaches. Plus exactement, des "fichiers vaches" et des "carnets du lait", noms donnés à la comptabilité parallèle. Dans ces fichiers se cachent les coordonnées des clients ainsi harponnés. En résumé, UBS France pratique non pas l’évasion fiscale style court séjour au soleil mais l’évasion massive, industrialisée, et totalement illégale.

     

    Des vaches, des carnets de lait, on peut se dire que l’auteur a abusé du chocolat suisse. Même pas. Ces pratiques sont dénoncées par une multitude de témoins. Le récit s’appuie sur trois témoignages centraux et anonymes : un ex-commissaire divisionnaire de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI née de la fusion de la DST et des renseignements généraux, le FBI à la française), une dirigeante du groupe bancaire suisse UBS et un cadre de la filiale française. Tous sont d'accord : oui la fraude est massive, oui elle est organisée, oui elle est étouffée. Etouffée par qui ? Tout d’abord par la banque elle-même. Le livre de Peillon est parsemé de batailles en interne qui déchirent le personnel. Beaucoup sont scandalisés par ces pratiques. Beaucoup ont aujourd’hui envie d’en parler. Cependant, le livre montre bien que la situation n'est pas manichéenne: on ne trouve pas les méchants banquiers fraudeurs d'un côté et les gentils banquiers innocents de l'autre.

    Prenons le cas de John Cusach, dirigeant suisse du groupe UBS et plus précisément "patron de la Conformité" du secteur Gestion de fortune et banque d'affaires. Quand, en 2002, un juriste lui fait part de ses interrogations sur les pratiques d’évasion fiscale aux Etats-Unis, il ne bronche pas. Ceci est normal, c’est le modèle économique de la banque. En revanche, l’année suivante, quand il met le nez dans les locaux d’UBS France et se penche sur la liste des comptes soupçonnés d’être liés à des activités dites sensibles (entendez le terrorisme, la drogue, le grand banditisme), il devient tout rouge. Pas question de ternir l’image du groupe en abritant des fortunes peu recommandables. L’évasion fiscale oui, l’argent du terrorisme, non. Cette ambivalence se retrouve également dans l’adoption récente – certes anecdotique – d’un "dresscode" qui suggère aux salariés, hommes et femmes, de porter des sous-vêtements discrets. Comme le souligne la dirigeante du groupe, on y voit "le fond de la culture UBS, dans sa forme la plus pure: une volonté de contrôle moral absolu totalement contradictoire avec la réalité des pratiques."

     


    Les pratiques sont connues, et quand bien même UBS tente de les étouffer, elles se sont ébruitées. Une plainte a été déposée fin 2009 par une salariée d’UBS, plainte transmise au parquet de Paris qui, à cette heure, n’a toujours pas jugé bon d’ouvrir une instruction judiciaire. La salariée, quant a elle, a été licenciée cette année. De même, l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) de la Banque de France a été alertée à plusieurs reprises. Même si cette dernière a fait preuve, selon Peillon, d’un relatif immobilisme, elle a néanmoins transmis une note au parquet de Paris pour ouverture d’une enquête préliminaire. Cette enquête a été confiée au Service national de douane judiciaire (SNDJ). Et puis? Et puis rien. Ce qui ne manque pas d’étonner l’auteur : "l’investigation du SNDJ n’a toujours pas conduit le parquet, en la personne du vice-procureur de Paris [aujourd’hui à Nanterre], Philippe Bourion, à transformer l’enquête préliminaire en véritable instruction judiciaire."

    K comme kapital (ou comme koi ? kelle évasion fiscale ?)

    Ce n’est pas la seule consternation : on peut en effet se demander pourquoi le ministère des finances ne réagit pas non plus. Pour l’auteur, il est impossible qu’il ne soit pas au courant. Alors ? Là, le témoignage de l’ex-commissaire de la DCRI est confondant. Le renseignement intérieur, dirigé par Bernard Squarcini, abrite un département consacré à la sécurité de l’économie française, qui répond au doux nom de K (comme Das Kapital, le livre de Marx). Selon le témoin, "Squarcini, Gilles Gray et son équipe de la sous-direction K de la DCRI ont fait preuve «d’incurie» voire de «contre-performance volontaire». Autrement dit: ils ont permis l’étouffement du scandale de l’évasion fiscale. Dans quel but ? A qui profite cette évasion massive, excepté évidemment aux grosses fortunes ? Peillon y va franco : l’évasion fiscale a servi au financement politique illégal du parti de Nicolas Sarkozy et au trafic d’influence. Ce scandale en rejoint un autre : celui de l’affaire Bettencourt. Car la vieille dame de L'Oréal possède de nombreux comptes en Suisse, dont certains chez UBS. Il est avéré que les mouvements suspects sur ces comptes, entre 2005 et 2008, sont carastéristiques de l'évasion fiscale. 20 millions ont ainsi pu être dissimulés au fisc français. Une somme qui a pu finir dans de petites enveloppes en papier kraft à destination des hommes politiques. Conclusion de Peillon : "les générosités de la milliardaire vis-à-vis des champions politiques expliqueraient-elles cette timidité judiciaire ?"

     

    A ce stade se pose une question médiatique : comment faire émerger le scandale de l’évasion fiscale dans le débat, qui plus est en pleine présidentielle ? Comment lui faire prendre l’ampleur qu’a connue l’affaire Bettencourt initiée et portée par Mediapart puis relayée ensuite par de très nombreux médias ? Soyons honnête : l'enquête de Peillon n’a pas été ostracisée. Si l’auteur n’a pas couru les plateaux des JT ou celui du Grand Journal, il a été l’invité de France 3 et de France Info . On le retrouve aussi sur Mediapart , un blog du Monde , Challenges , Marianne , Alternatives économiques … et bientôt sur @rrêt sur images ( Peillon sera l’invité de notre émission de vendredi). Malgré tout, le scandale n’a pas encore pris l’allure d’une vague qui emporte tout sur son passage. Pourtant, Peillon se dit prêt – voire impatient – de livrer sa brouette de documents à un juge d’instruction, et il affirme qu’aujourd’hui un grand nombre de ses témoins accepteraient d’être auditionnés à visage découvert. Mais comment réagir contre l'inertie des parquets de Paris et Nanterre ?

    Je propose une option : pourquoi ne pas balancer des noms ? Dans l’avant-dernier chapitre de son livre, "les jeux et le cirque", Antoine Peillon cite des sportifs (des footballeurs majoritairement) qui font partie de la liste de "clients off", c’est-à-dire soupçonnés d’évasion fiscale : Antoine Sibierski, Marcel Desailly, David Bellion, Christian Karembeu, Patrick Vieira, Claude Makélélé, Laurent Blanc. Cette liste, extraite de la note de l’ACP de la Banque de France, n’est pas exhaustive, on s’en doute.

    D’accord, ça s’appelle de la dénonciation, ou de la délation. Et ce n’est pas joli-joli. Peut-être qu’on peut juste faire peur : c’est ce qu’a fait le fisc américain qui, pour faire pression sur la Suisse, a très vite menacé de rendre publique la liste des 52 000 clients fraudeurs. Faut-il en passer par là ? Je vous laisse juges.

     

  • INDÉPENDANCE, MODE D'EMPLOI

     09h15 le neuf-quinze

     
    Par Daniel Schneidermann le 03/04/2013
     
    Je me souviens de Fabrice Arfi évoquant calmement, sur les plateaux, chez nous et ailleurs, le menteur Cahuzac. C'était un jeune flic poursuivant sa partie contre un élégant voyou, qui finirait bien par tomber un jour. Le flic était sûr de tenir sa proie. Et peu importait que le voyou parle bien, et porte l'habit de ministre. Il n'était déjà plus qu'un poisson, se débattant au bout d'une ligne.
    Dans ce poisson, tous les confrères d'Arfi faisaient encore semblant de voir un ministre. Ils le recevaient pour parler budget, comme si de rien n'était. Ils lui posaient rituellement une question de poisson au début de l'interview, puis semblaient oublier le poisson, et jouaient à l'interview classique, saluant l'artiste de l'austérité, son savoir-faire, sa virtuosité dans la cause sacrée de la réduction du déficit.
    Qu'est-ce d'autre, un journaliste indépendant, que quelqu'un qui n'est pas obligé de considérer un justiciable comme autre chose qu'un justiciable ? Ce n'est pas moi qui parle de journaliste indépendant, c'est Pujadas et Ayrault, hier soir, encore sonnés de l'aveu , évoquant tous les deux, comme une réalité désormais admise, institutionnelle, "les médias indépendants", en saluant leur travail. C'est donc officiel, ratifié par le Premier ministre et le speaker d'Etat: il y a "les médias indépendants", et les autres. Reste à trouver un nom pour les autres.

    Pourquoi les médias indépendants sont-ils plus indépendants que les autres ? Pas parce que leurs journalistes seraient intrinsèquement meilleurs. Et pas (seulement) non plus parce qu'ils sont financièrement indépendants, sans financements publicitaires ni étatiques, sans autres propriétaires que leurs équipes de rédaction. C'est aussi (me semble-t-il) parce qu'ils se sont rendus intellectuellement indépendants du suivi des pouvoirs au jour le jour. A la différence de tous ses confrères, Mediapart ne suit pas assidûment, au jour le jour, l'actualité politique traditionnelle au sens de la course de chevaux (y aura-t-il un remaniement ? Montebourg a-t-il vraiment engueulé Ayrault ? Où en est le feuilleton Copé-Fillon ? Et tiens, où en sont les sondages ? Etc). Se délivrer des servitudes de ces distrayants feuilletons (partager des déjeuners, solliciter des confidences, respecter le off) est aussi une condition de l'indépendance.

    PS: heureux de retrouver les matinautes, après une semaine d'enquête sur le terrain dont je rapporte (en toute indépendance) ce scoop exclusif: la grippe 2013 est vraiment implacable.

    Mediapart 2

     
  • HARO CONTRE DES PARENTS PYROMANES

    HARO CONTRE DES PARENTS PYROMANES ET ASSISTÉS (PRESSE GB)
    Par Gilles Klein le 03/04/2013

    Pyromane, père de 17 enfants et vu comme adepte des prestations sociales, MickPhilpott est à la une de la presse britannique. En effet, lui et sa femme, parents de six jeunes enfants morts, en 2012, dans un incendie, d'abord présenté comme accidentel, ont finalement été jugés coupables de meurtre. Toute la presse britannique se déchaîne contre le père de cette famille, connue depuis qu'elle a fait l'objet d'un documentaire dénonçant les prestations sociales vues, par certains, comme trop généreuses.

    MickPhilpott est sans emploi et il a eu 18 enfants au total de plusieurs femmes. Il vivait avec sa femme et sa maitresse ainsi que leurs enfants à Allenton (Derbyshire). Mais cette maîtresse est finalement partie avec les enfants qu'elle a eus de Philpott.

    Le 11 mai 2012, c'est le drame. Cinq enfants de 5 à 10 ans meurent pendant l'incendie de la maison de Philpott. Le sixième, âgé de 13 ans, mourra deux jours après à l'hôpital. Leur père disait avoir vainement essayé de secourir sa progéniture, coincée à l'étage alors que lui dormait au rez-de-chaussée avec sa femme Mairead. Mais le 29 mai 2012, les parents sont inculpés pour meurtres, ainsi qu'un de leurs amis. Tous les trois viennent d'être reconnus coupables au cours d'un procès qui s'est terminé hier.

    En fait, les parents auraient eux-mêmes mis le feu avec de l'essence, avant d'être surpris par la violence des flammes qui les aurait empêchés de sauver leurs enfants. Peu après, le père, chômeur, était passé à la télévision, en pleurs, demandant que l'on retrouve l'auteur de l'incendie. Il espérait faire accuser son ex-maitresse qui avait quitté leur maison avec ses enfants. Ce qui lui aurait permis d'obtenir la garde des enfants de cette femme et de récupérer les allocations familiales qu'il touchait jusqu'à son départ. Juste après le drame, le journal local, le Derby Telegraph saluait, le 13 mai 2012 sa douleur, tout en signalant qu'il n'était pas toujours bien vu dans la région.

    Aujourd'hui, le ton a changé, l'heure est au lynchage médiatique, la presse britannique montre le "père indigne" en compagnie de ses enfants défunts à la une, le ton est violent, qu'il s'agisse de presse sérieuse ou de tabloïd, le couple est appelé les "parents diaboliques".

    Daily Express Guardian

    "Le salaud tueur d'enfants m'a donné 27 coups de couteau" titre le Sun en citant une ex-maitresse qui accuse Philpott d'avoir essayé de la tuer. Le Sun écrit quePhilpott profitait en fait de plus de 4 000 euros par mois versés à ses deux compagnes pour leurs enfants. De plus, le Sun l'accuse d'avoir des tendances pédophiles et de coucher avec les deux femmes en même temps, tout en les battant régulièrement.

    Independent Sun
    Daily Mail

    Pour le Daily Mail, cet homme représente le "vil produit de la protection sociale britannique". Le journal estime que cet homme a eu 17 enfants de plusieurs femmes pour bénéficier des allocations familiales. De plus, note leDaily Mail, il a été accusé de viol. Pis, selon le quotidien les travailleurs sociaux n'ont rien fait même quand il a étalé son "sordide mode de vie" à la télévision.

    Le quotidien n'en est pas à son premier article contre Philpott. Déja en 2006, le Daily Mail s'en était pris plusieurs fois à lui. En mars, le quotidien estimait que Filpott touchait plus de 25 000 euros par an en prestations sociales diverses. En novembre 2006, nouvel article car Philpott réclamait un logement social plus grand alors qu'il vivait avec sa femme et sa maîtresse qui était toutes deux enceintes alors qu'il avait déjà 15 enfants.

    En 2007,Philpott était passé dans des émissions comme le Jeremy Kyle Show qui présente des personnes qui ont une vie difficile et font face à des problèmes de drogue, d'histoires sexuelles, ou ont des comportements plus ou moins considérés comme aberrants.

     

    La même année, Ann Widdecombe (à gauche sur la photo), une ancienne députée conservatrice qui dénonce depuis toujours les prestations sociales trop généreuses,avait tourné chezPhilpott (enfant au bras), un documentaire intitulé Ann Widdecombe Versus the Benefits Culture pendant une semaine. Il fut diffusé sur la chaîne privée ITV en août 2007.

    Philpottfut ensuite appelé par le Daily Mail "the country's most successful benefits crounger" (le plus grand parasite, ou le meilleur pique-assiette de Grande Bretagne).

    L'homme qui vient d'être reconnu coupable n'était donc pas inconnu des médias britanniques avant l'incendie de 2012.

    Anne

  • FRED A REJOINT PHILÉMON


    FRED A REJOINT PHILÉMON SUR LA LETTRE A (COMME ATLANTIQUE)
    Par Alain Korkos le 03/04/2013

    Le 22 février dernier paraissait le seizième et ultime album des aventures de Philémon dessiné par Fred, Le train où vont les choses. Nous en parlions sur @si, dans un Vite dit publié le 13 mars. Hier, 2 avril 2013, Fred s'en est définitivement allé à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Il avait récemment subi une opération du coeur. Sans aucun doute a-t-il rejoint Philémon, l'âne Anatole et Monsieur Barthélémy sur la lettre A du mot Atlantique…

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    Photo de Fred, parue aujourd'hui 
    sur le site des Éditions Dargaud

     

    Voici, réédité, ce Vite dit récemment consacré à Fred.

     

     

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    Philémon, l'âne Anatole et Monsieur Barthélémy, créations de Fred (plus connu dans sa famille sous les prénoms et patronyme de Frédéric Othon Théodore Aristidès), sont enfin de retour dans un album intitulé Le train où vont les choses, seizième de la série qui était à l'arrêt depuis Le diable du peintre, paru en 1987.


    > Cliquez sur l'image pour un gros plan <


    Qui n'a pas grandi avec Philémon et le naufragé du "A" (1972)…

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    Simbabbad de Batbad (1974)…

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    … dont voici une planche spectaculaire (mais Gotlib en avait à peu près autant en 1971 avec sa girafe dans le deuxième tome de sa Rubrique-à-brac)…


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    … Philémon à l'heure du second "T" (1975)…

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    … ou L'arche du "A" (1976)…

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    … a raté sa jeunesse !

    Il est cependant possible de se rattraper en commençant par Le train où vont les choses, dont voici les trois premières planches enfumées bien qu'aucun pape ne se profile à l'horizon :


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    "Le train où vont les choses s'ouvre, nous dit l'éditeur, sur Philémon et Barthélemy découvrant une locomotive perdue en pleine campagne, au milieu de ce qu'ils prennent pour un épais brouillard. Le conducteur leur explique qu'il s'agit en fait de la vapeur qui s'échappe de la machine. Or, c'est justement grâce à cette vapeur toute particulière, la « vapeur d'imaginaire », que la locomotive fonctionne…"

    Dans le même temps, nous apprenons grâce à un touite du site BDGest' que la série Philémon va être adaptée au cinéma, au Canada, en anglais et en 3D (voir par là cet article du Huffington Post québécois). De quoi frémir…


    Intermède littéraire de haut vol


    Dans La vie mode d'emploi, Georges Perec évoque Philémon dans le dernier paragraphe du chapitre XII :

    "L'enfant (…) joue avec une petite toupie ronfleuse sur laquelle des oiseaux ont été dessinés de telle manière que lorsque la toupie ralentit on a l'impression qu'ils battent des ailes. À côté de lui sur un journal de bandes dessinées on voit un grand jeune homme à tignasse avec un chandail bleu à bandes blanches, chevauchant un âne. Dans la bulle qui sort de la bouche de l'âne - car c'est un âne qui parle - on lit ces mots : « Qui veut faire l'âne fait la bête. »"

    Il s'agit là d'une parodie d'une pensée de Pascal : "L'homme n'est ni ange ni bête, et qui veut faire l'ange fait la bête."


    Fin de l'intermède littéraire de haut vol


    Fred est également l'auteur de plusieurs albums ne faisant pas partie de la série Philémon. Citons entre autres Le fond de l'air est frais (1973) qui fut d'abord le titre d'une chanson écrite pour Jacques Dutronc…

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    … et Le petit cirque (1973 itou, chédeuvre intégral) :

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    Le fond de l'air est frais, donc. Mais Philémon est de retour, alors que Fred s'en est allé.

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    L'occasion de lire ma chronique intitulée Jean-Paul Goude et Kenzo, l'esprit et la lettre, où il est question là aussi d'alphabets peu ordinaires.