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Societe - Page 17

  • TÉMOIGNAGE:vivre ensemble?


    10/11/2013 à 11h33

    Ma grand-mère vote FN, mon amie dit « chinetoque » : fragments d’un racisme ordinaire


    A la maternelle, mes deux meilleurs amis s’appellent Jérémie Cohen et Abdulaï Bourouissa. Tous deux sont français, et je ne me pose pas la question de savoir s’ils sont juifs, musulmans, catholiques ou athées. Ce sont mes deux petits copains, et on s’amuse bien.

    En CP, ma meilleure amie, Estelle, est chinoise. Elle ne parle pas beaucoup le français, mais on s’entend bien. Pas longtemps après, je tombe amoureuse de Philippe da Silva.

    MAKING OF

    Elisa G. (le prénom a été changé) est née en 1983. Elle a un grand-père chinois, est titulaire d’un doctorat. Rue89

     

    En classe de CE1, un scandale éclate parce qu’une de mes amies a traité un camarade de « sale juif ».

    J’ai 8 ans. En passant devant une librairie, je vois un livre dont la couverture montre une femme qui baisse sa tête, couverte d’un voile. Le titre : « La Femme lapidée ».

    Je demande à ma mère ce que ça veut dire, « lapidée ». Elle m’explique. Je marmonne un truc du genre : « Ils sont méchants, les musulmans ».

    Mon père soupire et dit tristement à ma mère : « Tu vois, c’est comme ça que ça démarre, le racisme. »

    Quand j’ai commencé à haïr ma grand-mère

    Je suis blanche. Enfin, j’en ai l’air… je ne suis qu’aux trois quarts « gauloise » : mon grand-père maternel, mort quand ma mère était adolescente, était chinois.

    Il avait rencontré ma grand-mère pendant la guerre, paraît-il. Ou avant, je ne sais pas : ma mère n’en a jamais beaucoup parlé, et je doute même qu’elle en sache grand chose.


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    Une chose est certaine : il y a une dizaine d’années, ma mère et ma grand-mère se brouillent gravement : ma grand-mère et son mari ont voté Front national aux élections…

    C’était en 2002, la présidentielle qui a vu Jean-Marie Le Pen se qualifier pour le second tour.

    Ma grand-mère, donc, vote FN. Elle parle de « nègres ». Encore adolescente, je n’arrive pas à comprendre qu’elle ait pu se marier et avoir deux enfants avec un Chinois, et tenir plus tard des propos racistes.

    J’ai haï ma grand-mère pour cela. Je la haïrais encore, si cela ne faisait pas tant de peine à ma mère, qui m’incite à relativiser et m’assure que le monde n’est pas en noir et blanc.

    J’ai surtout haï ma grand-mère pour avoir interdit au père de ses enfants de leur apprendre à parler sa langue.

    En 2002, Le Pen est un guignol, et cet horrible malentendu sera bientôt derrière nous

    Grandissant à Paris, dans une partie relativement bourgeoise mais pas exclusivement blanche de la ville, je ne me rends pas compte de grand-chose. (Bien sûr, il y a certains quartiers et certaines banlieues alentours dans lesquels je ne mets pas les pieds de toute mon enfance.)

    En voyage aux Etats-Unis dans les années 90, notamment à Détroit, je trouve très étrange que d’une rue à l’autre, la population passe de « blanc BCBG » à « noir cracké jusqu’aux yeux ».

    Au collège, un type de ma classe, Marko, dont les parents sont yougoslaves, se fait tabasser par un dénommé Qasim. Question du professeur de maths à propos de l’agresseur : « C’est un Français ? » Un de mes amis ne cesse de répéter cette phrase, qui a échappé à notre enseignant. Je ne comprends pas bien pourquoi il bloque là-dessus.

    J’ai 19 ans. Mon petit ami de l’époque part manifester spontanément, comme beaucoup d’autres. Aujourd’hui, la garde des Sceaux est traitée de « guenon » par une gamine lobotomisée par le racisme ordinaire. Quand irons-nous manifester ?

    En 2002, je ne vais pas manifester : je ne vois pas l’intérêt : Le Pen est un guignol, toute cette agitation est hors de propos, cet horrible malentendu sera bientôt derrière nous.

    Plus tard, je suis étudiante en échange universitaire, aux Etats-Unis. Pour les « aliens » que sont les étudiants « internationaux », tourner les Américains en dérision est le sport de rigueur.

    Nous ne faisons pas partie de ces vilains impérialistes, non Monsieur. Je me sens donc d’autant plus trahie lorsqu’un de mes amis, Indien du Kerala (lui-même méprisé par ses compatriotes originaires de Delhi ou de Mumbai), me lance que de toute façon, je viens moi-même d’une ancienne puissance coloniale.

    Je pensais que nous étions tous anti-Américains, unis dans notre morgue anti-impérialiste : me voici ramenée à mon statut de française, je suis blanche, je suis du Premier Monde, donc je ne comprendrai jamais rien à rien.

    Devenue adulte, je commence une thèse sur une artiste afro-américaine qui remue la mémoire américaine et l’héritage psychologique, social, économique et politique de l’esclavage.

    Je m’insurge, je m’indigne : l’histoire américaine est vraiment atroce. Esclavage, extermination des « natifs » Américains, ségrégation, lynchage, inégalités. « I’m so ashamed of being white… » (« j’ai tellement honte d’être blanche »).

    Mais finalement, tout cela demeure mon objet d’études. J’ai beau passer pour blanche, le fait d’être française me protège de tout ce passé traumatique, de tout ce présent dégueulasse : le racisme, c’est un truc de Ricains.

    Je suis du bon côté. Mon pays est celui de l’assimilation. Je rentre en France.

    On ne dit pas Dumas était un quarteron

    La présidence Sarkozy : le racisme sort de la bouche des gouvernants. Ça fait tache. Les consciences se réveillent : on commence à se rendre compte que le racisme n’est pas le seul fait de bouseux abrutis par la misère et la télévision, qu’il est en train de se décomplexer.

    Un de mes bons amis, spécialisé en philosophie, a mal tourné : il fait désormais partie d’une cellule néo-fasciste.

    Une amie me raconte qu’un de ses étudiants, par provocation, s’est vanté auprès d’elle d’avoir mis un Rom en cage, une nuit, près de la gare du Nord, avec ses copains (l’un d’entre eux est maître-chien).

    Je dois sans cesse corriger une amie, qui a tendance à utiliser le terme « chinetoque ». Elle part au quart de tour lorsqu’on ne prononce pas son nom de famille avec l’accent approprié (espagnol, en l’occurrence).

    J’essaie d’expliquer aux amis de cette amie que l’humour ne justifie pas tout, que n’importe qui ne peut pas rire de n’importe quoi, que les blagues racistes ou sexistes constituent une forme d’agression larvée qui n’a rien à voir avec la liberté d’expression.

    Que le rire est certes une façon de créer du lien communautaire, mais que ce lien se crée contre l’autre, l’étranger, l’ennemi.

    Ce n’est qu’au cours de mes recherches en études africaines-américaines que j’apprends qu’Alexandre Dumas était quarteron. (Aux Etats-Unis, on dirait « noir ».) On ne nous l’avait jamais dit, à l’école.

    « Les Chinois, ils puent tous le nem »

    Je tique lorsque j’entends un enfant (cinq ans) se mettre pour rire, à faire semblant de « parler chinois » : « Tching tchong tchung tcheng tchang ». Et les grimaces qui vont avec. Je râle, car je suis devenue tellement paranoïaque sur ces questions que je m’emporte désormais pour tout et n’importe quoi.

    Sa mère, une amie, se met en colère et me dit d’arrêter de m’en prendre à son fils, qu’elle aimerait bien voir qui de mon cercle d’amis est noir, rebeu, chinois. J’ai voulu faire l’ange : résultat, je fais la bête. Nous ne nous reparlerons pas pendant des mois.

    J’accompagne mon petit ami à un déjeuner en proche banlieue parisienne (Neuilly). Tout à coup, notre hôtesse, un peu éméchée après quelques verres de rosé (on a aussi mangé du saucisson), se lance dans une diatribe contre les Chinois, « qui ont tous la même tête, et qui puent tous le nem ». (Meuf : « nem » est un terme viêt, à ma connaissance.)

    Je suis tellement choquée que je ne l’engueule pas. Que je ne pars pas en trombe. Que je ne lui fais pas remarquer que sa sortie était raciste. Mon petit ami a vu mes yeux noircir, et acquiesce sans trop la ramener quand, cinq minutes plus tard, l’air de rien, je lui demande qu’on s’en aille. (Il me jure que cette fille n’est que la copine d’un ami d’ami d’ami.)

    Mais ce sont cinq minutes de trop. Pendant ces cinq minutes, je me suis rendu compte que ces jeunes gens, qui appartiennent à la bourgeoisie française, font partie des décideurs de demain. Que les Blancs racistes se sentent en sécurité parce qu’ils pensent être entre eux – l’intruse que je suis ne se remarque pas, il faut avoir l’œil bien exercé pour voir la Jaune dans cette femme aux cheveux roux.

    Je m’en veux encore de n’avoir rien dit. Cette personne va continuer à sévir en toute impunité, elle ne saura jamais qu’elle est abjecte ; elle élèvera ses enfants à penser les mêmes conneries qu’elle. Et ils auront un pouvoir de nuisance sans doute non négligeable. (Mais pas de fatalisme : peut-être se détacheront-ils du modèle parental.)

    « Pas mal, hein, la petite bamboula ? »

    Le racisme ordinaire est le fait de personnes éduquées, à l’abri du sentiment de frustration que procure l’impuissance politique et économique.

    Un ami à moi, qui travaille avec un homme politique important, me confie que cet homme (ne sachant pas que ledit ami est homosexuel) lui a lancé, un jour à propos d’une stagiaire d’origine camerounaise, clin d’œil à l’appui : « Vous l’avez vue ? Pas mal, hein, la petite bamboula ? »

    Dans la rue, une femme ivre m’interpelle :

    « Toi ! Eh, toi ! T’as une drôle de tête...
    – C’est à moi que vous parlez ? 
    – Ben ouais, à toi ! Pas à ton pote, lui il a juste une gueule de métèque. »

    Le pote en question se marre, et me dit de ne pas m’en faire, alors que la situation me retourne l’estomac.

    On dira que ces petites histoires d’intellectuelle blanche surprotégée, bien-pensante et politiquement correcte n’intéressent personne.

    Pourtant, le racisme ordinaire se niche dans de petits faits verbaux, de petites plaisanteries et des micro-agressions que l’on a vite fait de mettre derrière soi pour vaquer à ses occupations, pour ne pas avoir le sentiment d’être en permanence sur le pied de guerre, en lutte contre une société raciste et sexiste.

    Et ce racisme ordinaire peut, à force, unifié, accomplir de grandes choses.

    Une même logique, la déshumanisation

    Surtout, il concerne tout le monde, et pas seulement les gens « de couleur » (il FAUT élaborer une autre terminologie). De même que l’antisémitisme ne concerne pas seulement les juifs, le sexisme les femmes, l’homophobie les homosexuels.

    Je n’aime pas faire des amalgames entre toutes les « minorités opprimées ». Pourtant, malgré des histoires différentes et un rapport au corps qui n’est pas identique, il faut reconnaître que les phénomènes de rejet relèvent de la même logique, celle de la déshumanisation.

    Le racisme est une psychopathologie. Une sale maladie. Il n’atteste pas seulement la peur de la différence apparente ; le racisme naît aussi de la paresse intellectuelle, celle qui préfère réduire autrui à un stéréotype, à une identité « prête à appréhender » afin d’esquiver la complexité de chaque être humain.

  • Sexualité et enfance

    Sexualité et enfance : l’académie de Nantes recommande de cacher un livre aux parents

    Le rec­to­rat de l’académie de Nantes recommande des lec­tures à étudier en cachette, signale Directmatin. La fiche de lec­ture aca­dé­mique du livre jeu­nesse Que font les petits gar­çons ? de Nikolaus Heidelbach encou­rage en effet les ensei­gnants à ne pas lais­ser les élèves rap­por­ter à la mai­son cet album.

    L’académie craint que ce livre « dérange », car abor­dant deux sujets ordi­nai­re­ment « tabous » dans la lit­té­ra­ture jeu­nesse : « la mort et la sexua­lité ». Ce « cata­logue assez scan­da­leux de l’activité des petits gar­çons » peut donc être lu en classe, mais en évitant dans la mesure du pos­sible que les parents l’apprennent.

    « Impératif » que l’album ne soit pas emmené à la maison

    « Il est impé­ra­tif que la phase de décou­verte ait lieu en classe et que les albums ne soient pas emprun­tés pour être emme­nés à la mai­son. Les réac­tions très néga­tives de cer­tains adultes à l’égard du livre pour­raient com­pro­mettre son exploi­ta­tion », est-il indi­qué en gras dans la notice de recom­man­da­tion de lec­ture, repé­rée par des internautes.

    La décou­verte a sus­cité un débat sur les réseaux sociaux et l’indignation de nom­breux parents d’élèves. Un parent dénonce notam­ment « un manque de loyauté inima­gi­nable », et se demande « quelle confiance accor­der à une ins­ti­tu­tion qui pré­tend nous cacher ce qu’on donne à lire à nos enfants ». Cette polé­mique tombe mal, alors que le minis­tère de l’Éducation natio­nale s’est fixé comme prio­rité d’améliorer les rela­tions entre l’école et les familles.

    Le rec­to­rat a rapi­de­ment retiré de son site la fiche de lec­ture, datée de juin 2004, afin de « ne pas mettre d’huile sur le feu », mais le docu­ment cir­cule encore sur Internet :

     

     

    Addendum E&R

    Quelques illustrations tirées du livre :

     

     

  • TV lobotomie

    Lire : TV lobotomie - La vérité scientifique sur les effets de la télévision, de Michel Desmurget

    par Henri Malerle 8 août 2014

    Les médias ne sont pas tout-puissants. Leurs effets et, en particulier, les usages de l’information sont socialement différenciés. Les publics ne forment pas une masse indistincte et passive. Mais tous les supports ne sont pas équivalents. Comment nier que l’exposition à la télévision et à ses programmes puisse avoir des conséquences très nocives, notamment auprès des enfants et des adolescents ? Ce sont ces conséquences que, non sans virulence polémique, mais sur la base d’une très abondante documentation scientifique, Michel Desmurget, docteur en neurosciences, passe en revue, dans une ouvrage paru en février 2011 : TV lobotomie - La vérité scientifique sur les effets de la télévision [1].

    Un bref aperçu de la table des matières dit assez ce que soutient l’auteur. « Maîtresse du temps et de l’espace », la télévision, tendanciellement « a colonisé notre espace domestique et pris possession de nos plannings » (Chapitre I : « La télé en tous lieux et à toute heure »). Son usage intensif est « une entrave majeure à la réussite scolaire » et atteint l’acquisition de la lecture et du langage ainsi que les capacités d’attention (Chapitre II : « La télé menace l’intelligence »). Elle contribue à l’obésité, à la tabagie, à l’abus d’alcool, à la dégradation de la sexualité (Chapitre III : « La télé menace la santé »). Elle stimule l’agressivité et la désensibilisation face à la violence et, en même temps, elle nourrit la peur (« Chapitre IV : La télé cultive la peur et la violence »). Toutes ces affirmations sont-elles excessives et mal fondées ? Avant de tenter de répondre, mieux vaut lire ce livre. Pour contribuer à cette lecture, voici un résumé moins succinct que celui que l’on vient de lire.

    * * *

    Dès l’introduction du livre, Michel Desmurget prend vigoureusement à partie les arguments (et les auteurs) qui nient, peu ou prou, les effets néfastes de la télévision. À cette fin, il récapitule les banalités usuelles - « Petit précis de balivernes ordinaires » - puis résume, parmi ces effets néfastes, les plus visibles - « Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir » - avant de souligner ceux qui le sont moins - « La face cachée de l’iceberg » - et de pourfendre ceux qui -« Pas vu, pas pris » - préfèrent ne pas savoir.

    Chapitre I : La télé en tous lieux et à toute heure

    « La télé, maîtresse du temps et de l’espace » - Sous ce sous-titre, l’auteur analyse la position centrale occupée par la télévision dans l’espace domestique et dans l’emploi du temps, en soulignant notamment que le temps passé par les enfants et les adolescents devant la télévision est accru par le temps passé devant tous les écrans.

    « Des émissions enfantines aux programmes tous publics » - Or, le temps passé devant la télévision par les enfants dépend des« stratégies incitatives » exercées par les parents « plus sensibles au problème des contenus qu’à la question des durées » : une sensibilité qui doit être relativisée, notamment en raison de l’écoute conjointe de programmes tous publics.

    « Réécrire le réel » - Des mécanismes défensifs permettent de minimiser l’exposition des enfants à la télévision : la rationalisation qui lui prête un rôle d’éducation et une fonction de socialisation et le déni de la durée de cette exposition.

    « L’inaccessible mythe de la qualité » - Un mythe, en raison des« contraintes structurelles qui asservissent la production audiovisuelle ». Et l’auteur de mentionner « l’incroyable densité de son réseau d’émission » (qui noie la qualité dans un « océan d’inanité »), « la nature plurielle de son auditoire » (qui incite à produire des émissions « à la fois consensuelles et aisément accessibles »), « la nature forcément dynamique de l’image »(« tout ce qui est lent et compliqué n’a pas sa place sur le petit écran »).

    Les trois chapitres suivants sont consacrés aux méfaits de la télévision, surtout sur les publics d’enfants et d’adolescents.

    Chapitre II : la télé étouffe l’intelligence

    « Au sens étymologique, nombre de nos enfants sont devenus,proclame l’auteur, des barbares » : ils ne parlent pas notre langue ; ils ne la maîtrisent pas.

    « Cette fois, c’est sûr, le niveau baisse » (des compétences académiques alarmantes) - L’auteur mobilise les observations et les recherches controversées qui, selon lui, fondent ce diagnostic. Considérant comme justifiée la mise en cause des « dérèglements d’un système scolaire éreinté de dérives pédagogistes et politiques », l’auteur entend mettre en évidence « l’implication d’un second agent d’influence : la télévision ». Il examine son rôle en trois temps : d’abord en revenant sur « les compétences académiques alarmantes de nos enfants et adolescents »  ; ensuite, en montrant l’action négative qu’exerce la télévision sur ces compétences ; enfin, en s’efforçant d’établir « le substrat fonctionnel de cette action ».

    « Une entrave majeure à la réussite scolaire » (le lien causal entre exposition télévisuelle et performances scolaires) – L’auteur mentionne plusieurs études qui mettent en évidence non seulement la concomitance, mais surtout le lien causal entre l’ampleur de l’exposition télévisuelle et l’affaiblissement des performances langagières et, plus généralement, scolaires. Puis il entreprend de répondre à plusieurs objections : sur les effets positifs du contenu éducatif, sur l’existence d’un lien causal qui attribue la surconsommation télévisuelle à la faiblesse des résultats scolaires et sur l’importance réputée faible des effets nocifs de la télévision.

    « Effort, intelligence, lecture, langage, attention, imagination. Tous étaient frappés » - Et sont examinées successivement les actions délétères de la télévision sur les devoirs, sur la lecture, sur l’apparition de troubles de l’attention, sur les activités spontanées du jeune enfant (et sur les développements des aptitudes langagières et intellectuelles qui en découlent). Parvenu à ce point, l’auteur met en cause les illusions qui attribuent à la télévision un rôle qui dépendrait essentiellement du contenu des programmes et s’efforce d’établir« l’inévitable vacuité éducative de la télévision ». Après avoir mentionné les études qui mettent en évidence « le rôle fondateur joué par l’environnement précoce sur la construction des compétences affectives, sociales et cognitives de l’individu », l’auteur souligne que, privé d’activité et d’interactivité l’enfant exposé à la télévision n’apprend rien ou fort peu. C’est ce que montre ce que les chercheurs nomment le « déficit vidéo » : l’infériorité de tout apprentissage par la télé comparé à l’apprentissage par interaction active avec l’environnement, particulièrement chez l’enfant en bas âge, contrairement à ce qu’affirment les zélateurs de la télévision pour bébés.

    Chapitre III : la télé menace la santé

    Le chapitre est divisé en cinq parties qui traitent successivement de l’obésité, du tabagisme, de l’alcoolisme, de la sexualité et du sommeil.

    « Manger plus, bouger moins » (sur l’obésité) - Une fois mentionnés les travaux consacrés, en général, aux « effets de la consommation audiovisuelle sur l’obésité », l’auteur passe en revue (études à l’appui), les effets de la télévision sur « l’émergence précoce d’habitudes de vie sédentaires et préférences alimentaires inadaptées » ; sur le bilan des dépenses énergétiques et sur l’ampleur et la fréquence des prises alimentaires. Il attache une importance particulière au rôle de la publicité pour les produits alimentaires, notamment auprès des enfants, ainsi qu’à celui des placements de produits alimentaires dans les films ou les séries audiovisuelles. Et Michel Desmurget de prendre vigoureusement à partie le refus des politiques (et du CSA, notamment), en raison de leur soumission aux lobbies agroalimentaires et publicitaires, de prendre des mesures d’interdiction.

    « Faire de l’enfant un fumeur… ou fermer boutique » (sur le tabagisme) - Le tabagisme se forge très tôt. L’auteur met en évidence (rapport de l’OMS à l’appui) que les pratiques des industriels du tabac contredisent leurs déclarations sur le renoncement à cibler les jeunes et confirment leurs entreprises de contournement des interdictions de la publicité, parce qu’ils n’ont pas le choix : « Ils sont condamnés, s’ils veulent survivre, à recruter en masse de jeunes fumeurs. » C’est pourquoi ils inondent les films de« scènes tabagiques », où figurent de préférence des « personnages "positifs" ». Or, selon l’auteur (qui la mentionne), « la littérature scientifique montre (…) que plus un adolescent voit d’acteurs fumer à l’écran, et plus il a de chance de devenir client stable de nos amis cigarettiers ». L’examen du « processus causal qui mène du film au tabagisme » et complété, mais plus brièvement, par celui rôle de la télévision proprement dite.

    « Boire plus et plus tôt » (sur l’alcoolisme) - Après avoir expliqué en quoi « l’alcool est un véritable fléau économique et sanitaire », l’auteur s’attache à montrer dans quelle mesure la télévision incite à« boire précocement et en grande quantité ». Or si la publicité est prohibée, « l’alcool est omniprésent sur le petit écran à travers notamment les programmes de prime time, les clips musicaux et les productions cinématographiques ». Dès lors, si la télévision n’est pas la principale responsables de l’alcoolisme, elle « contribue substantiellement à l’initiation, au développement et au maintien des conduites alcooliques chez les spectateurs ».

    « Du sexe, du sexe et encore du sexe » (sur la sexualité) – L’auteur n’entend pas « suggérer ici que la sexualité est une pathologie ». Ce serait, nous dit-il, « pure stupidité », avant de souligner que le sexe n’est pas « une pratique anodine en matière de santé ». Et de mentionner les maladies sexuellement transmissibles, les maternités et les avortements précoces. Or, insiste l’auteur, « le véritable déluge charnel qui frappe nos écrans est d’autant plus ennuyeux qu’il s’accompagne presque unanimement de représentations pour le moins irréalistes de la sexualité et autres rôle de genre ». Et de mentionner non seulement les risques sanitaires qu’entretiennent ces représentations, mais aussi les « détresses psychologiques » et les « pathologies alimentaires » dont sont responsables les stéréotypes véhiculés par la télévision.

    « Entre Morphée et la Star-Ac, il faut choisir » (sur le sommeil) - La durée du sommeil est en diminution constante (de 90 à 120 minutes sur les 30 à 50 dernières années), avec les incidences sur la santé qui en découlent. La télévision n’est pas la seule responsable. Mais, qu’il s’agisse des enfants et des adolescents ou des adultes, que la télévision soit ou non présente dans les chambres, plus un individu regarde la télé moins il dort et plus son sommeil est altéré. Or, soutient l’auteur, ce ne sont pas les troubles du sommeil qui incitent à regarder la télévision, mais plutôt l’inverse. L’aspect quantitatif (la durée du sommeil) n’est pas le seul, comme le montrent les effets anxiogènes en court et à long terme de l’exposition des enfants à des programmes qui ne leur sont pas destinés ou même à des programmes apparemment anodins.

    Chapitre IV : La télé cultive la peur et la violence

    Après avoir passé en revue les principales conclusions des études scientifiques qui établissent que la télévision est un facteur de violence, l’auteur s’efforce de réfuter les arguments de ceux qui entendent relativiser son rôle : en refusant qu’elle soit traitée en bouc émissaire, en lieu et place de causes plus profondes, en invoquant de prétendues incertitudes scientifiques, en soutenant la thèse de prédispositions pathologiques. À tous ceux-là, l’auteur répond notamment que « la télévision représente un facteur de violence significatif » et qu’ « il serait dommage de ne pas agir sur ce levier causal relativement accessible en comparaison d’autres déterminants sociaux plus profonds ». En effet, dit-il, « (…) une influence localement minime peut avoir des conséquences majeures si elle s’applique à une large population et/ou de manière récurrente ». Quelle est, de ce point de vue, l’action de la télévision ?« Cette action prend trois formes principales : la stimulation des comportements violents et agressifs ; l’abaissement du seuil de tolérance à la violence, c.à.d. désensibilisation ; exacerbation du sentiment d’insécurité. » Mais avant d’examiner successivement ces trois formes, Michel Desmurget met en cause l’omniprésence de la violence à la télévision et ses motifs.

    « La violence, c’est bon pour les affaires » - Après avoir rappelé, chiffres à l’appui, l’ampleur de l’exposition à la violence, l’auteur souligne que des recherches récentes ont montré que « les contenus agressifs et brutaux étaient, à travers le stress qu’ils imposent au cerveau, une véritable bénédiction pour les annonceurs ». La raison en est simple : « Un individu soumis à des tensions émotionnelles enregistre mieux les messages qui lui sont imposés et est plus conditionnable. »

    « La violence appelle la violence » (la stimulation des comportements violents et agressifs) – L’auteur commence par souligner que les neurosciences ont montré que nos conduites sont constamment modulées par des facteurs environnementaux, en particulier en matière d’agressivité. Or de multiples études (mentionnées par l’auteur) montrent que les images violentes stimulent l’agressivité, notamment des enfants et des adolescents. Ce que vérifient les effets de l’exposition à violence télévisée, à court terme, mais aussi à long terme, sur la fréquence des comportements agressifs.

    « La violence repousse les frontières de l’inacceptable »(l’abaissement du seuil de tolérance à la violence, désensibilisation) – La « progressive désensibilisation à la violence des individus téléphages » - autrement dit le « processus d’habituation aux images violentes » – est confirmée, selon l’auteur, par plusieurs études. L’une d’entre elles met en évidence que des sujets ayant été exposés à des films d’horreur comportant des violences sadiques dirigées contre des femmes ressentaient moins d’empathie quand ils étaient confrontés aux récits de femmes victimes d’agressions violentes réelles. Le processus d’habituation au niveau neuronal a été mis en évidence par quelques travaux.

    « La violence nourrit la peur » (l’exacerbation du sentiment d’insécurité) – Après avoir mentionné, à propos de la violence, quelques exemples d’acculturation et, en l’occurrence, de déréalisation par la télévision à l’origine du « syndrome du grand méchant monde », l’auteur évoque des études qui ont montré « que les journaux télévisées, les émissions consacrées aux forces de l’ordre et les séries criminelles étaient favorables au développement d’un sentiment d’insécurité ». Et de mentionner notamment les études consacrées à « la grande peur de 1994  » aux USA : date d’une « cassure statistique » qui enregistre une flambée du sentiment d’insécurité alors que celle-ci ne progresse pas, mais que son exposition médiatique se développe. Ces études sont relayées par des recherches qui « se sont penchées sur la capacité des images violentes à produire chez le spectateur des réactions de peur à court et long terme ».

    Conclusion

    « Un peu de télé en moins, c’est beaucoup de vie en plus » 
    - Les analyses qui précèdent conduisent l’auteur à proposer « cinq grandes recommandations » : 
    1. La meilleur solution, selon lui, « le zéro télé » ; 
    2. À défaut, pas de télé dans la chambre à coucher, surtout des enfants ou des adolescents ; 
    3. Aucune exposition à la télévision pendant les cinq ou six premières années de la vie ; 
    4. Pas plus de 3-4 heures par semaine pour les écoliers et adolescents ; 
    5. La prise en compte par les adultes (qui « font ce qu’ils veulent »), de tous les risques associés à l’exposition à la télévision, et en particulier celui de l‘isolement social.

     

    * * *

    Il n’est nul besoin d’avoir lu la totalité de l’ouvrage pour penser que ces recommandations, aussi justifiées qu’elles puissent être ou paraître, ne trouveront pas l’écho souhaité par l’auteur. Sans doute parce que la télévision elle-même ne suffit pas à expliquer l’emprise de la télévision. Peut-être parce que l’analyse proposée par Michel Desmurget des causes et des effets de cette emprise n’est pas totalement convaincante. Mais le dire, c’est déjà engager un débat qui ne peut se satisfaire d’un résumé qui mutile inévitablement l’ouvrage, en laissant de côté l’exposé des centaines de recherches (elles-mêmes résumées) sur lesquelles il s’appuie, au risque de ne retenir que sa version polémique, voire pamphlétaire. Mais, une fois n’est pas coutume, s’abstenir d’un examen critique approfondi est, dans ce cas, une façon d’inciter à prendre ce livre au sérieux.

    Henri Maler

    Edition de poche

    Notes

    [1] Max Milo Editions, 2011, 318 pages, 19,90 euros - J’ai Lu, octobre 2013, 7,90 euros

  • Une rumeur : La masturbation à l’école

     

    3/09/2014

    Nous venons de recevoir une brochure intitulée « Questions d’ados » accompagnée de la lettre suivante :

    Bonjour Madame Farida Belghoul
    Nous vous adressons ce document distribué l’an dernier aux collégiens dans plusieurs établissements de l’académie de Versailles. Nous vous ferons parvenir tous les documents que nous rencontrerons lors de cette année scolaire 2014/2015, nous pouvons craindre avec « Monsieur Vallaud-Belkacem » la multiplication de ces publications.
    Félicitations pour votre combat, votre courage, vous êtes un exemple pour nos familles, notre patrie.
    Recevez nos salutations distinguées.

    Deux enseignants de l’académie de Versailles qui vous suivent avec beaucoup d’attention.

    Publiée par le Ministère de la santé en 2007, actualisée en 2008, officiellement distribuée à l’école, cette brochure affiche dans la rubrique « Adresses utiles », page 53, la Ligne Azur recommandée aux adolescents se posant des questions sur leur « orientation sexuelle ».

    Nous dormions.

    Le sommaire recense les questions traitées dont voici quelques exemples remarquables. Les réponses sont des joyaux intellectuels, spirituels et pédagogiques :

    « Comment savoir si une fille ou un garçon a du désir sexuel ? », page 22.
    Réponse : « (…) elle ou il peut rougir, être en sueur, la pointe de ses seins peut durcir chez la fille. Au niveau de la vulve, le clitoris se raidit (c’est une forme d’érection), les lèvres gonflent et le vagin se dilate, un lubrifiant naturel va progressivement tapisser l’intérieur du sexe (les sécrétions vaginales), ce qui facilitera la pénétration. Certains appellent cela « mouiller ». Chez le garçon, au niveau génital, la verge se raidit et s’allonge, le gland se décalotte et rougit, cela s’appelle « bander ». Du liquide séminal peut apparaître au bout du sexe. »
    « C’est quoi la masturbation ? », page 20.
    Réponse (à noter que celle-ci apparaît dans la silhouette d’une main) : « La masturbation, ce sont des caresses (souvent par va-et-vient, frottement, pression…) au niveau des parties génitales (pénis du garçon, vagin ou clitoris de la fille) qui procurent du plaisir ou un orgasme (…) Les caresses sont souvent accompagnées d’images ou de scènes érotiques qui défilent dans la tête. Cette pratique sexuelle solitaire ou en couple est assez fréquente et peut contribuer à l’apprentissage (sic) du plaisir. A l’âge de 18 ans, 93% des garçons et 45% des filles déclarent s’être déjà masturbés. »
    « Comment faire l’amour sans pénétration ? », page 25.
    Réponse : (…) Pour les filles, des caresses avec un doigt humide, la bouche ou la langue, au niveau de leur clitoris et sur l’ensemble de la vulve peuvent leur procurer un orgasme. On peut caresser le pénis du garçon avec la main, la langue ou la bouche (fellation).
    Une fille ou un garçon ne sont pas toujours prêts pour des pratiques sexuelles avec pénétration, pour des raisons morales, de religion, ou personnelles.

    Au vu de ces résultats scientifiques, la discrimination est patente. Les filles ne jouissent pas de l’égalité d’accès à la masturbation. L’infirmière du collège, fonctionnaire en charge des apprentissages sexuels, est-elle là pour y remédier ?

    Parallèlement, victimes eux aussi de discriminations spécifiques, les juifs et les musulmans devraient exiger de l’école publique une version cacher du terme : « le gland se décalotte ».

    Autres problématiques abordées :

    • « C’est quoi l’homosexualité ou la bisexualité ? », page 19.
    • « Pourquoi les garçons bandent-ils le matin ? », page 21.
    • « Pourquoi les filles mouillent-elles ? », page 20.

    Feuilletez la brochure (plein écran disponible en cliquant sur le bouton situé en bas à gauche) et accédez aux réponses et aux autres questions soumises à nos enfants. Mauvaise foi de ma part : d’après la seconde page de couverture – et le titre du fascicule, ce sont les adolescents eux-mêmes qui sont les auteurs de ces questions… Nous voilà rassurés.

    Si l’école ne veut plus instruire, elle se rachète au moins par des apprentissages sexuels de haut niveau.

    Nous dormions. Il est temps de se réveiller.

  • Les jeux de l’été d’Acrimed

    Les jeux de l’été d’Acrimed : Ces titres d’articles sont-ils authentiques ?

    par Franz PeultierJulien Salinguele 30 juillet 2014

    Le numéro 12 de notre magazine trimestriel Médiacritiques est paru à la mi-juin. Un assortiment du pire de la production médiatique et du meilleur d’Acrimed que vous pouvez toujours vous procurer sur notre boutique. Au sommaire, entre autres, des « jeux de l’été », parmi lesquels un test, déjà publié sur notre site, mais aussi ce « vrai/faux » que nous offrons gracieusement aux lecteurs et lectrices de notre site qui ne seraient pas encore abonnés (mais il n’est jamais trop tard pour bien faire) àMédiacritique(s).

    Pour y voir plus clair, cliquez sur l’image, puis « zoom » (en bas à gauche).


    Les titres que nous avons inventés sont les suivants  : 1, 2, 9, 11, 14, 16, 20, 23, 29, 31. Les autres titres sont rigoureusement (et malheureusement) authentiques. Remerciements au Tumblr « À juste titre », duquel nous nous sommes inspirés.

    Frantz Peultier et Julien Salingue