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Societe - Page 21

  • Philippe Lioret : « Calais est notre frontière mexicaine »

    Rencontre avec le réalisateur de « Welcome », récemment critiqué par le ministre de l’Immigration pour son film engagé.

     


    L’actuer Vincent Lindon et le réalisateur Philippe Lioret sur le tournage de ’Welcome’ (DR).

    Samedi, le ministre de l’Immigration Eric Besson a violemment attaqué le cinéaste Philippe Lioret, reprochant au réalisateur de « Welcome » (en salles mercredi) d’assimiler dans ses interviews la situation des clandestins à Calais à celle des juifs sous l’occupation. Et si c’était le film que Besson redoutait ? Et si les politiques s’inquiétaient de la puissance polémique du cinéma ? Rencontre avec un cinéaste engagé.


    L’affiche de ’Welcome’ de Philippe Lioret (DR).

    Bonne nouvelle : le cinéma français se bouge. Après Costa Gavras (« Eden à l’ouest ») et en attendant le nouveau Emmanuel Finkiel (« Nulle part terre promise », sortie le 1er avril), un nouveau film sort sur les écrans mercredi et évoque avec une précision glaçante le sort des clandestins à Calais. Un brûlot underground et militant ? Pas vraiment…

    Interprété par Vincent Lindon (dans l’un de ses meilleurs rôles), réalisé par Philippe Lioret, metteur en scène populaire (« Mademoiselle », « Je vais bien ne t’en fais pas »), « Welcome » raconte avec un scrupuleux réalisme quelques aspects du beau pays de France et espère toucher le plus grand nombre.

    Olivier de Bruyn : Comment est né « Welcome » ?

    Philippe Lioret : De ma complicité avec l’écrivain Olivier Adam avec lequel j’ai beaucoup travaillé par le passé. Olivier avait animé des ateliers d’écriture à Calais et il avait un projet de film avec Jean-Pierre Améris sur la situation des clandestins, d’après son livre « A l’abri de rien ». Ce projet n’arrivait pas à se monter financièrement et j’ai envisagé d’en racheter les droits. Mais finalement, ils ont réussi à le tourner, pour la télévision. N’empêche, le désir de filmer là-bas est resté et j’ai décidé de me lancer… 

    Comment avez-vous conçu le scénario ?

    Avec Emmanuel Courcol, mon co-scénariste, on a commencé par se rendre sur place. On a rencontré les bénévoles des associations qui, avec un courage extraordinaire et les moyens du bord, tentent d’aider les clandestins. Ce qu’on a découvert était effrayant. Calais, c’est notre frontière mexicaine à nous. Ça nous a confirmé dans l’idée qu’il était impératif de tourner là-bas. Les dramaturgies, hélas, n’y manquent pas.

    On se pose des questions morales, quand on tourne une fiction sur un tel sujet ? 

    Encore heureux ! Je n’étais pas à l’aise au début. Un film reste une entreprise commerciale. Il s’agit quand même de faire du pognon et évidemment, avec un tel sujet, ça pose des problèmes. Je me suis ouvert de mes doutes aux gens des associations. Ils m’ont tous dit la même chose : « N’aie pas de scrupules. Parle de ce qui se passe ici. Montre aux gens que la réalité n’a rien à voir avec les petits sujets expédiés au journal de 20 heures. » Ça m’a détendu.

    Comment est venue l’idée de ce jeune clandestin qui décide de traverser la Manche à la nage ?

    Des témoignages recueillis sur place. En désespoir de cause, des clandestins utilisent parfois ce moyen pour passer. Avec le courant, certains se retrouvent en Belgique. D’autres ne sont jamais retrouvés. 

    Comment avez-vous lié réalité et fiction ?

    On a bossé comme des dingues sur le scénario, pendant plus d’un an. Quand on écrit un tel script, on est particulièrement motivé. Il ne s’agit pas de militantisme, mais d’engagement. Sur tout ce qui concerne les migrants, il fallait rester scrupuleusement fidèle à la réalité. Et faire la chasse au pathos, au pleurnichage, à la complaisance… Ensuite est venue l’idée de ce personnage : un prof de natation en pleine panade personnelle. Ça nous permettait d’évoquer cet aspect de la loi particulièrement révoltant et qui menace quiconque aide les clandestins de cinq ans de prison et de 30 000 euros d’amende.

    Comment Vincent Lindon est-il arrivé sur le projet ?

    Ça faisait longtemps qu’on se tournait autour. Je l’ai vu, je lui ai raconté le projet. Il m’a dit oui tout de suite et a ajouté qu’il n’avait même pas besoin de lire le scénario. Je ne vais pas sortir le pistolet à miel, mais son investissement a été total.

    « Welcome » a-t-il été facile à produire ? Comment avez-vous convaincu les décideurs ?

    C’est un film cher. Avec onze semaines de tournage, des scènes compliquées… Mais je bénéficie de mes succès antérieurs. « Mademoiselle » et « Je vais bien ne t’en fais pas » ont très bien marché. Les gens des chaînes de télévision se disent « il a le truc, laissons faire… ». J’en profite. Et tant que les spectateurs suivent… Evidemment, ce serait plus simple de tourner des comédies inoffensives. Mais j’en ai marre des films inoffensifs.

     


    Fiarat Ayerdi, dans ’Welcome’ de Philippe Lioret (DR).

    Comment avez-vous recruté vos acteurs ?

    Partout en Europe. Il y a des non professionnels, mais évidemment pas de clandestins. Il ne s’agissait pas de les mettre en danger. Le jeune acteur principal, Firat Ayverdi, est un lycéen. Je me suis aperçu qu’il était très bon nageur et pratiquait même le water-polo. Pour les besoins du film, il a dû désapprendre à nager pour mieux mimer l’initiation.

    Quelles sont les premières réactions aux projections que vous avez organisées sur place ?

    En un sens la plus belle récompense, je l’ai déjà reçue. Le film a été montré dans la région de Calais. Les salles étaient pleines et les gens des associations étaient là. Je n’en menais pas large. Mais ils ont dit que « Welcome » dépeignait fidèlement l’effrayante réalité et qu’il était bon qu’un film grand public s’attaque à ce sujet. Un film sur Louis XVI, personne ne vient vous faire chier sur la crédibilité. Là, évidemment, c’est autre chose. Ça se passe ici et maintenant. Et savoir que vous risquez gros en aidant un clandestin rappelle des périodes sinistres de notre histoire. 

    Vous pensez que le film peut faire bouger les choses ?

    Le film n’est pas un objet militant. Je ne prétends pas bouleverser les rapports nord-sud avec mes petits bras et ma petite caméra. « Welcome » met simplement en accusation un système. Je supporte très mal l’idée que l’on puisse me faire chier si j’emmène un mec qui n’a pas de papiers bouffer une pizza ou dormir chez moi.

    Evidemment, j’entends déjà les reproches. Je vous parle de tout ça dans le salon cossu d’un grand hôtel parisien. Bon, oui, d’accord, soit. Et alors, je ne fais rien ? Je ne pense pas comme ça. Je suis cinéaste. Je pense que le film peut servir à quelque chose. Par exemple à ce que des spectateurs prennent conscience de ce qui se passe à Calais et ailleurs. C’est un premier pas, mais il est fondamental.

    ► Welcome de Philippe Lioret - avec Vincent Lindon, Firat Ayverdi… - Sortie le 11 mars.

    Photos : Fiarat Ayerdi, dans ’Welcome’ de Philippe Lioret (DR). L’acteur Vincent Lindon et le réalisateur Philippe Lioret sur le tournage de ’Welcome’ (DR).


  • Réflexions sur les théories du complot


    TRIBUNE
    04/08/2013 à 12h23

    11 Septembre, OGM, ondes... : la science citoyenne, cette fumisterie

    Jérôme Quirant | Enseignant-chercheur

    TRIBUNE

    Lorsqu’en 2008 je me suis penché sur les théories du complot autour des attentats du 11 septembre 2001, je n’imaginais pas que cela m’amènerait à m’intéresser à des domaines aussi divers que les OGMles ondes électromagnétiques ou le nucléaire.

    Confronté à l’époque à des théories conspirationnistes plus insolites les unes que les autres sur les effondrements des tours du World Trade Center, j’avais certes trouvé une source inépuisable de sujets d’examen, ludiques, pour mes étudiants, mais je ne pouvais non plus me résoudre à laisser circuler de telles inepties.

    Cela m’a conduit à créer un site Internet, puis à coordonner un numéro spécial de la revue Science et pseudosciences qui donnait la parole aux – vrais – spécialistes du domaine, pour expliquer quelle est la connaissance scientifique sur un sujet précis.

    C’est à la suite de ce numéro que j’ai été invité, en 2011, à entrer dans le comité de rédaction de cette revue, éditée par l’Association française pour l’information scientifique.


     

    Depuis, j’ai été sidéré par les similitudes entre le mouvement conspirationniste autour du 11 septembre et ceux agissant dans bien d’autres domaines (OGM, nucléaire, etc.) :

    • des associations se revendiquant « citoyennes »,
    • des pétitions,
    • des actions médiatiques,
    • la dénonciation d’un complot dont ils seraient les uniques pourfendeurs,
    • le souhait d’organiser des débats publics,
    • le vide en matière d’argumentation scientifique.

    Pas besoin d’associations citoyennes
    pour démontrer le théorème de Pythagore

    Pourtant, nul besoin d’associations « citoyennes » pour démontrer le théorème de Pythagore. Il n’existe pas plus de science citoyenne que prolétarienne ou bourgeoise, mais une démarche scientifique qui permet d’expliquer notre monde et de proposer des solutions techniques pour améliorer notre quotidien.

    Et toute allégation, quelle qu’elle soit, doit être vérifiable et vérifiée par n’importe quel scientifique respectant les fondements de la démarche scientifique. Ainsi progresse la science.

    Or, si sur le 11 septembre ces gesticulations n’ont eu aucune influence sur la production scientifique – elle en est restée à un enchaînement « crash d’avion – incendie – affaiblissement de la structure – effondrement » pour les tours du WTC –, il en va autrement pour d’autres secteurs d’activité. Souvent, les mouvements « anti » ont instillé la frilosité, voire sapé toute recherche ou développement industriel :

    • Alors que dans les années 90, la France était leader sur les OGM, il est devenu impossible de faire la moindre recherche de manière sereine sur ce sujet.
    • Dans les années 70 et 80, des projets industriels majeurs ont vu le jour en France (TGV, Airbus, Ariane, nucléaire civil…). Aujourd’hui, quels sont les grands desseins capables de doper une industrie moribonde et créer les emplois qui iraient avec ?

    Des collectifs « indépendants »... de toute démarche scientifique sérieuse

    Ces associations citoyennes se revendiquent aussi et surtout « indépendantes ». Reopen911, qui a donné du crédit en France aux théories complotistes sur le 11 septembre, demande une enquête « indépendante » pour expliquer comment se sont effondrées les tours du World Trade Center, alors que cette question est réglée depuis longtemps dans la communauté scientifique.

    L’association Robin des toits, « indépendante du lobby de la téléphonie », lutte pour la baisse d’intensité des champs électromagnétiques (supposés nocifs) induits pas les antennes de téléphonie mobile et s’esbaudit devant n’importe quelle expérience allant dans ce sens, même totalement inepte.

    La dernière en date était celle de lycéennes danoises, qui ont magistralement démontré que l’exposition de semences à des conditions de température et d’hygrométrie différentes (les graines étaient placées derrières les ventilateurs d’ordinateurs !) joue sur leur croissance

    Le Criigen, farouchement opposé au développement des OGM, a été capable de recueillir 2 millions d’euros pour financer une étude « indépendante », mais qui ne vaut rien sur le plan scientifique…

    Le Criirad, censé révéler la vérité vraie sur le nucléaire, a redécouvert la radioactivité naturelle grâce à ses compteurs Geiger. L’association, « indépendante du lobby nucléaire », a même dû mettre à jour ses connaissances sur la mesure de la radioactivité suite à la catastrophe de Fukushima.

    On le voit, ces associations sont surtout « indépendantes » de toute démarche scientifique, une notion qui leur est même totalement étrangère. Cela n’empêche pas les médias de leur fournir régulièrement des tribunes, leur octroyant une légitimité qu’elles n’ont jamais acquise sur le plan scientifique.

    Car si on peut être « anti » pour diverses raisons, justifiées et tout à fait honorables (qu’elles soient économiques, sociétales, environnementales, etc.), il n’est pas acceptable que les données scientifiques soient travesties de manière fallacieuse à des fins idéologiques.

    La science ne sort pas forcément victorieuse des « débats publics » sur les sujets sensibles

    L’autre dada des associations citoyennes est l’organisation de débats publics qu’elles réclament à cors et à cris. Pourquoi ? Platon l’a très bien expliqué dans son « Gorgias », trois siècles avant J.-C., en écrivant un dialogue entre Gorgias, maître rhéteur, et Socrate : 

    « Suppose qu’un orateur et qu’un médecin se rendent dans la cité que tu voudras, et qu’il faille organiser, à l’assemblée […], une confrontation entre le médecin et l’orateur pour savoir lequel des deux on doit choisir comme médecin.

    Eh bien j’affirme que le médecin aurait l’air de n’être rien du tout, et que l’homme qui sait parler serait choisi s’il le voulait. […] Car il n’y a rien dont l’orateur ne puisse parler, en public, avec une plus grande force de persuasion que celle de n’importe quel spécialiste.

    Ah, si grande est la puissance de cet art rhétorique ! [...]

    – La rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ; simplement, elle a découvert un procédé qui sert à convaincre, et le résultat est que, devant un public d’ignorants, elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs ».

    Non seulement la vérité scientifique est loin d’être assurée de sortir victorieuse de tels débats, mais comme l’a souligné le physicien Serge Galam dans une tribune parue dans Le Monde en avril, le débat est une machine à produire de l’extrémisme :

    « Le débat public […] cache une machine infernale de production d’extrémisme au service des a priori, des menteurs, des préjugés ». A supposer même que ces débats puissent se tenir. »

    Quoiqu’il en soit, s’il est concevable que des débats publics soient organisés sur des choix sociétaux ou autres, il faut aussi rappeler que jamais dans l’histoire aucun « débat public » n’a fait avancer la connaissance scientifique d’un pouce. Jamais. Ce n’est tout simplement pas là que la science se développe.

    Le savoir académique est devenu inaudible

    Hélas, de nos jours, lorsqu’un scientifique donne des explications sur un sujet sensible, il est systématiquement accusé d’être en « conflit d’intérêt », vendu aux « lobbies » et au « grand capital ».

    Le savoir académique est devenu inaudible : on se retrouve à devoir choisir, par exemple, entre l’avis d’un scientifique compétent sur le nucléaire, mais par la force des choses en relation avec l’industrie ou la recherche dans le domaine, et celui d’un « citoyen » incompétent qui se promène avec son compteur Geiger (remplacer « nucléaire » par « cancer » ou « OGM », et « compteur Geiger » par « poudre de perlimpinpin » ou « tomate bio » pour le même effet).

    Pourtant, une simple étude bibliographique de la littérature scientifique à disposition suffit à tordre le cou à pas mal de contre-vérités. Malheureusement, les médias sont plus enclins à donner du crédit aux associations citoyennes véhiculant un message simple (voire simpliste) plutôt que de se plonger dans un article scientifique à la compréhension ardue.

    Pire, ils les mettent sur un même plan, comme si la connaissance scientifique avait la même valeur que le premier propos impromptu de comptoir.

    C’est ce qui m’a amené à proposer plusieurs articles sur Rue89, mais en me bornant bien sûr à des études bibliographiques d’articles parus dans des revues scientifiques. N’étant pas spécialiste des domaines traités il n’était pas question de me substituer aux personnes faisant référence dans leur secteur.

    Les revues à comité de lecture ne sont certes pas la panacée (elles sont devenues, elles aussi, une véritable industrie), mais le processus de « peer-review » reste un premier filtre efficace pour éliminer la majeure partie du grand n’importe quoi qui est proposé sur le Net ou dans les médias avides de sensationnel, mais peu de démonstrations scientifiques.

    La situation économique de la France, avec une industrie atone et un commerce extérieur catastrophique, est grave. Les Chinois exportent leur propre TGVou leurs centrales nucléaires… Nos récoltes ne se vendent plus à l’étranger, car non OGM ( !)... et demain, nous en serons réduits à acheter les semences issues de laboratoires indiens.

    Sous prétexte de principe de précaution, nous en sommes arrivés à ne plus rien faire du tout, et même à régresser. De façon paradoxale, alors que la gauche a été porteuse des progrès considérables que nous avons connus au XXe siècle, elle est aujourd’hui en prise avec les pires obscurantismes contemporains.

    Il serait temps d’en prendre conscience avant de percuter le mur vers lequel nous avançons à vive allure. Et surtout de relancer la recherche en France, seule façon pour les « citoyens » français de subsister encore au XXIe siècle.

    Dans les années 70, on disait qu’en France on n’avait pas de pétrole, mais des idées. Aujourd’hui, le paradigme s’inverse : il semblerait qu’on ait du gaz de schistes (à vérifier) mais qu’on soit en panne d’idées…

     
  • Grande-Bretagne : le contrat zéro-heure

    Grande-Bretagne : le contrat zéro-heure ou la précarité institutionnalisée

    08/08/2013 | 16h45
    Un MacDo à Londres (Finbarr O'Reilly/Reuters)

    Ni temps de travail garanti, ni salaire minimum, les « zero-hours contracts » (contrats zéro-heure) concernent plus d’un million de Britanniques. Et c’est McDonald’s qui en comptabilise le plus, avec 82 800 employés sous ce type de contrat très spécifique.

     

    A la base du concept du contrat zéro-heure, une liberté quasi-totale : l’employeur n’est pas obligé d’offrir un travail régulier à son employé, l’employé n’est pas obligé d’accepter les heures que son employeur lui propose. Un retraité qui cherche à arrondir ses fins de mois s’en accommoderait parfaitement, et pourrait décliner poliment une proposition de travail le vendredi soir car un film qu’il adore passe à la télé. Un étudiant pourrait également se satisfaire de ce travail à la carte, et accepter toutes les heures qu’on lui propose en soirée comme en week-end, car il prévoit de s’offrir une place pour un festival de musique avec ses potes le mois prochain (festival pendant lequel il refusera légalement les heures de travail proposées).

    Sauf que le contrat zéro-heure concerne aujourd’hui plus d’un million de Britanniques, dont des hommes et des femmes devant subvenir aux besoins de leur famille. Ceux-ci se retrouvent, de par la nature aléatoire de leur contrat, dans une situation de précarité.

    Triste record pour MacDo

    Le nombre de contrat à zéro-heure en Grande Bretagne a dépassé le seuil record du million, et ne cesse d’augmenter. Ce chiffre alarmant a été révélé par le Chartered Institute of Personnel Development, contredisant le rapport officiel commandé par le gouvernement. En effet, si le Bureau national des statistiques a reconnu une hausse considérable des contrats zéro-heure, il ne les a chiffré qu’à 250 000 en 2012 – en admettant tout de même que ce chiffre était sans doute inférieur à la réalité. Pourtant présent depuis longtemps sur le pays (une porte-parole du groupe McDonald’s confie au journal anglais The Guardian que la chaîne emploie ce type de contrats depuis son implantation en 1974) c’est seulement sous le gouvernement Cameron que cette pratique a commencé à être quantifiée et à faire polémique.

    L’impact d’un tel type de contrat sur les conditions de travail et le niveau de vie des Britanniques a été ignoré. Aujourd’hui, les employés en contrat à zéro-heure n’ont aucune marge, aucune souplesse. Il leur est impossible de se projeter à moyen et long terme ou de rembourser leurs dettes. Ils peuvent travailler 12 heures ce mois-ci, 45 celui d’après : aucun salaire minimal garanti. Les syndicats travaillistes veulent interdire ce contrat d’un nouveau genre, et déplorent son expansion qui accentue selon eux la précarité. Militant pour cette abolition, le syndicaliste Andy Sawford ironise dans le journal anglais The Guardian en prenant pour cible les chaînes de fast-food comme McDonald, Subway ou KFC :

    « Dans la gestion de leurs produits, il savent précisément estimer les besoins de leurs clients pour leur donner la parfaite quantité de nourriture et éviter le gaspillage. Ils pourraient utiliser le même processus pour estimer les besoins de leurs employés et leur offrir la stabilité nécessaire. »

    McDonald’s n’avait pas besoin de l’émergence de ce type de contrats pour faire polémique autour des conditions de travail de ses employés. Le 5 août dernier, la plus grande chaîne alimentaire du Royaume-Uni a remporté le triste record de l’entreprise ayant signé le plus de contrats à zéro-heure. Avec 82 800 employés sous ce type de contrats, elle devance de loin la chaîne de pubs/bars JD Wetherspoon (24 000) et Sports Direct (20 000), la plus grosse chaîne de magasins de vente d’articles de sports du pays.

    Si Karl Marx voyait ça

    D’après le site du Guardian, un contrat type zéro-heure stipule à l’adresse de l’employé que :

    « L’entreprise n’a pas le devoir de vous proposer du travail. Vos heures de travail ne sont pas prédéterminées et vous seront notifiées sur une base hebdomadaire dès que le responsable du magasin sera en mesure de vous les fournir. L’entreprise a le droit de vous demander de travailler pour des heures variées, et prolongées. »

    Et si en contrepartie, l’employé peut refuser les heures qu’on lui propose, il s’expose à des représailles. L’employeur qui a besoin que son employé soit à son poste tel jour pendant tant d’heures, sera tenté, après un refus, de ne plus lui proposer de travail pendant une période donnée. Comme l’écrit le service économie du Guardian sur son blog, « dommage que Karl Marx ne soit plus là pour voir ça ».

  • « So Foot », putain 10 ans!

     

    16/06/2013 | 19h45
     

    Crée en 2003 avec un capital de 450 euros, le mensuel qui parle de football autrement fête ses 10 ans. L’occasion d’en savoir un peu plus sur les raisons de son succès à l’heure où la presse papier s’effondre.

    Commençons par le commencement. Fondé en 2003 par une bande de potes sortis de l’Essec, l’histoire du magazine tient un peu de la légende.« Un soir, on s’est dit : et si on faisait un magazine de foot qui ne ressemble pas à un magazine de foot ? » raconte Franck Annese, son directeur de la publication. C’est ainsi, au culot, que germe l’idée d’un mensuel parlant de football autrement, loin de la plume froide et des codes en vigueur dans le journalisme sportif à la française.

    Plus qu’un business plan bien ficelé, ce qui fait la réussite de So Foot, c’est son ton alliant impertinence et décalage, sans jugement moral. Actuel rédacteur en chef du titre, Marc Beaugé (ancien collaborateur des Inrockuptibles – ndlr) précise :

    « L’idée est de faire un magazine que nous, rédacteurs, aimerions lire plutôt que de chercher désespérément à savoir ce que voudrait le lecteur. Certaines personnes nous achètent pour découvrir une interview pointue, sur six pages, d’un entraineur qui parle de sa conception du jeu, d’autres ne nous lisent que pour savoir qui couche avec qui. Du coup, notre public est large et va du branché parisien qui travaille dans un label au mec de province en BTS action commerciale. »

    On touche au secret. Plutôt que de s’adresser à une cible définie au préalable, So Foot vise large et parle à l’ensemble du public amoureux de football, sans cloisonner. A l’image de son lectorat, divers comme le public d’un stade de football, l’équipe rédactionnelle de So Foot peut ressembler de loin à une sympathique armée mexicaine. Après une partie de ping-pong improvisée dans les locaux du magazine, Stéphane Régy, l’un des fondateurs, confirme : « Chez nous, il n’y a personne à l’accueil, pas de secrétariat, pas d’assistant. Javier, qui fait la compta, est aussi journaliste.So Foot n’est pas devenu une entreprise. On fonctionne toujours de manière fanzinale… »

    Alors que le magazine est toisé à ses débuts, son succès en kiosque (de 4000 exemplaires en 2003 à 45 000 dix ans plus tard) a mis tout le monde d’accord. En l’espace de dix ans, So Foot a vu sa ligne éditoriale évoluer et gagner en épaisseur. Les couvertures sont plus travaillées, les numéros mémorables se sont succédé (Domenech, Socrates, les Losers du foot…). Un saut qualitatif dont Marc Beaugé témoigne : « il y a une exigence journalistique qui n’a rien a voir avec celle des débuts. L’idée de se distraire avec la matière football, de ne pas être moralisateur est, elle, restée la même. Ce sont plutôt les moyens que nous mettons en œuvre pour arriver à nos fins (intervenants, maquette, voyages) qui ont changé. L’ensemble est plus professionnel. »

    « En face de nous, il n’y a que de la merde ! »

    Franck Annese et ses journalistes en sont convaincus : c’est grâce à son contenu et à la primauté donnée aux histoires et à l’humain que So Footprogresse. Et même si l’adage grincheux dit que « la France n’est pas un pays de football », le mensuel conquiert chaque année plus de lecteurs. Dans l’univers périclitant de la presse écrite, la parution fait même figure d’exception. Seule parution sportive à afficher une diffusion en amélioration constante à l’OJD, So Foot a vu ses ventes progresser de 13,6% entre 2011 et 2012. Pour autant, Franck Annese, son directeur de la publication, explique volontiers qu’il aurait aimé avoir plus de concurrence.

    « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on aurait besoin de magazines de foot forts à coté de nous. C’est bête mais on dit souvent ‘si tu veux ouvrir une boulangerie, installe-toi dans une rue où il y a déjà une boulangerie’. C’est la même logique en kiosque où les titres se renforcent les uns les autres sauf que pour l’instant, il n’y a pas d’achat d’impulsion puisqu’en face il n’y a que de la merde ! Si il y avait plus de bons magazines de foot, il y aurait de l’émulation, comme une rivalité PSG-OM, et la possibilité de toucher des lecteurs qui, à la base, n’étaient pas venus nous lire… »

    Îlot prospère dans un océan de titres de presse en difficultés, So Foot a réussi à sortir de l’underground parisien pour conquérir, au fil des années un public plus mainstream sans jamais se trahir. La suite promet d’être belle. En chef de meute, Annese assure que le développement du titre n’est pas terminé : « A Paris, on n’est pas loin d’avoir fait le plein mais en province, on peut progresser. Quand tu vois le nombre de gens qui vont au Stade tous les week-ends, ça nous donne de la marge… »

    « So Foot », un nouvel « Actuel » ?

    Si l’esprit So Foot n’a pas changé avec le temps, les moyens à disposition de la République autonome So Footienne se sont étendus. En complément de la version papier, le magazine dispose d’un site très prisé des fans de foot où la formule aux trois « H » (des histoires, de l’humain, de l’humour) trouve une nouvelle interprétation. Décryptages à chauds, utilisation de la vidéo (Mark The Ugly y sévissait avant de rejoindre Canal Street) et blogs affiliés, SoFoot.com a su prendre très tôt le virage du web. Lucide et un brin flingueur, son directeur explique qu’ »Onze Mondial et les autres n’ont pas compris tout de suite ce que l’arrivée d’Internet avait changé pour un mensuel. C’est en fait toute la mission d’information qui change. Il faut apporter de la plus-value. Cela ne va pas sans effort, avec une rédaction composée de trois personnes qui ne sortent jamais de leur bureau… »

    Forte du succès de So Foot papier + web, la joyeuse bande de potes a lancé Pédale, magazine consacré au cyclisme (si, si !) et So Film, un mensuel dédié au septième art. A l’horizon 2014, So Press, la société éditrice des trois magazines, songe sérieusement à étendre son influence en lançant un quinzomadaire destiné à concurrencer les newsmagazines. Lorsqu’il en parle, caché derrière sa casquette et ses cheveux longs, Franck Annese prend soudain des airs de Jean-François Bizot. Attendez voir… Et si So Foot, fort de la façon dont il réinvente la presse et de l’équipe qu’il fédère, était en fait l’Actuel des années 2000 ?

  • O FOOT, LE MAGAZINE DE FOOT

    SO FOOT, LE MAGAZINE DE FOOT QUI NE RESSEMBLE PAS À UN MAGAZINE DE FOOT

    Dix ans après, analyse du succès d'un media atypique
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    So Foot a dix ans. Lancé en 2003 sous les rires goguenards de certains spécialistes de la presse, le mensuel a réussi un étonnant pari : secouer la presse sportive et imposer un ton en marge des canons traditionnels. A coups de reportages, d'enquêtes et de distance par rapport au milieu du foot. Et au prix, selon certains, d'une certaine exploitation des pigistes.

    + 13 % ! C’est la progression de la diffusion, sur un an, de So Foot. Une performance pour laquelle de nombreux éditeurs de presse quotidienne, de magazines ou de presse spécialisée signeraient les yeux fermés. Mieux, pour la dixième année consécutive,So Foot a gagné des lecteurs d’une année sur l’autre. Dans un contexte généralisé de crise de la presse, de ventes en berne, et de disparition annoncée du papier, comment le mensuel a-t-il réussi cette prouesse ? 

    A en croire son fondateur, Franck Annese, rien de plus simple. "Un soir nous nous sommes dits avec deux copains de l’ESSEC (Guillaume Bonamy et Sylvain Hervé, qui à la différence de Annese n’ont pas de fonctions éditoriales dans le magazine, NDR) que nous avions envie de faire un magazine de foot, qui ne ressemble pas à un magazine de foot", se souvient Annese. Après deux numéros zéro et 450 euros de mise de départ, So Foot est lancé. L’astuce de départ : négocier avec l’imprimeur trois tirages d’avance, soit une économie momentanée de 60 000 euros. Pas mal pour démarrer.

    Lancé en 2003, So Foot séduit aujourd’hui quelques 50 000 lecteurs par mois. 15 000 abonnés et 35 000 acheteurs en kiosques.


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    Une société rentable désormais. Le tout avec très peu de publicité. "Si on se fie à la logique des achats médias en France, c’est normal. Par exemple, Sport&Style, ils ont 50 pages de pub parce qu’ils sont distribués avec L’Équipe, mais personne ne le lit. Les annonceurs préfèrent mettre de la publicité dans un magazine de mode qui n’est pas lu, plutôt que dans un canard de foot qui fait 50 000 ventes. Les gens qui font les achats médias, c’est des gens qui ne vont jamais dans les kiosques. Ils n’ont aucune notion de la réalité de la presse en France", balance Annese.

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    Franck Annese, fondateur et directeur de So Foot

    Le kiosque, c’est justement l’une des autres astuces de la bande de So Foot. "En fait, So Foot, c’est l’opposé de toutes les simagrées que l’on nous raconte sur la presse, détaille Annese. Nous ne considérons pas le lecteur comme un client qui aurait envie de telle ou telle chose. Au contraire même, nous faisons le journal que nous avons envie de lire". Loin des préceptes enseignés dans les écoles de journalisme. Et Annese de poursuivre : "Mes clients, ce ne sont pas mes lecteurs. Ce sont les kiosquiers. C’est vis-à-vis d’eux qu’il faut faire du marketing pour expliquer le projet et pour leur donner envie de mettre le magazine en avant". So Foot est actuellement disponible dans 14 000 points de vente dans l’hexagone. Et sur Paris, Annese assure "qu’il connaît personnellement la moitié des kiosquiers". Faire connaître le journal à ceux qui le vendent et dans les pages dudit journal faire exactement ce dont on a envie, voilà donc le créneau de So Foot.


    "Ce mag n’est pas fait par des journalistes sportifs, mais par des passionnés de foot. Par des gens qui ont envie de traiter le football comme un sujet de société en évitant l’écueil qui aurait été de faire des trucs chiants et larmoyants", raconte le fondateur. Il résume : "il faut faire des journaux qui nous font kiffer. Si on se marre à les faire, d’autres se marreront à les lire". Simple, finalement. Mais au final, qu’est ce qui différencie vraiment So Foot de feu Onze Mondial, de l’historiqueFrance Football ou encore de l’Equipe Mag ? Sur ce point précis, Erik Neveu, le sociologue des médias, qui sera l'invité de notre prochaine émission, a un avis.

    Regardez cet extrait picto

     


    UN JOURNAL DE SPORT QUI N'EST PAS FAIT PAR DES JOURNALISTES SPORTIFS 

    Le premier numéro de So Foot, ou plutôt son numéro zéro, est paru pendant la Coupe du Monde asiatique de juin 2002…sans une seule ligne sur l’évènement. L’anecdote peut faire sourire, mais elle en dit long sur la façon dont les "Sofooteux" envisagent leur magazine. Ce qui différencie ce journal des titres existants est définitivement son ton : décalé, ironique, quasi satirique parfois. Et son approche. "Considérer le foot comme un fait culturel implique d’en parler différemment. Sans tomber dans le cliché de la recette nous aimons bien la règle des trois H", glisse Annese. Les 3 H ? "Humour, humain, histoireNous pensons chacun des angles avec cette trilogie. Il doit y avoir une histoire à raconter, des histoires humaines et si possible contenant un peu d’humour. Nous ne portons pas de jugement sur les choses, nous ne donnons pas de point de vue moralisateur. Nous sommes tous des journalistes et nous aimons les histoires". Raconter des histoires, voilà une logique assez proche de celle de la revue XXI, lancée après So Foot.

    Le ton, mais aussi la place faite aux reportages ou à l’enquête : voilà également ce qui démarque le mensuel. Ainsi, dans le dernier numéro, les journalistes sont partis, entre autres, au Brésil, au Monténégro, en Suisse, en Roumanie, en Italie, en Turquie, en Colombie, à Chypre, dans la banlieue parisienne ou encore à Aix en Provence. Ces reportages et ces enquêtes au long cours coûtent cher. Chaque numéro de So Foot coûte environ 245 000 euros à produire. "C’est un choix. Ce que nous mettons ici, nous ne le mettons pas ailleurs. Mais c’est que qui fonde notre identité", confie Annese. Ainsi, le modèle économique, s’il est professionnel tient aussi un peu du fanzine. Il y a 200 pigistes réguliers par an, les conférences de rédaction sont "épiques" selon les dires de l’un des participants mais cette structure légère (à peine dix permanents) permet aussi les voyages aux quatre coins du monde.

    agentssofoot

    Le ton, les reportages, mais aussi les enquêtes. So Foot a été le premier journal français à s'intéresser en profondeur au racisme dans le football, aux entourloupes des agents de joueurs, au dopage, mais aussi à enquêter sur l'état du championnat tchétchène, sur la rivalité politique entre la Lazio de Rome (droite) et l'AS Roma (gauche), ou encore sur les liens entre quelques clubs libanais et le Hezbollah. Bref, So Foot tape partout, enquête sur tout et même sur des sujets aussi loufoques que les travelos du Bois de Boulogne : gagnent-ils davantage quand le PSG gagne ? C'est ce mix qui a plu au lectorat. C'est ce mix là aussi qui rend parfois la relation au milieu institutionnel du foot plus complexe.

    THIERRY HENRY ET PATRICE EVRA REFUSENT DE PARLER

    En effet reste une interrogation : avec son statut atypique, quel est le rapport entretenu par So Foot avec le milieu du foot : agents de joueurs, clubs, et joueurs ? Après enquête auprès de l’entourage de certains clubs ou joueurs, il ressort que l’image du magazine est plutôt bonne. Quoique regardée avec un brin de méfiance. "So Foot a acquis une vraie dimension, c’est un magazine plaisant à lire. Evidemment qu’il faut compter avec lui, mais pour des choses décalées et sans perdre de vue que l’on peut toujours s’y faire tacler, même lorsque l’on ouvre les portes", confie à @si, le directeur de la communication d’un grand club de Ligue 1. Côté So Foot le son de cloche est le même."Globalement, les gens nous prennent au téléphone. Mais le Oui comme le Non sont en général très francs", sourit Annese.

    Un journaliste du mensuel renchérit "Nous ne sommes pas au quotidien dans la relation aux clubs et aux joueurs, nous n’allons pas aux conférences de presse et nous ne sommes pas dans l’attribution de notes ou de bons points, du coup cela peut à la fois fluidifier certaines relations, mais aussi les compliquer". Clairement, un agent de joueur, un joueur, ou un club de foot, ont comme tous les personnages publics des séquences de communication : il vaut mieux apparaître lors d’une période faste que lors d’une période de blessure, idem pour ce qui est des transferts etc…Problème : cet agenda – dont So Foot se "contrefout"- peut tendre les relations. Ainsi, par exemple, un journaliste del’Equipe raconte. "Un jour j’ai interviewé un international français, il était très tendu, j’essaye de comprendre pourquoi, je lui demande, il me dit : je me méfie des journalistes, l’autre jour il y en a un de So Foot à qui j’ai fait confiance qui me l’a fait à l’envers". Sous entendu : qu’il ne s’est pas mué en porte voix. Impossible toutefois de connaître le nom de ce joueur en colère. Certains joueurs ou ex-joueurs refusent d'ailleurs toujours de parler à So Foot. C'est notamment le cas de Thierry Henry et de Patrice Evra.

    LA VRAIE-FAUSSE INTERVIEW DE LILY ALLEN : UNE CAGADE MÉMORABLE

    lily Dans ce tableau quasi idyllique aucun raté ? Il y en a au moins un, mémorable. En 2009, la chanteuse Lily Allen est interviewée par une journaliste pigiste du mensuel. L'entretien est publié et Lily Allen décide de saisir les tribunaux britanniques en arguant que l'interview n'avait jamais eu lieu et que la journaliste avait "tout inventé". "Nous étions dans une situation très compliquée. C'était parole contre parole", admet Annese qui a malgré tout pris la défense de sa journaliste. Au final, le conflit s'est arrangé à l'amiable mais la petite histoire a coûté 100 000 euros à So Foot. L'interview a-t-elle réellement eu lieu ? Au sein du magazine, les avis sont partagés. Tous, en tout cas, ont un doute. Résultat : depuis cet épisode la règle est d'enregistrer toutes les interviews.

     

    Autre interrogation : le site de So Foot. S'il fonctionne bien, est dans un entre deux. "En fait, avec le site on est dans une situation particulière, détaille un journaliste. Nous sommes dans une logique de flux d'actualité, et en même temps ce n'est pas ce qui fait l'identité de So Foot. Du coup, on essaye de faire des choses drôles et décalées". Ainsi, sur le site, les passionnés de foot peuvent trouver des classement des 100 meilleurs joueurs de l'histoire, des vidéos, des vannes, et des informations traitées de manière éditorialisée sur le marché des transferts. Plus proche de l'immédiateté et du travail classique d'un site d'actualité sportive. Pour le moment, le site coûte environ 30 000 euros par mois et n'a pas encore atteint le seuil de rentabilité. sofoothome

    Une autre critique qui revient souvent à l'encontre de So Foot est la façon dont les pigistes sont payés au lance-pierres. Cet aspect a d'ailleurs été évoqué en janvier 2013 par Libération dans un portrait plutôt élogieux de Franck Annese. "La pige reste le scandale de ses canards : il paye 60 euros la page. Autrement dit peanuts et pipi de chat, un montant si ridicule qu’il serait plus honnête d’admettre que bosser pour So Foot ne permet pas de bouffer", écrit ainsi Mathieu Palain avant de donner la parole à un pigiste "déçu de son chèque" qui décrypte le fonctionnement du canard et d'Annese. "Son fonctionnement, c’est "je te dis oui pour le tour du monde mais ne me demande pas de bien te payer", raconte à Libé ce collaborateur de So Foot. Et là-dessus, Annese répond de manière claire et vive. "On n'exploite pas les pigistes. Ils sont payés 65 euros le feuillet et pas la page, c'est autant qu'à Libération ou aux Inrocks. Je n'accepte donc pas que l'on me fasse des leçons là-dessus, surtout quand ceux qui les font payent autant ou moins que nous. Si Elle et Télérama viennent me dire que nos pigistes sont sous - payés, j'accepte. Venant des autres, c'est vraiment scandaleux".

    Si la réussite globale de So Foot est plutôt saluée par les autres médias, certains journalistes sportifs ou autres ricanent lorsque l'on évoque avec eux le sujet. "Franchement, quand je vois leurs articles je ne me dis pas qu'ils réinventent la presse sportive. Ils sont dans une niche, avec un ton décalé qui démontre un certain talent, mais à part ça c'est un peu court", tacle un journaliste de l'Equipe.

    QATARGATE : UN SCOOP RATÉ ?


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    Il ajoute : "Ce n'est pas dans So Foot que l'on a parlé du Qatargate (le scandale selon lequel le Qatar aurait acheté l'attribution de le Coupe du Monde 2022 avec la complicité de Michel Platini et Nicolas Sarkozy, nous vous en parlions ici), mais dans France Foot". Devant cette critique, Annese rigole. "En fait nous avions sorti les mêmes informations un an auparavant dans le numéro avec Mario Balotelli en Une. Nous avions les documents etc, mais en effet, il n'y a pas eu le même retentissement". En fait, les deux ont raison. Lors du rachat du PSG par les qataris en juin 2011, So Footavait évoqué la réunion entre Nicolas Sarkozy, le prince du Qatar, Tamin bin Hamad al-Thani, Michel Platini, président de l'UEFA, et Sébastien Bazin (Colony Capital, à l'époque, propriétaire du Paris SG en proie à de grosses difficultés financières et proche de Nicolas Sarkozy).

    Mais où France Football va plus loin, c'est qu'il fait la Une sur l'information, qu'il est partie prenante du monde du football et surtout qu'il publie des documents notamment des mails internes à la FIFA, des témoignages d'anciens salariés de l'institution etc... De fait, là où So Foot a évoqué la réunion, France Foot a apporté des éléments supplémentaires.

    Dans la discussion avec une autre journaliste, une autre critique apparaît : le relatif désintérêt de So Foot pour les questions sensibles du foot et notamment la place prépondérante de l'argent. Là-dessus, Annese a une réponse, tranchée. "D'abord, à chaque fois que nous avons eu des éléments nouveaux sur les zones d'ombres des flux d'argent dans le foot, nous avons traité le sujet". Pour lui "passer son temps à pourfendre l'argent roi dans le foot est une posture intellectuelle vaine". C'est pour cela que "le mag n'en parle pas tous les mois". Et il conclut dans un sourire :"Si on veut vraiment moins d'argent dans le foot, on éteint sa télé et on arrête de le regarder ou alors, on change le système capitaliste. Moi je suis pour, mais cela passe par une révolution".

    La révolution, So Foot se contente pour le moment de la faire dans ses méthodes, son ton et son approche culturelle du sport. Pour les dix ans du magazine, certains médias ont célébré cet anniversaire. Des médias amis bien sûr. AinsiLibération avec qui So Foot a fait plusieurs cahiers thématiques lors des Euro ou des Coupes du Monde, à travers un petit papier et un portrait d'Annese, (non sans critiques, on l'a vu). De même, pour les Inrocks qui sur le web ont consacré un papier au modèle So Foot. Enfin, il faut signaler aussi un article de l'Expansion - pas forcément un media ami - qui entrait lui aussi dans les coulisses de l'aventure.

    SO FOOT FAIT DES PETITS

    Dans dix ans, peut-être écrirons nous aussi sur les autres réussites d'Annese. Outre So Foot, l'éditeur a lancé Doolittle (un magazine trimestriel de mode culture et société sur le monde de l'enfance dédié aux parents), Pedale (qui sort une fois par an au moment du tour de France) vrai magazine de journalistes sur le vélo. Mais aussi et surtout So Film, réplique de So Footsur le monde du cinéma. Le pari : s'extraire de la promo, suivre des acteurs sur le long cours et raconter des histoires humaines sur le cinéma. L'idée de base est simple :"sortir de l'idée selon laquelle un mag de ciné est obligé de faire sa Une sur un blockbuster américain", souligne Annese. Au bout d'un an le titre écoule 18 000 exemplaires par mois. Situé entre l'historique Les Cahiers du Cinéma et le leader du groupe Lagardère Première.

    Dernier projet en date : un quinzomadaire de société, car Annese confie ne plus "croire au rythme hebdomadaire" qui aura pour but de "raconter la vie et le monde", loin de la trilogie "Le Point, l'Express, L'Obs qui se ressemblent et ne parlent à personne". Sortie prévue pour la rentrée 2014.

    sofilm

    Les années 1980-1990 ont connu Jean-François Bizot créateur de Nova et d'Actuel, inspirateur de toute une génération de journalistes. Et si dans la personne d'Annese, les années 2000-2010, avaient elles aussi découvert l'inventeur d'un nouveau style de presse ?