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Societe - Page 18

  • L’art et la spiritualité au service de la santé

    Mardi 12 août 2014 - par 

    44 commentaires - 7159 lectures
    L’art et la spiritualité au service de la santé

    La santé ne se résume pas à la santé de chacun de nos organes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) précise bien qu’il s’agit de la santé du corps, de l’esprit et de la vie relationnelle. Être en guerre avec son voisin, son pays ou soi-même perturbe vite la santé. Les conséquences en sont multiples. Le stress agit sur tous nos organes, le tube digestif en priorité : l’estomac irrité jusqu’à l’ulcère, le reflux gastro-œsophagien qui brûle jusqu’au cancer, la rectocolite qui pleure le sang au goutte-à-goutte.

    Ainsi les burn-out se multiplient dans toutes les professions et les familles.

    Pour apaiser, réduire les tensions si puissantes de ce monde, point besoin d’aller très loin, à une heure et demie de Montpellier, en avion direct, low cost, vous voilà dans la ville jumelle, Fès, héritière de l’Andalousie médiévale où juifs, chrétiens et musulmans s’enrichissaient de leurs expériences et de leurs différences.

    Pour la cinquième année consécutive, j’ai participé comme intervenant à ce magnifique festival qui s’améliore d’année en année. « L’Esprit de Fès », animé par notre grand ami Faouzi Skali [1], c’est une bouffée d’air pur dans le monde où règnent tant de brutes et d’ignorants inconscients.

    Ce monde dit hyper-développé, orgueilleux et stupide, voit se développer à toute vitesse de plus en plus de maladies de civilisation : diabète, obésité, cancers et maladies auto-immunes, des rhumatismes à l’Alzheimer, sans parler des maladies psychiques qui envahissent les cabinets des psys. Évidemment, pas un mot de prévention au sommet de l’Etat. Il ne voit pas ce que cela pourrait lui rapporter en termes d’économies ou de réélection. Ses conseils de prévention ne sont que des vœux pieux. Priorité aux lobbies pharmaceutiques à la recherche de nouvelles molécules, de vaccins de rêve, pour tenter de sauver ce qu’il reste de la santé en promettant Alzheimer et Parkinson à tous les anciens et l’euthanasie quand vous ne servez plus à rien.

    Priorité aussi aux lobbies des phytosanitaires, pourvoyeurs de pesticides toxiques qui poussent les états et l’Europe à interdire les remèdes naturels et plantes qu’ils ne possèdent ni ne maîtrisent, au détriment de la santé des agriculteurs qui ne sont plus libres d’utiliser les plantes naturelles et sauvages traditionnelles, à bon escient évidemment.

    Priorité aux lobbies de l’agro-alimentaire qui ont détourné et cloné les semences au détriment des paysans et de leur liberté de semer ce qu’ils ont récolté, et nous formatent à consommer leurs produits pour nous “faciliter” la vie, au détriment de notre santé… et de notre porte-monnaie.

    Comme si les comportements propices à une bonne santé n’existaient pas !

    Au festival des musiques sacrées du monde, à Fès, vous êtes emportés dans un autre monde, où vous sont offertes la paix et la santé de tout l’être. Celles dont tous les peuples rêvent. Ils l’attendent !

    Les musiques peuvent abattre les murs les plus tenaces de la peur, de la haine et de l’angoisse. Musiques du monde, hébraïque et chrétienne, arabo-andalouse, indienne, arabe du Maghreb et d’Iran, d’Afghanistan et du Kazakhstan, du Pakistan mais aussi de Chine, musique grégorienne et latino, euro-méditerranéenne, euro-sud-africaine et Sénégalaise sont le plus court chemin pour relier les cœurs. Un enchantement !

    La musique révèle le monde. De par sa dimension spirituelle et universelle, elle est un appel à la transcendance, mémoire et aspirations communes au bien-être auquel chacun aspire.

    Dès l’inauguration du 20e Festival de Fès 2014, c’est le splendide spectacle du Cantique des Oiseaux, à partir du conte mystique du XIIIe siècle de Farid Ud-Din Attar.

    Comment la huppe un jour a décidé de réunir tous les oiseaux – nous-mêmes – pour les inviter à un long voyage, à l’issue duquel ils doivent rencontrer le Simorgh, le roi des oiseaux. Le spectacle inaugural grandiose conçu par Leila Skali fut un enchantement, avec ses Sept vallées du désir : la quête, l’amour, le savoir, la liberté, la solitude, la perplexité et l’anéantissement dans l’océan de l’amour.

    C’est bien l’aventure humaine qui nous est contée, celle de l’histoire  de l’humanité en quête de sens dans des langages multiples… invitant à cheminer ensemble. Car le chemin est aussi important que le but.

    Comme la cigogne apporte la pluie, signe d’abondance au Sahel, on apprend à Fès non pas à posséder la terre pour l’exploiter, mais à l’habiter. Et plus on est petit, plus on peut atteindre l’infini. Difficile de vivre sans savoir où l’on va ni d’où l’on vient.

    À Fès, la parole est ouverte, bienveillante, accueillante, à fois spirituelle et concrète. La santé de tout l’Être est à l’œuvre. Nul doute que le jumelage de Fès avec Montpellier ouvre des perspectives pour ce festival de part et d’autre de la Méditerranée. L’Esprit de Fès rejoint celui de nos vieux maîtres montpelliérains, lorsque les médecins arabes se joignaient aux juifs et aux chrétiens pour aborder le corps malade.

    Cela à l’heure où, chez nous, la spiritualité est encore proscrite par l’Etat, au nom d’une laïcité étriquée qui paralyse les mentalités, resserre les cœurs, stimule et oppose les communautarismes et les familles.

    C’est le retour trente-quatre siècles en arrière aux conservatismes des idoles palpables du veau d’or et de ce qui l’entoure. L’angoisse de l’homme de ce siècle cherche à être réduite, par le fric vite gagné – tous les moyens sont bons –, les addictions aux plaisirs éphémères, sucrés ou sexuels. Au bout du chemin, les maladies : surtout ne changez pas vos habitudes. Continuez dans vos comportements d’adulescentsincultes, votre santé est prise en charge ! Le malheur c’est que cela ne comble en rien les profondeurs de notre être, en particulier lorsqu’il est confronté à la maladie et à la mort.

    Les causes de nos « maladies de civilisation » sont pour la plupart identifiées : des comportements consommateurs à outrance qui, de plus, peuvent se transmettre de génération en génération. L’épigénétique, c’est démontré aujourd’hui, peut actionner la génétique !

    L’Etat ne sachant pas lui-même où il va, sauf à garder son pouvoir, diffuse cette fumée qui encombre corps et âme. Comment s’en détacher sinon en refusant l’intégration stupide au monde des affaires qui oblige à consommer et déglingue la santé ?

    À Fès, on ne s’occupe pas tellement de son corps physique. La force de l’esprit de Fès, endroit unique au monde, est de s’occuper non plus de ses misères corporelles ou de leurs causes, mais de la partie de notre être enfoui, celle qui apaise tout le reste. Notre âme, si souvent exprimée par les meilleurs guides spirituels des siècles passés !

    À Fès, nous sommes loin de penser comme ce chirurgien limité à ses dissections qui affirmait au temps de Napoléon qu’il n’avait pas trouvé l’âme sous son scalpel, ou comme Youri Gagarine, premier cosmonaute affirmant soviétiquement qu’il n’avait pas rencontré Dieu en tournant autour de la terre !

    À Fès se rejoignent les grands noms qui nourrissent notre âme : Abraham et Moïse avec ses dix Paroles qui donnent le code à notre humanité, Joseph – vendu aux Égyptiens par ses frères – devenu Premier ministre de Pharaon, le persan Attâr, poète des oiseaux, Choaïb Abou Madyane El Andaloussi dit “Sidi Boumediène”, considéré comme un pôle du soufisme en Algérie et au Maghreb qui disait : « Quand la Vérité apparaît, elle fait tout disparaître ! » Évidemment, l’Emir Abd El Kader né près de Mascara, mort à Damas après avoir sauvé du massacre des milliers de chrétiens, le grand Afghan le Commandant Massoud, lâchement assassiné comme Martin Luther King, et enfin le grand Nelson Mandela, sans oublier d’une manière aussi lumineuse la grande Thérèse d’Avila et la petite de Lisieux.

    Notre corps psychosomatique est plus sensible qu’il n’y paraît à tant de nourritures spirituelles.

    La santé de tout notre être ne peut se limiter à quelque organe ou cellules en trop

    N’oublions pas que nous ne sommes pas qu’un amas de cellules, mais des êtres uniques et de relation, destinés au bonheur.

    Faites-le savoir autour de vous, vous en retirerez de la joie et votre santé n’en sera que meilleure.

    C’est le message de l’Esprit de Fès.

    Professeur Henri Joyeux



    Pour en savoir plus, cliquez ici : http://www.santenatureinnovation.com/lart-et-la-spiritualite-au-service-de-la-sante/#ixzz3BbsIgTc3

  • La société de masse n’est pas démocratique. Pensez à vous instruire !

     

    Il est temps d’en finir avec la fiction philosophique du citoyen épris de démocratie. Un nouvel âge est arrivé, celui des sociétés de masse. Certes, déjà dans les années 1920 les philosophes s’essayèrent à interpréter des phénomènes nouveaux que furent les masses, parfois regroupées pour faire corps et se comporter en foule, voire en horde. Le phénomène des masses humaines est contemporain de l’âge industriel avec la production en masse de biens puis de services. Les masses n’ont pas bonne presse en général. Notamment parce que selon quelques interprètes de l’Histoire, les masses auraient favorisé l’avènement des régimes totalitaires, fascisme, nazisme, soviétisme. Le totalitarisme, c’est l’Etat, les élites dirigeantes, la police et les masses. Presque un siècle plus tard, la démocratie fait douter alors que les médias de masse occupent une place dominante dans nos sociétés. Mais les masses de 2010 ne sont pas les masses de 1920, pas plus que les bobos ne sont les bourgeois de la Belle Epoque. Des métamorphoses se sont produites pour parler comme l’excellent Ellul.

    La grande nouveauté, ce sont les médias de masse, point de rencontre et de confrontation entre les masses, les acteurs de la politique, les célébrités et surtout formidable école de la sottise. Les médias de masse exercent une action sur la politique par ricochet, en transitant par l’opinion publique devenue opinion de masse. Les médias de masse sont prescripteurs. Ils fournissent des goûts et des préférences à ceux qui n’en ont pas, comme le pensait l’excellent Luhmann. Mais si ce n’était que cela, leur rôle pourrait être anecdotique, d’ordre esthétique et rien de plus. L’affaire est plus sérieuse qu’il n’y paraît car les médias de masse exercent une action prescriptive dans de multiples champs, celui de la santé, des loisirs, de la vie quotidienne, de la politique, de l’éducation et même récemment de la sexualité. Les médias « agissent » pour ainsi dire les masses ; ils meuvent les masses.
    Si les masses sont mues par les médias, c’est que les masses sont déjà en mouvement. Masses désirantes, émotionnelles, craintives, colériques, fébriles, festives… L’Etat et ses dirigeants, les industries et ses managers, les médias de masse et les masses. Ainsi se dessine le concept de société de masse. Il faut prendre quelque distance avec ces fictions idéologiques et philosophiques du passé. Volonté du peuple, démocratie représentative, participative, souveraineté populaire, toutes ces fictions qu’on trouve développées chez les universitaires autorisés comme Pierre Rosanvallon, doublement « suspect » car syndicaliste à l’origine et maintenant officier de la légion d’honneur. On ne peut pas faire confiance à cet individu aurait dit Desproges. Ni d’ailleurs à Bernard Stiegler bien qu’il ait eu un parcours tout autre. Hormis ces deux là très près des fonctionnements institués, se pourrait-il que notre époque ait vu apparaître l’intellectuel de masse ? Il y eut le grand penseur « généraliste » puis les intellectuels spécifiques avait décrété Foucault. Ensuite les intellectuels médiatiques dont la présence sur les plateaux n’indique rien sur le contenu de leur pensée. L’intellectuel de masse écrit pour les masses. De là sa connivence avec les médias.

    La société de masse comprend les individus constituant les masses et un certain nombre de structures et institutions qui sont insérées dans la société mais montrent également un fonctionnement autoréférentiel clos sur les pratiques mises en œuvres par leurs opérateurs sous la direction des administrateurs et autres directeurs. Avec des codes, des procédures et une sorte de téléonomie. L’analyse éclairante de Luhmann sur les médias s’applique également à d’autres systèmes. Le motif fondamental des médias, c’est la distinction entre l’information et la non-information. Examinons la santé. N’a-t-on pas un fonctionnement opérationnellement clos qui réalise des expériences en se proposant de séparer le normal et le pathologique dans un premier temps, puis de distinguer, moyennant études et statistiques, le curatif du non curatif. C’est ce dispositif qui permet à certains médecins d’exclure l’ostéopathie car échappant aux normes scientifiques, cette pratique étant désignée (ou soupçonnée) comme non curative faute de vérification. Dans d’autres secteurs, on a vu la médecine tracer la démarcation entre le bon et le mauvais cholestérol, puis séparer le pathologique sur la base de normes dans les analyses sanguines si bien que des gens en bonne santé se sont retrouvés malades et ciblés par des molécules censées agir sur le mauvais cholestérol. On appellera ce système la santé de masse. Les individus et les pouvoirs publics vont jusqu’à payer cher l’empoisonnement par la médecine.

    L’art se prête bien à l’analyse systémique de Luhmann. Là aussi, le système de l’art se propose de désigner ce qui est de l’art et ce qui n’en est pas, étant relégué au rang de non art. En pratique, ce système décide de ce qui doit être montré dans un musée, dans une salle de vente, dans une galerie ou même dans l’espace public. Avec parfois une évaluation. Le système fixe le prix des œuvres décrétées artistiques sur le marché de l’art. Peu importe le contenu, du moment que c’est de l’art coté sur le marché. Et pour le reste, le système envoie aussi des signaux en direction des masses en désignant et en montrant au public des œuvres sous lesquelles on trouve une formule invisible : « ceci est de l’art ». Les médias accompagnent ce système, servant par ailleurs de relais aux industries culturelles en prescrivant les goûts culturels et ça marche. Les salles de cinéma sont pleines et les stades se remplissent. Les gens veulent assister aux mêmes concerts, y compris en mettant le prix.

    L’université et la recherche sont aussi affectées par la massification. L’université adopte un fonctionnement similaire aux médias, jugeant ce qu’il convient d’enseigner et ce qu’il convient d’écarter avec des critères parfois arbitraires faisant que des pensées alternatives ou pas très conformes sont exclues malgré leurs qualités et pertinence. La recherche scientifique semble aussi se dérouler avec le principe de l’autoréférence et de l’autodétermination du « moi scientifique », lequel se traduit dans les faits par une recherche dont le principe est calqué sur celui des médias. La recherche sépare ce qui est publiable dans les revues et ce qui ne l’est pas. La politique devient aussi une affaire autoréférentielle. Les partis politiques se mesurent et se comparent dans leurs décisions et surtout leurs commentaires. Ils utilisent parfois des instituts pour être conseillés.

    Tous les systèmes ont tendance à devenir industriels et par voie de conséquence, à se présenter face à des masses avec lesquelles ils sont en interdépendance tout en étant indépendant, à l’instar du monde animal relié et séparé de son milieu. L’industrie a tendance à absorber le plus possible d’activités professionnelles. Prenez le système de santé. Bien qu’indépendants sur le « papier », les médecins libéraux se mettent de plus en plus au service d’intérêts industriels, laboratoires, hôpitaux, centres de soin. Dans nombre de secteurs, les normes imposées créent une interdépendance entre les professionnels et les industriels pourvoyeurs de productions normées.

    Comme on le constate, la massification de la société va de pair avec la fonctionnalisation autoréférentielle des systèmes industriels qui sont guidés par des intérêts particuliers et qui peuvent être fortement imbriqués avec des structures étatiques. Alors, en risquant une image déplaisante, on peut concevoir les masses comme un ensemble d’individus placés sous perfusion afin d’être irrigués par les flux de biens, services et facilités offertes par des systèmes industriels qui en retour, sucent à l’image des vampires le « sang vital » des masses ; porte-monnaie, corps à soigner, force de travail, psychisme, machine désirante, ennui du quotidien.

    La démocratie au sens moderne n’est plus possible. Le lecteur saura le déduire du constat que je viens de tracer. Ou alors se contentera d’une démonstration lapidaire. La démocratie, c’est le pouvoir du peuple ou dans une acception plus réaliste, la participation du peuple au pouvoir et aux décisions politiques censées accompagner ses volontés. Dans une société de masse, il n’y a plus de volontés citoyennes, même s’il y a nombre de volontés oligarchiques (celles des directeurs des systèmes industriels et de leurs cadres). Puisque le peuple a été dissout en se massifiant, il n’y a plus de démocratie. CQFD.

    Dernière remarque. La société contemporaine hyperindustrielle et hypermédiatisée est devenue trop complexe pour un exercice démocratique. Le paradoxe étant que les gens pensent que le politique n’a plus de pouvoir or c’est l’inverse, le politique n’a jamais été aussi présent, avec un Etat tentaculaire agissant dans tous les rouages, pris entre deux feux, celui des masses désirantes et celui des oligarchies dominantes, et un troisième feu, celui des problèmes croissants parce que la technique apporte plus de problèmes que de solutions. La politique est donc très développée avec un appendice démocratique réduit à sa plus simple expression à travers les urnes. La seule issue pour le citoyen souhaitant renouer avec l’esprit démocratique et la liberté, c’est de s’instruire et non pas de s’indigner. Le livre de Stéphane Hessel n’a représenté qu’un ouvrage pour masses. L’indignation en devenant populiste, sorte d’attitude suggérée pour conférer une conscience politique à des individus comme en d’autres occasions, les médias proposent des goûts à ceux qui n’en ont pas. Pour l’instant, les pouvoirs publics n’ont pas encore décrété la journée de l’indignation. Comme quoi, il existe une marge pour descendre encore plus bas dans la sottise.

    Ce billet s’inscrit dans un livre à écrire, intitulé, instruisez-vous ! Si un éditeur sérieux se signalait, cela pourrait accélérer sa rédaction.

  • Qui sont « les assistés » ?


    Chaque jour, au travail, à la supérette ou dans la salle d’attente du médecin, on entend de bonnes gens déclarer en toute bonne fois : « assez d’assistanat, il y a trop de social en France ! » (sic), et souvent, les propos anti-chômeurs, anti-immigrés, voire anti-fonctionnaires, ne tardent pas à suivre.

    Comme si le souci majeur de notre pays était que les chômeurs de longue durée, que la situation objective de l’emploi prive objectivement de perspectives (4 millions de chômeurs totaux ou partiels !) puissent toucher quelque temps leurs maigres indemnités et « profiter » ensuite d’un RSA qui permet juste de survivre sans s’offrir le moindre plaisir ! Parmi ceux qui accablent les chômeurs, qui peut d’ailleurs être sûr que la perte d’emploi, l’absence de ressources et le surendettement ne frapperont pas un jour leur fils, leur sœur ou… leur chère petite personne ?

    En réalité, derrière ces propos mesquins qui conduisent de braves gens à cultiver l’envie et la haine (jalouser des Rmistes !), il y a la campagne de division menée par la droite. Pour disculper les milliardaires du CAC 40 de leurs énormes responsabilités dans la casse de nos usines, pour protéger le capitalisme, incapable de concrétiser le « droit au travail » inscrit dans la constitution, l’UMP préfère stigmatiser les « petits » et les sans-grade. Qu’il est plus simple de stigmatiser le chômeur, surtout s’il est basané ou si elle est mère célibataire, que d’accuser ces manitous du capital qui augmentent la valeur de leurs actions chaque fois qu’ils délocalisent une production vers un pays de misère !

     
     

    Derrière le « racisme social » contre les prétendus « assistés », il y a aussi la politique du PS :comme Hollande ne veut pas réellement taxer les capitalistes, comme il veut néanmoins conserver une image de « défenseur des faibles », il taxe les travailleurs en activité, rogne les pensions de retraite, bloque le salaire des fonctionnaires et « diminue la dépense publique » comme l’exige la droite : bref, il s’en prend aux actifs pour, soi-disant, « aider les plus fragiles » : en fait le but n’est pas d’aider les chômeurs mais de renflouer le maudit euro à la dérive et pour rembourser la « dette souveraine » (sic !) aux financiers. Bref, les dames patronnesses du PS s’entendent à merveille avec les Brutos de la droite pour OPPOSER sans cesse les « petits » aux « moyens », histoire d’épargner les GROS.

    Plus facile aussi d’accuser le travailleur immigré qui pousse sur le marteau-piqueur que de dénoncer le véritable casseur de la nation : cette UE capitaliste, qui pompe chaque année 18 milliards d’euros à la France en ne lui rendant sous forme de « subventions européennes » (car en plus il faut dire merci !) 9 milliards de cette manne détournée de nos services publics et de nos investissements industriels publics à la ramasse.

    Alors trêve de basse jalousieCessons de jalouser nos frères de classe, les travailleurs privés d’emploi en leur infligeant la double peine de l’exclusion économique et du mépris social. Cessons d’envier les fonctionnaires car les instituteurs, les infirmières, les ouvriers et les ingénieurs de l’Equipement travaillent dur pour le service public en voyant leur salaire réel baisser et leurs effectifs s’écrouler (6 postes sur 7 d’employés de l’équipement partant à la retraite ne sont plus remplacés !).

    Et regardons les CHIFFRES : comme l’établit une enquête précise du Monde diplo parue en juin, le vrai problème des droits sociaux n’est pas que quelques-uns « abusent » de leurs pauvres prestations. Le vrai problème est que des CENTAINES DE MILLIERS de personnes pauvres ou très pauvres, mal informées, déprimées ou culpabilisées par la campagne contre les « assistés », n’osent pas exiger leurs DROITS. Le vrai problème est que 8 millions de Français vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Qu’un enfant sur 5 est classé parmi les pauvres ; que près de la moitié de la population ne part pas en vacances près de 80 ans après 1936 !

    Regardons plutôt vers le HAUT de la société : vers ces 500 premières fortunes « françaises », si pressées de s’expatrier pour échapper aux impôts, qui se sont accrues de 25% (vous avez bien lu : au fait, votre salaire a « augmenté » de combien cette année ?) en 2013 et qui tentent par tous les moyens de gagner les « paradis fiscaux », où les attendent déjà 240 MILLIARDS d’euros, de quoi renflouer 12 fois le prétendu « trou des retraites ».

    Et n’oublions pas que si les chômeurs sont privés de travail PAR LE CAPITALISME, qui préfère surexploiter des esclaves à l’autre bout du monde, les insolents revenus de nos milliardaires, auxquels il faudrait ajouter tant de « peoples », de « grands sportifs » camés et de « petits débrouillards » à la Tapie, s’accroissent sans cesse SUR LE DOS DU TRAVAIL de plus en plus dévalué et méprisé.

    Bref, LES « ASSISTES » NE SONT PAS CEUX QUE DESIGNENT LA DROITE : ils s’appellent les CAPITALISTES  ; et il faudra pour leur faire rendre gorge que les « petits » et les « moyens » s’unissent enfin dans un large front populaire et patriotique poussant jusqu’à leur terme, la révolution sociale, les justes luttes inachevées de 36, 45 et 68.

    Ainsi pourrons-nous TOUS ENSEMBLE rendre à la France son indépendance, reconstruire l’emploi industriel, rendre sa place centrale à la classe ouvrière, sortir de l’UE du capital et rouvrir à notre pays la voie du socialisme.

    Par Floreal
    PRCF - www.initiative-communiste.fr

  • Marc-Edouard Nabe et Téléréalité

    Téléréalité et crépuscule d’une transcendance

    "A présent j'étais devant les faits bien assurés de mon néant individuel"

    « La légèreté c’est une valeur et je suis prêt à mourir pour elle(…) » Cette phrase de Frédéric Beigbeder, prononcée le 13 septembre 2003 sur le plateau de Thierry Ardisson face à Marc-Edouard Nabe, invite, avec une gravité relative, à une réflexion beaucoup plus large sur la dimension transcendantale de ce qu’on peut appeler la frivolité mortifère du système de valeur défendu par les Téléréalités. Extrapoler cette citation au milieu qui nous intéresse, à savoir celui des Téléréalités, nous permet de reconnaître que, au-delà d’être une valeur, la légèreté, comprise ici comme le cadre idéologique symbolique et fonctionnel dans lequel se sont structurées les Téléréalités françaises, est une conception de l’histoire et un formatage psychologique à une échelle massifiée, celles des sociétés humaines.

     Cette « légèreté », d’une lourdeur extraordinaire, permet également, et c’est souvent moins évident, la transformation d’individus décentralisés en consommateurs que l’on tourne, par la mutation forcée de l’inconscient collectif, vers des marchés nouveaux. A titre d’exemple, nul ne peut ignorer les immenses services rendus par le Loft Story, les Anges de la Téléréalité ou encore Secret Story à l’industrie de la chirurgie esthétique, des cosmétiques, de la mode, etc.  

    C’est en prolongeant l’analyse de Michel Clouscard en la matière qu’on peut affirmer qu’il existe un lien de causalité entre, d’une part, la rentabilité effective de certains secteurs de production de biens et/ou services et , d’autre part, l’affirmation des valeurs d’argent et de frivolité comme horizon absolu et nécessaire pour la jeunesse française. Cette alliance est celle d’un mariage, d’une union sacrée entre une production financiarisé répressive et un système de consommation permissif jusqu’auboutiste. Je ne fais rien d'autre ici qu'une réactualisation en somme de la pensée de Clouscard.

    En ce qui concerne la France, la transmission de cet horizon de valeurs d’avenir s’effectue d’autant plus facilement que la jeunesse vit la mort de l’idéologie, dans une société qui se caractérise par l’absence relative de transcendance traditionnelle partagée, en dehors de la sacralisation des droits de l'homme. La prétention des Téléréalités d’offrir une lecture de la réalité sociologique des rapports interindividuels du monde qui l’entoure s’opère par un regard biaisé qui retranscrit à grande peine la réalité sociale du pays. Je dirais même, en ce qui concerne la France, qu’en niant, pour parler vite, la valeur d’Egalité dans leurs programmes, les Téléréalités nient l’un des piliers du socle anthropologique synthétique français. Qui plus est, cette volonté de présenter une pseudo-réalité des rapports entre humains est d’autant plus paradoxale qu’elle se couple, dans le contenu brut des programmes des Téléréalités, d’une vulgarité glauque, assez bourgeoise dans sa superficialité, qui sacralise le voyeurisme et érige la célébrité au rang d’un sacré contradictoire. Ce sacré est contradictoire car il procède d’une dynamique propre, étrangère à la starification traditionnelle, telle qu’a pu l’identifier Edgar Morin. En effet, la « star » de Téléréalité se retrouve dans une position ambivalente où elle atteint un niveau de gloire médiatique appréciable, bien qu’éphémère, mais où elle doit faire face à l’absence apparente d’une dynamique de sympathie ou de soutien important de la part du « public », une autre notion à définir. En effet, une de ces stars de Téléréalité, Nabilla, personnage emblématique de ce « sacré contradictoire », parle pour désigner son public non pas de fans mais de followers. Sans doute a-t-elle conscience de la précarité de sa situation qui ne repose pas sur le fondement principal de la starification traditionnelle : le talent. L’absence de talent ne permet pas, en effet, l’instauration d’un lien d’amour ou d’admiration bilatéral qui puisse s’inscrire dans une durée. Il faut donc innover, se renouveler pour conserver la flamme du désir du téléspectateur ardente. Si on s’y refuse, dans un univers aussi concurrentiel, on prend le risque de sombrer dans l’oubli absolu. Il faut donc organiser le spectacle de sa propre survivance, théâtraliser sa fuite en avant personnel, grossir ou périr à la triste manière d’une roue tournant vite, certes, mais à vide. Chosifiées, les stars des Téléréalités se prennent et se jettent dans une communion à la fois morose et frivole où sont réconciliés, l’espace d’un instant, producteurs et consommateurs. Quand l'acteur se situe dans une perspective artistique, la star de téléréalité, dénuée en général de quelconque capacité de ce registre, est impuissante. 

    Pour recentrer les choses, être contre la « Téléréalité », une dénomination qui prend en compte un ensemble global complexe et méritant une analyse séquentielle, c’est afficher son hostilité à un ensemble de valeurs dont la fonction objective première, du moins telle qu’elle peut apparaître, est de permettre la fructification d’un marché, réel et concret, appuyé par la puissance publicitaire. Il faut à ce titre admettre que l’action consistant en la proposition d’une déchéance de cette transcendance malsaine est un combat, sans doute à mort au sens Beigbederien du terme.

    L’ambition de ces lignes est celle d’une volonté politique : déstabiliser le marché des Téléréalités. Ainsi présentée, l’approche est trop globalisante et il conviendra de procéder à la prudente dissection d’un certain nombre de programmes télévisés, dans le but affiché d’en dénoncer la dimension néfaste pour la société Française. C’est pourquoi, comme a pu le remarquer le lecteur, on parlera ici de les ou des Téléréalitésmais jamais de la Téléréalité. On évite ainsi de tuer la diversité propre à ces programmes aux spécificités nombreuses et, par ailleurs, de regrouper un ensemble de corps constitués différents sous une étiquette commune.

    Tout d’abord, il peut apparaitre, dans une tentative de délimitation générale des contours sémantiques du sujet abordé, que le terme de « Téléréalité » ne constitue pas un genre en soi. En effet, celui-ci relève de programmes pouvant prendre la forme de jeux, de divertissement télévisuels ou encore de magazines. Par ailleurs, sont à distinguer également toute une série d’avatars des Téléréalités comme la « scripted-reality », la « constructed-reality », ce qui n’est pas sans rajouter de la complexité à notre sujet : est-il possible de déstabiliser un marché aussi transcourant que celui des Téléréalités ? Adapter la règlementation télévisuelle française sur la question, satisfaisante sur certains points mais plutôt défaillante sur l’essentiel, est une tâche difficile pour le juriste qui doit prendre acte de la jurisprudence récente concernant cette amoncellement de sous-catégories liées par des caractéristiques communes que constitue le marché des Téléréalités, notamment en matière de dignité de la personne humaine.

    Avant d’aller plus loin, il est important de rappeler que le constat proposé se situe dans un cadre national, français, parfois européen, qui ne pourra prétendre à une analyse entièrement « internationalisante ». Certes, il peut apparaitre impératif de mettre en place une dialectique critique à l’encontre des valeurs pouvant servir de base commune aux différentes multinationales des Téléréalités dans leurs activités de production de services culturelles à travers la planète. Toutefois, on constate des différences dans l’adaptation qu’opèrent les Téléréalités dans les différentes régions du monde dans lesquelles elles s’implantent. Ces marchés nationaux, fruits d’une construction historique particulière, constituent, pour les transnationales des Téléréalités, des défis de taille. En effet, sans leur compréhension il ne peut y avoir, pour le marché des Téléréalités, de progression ou de stabilisation pérenne de ses activités de services. Par conséquent, ce changement continuel de stratégie dans l’approche mercantile rend impossible la généralisation au monde entier de l’impact des Téléréalités en France. La localisation géographique, dans ces lignes, « de ce combat à mort » est un point fondamental.

    Clouscard pensait que la Nation, après avoir été l’organisme oppressif et coercitif permettant la diffusion dans le corps social du capitalisme inégalitaire, était devenu la structure politique la plus à même, aujourd’hui, de résister à ce que le libéral-socialiste Allais appelait le « libre-échangisme mondialisé ». Le parti pris, ici, est celui d’une extrapolation de cette vision des choses : on comprend l’Etat-Nation républicain comme l’entité institutionnelle la mieux placée pour mettre en œuvre une politique publique de déstabilisation durable des Téléréalités. On écartera l’hypothèse d’une production législative à l’échelon européen pouvant contraindre le marché des Téléréalités en raison d’un scepticisme amer. Ce scepticisme est issu d’un constat froid : celui de la fragmentation du pouvoir Européen entre les différentes nations, institutions, groupements d’intérêts, cabinets d’expertises, think tanks, qui empêchent une action cohérente, structurée, drastique et adaptée pour le problème qui est le nôtre. Par ailleurs, la prégnance des groupements d’intérêts au parlement européen rendrait difficile, pour ne pas dire impossible, une action juridique déstabilisante pour le marché des Téléréalités en Europe. Malheureusement, la question de l’Europe ne pourra être épisodiquement envisagée que d’un point de vue critique à l’égard de sa production ou non-production législative sur le marché des formats européens ou sur les contraintes qu’elle pourrait faire peser sur la France si, demain, un gouvernement prenait la décision d’interdire telle ou telle programme, ce qui est en soit, Europe mis à part, loin d’être une chose aisée.

    Une première objection à ce combat peut se matérialiser sous la forme d’un discours dédramatisant, prônant l’idée suivant laquelle il existe des combats sociaux plus importants et plus fondamentaux pour la société française. A ce titre, un marxiste pourrait dire que la critique des Téléréalités est un combat d’arrière-garde servant la dissimulation de sujets plus importants au titre desquels, par exemple, l’introduction d’un nouveau type de rapports de classes en France via la crise du capitalisme financiarisée de 2008. La réponse à cette objection doit être claire. Critiquer les Téléréalités ne saurait occulter d’aucune manière la gravité extrême de la situation sociale en France. Par ailleurs, il pourrait être affirmé que la destruction opérée par les Téléréalités ne s’organise pas seulement du point de vue de l’intelligence, du concept et de la sagesse. Cette destruction peut aussi être concrète. A ce titre, on ne peut demander à un jeune spectateur de « A prendre ou à laisser » s’il est, supposons le, issu de quartiers défavorisés où l’émancipation sociale est un combat de survie économique de tous les instants, de prendre au sérieux « la valeur travail » quand il voit qu’il est possible, sans talent particulier, de gagner en quelques secondes le triple de ce que ses deux parents réunis peuvent gagner en un mois (par la simple sélection d’une boîte dans laquelle se cache une somme, inconnue par le joueur avant son ouverture). Pourra-t-on alors lui reprocher de se tourner vers une économie souterraine qui lui permet de fournir une quantité de travail minimum pour un revenu optimisé alors même que la Télévision, qui joue encore un rôle de socialisation fondamental malgré internet, promeut implicitement ce genre d’attitude ? La délinquance, qu’elle soit celle des banlieues ou des financiers à col blanc, peut dans certains cas s’expliquer, sans être pour autant excusée, par la dégénérescence apportée par de nouveaux types de transcendances banalisantes, d’autant plus fortes qu’elles sévissent dans un No Man’s Land idéologique.

     Une autre critique pourrait prendre la forme suivante : la liberté d’expression et de la presse se confond avec la Téléréalité dans un même ensemble de manifestation démocratique. Dans cette perspective, affirmer son désaccord dans une réserve sage et tranquille est acceptable mais, en revanche, il est inacceptable, si on se veut démocrate, de supposer l’interdiction de certaines Téléréalités. Ce détournement de la maxime bien connue : « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrais jusqu’à la mort pour que vous puissiez l’exprimer », est abject. Certes, prôner la liberté d’expression la plus absolue possible est une nécessité contemporaine (ex : dénoncer l’insulte d’ « antisémite » à l’encontre de certains intellectuels comme, dans certains cas, une arme d‘intimidation massive étouffant toute critique à l’encontre de l’Etat d’Israël, comme l’ont fait Eric Hazan et Alain Badiou, est une manière de défendre la liberté d’expression tout en en réclamant son élargissement relatif sur certains sujets difficiles).Cependant, le monde des Téléréalités n’est pas celui de la production des idées ou des concepts, il est celui du mensonge, de la manipulation (que ce soit des téléspectateurs ou des participants), du marketing et du formatage psychologique. En aucun cas il ne peut être rattaché à l’expression d’idées démocratiques regroupant, entre autre, une dimension relevant de la liberté d’expression ou de la presse. Les Téléréalités françaises sont le produit d’oligarques parisiens publicitaires qui, si on suit la chaine télévisée de leur évolution, ne sont rien d’autres que des grenouilles de bénitiers « Endemoliennes ». Je ne vois rien dans la disparition de ce que le polémiste Eric Naulleau identifie comme, je cite, « la poubelle de l’esprit », une atteinte aux fondements de la République ou de la démocratie d’opinions. La démocratie est un régime politique complexe aux possibilités de lectures et de manifestation multiples dont la première formulation concrète se fit durant l’Antiquité. Les téléréalités ont douze ans : il serait temps de prendre acte de la temporalité Endemolienne ainsi que de sa relative petitesse face au Léviathan Démocratique moderne en matière de passif historique. Pour finir sur cette question, l’utilisation de l’argument de la liberté d’expression et de la presse, en matière de défense des Téléréalités, constitue une extrapolation dangereuse dont on n’arrive pas à trouver une quelconque justification historique. Cette extrapolation donc, basée sur un vide conceptuel apparent, dissimule mal une volonté de protection d’intérêts économiques puissants sous couvert de démocratie, cette dernière notion, pourtant fondamentale, étant devenue tristement passe-partout.

     
     

     

    Qu’est-ce que les Téléréalités ?

    Il est important, à mon sens, de comprendre que les Téléréalités n’ont pas séduit le public malgré leur malséance mais grâce à celles-ci. Paradoxalement « le public », d’ailleurs, a plutôt tendance à comprendre, dans sa majorité, le côté artificiel de ce genre de manifestations télévisuelles. Celle-ci semble aller de soi : on la retrouve chez les participants des jeux des Téléréalités, exagérément décérébrés, comme chez les présentateurs aseptisés. Mais alors, comment expliquer le succès des Téléréalités ? Beaucoup ont émis l’hypothèse suivante : la tendance au voyeurisme et à l’exploitation mercantile de ce qu’il peut y avoir de pire chez l’homme a fait gagner des parts de marché plus qu’appréciables pour les chaînes privées françaises, en lutte constante pour leur maintien face à une concurrence internationale féroce. Ceci peut paraître absurde mais rejoint l’hypothèse du sacré contradictoire des vedettes des Téléréalités : les émissions de Téléréalités parviennent à atteindre un succès brut en termes de chiffres tout en provoquant un dégoût relatif dans une large partie de la population. C’est une dynamique d’attirance-répulsion assez déconcertante, qu’on peut rattacher à une forme d’addiction malsaine. Peut-être que la clé des réussites des Téléréalités réside dans leur capacité à mobiliser sous la forme d’un divertissement les pires instincts de notre époque, forçant ainsi nos populations à regarder dans un miroir déformant l’image présupposé de leur « réalité », une « réalité » dans laquelle elles sont censées se retrouver. Le problème est que, pour la plupart d’entre nous, nous ne nous y retrouvons pas. Il est possible que certains adoptent une attitude de témoin moqueur à l’encontre de ces émissions, en se mettant ainsi dans une position de recul amusé empêchant de constater qu’ils constituent alors le combustible permettant le fonctionnement de cette machinerie déroutante, qu’on peut très bien détester par ailleurs. Exaltation de l’hyper individualisme, consécration d’un type de « beauté », mise en avant de la manipulation stérile comme rampe de lancement personnel, défense du droit de chacun à la célébrité, négation du talent, etc. Toutes ces valeurs vont à l’encontre du message que tente de véhiculer l’éducation nationale (mérite, travail, respect de l’autre, etc) et l’individu se retrouve face à une double proposition de modèles de vie qui est problématique. En effet, quelle grille de valeurs faut-il alors choisir ?

    Ce choc de valeurs est porteur de déstabilisation dans une société en danger de fragmentation et devant faire face à la multiplication des égoïsmes catégoriels et communautaires. Ce constat amène à penser que les Téléréalités peuvent être comprises comme le symptôme d’un fléau de la pensée pervers qui guette les démocraties modernes de ce début de siècle.

    Une notion fondamentale à définir est celle du « carburant » permettant le fonctionnement de la grande machinerie des Téléréalités. Cet aspect des choses est complexe, la question du « public » des Téléréalités étant à comprendre comme un ensemble à la fois globalisant et exclusif, adapté à une partie assez large de la population française mais face auquel se construisent en opposition un nombre d’individus non-marginaux. Il est curieux de constater par ailleurs, dans ce que Bernard Stiegler appelle la « Télécratie » (une formulation abusive mais qui retranscrit assez justement une partie de ce qu’est devenu la télévision moderne), que lorsqu’on sollicite ce « public » sur les programmes télévisés qu’il préfère, on constate un décalage entre les préférences annoncées de ce « public », qu’on devrait appeler, là encore ,« les publics », et la réalité des chiffres en matière d’audience télévisuelle.. Les sondages d’opinion IFOP montrent que les gens, quand on leur pose la question, disent préférer le cinéma, les documentaires, les reportages et les programmes d’informations. Le décalage entre ces préférences affichées et la réalité « honteuse » de ce qu’ils regardent réellement, quand on voit le succès brut en matière d’audimat des Téléréalités, laisse perplexe.

    Bernard Stiegler compare ce comportement à celui d’une addiction : de la même manière qu’un toxicomane a un stade très avancé de dépendance est conscient du mal qu’il s’inflige et du danger que constitue sa drogue, il n’en demeure pas moins qu’il en a viscéralement besoin.

     Le procédé est plus implicite en ce qui concerne le spectateur des Téléréalités mais fonctionne dans une logique similaire : celui-ci se retrouve dans une situation où, quand il regarde des programmes relaxants et structurants son cerveau, il ne s’aperçoit pas qu’on le prépare à la réception mentale de publicités et de valeurs nouvelles formatant la psychologie collective du « public », dans lequel il s’insère alors, aux exigences du marché. Toute la force de cette technique est l’imposition indolore à l’individu, jusque dans l’intimité de sa sphère familiale, d’une posture de consommateur-récepteur. A mon sens, cette réalité concerne des milliers de victimes malheureuses, et les considérer ainsi ne revient pas à les déresponsabiliser car celles-ci sont assez prétentieuses ou inconscientes pour être convaincues d’avoir le contrôle sur les Téléréalités qu’elles visionnent. Peu de personnes, même si elles en ont les moyens, prennent le temps d’analyser l’emprise qu’opère la Télévision (et les Téléréalités constitue une excroissance grotesque de cette institution) sur leurs comportements d’achats les plus anodins. Beaucoup s’inquiètent, y compris au CSA, qu’il ait été mis au service du marketing, de la publicité et du marché le savoir acquis par la recherche fondamentale. Quand on demande à Michel Desmurget si les publicités télévisuelles sont dangereuses il répond : « (…) qu'il ne s'agit plus simplement de vendre, mais de générer des comportements à l'insu des gens, et l'éducation aux images ne peut pas combattre ces mécanismes infraconscients. Si le mot « viol » a un sens, cela en est une parfaite illustration. » On pourrait extrapoler cette citation pour affirmer que ce « neuro-marketing » est un viol de l’inconscient commun et les Téléréalités les complices vicieuses, soumises et dévouées de cette mécanique. Je souscris, pour ma part, à cette idée forte.

     

     Ce formatage ne pouvait être permis par les anciennes valeurs républicaines traditionnelles (parfois défendues par certains dans le cadre d’un discours nostalgique idéalisant et déformant) de méritocratie, de respect, de travail, d’égalité, etc. De la même manière, le rejet de l’argent et de la rapacité de la part du catholicisme et du communisme, même si ce n’était parfois qu’une apparence, ne permettait pas la production de consommateurs « efficients ». La disparition relative de ces deux églises longtemps fondatrices dans le paysage politique français fut une des conditions de l’avènement en France d’une société plus anglo-saxonne et individualiste. Par conséquent, les Téléréalités peuvent être comprises comme l’aboutissement d’une dynamique libérale-libertaire, au sens Clouscardien, ayant diffusé le marché dans toutes les structures du corps social, y compris dans ses parcelles les plus inattendues.

    Dans cette même lignée de réflexion, deux éléments sont à analyser : les mutations qu’on put connaître les institutions télévisuelles, d’une part, et, d’autre part, ce qu’entend la prétention à la retranscription de la réalité. Ces deux éléments se conjuguent ensemble, bien qu’ils relèvent tous deux de dynamismes distincts.

    Laissez-faire, laissez-passer et laissez-voir

    On ne peut pas éternellement discuter des Téléréalités sans parler des mutations profondes qu’on put connaître les télévisions françaises. Jean Louis Missika découpe l’histoire de la télévision française en trois phases : la paléo-télévision, la néo-télévision et la post-télévision.

    La première période s’étend des années 1950 aux années 1970 et se caractérise par un souci pédagogique de transmission de la culture, du savoir et des informations. Affirmer cela ne saurait angéliser la télévision de cette époque qui, comme celle d’aujourd’hui, n’hésitait pas, car au service de l’Etat, à manipuler l’information en transformant la réalité des faits, que ce soit par l’exagération ou la prétendue insignifiance. « On cache en montrant, et plus on dévoile plus on voile » comme disait Bourdieu.

    On ne peut d’ailleurs pas souhaiter si l’on désire une démocratie directe impliquant d’avantage l’esprit critique de ses citoyens une transposition à notre époque de cette paléo-télévision qui était réservé à une petite frange d’experts, de stars, d’hommes politiques et de journalistes. Il ne faudrait toutefois pas nier un certain nombre de vertus inspirantes de cette paléo-télévision, un site comme l’INA.fr permet de visualiser des émissions artistiques, politiques et culturelles mobilisant des débats contradictoires de qualité, de la poésie, de la chanson à textes, des grands films, en somme une grande plus-value intellectuelle qui pourrait permettre aux français de construire la télévision de demain. Si ce genre d’émissions continue d’exister aujourd’hui, elles sont malheureusement trop marginales pour peser face à l’Empire des Téléréalités et de la publicité. Toujours est-il que cette césure, qui apparaît au niveau des années 1970, semble confirmer l’avènement, en France, d’une dynamique libérale-libertaire d’après 68 envahissant l’univers de la Télévision et permettant le démarrage d’une nouvelle ère télévisuelle, celle de la néo-télévision au sens de Missika. Ce fut le réveil de la France à la mondialisation que nous connaissons, un réveil curieusement anesthésiant.

     La deuxième période s’étend des années 1970 aux années 1990, elle se base sur un rapport plus direct avec « le public » et le simple fait, pour certaines personnes, d’avoir pu être témoins d’évènements quelconques leur donne le droit de participer à des émissions. En outre, on offre aux gens lambda une source de légitimité et de revendication potentielle au droit d’être « télévisable ». Cette démarche s’inscrit dans un souci apparent de transparence et de retranscription avec la plus grande exactitude possible des « faits », de la part des journalistes en général. La télévision analyse ainsi des préoccupations particulières et tend à se rapprocher le plus possible des individus. Alexandra Faure parle du passage de la Télévision vers une mission de régulation et de médiation avec la tentative de résoudre, de sa part, dans le cadre de talk-shows et de reality-shows, des problèmes relevant de l’intime, des conflits personnels et interfamiliaux. A mon sens, cette affirmation est fausse et ce que l’on cherche plus à ce moment-là, de la part des producteurs, consiste en une innovation dans le rapport aux téléspectateurs en faisant de la Télévision un organe tourné vers la production de manière beaucoup plus importante qu’autrefois. L’enjeu est alors de mettre les téléspectateurs dans une situation où ils sont amenés à se retrouver en proximité relative avec leurs écrans, ce qui supprime une partie d’altérité et de distance dans le rapport entretenue à l’égard de ceux-ci et permet la transformation progressive de l’instance télévisuelle en un puissant support de propagande pour une société de consommation d’un type nouveau. La Télévision n’a pas inventé le consumérisme, certes, mais elle l’a exacerbé dans des proportions délirantes. Je ne parlerais donc pas d’une position de médiation et de régulation, surtout quand on est conscient du caractère artificiel, préparé et faussé de ces situations « problématiques » à réguler, mais d’un transfert, complexe et partiel, d’allégeance. Pour parler vite, nous dirons que ce transfert d’allégeance de la Télévision s’est opéré de l’Etat au marché. On énonce ainsi trois entités extrêmement abstraites qu’il conviendrait d’approfondir plus longuement (Télévision, Etat et marché). Pour conclure, l’intérêt soudain de la télévision pour la sphère privée relève d’avantage de la stratégie mercantile que de l’adoption samaritaine d’une volonté de voir évoluer son rôle, par rapport à la société civile, vers une mission de régulation et de médiation.

    La dernière période, celle que nous vivons, serait celle de la post-télévision. Celle-ci pourrait se résumer par le besoin croissant dans nos sociétés moderne d’une reconnaissance individuelle. Le « laissez-faire, laissez-passer » se couple alors du « laissez-voir ». Dans la même idée, alors qu’il semble y avoir une quête, de la part des téléspectateurs, vers plus « d’authentique », on pose les bases institutionnelles et morales d’un empire de l’imposture, en la personne des Téléréalités. La diffusion du Loft story en 2001 a provoqué une rupture radicale, certes, mais cette apparition ne se fit pas à partir de rien ou de manière soudaine. On peut en effet trouver toute une série de racines d’émissions dites de dévoilement dans les années 80 (Psy-Show, Moi, je) ou avec les reality shows (L’amour en danger, Perdue de vue). Jean Louis Missika parle de « lifeentainement », d’un genre télévisuel ayant évolué vers l’expérimental par la mise en situation de « cobayes », les participants, dans un environnement où ceux-ci se retrouvent confrontés à des « stimulis », sous le feu des projecteurs, dans l’attente, je n’ose dire l’étude, de leurs réactions. Alexandra Faure affirme que la fiction (réalité imaginaire), l’information (réalité rapportée) et le reality show (réalité constituée) sont des genres qui se sont faits dépassés par la réalité expérimentée, expression utilisée pour recouper l’ensemble des Téléréalités, un type d’émission inédit répondant à la recherche, par la télévision, de l’ordinaire. On constate en effet que tout est fait pour renforcer le sentiment de proximité des téléspectateurs avec les programmes qu’ils visualisent, que ce soit du présentateur aux candidats, du thème abordé aux règles du jeu (notamment sur le vote qui permet de faire participer le public directement en influant sur le cours du jeu par le biais de SMS surtaxés).

     Rien n’est plus amer pour l’analyse critique que ce maquillage astucieux du marketing sous les oripeaux de « l’ordinaire », du « concret » et du « réel ». Si l’Etat veut assumer son rôle de conservateur de l’ordre social, il lui revient de s’emparer de cette problématique qui pose des graves questions en matière d’aggravation de la destruction, permise par la crise, du lien social et du rapport à l’autre dans les milieux populaires. Sans doute les médias aiment-ils utiliser le vide, la vulgarité et la stupidité comme une pompe aspirante de la colère gagnant « la common deacency » orwellienne du peuple de France. Une fois le débat posé en ces termes, je pense qu’interdire une grande majorité des programmes de Téléréalité est une hypothèse envisageable, voir souhaitable si l’on désire des gens doués d’esprit critique et non pas des consommateurs obéissants.

     

  • Deux poids...

    Education aux médias : selon que vous soyez Américain ou Bangladaise...

    17 septembre 2013

    Tout le monde le dit - et je ne ferai pas exception : toutes les victimes innocentes d’accidents ou d’attentats sont des victimes de trop ; toutes ont droit au respect ; il n’est pas question de discuter la peine que la disparition crée à leurs proches ; et il n’est pas question non plus de tenir une comptabilité morbide pour savoir si certaines victimes le sont plus que d’autres. Jetons donc un coup d’oeil sur l’actualité récente pour voir comment ces nobles principes se vivent et s’appliquent dans les médias ces derniers jours.

    Une des règles de base qu’on enseigne dans les écoles de journalisme est que "L'intérêt d'un fait divers en un point du monde est directement proportionnel au nombre de morts et inversement proportionnel à la distance qui nous sépare de ce point." Et on y ajoute deux autres critères qui peuvent peser lourd dans la balance : la notoriété des personnes impliquées et le côté spectaculaire de l’incident.
    En termes plus simples, cela signifie qu’un mort à Charleroi mérite plus d’intérêt que dix morts en Argentine - sauf s’il y a parmi eux un Président, ou un Pape, ou un international de football... ou deux Belges (mais ce dernier critère ne vaut que pour la Belgique !). Et qu’on ne parlera d’un mort au Cameroun que s’il a reçu une météorite de cinquante kilos sur la tête.
    De Boston à Dacca
    Sur cette base bien scientifique, examinons un peu la manière dont les médias ont rendu compte de deux informations récentes : l’attentat terroriste à Boston aux USA et l’effondrement d’un bâtiment abritant une usine textile à Dacca au Bangladesh.
    La distance, d’abord. Boston est à six heures de décalage horaire de chez nous, Dacca est à quatre heures. Mais, au départ de Bruxelles-National, on arrive plus vite en avion à Boston qu’à Dacca. Egalité grosso modo donc sur ce point.
    La célébrité des personnes impliquées. Des spectateurs d’un marathon et deux immigrés tchétchènes, d’un côté, des ouvriers du textile et leur patron, tous bangladais, de l’autre. Bref, de parfaits inconnus. Egalité parfaite sur ce point.
    Le côté spectaculaire. Explosion de cocottes-minutes bourrées de billes d’acier et de clous contre effondrement d’un immeuble de huit étages de l’autre, c’est une question de goût. Quelques images filmées en direct à Boston avec des victimes étendues sur le sol (important pour les JT du premier jour - avantage Boston) contre images des ruines fumantes et des secours qui s’affairent pendant des jours (idéal pour tenir dans la durée - avantage Dacca). Egalité au final, donc.
    Reste le nombre de morts. Là, par contre, il n’y a pas photo. 4 morts (dont un des terroristes) et 270 blessés à Boston. 400 morts (mais pas le patron de l’usine), 900 disparus et plus d’un millier de blessés à Dacca. Et un nombre de morts qui augmente d’heure en heure. Et des disparus qui se rapprochent à grands pas du moment où ils vont quitter la colonne des disparus pour entrer discrètement dans celle des morts. Donc, à la grosse louche, entre 100 et 400 fois plus de morts à Dacca qu’à Boston.
    Résultat : à la grosse louche aussi, entre 100 et 400 fois plus d’infos, de dramatisation, de directs et d’émotion télévisée à Boston qu’à Dacca.
    La science journalistique n’expliquerait-elle pas tout ?
    Quel intérêt y aurait-il à ce que vous sachiez que...
    Quelle raison peut-on bien trouver pour expliquer une réponse aussi complètement contraire aux règles journalistiques de base ?
    La première serait notre proximité affective avec les Américains. Il est vrai que si vous passez ne serait-ce qu’une semaine complète devant votre TV, toutes chaînes grand public confondues, la prolifération de films et surtout de séries "made in USA" fait que vous vous sentirez plus en terre de connaissance dans les rues de San Francisco ou les bayous de Floride que dans les rues de Hanovre (ou même de Malines) pour ne pas parler de celles de Dacca. Difficile quand même de trouver cette explication suffisante pour expliquer le déséquilibre médiatique.
    La deuxième serait l’idée que "On en parle beaucoup parce cela pourrait vous arriver un jour". Personne ne peut se dire en effet à l’abri d’une action terroriste. Il n’empêche que le nombre de personnes assistant à des marathons est en Belgique nettement inférieur au nombre de personnes travaillant en usine. Il n’empêche surtout qu’en 2012 le nombre d’attentats terroristes en Belgique a été de zéro, provoquant logiquement zéro mort. Cette même année, par contre, il y a eu dans notre pays 150.000 accidents sur les lieux de travail qui ont fait 80 morts.
    Par contre, la vraie raison pourrait bien être tout simplement "On en parle beaucoup parce qu’on veut que vous ayez peur que certaines choses vous arrivent un jour". Et là, bingo, tout devient un peu plus clair.
    Il devient tout à fait logique d’évoquer dans les moindres détails les souffrances des blessés, la douleur des familles, l’efficacité des secours, le courage des sauveteurs bénévoles, la détermination des autorités et l’efficacité des forces de l’ordre dans la traque des terroristes à Boston. Et tout à fait logique aussi de mettre en évidence et en valeur le bon droit et la retenue d’une nation (chrétienne) frappée dans sa chair par la folie et la férocité de deux jeunes Tchétchènes fanatisés par un Islam rétrograde (ce qui est très exactement le discours tenu par tous les médias grand public).
    Notez bien que vous ne devez avoir peur que de certaines choses. Quel intérêt y aurait-il à ce que vous sachiez que le propriétaire du bâtiment de Dacca a ajouté sans autorisation trois étages aux cinq qu’il était autorisé à construire ? Que le patron n’a tenu aucun compte des rapports des ouvriers dénonçant l’apparition de fissures de plus en plus grandes dans les murs ? Qu’il n’a même tenu aucun compte du rapport de police lui enjoignant de fermer l’usine à cause du risque d´écroulement ? Que la plupart des portes des issues de secours étaient fermées parce qu’il ne fallait pas que les ouvriers puissent sortir sans contrôle de l’usine pendant leurs heures de travail ?
    Quel intérêt y aurait-il à ce que vous vous mettiez après cela à regarder l’état des murs de votre entreprise ? Ou à demander si toutes les procédures de sécurité sur les lieux de travail sont bien respectées ? Ou à vous inquiéter du fait que des camions qui sont des bombes chimiques circulent sur nos autoroutes et que des trains chargés de déchets nucléaires hautement radioactifs traversent régulièrement notre pays ? Et quel intérêt y aurait-il à ce que vous vous posiez ces questions devant votre TV à l’heure où il est essentiel que vous ayez l’esprit disponible pour les pubs de Coca-Cola et de Benetton ?
    Dès lors, il est tout à fait logique que l’attentat de Boston soit traité pendant 20 minutes en entame du journal télévisé (après une émission spéciale en primetime) et que ce sujet soit présenté comme LE fait politique essentiel de la semaine, analysé sous toutes les coutures avec le concours d’une kyrielle d’experts en terrorisme. Et il est tout aussi logique que l’écroulement de l’usine de Dacca soit relégué dans les faits divers en fin de journal, au rayon des "catastrophes naturelles en Asie", entre un tremblement de terre en Chine et un glissement de terrain aux Philippines.
    Ah oui, encore deux détails. On a retrouvé des T-shirts marqués Benetton dans les ruines de l’usine. Et la grande majorité des travailleurs de l’usine étaient en fait de jeunes ouvrières, évidemment musulmanes (comme la quasi-totalité de la population du pays). Quel intérêt y aurait-il donc que vous sachiez que les T-shirts que vous portez sont produits par des jeunes filles musulmanes - et portant très certainement le voile - qui ne rêvent absolument pas de se faire sauter avec une bombe en plein milieu de votre supermarché mais qui espèrent simplement pouvoir nourrir un peu mieux leur famille.
    J’ai commencé cet article en écrivant que tout le monde vous dira, la main sur le cœur, que toutes les victimes innocentes ont droit au respect et qu’il serait indécent de les "analyser" et de les "peser" en fonction de critères dont elle n’ont que faire.
    Et bien cette règle ne s’applique pas à nos médias. Sur le marché de la compassion intéressée, il vaut beaucoup mieux être un amateur de sport aux Etats-Unis, blanc et chrétien si possible, que d’être une jeune ouvrière, musulmane de surcroît, au Bangladesh.

    Attentat de Boston Bangladesh Médias 


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