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Societe - Page 15

  • Choisir ses combats

    par Serge Halimi, février 2015

    Août 1914 : l’union sacrée. En France comme en Allemagne, le mouvement ouvrier chancelle ; les dirigeants de la gauche politique et syndicale se rallient à la « défense nationale » ; les combats progressistes sont mis entre parenthèses. Difficile de faire autrement alors que, dès les premiers jours de la mêlée sanglante, les morts se comptent par dizaines de milliers. Qui aurait entendu un discours de paix dans le fracas des armes et des exaltations nationalistes ? En juin, en juillet peut-être, il restait possible de parer le coup.

    Un siècle plus tard, nous en sommes là. Le « choc des civilisations » ne constitue encore qu’une hypothèse parmi d’autres. La bataille qui semble s’engager en Europe, en Grèce puis en Espagne permettra peut-être de la conjurer. Mais les attentats djihadistes favorisent le scénario du désastre ; une stratégie de « guerre contre le terrorisme » et de restriction des libertés publiques aussi. Ils risquent d’exacerber toutes les crises qu’il importe de résoudre. Telle est la menace. Y répondre sera l’enjeu des mois qui viennent.

    Un dessinateur est-il libre de caricaturer le prophète Mohammed ? Une musulmane, de porter la burqa ? Et les juifs français, vont-ils émigrer plus nombreux en Israël ? Bienvenue en 2015... La France se débat dans une crise sociale et démocratique que les choix économiques de ses gouvernements et de l’Union européenne ont aggravée. Les thèmes de l’arraisonnement de la finance, de la répartition des richesses, du mode de production ont enfin pris racine dans la conscience publique. Mais, à intervalles réguliers, les questions relatives à la religion les relèguent au second plan (1). Depuis plus de vingt ans, l’« islam des banlieues », les « insécurités culturelles », le « communautarisme » affolent les médias comme une partie de l’opinion publique. Des démagogues s’en repaissent, impatients de gratter les plaies qui leur permettent d’occuper la scène. Tant qu’ils y parviendront, aucun des problèmes de fond ne sera débattu sérieusement, même si presque tout le reste découle de leur solution.

    L’assassinat de douze personnes, en majorité journalistes et dessinateurs, le 7 janvier dernier dans les locaux de Charlie Hebdo,puis de quatre autres, toutes juives, dans un magasin kasher a suscité un sentiment d’effroi. Bien qu’ils aient été commis en invoquant l’islam, ces crimes spectaculaires n’ont pas, pour le moment, enclenché le cycle de haines et de représailles que leurs inspirateurs escomptaient. Les assassins ont en partie réussi : des mosquées sont attaquées ; des synagogues, gardées par la police ; quelques jeunes musulmans — radicalisés, souvent médiocrement instruits des règles de leur foi, en tout cas peu représentatifs de leurs coreligionnaires (lire « Les chemins de la radicalisation ») — sont tentés par le djihad, le nihilisme, la lutte armée. Mais les assassins ont également échoué : ils ont garanti une vie éternelle à l’hebdomadaire qu’ils voulaient anéantir. Gageons cependant que, dans l’esprit de leurs commanditaires, cette bataille-là était secondaire. L’issue des autres dépendra de la résistance de la société française et de la renaissance en Europe d’une espérance collective.

    Mais soyons modestes. Nos grosses clés n’ouvrent pas toutes les serrures. Nous ne sommes pas toujours en mesure d’analyser l’événement séance tenante. S’arrêter, réfléchir, c’est prendre le risque de comprendre, de surprendre et d’être surpris. Or l’événement nous a surpris. La réaction qu’il a suscitée, aussi. Jusqu’à présent, les Français ont tenu le choc. En manifestant en masse, dans le calme, sans trop céder aux discours guerriers de leur premier ministre Manuel Valls. Sans s’engager non plus dans une régression démocratique comparable à celle que les Etats-Unis ont vécue au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 — même s’il est inepte autant que dangereux de condamner des adolescents à des peines de prison ferme au seul motif de propos provocateurs.

    Nul ne peut imaginer cependant les conséquences éventuelles d’une nouvelle secousse du même ordre, a fortiori de plusieurs. Parviendraient-elles à enraciner une ligne de fracture opposant entre elles des fractions de la population qui se détermineraient politiquement en fonction de leur origine, de leur culture, de leur religion ? C’est le pari des djihadistes et de l’extrême droite, y compris israélienne, le péril immense du « choc des civilisations ». Refouler cette perspective réclame non pas d’imaginer une société miraculeusement apaisée — comment le serait-elle avec ses ghettos, ses fractures territoriales, ses violences sociales ? —, mais de choisir les combats les plus susceptibles de porter remède aux maux qui l’accablent. Cela impose, d’urgence, une nouvelle politique européenne. En Grèce, en Espagne, le combat s’engage...

  • Opinion: Les terroristes en Europe...

    Les terroristes en Europe sont plus voyous qu’islamistes

    Publié le 19 janvier 2015 dans Police et arméesReligionSujets de société

    On accuse des concepts insaisissables, comme l’Islam radical et l’antisémitisme, au lieu de regarder dans notre arrière-cour comment sont nés ces criminels.

    Par Guy Sorman

    frères kouachi attaque de Charlie Hebdo Credit Françoise C (Creative Commons)

    Les attentats à Paris, le 7 janvier, perpétrés au nom de l’Islam, ne peuvent susciter que l’horreur et la réprobation. On ne peut qu’adhérer au mouvement collectif en Occident pour la liberté d’expression et contre l’antisémitisme. Mais, est-il permis dans ce climat d’unanimisme de s’interroger sur la meilleure réponse possible à ces attentats ? Proclamer comme l’a fait le Président François Hollande que« Paris est la capitale du monde », que l’attaque contre une épicerie casher révèle « le retour de l’antisémitisme » ou déclarer comme le Premier ministre Manuel Valls que les démocraties sont « en guerre contre l’Islam radical », autant de slogans, de postures : l’analyse est absente.

    Pire encore, les slogans donnent satisfaction aux terroristes en leur accordant une sorte de grandeur et de légitimité : ces trois petits voyous de banlieue se voient reconnaître, par les plus hautes autorités de l’État et par les foules qui ont défilé dans toute l’Europe, la noblesse idéologique et religieuse qu’ils prétendaient incarner. Certes, on comprend une fois encore que l’on doit manifester indignation et solidarité avec les victimes, mais devrait-on pour autant nier la réalité ? Les « terroristes » n’étaient que des voyous parisiens pour qui l’Islam de pacotille véhiculé par internet fut un costume de scène, une théâtralisation de leur banalité. À se focaliser sur leurs proclamations, on évite de s’interroger sur leur origine et sur leur parcours : on accuse des concepts insaisissables, comme l’Islam radical et l’antisémitisme, au lieu de regarder dans notre arrière-cour comment et de quoi sont nés ces criminels ? Tous trois ont grandi dans le terreau fertile de banlieues françaises, éduqués par des bandes de délinquants plutôt que par l’école, vivant de larcins plutôt que d’exercer un métier,  évoluant dans des quartiers dits de non droit où la police ne pénètre pas, tout en passant par la case prison qui est l’université du crime et de la radicalisation islamiste. Leur séjour en prison, comme il est d’usage en France, fut trop bref pour que ces voyous soient durablement mis à l’écart.

    On ne s’étonnera pas que les trois compères, rejetés par la société française, soient maintenant idéalisés comme des héros dans les quartiers d’où ils sont issus : pareillement après les attentats du 11 septembre, Oussama Ben Laden devint le Robin des Bois de la jeunesse arabe. Antisémitisme et islam radical sont évidemment haïssables, mais les étiquettes ne devraient pas servir à dissimuler les circonstances sociales de la production du crime : un million de jeunes Français d’origine africaine et maghrébine « rouillent » (c’est leur vocabulaire) dans des quartiers sordides, sans écoles, sans lois et sans emplois. Aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’a jamais proposé ni appliqué une politique forte et continue pour éliminer ces conditions objectives qui transforment des paumés en voyous et des voyous en terroristes. Et ceci se vérifie malheureusement dans toutes les capitales en Europe. Traiter ces voyous d’antisémites et d’islamistes est au total une manière commode de ne pas s’interroger sur l’écologie sociale de l’antisémitisme et de l’islamisme. Les termes d’antisémitisme et d’islamisme sont-ils même appropriés ?

    L’antisémitisme en France fut, pendant des siècles, la doctrine de l’Église, puis l’idéologie de la bourgeoisie conservatrice, de l’intelligentsia nationale et enfin, la loi dans l’État de Vichy. L’antisémitisme fut beaucoup plus que la haine des Juifs : cet antisémitisme institutionnel en France a disparu. Qualifier une prise d’otages dans une épicerie casher d’acte antisémite me semble ignorer ce que fut l’antisémitisme et confère à un acte criminel isolé, une profondeur historique dont le voyou de la Porte de Vincennes ignore tout.

    Le terme d’Islamisme radical me semble d’un maniement tout aussi périlleux, car il suppose que l’islamisme est un dérivé de l’Islam : ce qui reste à prouver. La quasi-totalité des dignitaires et autorités religieuses dans le monde musulman n’ont cessé de se désolidariser de l’Islam radical, mais on les écoute peu. Il est pourtant constant, évident que les terroristes islamistes du type des trois voyous parisiens, ne sont que des musulmans de pacotille, « convertis » et disciples d’un imam autoproclamé, américain, émigré au Yémen.

    Au lieu d’utiliser un vocabulaire qui renvoie à des catégories connues, donc rassurantes, mieux vaudrait qualifier cette violence nouvelle avec des mots adéquats sauf à se tromper dans l’analyse et dans les solutions. Le philosophe français André Glucksman avait proposé, après le 11 septembre 2001, de qualifier ces attentats de « nihilistes » : c’était bien vu, puisque ces attentats ne servaient à rien. George W. Bush voulut leur donner une signification rationnelle en les inscrivant dans une« guerre contre la terreur » et s’enferrant dans une succession de conflits par suite de son erreur d’analyse. Il conviendrait après les attentats de Paris de ne pas répéter la même erreur : nous sommes confrontés à des criminels nihilistes en quête d’une cause, mais ce n’est pas la cause – antisémitisme et  Islam radical – qui est à l’origine de leur crime. La cause n’est que l’étiquette : regardons plutôt ce qui se trouve au fond du bocal. Ce bocal nauséabond est plein de mauvaises écoles, de policiers désenchantés, d’un marché de l’emploi verrouillé par un excès de règles, de zones de non droit, de prisons écoles du crime, de politiques d’immigration non appliquées. Nettoyer le bocal  en Europe n’éliminerait pas le terrorisme mais limiterait ses capacités de recrutement. Évidemment, il est plus facile et glorieux de marcher contre le terrorisme que de faire le ménage chez soi.

  • Vu par les médias etrangers

    Par Jacob Sullum, depuis les États-Unis.

    The New York Times indique que les autorités françaises mènent une enquête concernant « près de 100 personnes » (y compris le comédien Dieudonné M’bala M’bala, arrêté mercredi dernier) pour avoir « posté ou fait des commentaires appuyant ou cherchant à justifier le terrorisme ». Oui, c’est un délit en France, où « tolérer publiquement le terrorisme» peut mener à 5 ans de prison et 75000€ d’amende.

    Si ces propos sont tenus en ligne, la peine maximum s’élève à 7 ans de prison et 100.000€ d’amende. Les discours pro-terrorisme ont été criminalisés en novembre, mais la loi n’a été mise en application qu’après les attaques contre Charlie Hebdo et le magasin kasher à Paris il y a deux semaines.

    Excuser le terrorisme est différent d’inciter au terrorisme, qui implique d’encourager directement des personnes à commettre des actes de violence. Tout ceci est nécessaire pour être jugé coupable de ce nouveau délit qui consiste à parler du terrorisme sur un ton approbateur. Dieudonné par exemple a écrit sur son profil Facebook après les attaques : « Je me sens Charlie Coulibaly ». Il devra passer devant la cour le mois prochain et on peut supposer que la seule question posée sera de savoir s’il approuvait les actes terroristes lorsqu’il a combiné les noms du journal attaqué avec le nom de l’homme qui a tué quatre personnes dans le magasin.

    Les autres cas sont moins ambigus. Le Times relate qu’« un homme de 28 ans d’origine franco-tunisienne » aurait été condamné à six mois de prison pour avoir crié alors qu’il passait devant un poste de police à Bourgouin-Jalieu : « Ils ont tué Charlie et moi j’ai bien ri. Avant, ils ont tué Ben Laden, Saddam Hussein, Mohamed Merah et d’autres frères. Si je n’avais pas mes parents, j’irais m’entraîner en Syrie. » Le Times note également qu’« Un homme âgé de 34 ans, ivre et ayant percuté une voiture samedi dernier, blessé un autre conducteur et fait l’éloge des actions des tireurs lorsqu’il était en détention, aurait été condamné à 4 ans de prison. »

    Selon Le Monde, le conducteur ivre aurait prétendument déclaré, « Il devrait y en avoir plus des Kouachi. J’espère que vous serez les prochains (…). Vous êtes du pain béni pour les terroristes. »

    Il n’est pas précisé combien d’années de peine de prison sont attribuées aux auteurs de ces propos tenus par opposition à la conduite en état d’ivresse. Le journal indique également que « L’apologie du terrorisme n’était toutefois qu’une circonstance aggravante : il avait refusé de se soumettre à l’alcootest, était en récidive, et l’accident a causé des blessures involontaires. » L’article, qui recensait près de 69 enquêtes criminelles impliquant des propos cautionnant le terrorisme depuis mercredi, relève également un cas où un homme aurait été condamné à une peine d’un an de prison pour avoir lancé : « Je suis fier d’être musulman, je n’aime pas Charlie, ils ont eu raison de faire ça ». Un homme de 21 ans aurait écopé de 10 mois pour avoir déclaré dans une gare ferroviaire : « Les frères Kouachi ne sont que le début. Je devrais me joindre à eux pour en tuer plus. »

    Le fait que plusieurs personnes aient déjà été condamnées pour leurs déclarations tenues la semaine dernière démontre la détermination des autorités françaises à écraser les propos de soutien au terrorisme en frappant un grand coup. Le Times remarque que « le système judiciaire a particulièrement accéléré ses procédures, passant des accusations au jugement, au jugement à l’emprisonnement en moins de trois jours. » Mercredi, le ministère de la Justice poussait les procureurs à traiter les « mots et actes à caractère haineux avec la plus grande vigueur. »

    Les poursuites judiciaires de ce type ne passeraient jamais l’assemblée constitutionnelle aux États-Unis. Lors de l’affaire Brandenberg contre Ohio en 1969, qui impliquait un des membres leader du Ku Klux Klan faisant l’apologie du terrorisme, la Cour suprême a déclaré que de tels discours pouvaient être punissables uniquement dans le cadre « d’incitations directes à des actions allant à l’encontre de la loi » et pouvant être considérées comme telles. « Ils ont eu raison de faire ça » et « Je suis Charlie Coulibaly » ne rentrent clairement pas dans cette catégorie.

    L’interdiction de cautionner le terrorisme n’est qu’une seule parmi les nombreuses restrictions d’expression en France qui n’auraient pu être possible aux États-Unis. Par exemple, c’est également un délit en France d’insulter ou diffamer des personnes sur la base de la race, la religion, l’ethnicité, l’origine nationale, le genre, l’orientation sexuelle, ou le handicap ; d’inciter à la haine, la discrimination, ou encore la violence sur ces mêmes critères ; de nier l’Holocauste, ou prendre la défense de crimes de guerre ; et d’insulter les chefs d’État. Comme l’expliquait Le Monde, « La liberté d’expression est un principe absolu en France » mais « qui peut être encadré par la loi ». Incluant l’éventualité d’une incarcération. Et donc, lorsque le gouvernement français déclare, comme il l’a fait après le massacre de Charlie Hebdo, que « la liberté artistique et la liberté d’expression demeurent solidement ancrées au cœur de nos valeurs européennes communes » cela ne signifie pas que l’on ne sera pas envoyé en prison si l’on dit quelque chose considéré comme offensant.

    Les nombreuses exceptions à la liberté d’expression en France donnent du poids aux critiques contre l’État, prompt à arrêter les musulmans soupçonnés de cautionner le terrorisme (ou qui feraient des blagues antisémites) alors qu’il donne son blanc seing pour les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo qui offensent les musulmans. Alexander Stille tente d’expliquer ce deux poids deux mesures apparent dans un article paru dernièrement dans le New Yorker« On peut ridiculiser le prophète, mais on ne peut inciter à la haine envers ses fidèles. » C’est pour cette raison que les tentatives légales contre les caricatures de Mahomet ont toujours été rejetées, indique Stille, alors que Brigitte Bardot a été condamnée pour avoir déclaré, en faisant référence aux musulmans français, « On en a assez d’être menés par le bout du nez par cette population qui détruit notre pays. » Stille suggère également que cette distinction faite entre attaquer des idées et attaquer une population explique pourquoi le romancier Michel Houellebecq n’a pas été puni pour avoir qualifié l’Islam de « religion la plus stupide ».

    Cette explication n’est pas très convaincante, puisqu’en France, c’est un délit non seulement d’inciter à la haine mais également d’insulter des individus ou des groupes sur la base de leurs religions, ce qui peut être considéré comme une insulte est purement subjectif. Les avis divergent parmi les juges, comme en témoigne l’exemple des caricatures du Jyllands-Posten, afin de savoir si cette image illustrant Mahomet portant un turban en forme de bombe devait être considérée comme une attaque envers les musulmans en général ou uniquement envers les musulmans extrémistes. Le flou artistique s’éclaircit au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans les profondeurs du raisonnement basé derrière ces décisions.

    « Ces types d’exceptions, restrictions sélectives, et autres ambiguïtés faisant partie des lois françaises sur la liberté d’expression ont laissé le pays vulnérable aux poids des favoritismes politiques », estime Stille. « La France devrait, soit élargir sa conception de la liberté d’expression – réfléchir à l’idée que la réponse à un discours négatif se trouve dans l’augmentation des échanges et discussions – soit mieux définir et clarifier ce qui est autorisé, et pourquoi. » Cette dernière option semble superflue, parce qu’opérer une distinction entre offenses tolérables et intolérables est fondamentalement subjectif. Non content de violer la liberté d’expression, ces restrictions ébranlent l’État de droit car il devient extrêmement difficile de prévoir quels mots feront de vous un criminel.


    Traduction par Virginie Ngô pour Contrepoints de «In France You Go to Jail for Saying ‘They Were Right to Do That’ », publié le 16.01.2015 par Reason.

  • PHALLUS CACHÉS SUR LA COUVERTURE DU DERNIER CHARLIE HEBDO ?

     

    "Ils glissent des bites comme d'autres glissent des quenelles" (Berruyer)

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    Mots-clés : BerruyerbiteCharlie HebdoLuzMahometphallus

    "Luz a assez clairement dessiné Mahomet en partant de deux bites". Cette hypothèse est celle d'Olivier Berruyer, blogueur, actuaire, jusque-là spécialisé dans les questions monétaires et le conflit ukrainien, bien connu des @sinautes, et qui estime sur son blog que Charlie Hebdo, avec son dernier numéro, a manipulé une bonne partie de l'opinion française et provoqué la colère d'une partie du monde musulman. Un billet polémique, qui a trouvé un certain écho dans nos forums où la discussion s'est poursuivie, images à l'appui.

    Dans son dernier billet, inspiré par une chronique de Daniel Schneidermann et une analyse du sémiologue Jean-Didier Urbain, Berruyer a décidé de mettre les pieds (ou autre chose) dans le plat. Pour le blogueur, cela ne fait aucun doute : il y a bien deux phallus cachés sur la dernière couverture de Charlie. Comment en arrive-t-il à cette conclusion ? En épluchant les sites de presse tout d'abord, où les auteurs de Charlie auraient disséminé, ici ou là, quelques indices sur leurs réelles intentions. Selon lui, le plus gros est même dans Le Parisien qui a interviewé le dessinateur Luz, auteur de la couverture, et qui écrit en introduction : "Mais ce dessin a fait marrer la rédaction du journal satirique et c'est pour lui bien l'essentiel". "«Emu», je comprends. «Plu» ou «renforcé la conviction» je comprends. «Donné un clin d'oeil», je comprends. Mais «Marrer» ?", s'interroge alors le blogueur avant de rentrer dans le vif du sujet.

    Le sujet ? La Une du dernier Charlie. Berruyer note tout d'abord que la forme du turban de Mahomet, tel que dessiné par Luz, a évolué entre 2011 et 2015 :

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    "Vous remarquez que la forme de la tête et du chapeau sont vraiment différents des autres fois" Berruyer

    Mais la démonstration ne s'arrête pas là. Il suffirait, selon le blogueur, de retourner la couverture du dernier numéro, et de zoomer sur le visage et le turban de Mahomet pour découvrir le pot aux roses. Une expérience que le blogueur n'hésite pas à mettre en scène dans son billet, la couverture du dernier Charlie dans une main, la dernière version de Photoshop dans l'autre.

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    "Et encore, je ne parle pas de la larme blanche", ajoute Berruyer

    "IL FALLAIT LE DIRE CLAIREMENT EN CONFÉRENCE DE PRESSE"

    "Qu'on ne vienne pas me dire que j'exagère ou que je fantasme, on parle de Charlie Hebdo (...) C'est le coeur de leur métier de faire des bites !!!! Ils glissent des bites comme d'autres glissent des quenelles" se justifie Berruyer, en produisant, à l'appui, cette vieille couverture de Charlie où le doute, en effet, est moins permis :

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    Et Berruyer, après avoir rappelé qu'il condamne sans ambiguité l'attentat, de s'adresser directement aux journalistes de Charlie : "Vous vouliez créer un Mahomet-bites (un Hollande-bites, j’aurais hurlé de rire, mais là, dans ce contexte…) ? Mais enfin, il fallait le dire clairement en conférence de presse". Un Berruyer très remonté qui accuse, dans l'ordre, l'équipe de Charlie "d'être des irresponsables qui jettent de l'huile sur le jeu", "de jouer avec la sécurité et la vie de nos citoyens avec inconséquence" et "de semer la haine dans le monde". Sur sa lancée, le blogueur accuse aussi les médias "de taire ceci et de laisser les Français dans l'ignorance". Des médias qui ont pourtant posé la question à Luz, sur ce prétendu double-phallus. Réponse du dessinateur dans Libé : "Je l’ai toujours dessiné comme ça. En tout cas, s’il a une paire de couilles sur la tête, il est super bien épilé". Démenti ou confirmation ? Comprendra qui pourra...

    LIEN ÉVIDENT AVEC LA COLÈRE DU MONDE MUSULMAN

    Dans son billet, le blogueur n'hésite pas à faire le lien entre ce dessin et les multiples réactions dans le monde musulman. Depuis hier, les manifestations en réaction à la couverture du dernier Charlie se sont multipliées dans une dizaine de pays d'Afrique et du Moyen-Orient. Des manifestations parfois violentes, comme au Niger, où au moins sept églises et lieux de culte chrétiens, notamment évangéliques, ont été incendiées samedi à Niamey. La veille, à Zinder, la deuxième ville du pays, trois civils et un policier avaient été tués et environ 45 personnes blessés. 35 000 personnes ont également manifesté, vendredi, à Jérusalem-Est, partie palestinienne annexée et occupée par Israël. 2500 manifestants ont été recensés dans la capitale jordanienne. Et le roi Abdallah II, qui avait pourtant participé à la marche de dimanche dernier, a depuis retourné sa veste, qualifiant Charlie Hebdo d'"irresponsable et inconscient". De son côté, l'Union mondiale des oulémas, dont le siège est au Qatar et qui est dirigée par Youssef al-Qaradaoui, considéré comme l'éminence grise des Frères musulmans, a appelé à des "manifestations pacifiques" tout en critiquant le "silence honteux" de la communauté internationale sur cette "insulte aux religions".

    Une discussion qui a rebondi dans nos forums, où s'est poursuivie la recherche de la bite subliminale dans les dessins de Luz. Et à ce petit jeu, l'un de nos @sinateurs, IT, l'a emporté haut la main, démontrant par l'image, exemples à l'appui, que le dessinateur a l'habitude de rendre "éloquents" les yeux et le nez de ses personnages :


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  • RESPONSABLES, JUSQU'AU BOUT...

     

    Par Daniel Schneidermann le 19/01/2015 - 09h15 - le neuf-quinze

    Attention, chronique garantie responsable. Car maintenant, assez joué, il faut être responsables. Evidemment, ça ne pouvait pas durer. Après le pape, voilà les sondages. Pour 40% des Français (oui, les mêmes qui étaient Charlie par millions, dans les rues, le 11 janvier), il vaudrait mieux s'abstenir de caricaturer Mahomet. Et voilà qu'on entend, ici et là, les premiers appels à la responsabilité. Formidable, votre liberté, les gars, formidable, mais faudrait voir à être responsables, maintenant. Res-pon-sables. Regardez le Niger. Regardez le Pakistan. Dix morts, pour vos petits dessins. Et ça ne fait que commencer. Contents ?


    &gt; Cliquez sur l'image pour un gros plan &lt;

    Et là-dessus, en plein week-end, comme si ça ne suffisait pas, déboule cette affaire du dessin caché dans le dessin. Ayant décidé d'être responsable, je ne précise pas la nature de l'offense, vous renvoyant à notre article irresponsable. Embrasement immédiat de nos forums. Curieusement, ce sont d'ailleurs les plus anciens défenseurs de Charlie Hebdo, les plus fervents, qui démentent l'hypothèse du dessin dans le dessin, formulée par le blogueur Olivier Berruyer. Un dessin sournois dans le dessin ? Pas du tout ! Quelle curieuse idée. A la niche, l’obsédé. Va soigner ta libido !

    Eh, chers défenseurs de Charlie : savez-vous bien qui sont vos nouveaux héros, ce qu'est votre nouvel emblème ? Une équipe de dessinateurs de zizis, de foufounes, et de nénés. Pas seulement, mais aussi. D'accord, Luz a démenti, mollement, avoir glissé un dessin dans le dessin. N'empêche : connaissant les lascars, la lecture malintentionnée de Berruyer est pour le moins, disons, plausible.

    Et alors ? Même s’ils l’ont fait exprès, au nom de quoi leur demanderions-nous de se l’interdire ? Ils sont morts pour ça. Morts pour garder le droit dérisoire, le droit scandaleux, d’être irresponsables. Regardez notre émission. Ecoutez bien ce que rappelle notre invité, Fethi Benslama, sur le droit à l’irresponsabilité pour les artistes, cette conquête des Lumières. Sachez bien qu'en les sommant d'être responsables, vous les tuez une deuxième fois.

    J’entends bien que le problème, aux yeux de Berruyer, n’est pas le dessin. C’est le dessin caché sur le visage du prophète -référence évidemment au croquis déclencheur de la grande controverse des caricatures, qui dessinait le turban de Mahomet en forme de bombe. Ce dessin caché prendrait en otages les millions d’innocents marcheurs, d’innocents acheteurs du journal, que le pervers Luz tranformerait à leur insu en armée, enrôlée malgré elle, au service de la lubricité chafouine.

    Ne croyez pas : évidemment, je me sens moi-même un peu pathétique, à me retrouver en défenseur du droit imprescriptible à dessiner des phallus, même cachés. Mais je ne me sens pas d’autre choix que de le défendre, ce droit. Je ne dis pas que ce dessin me fait rire. Je ne dis pas que je l’approuve. Ca fait longtemps qu'on n'en est plus là, à rire ou approuver. Je ne demande pas à Hollande, à Valls et aux autres de rire, ou de l’approuver. Ce n’est pas leur métier. Je dis seulement qu’on n’a pas, aujourd'hui, d’autre choix que de défendre ce droit. Dix siècles d'Histoire de France, deux siècles de guerres et de révolutions, et Henri IV, et Molière, et Pasteur, pour en arriver là ? Oui. Et c’est l'obligation de l'Etat, de défendre le droit des dessinateurs à dessiner ce qu'ils veulent, y compris le cul de Jehovah, d'Allah ou de Vichnou, si ça leur chante. La nouvelle ligne de front, redessinée le 7 janvier par deux artistes qui ne travaillaient pas au porte-plume, passe aussi par ce droit. On en est là.

    Ces incendies d'églises au Niger, tout de même, quand on y réfléchit. Ces manifestants qui vont, pour répliquer à Charlie Hebdo, incendier des églises, comme si Jésus y était pour quoi que ce soit. Ces quelques milliers de manifestants d’Alger, de Karachi, d’Islamabad, de Lahore, de Peshawar, sur lesquels zoome comme d'habitude l'information mondiale, comment les appeler ? Des jeunes ? Des croyants offensés ? Des paumés manipulés ? Ou simplement des cons obtus ? Elle passe aussi par là, la ligne de front. Par le choix des mots. Qu'il faut peser. D'ailleurs, et si on commençait, simplement, par s'abstenir de zoomer sur eux ? Si on écoutait les centaines de millions de musulmans qui, en se levant le matin, pensent à autre chose qu'à la couverture de Charlie Hebdo. Tant qu'à être responsables...

    Dessin de Marcel Gotlib, extfrait de Rhâââââ Lovely, Tome 2, 1977