« So Foot », putain 10 ans!
Crée en 2003 avec un capital de 450 euros, le mensuel qui parle de football autrement fête ses 10 ans. L’occasion d’en savoir un peu plus sur les raisons de son succès à l’heure où la presse papier s’effondre.
Commençons par le commencement. Fondé en 2003 par une bande de potes sortis de l’Essec, l’histoire du magazine tient un peu de la légende.« Un soir, on s’est dit : et si on faisait un magazine de foot qui ne ressemble pas à un magazine de foot ? » raconte Franck Annese, son directeur de la publication. C’est ainsi, au culot, que germe l’idée d’un mensuel parlant de football autrement, loin de la plume froide et des codes en vigueur dans le journalisme sportif à la française.
Plus qu’un business plan bien ficelé, ce qui fait la réussite de So Foot, c’est son ton alliant impertinence et décalage, sans jugement moral. Actuel rédacteur en chef du titre, Marc Beaugé (ancien collaborateur des Inrockuptibles – ndlr) précise :
« L’idée est de faire un magazine que nous, rédacteurs, aimerions lire plutôt que de chercher désespérément à savoir ce que voudrait le lecteur. Certaines personnes nous achètent pour découvrir une interview pointue, sur six pages, d’un entraineur qui parle de sa conception du jeu, d’autres ne nous lisent que pour savoir qui couche avec qui. Du coup, notre public est large et va du branché parisien qui travaille dans un label au mec de province en BTS action commerciale. »
On touche au secret. Plutôt que de s’adresser à une cible définie au préalable, So Foot vise large et parle à l’ensemble du public amoureux de football, sans cloisonner. A l’image de son lectorat, divers comme le public d’un stade de football, l’équipe rédactionnelle de So Foot peut ressembler de loin à une sympathique armée mexicaine. Après une partie de ping-pong improvisée dans les locaux du magazine, Stéphane Régy, l’un des fondateurs, confirme : « Chez nous, il n’y a personne à l’accueil, pas de secrétariat, pas d’assistant. Javier, qui fait la compta, est aussi journaliste.So Foot n’est pas devenu une entreprise. On fonctionne toujours de manière fanzinale… »
Alors que le magazine est toisé à ses débuts, son succès en kiosque (de 4000 exemplaires en 2003 à 45 000 dix ans plus tard) a mis tout le monde d’accord. En l’espace de dix ans, So Foot a vu sa ligne éditoriale évoluer et gagner en épaisseur. Les couvertures sont plus travaillées, les numéros mémorables se sont succédé (Domenech, Socrates, les Losers du foot…). Un saut qualitatif dont Marc Beaugé témoigne : « il y a une exigence journalistique qui n’a rien a voir avec celle des débuts. L’idée de se distraire avec la matière football, de ne pas être moralisateur est, elle, restée la même. Ce sont plutôt les moyens que nous mettons en œuvre pour arriver à nos fins (intervenants, maquette, voyages) qui ont changé. L’ensemble est plus professionnel. »
« En face de nous, il n’y a que de la merde ! »
Franck Annese et ses journalistes en sont convaincus : c’est grâce à son contenu et à la primauté donnée aux histoires et à l’humain que So Footprogresse. Et même si l’adage grincheux dit que « la France n’est pas un pays de football », le mensuel conquiert chaque année plus de lecteurs. Dans l’univers périclitant de la presse écrite, la parution fait même figure d’exception. Seule parution sportive à afficher une diffusion en amélioration constante à l’OJD, So Foot a vu ses ventes progresser de 13,6% entre 2011 et 2012. Pour autant, Franck Annese, son directeur de la publication, explique volontiers qu’il aurait aimé avoir plus de concurrence.
« Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on aurait besoin de magazines de foot forts à coté de nous. C’est bête mais on dit souvent ‘si tu veux ouvrir une boulangerie, installe-toi dans une rue où il y a déjà une boulangerie’. C’est la même logique en kiosque où les titres se renforcent les uns les autres sauf que pour l’instant, il n’y a pas d’achat d’impulsion puisqu’en face il n’y a que de la merde ! Si il y avait plus de bons magazines de foot, il y aurait de l’émulation, comme une rivalité PSG-OM, et la possibilité de toucher des lecteurs qui, à la base, n’étaient pas venus nous lire… »
Îlot prospère dans un océan de titres de presse en difficultés, So Foot a réussi à sortir de l’underground parisien pour conquérir, au fil des années un public plus mainstream sans jamais se trahir. La suite promet d’être belle. En chef de meute, Annese assure que le développement du titre n’est pas terminé : « A Paris, on n’est pas loin d’avoir fait le plein mais en province, on peut progresser. Quand tu vois le nombre de gens qui vont au Stade tous les week-ends, ça nous donne de la marge… »
« So Foot », un nouvel « Actuel » ?
Si l’esprit So Foot n’a pas changé avec le temps, les moyens à disposition de la République autonome So Footienne se sont étendus. En complément de la version papier, le magazine dispose d’un site très prisé des fans de foot où la formule aux trois « H » (des histoires, de l’humain, de l’humour) trouve une nouvelle interprétation. Décryptages à chauds, utilisation de la vidéo (Mark The Ugly y sévissait avant de rejoindre Canal Street) et blogs affiliés, SoFoot.com a su prendre très tôt le virage du web. Lucide et un brin flingueur, son directeur explique qu’ »Onze Mondial et les autres n’ont pas compris tout de suite ce que l’arrivée d’Internet avait changé pour un mensuel. C’est en fait toute la mission d’information qui change. Il faut apporter de la plus-value. Cela ne va pas sans effort, avec une rédaction composée de trois personnes qui ne sortent jamais de leur bureau… »
Forte du succès de So Foot papier + web, la joyeuse bande de potes a lancé Pédale, magazine consacré au cyclisme (si, si !) et So Film, un mensuel dédié au septième art. A l’horizon 2014, So Press, la société éditrice des trois magazines, songe sérieusement à étendre son influence en lançant un quinzomadaire destiné à concurrencer les newsmagazines. Lorsqu’il en parle, caché derrière sa casquette et ses cheveux longs, Franck Annese prend soudain des airs de Jean-François Bizot. Attendez voir… Et si So Foot, fort de la façon dont il réinvente la presse et de l’équipe qu’il fédère, était en fait l’Actuel des années 2000 ?