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France - Page 6

  • Toujours notre comique BHL

    Grèce : l’inévitable contribution de BHL à la propagande anti-Tsipras

    par Martin Coutellier , le 3 juillet 2015

     

    Dans la tempête actuelle, Bernard-Henri Levy fait preuve d’une constance admirable : autant que sa force d’attraction pour les tartes à la crème, ses méthodes – mensonges, insinuations, insultes – résistent à l’épreuve du temps. À l’évidence, la crise politique actuelle en Grèce, qui excite toute l’éditocratie française [1], nécessitait toute la sagacité du philosophe milliardaire. Dans son « bloc-notes » paru le 30 juin sur le site du Point, son « analyse » subtilement titrée « Tchao Tsipras » ne nous apprend rien sur la situation de la Grèce, mais dit beaucoup de l’état de rage dans lequel cette situation le plonge.

    Après avoir expliqué qu’il s’autorise à donner son avis sur l’attitude d’Alexis Tsipras parce qu’il s’est autorisé, « ailleurs », à donner son avis sur tout (« J’ai assez dit, ailleurs, la colère que m’inspire l’Europe sans âme d’aujourd’hui (…), j’ai assez dénoncé l’aveuglement, à quelques notables exceptions près (...), de la plupart des acteurs de l’époque (…) pour m’interdire de dire, aussi, les sentiments que m’inspire l’attitude, ces jours-ci, de M. Tsipras »), BHL entre dans le vif du sujet.

     

    Mensonges

    En deux courts paragraphes, BHL prétend résumer le contenu des négociations en cours entre le gouvernement grec et ses « partenaires » : on demanderait à la Grèce « un effort fiscal minimal », un relèvement de la retraite à 67 ans, et une diminution du budget de la défense ; « en échange de quoi M. Tsipras s’était vu offrir une nouvelle tranche d’aide de la part du FMI » [2], prétend l’ancien nouveau philosophe. Peu lui chaut que le FMI en question ait refusé des propositions du gouvernement grec visant à augmenter les rentrées fiscales, comme relaté – entre autres – dans cet article du Monde. Peu lui chaut également que « l’offre » du FMI soit conditionnée à d’autres mesures, comme la suppression de retraites complémentaires pour les plus fragiles, et surtout que la question de la dette soit tout à fait centrale dans ces négociations (voir par exemple cet article de La Tribune). Si Bernard-Henri Lévy expose une situation compliquée de façon simpliste, c’est qu’il en ignore volontairement certains aspects cruciaux. Le philosophe à la crème ment donc au moins par omission.

    Second mensonge, et pas des moindres, celui selon lequel Alexis Tsipras aurait pris la décision d’avoir recours à un référendum « entre deux visites à Poutine ». Une argutie rhétorique destinée à jeter le soupçon sur le Premier ministre grec, qui agirait donc sur ordre de Moscou. Le problème est que, là encore, BHL raconte n’importe quoi : la dernière visite d’Alexis Tsipras en Russie remonte au 19 juin, soit une semaine avant l’annonce de l’organisation du référendum et il n’y est, depuis, pas retourné. Certes, BHL finira par avoir raison la prochaine fois qu’Alexis Tsipras rencontrera Vladimir Poutine : la décision d’organiser le référendum aura été prise « entre deux visites à Poutine ». Mais quel rapport entre le référendum et les visites ? Aucun. Mais signalons tout de même à Bernard-Henri Lévy cet autre fait troublant : le vote en première lecture de la Loi Macron (février 2015) a eu lieu « entre deux visites d’Hollande à Poutine » (décembre 2014 et avril 2015). Voilà qui mériterait une enquête de l’inspecteur BHL …

     

    Insinuations… et insultes

    De longue date, Bernard-Henri Lévy a trouvé ce qui unit les gens qui ne lui plaisent pas : ils sont tous nazis ! Alexis Tsipras, lui, se contenterait dans un premier temps de « reprendre la rhétorique d’extrême droite », en appelant le FMI, la BCE et les représentants de l’UE « les institutions » et en faisant référence à « l’humiliation grecque ». On ne voit pas bien en quoi cette rhétorique est « d’extrême-droite », mais si BHL le dit… Quant aux raisons qui ont poussé Alexis Tsipras à demander un référendum, BHL « sent » et « devine » qu’elles n’ont « probablement » rien à voir avec l’inflexibilité de la Troïka : « On sent, derrière l’opération, la lutte de courants minable au sein de Syriza. On devine, derrière ce coup de poker qu’il a probablement cru habile, le politicien ménageant l’aile radicale de son parti en même temps que son image, son avenir personnel, ses arrières. » Ménager son image et son avenir personnel, voilà bien le genre de comportement que le modeste et altruiste BHL a toujours refusé.

    Au total, selon Bernard-Henri Lévy, ce référendum « ressemble moins à une juste et saine consultation populaire qu’à un chantage en bonne et due forme à l’adresse de l’Occident. » Où cet Occident avec majuscule permet de sous-entendre que le gouvernement d’Alexis Tsipras, en organisant une consultation de tous les Grecs, s’en prend au fond à tous les Français, Allemands, Belges, Américains [3], etc. La Grèce exclue de « l’Occident » ? Étonnant de la part de quelqu’un qui se prétend « philosophe »... Ou alors le gouvernement grec ne fait pas partie de « l’Occident »... parce qu’il n’agit pas en conformité avec les « valeurs occidentales » ? Le référendum concernant la suite des négociations entre la Grèce et ses créanciers serait-il le dernier épisode en date du « choc des civilisations » ?

    De l’autre côté de la table des négociations, le FMI devient une association philanthropique sous la plume de BHL : il s’agit « d’un fonds supposé aider, aussi, le Bangladesh, l’Ukraine ou les pays d’Afrique ravagés par la misère, la guerre et l’échange inégal », dont les versements à la Grèce sont à mettre en balance avec « l’avant-dernier décaissement des sommes promises à la Tunisie, le maintien ou non de la facilité élargie de crédit au Burundi et la révision des plans d’aide aux systèmes de santé des pays les plus frappés par le virus Ebola. » Alexis Tsipras allié objectif d’Ebola ? Il fallait oser ! Mais BHL ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.

    Sans surprise, BHL finit par franchir le pas, et passe des insinuations à l’insulte franche : Tsipras est en réalité un « démagogue pyromane s’alliant avec les néonazis d’Aube Dorée ». Mais de quelle alliance parle-t-on ? Syriza et Aube dorée auraient-ils un programme politique commun ? Évidemment, non. BHL ment et diffame en prenant prétexte du fait que le parti Aube dorée est également favorable à un référendum (et à un vote « non »). Mais s’agit-il pour autant d’une « alliance » ? Dans ce cas, on ne pourra s’empêcher de noter qu’en soutenant l’intervention française au Mali en janvier 2013, BHL s’était « allié » avec le Front national, également partisan de l’intervention. Vous avez dit amalgames ?

    Mensonges, insinuations et insultes qui n’empêchent pas BHL d’asséner une grande leçon de morale politique en guise de conclusion : « on ne mène pas son peuple au précipice pour se sortir de l’impasse où l’on s’est soi-même enfermé. » Et nous le reconnaissons sans peine : la leçon serait valable si elle avait le moindre rapport avec la situation actuelle de la Grèce.

     

    ***


    L’image représentant les tenanciers de nos « grands » médias, éditocrates ubiquitaires et chroniqueurs multicartes, en chiens de garde de l’ordre établi ne s’était pas donnée à voir avec autant d’éclat depuis quelque temps [4]. À lire et entendre BHL et les autres éditorialistes et chroniqueurs aboyant et écumant de rage contre le gouvernement grec sous prétexte que celui-ci a pris la décision de consulter les électeurs qui l’ont placé aux responsabilités, on ne peut que trouver l’analogie frappante de justesse.

    Martin Coutellier (avec Julien Salingue)

  • Les musulmans français face à la méfiance

     

    Publié le 12 mai 2015 dans Nation et immigrationReligion

    Face au terrorisme et au djihadisme, que penser des réactions des musulmans français ?

    Par Yves Montenay

    Musulman - Hernán Piñera (CC BY-SA 2.0)

     

     

    Face au terrorisme et au djihadisme qui touchent maintenant la France, et à la méfiance qui en découle, quelles sont les réactions et les analyses politico-sociales des musulmans européens ?  Et leurs idées personnelles et religieuses ? Voici le premier volet d’une série de deux articles.

    Socialement, les musulmans occidentaux sentent grandir une méfiance à leur égard. Et souvent bien plus qu’une méfiance. En tant que rédacteur de la lettre « Échos du monde musulman », je me trouve embarqué dans des débats où s’étale une hostilité due à une ignorance reflétant parfois le racisme le plus cru. Avec beaucoup d’autres, je fais de mon mieux pour réduire cette ignorance. Mais il y a souvent un blocage intellectuel total.

    Les musulmans occidentaux attribuent cette méfiance aux médias, en constatant qu’on les présente comme violents, délinquants, et maintenant djihadistes. Les islamophobes insistent par exemple sur le fait que la majorité des détenus dans les prisons françaises sont musulmans, ce qui est exact, mais ces détenus ne représentent que moins de 1% de la population musulmane française. Voir sur ce sujet l’étude de Farhad Khosrokhavar sur « Les prisonniers musulmans en France ».

    On y voit notamment que cette forte proportion de musulmans chez les détenus vaut non seulement pour la France, mais également pour l’Europe, et n’est valable que pour les hommes et non pour les femmes. Bref s’il y a un réel problème, dont on discutera les causes à l’infini (culturelles ? sociales ?), il reste néanmoins qu’il ne concerne pas 99% de la population musulmane française.

    Cette méfiance est bien sûr ressentie comme une injustice par les musulmans occidentaux, d’autant qu’elle accroît les discriminations à l’embauche, ce qui nourrit un cercle vicieux d’assistanat, d’humiliation, et, maintenant, de disponibilité envers les arguments des salafistes et djihadistes. C’est donc une catastrophe nationale.

    Les réactions à la méfiance

    En gros, il y a eu trois périodes.

    – Dans un premier temps, les musulmans français constataient un racisme banal, mais minoritaire, notamment alimenté par l’amertume des Pieds-Noirs, et les réactions étaient inexistantes, ou demandaient une meilleure intégration.

    – Une deuxième période commence en 2001 avec l’attentat contre le World Trade Center de New York, la multiplication des attentats en Occident ensuite, et maintenant les tueries de l’État islamique. Ce sont alors multipliés des discours du genre « les musulmans modérés sont sympathisants ou complices des terroristes, puisqu’ils ne manifestent pas leur réprobation ». Il suffisait pourtant d’aller dans leurs réseaux sociaux et de lire leurs interventions publiques pour constater cette réprobation.

    Ces accusations de complicité ont été contre-productives : « Pourquoi nous, musulmans occidentaux, devrions-nous nous sentir coupables parce que des fous furieux massacrent à 5000 km d’ici en se proclamant musulmans ? Les chrétiens, les juifs ou les hindous descendent-ils dans la rue lorsqu’un autre chrétien, juif ou hindou commet un attentat dans un pays lointain ? »  D’où le slogan qui a fait rapidement le tour de la planète : « Nous n’avons pas à nous excuser d’être musulmans ».

    – Nous entrons maintenant dans une troisième époque, après notamment l’attentat contre Charlie Hebdo : ce n’est plus à 5000 km, mais ici, en France, que les attentats ont lieu, tandis que de jeunes musulmans, dont 22% de fraîchement convertis, rejoignent en Syrie les rangs de l’EI.

    Cela fait évoluer les réflexions de nombreux musulmans, comme nous le verrons dans le deuxième article, mais en attendant, l’incompréhension est plus vive que jamais.

    Deux exemples d’incompréhension

    Un sondage, mondial et très remarqué, montre que la grande majorité des musulmans est favorable à la charia. Voilà une preuve de leur barbarie disent les islamophobes. Ils oublient que le terme signifie en gros « le chemin qui mène à Dieu », ce qui en donne une idée positive, et qu’il a de plus une connotation identitaire (« c’est notre droit »).

    Les musulmans sondés n’imaginent pas pour autant une seconde d’en appliquer les brimades et les violences, ce qu’ils ne font plus depuis des siècles, voire n’ont jamais fait. On remarque que c’est dans les pays occidentaux, ou à proximité, que les musulmans sont moins favorables à la charia, probablement parce qu’ils ont l’expérience d’un autre droit et que pour eux il s’agit d’une question concrète et pas seulement de réagir à un mot.

    De même, mais en sens inverse, pour « laïcité ». Elle était plébiscitée par les sondages auprès de musulmans français parce qu’ils y voyaient la liberté d’être musulman dans un État considéré comme chrétien. Elle est moins bien vue depuis qu’ils se voient apostropher au nom de cette laïcité. Les musulmans qui ignorent l’histoire de France pensent même qu’il s’agit d’une « invention » récente mise en place pour s’attaquer à eux. C’est un beau gâchis !

    Bref les sondages sont rares, et les questions et réponses ne sont pas comprises de la même façon par les sondeurs et les sondés.

    L’évolution des réflexions

    Une autre idée répandue est que les musulmans ne distinguent pas entre politique et religion. Non seulement l’islam n’a pas l’équivalent de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », mais Mahomet, contrairement à Jésus, n’était pas seulement prophète, mais aussi chef d’État et chef de guerre. Certes, mais c’est donner aux textes plus d’importance qu’ils n’en ont : l’histoire nous montre que, contrairement à ces textes, l’Église catholique et les églises protestantes ont longtemps joué un rôle politique en Occident, alors que dans les pays musulmans, le palais a souvent ignoré ou combattu la mosquée et réciproquement.

    Dans ce domaine, les islamistes sont en train de nous rendre un immense service : leur passage au pouvoir a fait comprendre à la masse des musulmans du Nord comme du Sud qu’il ne fallait surtout pas mélanger politique et religion, et les islamistes ont été écartés du pouvoir (Tunisie, Égypte), ou ne se maintiennent que par la force (Iran).

    Sur le plan géopolitique, la réaction est moins nette, car le rejet de l’État islamique et la peur qu’il inspire sont partiellement compensés par la réaction anti-israélienne, qui vire souvent à l’antisémitisme. Or les États-Unis sont à la fois de proches alliés d’Israël et à la tête de la coalition contre l’EI, ce qui amène certains musulmans, arabes surtout, à se féliciter des victoires de l’EI. Reste le plan personnel et les convictions religieuses. C’est un vaste sujet que je traiterai dans une prochaine tribune.

    Vous remarquerez que je parle des musulmans et non de l’islam, car ce qui compte est ce que pensent et font des individus concrets. Une autre raison est d’éviter de tomber dans le même piège que les islamophobes. Ces derniers, en répétant sur Internet « nous sommes en guerre contre l’islam » font le jeu des terroristes qui clament « venez nous rejoindre, car l’Occident est en guerre contre notre religion ». Les djihadistes, qui sont quelques dizaines de milliers, rêvent ainsi d’enrôler tous les musulmans, soit plus d’un milliard et demi de personnes. Ne les aidons pas !

  • Comédiens et sans-papiers

     

    lundi 11 mai 2015, par Marina Da Silva

    « A Aubervilliers, l’avenue Victor Hugo abrite entre autres des entrepôts de commerce en gros et, au 81, face à un centre commercial chinois en construction, un ancien Pôle emploi. C’est ici que vit, depuis août 2014, un collectif d’immigrés qui a décidé, après 4 mois passés à la rue, de réquisitionner ce bâtiment. Sur scène, à La Commune, c’est l’histoire de huit d’entre eux qui se déploie, nous conduisant des faubourgs d’Abidjan, de Ouagadougou ou de Dhaka, à ce présent de la lutte des sans-toits à Aubervilliers. »

    Le spectateur attiré par ces quelques lignes va découvrir sur le plateau les protagonistes de cette histoire dont le titre est Pièce d’actualité n° 3 – 81, avenue Victor Hugo. Le concept de « pièce d’actualité » a été élaboré par Marie-José Malis, à la tête de ce théâtre historique de la banlieue rouge depuis janvier 2014 et dont Alain Badiou est auteur associé. Une démarche artistique qui veut poser la question du rôle et de la place d’un théâtre dans la cité. Après Laurent Chétouane et Maguy Marin, c’est Olivier Coulon-Jablonka, fondateur de la compagnie Moukden Théâtre, qui met en scène 81, Avenue Victor Hugo, écrit avec Barbara Métais-Chastanier et Camille Plagnet.

    Lire aussi Rodney Benson, « Quarante ans d’immigration dans les médias en France et aux Etats-Unis », Le Monde diplomatique, mai 2015.Sur le plateau, Adama Bamba, Moustapha Cissé, Ibrahim Diallo, Mamadou Diomandé, Inza Koné, Souleyman S, Méité Soualiho, Mohammed Zia, interprètent avec force leur propre rôle. Ils ne racontent pas chacun une histoire personnelle mais mettent bout à bout un itinéraire collectif qui donne à comprendre la complexité de la géographie des migrations. Ils sont huit pour raconter les parcours de vie des quatre-vingt personnes (hommes, femmes, enfants), en provenance de trois collectifs expulsés de la rue du Colonel Fabien, du Passage de l’Avenir ou de la rue des Postes après son tragique incendie, et qui ont réquisitionné le 81, avenue Victor Hugo en août 2014, après quatre mois passés à camper dans la rue. Au terme d’une âpre lutte, menée avec l’association Droit au logement (DAL), soutenus par des syndicats et une partie de la population, ils obtiennent devant les tribunaux de pouvoir y rester jusqu’en avril 2016.

    « Devant la loi se dresse le gardien de la porte. Un homme de la campagne se présente et demande à entrer dans la loi. Mais le gardien dit que pour l’instant il ne peut pas lui accorder l’entrée. L’homme réfléchit, puis demande s’il lui sera permis d’entrer plus tard. “C’est possible, dit le gardien, mais pas maintenant.” »

    La pièce s’ouvre par cet extrait du Procès de Kafka qu’un comédien-griot expose comme métaphore de la situation absurde dans laquelle ils se trouvent. Sans-papiers, alors même qu’ils sont en France parfois depuis une vingtaine d’années, ils sont rendus fous par une insoluble et ubuesque législation. Sans contrat de travail, ils ne peuvent avoir de papiers, et sans papiers, ils ne peuvent avoir de contrat de travail. Ils accumulent alors le travail au noir et sous payé. Cinq euros de l’heure lorsque leurs collègues en gagnent le double. Parfois, ils travaillent sous une identité d’emprunt. Il arrive qu’ils fassent du gardiennage au sein de la préfecture même qui les traque, ou dans les centres de rétention où sont entassés leurs frères de misère. Tout le monde le sait et ferme les yeux, cette hypocrisie étant très lucrative.

    Les comédiens parlent à la première personne et nous interpellent sur la production de leurs conditions d’existence : « Mais quand vous formez des rebellions dans les pays, que vous bombardez certains pays qui sont en voie de développement, du coup ceux qui travaillent avec ces bombardements, avec ces rebellions, n’arrivent plus à travailler, n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins, n’arrivent plus à s’occuper de leur famille. Vous voulez qu’ils fassent quoi ? Ils ne vont pas rester chez eux à regarder leur famille mourir de faim. Ils sont obligés de sortir. »

    Ils font entendre et prendre la mesure de ces traversées de l’enfer pour fuir des situations de détresse économique ou de guerres meurtrières qui les frappent en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina, au Bangladesh, en Tunisie ou en Algérie. En pleine force de l’âge, ils ont laissé leurs familles pour se confronter à de périlleux périples, affrontant la faim et la soif dans le désert libyen, parcourant jusqu’à deux cents kilomètres en trois jours et demi. Soumis pieds et poings liés aux exactions de passeurs sans scrupules. Leur arrivée en Grèce, en Italie et en France est toujours « un grand choc »« Je ne savais pas que les gens pouvaient être plus pauvres ici que là-bas ».

    Le jeu de ces tout nouveaux comédiens est impressionnant. Et leur choix de s’exposer ainsi relève d’un grand courage. Il n’y a aucun pathos dans leur récit. L’adresse frontale au public est percutante. Elle fait toucher concrètement une réalité que connaissent les militants de la solidarité avec les sans-papiers mais plus rarement les spectateurs lambda. Le choix épuré et brut de la mise en scène, le travail exigeant sur le texte et la présence physique de ces damnés de la terre nous touche et nous bouleverse.

    On est plus dubitatif sur la posture du théâtre lorsqu’on découvre qu’à la fin du spectacle, son accès étant libre, il est demandé au public une participation financière, « les comédiens ne pouvant avoir de contrat pour les motifs qu’ils ont racontés », selon la directrice des lieux.

    Le samedi où nous avons vu la représentation, elle était suivie d’un débat. Celui-ci a permis de faire circuler la parole et bon nombre de questionnements. On y a donc appris que le théâtre complèterait la recette pour que les comédiens aient les cachets réglementaires définis pour ce type d’activité. Mais était-ce le bon choix ? Une fois qu’ils se sont exposés et nous ont exposé ainsi leur situation, quelle relation concrète de solidarité peut-on construire avec eux ? Comment prolonger les effets de la pièce ?

    Une autre rencontre avec le public est prévue le samedi 16 mai, soit deux rencontres sur deux semaines d’exploitation. Mais d’ores et déjà, l’on peut suggérer que la représentation — qui ne dure que 50 minutes — devrait systématiquement être suivie d’un temps d’échange sur le processus de travail et les actions de solidarité à mener avec le collectif d’Aubervilliers et leurs porte-paroles

  • « Effroyables imposteurs » sur Arte

    « Effroyables imposteurs » sur Arte : le roi est nu

    mercredi 10 février 2010, par Mona Chollet

     

    Rarement le désarroi des caciques des médias devant le discrédit qui les frappe aura été aussi évident que lors de cette soirée sur Arte, mardi 9 février, intitulée « Main basse sur l’info » (et encore visible une semaine sur le site Arte+7). Le premier documentaire diffusé, « Les effroyables imposteurs » de Ted Anspach, consacré aux complotistes qui pullulent sur Internet, dépeint la Toile comme une boîte de Pandore moderne d’où s’échapperaient, au premier clic de souris, tous les fléaux de l’univers – histoire de ramener les téléspectateurs, ces brebis égarées, vers les bons bergers dont ils n’auraient jamais dû s’éloigner.

    On a ensuite droit à une réalisation de Denis Jeambar, ancien directeur de L’Express, où interviennent « huit journalistes en colère » (Franz-Olivier Giesbert, Arlette Chabot, David Pujadas, Philippe Val, Jean-Pierre Elkabbach, Edwy Plenel, Eric Fottorino, Axel Ganz) filmés sur fond noir, à grands renforts d’images saccadées et de gros plans intimistes, dans un style qui évoque à la fois un film d’espionnage ringard et un clip publicitaire shooté par Karl Lagerfeld.

    Les moyens mis en œuvre pour restaurer un prestige dont l’érosion a atteint le seuil critique sont particulièrement grossiers. Tentant de ranimer les braises de l’antique fascination suscitée par la profession de Tintin et d’Albert Londres, la voix off annonce une « sacrée brochette de journalistes » qui « connaissent de l’intérieur la folle machine des médias » et qui auront « carte blanche pour dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas, pour dire ce qu’on ne vous dit pas  ». Ici, l’audience retient son souffle, dans l’attente de sa becquée de savoir : les dieux vont l’admettre dans leur secret. « Ecoutez bien ! » intime encore la voix off.

    Et on n’est pas déçu. Mieux vaut s’accrocher, en effet, pour ne pas tomber de son fauteuil lorsqu’on entend David Pujadas déclarer que le journalisme « souffre d’abord de conformisme et de mimétisme ». On retrouve cependant vite un discours plus familier lorsqu’il explicite ce qu’il veut dire par « conformisme » : « L’idée que par définition le faible a toujours raison contre le fort, le salarié contre l’entreprise, l’administré contre l’Etat, le pays pauvre contre le pays riche, la liberté individuelle contre la morale collective. »

    Dans cet insupportable penchant gauchisant, libertaire et tiers-mondiste qui suinte des reportages des grandes chaînes françaises et des pages des journaux, il voit « une dérive mal digérée [sic] de la défense de la veuve et de l’orphelin, une posture qui valorise le journaliste et qui a l’apparence – l’apparence ! – du courage et de la révolte ». Où se situent, alors, le véritable courage, la véritable révolte ? C’est drôle : on a l’impression de deviner.

    Comme pour mieux inciter à la révérence, Pujadas est présenté comme « une star de l’info » ; Arlette Chabot est « à la tête d’un bataillon de deux cents journalistes » ; Franz-Olivier Giesbert est « une des grandes figures du journalisme français ». Dans les plans de coupe, tous sont montrés en contexte, parés des attributs qui – faute de mieux ? – fondent leur autorité : menant une interview, le casque de radio sur la tête ; marchant d’un pas décidé dans les couloirs de rédactions affairées et cossues ; penchés à plusieurs, d’un air concentré, sur un écran d’ordinateur, en plein processus de production d’une information fiable et impartiale ; ou encore, dans le cas de Philippe Val – car le ridicule ne tue pas –, en pleine conversation téléphonique, le combiné collé à l’oreille. Lorsqu’ils parlent face caméra, ils comptent : « Quatre, trois, deux, un… », avant d’entamer leur discours (« Allez, on y va », lance gaillardement Arlette Chabot). Ils regardent le téléspectateur droit dans les yeux, tels des magnétiseurs hypnotisant leur patient.

    « Chacun à sa place ! »

    Avant tout, bien sûr, il faut redire à tous ces inconscients combien Internet, c’est mal, et combien les grosses pointures journalistiques qui leur parlent sont indispensables à leur gouverne. Qu’on pouffe devant une émission d’Arlette Chabot ou à la lecture du « roman d’amour » que vient de publier Franz-Olivier Giesbert, en effet, et « c’est toute la démocratie qui est en danger ». Si Arte le dit… « Il faut cesser de faire croire, assène Elkabbach, que le citoyen journaliste va se substituer bientôt au journaliste citoyen : toutes les expériences citoyennes ont besoin de vrais journalistes pour sélectionner, vérifier et écrire. Alors, chacun à sa place ! » Axel Ganz, fondateur de Prisma Presse, dont les publications (Voici, Gala, Capital, VSD, Télé-Loisirs…) sont réputées pour leur contribution de haut vol à la vitalité de la démocratie, estime qu’à long terme Internet fera naître chez les jeunes « un scepticisme sur les valeurs de notre société »  : terrifiante perspective.

    Arlette Chabot, presque racinienne, supplie : « Méfiez-vous des théories du complot selon lesquelles la vérité, les vérités de l’information seraient sur la Toile tandis que les médias traditionnels vous cacheraient la vérité. C’est vrai : grâce à Internet, plus aucune information ne pourra être enterrée ou dissimulée. Mais je vous demande d’être prudents, car un jour vous apprendrez que vous avez été manipulés, trompés. Sur Internet, la traçabilité des images n’est pas garantie. » Même la voix off s’y met : « Sur le Web, chacun crée son propre média et se croit journaliste. » La vieille histoire de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf, en somme. Tout ça finira mal – mal pour les internautes, ces buses présomptueuses, cela s’entend. Philippe Val, qui poursuit le Net de sa vindicte depuis le jour où il a découvert que ce machin pouvait permettre à des cuistres de critiquer sa politique éditoriale à Charlie Hebdo [1], le dit avec fougue : « La presse écrite survivra à Internet, j’en suis sûr. »

    Les casseroles que traînent certains de nos preux « journalistes en colère » étant trop pléthoriques pour que leur fracas ne parvienne pas à leurs propres oreilles, ils sont obligés d’en passer par l’exercice de l’autocritique – d’en passer rapidement, qu’on se rassure. Jean-Pierre Elkabbach, qui réclame à grands cris « la rigueur, la curiosité, la qualité », et qui s’exclame : « Marre de nous complaire dans la pipolisation, l’irrationnel et le voyeurisme, j’en peux plus ! », reconnaît à demi-mot : « Est-ce que moi, je me suis fait honte ? Peut-être pour une erreur que j’ai commise et assumée » – référence un brin sibylline à son annonce prématurée, sur Europe 1, en avril 2008, de la mort de l’animateur de télévision Pascal Sevran.

    Et Philippe Val, avec une désinvolture qu’on s’en voudrait de prendre pour de la suffisance : « J’ai dû dire une connerie y a pas longtemps. Je ne me souviens plus ce que c’est, mais je me suis trompé, mais méchamment. Putain, c’était la honte. » Moins défaillante que la sienne, notre mémoire a l’embarras du choix. Peut-être pense-t-il à sa récente déclaration selon laquelle l’« actionnaire » de France Inter, Nicolas Sarkozy, ne serait « pas très bien traité » par les journalistes de la station – assertion qui lui donne une légitimité indiscutable pour réfléchir au redressement de la profession ?

    « Partenariats » médiatico-idéologiques

    Passons sur les viriles amitiés qui nous valent régulièrement ce genre de grandes opérations médiatico-idéologiques : cette soirée d’Arte était produite par Doc en Stock, la société de Daniel Leconte, en partenariat avec France Inter. Daniel Leconte et Philippe Val sont de grands amis : le premier a réalisé un film sur l’affaire du procès de Charlie Hebdo pour les caricatures de Mahomet, le « coup » publicitaire qui a définitivement lancé la carrière du second ; bien souvent, lors de précédents « débats » sur Arte, ils ont fustigé de concert la chienlit gauchiste [2].

    Tous deux partagent avec Denis Jeambar, réalisateur de « Huit journalistes en colère » et instigateur en son temps du virage néoconservateur de L’Express, de solides convictions atlantistes. Les incessantes professions de neutralité journalistique et politique, les invocations d’une information « ni de droite ni de gauche », qui auront émaillé cette soirée – y compris lors du débat animé ensuite par Daniel Leconte –, sont franchement désopilantes, tant les obsessions propagandistes de ses initiateurs ont la discrétion d’un éléphant au milieu d’un couloir. Leur cible principale : les contempteurs de la politique israélienne, qui seraient tous, de même que ceux qui trouvent à redire à la politique américaine, de fieffés antisémites.

    « Le pire ennemi du journalisme, avance Philippe Val, c’est sa conviction d’être au service du bien et de la pureté. » Celui qui, du temps où il éditorialisait à Charlie Hebdo, maniait avec une égale aisance l’insulte, la diffamation décomplexée et le fantasme échevelé, met en garde contre la « tentation de faire primer la thèse sur les faits » : « Le nombre de journalistes qui sont tombés dans le piège du bien est suffisamment important pour que la profession en soit profondément malade. Le discours démagogique des uns marginalise le travail sérieux des autres. Ce n’est pas quand il exprime une opinion que le journaliste est libre et indépendant : c’est quand il pense d’abord contre son opinion pour ensuite livrer son analyse. (…) On ne discute pas de l’Amérique, on ne peut pas discuter d’Israël et de la Palestine : il y a des tas de sujets sur lesquels on ne peut pas discuter parce que c’est le Bien et le Mal. Il y a des rédactions qui sont malades de ça. »

    Le documentaire évoque également un incident navrant, qui en dit long sur cette « poubelle de la démocratie » qu’est la télévision, et qui vit la rédaction de France 2 – sous l’influence méphitique, il est vrai, de l’Instrument de Satan – diffuser, en pleine offensive israélienne sur Gaza, « des images récupérées sur Internet et accablant Israël. Après vérification, Arlette Chabot s’excuse : c’était de l’intox ». Il est bien établi aujourd’hui, en effet, qu’à l’hiver 2008-2009, à Gaza, l’armée israélienne s’est comportée avec un humanisme extravagant [3]. Et dire qu’il est encore de dangereux désinformateurs, en liberté sur Internet, pour persuader les âmes crédules du contraire…

  • Télé-révision

     

    Ignorer l’inculture dispensée par la télévision est une gageure. Elle s’insinue partout, jusque dans les universités. En deux jours, j’ai été questionné par deux fois par des étudiants sur l’intervention d’Eric Zemmour dans l’émission « On n’est pas couché » du 4 octobre 2014 : « Pétain a-t-il sauvé des juifs ? ». Par deux fois, j’ai donc proposé un rapide aperçu historiographique de la question, en renvoyant aux sources [1]. Le « journaliste » — mais est-ce bien son métier ? — avait pour sa part refusé d’en faire autant au motif qu’il n’était pas universitaire, tout en marquant son désaccord avec un véritable historien, Robert Paxton, parce qu’il faut tout de même prouver qu’on a un peu lu [2]. C’est devenu banal aujourd’hui : n’importe quelle opinion vaut bien l’avis d’un chercheur.

    « Informer, disaient-ils », La valise diplomatique, 16 octobre 2014.L’opinion d’un idéologue d’extrême droite sur une question d’histoire ne méritant aucune attention, la question de circonstance est ailleurs : comment la télévision peut-elle faire un pont d’or à un ignorant ? « La » télévision, puisque selon la logique moutonnière en vigueur, d’autres plateaux l’ont accueilli, de « Ce soir ou jamais » à « C’est à vous ». Il ne suffit manifestement pas que l’intéressé s’agite quotidiennement au café du commerce de la chaîne d’information en continu i>Télé. La télévision, instrument d’inculture : pourquoi s’encombrer de complexité quand on dispose de grandes gueules pour combler ses vides et ses lacunes ?

    Il y eut beaucoup de protestations après la diffusion de cet épisode, à en juger par l’émission suivante lors de laquelle son présentateur, Laurent Ruquier, lut quelques tweets de soutien, avant d’être corrigé par son chroniqueur Aymeric Caron : il y en avait aussi dans l’autre sens. Point de subtilité dialectique ou d’argument inédit, on tomba finalement d’accord sur le pluralisme : « On nous reproche de l’avoir invité... on a été certes les premiers parce qu’on s’est bien débrouillé... mais il va faire de toute façon toutes les émissions, si ça n’avait pas été nous, on serait passé en deux ou en trois. Il valait mieux être les premiers que les derniers » (Laurent Ruquier). N’en déplaise à l’animateur, il était « passé » la veille dans « Ce soir ou jamais ».

    Il semble que l’on puisse justifier les invitations les plus saugrenues au prétexte du « buzz ». Sans aucune remise en question : « je pense qu’on a fait le job » (Léa Salamé, chroniqueuse dans l’émission). Si elle le dit... Et même, on le fait bien car l’émission le permet : « Ce qu’il faut souligner c’est quand même la chance qu’on a eu d’avoir du temps avec lui, ce qui est très rare en télévision et dans les médias, même à la radio, d’avoir du temps pour aller au fond des arguments ; ensuite les téléspectateurs peuvent juger » (Aymeric Caron). Magnifique public, qui peut juger de la solution finale à partir d’un talk-show. Ne manquait plus qu’un vote de paille : « Croyez-vous que Pétain a sauvé des juifs ? ». Si la profession journalistique — ce n’est pas nouveau — déteste particulièrement la critique, le journaliste télévisuel est quant à lui absolument imperméable.

    Inévitables suites. Les gens les plus incompétents peuvent s’exprimer dans la presse. Etre ignorant, cela n’empêche pas de parler, comme l’avoue innocemment l’un d’eux, un sénateur belge, ancien de Médecins sans frontières (donc vraisemblablement de formation médicale), dans les colonnes du Figaro (7 octobre 2014) : « Zemmour ne dit pas que le régime de Vichy n’est pas antisémite. Il écrit que Vichy a cherché à préserver les juifs français au détriment des juifs étrangers. J’ignore si c’est le cas mais le politiquement correct prétend-il maintenant arrêter toute recherche historique qui contredirait sa doxa ? ». S’il ignore, qu’il se taise. Et si des gens s’expriment publiquement sans savoir, pourquoi tout le monde n’en ferait pas autant ? En l’occurrence, le sujet du scandale n’est pas anodin. Dans le climat actuel de confusion qui, par maints aspects, rappelle la France des années 1930, il s’agit bien de réhabiliter Vichy. La science ? Belle inversion, ce serait elle qui serait une doxa et un politiquement correct. Ce révisionnisme n’est jamais que la première marche du négationnisme.

    Des points communs en tout cas, comme de lointains échos d’Erostrate : ce sont des gens incompétents qui s’expriment et raisonnent faux en multipliant les paralogismes — sur les chambres à gaz ou sur les femmes qui, à 90 %, raconte Zemmour, épouseraient des hommes socialement supérieurs à elles (on s’interroge sur le QI de l’energumène capable d’une telle ineptie logique). Tous gagnent leur notoriété grâce au même procédé de scandale médiatique, et se caractérisent enfin par un haut degré de narcissisme. Les gens sans talent et sans savoir font ainsi parler d’eux.

    Lire Pierre Jourde, « La machine à abrutir », Le Monde diplomatique, août 2008.On peut choisir de relativiser en considérant le spectacle télévisuel comme une écume vite oubliée. Sans doute si le micro n’était pas tendu en continu. Ce qui demeure, c’est une manière de traiter les choses comme des questions d’opinion, et non comme des questions de vérité. Comme un sujet de physique doit être traité par des physiciens, une question d’histoire doit l’être par des historiens. Il faut mener une guerre inlassable contre cette télévision obscurantiste et ses faussaires. Ils portent tort aux auteurs de documentaires (diffusés à une heure tardive), aux enseignants, et surtout aux jeunes générations qui sortiront de l’école en prenant les talk-shows pour une manifestation de la pensée et ses Zemmour pour des intellectuels.

    Leur faire la guerre ? Où, quand, comment ? Là commencent les difficultés. Dans les salles de cours évidemment. A condition de ne pas les ouvrir aux imposteurs [3]. Sur les plateaux ? Encore faut-il être invité. Cela en vaut-il seulement la peine ? Désormais, les universitaires sont tellement sur leurs gardes qu’on leur annonce au préalable la composition des plateaux. La plupart des scientifiques déclinent systématiquement les invitations. Adoptant en somme la posture de Pierre Vidal-Naquet à l’égard des négationnistes : le refus de dialoguer, puisque leur seul objectif est de gagner le crédit de ceux qui s’afficheraient avec eux. Ainsi le mépris est-il réciproque. Jamais les médias n’ont aussi mal porté leur nom [4].

     18 octobre 2014, par Alain Garrigou

     

    Notes

    [1] Michaël Marrus, Robert Paxton, Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, Paris, 1981 ; André Kaspi, Les Juifs pendant l’Occupation, Seuil, Paris, 1991 ; Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, Fayard, Paris, 1983-1985. L’épisode du Conseil des ministres où le maréchal Pétain est intervenu pour aggraver la condition des juifs avait été raconté par du Henry du Moulin de Labarthète dès le lendemain de la guerre –- voir Paul Baudouin, Neuf mois au gouvernement, La Table Ronde, Paris, 1948. L’exhumation du procès verbal, en 1990, l’a confirmé en révélant les annotations manuscrites de Pétain en marge.

    [2] Lire « Robert Paxton : “L’argument de Zemmour sur Vichy est vide” », Rue89, 9 octobre 2014.

    [3] C’est parfois le cas, comme j’ai eu l’occasion de le constater un jour à Sciences Po Paris, où j’étais invité par des étudiants en même temps qu’un certain... Eric Zemmour (que je ne connaissais pas encore).

    [4] Lire Ryszard Kapuscinski, « Les médias reflètent-ils la réalité du monde ? » et Ignacio Ramonet, « Le cinquième pouvoir », Le Monde diplomatique, respectivement août 1999 et octobre 2003.