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France - Page 14

  • Gaza divise la France

    ILS PARLENT DE NOUS

    Pour Abdou Semmar, rédacteur en chef d'Algérie-Focus, les tensions suscitées en France par le conflit israélo-palestinien s'expliquent par l'instrumentalisation de la question palestinienne par le gouvernement, les politiques et la communauté arabo-musulmane.
    • 22 JUILLET 2014
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     A Sarcelles, le 20 juillet 2014, une manifestation pro-palestinienne a dégénéré en affrontements avec les forces de l'ordre.- AFP/PIERRE ANDRIEU
    COURRIER INTERNATIONAL Pourquoi le conflit israélo-palestinien suscite-t-il tant de passions en France ? 
    ABDOU SEMMAR La question palestinienne est une question fondamentale de la conscience collective arabo-musulmane depuis les années 1970. Ce qu’on appelle la "minorité visible", l’immigration maghrébine, greffe sur la question palestinienne ses propres questions sociales et politiques. La communauté musulmane ici en France instrumentalise le conflit israélo-palestinien et transmet ainsi un message politique au reste du pays. La question est également instrumentalisée par les politiques. Le Front de gauche et le NPA [Nouveau Parti anticapitaliste]  espèrent ainsi récupérer l’électorat arabo-musulman, qui n’est pas assez écouté et qui a son mot à dire. 

    Les manifestations ont été dans un premier temps interdites. Qu’avez-vous pensé de cette décision ? 
    Cette mesure n’aurait pas choqué si elle avait été prise à Alger ou en Corée du Nord. Elle a rappelé que la France, le pays des droits de l’homme, n’est peut-être pas le modèle démocratique qu’elle prétend être. Par ailleurs, plusieurs personnes présentes à la manifestation de Barbès ont dénoncé les méthodes de la police française, proches de celles de la police algérienne. Les manifestants auraient été contenus à Barbès, le quartier de Paris où l’on compte le plus grand nombre de Maghrébins. Certains manifestants ont eu le sentiment qu’on avait tenté de discréditer leur protestation. 

    Pourquoi les manifestations ont-elles dégénéré ?
    De nombreux Français ne connaissent rien aux conditions de vie de leurs concitoyens musulmans. Il y a une ségrégation sociale qui se développe d’une façon très choquante. II y a deux France : celle des policiers et des bobos d'un côté, celle des cités de l'autre. Et quand ces deux France se rencontrent, c’est l’incompréhension et la bagarre.

  • Enfin, le crime paie

    Billets de la part de Dominique Manotti

     
    Ainsi, Eurostat recommande aux Etats européens d’intégrer dans leur PIB l’argent de la prostitution, de la drogue etc… Le problème n’est déjà plus : va-t-on le faire ? Mais : comment le faire ? Eurostat a déjà rédigé tout un protocole pour ceux qui ne sauraient pas s’y prendre. Voir le texteici (Cela vaut vraiment la lecture).
    Cette intégration du crime permettrait de doper la croissance, paraît-il, au moins en apparence. L’Italie le fait déjà, l’Angleterre aussi, et chez nous, quelques hommes politiques très bien pensants et UMP soutiennent la mesure, mais qu’on se rassure, ils continuent à prôner l’emprisonnement des petits dealers et consommateurs de drogues diverses. Peut être ne rapportent ils pas assez ?
    Je dois dire que, malgré tout ce que j’ai écrit sur le crime comme rouage de la machine de l’ordre social, et non comme aberration exogène, je ne m’attendais pas à une légitimation aussi ouverte et aussi rapide des grandes machines criminelles.
    Au même moment, l’amende infligée à la BNP par la justice américaine est l’application stricte de la loi du plus fort, la loi de l’Ouest, le revolver sur la tempe.
    J’adore les commentateurs français qui parlent de l’indépendance de la justice américaine. Les juges de New York sont élus. Les élections approchent. Les banques depuis la crise des subprimes sont mal vues des Américains, et n’ont pas été sanctionnées. Sanctionner une banque sera populaire, et si elle est étrangère, ce sera tout bénéfice : 10 milliards de dollars de profit pour l’économie américaine et l’élimination d’un concurrent étranger bien implanté en Iran au moment où le gouvernement américain s’apprête à lever l’embargo sur ce pays. Une décision prise en toute indépendance, évidemment.
    Une seule conclusion : si je veux rester dans le coup, il va falloir sacrément muscler mes romans. Je risque d’avoir quelque retard sur Eurostat et les juges de New York.

     

    CrimeFest à Bristol

     
    En cette mi-mai 2014, j’ai participé à Bristol au CrimeFest, une manifestation très « british ». Pas du tout un festival comme nous en connaissons en France, mais une convention, dans un grand hôtel, avec dîner de gala, robes de soirée et costumes sombres, essentiellement fréquentée par des « professionnels » du roman criminel, auteurs, éditeurs, critiques, universitaires. Tables rondes, rencontres multiples, cette convention est organisée tous les ans par la Crime Writers Association, la même association qui décerne chaque année les Daggers Awards, les prix littéraires les plus prisés pour ce genre littéraire. Surprise de mesurer la puissance de ce mouvement associatif sans commune mesure avec ce qui existe en France, et surprise de découvrir à quel point le monde anglo-saxon reste refermé sur lui même.  J’ai participé à une table ronde Euro Polar (voir ce compte rendupar une universitaire anglaise). Trois Scandinaves, moi, et des Anglais. La Grèce était représentée par un auteur anglais, résident en Grèce et écrivant sur la Grèce. Comme si Dona Leon représentait le Noir italien. Parmi les nombreuses questions venant de la salle, l’une d’entre elles était dans le même registre : qu’est ce que je pense des auteurs anglais qui font des polars qui se passent en France ? Pour atténuer le choc de la différence des cultures, la médiation par un Anglo-Saxon semblait encore très importante pour les participants à cette table ronde.
    Nous avons encore fort à faire dans le domaine du dialogue entre les cultures. 
    Je suis contente d’être allée respirer l’air de Bristol, et merci à mon éditeur anglais qui m’a permis de le faire. Je renouvellerai l’expérience autant que je le pourrai.
     

    Soirée agitée au 36

     
    L’épisode du viol présumé d’une touriste canadienne au 36 quai des Orfèvres par un capitaine et un major de la BRI fait beaucoup de bruit. L’émotion est proportionnelle au prestige des « grands flics » du 36. Si le viol fait l’objet de l’enquête, la beuverie qui l’a précédé, dans un pub d’abord, puis dans les locaux du 36, est avérée.
    Le 12 avril 2014, quinze jours avant les faits, je participais à un débat avec le juge Fernand Kato sur le thème « crimes et erreurs judiciaires » dans le cadre du festival de littérature noire de Mulhouse. Je parlais de mon roman « Bien connu des services de police ». Dans le cours du débat, j’évoque ce qui, à mes yeux, est un des traits les plus marquants de la culture policière, la pratique du faux témoignage par les policiers lorsque l’un des leurs est impliqué. Mon interlocuteur proteste avec vigueur. Il n’a jamais été confronté à de telles pratiques, dit il. Un peu plus tard, j’évoque l’alcoolisme, l’usage abusif de l’alcool, dont les causes sont multiples mais les effets ravageurs. Nouvelle protestation. Peut être avant 2003, soutient mon interlocuteur, mais depuis le problème est réglé, plus d’alcool dans la police.
    Dans l’épisode actuel, nous avons les deux, et dans un des corps les plus prestigieux de notre police, un des corps où la qualité des hommes et la force et la présence de de la hiérarchie sont avérées. 
    Je ne sais pas ce que pense le juge Kato aujourd’hui. Pour ma part, j’espère que le caractère hors norme de ce fait divers fera avancer la réflexion. Le corporatisme puissant dans la police sur lequel fleurit la culture du faux témoignage est une tare dans un régime démocratique. Une tare entretenue, encouragée par tous ceux dont la mission est d’encadrer, contrôler une police démocratique, les supérieurs, les juges, les institutions. Sans parler du ministre lui même qui accepte ou revendique de se faire appeler « le premier flic de France ». Il agit au nom des citoyens, pour les citoyens, pas au nom des flics pour les flics.
    La critique n’est pas facile à entendre. Pour ma part, chaque fois que j’ai eu à discuter de « Bien connu… » en public avec des responsables policiers, ils considéraient ce roman comme une caricature inutile. Sauf une fois, en Allemagne, à Bonn, un débat à l’initiative de la police allemande.
    On peut aussi ajouter que le corporatisme policier n’est pas une exception. Corporatisme enseignant, des médecins, des avocats, des taxis, le corporatisme semble bien être un principe d’organisation de notre société. 
     

    Ausbruch

     
    L'Evasion vient d'être traduit en allemand et publié aux éditions Ariadne-Krimi.

     

    La robe rouge

     
    Librairie Eureka Street, à Caen, le 27 mars 2014.
    Une soirée de rencontres chaleureuse, de ces moments où on a le temps de parler, de questionner, de creuser. La discussion glisse vers les personnages féminins. Je constate que j’ai eu du mal à les faire vivre, dans mon premier roman, Sombre Sentier, et peut être dans les suivants. Pour des raisons que je m’explique mal.
    Une lectrice me dit qu’elle garde le souvenir de la robe rouge d’Anna Beric. J’en suis émue. Cette robe rouge, je l’ai croisée dans une vitrine à Venise, elle m’a touchée, elle a provoqué une émotion inexplicable. Des années après, cette émotion passe dans un roman, une lectrice la ressent et la garde en mémoire des années après. C’est le bonheur d’écrire, c’est le bonheur de vous rencontrer, merci Madame.
     

    L'Ukraine : question de principe ?

     
    Je ne suis pas une spécialiste des relations internationales, simplement une citoyenne, incapable de comprendre la façon dont se déroule aujourd’hui le débat sur l’Ukraine dans mon pays.
    La défense de « l’intégrité territoriale de l’Ukraine » contre l’invasion russe serait une question de principe. Bon. Quels principes ?  Pourquoi « l’unité territoriale » de l’Ukraine » est-elle un principe ? Il n’y a pas si longtemps nous faisions le contraire avec la Yougoslavie. Reconnaissance immédiate de l’indépendance de la Slovénie, puis les autres ont suivi, Croatie, Bosnie, Kosovo. On n’a pas demandé l’avis des Serbes en l’occurrence. Plus près de nous, il va y avoir un référendum sur le statut de l’Écosse. Il a lieu en Écosse. Les Anglais ne votent pas, que je sache. L’unité territoriale de l’Ukraine ne renvoie à aucun principe immuable, mais simplement à une analyse conjoncturelle précise. Très bien, alors qu’on me l’expose, que je puisse au moins comprendre, si ce n’est donner mon avis.
    Côté américain, la référence aux « grandes valeurs » est carrément surréaliste. J’entends Obama parler d’ingérence russe contraire au droit international. Je ne rêve pas, il s’agit bien du président du pays qui a envahi et détruit l’Irak, au mépris du même droit, en s’appuyant sur un énorme mensonge d’État, dont personne n’était dupe, sauf les citoyens (et la presse) américains ? Il s’agit bien du président qui conduit une politique d’assassinats « ciblés » par drones interposés qui a fait à travers le monde plus de 3000 morts dans les trois dernières années ? Avec l’accord de qui ? En référence à quel texte du « droit international » ? Mais Obama a la réponse : les États-Unis ont le droit d’envahir et de tuer, et eux seuls, parce qu’ils sont une « nation exceptionnelle » (sic).
    Europe et États-Unis s’appuient ensemble sur la défense d’un autre grand principe : la défense de la démocratie. On pourrait argumenter en disant qu’on ne la ressort que lorsque cela nous arrange, cela est évident pour tout le monde puisque certaines des pires dictatures sont nos alliés fidèles. N’oublions pas non plus que nous avons appuyé avec enthousiasme Eltsine, enfin nous avions trouvé un vrai démocrate russe. Eltsine a pillé la Russie de façon magistrale, et laissé un souvenir si catastrophique au peuple russe que la rupture avec l’ère Eltsine constitue la base de la popularité de Poutine en Russie.
    Mais ce n’est pas le plus important. Le plus important est de réaliser enfin que ce système démocratique, chez nous, dans notre pays, est complètement à bout de souffle, que nous n’avons aucun modèle en état de marche à exporter. Et les Américains non plus. Abstention de masse, rôle dominant de l’argent dans la vie politique, creusement des inégalités, élections truquées en cas de besoin (vous vous souvenez : la Floride et Bush ?). Chez nous en cas de besoin, quand un résultat gène, on n'en tient tout simplement pas compte (référendum sur l’Europe en 2005, la seule fois où on a eu un vrai débat de masse sur l’Europe). 
    Alors, reste la liberté d’expression comme joyau de notre démocratie. Précieuse, c’est vrai, et je n’ai aucune envie de vivre en Russie. Mais je ne la trouve pas non plus en pleine forme cette liberté d’expression chez les « Occidentaux ». L’autocensure et la pensée unique ont remplacé la censure, c’est indolore et bien plus efficace. 
    Si nous renonçons à l’évocation des grands principes, vides de sens, pouvons nous raisonner de façon concrète, et évoquer par exemple la question des sanctions ? Formidable. Sanctions économiques. Décidées par les Américains. Appliquées par les Européens. Boycottons les Russes. Ce sera très lourd pour l’économie russe et l’économie européenne. Cela tombe bien, au moment où les États-Unis nous proposent un traité de libre échange léonin. Plus nous aurons de difficultés économiques, plus la diplomatie américaine nous coûtera cher, moins nous serons en situation de négocier ou de refuser ce traité. Les pétroliers américains ont déjà fait savoir qu’ils peuvent nous fournir en gaz de schiste, si nous le signons. Ce que notre président d’ailleurs rêve de faire au plus vite. Et hors de tout débat démocratique. Mais il ne peut évidemment être question de débat et de choix démocratiques sur des questions aussi importantes, qui vont déterminer le sort de nos sociétés pour des dizaines d’années. Pour des questions aussi importantes, soyons sérieux, négociations entre technocrates, loin de toute publicité.
     

    Madoff sur scène

     
    Vendredi 21 février, à Florange, à la Passerelle, première représentation théâtrale du « Rêve de Madoff ». Un monologue d’une heure, interprété par Patrick Roeser, mis en scène par Roland Macuola, avec la compagnie Les Uns Les Unes. J’y ai assisté, avec une grosse pointe d’inquiétude. Pas le trac de l’acteur, mais pas loin. Un texte très littéraire, qui parle économie, comment allait il être reçu ? Etait-ce possible de le jouer ? Car il ne s’agissait pas de le lire à haute voix, mais bien de le jouer, de passer d’un mode d’expression à un autre, il s’agissait d’une mise en vie. Belle réussite. J’ai reconnu mes phrases, mais ce n’était plus mon texte, c’était celui de Patrick Roeser, et c’était passionnant. Il a saisi son public, et ne l’a plus lâché un instant. Gagné. A la fin, après les applaudissements chaleureux du public, les spectateurs que j’ai rencontrés me disaient : l’économie, la Bourse, l’escroquerie Madoff, la passion américaine pour le fric, tout est devenu clair ! Pas sûr… Mais c’est la magie du théâtre, quand le spectateur est embarqué, il peut bien traverser tous les océans. 
    De mon côté, j’ai eu le sentiment que, grâce au travail de la troupe, le texte tenait le choc, sans faiblir. Et j’en ai été heureuse.
     

    Dieudonné censuré. Et après ?

     
    Donc le gouvernement a apparemment gagné la partie contre Dieudonné, celui ci a déclaré retirer de son spectacle les horreurs antisémites qui s’y trouvaient. Des horreurs qui ne m’ont jamais fait rire, au contraire ; quand je vois le succès qu’elles recueillent, elles m’angoissent sur l’état de la société dans laquelle je vis.
    Mais le succès remporté par le gouvernement ne me rassure nullement. Au contraire. J’y vois une menace potentielle grave contre nos libertés. Le racisme et l’antisémitisme sont des composantes de fond de nos sociétés européennes, ils vivent comme une sorte de kyste endormi dans le tissu social qui explose dans les périodes de crise. Le kyste est en train d’exploser un peu partout en Europe, sous des formes diverses, et la question est de savoir comment nous allons réagir. Le gouvernement a choisi l’interdiction du spectacle de Dieudonné. La mesure a au moins l’intérêt de réveiller un débat sur le racisme totalement atone. Quand on parle de l’antisémitisme, il est parfois fait référence à l’histoire, à la montée du nazisme, sous une forme étonnement tronquée : j’ai lu ou entendu qu’il serait impossible de laisser s’exprimer un antisémitisme dont la libre expression dans les années 30 aurait permis le triomphe d’Hitler. Cet argument me semble reposer sur un contre sens. Le triomphe du nazisme ne repose pas sur la seule liberté laissée à l’antisémitisme de s’exprimer, mais sur les ravages en Europe de la boucherie de la guerre de 14-18, sur l’absence de vision européenne du traité de Versailles et son aspect bêtement revanchard, puis sur la violence de la crise de 1929, et l’incapacité des hommes politiques au pouvoir en Europe de la gérer. C’est sur ce socle en béton que l’antisémitisme a flambé, et avec lui les idéologies fascisantes dans toute l’Europe, y compris en France. Il me semble qu’il faut donc d’abord s’interroger sur les raisons qui amènent l’antisémitisme de Dieudonné à attirer aujourd’hui un large public jeune et très divers, qu’il n’aurait pas attiré il y a vingt ans.
    Quel est le socle sur lequel prolifère le kyste de l’antisémitisme de Dieudonné ? Je ne suis pas une spécialiste, mais d’après ce que j’ai entendu dans son public, les ratés dans la façon dont nous avons soldé l’ère coloniale, les différents traitements réservés aux différentes sortes de racisme, le soutien indéfectible que l’Occident a apporté à l’État d’Israël dans sa façon d’absorber les territoires palestiniens, en créant des réserves, puis en les réduisant progressivement jusqu’à leur extinction programmée, en copiant la façon dont les États Unis ont traité les Indiens d’Amérique du Nord, la façon dont certains réduisent toute critique de la politique de l’État d’Israël à de l’antisémitisme, la crise profonde dans tout le Moyen Orient à laquelle l’Occident a largement contribué, sont des facteurs idéologiques et culturels qui flambent sous l’effet de la crise économique. S’attaquer à l’expression de ce malaise et non pas aux causes qui le font prospérer est une entreprise dangereuse et peut être perdante. Nous sommes déjà dans une crise sérieuse de notre régime démocratique, tout le monde le perçoit. Nos hommes politiques professionnels forment une caste, nos institutions fonctionnent mal et de façon opaque, la construction européenne est antidémocratique dans son fonctionnement quotidien comme dans ses grands rendez vous (souvenez vous, entre autres, du référendum de 2005…), le dégoût et l’abstentionnisme montent, et les inégalités et la misère s’accroissent sous l’effet des solutions libérales et déflationnistes que nous apportons à la crise économique, comme en 1929. Mêmes causes, mêmes effets.
    On voit mal comment la gestion actuelle de l’affaire Dieudonné pourrait rendre des forces et de la crédibilité à l’idée démocratique dans toute la société française. Comment elle pourrait aider à mettre en place une bataille de masse, une mobilisation populaire contre le racisme et l’antisémitisme. En la matière, ma référence est le combat des Dreyfusards, au tournant du siècle dernier. Cette bataille là a vraiment fait bouger les lignes dans la société française, pour une trentaine d’années, parce qu’elle reposait sur un énorme effort intellectuel et sur des mobilisations dans le tissu même de la société. Le choix de la politique d’interdiction ne va pas dans ce sens. Elle se heurtera à la multiplicité des canaux existants pour que s’exprime l’épidémie antisémite, et est lourde de menaces. Bientôt les rappeurs ? Ce n’est pas si vieux, souvenez vous. Interdit de dire du mal de la police. Et ces salauds de soixante-huitards qui ont eu le culot de dire qu’il est interdit d’interdire ? Je l’ai entendu dire déjà dans des émissions de débats autour du spectacle de Dieudonné : ce dont nous avons besoin, c’est d’un retour à l’ordre généralisé. Moi, quand le ministre de l’Intérieur se charge de délimiter le périmètre des libertés - de mes libertés – au nom de la morale – de sa morale - je m’inquiète pour mon avenir.
     

    Η απόδραση

     
    L'évasion vient d'être traduit en grec par les éditions Εκδόσεις του Εικοστού Πρώτου
     

    Bonn. Débat avec la police

     
    Un membre du directoire de la police de Bonn chargé de la culture m’avait invitée à venir parler de Bien Connu des Services de Police dans le cadre d’un cycle de conférences sur le polar. Je ne savais pas du tout en quoi cela pouvait consister, mais j’ai accepté immédiatement. J’étais curieuse. La conférence a lieu le 4 décembre 2013 au siège de la préfecture de police de Bonn. L’animateur de la rencontre, responsable de la PJ de Bonn, vient nous chercher à l’hôtel, mon éditrice allemande et interprète et moi. Il est sympa et décontracté. A la préfecture, l’accueil est chaleureux. Non, l’invitation n’est pas une erreur, oui les responsables policiers ont lu « Bien connu… ». Iris et moi nous installons à la tribune, devant une grande salle vide de 230 sièges, vaguement inquiètes. Les portes s’ouvrent, et la salle se remplit instantanément. Pas un siège de vide. Quel public ? Des policiers, en nombre, et des citoyens de la ville qui viennent régulièrement à ces rencontres. Dans cette salle, à ce moment là, la police n’est pas un univers clos, replié sur lui même, et qui sélectionne avec soin des intervenants acquis d’avance à sa cause. Ce n’est peut être pas tout, mais ce n’est pas rien, si l’on veut avancer en direction d’une police ouverte sur la société toute entière. Je passe sur l’organisation de la conférence, impeccable, « allemande » dirait un bon Français. Ouverture en musique par un orchestre de policiers, du jazz, parce qu’il y en a dans mes livres me dit le responsable de la culture, puis deux heures et demie de débat et lecture, avec une pause musique et une pause café-soupe. Après une présentation rapide, nous passons à la lecture d’une longue scène dans laquelle, à partir du vol hypothétique d’un téléphone portable, dans une confusion complète, deux équipes de policiers en intervention se canardent au lance-grenade, bilan 8 blessés dans les forces de police. La discussion s’engage immédiatement avec la salle. Les sources ? Rapport à la réalité ? Toute une série de questions que je rencontre dans la plupart des débats auxquels je participe sur ce roman. Un public franchement intéressé, et pas agressif. Après les premières questions, en viennent d’autres : si la situation est si difficile entre police et population dans les « banlieues », pourquoi, quelles sont les causes du malaise, qu’est ce que ce malaise dit de la société française toute entière ? Un vrai débat. Une seule question n’a pas eu de réponse, celle que l’animateur lui même a adressé à un policier de la Sécurité Publique de Bonn : Des scènes comme celles qui émaillent « Bien Connu… » se produisent elles aussi à Bonn ? Le policier ne répond pas. Il évoque la difficulté à exercer son métier. Certes… Donc, même avec des trous d’air, un vrai débat sur le fonctionnement de la police, avec des écrivains qui peuvent être critiques, des citoyens, dans le cadre d’une préfecture de police, avec des policiers en exercice, est possible. Et contribue à détendre l’atmosphère de part et d’autre. En Allemagne. Pas en France. Au moment où sort l’enquête Polis-autorité, dans laquelle deux chercheurs mettent en lumière l’ampleur du divorce entre la police et la population. Après bien d’autres signaux d’alarme dont on n’a pas voulu tenir compte, il serait grand temps de s’attaquer au problème.
     

  • La société de masse n’est pas démocratique. Pensez à vous instruire !

     

    Il est temps d’en finir avec la fiction philosophique du citoyen épris de démocratie. Un nouvel âge est arrivé, celui des sociétés de masse. Certes, déjà dans les années 1920 les philosophes s’essayèrent à interpréter des phénomènes nouveaux que furent les masses, parfois regroupées pour faire corps et se comporter en foule, voire en horde. Le phénomène des masses humaines est contemporain de l’âge industriel avec la production en masse de biens puis de services. Les masses n’ont pas bonne presse en général. Notamment parce que selon quelques interprètes de l’Histoire, les masses auraient favorisé l’avènement des régimes totalitaires, fascisme, nazisme, soviétisme. Le totalitarisme, c’est l’Etat, les élites dirigeantes, la police et les masses. Presque un siècle plus tard, la démocratie fait douter alors que les médias de masse occupent une place dominante dans nos sociétés. Mais les masses de 2010 ne sont pas les masses de 1920, pas plus que les bobos ne sont les bourgeois de la Belle Epoque. Des métamorphoses se sont produites pour parler comme l’excellent Ellul.

    La grande nouveauté, ce sont les médias de masse, point de rencontre et de confrontation entre les masses, les acteurs de la politique, les célébrités et surtout formidable école de la sottise. Les médias de masse exercent une action sur la politique par ricochet, en transitant par l’opinion publique devenue opinion de masse. Les médias de masse sont prescripteurs. Ils fournissent des goûts et des préférences à ceux qui n’en ont pas, comme le pensait l’excellent Luhmann. Mais si ce n’était que cela, leur rôle pourrait être anecdotique, d’ordre esthétique et rien de plus. L’affaire est plus sérieuse qu’il n’y paraît car les médias de masse exercent une action prescriptive dans de multiples champs, celui de la santé, des loisirs, de la vie quotidienne, de la politique, de l’éducation et même récemment de la sexualité. Les médias « agissent » pour ainsi dire les masses ; ils meuvent les masses.
    Si les masses sont mues par les médias, c’est que les masses sont déjà en mouvement. Masses désirantes, émotionnelles, craintives, colériques, fébriles, festives… L’Etat et ses dirigeants, les industries et ses managers, les médias de masse et les masses. Ainsi se dessine le concept de société de masse. Il faut prendre quelque distance avec ces fictions idéologiques et philosophiques du passé. Volonté du peuple, démocratie représentative, participative, souveraineté populaire, toutes ces fictions qu’on trouve développées chez les universitaires autorisés comme Pierre Rosanvallon, doublement « suspect » car syndicaliste à l’origine et maintenant officier de la légion d’honneur. On ne peut pas faire confiance à cet individu aurait dit Desproges. Ni d’ailleurs à Bernard Stiegler bien qu’il ait eu un parcours tout autre. Hormis ces deux là très près des fonctionnements institués, se pourrait-il que notre époque ait vu apparaître l’intellectuel de masse ? Il y eut le grand penseur « généraliste » puis les intellectuels spécifiques avait décrété Foucault. Ensuite les intellectuels médiatiques dont la présence sur les plateaux n’indique rien sur le contenu de leur pensée. L’intellectuel de masse écrit pour les masses. De là sa connivence avec les médias.

    La société de masse comprend les individus constituant les masses et un certain nombre de structures et institutions qui sont insérées dans la société mais montrent également un fonctionnement autoréférentiel clos sur les pratiques mises en œuvres par leurs opérateurs sous la direction des administrateurs et autres directeurs. Avec des codes, des procédures et une sorte de téléonomie. L’analyse éclairante de Luhmann sur les médias s’applique également à d’autres systèmes. Le motif fondamental des médias, c’est la distinction entre l’information et la non-information. Examinons la santé. N’a-t-on pas un fonctionnement opérationnellement clos qui réalise des expériences en se proposant de séparer le normal et le pathologique dans un premier temps, puis de distinguer, moyennant études et statistiques, le curatif du non curatif. C’est ce dispositif qui permet à certains médecins d’exclure l’ostéopathie car échappant aux normes scientifiques, cette pratique étant désignée (ou soupçonnée) comme non curative faute de vérification. Dans d’autres secteurs, on a vu la médecine tracer la démarcation entre le bon et le mauvais cholestérol, puis séparer le pathologique sur la base de normes dans les analyses sanguines si bien que des gens en bonne santé se sont retrouvés malades et ciblés par des molécules censées agir sur le mauvais cholestérol. On appellera ce système la santé de masse. Les individus et les pouvoirs publics vont jusqu’à payer cher l’empoisonnement par la médecine.

    L’art se prête bien à l’analyse systémique de Luhmann. Là aussi, le système de l’art se propose de désigner ce qui est de l’art et ce qui n’en est pas, étant relégué au rang de non art. En pratique, ce système décide de ce qui doit être montré dans un musée, dans une salle de vente, dans une galerie ou même dans l’espace public. Avec parfois une évaluation. Le système fixe le prix des œuvres décrétées artistiques sur le marché de l’art. Peu importe le contenu, du moment que c’est de l’art coté sur le marché. Et pour le reste, le système envoie aussi des signaux en direction des masses en désignant et en montrant au public des œuvres sous lesquelles on trouve une formule invisible : « ceci est de l’art ». Les médias accompagnent ce système, servant par ailleurs de relais aux industries culturelles en prescrivant les goûts culturels et ça marche. Les salles de cinéma sont pleines et les stades se remplissent. Les gens veulent assister aux mêmes concerts, y compris en mettant le prix.

    L’université et la recherche sont aussi affectées par la massification. L’université adopte un fonctionnement similaire aux médias, jugeant ce qu’il convient d’enseigner et ce qu’il convient d’écarter avec des critères parfois arbitraires faisant que des pensées alternatives ou pas très conformes sont exclues malgré leurs qualités et pertinence. La recherche scientifique semble aussi se dérouler avec le principe de l’autoréférence et de l’autodétermination du « moi scientifique », lequel se traduit dans les faits par une recherche dont le principe est calqué sur celui des médias. La recherche sépare ce qui est publiable dans les revues et ce qui ne l’est pas. La politique devient aussi une affaire autoréférentielle. Les partis politiques se mesurent et se comparent dans leurs décisions et surtout leurs commentaires. Ils utilisent parfois des instituts pour être conseillés.

    Tous les systèmes ont tendance à devenir industriels et par voie de conséquence, à se présenter face à des masses avec lesquelles ils sont en interdépendance tout en étant indépendant, à l’instar du monde animal relié et séparé de son milieu. L’industrie a tendance à absorber le plus possible d’activités professionnelles. Prenez le système de santé. Bien qu’indépendants sur le « papier », les médecins libéraux se mettent de plus en plus au service d’intérêts industriels, laboratoires, hôpitaux, centres de soin. Dans nombre de secteurs, les normes imposées créent une interdépendance entre les professionnels et les industriels pourvoyeurs de productions normées.

    Comme on le constate, la massification de la société va de pair avec la fonctionnalisation autoréférentielle des systèmes industriels qui sont guidés par des intérêts particuliers et qui peuvent être fortement imbriqués avec des structures étatiques. Alors, en risquant une image déplaisante, on peut concevoir les masses comme un ensemble d’individus placés sous perfusion afin d’être irrigués par les flux de biens, services et facilités offertes par des systèmes industriels qui en retour, sucent à l’image des vampires le « sang vital » des masses ; porte-monnaie, corps à soigner, force de travail, psychisme, machine désirante, ennui du quotidien.

    La démocratie au sens moderne n’est plus possible. Le lecteur saura le déduire du constat que je viens de tracer. Ou alors se contentera d’une démonstration lapidaire. La démocratie, c’est le pouvoir du peuple ou dans une acception plus réaliste, la participation du peuple au pouvoir et aux décisions politiques censées accompagner ses volontés. Dans une société de masse, il n’y a plus de volontés citoyennes, même s’il y a nombre de volontés oligarchiques (celles des directeurs des systèmes industriels et de leurs cadres). Puisque le peuple a été dissout en se massifiant, il n’y a plus de démocratie. CQFD.

    Dernière remarque. La société contemporaine hyperindustrielle et hypermédiatisée est devenue trop complexe pour un exercice démocratique. Le paradoxe étant que les gens pensent que le politique n’a plus de pouvoir or c’est l’inverse, le politique n’a jamais été aussi présent, avec un Etat tentaculaire agissant dans tous les rouages, pris entre deux feux, celui des masses désirantes et celui des oligarchies dominantes, et un troisième feu, celui des problèmes croissants parce que la technique apporte plus de problèmes que de solutions. La politique est donc très développée avec un appendice démocratique réduit à sa plus simple expression à travers les urnes. La seule issue pour le citoyen souhaitant renouer avec l’esprit démocratique et la liberté, c’est de s’instruire et non pas de s’indigner. Le livre de Stéphane Hessel n’a représenté qu’un ouvrage pour masses. L’indignation en devenant populiste, sorte d’attitude suggérée pour conférer une conscience politique à des individus comme en d’autres occasions, les médias proposent des goûts à ceux qui n’en ont pas. Pour l’instant, les pouvoirs publics n’ont pas encore décrété la journée de l’indignation. Comme quoi, il existe une marge pour descendre encore plus bas dans la sottise.

    Ce billet s’inscrit dans un livre à écrire, intitulé, instruisez-vous ! Si un éditeur sérieux se signalait, cela pourrait accélérer sa rédaction.

  • Marc-Edouard Nabe et Téléréalité

    Téléréalité et crépuscule d’une transcendance

    "A présent j'étais devant les faits bien assurés de mon néant individuel"

    « La légèreté c’est une valeur et je suis prêt à mourir pour elle(…) » Cette phrase de Frédéric Beigbeder, prononcée le 13 septembre 2003 sur le plateau de Thierry Ardisson face à Marc-Edouard Nabe, invite, avec une gravité relative, à une réflexion beaucoup plus large sur la dimension transcendantale de ce qu’on peut appeler la frivolité mortifère du système de valeur défendu par les Téléréalités. Extrapoler cette citation au milieu qui nous intéresse, à savoir celui des Téléréalités, nous permet de reconnaître que, au-delà d’être une valeur, la légèreté, comprise ici comme le cadre idéologique symbolique et fonctionnel dans lequel se sont structurées les Téléréalités françaises, est une conception de l’histoire et un formatage psychologique à une échelle massifiée, celles des sociétés humaines.

     Cette « légèreté », d’une lourdeur extraordinaire, permet également, et c’est souvent moins évident, la transformation d’individus décentralisés en consommateurs que l’on tourne, par la mutation forcée de l’inconscient collectif, vers des marchés nouveaux. A titre d’exemple, nul ne peut ignorer les immenses services rendus par le Loft Story, les Anges de la Téléréalité ou encore Secret Story à l’industrie de la chirurgie esthétique, des cosmétiques, de la mode, etc.  

    C’est en prolongeant l’analyse de Michel Clouscard en la matière qu’on peut affirmer qu’il existe un lien de causalité entre, d’une part, la rentabilité effective de certains secteurs de production de biens et/ou services et , d’autre part, l’affirmation des valeurs d’argent et de frivolité comme horizon absolu et nécessaire pour la jeunesse française. Cette alliance est celle d’un mariage, d’une union sacrée entre une production financiarisé répressive et un système de consommation permissif jusqu’auboutiste. Je ne fais rien d'autre ici qu'une réactualisation en somme de la pensée de Clouscard.

    En ce qui concerne la France, la transmission de cet horizon de valeurs d’avenir s’effectue d’autant plus facilement que la jeunesse vit la mort de l’idéologie, dans une société qui se caractérise par l’absence relative de transcendance traditionnelle partagée, en dehors de la sacralisation des droits de l'homme. La prétention des Téléréalités d’offrir une lecture de la réalité sociologique des rapports interindividuels du monde qui l’entoure s’opère par un regard biaisé qui retranscrit à grande peine la réalité sociale du pays. Je dirais même, en ce qui concerne la France, qu’en niant, pour parler vite, la valeur d’Egalité dans leurs programmes, les Téléréalités nient l’un des piliers du socle anthropologique synthétique français. Qui plus est, cette volonté de présenter une pseudo-réalité des rapports entre humains est d’autant plus paradoxale qu’elle se couple, dans le contenu brut des programmes des Téléréalités, d’une vulgarité glauque, assez bourgeoise dans sa superficialité, qui sacralise le voyeurisme et érige la célébrité au rang d’un sacré contradictoire. Ce sacré est contradictoire car il procède d’une dynamique propre, étrangère à la starification traditionnelle, telle qu’a pu l’identifier Edgar Morin. En effet, la « star » de Téléréalité se retrouve dans une position ambivalente où elle atteint un niveau de gloire médiatique appréciable, bien qu’éphémère, mais où elle doit faire face à l’absence apparente d’une dynamique de sympathie ou de soutien important de la part du « public », une autre notion à définir. En effet, une de ces stars de Téléréalité, Nabilla, personnage emblématique de ce « sacré contradictoire », parle pour désigner son public non pas de fans mais de followers. Sans doute a-t-elle conscience de la précarité de sa situation qui ne repose pas sur le fondement principal de la starification traditionnelle : le talent. L’absence de talent ne permet pas, en effet, l’instauration d’un lien d’amour ou d’admiration bilatéral qui puisse s’inscrire dans une durée. Il faut donc innover, se renouveler pour conserver la flamme du désir du téléspectateur ardente. Si on s’y refuse, dans un univers aussi concurrentiel, on prend le risque de sombrer dans l’oubli absolu. Il faut donc organiser le spectacle de sa propre survivance, théâtraliser sa fuite en avant personnel, grossir ou périr à la triste manière d’une roue tournant vite, certes, mais à vide. Chosifiées, les stars des Téléréalités se prennent et se jettent dans une communion à la fois morose et frivole où sont réconciliés, l’espace d’un instant, producteurs et consommateurs. Quand l'acteur se situe dans une perspective artistique, la star de téléréalité, dénuée en général de quelconque capacité de ce registre, est impuissante. 

    Pour recentrer les choses, être contre la « Téléréalité », une dénomination qui prend en compte un ensemble global complexe et méritant une analyse séquentielle, c’est afficher son hostilité à un ensemble de valeurs dont la fonction objective première, du moins telle qu’elle peut apparaître, est de permettre la fructification d’un marché, réel et concret, appuyé par la puissance publicitaire. Il faut à ce titre admettre que l’action consistant en la proposition d’une déchéance de cette transcendance malsaine est un combat, sans doute à mort au sens Beigbederien du terme.

    L’ambition de ces lignes est celle d’une volonté politique : déstabiliser le marché des Téléréalités. Ainsi présentée, l’approche est trop globalisante et il conviendra de procéder à la prudente dissection d’un certain nombre de programmes télévisés, dans le but affiché d’en dénoncer la dimension néfaste pour la société Française. C’est pourquoi, comme a pu le remarquer le lecteur, on parlera ici de les ou des Téléréalitésmais jamais de la Téléréalité. On évite ainsi de tuer la diversité propre à ces programmes aux spécificités nombreuses et, par ailleurs, de regrouper un ensemble de corps constitués différents sous une étiquette commune.

    Tout d’abord, il peut apparaitre, dans une tentative de délimitation générale des contours sémantiques du sujet abordé, que le terme de « Téléréalité » ne constitue pas un genre en soi. En effet, celui-ci relève de programmes pouvant prendre la forme de jeux, de divertissement télévisuels ou encore de magazines. Par ailleurs, sont à distinguer également toute une série d’avatars des Téléréalités comme la « scripted-reality », la « constructed-reality », ce qui n’est pas sans rajouter de la complexité à notre sujet : est-il possible de déstabiliser un marché aussi transcourant que celui des Téléréalités ? Adapter la règlementation télévisuelle française sur la question, satisfaisante sur certains points mais plutôt défaillante sur l’essentiel, est une tâche difficile pour le juriste qui doit prendre acte de la jurisprudence récente concernant cette amoncellement de sous-catégories liées par des caractéristiques communes que constitue le marché des Téléréalités, notamment en matière de dignité de la personne humaine.

    Avant d’aller plus loin, il est important de rappeler que le constat proposé se situe dans un cadre national, français, parfois européen, qui ne pourra prétendre à une analyse entièrement « internationalisante ». Certes, il peut apparaitre impératif de mettre en place une dialectique critique à l’encontre des valeurs pouvant servir de base commune aux différentes multinationales des Téléréalités dans leurs activités de production de services culturelles à travers la planète. Toutefois, on constate des différences dans l’adaptation qu’opèrent les Téléréalités dans les différentes régions du monde dans lesquelles elles s’implantent. Ces marchés nationaux, fruits d’une construction historique particulière, constituent, pour les transnationales des Téléréalités, des défis de taille. En effet, sans leur compréhension il ne peut y avoir, pour le marché des Téléréalités, de progression ou de stabilisation pérenne de ses activités de services. Par conséquent, ce changement continuel de stratégie dans l’approche mercantile rend impossible la généralisation au monde entier de l’impact des Téléréalités en France. La localisation géographique, dans ces lignes, « de ce combat à mort » est un point fondamental.

    Clouscard pensait que la Nation, après avoir été l’organisme oppressif et coercitif permettant la diffusion dans le corps social du capitalisme inégalitaire, était devenu la structure politique la plus à même, aujourd’hui, de résister à ce que le libéral-socialiste Allais appelait le « libre-échangisme mondialisé ». Le parti pris, ici, est celui d’une extrapolation de cette vision des choses : on comprend l’Etat-Nation républicain comme l’entité institutionnelle la mieux placée pour mettre en œuvre une politique publique de déstabilisation durable des Téléréalités. On écartera l’hypothèse d’une production législative à l’échelon européen pouvant contraindre le marché des Téléréalités en raison d’un scepticisme amer. Ce scepticisme est issu d’un constat froid : celui de la fragmentation du pouvoir Européen entre les différentes nations, institutions, groupements d’intérêts, cabinets d’expertises, think tanks, qui empêchent une action cohérente, structurée, drastique et adaptée pour le problème qui est le nôtre. Par ailleurs, la prégnance des groupements d’intérêts au parlement européen rendrait difficile, pour ne pas dire impossible, une action juridique déstabilisante pour le marché des Téléréalités en Europe. Malheureusement, la question de l’Europe ne pourra être épisodiquement envisagée que d’un point de vue critique à l’égard de sa production ou non-production législative sur le marché des formats européens ou sur les contraintes qu’elle pourrait faire peser sur la France si, demain, un gouvernement prenait la décision d’interdire telle ou telle programme, ce qui est en soit, Europe mis à part, loin d’être une chose aisée.

    Une première objection à ce combat peut se matérialiser sous la forme d’un discours dédramatisant, prônant l’idée suivant laquelle il existe des combats sociaux plus importants et plus fondamentaux pour la société française. A ce titre, un marxiste pourrait dire que la critique des Téléréalités est un combat d’arrière-garde servant la dissimulation de sujets plus importants au titre desquels, par exemple, l’introduction d’un nouveau type de rapports de classes en France via la crise du capitalisme financiarisée de 2008. La réponse à cette objection doit être claire. Critiquer les Téléréalités ne saurait occulter d’aucune manière la gravité extrême de la situation sociale en France. Par ailleurs, il pourrait être affirmé que la destruction opérée par les Téléréalités ne s’organise pas seulement du point de vue de l’intelligence, du concept et de la sagesse. Cette destruction peut aussi être concrète. A ce titre, on ne peut demander à un jeune spectateur de « A prendre ou à laisser » s’il est, supposons le, issu de quartiers défavorisés où l’émancipation sociale est un combat de survie économique de tous les instants, de prendre au sérieux « la valeur travail » quand il voit qu’il est possible, sans talent particulier, de gagner en quelques secondes le triple de ce que ses deux parents réunis peuvent gagner en un mois (par la simple sélection d’une boîte dans laquelle se cache une somme, inconnue par le joueur avant son ouverture). Pourra-t-on alors lui reprocher de se tourner vers une économie souterraine qui lui permet de fournir une quantité de travail minimum pour un revenu optimisé alors même que la Télévision, qui joue encore un rôle de socialisation fondamental malgré internet, promeut implicitement ce genre d’attitude ? La délinquance, qu’elle soit celle des banlieues ou des financiers à col blanc, peut dans certains cas s’expliquer, sans être pour autant excusée, par la dégénérescence apportée par de nouveaux types de transcendances banalisantes, d’autant plus fortes qu’elles sévissent dans un No Man’s Land idéologique.

     Une autre critique pourrait prendre la forme suivante : la liberté d’expression et de la presse se confond avec la Téléréalité dans un même ensemble de manifestation démocratique. Dans cette perspective, affirmer son désaccord dans une réserve sage et tranquille est acceptable mais, en revanche, il est inacceptable, si on se veut démocrate, de supposer l’interdiction de certaines Téléréalités. Ce détournement de la maxime bien connue : « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrais jusqu’à la mort pour que vous puissiez l’exprimer », est abject. Certes, prôner la liberté d’expression la plus absolue possible est une nécessité contemporaine (ex : dénoncer l’insulte d’ « antisémite » à l’encontre de certains intellectuels comme, dans certains cas, une arme d‘intimidation massive étouffant toute critique à l’encontre de l’Etat d’Israël, comme l’ont fait Eric Hazan et Alain Badiou, est une manière de défendre la liberté d’expression tout en en réclamant son élargissement relatif sur certains sujets difficiles).Cependant, le monde des Téléréalités n’est pas celui de la production des idées ou des concepts, il est celui du mensonge, de la manipulation (que ce soit des téléspectateurs ou des participants), du marketing et du formatage psychologique. En aucun cas il ne peut être rattaché à l’expression d’idées démocratiques regroupant, entre autre, une dimension relevant de la liberté d’expression ou de la presse. Les Téléréalités françaises sont le produit d’oligarques parisiens publicitaires qui, si on suit la chaine télévisée de leur évolution, ne sont rien d’autres que des grenouilles de bénitiers « Endemoliennes ». Je ne vois rien dans la disparition de ce que le polémiste Eric Naulleau identifie comme, je cite, « la poubelle de l’esprit », une atteinte aux fondements de la République ou de la démocratie d’opinions. La démocratie est un régime politique complexe aux possibilités de lectures et de manifestation multiples dont la première formulation concrète se fit durant l’Antiquité. Les téléréalités ont douze ans : il serait temps de prendre acte de la temporalité Endemolienne ainsi que de sa relative petitesse face au Léviathan Démocratique moderne en matière de passif historique. Pour finir sur cette question, l’utilisation de l’argument de la liberté d’expression et de la presse, en matière de défense des Téléréalités, constitue une extrapolation dangereuse dont on n’arrive pas à trouver une quelconque justification historique. Cette extrapolation donc, basée sur un vide conceptuel apparent, dissimule mal une volonté de protection d’intérêts économiques puissants sous couvert de démocratie, cette dernière notion, pourtant fondamentale, étant devenue tristement passe-partout.

     
     

     

    Qu’est-ce que les Téléréalités ?

    Il est important, à mon sens, de comprendre que les Téléréalités n’ont pas séduit le public malgré leur malséance mais grâce à celles-ci. Paradoxalement « le public », d’ailleurs, a plutôt tendance à comprendre, dans sa majorité, le côté artificiel de ce genre de manifestations télévisuelles. Celle-ci semble aller de soi : on la retrouve chez les participants des jeux des Téléréalités, exagérément décérébrés, comme chez les présentateurs aseptisés. Mais alors, comment expliquer le succès des Téléréalités ? Beaucoup ont émis l’hypothèse suivante : la tendance au voyeurisme et à l’exploitation mercantile de ce qu’il peut y avoir de pire chez l’homme a fait gagner des parts de marché plus qu’appréciables pour les chaînes privées françaises, en lutte constante pour leur maintien face à une concurrence internationale féroce. Ceci peut paraître absurde mais rejoint l’hypothèse du sacré contradictoire des vedettes des Téléréalités : les émissions de Téléréalités parviennent à atteindre un succès brut en termes de chiffres tout en provoquant un dégoût relatif dans une large partie de la population. C’est une dynamique d’attirance-répulsion assez déconcertante, qu’on peut rattacher à une forme d’addiction malsaine. Peut-être que la clé des réussites des Téléréalités réside dans leur capacité à mobiliser sous la forme d’un divertissement les pires instincts de notre époque, forçant ainsi nos populations à regarder dans un miroir déformant l’image présupposé de leur « réalité », une « réalité » dans laquelle elles sont censées se retrouver. Le problème est que, pour la plupart d’entre nous, nous ne nous y retrouvons pas. Il est possible que certains adoptent une attitude de témoin moqueur à l’encontre de ces émissions, en se mettant ainsi dans une position de recul amusé empêchant de constater qu’ils constituent alors le combustible permettant le fonctionnement de cette machinerie déroutante, qu’on peut très bien détester par ailleurs. Exaltation de l’hyper individualisme, consécration d’un type de « beauté », mise en avant de la manipulation stérile comme rampe de lancement personnel, défense du droit de chacun à la célébrité, négation du talent, etc. Toutes ces valeurs vont à l’encontre du message que tente de véhiculer l’éducation nationale (mérite, travail, respect de l’autre, etc) et l’individu se retrouve face à une double proposition de modèles de vie qui est problématique. En effet, quelle grille de valeurs faut-il alors choisir ?

    Ce choc de valeurs est porteur de déstabilisation dans une société en danger de fragmentation et devant faire face à la multiplication des égoïsmes catégoriels et communautaires. Ce constat amène à penser que les Téléréalités peuvent être comprises comme le symptôme d’un fléau de la pensée pervers qui guette les démocraties modernes de ce début de siècle.

    Une notion fondamentale à définir est celle du « carburant » permettant le fonctionnement de la grande machinerie des Téléréalités. Cet aspect des choses est complexe, la question du « public » des Téléréalités étant à comprendre comme un ensemble à la fois globalisant et exclusif, adapté à une partie assez large de la population française mais face auquel se construisent en opposition un nombre d’individus non-marginaux. Il est curieux de constater par ailleurs, dans ce que Bernard Stiegler appelle la « Télécratie » (une formulation abusive mais qui retranscrit assez justement une partie de ce qu’est devenu la télévision moderne), que lorsqu’on sollicite ce « public » sur les programmes télévisés qu’il préfère, on constate un décalage entre les préférences annoncées de ce « public », qu’on devrait appeler, là encore ,« les publics », et la réalité des chiffres en matière d’audience télévisuelle.. Les sondages d’opinion IFOP montrent que les gens, quand on leur pose la question, disent préférer le cinéma, les documentaires, les reportages et les programmes d’informations. Le décalage entre ces préférences affichées et la réalité « honteuse » de ce qu’ils regardent réellement, quand on voit le succès brut en matière d’audimat des Téléréalités, laisse perplexe.

    Bernard Stiegler compare ce comportement à celui d’une addiction : de la même manière qu’un toxicomane a un stade très avancé de dépendance est conscient du mal qu’il s’inflige et du danger que constitue sa drogue, il n’en demeure pas moins qu’il en a viscéralement besoin.

     Le procédé est plus implicite en ce qui concerne le spectateur des Téléréalités mais fonctionne dans une logique similaire : celui-ci se retrouve dans une situation où, quand il regarde des programmes relaxants et structurants son cerveau, il ne s’aperçoit pas qu’on le prépare à la réception mentale de publicités et de valeurs nouvelles formatant la psychologie collective du « public », dans lequel il s’insère alors, aux exigences du marché. Toute la force de cette technique est l’imposition indolore à l’individu, jusque dans l’intimité de sa sphère familiale, d’une posture de consommateur-récepteur. A mon sens, cette réalité concerne des milliers de victimes malheureuses, et les considérer ainsi ne revient pas à les déresponsabiliser car celles-ci sont assez prétentieuses ou inconscientes pour être convaincues d’avoir le contrôle sur les Téléréalités qu’elles visionnent. Peu de personnes, même si elles en ont les moyens, prennent le temps d’analyser l’emprise qu’opère la Télévision (et les Téléréalités constitue une excroissance grotesque de cette institution) sur leurs comportements d’achats les plus anodins. Beaucoup s’inquiètent, y compris au CSA, qu’il ait été mis au service du marketing, de la publicité et du marché le savoir acquis par la recherche fondamentale. Quand on demande à Michel Desmurget si les publicités télévisuelles sont dangereuses il répond : « (…) qu'il ne s'agit plus simplement de vendre, mais de générer des comportements à l'insu des gens, et l'éducation aux images ne peut pas combattre ces mécanismes infraconscients. Si le mot « viol » a un sens, cela en est une parfaite illustration. » On pourrait extrapoler cette citation pour affirmer que ce « neuro-marketing » est un viol de l’inconscient commun et les Téléréalités les complices vicieuses, soumises et dévouées de cette mécanique. Je souscris, pour ma part, à cette idée forte.

     

     Ce formatage ne pouvait être permis par les anciennes valeurs républicaines traditionnelles (parfois défendues par certains dans le cadre d’un discours nostalgique idéalisant et déformant) de méritocratie, de respect, de travail, d’égalité, etc. De la même manière, le rejet de l’argent et de la rapacité de la part du catholicisme et du communisme, même si ce n’était parfois qu’une apparence, ne permettait pas la production de consommateurs « efficients ». La disparition relative de ces deux églises longtemps fondatrices dans le paysage politique français fut une des conditions de l’avènement en France d’une société plus anglo-saxonne et individualiste. Par conséquent, les Téléréalités peuvent être comprises comme l’aboutissement d’une dynamique libérale-libertaire, au sens Clouscardien, ayant diffusé le marché dans toutes les structures du corps social, y compris dans ses parcelles les plus inattendues.

    Dans cette même lignée de réflexion, deux éléments sont à analyser : les mutations qu’on put connaître les institutions télévisuelles, d’une part, et, d’autre part, ce qu’entend la prétention à la retranscription de la réalité. Ces deux éléments se conjuguent ensemble, bien qu’ils relèvent tous deux de dynamismes distincts.

    Laissez-faire, laissez-passer et laissez-voir

    On ne peut pas éternellement discuter des Téléréalités sans parler des mutations profondes qu’on put connaître les télévisions françaises. Jean Louis Missika découpe l’histoire de la télévision française en trois phases : la paléo-télévision, la néo-télévision et la post-télévision.

    La première période s’étend des années 1950 aux années 1970 et se caractérise par un souci pédagogique de transmission de la culture, du savoir et des informations. Affirmer cela ne saurait angéliser la télévision de cette époque qui, comme celle d’aujourd’hui, n’hésitait pas, car au service de l’Etat, à manipuler l’information en transformant la réalité des faits, que ce soit par l’exagération ou la prétendue insignifiance. « On cache en montrant, et plus on dévoile plus on voile » comme disait Bourdieu.

    On ne peut d’ailleurs pas souhaiter si l’on désire une démocratie directe impliquant d’avantage l’esprit critique de ses citoyens une transposition à notre époque de cette paléo-télévision qui était réservé à une petite frange d’experts, de stars, d’hommes politiques et de journalistes. Il ne faudrait toutefois pas nier un certain nombre de vertus inspirantes de cette paléo-télévision, un site comme l’INA.fr permet de visualiser des émissions artistiques, politiques et culturelles mobilisant des débats contradictoires de qualité, de la poésie, de la chanson à textes, des grands films, en somme une grande plus-value intellectuelle qui pourrait permettre aux français de construire la télévision de demain. Si ce genre d’émissions continue d’exister aujourd’hui, elles sont malheureusement trop marginales pour peser face à l’Empire des Téléréalités et de la publicité. Toujours est-il que cette césure, qui apparaît au niveau des années 1970, semble confirmer l’avènement, en France, d’une dynamique libérale-libertaire d’après 68 envahissant l’univers de la Télévision et permettant le démarrage d’une nouvelle ère télévisuelle, celle de la néo-télévision au sens de Missika. Ce fut le réveil de la France à la mondialisation que nous connaissons, un réveil curieusement anesthésiant.

     La deuxième période s’étend des années 1970 aux années 1990, elle se base sur un rapport plus direct avec « le public » et le simple fait, pour certaines personnes, d’avoir pu être témoins d’évènements quelconques leur donne le droit de participer à des émissions. En outre, on offre aux gens lambda une source de légitimité et de revendication potentielle au droit d’être « télévisable ». Cette démarche s’inscrit dans un souci apparent de transparence et de retranscription avec la plus grande exactitude possible des « faits », de la part des journalistes en général. La télévision analyse ainsi des préoccupations particulières et tend à se rapprocher le plus possible des individus. Alexandra Faure parle du passage de la Télévision vers une mission de régulation et de médiation avec la tentative de résoudre, de sa part, dans le cadre de talk-shows et de reality-shows, des problèmes relevant de l’intime, des conflits personnels et interfamiliaux. A mon sens, cette affirmation est fausse et ce que l’on cherche plus à ce moment-là, de la part des producteurs, consiste en une innovation dans le rapport aux téléspectateurs en faisant de la Télévision un organe tourné vers la production de manière beaucoup plus importante qu’autrefois. L’enjeu est alors de mettre les téléspectateurs dans une situation où ils sont amenés à se retrouver en proximité relative avec leurs écrans, ce qui supprime une partie d’altérité et de distance dans le rapport entretenue à l’égard de ceux-ci et permet la transformation progressive de l’instance télévisuelle en un puissant support de propagande pour une société de consommation d’un type nouveau. La Télévision n’a pas inventé le consumérisme, certes, mais elle l’a exacerbé dans des proportions délirantes. Je ne parlerais donc pas d’une position de médiation et de régulation, surtout quand on est conscient du caractère artificiel, préparé et faussé de ces situations « problématiques » à réguler, mais d’un transfert, complexe et partiel, d’allégeance. Pour parler vite, nous dirons que ce transfert d’allégeance de la Télévision s’est opéré de l’Etat au marché. On énonce ainsi trois entités extrêmement abstraites qu’il conviendrait d’approfondir plus longuement (Télévision, Etat et marché). Pour conclure, l’intérêt soudain de la télévision pour la sphère privée relève d’avantage de la stratégie mercantile que de l’adoption samaritaine d’une volonté de voir évoluer son rôle, par rapport à la société civile, vers une mission de régulation et de médiation.

    La dernière période, celle que nous vivons, serait celle de la post-télévision. Celle-ci pourrait se résumer par le besoin croissant dans nos sociétés moderne d’une reconnaissance individuelle. Le « laissez-faire, laissez-passer » se couple alors du « laissez-voir ». Dans la même idée, alors qu’il semble y avoir une quête, de la part des téléspectateurs, vers plus « d’authentique », on pose les bases institutionnelles et morales d’un empire de l’imposture, en la personne des Téléréalités. La diffusion du Loft story en 2001 a provoqué une rupture radicale, certes, mais cette apparition ne se fit pas à partir de rien ou de manière soudaine. On peut en effet trouver toute une série de racines d’émissions dites de dévoilement dans les années 80 (Psy-Show, Moi, je) ou avec les reality shows (L’amour en danger, Perdue de vue). Jean Louis Missika parle de « lifeentainement », d’un genre télévisuel ayant évolué vers l’expérimental par la mise en situation de « cobayes », les participants, dans un environnement où ceux-ci se retrouvent confrontés à des « stimulis », sous le feu des projecteurs, dans l’attente, je n’ose dire l’étude, de leurs réactions. Alexandra Faure affirme que la fiction (réalité imaginaire), l’information (réalité rapportée) et le reality show (réalité constituée) sont des genres qui se sont faits dépassés par la réalité expérimentée, expression utilisée pour recouper l’ensemble des Téléréalités, un type d’émission inédit répondant à la recherche, par la télévision, de l’ordinaire. On constate en effet que tout est fait pour renforcer le sentiment de proximité des téléspectateurs avec les programmes qu’ils visualisent, que ce soit du présentateur aux candidats, du thème abordé aux règles du jeu (notamment sur le vote qui permet de faire participer le public directement en influant sur le cours du jeu par le biais de SMS surtaxés).

     Rien n’est plus amer pour l’analyse critique que ce maquillage astucieux du marketing sous les oripeaux de « l’ordinaire », du « concret » et du « réel ». Si l’Etat veut assumer son rôle de conservateur de l’ordre social, il lui revient de s’emparer de cette problématique qui pose des graves questions en matière d’aggravation de la destruction, permise par la crise, du lien social et du rapport à l’autre dans les milieux populaires. Sans doute les médias aiment-ils utiliser le vide, la vulgarité et la stupidité comme une pompe aspirante de la colère gagnant « la common deacency » orwellienne du peuple de France. Une fois le débat posé en ces termes, je pense qu’interdire une grande majorité des programmes de Téléréalité est une hypothèse envisageable, voir souhaitable si l’on désire des gens doués d’esprit critique et non pas des consommateurs obéissants.

     

  • Libé dirigé par ex batar

    Le nouveau directeur de Libération, ancien sympathisant du Bétar ?

    Selon nos informations, Pierre Fraidenraich aurait défilé dans les rangs de l’extrême droite ultra-sioniste en 1982, et il ne serait pas le premier. En effet l’extrême droite juive est en passe de devenir un certificat d’appartenance à l’élite française. Comme l’ENA…

    Dans son édition du 2 avril à la page « Nous sommes un journal », « les salariés de Libération » (c’est la signature du papier) s’insurgent contre la nomination de Pierre Fraidenraich. Ce qui dérange les journalistes, c’est que Fraidenraich soit « de droite ». Il lui est en effet reproché par exemple d’être un proche de Sarkozy. Pire, il aurait déclaré en 2008 : « C’est une règle élémentaire de bienséance d’être convenablement coiffé, rasé, habillé. » On frise en effet la dérive totalitaire. De plus, Robert Ménard, « déjà pas très fréquentable », a été recruté à i>Télé quand Fraidenraich dirigeait la chaîne du groupe Canal+.

    Le billet reprend également les informations dont nous vous faisions part dès le 29 mars : le nouveau directeur opérationnel du quotidien, proche d’Arthur, est un membre du Siècle. Ce que « les salariés » ne lui reprochent d’ailleurs pas, puisque après tout, il est « comme Laurent Joffrin et Nicolas Demorand avant lui ». Mais les salariés de Libé ne savent pas tout…

    Selon des informations concordantes, Pierre Fraidenraich aurait été sympathisant du Betar/Tagar dans sa jeunesse, lors de son passage au Lycée Victor-Duruy en 1982. Le directeur de Libérationa notamment manifesté en 1982 à Paris dans les rangs de celle milice juive, en soutien à l’opération militaire lancée par l’armée israélienne au Sud-Liban, opération meurtrière sobrement baptisée « Paix en Galilée ». Quelques temps avant les massacres de Sabra et Chatila, Fraidenraich scandait-il donc « Begin, Sharon, nous sommes avec vous ! » dans les rue de Paris ? Il devait en tout cas, plus tard, réaliser un reportage sur le Bétar, en toute neutralité, bien sûr. Le reportage fut diffusé sur La Cinq dans l’émission Reporters du 18 mai 1990.

     

     

    Pierre Fraidenraich ne serait pas le premier à s’être joint au Bétar. Ruth Elkrief (présentatrice « star » à BFM TV) en fut aussi une très proche et le géopoliticien Frédéric Encel en fut secrétaire général de la branche jeunesse. Meyer Habib, impliqué dans l’attaque par l’« Organisation juive de combat » de la fête de commémoration de Jeanne d’Arc le 8 mai 1988 (8 personnes blessées dont deux fonctionnaires de police), deviendra vice-président du CRIF et membre de l’UDI.

     

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    Extrait du livre Les Guerriers d’Israël d’Emmanuel Ratier (Facta, 1995)

     

    Impliqué également ce jour-là, un certain Paul Bismuth, dont son ancien camarade de classe Thierry Herzog et Nicolas Sarkozy utiliseront plus tard l’identité pour ouvrir une ligne téléphonique...

     

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    Extrait des Guerriers d’Israël, p. 333

     

    Il semblerait donc que le passage par les milices de l’extrême droite sioniste soit en train de devenir la formation qualifiante pour appartenir à l’élite française. La rédaction de Libé n’est vraiment pas au bout de ses peines…