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France - Page 17

  • Cannabis vs Alcool

     

    Suite à l’article « Cannabis, données essentielles », de vives réactions sont venues alimenter le débat, en criant au scandale de l’alcool qui jouissait encore d’une bonne notoriété alors que sa consommation est bien plus redoutable. Comme je suis tout à fait d’accord avec cette assertion, mais partant du principe que même s’il y a pire ailleurs, ce n’est pas une raison pour ne pas en parler, j’entreprends de comparer les données du cannabis avec celles de l’alcool.

    L’alcool est avec le tabac la substance psychoactive la plus consommée en France, même si on note une diminution régulière de celle-ci. On estime à 42,5 millions les expérimentateurs (12-75 ans) de l’alcool en France. Les usagers réguliers sont estimés à 9,7 millions. Pour le cannabis, on dénombre 12,4 millions d’expérimentateurs et 550 000 usagers réguliers.

    Lors d’une enquête menée en 2002, 61 % de la population déclarent se sentir informés sur les drogues. Lorsqu’on leur demande de citer les principales drogues, 82 % des sondés citent le cannabis contre 18,8 % l’alcool. L’alcool jouit encore d’une notoriété bien installée et n’est pas considéré comme une drogue. Cependant, 70 % des sondés sont convaincus que l’abus d’alcool représente des dangers plus grands pour la société que la consommation de substance illicite, notamment le cannabis.


    Les effets de l’alcool

    L’alcool n’est pas digéré, il passe directement du tube digestif aux vaisseaux sanguins. En quelques minutes, l’alcool se retrouve dans toutes les parties de l’organisme, véhiculé par le sang. Le taux d’alcoolémie est donc très rapidement élevé et baisse progressivement avec le temps selon la quantité absorbée. Il augmente très rapidement d’autant que l’on a mangé ou non lors de l’absorption. Il faut compter en moyenne, une heure par verre absorbé, pour voir son alcoolémie diminuer.

    L’alcool provoque un état d’ivresse qui peut entraîner des troubles digestifs, des nausées, des vomissements, une nette diminution de la vigilance, une perte de contrôle de soi qui peut conduire à des comportements violents, à des passages à l’acte, des agressions sexuelles, suicides, homicides. Mais aussi à une exposition à des agressions par une attitude parfois provocatrice, ou tout simplement par la faiblesse induite par l’alcool qui rend la personne inapte à se défendre. Elle devient donc une proie privilégiée selon le degré d’imbibition.

    La consommation régulière augmente le risque de nombreuses pathologies comme le cancer (bouche, gorge, œsophage...), la cirrhose, maladie du pancréas, troubles cardiovasculaires, hypertension artérielle, maladies du système nerveux et troubles psychiatriques (anxiété, dépression, troubles du comportement).

    Il existe une réelle dépendance à l’alcool. La personne est incapable de diminuer ou d’arrêter sa consommation, malgré les dommages. Des symptômes apparaissent comme les tremblements, crampes, anorexie, trouble du comportement. Cette dépendance s’accompagne de difficultés majeures d’ordre relationnel, social, professionnel, sanitaire et judiciaire.

    De plus la consommation d’alcool lors de la grossesse a des effets dévastateurs pour l’enfant à naître. Le seuil de consommation n’étant pas défini, il est vivement recommandé de s’abstenir durant toute la période de grossesse.


    Les effets du cannabis
    Une prise de cannabis entraîne une euphorie souvent modérée et un sentiment de bien-être suivis d’une somnolence, mais aussi un affaiblissement de la mémoire à court terme (dite de travail) et des troubles de l’attention. En fonction de la dose, de la tolérance et de la sensibilité de l’usager, une altération des performances psychomotrices apparaît ainsi que des troubles de l’attention et de la coordination motrice, de l’allongement du temps de réaction, une altération des capacités cognitives et des modifications des perceptions sensorielles et de l’évaluation du déroulement du temps. Ces troubles peuvent devenir aigus ou chroniques.

    Sur le plan somatique, une prise de cannabis provoque une accélération du débit et de la fréquence cardiaque et une dilatation des vaisseaux sanguins périphériques pouvant entraîner une hypotension en position debout, des maux de tête, une hypersudation. Elle est également responsable des fameux « yeux rouges ». Dans un premier temps, l’inhalation provoque une dilation bronchique responsable de réactions inflammatoires susceptibles d’entraîner une toux. L’appétit augmente également.


    Consommation
    Si le cannabis est la drogue illicite la plus consommée en France, l’alcool est la drogue licite, avec le tabac, les plus consommés.

    15 % des adultes déclarent consommer de l’alcool tous les jours. Ce sont les 45-75 ans qui en consomment le plus quotidiennement, alors que l’usage quotidien chez les jeunes est plus rare. Contrairement au cannabis, plus populaire chez les jeunes et qui voit sa consommation diminuer avec l’âge.

    Pour les deux produits, ce sont les hommes les plus consommateurs. On dénombre 42,5 millions d’expérimentateurs, dont 39,4 millions consommateurs occasionnels, et dont 9,7 millions de consommateurs réguliers d’alcool contre 550 000 de consommateurs réguliers de cannabis.

    Si la France fait partie des pays les plus consommateurs de cannabis en Europe, elle se situe à la quatrième place pour l’alcool. Ce sont les Pays-Bas qui détiennent la première place pour la consommation d’alcool chez les jeunes (20e pour la France), alors qu’ils sont 16e pour une consommation globale.


    Risques et conséquences de l’abus d’alcool

    La consommation excessive d’alcool est associée à d’importants dommages sur le plan sanitaire et social.

    L’alcool est directement à l’origine d’un peu plus de 22 500 décès (2000), que ce soit par cirrhose, psychose alcoolique ou cancer. 80 % étaient des hommes et 50 % âgés de moins de 65 ans. Mais l’alcool est également impliqué dans de nombreuses pathologies et causes de décès (AVC, accidents de la route, domestiques, etc.). On peut donc estimer à environ 45 000 le nombre de décès attribuables à l’alcool.

    Un tiers de l’ensemble des décès par accidents de la route est imputable à l’alcool, soit 2 300 décès par an. Le nombre de décès décroît régulièrement depuis plusieurs décennies, expliqué par la diminution de la consommation, mais aussi par les progrès thérapeutiques.

    En termes de recours aux soins, 80 à 90 000 personnes ont été reçues dans le système spécialisé de soins en 2003. 93 000 séjours avec diagnostic de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de l’alcool ont été comptabilisés et plus de 26 000 séjours pour sevrage alcoolique. Une enquête auprès des médecins de ville a révélé un nombre de 48 000 pour les patients vus en une semaine pour sevrage alcoolique.

    Un tiers des nouveaux consultants dans les structures spécialisées est demandeur d’emploi ou exerce une activité précaire, 12 % n’ont pas de domicile stable.

    En 2003, 67 400 personnes ont été interpellées pour ivresse publique, plus de 243 000 dépistages de l’alcoolémie routière se sont révélés positifs. Les tribunaux ont prononcé environ 104 600 condamnations pour conduite en état alcoolique, 3 736 pour blessures involontaires par conducteur en état alcoolique et 421 pour homicide par conducteur en état alcoolique. Les autres infractions n’ont pas fait état de mesure en France.

    On dénombre 230 accidents attribuables à la consommation de cannabis.


    Faits et chiffres
    12,4 millions d’expérimentateurs de cannabis contre 42,5 millions pour l’alcool.

    1,2 million de consommateurs occasionnels de cannabis contre 39,4 millions pour l’alcool.

    550 000 usagers réguliers de cannabis contre 9,7 millions pour l’alcool.

    49,5 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis avec un début vers l’âge de 15 ans. Si avant 14 ans la consommation d’alcool reste rare, à 17 ans 57 % déclarent avoir déjà été ivres. 46 % d’entre eux ont eu un comportement d’alcoolisation correspondant au binge drinking anglo-saxon. Contrairement à l’alcool, l’usage intensif ponctuel ne présente pas les mêmes risques.

    La peine encourue peut aller jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende pour l’usage de cannabis. La conduite sous l’emprise de stupéfiants est sanctionnée d’une peine de 2 ans et de 4 500 euros d’amende. Pour l’alcool, l’ivresse publique et manifeste est actuellement passible d’une contravention de 2e classe (150 € d’amende). L’ivresse dans une enceinte sportive constitue un délit passible d’emprisonnement, notamment en cas de violences. L’alcoolémie au volant est passible entre autres d’une peine d’amende (de 135 à 4 500 €), du retrait de points du permis de conduire, de la suspension ou du retrait du permis, voire d’une peine de prison. En cas d’accident corporel, les peines sont aggravées et peuvent atteindre dix ans d’emprisonnement en cas d’homicide involontaire avec manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence.

    Le coût social du cannabis s’élève à 919 millions d’euros, soit 0,06 % du PIB de 2003 ou encore un peu plus de 15 euros par habitant. Pour l’alcool, le coût social s’élève à 2,37 % du PIB soit 599 euros par habitant. Soit 40 fois plus que le cannabis.
  • Le football, illustration extrême du néolibéralisme

     

    Le transfert d’Edinson Cavani au PSG pour la bagatelle de 64 millions d’euros est le 4ème transfert le plus cher de l’histoire du football. Une nouvelle illustration des dérives du football business dont on voit tous les jours davantage qu’il n’est que le cirque de l’anarchie néolibérale globalisée.

    L’argent pour seule règle
     
    Bien sûr, le football peut être un très beau sport et l’on peut encore vibrer devant les exploits de telle ou telle équipe ou de tel ou tel joueur, mais le spectacle qu’il donne depuis trop longtemps est de plus en plus cynique. En effet, que penser des plus grands joueurs, devenus des mercenaires payés jusqu’à un million d’euros par mois (plus de 600 SMICs), prêts à se vendre à n’importe quel milliardaire désireux de les recruter ? Que penser de la compétition devenue totalement inégale avec des clubs qui bénéficient du mécénat plus ou moins intéressé d’un oligarque russe ou d’un émir ?
     
     
    Il n’est pas inutile de rappeler ici qu’en 2012-2013, le budget moyen des clubs de la ligue tournait autour de 50 millions d’euros, variant entre 19 et 60 millions du moins fortuné au 6ème. L’Olympique de Marseille, sur la dernière marche du podium, affichait un budget de 110 millions, contre 145 pour Lyon, second et très loin derrière le PSG version quatari, à 300 millions. Pire, cette année, le budget est annoncé en hausse de 100 millions (l’équivalent du budget total du 4ème club de la ligue 1…), à 400 millions. Seuls Barcelone et le Real de Madrid affichent encore un budget supérieur en Europe.
     
     
    Naturellement, ces chiffres n’ont aucun sens économique, du moins au démarrage. Les pertes réalisées par les plus grands clubs sont totalement abyssales (232 millions pour Manchester City en 2010-2011). Mais, au bout d’un certain temps, certains clubs européens peuvent arriver à l’équilibre. Mais le plus souvent, de généreux mécènes règlent la note, sauf quand, comme en Espagne, ce n’est pas tout simplement par un recours délirant à l’endettement que les clubs de football financent leurs dépenses somptuaires (15 milliards de dettes brutes et 1,6 milliards de pertes en 2010 en Europe).
     
    Un mauvais exemple pour la jeunesse
     
     
    Jean-Claude Michéa, dans son dernier livre, porte un jugement dur sur les dérives du football business. Il faut dire que ce beau sport s’est transformé en une célébration de l’argent roi, où les plus riches gagnent, où les joueurs ne sont plus guidés que par leur compte en banque. Pire, la place de l’argent est contestable. Tout d’abord, le critère de rentabilité n’entre pas forcément en compte pour les oligarques ou les émirs qui dépensent des sommes folles. Ensuite, on peut même avoir des doutes sur la propreté de l’argent dépensé, comme le rappelle The Economist dans ce papier.
     
    Quel triste modèle donné à la jeunesse que ce jeu où des joueurs trop souvent mercenaires et mal élevés amassent des fortunes. Quel triste modèle donné à la jeunesse que ce jeu où les plus riches gagnent quelle que soit l’origine de l’argent et sans rapport avec le sens économique ? Quel triste modèle également que ce sport qui refuse de mettre en place un arbitrage vidéo qui permettrait de sanctionner les tricheurs et ainsi d’éviter de leur donner le beau rôle, comme cela est un peu le cas aujourd’hui. Quel triste spectacle que ces clubs de plus en plus déracinés de la région d’où ils viennent.
     
    Comme le soutient Michéa dans son dernier livre, ne faudrait-il pas revenir sur le fameux arrêt Bosman, et ainsi limiter le nombre de joueurs étrangers dans chaque club ? Cela valoriserait les clubs qui sont capables de former les jeunes dans un centre d’apprentissage, la recette du succès d’Auxerre avant le triomphe de l’argent-roi. Et cela créerait un lien entre le club et ses supporters. Il faudrait également envisager des règles permettant d’éviter cette concurrence déloyale des grands clubs, comme cela se fait aux Etats-Unis, soit par des contraintes budgétaires ou de recrutement.
     
    De nos jours, le football donne un triste spectacle qui n’est, après tout, que le reflet du système économique que nos dirigeants ont laissé se construire, où la règle du plus fort est toujours la meilleure. Dans la réforme à venir, il ne faudra pas oublier d’en soigner toutes les dérives, y compris sportives.

     

  • De l’autoroute publique aux péages privés


    Jeudi 26 juillet.
     La Cour des comptes et la commission des finances de l’Assemblée ont dénoncé mercredi dans un rapport (PDF) la hausse des péages et les conditions accordées aux sociétés concessionnaires des autoroutes privatisées en 2006. Une opération juteuse pour ces dernières, et largement opaque, au détriment de l’Etat français qui organise ainsi sa propre spoliation… comme l’illustrait déjà en juillet 2012 Philippe Descamps.

    Comment l’Etat français organise sa propre spoliation

     

    Amorcée par le gouvernement de M. Lionel Jospin, puis généralisée par celui de M. Dominique de Villepin, la privatisation des autoroutes illustre le capitalisme de connivence à la française. L’Etat impose le système coûteux du péage, assume l’essentiel des risques, puis organise la captation de la rente par les grands groupes.

    par Philippe Descamps, juillet 2012

    « L’usage des autoroutes est en principe gratuit (1). » Enjolivée par cette belle proclamation, la loi de 1955 portant statut des autoroutes a instauré dans les faits la règle du péage. Ce texte restaurait l’un des droits féodaux abolis par la Révolution française, et fondait un système mêlant investissements publics et bénéfices privés. Le recours aux sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes (Semca, dont le capital reste contrôlé majoritairement par l’Etat) financées par le péage n’était dans un premier temps prévu que « dans des cas exceptionnels » ; mais il devint rapidement la norme, au nom du « rattrapage ». En ce milieu des années h1950, l’Allemagne comptait déjà plus de trois mille kilomètres d’autoroutes et l’Italie, plus de cinq cents ; la France, à peine quatre-vingts.

    Les justifications économiques, sociales, puis environnementales du péage demeurent pourtant fragiles. De grands pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont rapidement développé des réseaux très denses et gratuits. La prise en charge par la collectivité leur a permis de garantir le respect des priorités en matière d’aménagement du territoire, à un coût bien moindre que celui des liaisons à péage, obligatoirement bâties en doublon du réseau existant. Le financement par le péage, nettement plus coûteux, engendre une plus grande emprise sur le territoire et n’a pas permis de réaliser les liaisons les plus vitales, directement payées par l’Etat. En outre, l’égalité des usagers devant le service public n’est pas assurée : dans certaines régions, comme en Bretagne, les autoroutes demeurent gratuites.

    Tant que conduire restait un privilège, il pouvait paraître socialement plus juste de financer les autoroutes par le péage plutôt que par l’impôt. Lorsque la possession d’une voiture se banalise, dans les années 1960 et 1970, cet argument perd de son poids. Pour les automobilistes les plus modestes, le coût des péages ou des taxes sur les carburants devient plus lourd que ne le serait un surcroît d’impôt calculé en fonction des revenus.

    Les péages ont également favorisé un modèle du « tout camion » financé par les automobilistes. En étudiant les tarifs de 2012 sur une vingtaine des principaux parcours, on observe qu’un poids lourd de quarante tonnes (bientôt quarante-quatre) paye en moyenne trois fois le prix d’un véhicule léger, de trois tonnes et demi ou moins. Pourtant, les coûts d’investissement et d’entretien générés par le trafic des camions sont sans commune mesure avec ceux des automobiles ou des motos. Une étude récente établit que le montant de la construction des chaussées pour les camions à trois essieux ou davantage représente plus de cinq fois celui des voitures (2). Elle confirme surtout que l’usure des autoroutes ne doit rien à ces dernières. Les dépenses d’entretien structurel ne sont imputables qu’aux poids lourds, avec un niveau quatre cents fois supérieur pour un quarante tonnes que pour un douze tonnes.

    L’évolution des Semca témoigne de celle de la technostructure des routes. Les concessionnaires, d’abord très liés à l’administration, aux ingénieurs de l’équipement et aux emprunts garantis par la collectivité, ont travaillé de plus en plus en cheville avec les acteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui ont saisi l’intérêt de recruter d’anciens commis de l’Etat. Ainsi, en 1969, le ministre de l’équipement et du logement Albin Chalandon leur donne davantage d’autonomie. Les premières concessions à des sociétés à capitaux entièrement privés apparaissent (AREA, Acoba, Appel). Mais, dès la fin des années 1970, celles-ci se montrent incapables d’assurer conjointement les lourds investissements nécessaires et l’exploitation. A l’exception de Cofiroute, toutes ont été rachetées par l’Etat, qui leur a remboursé leur mise de départ et « a finalement assuré les risques pour lesquels leur contribution avait été sollicitée », constatait la Cour des comptes en 1992 (3).

    Il est devenu difficile de se passer de la manne du péage… quitte à faire évoluer sa justification. Le régime des concessions apparaît sans limites, le recours au péage sans fin. Les premiers droits de passage étaient légitimés par la nécessité de rembourser le coût des travaux. Dès l’amortissement des infrastructures, un glissement s’opère vers les nouvelles sections à construire… Les artères les plus rentables permettent de financer d’autres itinéraires, rentables ou non. Cette pratique dite de l’« adossement » s’est étendue jusqu’au coup d’arrêt du Conseil d’Etat en 1999.

    Au prétexte de la dette

    Contraint de mettre fin à l’adossement, le gouvernement de M. Lionel Jospin (Parti socialiste, PS) sépare le financement des nouvelles autoroutes en créant des concessions distinctes, sans revenir sur les anciennes ni baisser les droits de péage des autoroutes déjà amorties. En mars 2001, M. Laurent Fabius, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, décide d’aligner le régime des Semca sur celui des sociétés privées, arguant de la possibilité pour celles-ci de concourir à l’étranger. Les concessions sont prolongées jusqu’à 2026 et 2028, voire 2032 selon les réseaux. Juste avant de quitter le pouvoir, en 2002, M. Fabius décide également de céder au privé 49 % du capital d’Autoroutes du sud de la France (ASF), le premier concessionnaire français.

    A l’entrée dans le XXIe siècle, l’équipement de la France semble arriver à maturité. Sur les 20 542 kilomètres constituant le réseau routier national en 2011, on compte 3 170 kilomètres d’autoroutes non concédées, qui restent financées par le budget de l’Etat, et 8 771 kilomètres d’autoroutes concédées. Les nouvelles constructions deviennent marginales. La charge des emprunts ne peut aller qu’en s’amenuisant. Devenu premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin (Union pour un mouvement populaire, UMP) prend l’engagement de conserver à l’Etat la responsabilité des autoroutes et de certaines grandes liaisons structurantes pour l’aménagement du territoire.

    Pourtant issu de la même majorité, son successeur change radicalement d’orientation. M. Dominique de Villepin décide en effet de privatiser toutes les Semca par décret, sans vote du Parlement. Au début de 2006, le capital encore public des sociétés ASF, Société des autoroutes du nord et de l’est de la France (Sanef), Société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN), Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APPR) et Area est cédé pour 14,8 milliards d’euros, alors que ces sociétés bénéficient de concessions valables encore entre vingt-trois et vingt-sept ans… Certes, l’Etat reste propriétaire du réseau, mais c’est un propriétaire qui laisse à d’autres la jouissance de ses investissements. Le terme des concessions, entamées pour certaines dans les années 1950, est si lointain que l’on trahit l’esprit du préambule de la Constitution (27 octobre 1947) selon lequel « un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ».

    Pour faire avaler la pilule de la privatisation, le rapport d’information sur la « valorisation du patrimoine autoroutier » du député Hervé Mariton (UMP) invoque l’emploi et les besoins budgétaires (4). La dette devient un instrument au service d’intérêts particuliers. Et si l’élu de la Drôme pointe l’avis de la direction des routes, qui « met en garde contre les risques de comportement prédateur sur l’activité des Semca », il juge ces craintes « exagérées ». En insistant sur l’apport immédiat des privatisations pour les caisses de l’Etat, on tente de faire oublier les dividendes à venir qui lui échapperont.

    Quelques données fondamentales avaient de quoi appâter les « investisseurs » privés. Les autoroutes procurent, en fait, un quasi-monopole naturel. La demande de déplacements plus sûrs et plus rapides ne semble pas près de se tarir : en 2010, il y avait 5,25 fois moins de probabilité de se tuer sur une autoroute que sur une route départementale, et 6,6 fois moins que sur une nationale. Les autoroutes assurent 25 % de la circulation pour moins de 1 % du réseau asphalté. Avec environ 20 % du réseau concédé en Europe, les autoroutes françaises représentaient plus de 31 % des revenus des péages européens en 2011 (5). La rente se révèle confortable. Elle a été estimée dans le rapport Mariton entre 34 et 39 milliards d’euros sur la durée des concessions. C’était sans compter sur l’ingéniosité des nouveaux actionnaires...

    « Distorsion entre péages et coûts », « opacité des tarifs », « maximisation des recettes » : la Cour des comptes formule dès 2008 les nombreuses incohérences et dérives du système autoroutier français (6), « devenu trop favorable aux concessionnaires ». Les magistrats dénoncent notamment la coexistence de plusieurs régimes juridiques « qui donnent au système de détermination des péages un caractère disparate, voire arbitraire ». Les concessionnaires profitent aussi d’une indexation contractuelle sur les prix, injustifiée au regard de leur gain de productivité, et de « hausses additionnelles mal étayées ». Leur meilleure astuce réside dans la technique du « foisonnement ». Celle-ci consiste à respecter en principe les tarifs moyens accordés, tout en faisant porter les hausses en priorité sur les trajets les plus fréquentés. Le tarif de l’itinéraire Mantes-Gaillon, par exemple, a pu grimper de 5,1 % par an pendant douze ans. Au total, note la Cour, « les recettes effectives des sociétés concessionnaires augmentent plus qu’elles ne le devraient par rapport aux niveaux de tarifs affichés et aux hausses accordées ».

    Un an après cette première enquête, la Cour constate que l’accroissement des recettes demeure élevé : « Au premier semestre 2008, les recettes de péage ont progressé respectivement de 4,8 % et 4,5 % pour les groupes ASF et APRR, et les produits totaux d’exploitation de 5,6 % pour le groupe Sanef, dans un contexte de quasi-stagnation de leur trafic. » Et, quand les magistrats insistent pour clarifier le système, compenser les hausses injustifiées ou revoir l’indexation, tant les concessionnaires que le gouvernement leur opposent le strict respect du sacro-saint « contrat » et « l’équilibre financier de la concession tel qu’il a pu être établi à son origine (7) ».

    Tant que les dividendes étaient réinvestis dans les infrastructures, la complaisance de l’administration vis-à-vis des concessionnaires n’était pas forcément contraire à l’intérêt public. Mais après la privatisation, les pouvoirs publics ont continué à homologuer sans rechigner des tarifs de plus en plus favorables aux actionnaires. L’Etat renonçait ainsi à exercer ce qu’il lui restait d’autorité réglementaire, au détriment de l’usager.

    La préoccupation pour l’emploi relevait elle aussi d’une fable dont le personnel des péages, remplacé massivement par des automates, a fait les frais. Tandis que les slogans du groupe Vinci vantent « l’homme, au cœur des réussites d’ASF », le dialogue social se détériore. Les intersyndicales dénoncent une « austérité salariale » s’appuyant sur l’individualisation des augmentations. La réduction du personnel s’accélère. Escota (groupe Vinci-ASF), par exemple, aurait perdu 18 % de ses effectifs entre 2007 et 2009 (8).

    Les principaux actionnaires des sociétés d’autoroutes sont issus du BTP. On y retrouve les financiers traditionnels des campagnes électorales. Et c’est donc sans surprise que l’on voit arriver à la tête de l’une d’entre elles l’un des chouchous des oligarques français, M. Alain Minc, nommé à la fin de 2011 à la présidence de la Sanef.

    Les acteurs du système autoroutier illustrent en définitive cette coalition d’adversaires des grands services publics décrite par l’économiste James K. Galbraith : « Aucune de ces entreprises n’a intérêt à rétrécir l’Etat, et c’est ce qui les distingue des conservateurs à principes. Sans l’Etat et ses interventions économiques, elles n’existeraient pas elles-mêmes, et elles ne pourraient pas jouir du pouvoir de marché qu’elles sont parvenues à exercer. Leur raison d’être est plutôt de tirer de l’argent de l’Etat — tant qu’elles le contrôlent (9). »

    Philippe Descamps

    Journaliste.

    (1Loi du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes. Texte toujours en vigueur dans sa version consolidée du code de la voirie routière, article L122-4.

    (2) «  Imputation aux usagers PL et VL du coût d’infrastructure des routes  », rapport du service d’études sur les transports, les routes et leurs aménagements, Bagneux, juin 2009.

    (3) «  La politique routière et autoroutière, évaluation de la gestion du réseau national  », rapport public de la Cour des comptes, Paris, mai 1992.

    (4) Hervé Mariton, «  La valorisation du patrimoine autoroutier  », rapport d’information de l’Assemblée nationale, 22 juin 2005.

    (5) Données de l’Association européenne des concessionnaires d’autoroutes et d’ouvrages à péage.

    (6) «  Rapport public annuel  », Cour des comptes, 6 février 2008.

    (7) «  Rapport public annuel  », Cour des comptes, 4 février 2009, et réponse de la ministre de l’économie.

    (8Le Canard enchaîné, Paris, 21 septembre 2011.

    (9) James K. Galbraith, L’Etat prédateur. Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant, Seuil, Paris, 2009.

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  • Vacanciers et fauchés :

     Comment survivre aux « tarifs aoûtiens »

    Elsa Ferreira | Journaliste

    Pour partir les poches vides, il faut de la débrouille. Cinq futurs vacanciers nous racontent comment ils espèrent conjuguer vacances et budget serré.


    Une voiture stationnée sur le bord d’une route (John Millar/Flickr/CC)

    LES FRANÇAIS VEULENT PARTIR, MAIS NE SAVENT PAS ENCORE OÙ

    L’année dernière, 63% des Français sont partis en vacances. Cette année, 66 % espèrent partir pendant l’été. Mais vouloir n’est pas toujours pouvoir : à ce jour, seulement 44 % des vacanciers sont certains de partir. Pour les 22 % restants, on en est toujours au stade de projet, selon un sondage réalisé pour Easyvoyage.

    Pour faire dégonfler la facture (859 euros par personne en moyenne), les vacanciers partent moins loin ou comptent sur l’improvisation : sept Français sur dix ne quitteront pas le pays cet été, et un quart d’entre eux n’ont toujours pas choisi leur destination.

    Glwadys est à découvert. Nous sommes le 1er du mois. Elle a tout de même décidé de partir deux semaines à Prague en août, et prend sa situation avec humour :

    « J’ai bon espoir : j’ai planté des pièces de dix centimes dans un pot, et je soulève toutes les pierres que je croise. Je trouverai le budget. »

    Virginie aussi prend la période de vacances avec philosophie, malgré un budget plus que serré. Au chômage depuis six mois, elle a décidé de s’accorder du bon temps. Pour les dettes qui s’accumulent, à la banque et auprès des amis, on verra plus tard. Même si ça lui pèse souvent, « surtout la nuit ». Avec un ton de défiance, elle écrit :

    « Des vacances, j’en ai prévu. Eh ouais. On part en Sicile. Juste comme ça. Et après nous, le déluge. »

    De la philosophie, il en faudra pour ces Français qui ont passé leur année à rogner par tous les bouts leur budget pour faire face à la baisse du pouvoir d’achat. Partira, partira pas ? La question reste ouverte.

    1. Sylvia, 24 ans, 600 euros pour deux semaines de road trip en Écosse
    2. Claire, 30 ans, 300 euros pour un mois en van (et en famille) en France
    3. Janis, 32 ans, 400 euros pour deux mois de vacances à domicile
    4. Caroline, 31 ans, 150 euros pour deux semaines en système D
    5. Jacqueline, 44 ans, 1 000 euros à deux pour trouver une maison à retaper

    Sylvia « ne gagne pas un salaire mirobolant », mais elle adore voyager. Avec un week-end tous les deux mois et un grand voyage par an, elle est devenue la reine « des dépenses sans parachute ». Quitte à se mettre, un peu, en difficulté :

    « Les voyages, c’est ma priorité. Même si j’ai un pépin, je préfère taper dans mon découvert (autorisé), ou demander un délai de paiement aux administrations plutôt que de toucher à mon budget voyage. C’est sûr que ce n’est pas l’attitude la plus responsable, mais c’est la mienne ! »

    Un « mélange de chance et de culot », qui pour l’instant marche bien.

    Sylvia est chargée de la communication dans un centre d’art contemporain. Payée au smic, elle met entre 100 et 150 euros de côté par mois pour partir.

    Elle est aussi photo-reporter de vocation. Une passion qu’elle « ne veut pas lâcher ». Elle profite donc de ses voyages pour faire des reportages qu’elle vend ou présente à des concours. Avec l’argent gagné, elle découvre un nouveau pays. Et ainsi de suite.

    Elle remplit aussi des dossiers de demande de bourses (« des heures de boulot »). Il y a quelques années, elle a ainsi obtenu 500 euros de la mairie de Paris pour partir en Inde.

    Un cycle d’autofinancement qui demande de l’énergie (elle y consacre pratiquement tout son temps) mais qui fonctionne : une série de photos en Afrique du Sud lui a permis de remporter un concours organisé par une compagnie aérienne. Le prix : un billet pour le Chili, un autre pour le Vietnam où elle a réalisé un reportage pour le National Geographic.

  • Commissions d’intervention

    Commissions d’intervention plafonnées : banquière, j’applaudis

    berengere1981 | Riveraine


    Une machine à sous (Adriagarcia/Flickr/CC)

    Le plafonnement des commissions d’intervention annoncé par le ministre de l’Economie Pierre Moscovici est une bonne nouvelle et un pas efficace vers une réglementation des frais bancaires. Après la loi Lagarde qui n’avait été qu’un immense cadeau aux banques, enfin une mesure juste.

    MAKING OF

    Les commissions d’intervention – ces frais facturés par les banques par exemple quand un client dépasse son découvert autorisé – ne pourront bientôt plus dépasser 8 euros par intervention et 80 euros par mois. Le plafonnement de ces commissions est prévu dans la loi bancaire votée ce jeudi. Le plafond a été annoncé vendredi par Pierre Moscovici.

    Chargée d’affaires dans une grande banque régionale, notre riveraine Bérengère applaudit. Mathieu Deslandes

    Pour tous ceux qui ne dépassent jamais leur découvert autorisé et se demandent ce qu’est une commission d’intervention, il s’agit d’une pénalité prélevée par la banque dès lors que vous dépassez votre découvert autorisé.

    Les clients ont tendance à les confondre avec les agios là où en réalité les agios ne coûtent pas grand-chose et sont légitimes puisqu’il s’agit du taux d’intérêt auquel la banque prête l’argent (puisqu’un découvert est par définition un crédit).

    Concrètement, comment se passe la gestion d’un compte débiteur ?

    Les comptes débiteurs, un jackpot

    Tous les matins, votre conseiller bancaire, quand il arrive au bureau, consulte la liste des comptes débiteurs qui a été générée par informatique. Il a donc accès à tous les comptes en dépassement et aux opérations en suspens : chèques et prélèvements principalement. A partir de là, il doit agir pour gérer le compte :

    • envoyer un courrier au client l’informant du débit (environ 15 à 20 euros) ;
    • envoyer un courrier l’informant du rejet prochain d’un chèque (également 15 à 20 euros) ;
    • rejeter des prélèvements (environ 20 euros) ;
    • bloquer la Carte Bleue (une quinzaine d’euros).

    S’il décide de laisser passer des opérations afin de ne pas pénaliser le client (rejeter l’école ou EDF n’est pas forcément une bonne idée), il se verra alors facturer les fameuses commissions d’intervention d’un montant d’environ 8 euros par opération.

    Ce qui devient drôle, c’est qu’ensuite, le conseiller peut mixer le tout :

    • le lundi, un prélèvement de 30 euros passe sur le compte, il facture donc une commission d’intervention (8 euros) ;
    • le mardi, il écrit au client pour lui demander de couvrir (20 euros) ;
    • le jeudi, comme il n’a pas couvert, le prélèvement est rejeté (20 euros).

    Soit potentiellement 48 euros de frais pour une opération de 30 euros !

    Le vrai scandale des banques ne réside pas tant dans les frais – tous ont une justification –, mais dans le manque de respect du client et la pression de certains directeurs qui ont compris le jackpot que représentent les comptes débiteurs.

    On ne gère pas ces cas comme une machine

    Il est bien plus compliqué de faire du résultat en étant compétent et en développant son portefeuille qu’en restant assis sur son bureau et en appuyant sur le petit bouton « rejet » de son ordinateur. Un prêt immobilier : 300 euros de frais de dossier pour des semaines de travail. Un chèque rejeté : 50 euros pour appuyer sur un bouton.

    Bien sûr que je rejette des prélèvements, des chèques et bloque des Cartes Bleues. Il s’agit de mon métier. En revanche, je n’ai jamais fait aucune opération sans appeler mon client avant (0 euro) afin de faire un point sur sa situation et n’ai jamais rejeté un prélèvement dont la somme des frais n’aurait pas fait baisser le débit de manière significative.

    On ne peut pas gérer ses débiteurs comme une machine. Chaque cas doit être étudié et réfléchi. On doit peser le ratio risque/intérêt client.

    Bloque-t-on vraiment la CB de la mère de famille qu’on n’arrive pas à prévenir et qui peut se retrouver en panne d’essence ou coincée à la caisse du supermarché ? Est-il cohérent de rejeter une facture de 20 euros qui coûtera la même somme en frais de rejet ? Rejette-t-on le prélèvement de Canal+ considéré comme un luxe par beaucoup de mes collègues mais qui est souvent la seule activité pour des clients totalement isolés socialement ? Comment donner des leçons à des gens à qui il reste 150 euros pour faire les courses une fois payés leur loyer et leurs assurances ?

    Nous avons le devoir moral de rester justes

    Ces questions, très peu de conseillers se les posent aujourd’hui et beaucoup ne se sentent aucune responsabilité vis-à-vis de leurs clients. Il est plus facile de matraquer un client à distance que de lui expliquer cela de vive voix.

    Ces commissions d’intervention ont un sens : faire des paiements sans provision oblige la banque à payer pour vous et elle prend le risque de ne pas avoir de couverture. Les agios également. Lorsque vous êtes à découvert, vous vivez à crédit et il est normal que ce crédit ait un taux débiteur.

    Je considère que la banque n’a aucune obligation de payer pour son client. Nous ne sommes pas un service public. En revanche, nous avons le devoir moral de rester justes dans nos décisions et nos pratiques.

    Voilà pourquoi cette réforme est une excellente nouvelle pour tous les clients en difficulté que leurs conseillers enfoncent par paresse ou incompétence, même si elle est moins bonne pour notre participation et notre intéressement.

    Quoique je ne m’inquiète pas : un de nos dirigeants arrivera sûrement à remplacer ces bonnes vieilles commissions par de nouveaux frais plus novateurs.