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Gouvernement français:décryptage - Page 4

  • Retraites: un avis...

    PS, droite et Medef réunis : “puisqu'on vit plus longtemps on doit cotiser plus longtemps” !

    On ne mesure pas suffisamment ce que cette phrase, que politiciens et media nous balancent à longueur de temps, cache de cynisme.

    C'est reconnaitre que le progrès n'est là que pour profiter aux riches et aux puissants, pas à ceux qui travaillent.

    Que les progrès technologiques et les gains de productivité aillent enrichir jusqu'à plus soif patrons et actionnaires : c'est normal !

    Mais que les salariés voient leur existence s'allonger grâce à l'amélioration des conditions de vie et de la médecine : et bien pas question qu'ils en profitent !

    En revanche, leur calcul est juste : pour diminuer l'espérance de vie rien de tel que d'allonger la durée du travail.

    C'est imparable, en tous temps et en tous lieux où on travaille plus longtemps : on meurt plus tôt !

    A l'inverse plus on diminue le temps de travail et plus on vit longtemps !

    Evidemment ils ne peuvent pas le dire aussi crument, alors ils enrobent !

    Bien sur ils auraient bien d'autres moyens de trouver l'argent qui va manquer pour assurer les retraites :

    • rapatrier fraude et évasion fiscale

    • reprendre les cadeaux de toutes sortes consentis aux entreprises qui réalisent les plus gros profits

    • taxer dividendes et spéculation

    • faire la réforme fiscale nécessaire pour plus de justice et une meilleure efficacité économique

    • aligner les retraites des politiciens sur celles des salariés (ça c'est juste pour qu'ils participent à l'effort collectif !)

    • etc etc

    Après, mais après seulement, ils pourront, éventuellement, envisager de faire travailler plus longtemps les salariés et d'amputer les pensions des retraités.

    Mais ça ne sera plus nécessaire !

    Le gouvernement pourra même alors prendre cette vraie mesure de gauche : augmenter les pensions, et donc la consommation, et donc l'emploi, et donc les recettes des caisses de retraite !

    Et puis, nos dirigeants qui sont nuls, incompétentents, lâches, passéistes, soumis à la finance, aux diktats de Bruxelles … sont aussi paresseux !

    Ils refusent de voir que le monde a changé.

    Ce qui était valable il y a 70 ans ne l'est plus aujourd'hui.

    Grâce (ou à cause) de la mondialisation, des nouvelles technologies, des gains de productivité et … de la spéculation, celà ne ressemble à rien de continuer à abonder les pensions avec les seuls prélèvements sur les salaires.

    Alors que les profits ont considérablement augmenté avec de moins en moins de salariés pour les réaliser et que certains ne font que “faire de l'argent avec l'argent”, c'est là qu'il faut prélever les cotisations retraites manquantes.

    Pour une même richesse produite une entreprise de machines outils emploiera 100 cotisants là ou 5 suffiront à un courtier en bourse par exemple. Et dans le premier cas la marge dégagée sera minime et les cotisations importantes alors que pour le second ce sera l'inverse : très forte marge et peu de cotisations.

    Il faut donc rétablir l'équilibre en modifiant l'assiette des charges sociales (dont celles des retraites).

    Ce n'est pas seulement une mesure juste humainement, c'est une nécessité économique : en plus de régler la question des retraites pour l'avenir, elle permettra la diminution des charges des entreprises productives de richesses (et donc leur compétitivité) et des salariés (et donc leur pouvoir d'achat).

     

    Sans cette décision réaliste, moderne, les caisses continueront à se vider et les travailleurs et les retraités continueront à être pressurés … en vain !

  • Retraites complémentaires: ce qui va changer

    Retraites complémentaires : une simulation pour comprendre l’impact de la réforme

    Le Monde | 30.10.2015 à 15h04 • Mis à jour le 30.10.2015 à 16h11 | Par Frédéric Cazenave

    A l’issue d’une ultime séance de négociations au siège du Medef, le patronat et trois syndicats (CFDT, CFTC, CFE-CGC) ont validé, vendredi 30 octobre, l’accord sur la réforme du régime des retraites complémentaires, destiné à renflouer les caisses de l’Agirc-Arrco.

    Cet accord, qui doit être formellement signé dans les jours qui viennent, comporte une mesure phare : la mise en place d’un système de bonus-malus pour inciter les salariés à décaler leur départ à la retraite.

    Lire aussi : Patronat et syndicats valident l’accord sur les retraites complémentaires

    À partir de 2019, les salariés qui auront atteint l’âge légal de départ à la retraite (62 ans) et la durée de cotisation requise pour obtenir une pension à taux plein, devront quand même travailler un an de plus. Sinon ? Ils subiront une décote de 10 % pendant deux ans (voire trois) sur leurs retraites complémentaires.

    Ceux qui travailleront deux années de plus - soit jusqu’à 64 ans - bénéficieront au contraire d’un bonus de 10 % pendant un an. Ce bonus grimpe respectivement à 20 % et 30 % pour trois et quatre années de travail supplémentaires.

    L’accord prévoit aussi une moindre revalorisation des pensions pendant trois ans. Celles-ci augmenteraient à un rythme inférieur à l’inflation de 1 point. Une mesure synonyme de perte de pouvoir d’achat pour les retraités. De même, décaler la revalorisation des pensions des régimes complémentaires au 1er novembre 2016, plutôt qu’en avril, entraînera un petit manque à gagner.

    Pour appréhender l’impact de ces mesures nous avons demandé au cabinet de conseils Optimaretraite de réaliser des simulations pour deux types de profils : un cadre gagnant 54 000 euros de salaire brut par an (salaire moyen des cadres selon l’Association pour l’emploi des cadres), et un salarié non cadre gagnant 20 544 euros annuels (salaire médian de 1 772 euros en France). Les deux ont travaillé tout au long de leur carrière et partent à la retraite à taux plein à 62 ans.

     

    1 - Impact du bonus-malus pour un cadre

    Montant de la pension avec les règles actuelles :

    Pour un départ en retraite à 62 ans il touche chaque année 29 290 euros.

    Montant de la pension avec la réforme :

    • Pour un départ à 62 ans, il subit la décote de 10 % sur les régimes complémentaires et perçoit donc 28 049 euros pendant ses trois premières années, avant de toucher à 65 ans le taux plein soit 29 290 euros.
      Sur cette période (de 62 à 65 ans), sa perte de pension atteint donc 3 723 euros par rapport aux règles actuelles.
    • Pour un départ à 63 ans, il n’aura pas d’abattement sur ses régimes complémentaires. Comme il a travaillé une année de plus que le taux plein, il a généré de nouveaux droits. Il touchera donc une pension annuelle de 30 740 euros.
      La réforme est neutre et ne change rien par rapport aux règles actuelles.
    • En cas de départ à 64 ans, il bénéficie d’un bonus de 10 % sur ses régimes complémentaires pendant une année. Il percevra donc 33 512 euros à 64 ans et 32 189 euros ensuite.
      Soit un gain de 1 323 euros par rapport à une personne qui déciderait aujourd’hui de partir à 64 ans.
    • En partant à 65 ans, le bonus est de 20 % sur les complémentaires. Il touche donc 36 372 euros la première année, puis 33 645 euros ensuite.
      Soit un gain de 2 727 euros par rapport à une personne qui déciderait aujourd’hui de partir à 65 ans.


    2 - Impact du bonus-malus pour un salarié non-cadre

    Montant de la retraite avec les règles actuelles :

    Départ en retraite à 62 ans, il touche chaque année une pension de 12 783 euros

    Montant de le pension avec la réforme :

    • Pour un départ à 62 ans, il perçoit 12 404 euros pendant ses trois premières années, avant de toucher le taux plein à 65 ans soit 12 783 euros.
      Sur cette période (de 62 à 65 ans), la perte de pension atteint donc 1 136 euros par rapport aux règles actuelles.
    • Pour un départ à 63 ans, la réforme est neutre et ne change rien par rapport aux règles actuelles.
    • En cas de départ à 64 ans, le bonus de 10 % sur ses régimes complémentaires pendant une année, permet un gain de 400 euros (pour une pension de 14 515 euros cette année là) par rapport à une personne qui déciderait aujourd’hui de partir à 64 ans.
    • En partant à 65 ans, le bonus de 20 % sur les complémentaires engendre un gain de 820 euros (pour une pension de 15 614 euros cette année là) par rapport à une personne qui déciderait aujourd’hui de partir à 65 ans.

     

    3 - Impact de la revalorisation des pensions

    La revalorisation des retraites pendant trois ans se fera donc à un rythme inférieur de 1 point à l’évolution des prix. La simulation ci-dessous se base sur une inflation de 1,5 % pendant 3 ans et intègre en 2016 le report de la revalorisation au 1er novembre.

    Cadre (pension annuelle de 29 290 euros)

    • Manque à gagner en 2016 : 129 euros
    • Manque à gagner entre 2016 et 2018 : 769 euros

    Non cadre (pension annuelle de 12 783 euros)

    • Manque à gagner en 2016 : 39 euros
    • Manque à gagner entre 2016 et 2018 : 235 euros

     

        
  • Le camp de regroupement de Calais : retours sur une violence

     

    26 juin 2015 | Par Les invités de Mediapart

     
     

     

    L'anthropologue spécialiste de l'exil et des camps, Michel Agier (1) propose une analyse sur ce qui se passe actuellement à Calais. « Les associations de citoyens bénévoles sont en train de se faire déloger du dispositif qui se met en place. On est maintenant dans une logique de type humanitaire-sécuritaire où ces associations ne trouvent plus leur place, ni ne savent comment donner sens à ce qu'elles font ou voudraient continuer à faire. »


     

    « Bidonville d’État », « New jungle », « Sangatte sans toit », « Ghetto Cazeneuve » : les manières de nommer sont importantes, certes, mais c’est d’abord le lieu lui-même qui interpelle. Invité à voir et commenter ce qui se passe à Calais, en regard d’une expérience de plusieurs années de recherches sur les camps dans le monde (camps de réfugiés, camps de déplacés internes, campements de migrants), j’ai rencontré pendant deux jours plusieurs personnes parmi les intervenants du monde associatif, du « centre Jules Ferry », et parmi les migrants. Ce que j’ai ramené de cette visite est la proposition d’un regard décentré sur l’ensemble de la situation, sur ce qui se passe là en ce moment, et un constat. Celui-ci peut tenir en quelques mots : ce qui se passe aujourd’hui à Calais est la mise en place d’un camp de regroupement sécuritaire-humanitaire sous le contrôle de l’État. Une mise à l’écart violente. Une immobilisation d’étrangers en mouvement. Une séparation des migrants et de la ville.

     

    La complexité de cette situation est à la fois juridique, politique, logistique, et humaine ; elle est en constante évolution. J’essaierai de la décrire et de proposer quelques commentaires.

     

    Des expulsions − un regroupement forcé − un enfermement dehors

     

    La fermeture très médiatisée en 2002 du centre de la Croix-Rouge de Sangatte par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, devait mettre un terme à une visibilité acquise par le « hangar de Sangatte » qui dérangeait l’image lissée d’un pays démocratique. La fermeture du lieu et l’expulsion des étrangers qui l’occupaient, préparaient aussi ce qui s’institua cinq années plus tard, avec l’élection présidentielle de Nicolas Sarkozy, comme un nationalisme identitaire et une xénophobie par le haut, au plus haut niveau de l’État. Officiellement et systématiquement repoussés et rendus « invisibles », les migrants en transit, et parfois en errance, dans cette région se sont régulièrement regroupés dans des campements informels de petites tailles, ou dans des squats, au sein ou autour des principales villes et notamment de Calais. Le campement des migrants afghans de cette ville, ouvert en 2002, fut détruit en octobre 2009. Au cours de ses sept années d’existence, cette « jungle » aux abords de Calais a pu parfois atteindre jusqu’à 600 occupants, ce qui représente un nombre très important pour ce genre d’occupation : un refuge comme il en existe des milliers dans le monde, créé par les migrants eux-mêmes de la même manière qu’on « ouvre » un squat. Ce sont des campements urbains où l’on se regroupe faute d’asile, en occupant les interstices de la ville – quais, parcs, squares, terrains vagues, immeubles vacants ou abandonnés. Ces lieux de refuge ont pu trouver à Calais comme dans les petites villes proches, des soutiens solidaires de la part des voisins. Près d’une dizaine de campements ont existé entre Calais et Dunkerque, les uns restant précaires alors que d’autres ont pu faire l’objet d’un soin donné par les habitants, et parfois par les mairies. En témoignent les associations formées en solidarité avec les migrants, comme Terre d’errance dans le village de Norrent-Fontes, un village dont on entend le nom très loin sur les routes des migrants − comme un repère fiable sur les trajets dangereux de l’exil. À Calais, les campements et squats de la ville ont été des lieux de grande précarité, mais ils faisaient aussi l’objet d’une solidarité de la part des habitants : distributions de repas, d’habits, de chaussures, soins médicaux, informations et aides concrètes sur les procédures administratives, apprentissages linguistiques, etc. Se sont ainsi constituées une vingtaine d’associations (ou de sections locales d’associations nationales) regroupées ensuite dans la « Plateforme de Services aux Migrants ».

     

    Le nouvel emplacement créé en avril dernier semble être la troisième occurrence du même camp après Sangatte et la « jungle » de Calais. Mais il n’en est rien. Si le hangar de Sangatte (1999-2002) était un camp de transit géré par la Croix rouge, si la « jungle » (2002-2009) était un campement-refuge créé et géré par les migrants, c’est un camp de regroupement sous contrôle de l’État qui est en train de se mettre en place. En agrégeant certaines des associations locales au projet de « translation » (terme officiel), en les incitant à aider la sous-préfecture à organiser l’évacuation des migrants des campements et squats et leur transfert, sous le chantage qu’à défaut de cette collaboration, les autorités seraient « contraintes » d’employer la force, l’État a fait d’une pierre deux coups. D’une part, il a réalisé sans heurts apparents l’évacuation des squats et campements de Calais et le regroupement des migrants dans un espace situé à l’écart, à sept kilomètres de la ville. D’autre part, il a jeté le trouble dans le milieu associatif, qui s’est trouvé piégé par l’opération, et s’interroge sur l’avenir de son action. Parce qu'elles ne voulaient pas se couper de la réalité, ne pas perdre la main et rester solidaires des migrants, parce que Calais est une ville-frontière qui a depuis toujours l'habitude du passage des migrants et de leur accompagnement, elles ont voulu que le « déménagement » se fasse dans les meilleures conditions, sans conflit. L’opération d’euphémisation dans laquelle elles se sont trouvées embarquées ne leur laissait guère le choix. Mais ce fut bien, au fond, une opération gouvernementale de « pacification » par le déguerpissement urbain et l’encampement des migrants. Les conditions sanitaires étaient au départ celles du pire bidonville, d’où le nom, pleinement justifié, de « bidonville d’État » qui a été donné par les associations, maintenant davantage critiques contre l’opération et ses conséquences. La mise en place de deux points d’eau et de huit toilettes chimiques sur un espace de 18 hectares et pour plus de 3 000 personnes, ne change pas fondamentalement la logistique précaire du lieu.

     

    En attendant, 3 000 personnes sont bloquées là, bientôt 5 000 d’après ce qu’annoncent certains responsables associatifs. C'est bien, j’y reviens, un camp de regroupement si on le replace dans la logique globale des camps. Les camps de regroupement consistent, dans le dispositif des camps en général et notamment en Afrique, à réunir des populations plus ou moins nombreuses de déplacées internes ou réfugiées initialement établies près des villages ou dispersées dans les villes, pour les conduire, parfois par camions entiers, et pas toujours avec leur accord, vers des camps où opèrent des administrations nationales ou internationales, ainsi que des organisations non gouvernementales ou des entreprises privées. Des raisons d’ordre logistique sont généralement mises en avant (travailler à plus grande échelle, plus efficacement, plus professionnellement), mais le camp de regroupement existe aussi pour faciliter les opérations de triage et de contrôle des personnes selon leur statut juridique, leur nationalité, leur âge, sexe, situation familiale, etc. L’opération est simultanément sécuritaire et humanitaire. Cet éclairage peut aider à comprendre ce qu’il se passe en ce moment dans le camp de regroupement de Calais.

     

    « Circulez, y’a rien à voir » : séparer les migrants de la ville

     

    Les associations de citoyens bénévoles sont en train de se faire déloger du dispositif qui se met en place. On est maintenant dans une logique de type humanitaire-sécuritaire où ces associations ne trouvent plus leur place, ni ne savent comment donner sens à ce qu'elles font ou voudraient continuer à faire. Elles ne réussissent plus à distribuer du pain, de la nourriture, amener des vêtements, parler avec ceux des migrants que les bénévoles connaissent déjà, parce qu’il y a beaucoup trop de monde, parce que la foule même des migrants devient effrayante pour les personnes âgées ou les jeunes mères de famille qui viennent là avec leurs enfants pour faire et enseigner les actes de solidarité, et se trouvent désemparées. Leur propre marginalisation est le signe du passage d'une solidarité de citoyens quelconques à un dispositif technique dont le langage politique est « Circulez, on s'en occupe, y a rien à voir ». L’entreprise « Vie active » qui gère pour la préfecture le centre de service Jules Ferry (4 douches pour 3000 personnes à raison de 4 minutes par personne, distribution de repas une fois par jour, etc.) recrute maintenant du personnel de service en CDD (un contingent de trente places offertes mi-juin). Nous avons pu voir un jeune homme se présenter à l’embauche, muni de son diplôme d’auxiliaire de vie, quelque peu perplexe face au portail fermé où s’agglutinaient une cinquantaine de migrants ou plus, attendant l’heure de la douche. Il finit par se faire reconnaître d’un employé qui le fit entrer. Contrôlée par des agents de service munis de leur gilet orange et de leur talkie-walkie, l’entrée sécurisée n’est guère accueillante pour les bénévoles des associations. Ceux-ci voient leur manière de travailler contestée par les responsables de l’entreprise gestionnaire, parce qu’ils ne sont pas ponctuels, pas rapides, pas assez professionnels en général. Les bénévoles des associations eux-mêmes sont excédés, se sentent rejetés, certains renonçant à achever l’intervention pour laquelle ils étaient venus, puis renonçant à revenir là.

     

    Ajoutons que sur les trois voies qui longent l’espace du camp dans son ensemble, des voitures de police circulent en permanence. L’un des bords est l’autoroute qui conduit vers le port, sur lequel un haut grillage est en construction (une barrière existe déjà de l’autre côté de l’autoroute). C’est là que la police interpelle tous ceux qui sortent du camp et s’approchent de la route, pour les mener en centre de rétention.

     

    Des ONG professionnelles humanitaires sont tentées d’intervenir dans un dispositif qu’elles « reconnaissent » pour avoir vu des choses similaires ailleurs, dans les pays du Sud et où elles se sentent les plus compétentes. Et l’on peut penser qu’en effet la scène sécuritaire qui se met en place à travers le regroupement et l’encampement de tous les migrants qui passent par là, se verrait bien augmentée d’un volet humanitaire. Ce dernier rendrait la mise à l’écart plus « acceptable » aux yeux des citoyens d’un pays démocratique selon le principe de la politique de l’indifférence.

     

    La violence est ce qui domine la situation. Il y a quelques semaines, la leader du Front National, Marine Le Pen, avait répondu à une question d’un journaliste à propos de la « crise migratoire » et des morts en Méditerranée avec ces mots : « D’abord il faut arrêter de leur dire ‘Welcome’ ». La forme-camp qui se met en œuvre en ce moment à Calais correspond à cette injonction xénophobe, elle est compatible avec la fermeture des frontières. Il y a de ce point de vue un rapprochement à faire avec l’espace d’entre les frontières italo-françaises, à Vintimille, où sont confinés depuis plusieurs jours des migrants arrêtés sur leur parcours et regroupés là, dans ce qu’on appelait autrefois le « no man’s land » et qui s’avère être une frontière dense, un « full of men’s land ». De même, le camp de Calais fait fonction de frontière dans le même contexte. De plus en plus, la difficulté et bientôt l’impossibilité d’en sortir sont manifestes. D’abord par l’éloignement de la ville, puis par la séparation d’avec les citadins citoyens solidaires, puis avec la présence active de la police dans son pourtour, et maintenant par les expéditions violentes de certains groupes d’extrême droite contre les migrants pouvant apparaître en ville. L’étau se resserre. 

     

    Questions

     

    Qu’est-il possible de faire ? Déjà, le fait étant accompli, la suppression pure et simple du camp, c’est-à-dire sa destruction, poserait de nouveaux problèmes et enclencheraient de nouvelles violences. Deux pistes me semblent cependant mériter l’attention.

     

    D’une part, la moitié des encampés de Calais pourraient en sortir tout de suite si l'on procédait aux régularisations rapides du genre de celle que l’OFPRA (Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides) a faite pour les demandeurs d’asile érythréens au début du mois de juin. Beaucoup d'Érythréens non enregistrés à ce moment-là, des Soudanais du Sud ou du Darfour qui auraient autant de légitimité qu’eux à recevoir l'asile, d'autres Africains en errance depuis tant d’années qu’ils n’ont plus où « retourner » dans des conditions vivables, une partie au moins des Syriens, des Kurdes, une partie peut-être des « vieux » exilés afghans : l’OFPRA pourrait arriver sans mal à 50% de la population du camp régularisable de suite. Ainsi légalisées, ces personnes pourraient circuler librement, et auraient droit à des aides et cadres d’accueil plus humaines et dignes.

    D’autre part, il est vital pour combattre l’enfermement du lieu qu’il soit de plus en plus ouvert et transformé par la venue des journalistes, des associations de Calais et d’ailleurs, des étudiants, des élus. Ces visites peuvent rétablir la relation avec les migrants confinés là. « Ouvrir » le camp − et ainsi le faire disparaître comme lieu d’enfermement − c’est d’abord permettre à ses occupants d’en sortir en toute sécurité, c’est y aller et faire connaître ce qui s’y passe, y organiser des événements qui impliquent les habitants de la ville autant que les migrants, et ainsi créer un lien entre le camp et la ville. Mais cela, c’est déjà l’histoire des lieux de mise à l’écart en général. Bienvenue dans le monde des camps !

     

     

    Le 12 juin, Philippe Wannesson que j'ai interviewé pour m’aider à comprendre la situation du camp de Calais, a voulu m'interviewer à son tour, à chaud. Voir ici.

     

     (1) Michel Agier est anthropologue (IRD et EHESS). Il étudie depuis de nombreuses années les déplacements et la formation des lieux de l’exil. Sur les thèmes concernés par le camp de Calais, il a notamment publié Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire (Flammarion, 2008), Je me suis réfugié là. Bords de routes en exil (avec S. Prestianni, éditions Donner Lieu, 2011), Paris refuge. Habiter les interstices (avec F. Bouillon, C. Girola, S. Kassa et A.-C. Vallet, éditions du croquant, 2011), Campement urbain. Du refuge naît le ghetto (Payot & Rivages, 2013) et Un monde de camps (sous sa direction, avec la collaboration de Clara Lecadet, La Découverte, 2014).

  • Pas de ça chez nous, ou la chasse aux pauvres

     

    11 juillet 2015 | Par poppie

     

    On sait à quel point les étrangers sont indésirables chez nous, pas pour tout le monde heureusement, il en est qui voient encore en eux des êtres humains en souffrance et aimeraient leur apporter un peu de réconfort. Mais un très mauvais climat fait de celui qui se retrouve en difficulté le "profiteur" qui viendrait piquer les biens des "bons Français", risquant en sus de venir égorger les fils et les compagnes de nos compatriotes. 

    Ceux qui ont une peur presque panique d'avoir à partager, ne sont pas nécessairement ceux qui ont peu de choses, on comprendrait mieux leur inquiétude, la rumeur se chargeant complaisamment de laisser croire que "tout leur est réservé". Les plus fermés à la générosité n'ont pas forcément des fins de mois difficiles, bien au contraire.

     Que le luxe le plus ostentatoire s'étale avec une complaisance obscène au moment où la misère rattrape jusqu'à un certain nombre de travailleurs, cela devrait montrer clairement que la richesse existe bel et bien et ne s'est pas évaporée à cause de cette sinistre "crise" dont on nous rebat les oreilles. Elle existe et est gardée jalousement par ceux-là même qui exigent des sacrifices des gens modestes. Elle existe mais n'est jamais redistribuée à ceux qui la produisent.

    Et les étrangers qui tentent leur chance en essayant de venir s'abriter chez nous? Quels magnifiques boucs émissaires, pour détourner le regard de nos concitoyens! Qu'ils veuillent souvent échapper à la guerre qui ravage leurs contrées, des guerres dont nous savons tous qu'elles font rentrer des devises dans notre pays et sauvent notre PIB (ce n'est pas vraiment glorieux!), ils ne seront pas tolérés pour autant sur "notre" sol. Qu'ils meurent sur place ou en cours de voyage, mais qu'ils ne viennent pas "nous envahir", on n'a pas besoin d'eux en ce moment, ça c'était bon pour autrefois.

    C'est le fonds de commerce d'un parti politique, dont on se défiait il y a quelques années, les Français ont même défilé pour lui faire échec. C'était du temps où le monde avait gardé un peu de mémoire. Il ne fait plus peur aujourd'hui, ses électeurs affichent clairement l'appartenance au groupe ou au moins leur sympathie. C'est une aubaine pour qui n'a pas les narines trop délicates de savoir contre qui se défouler et qui rejoindre pour chasser "les intrus".

    Qu'aux différents niveaux de l'autorité et jusqu'en haut de la pyramide, on ne condamne que très mollement le rejet des malheureux, et le discours de haine des meneurs, c'est une attitude qui révulse certains d'entre nous.

    Les détracteurs de la solidarité humaine ont une formule toute trouvée "Si vous les voulez, prenez-les chez vous". Eh bien non! Non seulement c'est l'état qui devrait tenir ce rôle -nos impôts sont toujours prélevés- mais ce qui est gravissime, c'est le retour du "délit de solidarité".

    Laissez crever les pauvres gens, la loi vous l'ordonne! 

    (pas de façon officielle, évidemment, bien au contraire, mais dans les faits, vous y serez encouragés)

     

     C'est un communiqué du GISTI que je voudrais relayer ici.

     

     La vaisselle et la solidarité ne font pas bon ménage

     

     La police aux frontières (PAF) traque obstinément ceux qui viennent en aide aux migrants. À Perpignan, cette sinistre besogne a été couronnée par des poursuites pénales engagées par le Procureur de la République à l’encontre d’un dangereux activiste des droits de l’homme.

    Des policiers zélés avaient identifié une cible de choix en la personne de Denis L. : il hébergeait à son domicile une famille arménienne (deux enfants de 3 et 6 ans et leurs parents), sous le coup d’une obligation de quitter le territoire et dans l’attente des résultats d’un ultime recours, non suspensif, contre le rejet de leur demande d’asile.

    Employant les grands moyens pour le confondre, ils lui ont infligé 36 heures de garde à vue et un long interrogatoire, à la suite de quoi le procureur l’a convoqué devant le tribunal correctionnel : il doit y comparaître le 15 juillet pour aide au séjour irrégulier, délit passible de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros.

    Pourtant l’article L 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers exclut toute poursuite lorsque l’hébergement d’un étranger en situation irrégulière « n’a donné lieu à aucune contrepartie et qu’il était destiné à assurer des conditions de vie dignes et décentes ». Autrement dit lorsque l’hébergeant agit par solidarité, comme Denis L. l’a fait à la demande du collectif des sans papiers de Perpignan, qui cherchait à reloger plusieurs familles de demandeurs d’asile en détresse.

    Qu’importe : cette exception n’a désarmé ni les policiers ni le procureur de la République. Pour trouver une contrepartie à l’hébergement qu’ils voulaient à tout prix incriminer, ils sont allés chercher au fond de l’évier et du bac à linge sale de Denis L. ! Le procès-verbal de convocation devant le tribunal lui reproche en effet d’avoir demandé à ceux qu’il accueillait « de participer aux tâches ménagères (cuisine, ménage, etc.) ».

    Un ferme avertissement est ainsi donné à tous ceux qui manifesteraient de dangereux penchants pour une solidarité qui reste encore et toujours suspecte aux autorités policières et judiciaires : si vous accueillez un étranger chez vous, n’allez quand même pas jusqu’à partager quoi que ce soit avec lui, surtout pas la vaisselle ou le ménage ! Et s’il vous parle, faites attention, l’agrément de sa conversation serait une contrepartie évidente au toit que vous lui prêtez. En somme, vous devez faire comme s’il n’était pas là. C’est toujours comme ça avec les étrangers : c’est mieux s’ils ne sont pas là…

    La prétendue dépénalisation du délit de solidarité proclamée en 2012 n’est que faux-semblant : il passe encore la porte des palais de justice. Une fois de plus, une fois de trop !

    10 juillet 2015


    Organisations signataires :

    • Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF)
    • Collectif Ivryen de vigilance contre le racisme (CIVCR)
    • Collectif Si les femmes comptaient
    • Ensemble !
    • Fédération des associations de solidarité avec tous-te-s les immigré-e-s (FASTI)
    • Groupe d’information et de soutien des immigré⋅e⋅s (Gisti)
    • Itinérance Cherbourg
    • La Cimade
    • Ligue des droits de l’Homme (LDH)
    • Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP)
    • Parti communiste français (PCF)
    • Parti communiste des ouvriers de France PCOF
    • Parti de gauche (PG)
    • Réseau éducation sans frontière (RESF)
    • RESF 51
    • Réseau chrétien immigré (RCI)
    • Syndicat des avocats de France (SAF)
    • Syndicat de la magistrature
    • Union Syndicale Solidaires



    Envoi par le Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s
    www.gisti.org
    Sur le Web :
    www.gisti.org/spip.php?article5000

     

     

    Le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s) milite pour l’égal accès aux droits et à la citoyenneté sans considération de nationalité et pour la liberté de circulation.

    L’association se veut un trait d’union entre les spécialistes du droit et les militant⋅e⋅s : la présence en son sein de nombreux juristes, praticien⋅ne⋅s ou universitaires, place le Gisti dans la position revendiquée de l’« expert militant », alliant de façon étroite l’analyse juridique et le travail de terrain, l’usage du droit comme arme ou levier et la participation au débat public.

    L’activité du Gisti se décline autour de plusieurs pôles : conseil juridique, formationpublications, actions en justice, à quoi s’ajoute le travail au sein de collectifs ou réseaux interassociatifs.

  • Sous les décombres, la plage

     
    Patrick Apel-Muller
    Mercredi, 12 Août, 2015
    L'Humanité

     

    L'éditorial de Patrick Apel-Muller. "Anne Hidalgo hypothèque « les valeurs de tolérance et d’échange » dont elle se réclame aujourd’hui dans une tribune du Monde"

    Une énorme explosion, un ballon délaissé et quatre enfants massacrés sur le sable. C’était il y a un an, le 16 juillet 2014, à Gaza. Ce crime de l’armée israélienne, enterré par la commission d’enquête mise en place par Benyamin Netanyahou, n’aura pas jeudi de place sur les bords de la Seine. Là réside l’erreur – plus ! la faute – de la mairie de la capitale. La vocation de Paris était de plaider la paix, d’unir les deux villes de cette région en flammes avec lesquelles elle entretient des relations, Tel-Aviv l’Israélienne et Ramallah la Palestinienne, dans un rendez-vous de dialogue, dans un pari culturel. En choisissant la seule capitale d’une puissance qui opprime un autre peuple, qui dresse un mur de la honte, spolie terres et maisons, en s’obstinant dans cette manifestation, Anne Hidalgo hypothèque « les valeurs de tolérance et d’échange » dont elle se réclame aujourd’hui dans une tribune du Monde.

    Des extrémistes y trouveront matière à propagande pour un État religieux qui accaparerait Jérusalem pour en faire sa capitale et poursuivre le chemin de sang ou de cendres de la colonisation. D’autres y chercheront le biais pour polluer l’exigence d’un État palestinien des remugles de leur antisémitisme. Une faute donc.

    Elle n’est pas la première. Laissons de côté Nicolas Sarkozy et ses déclarations d’amour au sinistre premier ministre israélien. Mais François Hollande, en proclamant sa compréhension pour le pilonnage de Gaza il y a un an, puis en faisant interdire les manifestations de solidarité avec les populations martyrisées, avait terni l’image de la France, le sens de son action depuis des décennies. Tel-Aviv est sans doute une ville joyeuse et noctambule. Jéricho, Bethléem et Jénine n’ont pas cette chance. Pas encore… Mais c’est ce vers quoi tous les efforts devraient tendre. Pour que les décombres n’encombrent plus les plages, quand bien même seraient-elles éphémères sur les bords de la Seine.