Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Gouvernement français:décryptage - Page 7

  • ACRIMED: Critique des médias

    Critique des médias sur le Web (janvier-février-mars 2015)

    par Franz Peultierle 16 avril 2015

    N° 33 de notre sélection trimestrielle (cette fois-ci) d’articles de critique des médias parus sur le Web et disponibles gratuitement. Où il est question de « Charlie » et ses suites, de sexisme, de racisme, et de diverses choses.

    « Charlie » et ses suites

    Charlie à tout prix ? (La pompe à phynance, 13/01) – « Mais les choses deviennent moins simples quand “Charlie” désigne – et c’est bien sûr cette lecture immédiate qui avait tout chance d’imposer sa force d’évidence – quand “Charlie”, donc, désigne non plus des personnes privées, ni des principes généraux, mais des personnes publiques rassemblées dans un journal. On peut sans la moindre contradiction avoir été accablé par la tragédie humaine et n’avoir pas varié quant à l’avis que ce journal nous inspirait – pour ma part il était un objet de violent désaccord politique. Si, comme il était assez logique de l’entendre, “Je suis Charlie” était une injonction à s’assimiler au journal Charlie, cette injonction-là m’était impossible. Je ne suis pas Charlie, et je ne pouvais pas l’être, à aucun moment. »

    La vie ratée de Philippe Val (Les mots sont importants, 13/04) – « Revenons au plus grave dans cette diatribe en réalité aussi bête qu’ancienne. Était-ce d’ailleurs la peine de la signaler ? Non sans doute, si ce n’est pour ce passage hallucinant dans lequel de “société” en “système”, de “riches” en “juifs”, Philippe Val finit tout bonnement par traiter les sociologues d’antisémites. »

    Val/Lapix, la question non-posée (Arrêt sur images, 10/04) - « Ce que ne rappelle pas la pourtant percutante Anne-Sophie Lapix, c’est qu’un groupe de onze salariés de Charlie, constitué après les attentats, réclame une redistribution des actions du journal à tout le personnel. Et pourquoi ? Parce qu’on a découvert alors les faramineux dividendes empochés en son temps par Val, notamment après les bonnes ventes de la fameuse couverture "C’est dur d’être aimé par des cons" (300 000 euros pour la seule année 2008, et 1,6 million pour tout l’exercice de son mandat de directeur, selon BFMTV). Pourquoi ces pudeurs ? »

    Le sexisme et ses avatars

    Voilà ce que je refuse de voir le 8 mars (Slate.fr, 07/03) – « Rien n’est réellement mis en œuvre par les chaines pour donner davantage de place aux femmes dans leurs émissions TV. En revanche, le 8 mars, ces mêmes chaines pensent combler leurs graves lacunes en proposant un “Motus” ou seules des candidates s’affrontent, un “N’oubliez pas les paroles” avec un public exclusivement féminin ou encore un inévitable “Grand journal” 100% filles (qui rime avec “hihihi”). »

    Le nu, étendard sexiste des valeurs occidentales (Culture visuelle, 09/02) – « L’unique raison pour laquelle de nombreux journaux reprennent cette information, malgré l’absence de déclaration explicite de l’actrice comme de réaction des autorités iraniennes, est parce qu’elle mobilise un stéréotype islamophobe, permet de reproduire un schéma médiatique éprouvé qui renvoie une image positive de l’Occident – et fournit accessoirement un petit frisson d’excitation sexuelle. »

    Du déni des victimes

    Statistiques de l’islamophobie : misère du journalisme mensonger(Blogs de Mediapart, 26/02) – « Dans sa chronique du 15 décembre 2014 sur France Culture, la journaliste Caroline Fourest remet en cause notre intégrité professionnelle et le caractère scientifique de notre livre Islamophobie (La Découverte). Elle est récidiviste puisque lors de sa parution en 2013, elle nous avait déjà attaqué, sur la même antenne, en nous accusant d’être des “chercheurs-militants”, dont le livre aurait eu pour “fil conducteur” le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), “association communautariste” influencée par Tariq Ramadan et financée par le milliardaire George Soros et le Qatar. »

    France 2 s’acharne sur Zyed et Bouna (Télérama.fr, 20/03) – « Souvenez-vous. 10 novembre 2005. David Pujadas : “Depuis le début de cette vague de violence, beaucoup soulignent le sang-froid et le professionnalisme des forces de l’ordre.” Déjà, à l’époque, nous sommes tous policiers. “Mais, pour la première fois aujourd’hui, huit policiers ont été suspendus dans le cadre d’une procédure disciplinaire.” Une procédure disciplinaire initiée… par France 2 !!! »

    Et aussi...

    Respecter une victime présumée de viol ne doit pas empêcher un journaliste de vérifier les faits (au contraire) (Slate.fr, 08/04) – « Pour Rolling Stone, les erreurs ont été faites parce que la journaliste et la rédaction ont eu peur d’avoir l’air de douter du récit d’une victime de viol. L’éditeur et la journaliste, Sabrina Rubin Erdely, disent qu’ils ont été trop accommodants avec Jackie car ils voulaient éviter de la traumatiser et qu’elle refuse ensuite de coopérer. »

    On n’est pas rendu… (reportage à l’enregistrement d’“On n’est pas couché” sur France 2) (Article11, 29/01) – « Le fameux chauffeur de salle. Celui dont on entend toujours parler quand on évoque les émissions télévisées enregistrées en public. Ce qui frappe en premier, c’est son air désabusé, las, vide. Cet homme n’habite pas son corps, il le pilote. Comme s’il appliquait à lui-même la méthode qu’il utilise sur le public. “Alors, alors, vous êtes en forme ?” Malgré l’énergie qu’il tente d’insuffler à sa prestation, la voix est traînante. Il se force, n’y croit pas. C’est tout à fait fascinant, mais ça n’a l’air de choquer personne. Et surtout pas l’homme qui hurle dans mon dos, façon marionnette montée sur ressorts. “Ouuuuiiiiiii !” »

    Témoignage d’une pigiste de Radio France (Lundi.am, 06/04) – « Le boulot de pigiste c’est : tu fais la même chose qu’un titulaire, c’est-à-dire que tu fais des reportages, tu fais aussi de la présentation de journaux et on t’appelle quand il y a un journaliste en moins, tu bouches les trous, tu es remplaçant. »

    Numéro23 : polémique sur une plus-value « scandaleuse » (Le Monde.fr, 10/04) – « “Il est assez scandaleux qu’on puisse faire autant de bénéfice sur une ressource publique.” La sentence prononcée par la députée PS Martine Martinel, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, mercredi 8 avril, résume assez bien les critiques déclenchées par le rachat de Numéro23. »

    Facebook veut vassaliser la presse en accueillant ses contenus (blog « L’An 2000 », 24/03) – « Si elle était prévisible, cette évolution n’en est pas moins inquiétante pour la presse. Elle confirme que les médias sont devenus accros à Facebook et ses 1,4 milliards d’utilisateurs, au point de consentir à n’être plus que des sous-traitants. La presse se met dans la position de la Grèce face à ses créanciers. Au bord du précipice, elle risque d’accepter cette injection de pages vues fraîches en échange d’une perte de souveraineté. »

    [http://nonvirgule.tumblr.com/] (Tumblr.com) – Une sélection d’articles dont le titre commence par « Non, », « parce que les articles sur les vraies infos, c’est un peu trop facile ».

  • Dieudonné:Le Maroc aussi?

     Chroniques
     

    Ahmed NAJI

     
    Polémique autour du spectacle de Dieudonné à Casablanca / La satire proie aux rugissements
     
     
    Doit-on sacrifier la liberté d’expression au Maroc pour plaire à une partie étrangère ? C’est actuellement le débat qui agite le microcosme des internautes marocains sur les réseaux sociaux, suite à la diffusion d’une information, non confirmée, sur l’interdiction du spectacle de l’humoriste français Dieudonné M’Bala M’Bala, normalement programmé le 29 avril au Complexe Mohammed V, à Casablanca.
    Au Maroc, les choses sont claires concernant la distinction entre 
    la liberté d’expression et la diffamation ou l’atteinte aux valeurs nationales, religieuses et éthiques. Si quelques personnalités politiques étrangères et autres groupes de pression sont incapables de faire la distinction entre antisionisme et antisémitisme, c’est leur problème, pas celui des Marocains. Dans leur écrasante majorité, ces derniers considèrent eux-mêmes le sionisme comme une bête immonde, alors qu’ils n’ont strictement aucun problème avec le judaïsme, une fraction de la société marocaine étant d’ailleurs, depuis plus deux millénaires, juive. 
    Mieux encore, parmi les militants marocains les plus engagés en faveur de la cause palestinienne et les plus critiques envers le sionisme, on compte pas mal de juifs marocains, Sion Assidon, Abraham Serfati et Edmond Amran El Maleh comptant parmi les plus célèbres. Les sœurs Nadia et Rhita Bradley ont même consenti d’énormes sacrifices dans la lutte contre le sionisme. Bref, un sketch comme celui de l’humoriste Dieudonné sur les colons sionistes en Palestine occupée n’aurait, par exemple, jamais suscité la moindre polémique au Maroc. 
    Une bonne partie des Marocains refuse mordicus de tomber dans le piège qui consiste à faire passer pour antisémite toute personne qui critique le sionisme. Quelques franges de la société marocaine, volontairement au garde à vous, se montrent, par contre, hardies à dénoncer tout ce qui est de nature à déplaire à leurs maîtres à penser, en espérant leur reconnaissance et bénédiction. Ce sont ceux là même qui deviennent étrangement muets quand les Sionistes massacrent des Palestiniens ou ne craignent pas le ridicule des prises de positions ambivalentes. Mais là encore, le respect du principe sacré de la liberté d’expression fait qu’ils sont libres, au Maroc, de se faire la voix de leurs maîtres.
    L’humoriste français Dieudonné M’Bala M’Bala peut avoir des prises de position politiques qui dérangent dans son pays ; des responsables politiques dudit pays pourraient chercher à le museler, en invoquant divers prétextes pour le traîner devant les tribunaux, ce sont là des affaires franco-françaises. De ce côté-ci de la Méditerranée, c’est le Maroc, et il n'est pas question de se laisser entraîner, juste par suivisme complaisant, dans des considérations difficiles à justifier.
    De plus, quel image donnerait le Maroc de lui, sur le continent et à travers le monde, s’il venait à renoncer à ses principes juste pour ne pas déplaire à quelques politicards étrangers ? Dieudonné peut s’exprimer en toute liberté, au Maroc, tant que c’est dans le cadre du respect de la loi. Ce n’est pas à coup de renonciations et de compromissions que le Maroc peut entretenir son image de pays ouvert et tolérant et continuer à donner l’exemple en Afrique et dans le Monde arabe.
    Si les pro-sionistes ne supportent pas les « quenelles » de Dieudonné et veulent lui interdire la parole partout sur la planète, que peuvent bien dire alors les Palestiniens, qui eux supportent des bombes, obus et balles sionistes beaucoup plus meurtriers, dans l’indifférence quasi-générale ? 
    Les Marocains ont librement exprimé leur choix, comme il sied dans une démocratie, concernant la forme d’humour, quelque peu acerbe, qui caractérise Dieudonné. Ils ont massivement acheté les billets de son spectacle, la « Bête immonde », programmé à Casablanca. Une « quenelle » de gros calibre pour ceux qui s’imaginent que tous les Marocains sont comme eux, à se complaire dans la vassalité.
    18/4/2015
  • Pour en finir (vraiment) avec le terrorisme

    Affrontement factice entre civilisation et barbarie

    Les attentats de Tunis et de Sanaa viennent de confirmer que les pays musulmans sont les plus touchés par les actions djihadistes contre les populations civiles. Le dernier numéro de « Manière de voir » rappelle également que, si elle permet de mobiliser l’opinion, la « guerre contre le terrorisme » contribue à l’aggravation des problèmes politiques sous-jacents, notamment au Proche-Orient.

    par Alain Gresh, avril 2015

    Ce fut une bataille homérique, couverte heure par heure par tous les médias du monde. L’Organisation de l’Etat islamique (OEI), qui avait conquis Mossoul en juin 2014, poursuivait son avancée fulgurante aussi bien vers Bagdad que vers la frontière turque ; elle occupait 80 % de la ville de Kobané, en Syrie. Les combats firent rage pendant plusieurs mois. Les miliciens kurdes locaux appuyés par l’aviation américaine reçurent des armes et le soutien de quelque cent cinquante soldats envoyés par le gouvernement régional du Kurdistan d’Irak. Suivis avec passion par les télévisions occidentales, les affrontements se terminèrent début 2015 par un repli de l’OEI.

    Le numéro actuellement en kiosques de « Manière de voir » décrypte les significations politiques du terrorisme. Après avoir évoqué les attentats de Paris et la dérive djihadiste, les articles analysent le phénomène dans ses contradictions (actions d’extrême droite et d’extrême gauche, séparatisme, terreur d’Etat…) en s’attachant aux réflexions de penseurs contemporains (Jacques Derrida, Noam Chomsky, Giorgio Agamben, etc.). Documents graphiques, extraits littéraires et cartographie inédite donnent au lecteur des outils pour mieux comprendre.

    Mais qui sont ces héroïques résistants qui ont coupé une des têtes de l’hydre terroriste ? Qualifiés de manière générique de « Kurdes », ils appartiennent pour la plupart au Parti de l’union démocratique (PYD), la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Or le PKK figure depuis plus d’une décennie sur la liste des organisations terroristes dressée aussi bien par les Etats-Unis que par l’Union européenne. Ainsi, on peut être condamné à Paris pour « apologie du terrorisme » si l’on émet une opinion favorable au PKK ; mais à Kobané, leurs militants méritent toute notre admiration. Qui s’en étonnerait à l’heure où Washington et Téhéran négocient un accord historique sur le nucléaire et où le directeur du renseignement national américain transmet au Sénat un rapport dans lequel l’Iran et le Hezbollah ne sont plus désignés comme des entités terroristes qui menacent les intérêts des Etats-Unis (1) ?

    Ce fut un été particulièrement agité. A Haïfa, un homme déposa une bombe sur un marché le 6 juillet ; vingt-trois personnes furent tuées et soixante-quinze blessées, en majorité des femmes et des enfants. Le 15, une attaque perpétrée à Jérusalem tua dix personnes et fit vingt-neuf blessés. Dix jours plus tard, une bombe explosa, toujours à Haïfa, faisant trente-neuf morts. Les victimes étaient toutes des civils et des Arabes. Dans la Palestine de 1938, ces actes furent revendiqués par l’Irgoun, bras armé de l’aile « révisionniste » du mouvement sioniste, qui donna à Israël deux premiers ministres : Menahem Begin et Itzhak Shamir (2).

    Un concept flou

    Résistants ? Combattants de la liberté ? Délinquants ? Barbares ? On sait que le qualificatif de « terroriste » est toujours appliqué à l’Autre, jamais à « nos combattants ». L’histoire nous a aussi appris que les terroristes d’hier peuvent devenir les dirigeants de demain. Est-ce étonnant ? Le terrorisme peut être défini — et les exemples du PKK et des groupes sionistes armés illustrent les ambiguïtés du concept — comme une forme d’action, pas comme une idéologie. Rien ne relie les groupes d’extrême droite italiens des années 1970, les Tigres tamouls et l’Armée républicaine irlandaise (Irish Republican Army, IRA), sans parler de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et du Congrès national africain (African National Congress, ANC), ces deux derniers dénoncés comme « terroristes » par Ronald Reagan, par Margaret Thatcher et, bien sûr, par M. Benyamin Netanyahou, dont le pays collaborait étroitement avec l’Afrique du Sud de l’apartheid (3).

    Au mieux, on peut inscrire le terrorisme dans la liste des moyens militaires. Et, comme on l’a dit souvent, il est l’arme des faibles. Figure brillante de la révolution algérienne, arrêté par l’armée française en 1957, Larbi Ben Mhidi, chef de la région autonome d’Alger, fut interrogé sur la raison pour laquelle le Front de libération nationale (FLN) déposait des bombes camouflées au fond de couffins dans les cafés ou dans les lieux publics. « Donnez-nous vos avions, nous vous donnerons nos couffins », rétorqua-t-il à ses tortionnaires, qui allaient l’assassiner froidement quelques jours plus tard. La disproportion des moyens entre une guérilla et une armée régulière entraîne une disproportion du nombre des victimes. Si le Hamas et ses alliés doivent être considérés comme des « terroristes » pour avoir tué trois civils pendant la guerre de Gaza de l’été 2014, comment faut-il qualifier l’Etat d’Israël, qui en a massacré, selon les estimations les plus basses — celles de l’armée israélienne elle-même —, entre huit cents et mille, dont plusieurs centaines d’enfants ?

    Au-delà de son caractère flou et indécis, l’usage du concept de terrorisme tend à dépolitiser les analyses et par là-même à rendre impossible toute compréhension des problèmes soulevés. Nous luttons contre l’« empire du Mal », affirmait le président George W. Bush devant le Congrès américain le 24 septembre 2001, ajoutant : « Ils haïssent ce qu’ils voient dans cette assemblée, un gouvernement démocratiquement élu. Leurs dirigeants se désignent eux-mêmes. Ils haïssent nos libertés : notre liberté religieuse, notre liberté de parole, notre liberté de voter et de nous réunir, d’être en désaccord les uns avec les autres. » Pour affronter le terrorisme, il n’est donc pas nécessaire de modifier les politiques américaines de guerre dans la région, de mettre un terme au calvaire des Palestiniens ; la seule solution tient à l’élimination physique du « barbare ». Si les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, auteurs des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, sont mus fondamentalement par leur haine de la liberté d’expression, comme l’ont proclamé les principaux responsables politiques français, il est inutile de s’interroger sur les conséquences des politiques menées en Libye, au Mali et dans le Sahel. Le jour où l’Assemblée nationale rendait hommage aux victimes des attentats de janvier, elle votait d’un même élan la poursuite des opérations militaires françaises en Irak.

    N’est-il pas temps de dresser le bilan de cette « guerre contre le terrorisme » en cours depuis 2001, du point de vue de ses objectifs affichés ? Selon le Global Terrorism Database de l’université du Maryland, Al-Qaida et ses filiales ont commis environ deux cents attentats par an entre 2007 et 2010. Ce nombre a augmenté de 300 % en 2013, avec six cents actes. Et nul doute que les chiffres de 2014 battront tous les records, avec la création du califat par M. Abou Bakr Al-Baghdadi (4). Qu’en est-il du nombre de terroristes ? Selon les estimations occidentales, vingt mille combattants étrangers ont rejoint l’OEI et les organisations extrémistes en Irak et en Syrie, dont trois mille quatre cents Européens. « Nick Rasmussen, le chef du Centre national de contre-terrorisme américain, a affirmé que le flot de combattants étrangers se rendant en Syrie dépasse de loin celui de ceux qui sont partis faire le djihad en Afghanistan, Pakistan, Irak, Yémen ou Somalie à un moment quelconque au cours de ces vingt dernières années (5). »

    Ce bilan de la « guerre contre le terrorisme » serait bien fragmentaire s’il ne prenait en compte les désastres géopolitiques et humains. Depuis 2001, les Etats-Unis, parfois avec l’aide de leurs alliés, ont mené des guerres en Afghanistan, en Irak, en Libye et, de manière indirecte, au Pakistan, au Yémen et en Somalie. Bilan : l’Etat libyen a disparu, l’Etat irakien sombre dans le confessionnalisme et la guerre civile, le pouvoir afghan vacille, les talibans n’ont jamais été aussi puissants au Pakistan. Mme Condoleezza Rice, ancienne secrétaire d’Etat américaine, évoquait un « chaos constructif » en 2005 pour justifier la politique de l’administration Bush dans la région, annonçant des lendemains qui chanteraient l’hymne de la démocratie. Dix ans plus tard, le chaos s’est étendu à tout ce que les Etats-Unis appellent le « Grand Moyen-Orient », du Pakistan au Sahel. Et les populations ont été les premières victimes de cette utopie dont on a du mal à mesurer ce qu’elle a de constructif.

    Des dizaines de milliers de civils ont été victimes des « bombardements ciblés », des drones, des commandos spéciaux, des arrestations arbitraires, des tortures sous l’égide de conseillers de la Central Intelligence Agency (CIA). Rien n’a été épargné, ni fêtes de mariage, ni cérémonies de naissance, ni funérailles, réduites en cendres par des tirs américains « ciblés ». Le journaliste Tom Engelhardt a relevé huit noces bombardées en Afghanistan, en Irak et au Yémen entre 2001 et 2013 (6). Quand elles sont évoquées en Occident, ce qui est rare, ces victimes, contrairement à celles que fait le « terrorisme », n’ont jamais de visage, jamais d’identité ; elles sont anonymes, « collatérales ». Pourtant, chacune a une famille, des frères et des sœurs, des parents. Faut-il s’étonner que leur souvenir alimente une haine grandissante contre les Etats-Unis et l’Occident ? Peut-on envisager que l’ancien président Bush soit traîné devant la Cour pénale internationale pour avoir envahi et détruit l’Irak ? Ces crimes jamais poursuivis confortent le crédit des discours les plus extrémistes dans la région.

    En désignant l’ennemi comme une « menace existentielle », en le réduisant à l’« islamo-fascisme » comme l’a fait le premier ministre Manuel Valls, en évoquant une troisième guerre mondiale contre un nouveau totalitarisme héritier du fascisme et du communisme, l’Occident accorde à Al-Qaida et à l’OEI une visibilité, une notoriété, une stature comparable à celle de l’URSS, voire de l’Allemagne nazie. Il accroît artificiellement leur prestige et l’attraction qu’ils exercent sur ceux qui souhaitent résister à l’ordre imposé par des armées étrangères.

    Certains dirigeants américains ont parfois des éclairs de lucidité. En octobre 2014, le secrétaire d’Etat John Kerry, célébrant avec les musulmans américains la « fête du sacrifice », déclarait en évoquant ses voyages dans la région et ses discussions concernant l’OEI :« Tous les dirigeants ont mentionné spontanément la nécessité d’essayer d’aboutir à la paix entre Israël et les Palestiniens, parce que [l’absence de paix] favorisait le recrutement [de l’OEI], la colère et les manifestations de la rue auxquels ces dirigeants devaient répondre. Il faut comprendre cette connexion avec l’humiliation et la perte de dignité (7). »

    Il y aurait donc un rapport entre « terrorisme » et Palestine ? Entre la destruction de l’Irak et la poussée de l’OEI ? Entre les assassinats « ciblés » et la haine contre l’Occident ? Entre l’attentat du Bardo à Tunis, le démantèlement de la Libye et la misère des régions abandonnées de la Tunisie dont on espère, sans trop y croire, qu’elle recevra enfin une aide économique substantielle qui ne sera pas conditionnée aux recettes habituelles du Fonds monétaire international (FMI), créatrices d’injustices et de révoltes ?

    Infléchir les politiques occidentales

    Ancien de la CIA, excellent spécialiste de l’islam, Graham Fuller vient de publier un livre, A World Without Islam (« Un monde sans islam ») (8), dont il résume lui-même la conclusion principale :« Même s’il n’y avait pas eu une religion appelée islam ou un prophète nommé Mohammed, l’état des relations entre l’Occident et le Proche-Orient aujourd’hui serait plus ou moins inchangé. Cela peut paraître contre-intuitif, mais met en lumière un point essentiel : il existe une douzaine de bonnes raisons en dehors de l’islam et de la religion pour lesquelles les relations entre l’Occident et le Proche-Orient sont mauvaises (...)  : les croisades (une aventure économique, sociale et géopolitique occidentale), l’impérialisme, le colonialisme, le contrôle occidental des ressources du Proche-Orient en énergie, la mise en place de dictatures pro-occidentales, les interventions politiques et militaires occidentales sans fin, les frontières redessinées, la création par l’Occident de l’Etat d’Israël, les invasions et les guerres américaines, les politiques américaines biaisées et persistantes à l’égard de la question palestinienne, etc. Rien de tout cela n’a de rapport avec l’islam. Il est vrai que les réactions de la région sont de plus en plus formulées en termes religieux et culturels, c’est-à-dire musulmans ou islamiques. Ce n’est pas surprenant. Dans chaque grand affrontement, on cherche à défendre sa cause dans les termes moraux les plus élevés. C’est ce qu’ont fait aussi bien les croisés chrétiens que le communisme avec sa “lutte pour le prolétariat international” (9). »

    Même s’il faut s’inquiéter des discours de haine propagés par certains prêcheurs musulmans radicaux, la réforme de l’islam relève de la responsabilité des croyants. En revanche, l’inflexion des politiques occidentales qui, depuis des décennies, alimentent chaos et haines nous incombe. Et dédaignons les conseils de tous ces experts de la « guerre contre le terrorisme ». Le plus écouté à Washington depuis trente ans n’est autre que M. Netanyahou, le premier ministre israélien, dont le livre Terrorism : How the West Can Win (10) prétend expliquer comment on peut en finir avec le terrorisme ; il sert de bréviaire à tous les nouveaux croisés. Ses recettes ont alimenté la « guerre de civilisation » et plongé la région dans un chaos dont tout indique qu’elle aura du mal à sortir.

    Alain Gresh

     
  • Surveillance de masse

    Surveillance de masse : statistiquement impossible

    Publié le 14 avril 2015 dans Libertés publiques

    Quelle est la probabilité pour que notre État de surveillance repère un terroriste ?

    Par Guillaume Nicoulaud.

    surveillance credits jonathan McIntosh (licence creative commons)

     

     

    La grande question que nous devrions tous nous poser est : sachant que notre système de surveillance vient de générer une alerte, quelle est la probabilité qu’il ait effectivement repéré un terroriste ?

    Pour répondre à cette question, nous allons devoir faire appel au théorème de Bayes et évaluer trois probabilités :

    Primo, la fréquence de base ; c’est-à-dire la proportion de terroristes dans la population — le chiffre de 3 000 individus circule ce qui, rapporté à la population française âgée de 20 à 64 ans (37,8 millions d’individus 1) nous donne une fréquence de base de l’ordre de 0,008%.

    Deuxio, le taux de précision du système de surveillance ; c’est-à-dire la probabilité qu’un terroriste génère effectivement une alerte — par hypothèse, nous allons retenir un taux extrêmement élevé de 99%.

    Tercio et pour finir, nous avons également besoin du taux d’erreur ; c’est-à-dire de la probabilité qu’un innocent soit accusé à tort par le système — prenons, là encore, une hypothèse très optimiste de 1%.

    Ce que nous dit le théorème de Bayes c’est qu’avec ces paramètres, la probabilité qu’une alerte ait effectivement identifié un terroriste est de l’ordre de 0,78%. Non, ce n’est qu’une typo : concrètement, notre système va générer 380 940 alertes dont 2 970 vrais positifs (99% des 3 000 terroristes) et 377 970 faux positifs : soit 1% des 37 797 000 citoyens innocents comme vous et moi.

    En d’autres termes, même en prenant des hypothèses hautement irréalistes quant au taux de précision et au taux d’erreur d’un hypothétique système de surveillance de masse, on aboutit à rien d’autre qu’une déperdition colossale d’énergie. La surveillance de masse en matière d’antiterrorisme est statistiquement impossible.

  • Loi Renseignement

    Loi Renseignement : cet entêtant parfum d’Epic Fail

    Publié le 14 avril 2015 dans Édito

    Il va être de plus en plus difficile d’ignorer la tendance maladive de l’État à mettre sous surveillance toute sa population. Ironie du sort : alors que cette tendance avait pris une accélération sensible avec les gouvernements successifs de droite, c’est avec un gouvernement bien de gauche, bien socialiste qu’elle passe le turbo avec la mise en place de la Loi sur le Renseignement. Ça, c’est du changement !

    Et à mesure que les différents aspects de cette loi sont détaillés, dans la presse et au travers des débats parlementaires, on se rend compte qu’on nous amène en souriant à une mise en coupe réglée de la liberté d’expression et des moyens de communication moderne à commencer par Internet. Si, depuis les lois LOPPSI, LOPPSI 2, la création de la HADOPI, la multiplication des caméras de surveillance, on pouvait craindre le pire, personne n’aurait pu croire qu’il arriverait si vite et serait même débordé par l’enthousiasme délirant de nos élus toujours prompts à en rajouter.

    De ce point de vue, tout se déroule comme prévu depuis les attentats de Charlie Hebdo : animés par le désir de montrer qu’ils font des trucs et des machins, même débiles, nos élus enchaînent les absurdités législatives proprement fascisantes, le tout avec la pire des décontractions, celle des cuistres qui votent ou, pire encore, qui laissent voter un microscopique nombre d’entre eux pendant qu’ils enfilent les buffets ou les accortes jeunes femmes pardon les Commissions et les séances de débat à l’Assemblée ahem brm mrfbb bref…

    C’est ainsi que le pays des Droits de l’Homme devient celui où la liberté d’expression sera la plus corsetée, la plus encadrée et la plus espionnée, à l’exception peut-être des derniers pays communistes et des plus totalitaires, ce qui ne constitue ni une référence, ni un soulagement.

    Et tout ceci aura été mis en place pour satisfaire une opinion publique aussi veule qu’évanescente … alors qu’en pratique, cette surveillance ne marche pas, du tout, ni en théorie, ni en pratique.

    Cette surveillance terroriste qui ne marche pas (cliquez pour agrandir)

     

    J’avais déjà évoqué la question dans un précédent billet, et Guillaume Nicoulaud est revenu sur le sujet dans un récent article paru sur Contrepoints : les mathématiques statistiques sont aussi implacables que les terroristes de DAECH ou les baltringues de l’Assemblée nationale et prouvent sans le moindre doute l’impossibilité physique d’attraper les vilains et les méchants avec des moyens raisonnables.

    On peut le dire, c’est, en soi, un magnifique FAIL qui ne semble absolument pas préoccuper nos élus.

    epic cat fail

    Ce serait déjà risible si on pouvait s’en tenir là. Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas tout : nous sommes en France, et on doit encore ajouter un autre FAIL à cette erreur statistique manifeste, qu’aucune loi républicaine ne pourra corriger, aussi vibrante soit-elle de bonnes intentions (et d’intérêts cachés ou de capitalisme de connivence bien compris).

    Car en effet, ces mesures légales qui distribuent du passe-droit comme un pédophile des bonbons à la sortie de l’école ne sont même pas encore votées qu’elles sont déjà contournées. De surcroît, poussées par l’existence même de moyens légaux destinés à les espionner, les personnes les plus sensibles vont accroître leurs moyens de protection, de chiffrement et d’anonymisation, et seront rejointes par tous ceux qui ne veulent tout simplement pas se laisser faire par les espions gouvernementaux. Tout ceci va augmenter encore le coût d’interception, diminuer le coût des protections (VPN, anonymiseurs, …) par effet de massification, et donc le nombre de faux positifs. Pire encore : pendant que les sénateurs et les députés se tortillent pour trouver des arguments en faveur de leur espionnite aiguë et prétendent chercher des gardes-fous aux libertés fondamentales, on apprend que depuis 2007, les services de renseignements se passent déjà complètement de tout cadre légal, montrant ainsi l’étendue du foutage de gueule qui se joue actuellement.

    On peut le dire : c’est un deuxième FAIL pour cette loi.

    epic fail

    Malheureusement, lorsque l’erreur est humaine, il faut au moins un député ou un sénateur pour la transformer en catastrophe épique.

    Dans cette France où la surveillance se met en place au galop, et qui manque très manifestement de têtes bien faites et bien pleines aux postes clefs du gouvernement, de l’exécutif ou du législatif, le principal souci après, bien sûr, la surveillance des pédonazis, des dieudophiles, des islamocompatibles et des petits cons provocateurs, c’est la situation assez dégradée de l’emploi.

    Qu’à cela ne tienne puisque grâce à la loi de Renseignement, on peut faire d’une pierre deux coups : non seulement, elle ne servira statistiquement à rien, non seulement, elle est déjà contournable au grand dam de nos grandes oreilles étatiques, mais en plus, elle va réussir le pari de faire fuir de nombreuses entreprises, des investisseurs et des patrons dont justement la France a plus que besoin actuellement.

    En effet, les hébergeurs internet s’insurgent contre l’accès en temps réel à leurs données via un système de boîtes noires, prévu par le fameux projet de loi. Les arguments déployés par eux sont relativement simples et de bon sens, et donc complètement hermétiques à l’Assemblée nationale : pour eux, ce projet « n’atteindra pas son objectif, mettra potentiellement chaque Français sous surveillance, et détruira ainsi un pan majeur de l’activité économique de notre pays » ce qui poussera, on le comprend aisément, leurs clients à se tourner vers d’autres territoires moins intrusifs.

    Mhmmh, snif, snif, on dirait un effet délétère supplémentaire. Ah oui, c’est encore un nouveau FAIL.

    fail brouette

    Devant une telle avalanche d’erreurs fondamentales que cette loi va graver dans le marbre, en face des effets adverses, non envisagés mais pourtant prévisibles, qu’elle va entraîner, on est en droit de se demander ce que font nos élus. Sont-ils réellement à leur place ?

    En effet, soit ils ne comprennent pas ce qu’ils votent et il faut alors absolument qu’ils arrêtent de le faire, pour le bien-être collectif, la République, la liberté d’expression ou que sais-je encore. Soit ils comprennent parfaitement, et le sabotage qu’on observe est alors fait sciemment. Ce sont donc des traitres aux principes qu’ils ont normalement juré de défendre, la main sur le cœur ; il y a des lois et des sanctions prévues dans ce cas-là. Soit ils se contentent de laisser voter seulement « ceux qui comprennent » (ce qui explique leur faible nombre lors des votes cruciaux), et on assiste à une parodie de démocratie.

    Dans tous ces cas, absolument aucune excuse ne peut être retenue pour eux. Rien ne justifie les propositions de cette loi, et les évidentes dérives qui en découlent. Sucrer des pans entiers de nos libertés pour un gain sécuritaire nul est parfaitement stupide.

    On traite souvent (et je ne suis pas le dernier) nos élus de bouffons ou d’escrocs. Il y a cependant une subtile différence entre eux. En effet, le soir venu, après une dure journée de travail, l’escroc rentre chez lui. Le bouffon enlève ses frusques. L’escroc, au moins le temps d’un sommeil, n’escroque plus. Le bouffon, rentré chez lui, arrête de faire rire.

    Au contraire de ces escrocs et de ces bouffons, nos élus, eux, ne savent plus s’arrêter.

    epic fail