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Gouvernement français:décryptage - Page 8

  • Après les tueries de Paris...

    Après les tueries de Paris, questionner le traitement médiatique des quartiers populaires

    par Isabelle Sylvestrele 11 février 2015

    Nous publions, sous forme de tribune [1], un témoignage de la documentariste Isabelle Sylvestre (Acrimed).

    Il nous en faudra du temps – si nous nous l’accordons – pour dénouer les fils qui tissent la toile de fond des attentats de janvier 2015 à Paris. Mais s’il y en avait un à tirer, ce serait celui de l’hypocrite et déplorable couverture des médias sur les questions de la violence et de la « misère » sociales des banlieues françaises depuis des années. Comme documentariste pour la télévision publique, j’ai eu maintes fois l’occasion de constater à quel point la violence ne se situait pas que d’un seul côté. Mais c’est un constat qui ne passe pas facilement dans nos médias.

    Dans le fatras médiatique qui couvrait de son bruit assourdissant les attentats de Paris, un média télé a posé un geste intéressant (pour les mauvaises raisons bien sûr, mais on s’en fout) en présentant des photos d’Amédy Coulibaly enfant, en l’appelant même « enfant de la république française ». En fait, ce qu’on peut voir dans ces photos, c’est que c’est un enfant ordinaire, parmi les autres dans sa classe. Il sourit, il s’amuse, bref de très jolis portraits. Il a sept ans, et n’a aucune idée de la couleur de sa peau, aucune idée de la violence du monde qui l’attend au tournant, ni de celle qu’il va lui-même répandre.

    Ces photos, où l’innocence se dispute à la banalité, ont le mérite de nous renvoyer, le temps de les apercevoir, à la question centrale de ces évènements tragiques : par quel processus délirant un enfant peut-il devenir un « terroriste » ? Qui crée ces monstres ? Qui les décérèbre ? La télé-bouillie et les jeux vidéos qui ne cesse de véhiculer des représentations coupées du réel (Cyrulnik) ? Les vendeurs de camelote, de vide, les épandeurs de slogans creux, écrasant tout sens, toute possibilité de faire des liens, les vendeurs d’armes et d’idées tordues de tous bords, au final ? Jeu de questions qui ne sont à ce jour que très rarement soulevées dans les JT ou les reportages jetables. Ce n’est pas leur objet.

    Les théories du complot, qui pullulent actuellement, se servent de ces questions pour en faire des arguments à leurs fins. Ainsi des enfants sont victimes des distorsions mentales des puissants, qu’ils se changent en monstres ou qu’ils reçoivent les coups. Ce qui est en partie vrai. Mais il ne faut surtout pas achopper sur ces théories fumeuses, qui nous empêchent de voir qu’il y a, dans les faits, de réelles invitations à la violence dans les quartiers, qui font le lit des événements de janvier, mais qui sont incessamment passées sous silence, pire, qui sont inversées dans le miroir spéculaire des médias institutionnels.

     

    Que dit-on des banlieues dans les médias classiques depuis des années ?

    Parle-t-on des 127 « bavures » mortelles depuis 2000, dont la majorité des victimes ne sont pas « Français d’origine » ? Des bavures qui ne sont que la pointe de l’iceberg des milliers d’actes de violences policières – de l’humiliation à certaines formes de torture – qui sont chaque année dénoncées par Amnesty Internationale, et surtout, qui restent sans suite, impunis, dans un silence de plomb. « Le rapport d’Amnesty International intitulé "Des policiers au-dessus des lois" a (…) montré que les allégations des victimes et des familles de victimes ne faisaient toujours pas l’objet d’une enquête effective, indépendante, exhaustive, impartiale et menée dans les meilleurs délais. L’étude montrait aussi que des victimes et des proches de victimes restaient de même privés de réparation appropriée – restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition, notamment » [2].

    Cette réalité dénoncée par Amnesty, se reflète également dans les médias qui ont effacé la parole – le droit de réponse – de générations d’enfants d’immigrés, par des reportages formatés, pour « dire » exactement ce que les rédacs chefs veulent entendre. On pourra se référer ici à l’article de Jérôme Berthaut, « Tintin en banlieue, ou la fabrique de l’information », qui décortique les fines mécaniques d’assimilation des rédacteurs en chef des méthodes – voire du langage – de la police dans les banlieues. En plaçant d’emblée la caméra, et le journaliste, aux côtés des forces de l’ordre, « ces modalités de fonctionnement ont pour effet d’aligner les propositions de sujets sur les schémas d’interprétation des responsables de la rédaction les plus éloignés du terrain, au point de définir souvent une banlieue hors sol ».

    Les idées préconçues sur les banlieues, leur violence intrinsèque et sans racine – sauf celle du chômage – ont fonctionné pendant des années dans la tête des rédacteurs en chef. À tel point qu’une « cité » a fini par porter plainte au CSA : « Le 26 septembre 2013, France 2 diffusait dans le cadre de l’émission "Envoyé spécial" un reportage baptisé "Villeneuve : le rêve brisé". Énième reportage à charge contre "la Villeneuve" de Grenoble mais aussi contre les quartiers populaires en général », rapporte le communiqué de presse, qui retranscrit le « Dépôt de plainte contre le Président de France Télévisions pour diffamation publique ». On peut y lire :

    Ce reportage a provoqué une très forte colère des habitants, choqués et indignés de voir leur quartier défiguré. Les habitants ont été blessés de voir les témoins bafoués ou manipulés dans des mises en scène du réel. Sans nier ni les incivillités ni parfois la violence, nous estimons que la vision proposée par le reportage est partielle et ne prend à aucun moment en compte la réalité de la vie quotidienne des habitants de la Villeneuve. Oui, il y a une autre vie dans notre quartier que celle présentée de manière détournée et caricaturale. Les conséquences de ce reportage sont nombreuses. Elles se posent en termes de discrimination. Discrimination à l’embauche pour les jeunes et les habitants du quartier en général, discrimination des élèves fréquentant les établissements scolaires du quartier, discrimination des habitants du quartier dans leur relation avec les autres grenoblois, discrimination au logement, etc.

    Et, pour finir : « Nous ne comprenons pas que nous soyons contraints au silence au nom de la liberté d’expression et que nous soyons dans l’impossibilité de trouver une tribune pour dire notre point de vue ».

    Et justement, lorsqu’en tant que documentariste, j’ai voulu proposer ce droit de réponse, en filmant la reconstitution d’une « bavure » policière qui avait pratiquement tué d’une balle dans la tête le jeune Toufik El Bahazzou, 17 ans, dans la région d’Arles en 2004, j’ai été stoppée par la procureure gardoise, et la mollesse de mes producteurs à résister à la censure judiciaire.

    L’adolescent était au volant de la voiture d’un ami, et conduisait sans permis, m’ont dit ses copains plus jeunes qui l’accompagnaient, lorsqu’ils furent pris en chasse par une voiture de police. Cette chasse à l’ado s’est terminée dans un fossé, sous les tirs d’un agent énervé et peu entraîné, Hicham Errahmouni. Lors de ma demande d’autorisation de tournage, la magistrate m’expliqua que si le garçon était désormais plongé dans un coma profond, en réanimation depuis plusieurs semaines à l’hôpital Nord de Marseille, c’était parce que l’agent avait mal visé. Ce n’était donc pas nécessaire de médiatiser cette affaire qui n’était qu’une erreur. Et pourtant, lui fis-je remarquer, l’agent l’avait eu en plein dans la tempe.

    Cette semaine là, les commerçants de Beaucaire baissèrent leurs rideaux au passage de la famille et des amis de Toufik qui manifestèrent silencieusement dans la petite ville, et ce n’était pas en signe de respect. Des jeunes du quartier m’expliquèrent que tous les jours les « flics » venaient les menacer verbalement, et physiquement, depuis longtemps, un rituel quotidien dans l’opacité des cités lointaines.

    De cette affaire, presque rien dans les médias. Aucun son médiatique ne vient perturber le paysage audiovisuel là-dessus. Silence radio, télé, silence presse. On parlera un peu du procès du policier quelques années plus tard. De la souffrance de cette famille, comme de tant d’autres affaires de bavure, niet.

    Ce qui ne fut pas dit dans les médias pendant des années est aussi dangereux que la bombe à retardement que nous venons tous de recevoir à la gueule en janvier. D’un côté on « surparle » de violence, celle des banlieues dont l’existence n’est jamais remise en cause, un fait « choséifié » médiatiquement. De l’autre côté, on la tait presque complètement – comme si elle n’existait pas. Comment ne pas imaginer la frustration, la colère qui monte face au mépris de la souffrance des pouvoirs en place - de tous les pouvoirs ? Face à la désinformation incessante et le silence mensonger qu’activent les médias institués au sujet des « banlieues » ?

     

    Se ressaisir du récit national et le co-écrire

    Dans un article publié sur Médiapart le 24 janvier, le chercheur Christian Salmon soulève que pour l’écrivain anti-colonialiste Joseph Conrad, « L’attentat terroriste vise à désarticuler la grammaire du récit dominant. Non pour lui opposer un autre récit (un programme, un communiqué), mais pour ruiner la compétence narrative du pouvoir en place ».

    À l’heure de ramasser les débris de cette casse éclatante, il ne s’agit pas de victimiser ni d’encenser une population X, mais de nous déssiller les yeux pour enfin voir la part cachée des drames quotidiens dans ces banlieues éloignées. Il est temps pour tous ceux qui travaillent le récit national – dont les journalistes – de se poser de sérieuses questions. Veut-on réellement continuer dans la médiatisation d’un réel « marketté », construit pour les effets de loupe, et un soi-disant audimat absolutiste ? Un récit rempli de faussetés, de petites et grandes injustices, plein de trous de mémoire et de dé-liaisons, creusant des fossés abyssaux dans le corps social, et portant finalement atteinte à la dignité humaine.

    Un récit national dont toute une part immigrée de la population est dessaisie, à coup de plateau-télé-réalité, et que bien évidemment tous ceux qui en font les frais continueront à vouloir détraquer, coûte que coûte. Si on ne se pose pas les bonnes questions.

    Isabelle Sylvestre

  • Une certaine conception de la justice

    "Sous Hollande, on pourchasse, on traque et on neutralise"

    INTERVIEW - Le journaliste Vincent Nouzille publie Les tueurs de la République. Il raconte les opérations spéciales réalisées par les services français pour éliminer des personnes jugées dangereuses pour la sécurité nationale ou conduire des guerres secrètes contre des ennemis présumés. Des opérations qui se sont multipliées sous la présidence de François Hollande.

    Vous dites que François Hollande assume le plus les opérations secrètes. Quels types d’opérations a-t-il ordonné?
    De manière quasi-systématique, François Hollande a ordonné des représailles et des ripostes suite à des attentats ou à des prises d’otage. Premier exemple : l’embuscade d’Uzbin, à l’été 2008, qui a tué neuf soldats français en Afghanistan. A l’époque déjà, l’état-major de Nicolas Sarkozy avait voulu trouver les responsables et les punir. Mais cela n’avait pas été possible. Finalement les services secrets français et les forces militaires en Afghanistan ont localisé quelques années plus tard le responsable, le mollah Hazrate. Une frappe française l’a tué en septembre 2012.

    Peut-on donner des chiffres sur ces opérations spéciales?
    Il y en a eu une dizaine depuis 2012. Des opérations visant à cibler des gens qui avaient frappé des intérêts français ou des Français. Par exemple, Denis Allex, agent de la DGSE, avait été retenu en otage pendant trois ans et demi en Somalie. Sur ordre de François Hollande, il y a eu un raid de la DGSE pour tenter de le libérer en Somalie en janvier 2013 mais il a mal tourné. L’otage et deux membres du Service action de la DGSE sont décédés. François Hollande a alors donné l’ordre d'exécuter le responsable de cette prise d’otages, Godane, chef des shebabs. Cette exécution a finalement été menée par les Américains. Cela montre l’implication et la coopération des deux pays. Quand on n’a pas les outils pour frapper, on demande à nos amis d’outre-Atlantique d’utiliser leurs drones armés.

    «Une guerre dans la guerre»

    Vous dites que François Hollande a toujours sur lui une liste de terroristes? Que contient-elle?
    C’est une liste qui est le fruit du travail de la DGSE et du renseignement militaire, qui travaillent de concert et qui établissent des listes de chefs terroristes à "décapiter". Elle a été utilisée en particulier durant l’opération Serval au Mali. Il ne s’agissait pas de capturer les terroristes, de les blesser, d’en faire des prisonniers ou de les traduire en justice, il fallait les éliminer. On sait qu’il y a eu une quinzaine de HVT ("High value target", cible de haute valeur) qui ont ainsi été tuées par les Français au Sahel depuis le déclenchement de l’opération Serval. Sur cette liste, on doit certainement pouvoir ajouter les cibles en Afghanistan, en Somalie et Al Qaida pour la Péninsule Arabique (AQPA). Un des chefs d’AQPA, qui a revendiqué l'attaque de Charlie Hebdo. a par exemple été frappé par un drone américain après l'attentat du 7 janvier. Il s’agit bien d’une guerre dans la guerre. Une guerre parfois faite en coopération avec les Américains.

    La France opère de manière secrète alors que d’autres services n’hésitent pas à les assumer. Pourquoi la France ne les revendique pas publiquement?
    Historiquement, la France n’a jamais revendiqué ce type d’opérations contrairement à certains services comme le Mossad israélien qui sont réputés pour se venger de manière systématique. Mais en réalité, la loi du Talion est une règle quasi-intangible des services secrets. Les Français qui étaient très réticents à ce type d’opérations ou ne le faisaient pas savoir, s’y sont davantage mis. Sous François Hollande, c’est devenu un principe : on pourchasse, on traque et on neutralise. Une partie de ces actions se font de manière plus discrète, plus clandestine parce qu'elles se déroulent sur des théâtres d’opération où la France n’est pas officiellement engagée (dans le sud de la Libye, par exemple). 

    «Durant le raid en Somalie pour libérer l’agent de la DGSE, Denis Allex, des civils ont été tués.»

    Y-a-t-il des dommages collatéraux lors de ce genre d’opérations?
    Les officiels français que j’ai pu interroger affirment qu’il n’y en a pas. Selon eux, contrairement aux Américains, on évite les dommages collatéraux, notamment parce qu’on intervient de visu, avec des avions de chasse ou des commandos à terre. Dans la réalité, c’est plus compliqué que ça. Durant le raid en Somalie pour libérer l’agent de la DGSE, Denis Allex, il y a eu des dommages collatéraux importants. Les consignes étaient d’éliminer tous les gens sur le chemin du commando pour des questions de sécurité. Il y a eu des civils qui ont été tués.

    Quels sont les autres Présidents qui ont utilisé ces méthodes?
    Selon les tempéraments des Présidents, c’était plus ou moins assumé. Sous le général De Gaulle, c’était la guerre d’Algérie, les opérations Homo (pour "homicide") étaient décidées en plus haut lieu. Giscard avait une mentalité de tueur au sang-froid. Il avait donc décidé un certain nombre d’opérations de ce type. Sous François Mitterrand, soi-disant, elles étaient proscrites. En réalité, elles étaient tolérées et l'ancien Président laissait faire. D’anciens responsables des services secrets racontent que François Mitterrand ne répondait pas clairement et n’assumait pas explicitement ce type d’opérations. Il disait par exemple "Si vous le jugez utile". C’était une manière de se défausser. Sous Jacques Chirac, cela a été la période la plus calme. Le président était extrêmement réticent. Il craignait toujours l’échec, le boomerang politique. Il n’avait pas une grande confiance dans l’efficacité des services secrets. Même après les attentats du 11 septembre 2001, Jacques Chirac a refusé de s’engager sur ce terrain là.

    Et sous Nicolas Sarkozy?
    Il y a eu deux temps. Dans la première période, il méconnaissait un peu ces outils et ces méthodes et il était plutôt partisan d’une négociation notamment pour les prises d’otage. Finalement, à partir de 2010, il s’est progressivement transformé en chef de guerre. Il avait visiblement davantage confiance dans les forces spéciales, qui dépendent plus de l’armée, que de la DGSE. En 2010, il a été secondé à l’Elysée par un "faucon", le général Puga, qui était son chef d’Etat-major particulier, et partisan de la manière forte. Il a "converti" Nicolas Sarkozy à cette méthode. L’exemple le plus frappant est celui du raid des forces spéciales suite à la prise d’otages de deux jeunes Français au Niger en 2011. Le raid a échoué, les deux otages ont été tués. Mais cela a convaincu Nicolas Sarkozy que la manière forte est la bonne et qu’il fallait envoyer des messages aux ennemis de la France. François Hollande a durci encore plus cette politique. Le chef d’Etat major particulier de Nicolas Sarkozy est d’ailleurs resté en place sous la présidence de François Hollande. Il doit prendre sa retraite en 2015.

    Vincent Nouzille, Les tueurs de la République, (édition Fayard)

    Michaël Bloch - leJDD.fr

  • La lente mise à mort de la liberté d’expression

     

    Jamais un gouvernement n’aura fait autant reculer les libertés publiques que celui de Manuel Valls, à croire que la champ d’action du ministre de l’Intérieur se réduit à sanctionner l’expression d’opinions dissidentes. Chaque affaire médiatique est l’occasion de nouveaux reculs : affaire Mehra, affaire Clément Méric, affaire Dieudonné, fusillade de Bruxelles, attentat de Charlie Hebdo… autant de fenêtres d’opportunité pour gagner le soutien de l’opinion et faire passer des lois liberticides. Chaque situation de crise provoque un sentiment d’anxiété sociale appelant une reprise en main par l’État : le gouvernement et les médias dominants sont passés maîtres dans l’art de manier à  dessein ce mouvement d’insécurisation/sécurisation par lequel ils soumettent l’opinion. On assiste ainsi à une véritable mutation du contrôle social : hier l’instrument du combat contre la délinquance classique, il est aujourd’hui le moyen de défendre un ordre qui se veut moral et républicain mais qui est surtout identitaire et discriminatoire. Façonner les consciences et sanctionner les récalcitrants, voilà pour l’essentiel à quoi se réduit la politique autoritaire du gouvernement socialiste. Elle est le point d’achèvement d’un processus qui débute au milieu des années 1980 et dont nous voudrions rappeler ici les grandes lignes. 

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    A l’origine de la politique actuelle, le tournant de la rigueur

    On n’a sans doute jamais mesuré totalement les conséquences du changement de cap décidé par le gouvernement Mauroy en mars 1983. Confronté à une fuite de capitaux, à un creusement du déficit budgétaire et à une série d’attaques contre le franc, François Mitterrand abandonne la politique de relance par la consommation qu’il avait suivie jusque là. Son souhait de maintenir la France dans le Système Monétaire Européen a eu raison de ses ambitions réformatrices inspirées du Programme commun d’union de la gauche.  Suivra alors une politique sociale-libérale qui montera en puissance avec la nomination de Laurent Fabius à Matignon –  privatisations, blocage des salaires, déréglementation des marchés financiers, orthodoxie budgétaire et promotion du modèle entrepreneurial – totalement à rebours des promesses de campagne du candidat Mitterrand. Dans leur conversion à l’économie de marché, les socialistes ont fait preuve d’un zèle remarquable : une note de l’Insee de 1990 donne même à la France la palme européenne du monétarisme et de la rigueur budgétaire, devant la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher et l’Allemagne d’Helmut Kohl. Et deux ans plus tard, le Parti Socialiste fera logiquement le choix d’adopter le très libéral traité de Maastricht.

    Hollande dans les pas de Mitterrand

    Entre la justice sociale et l’intégration européenne, le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy a choisi et n’est jamais revenu sur cet engagement lourd de conséquences.

    Trois décennies plus tard, l’histoire se répète. Le cocktail est identique : intégration européenne à marche forcée, libéralisme économique et austérité budgétaire. L’équation aussi : de quelle légitimité le Parti socialiste et ses alliés peuvent se prévaloir pour mettre en oeuvre une politique qui trahit leurs engagements de campagne et ne répond en rien aux attentes des classes populaires ? La réponse est à l’avenant : éluder la question sociale en faisant diversion sur les questions de société. La recette « droite du travail/gauche des valeurs » avait bien fonctionné dans les années 1980 : lutte contre le racisme et l’antisémitisme, avec l’appui logistique de SOS Racisme lancé en 1984, en lieu et place de la défense du travail contre le capital. Le combat électoral contre le Front National devient rapidement le seul marqueur de gauche d’une politiquetotalement acquise aux intérêts du capital, et d’autant plus aisément que la démission économique des socialistes favorise la montée en force du vote protestataire d’extrême-droite.

    Choc des civilisations contre lutte des classes

    Mais pour la période actuelle, le tableau est légèrement modifié par une touche supplémentaire : le gouvernement socialiste a fait sienne la rhétorique de la « guerre contre le terrorisme », héritage des années Bush. L’alignement complet de la diplomatie française actuelle sur les intérêts du bloc américano-sioniste influence aussi sa politique intérieure. De fait, la question sociétale rejoint aujourd’hui la question identitaire : civilisation judéo-chrétienne d’un côté, Islam « barbare et conquérant » de l’autre. Les thèmes fétiches de la gauche – défense de la laïcité et combat contre l’antisémitisme, notamment – sont passés à la moulinette néoconservatrice. La politique actuelle sort ainsi les valeurs républicaines du contexte de l’immigration et des questions d’intégration qui était le leur dans les années 80 pour les inscrire dans une problématique du choc des civilisations : « Je suis Charlie » (contre la barbarie islamiste) en lieu et place de « Touche pas à mon pote ». Mais dans tous les cas, il s’agit encore de masquer la question sociale par la question identitaire : aviver les tensions communautaires entre français dits « de souche » et français issus de l’immigration pour désamorcer la lutte des classes et tourner le dos à la justice sociale. Et souvent à grands renforts de communication : l’union sacrée face au terrorisme affichée lors de la mobilisation générale du 11 janvier a relégué au second plan les antagonismes de classe, servant ainsi les intérêts des élites politiques et financières.

    Catéchisme républicain et pénalisation de la dissidence

    Comment obtenir l’adhésion du peuple à une politique contraire à ses intérêts ? Seule une minorité peut tirer profit du libéralisme économique et de la montée en force des tensions communautaires. L’adhésion spontanée étant donc exclue, il ne reste que le conditionnement idéologique et la pénalisation de la dissidence, deux recettes qui ont notamment fait leurs preuves dans le contexte de crise politique provoquée par la fusillade de Charlie Hebdo. L’anxiété sociale alimentée par la couverture médiatique de l’Islam radical suscite une demande de sécurité et permet au gouvernement de mener sa chasse aux sorcières avec le soutien de l’opinion. Des dizaines de procédures judiciaires pour apologie du terrorisme(qui relèvent en fait du délit d’opinion) pour un message posté sur les réseaux sociaux, pour une parole de trop ou pour un refus de la minute de silence, visant des simples citoyens parfois même des collégiens, n’ont pas suscité la moindre indignation politique à l’exception d’associations de défense des droits de l’Homme dont Amnesty International qui a pointé un risque de dérive judiciaire et d’atteintes graves à la liberté d’expression.

    Politique d’ordre contre politique de sécurité

    Peu actif sur le front de la délinquance classique – comme en témoignent les derniers chiffres de l’ONDRP – le gouvernement déploie en revanche une énergie remarquable pour sanctionner les idées ou les propos qu’il juge politiquement incorrects. La loi sur la presse de 1881 a été modifiée à plusieurs reprises par les socialistes, déjà en 1990 par la loi Fabius-Gayssot qui criminalise le négationnisme historique en faisant d’un délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité tels que définis dans les statuts du Tribunal militaire de Nuremberg. La « mère de toutes les lois mémorielles » a valu à Vincent Reynouard une nouvelle condamnation pour une vidéo postée sur Youtube, cette dernière à deux ans de prison ferme, soit le double de la peine encourue pour ce type de délit. La jurisprudence Dieudonné, fruit de la croisade lancée par Manuel Valls contre l’humoriste, lamine la protection dont bénéficiait la création artistique vis-à-vis du pouvoir et rend possible l’interdiction préventive d’une réunion ou d’un spectacle pour des motifs politiques. Last but not least, la création récente d’un délit d’apologie du terrorisme par la loi du 13 novembre 2014 est une arme (redoutable) de plus dans l’arsenal contre la liberté d’expression. Réprimer ceux qui ont le tort d’exprimer des idées non conformes : la politique du gouvernement consiste à défendre un ordre moral au besoin par la contrainte mais plus généralement par la persuasion.

    Gauche morale contre gauche de transformation sociale.

    Le catéchisme républicain est tout ce qu’il reste à une gauche démissionnaire sur le front économique et social. Mais le moralisme, une fois déconnecté de toute réalité matérielle, tourne à vide. La politique actuelle pousse jusqu’à l’absurde cette contradiction : d’un côté la loi Macron qui achèvera de démanteler le code du travail et de dépouiller les salariés de leurs derniers vestiges de protection sociale, de l’autre le bourrage de crâne sur les valeurs républicaines de liberté, de tolérance et d’égalité chaque jour démenties dans les faits. Signe de la fragilité du pouvoir, la propagande laïciste a atteint des sommets dans le contexte créé par l’attentat contre Charlie Hebdo, notamment quand la ministre de l’Éducation nationale a évoqué « de trop nombreux questionnements de la part des élèves » montrant ainsi les limites de sa conception de la démocratie… L’autoritarisme politique et  la négation de l’esprit critique sont devenus la norme d’un gouvernement ayant perdu toute crédibilité économique et sociale et foulant au pied les valeurs qu’il prétend défendre. Victime collatérale, la liberté d’expression vit ses derniers moments.

    Voir également sur ce site : un entretien à propos de mon dernier ouvrage « La République contre les libertés« .

  • La liberté d'expression de Mr Dumas

    Tollé après les propos de Dumas sur Valls

    Publié le 16/02/2015 à 10:07, Mis à jour le 16/02/2015 à 15:31

    A la Une

    Le Premier ministre Manuel Valls et sa femme Anne Gravoin, à l'hôtel Matignon, à Paris - Joel Saget - AFP/Archives
    Le Premier ministre Manuel Valls et sa femme Anne Gravoin, à l'hôtel Matignon, à Paris Joel Saget  /  AFP/Archives

    L'ex-ministre PS des Affaires étrangères Roland Dumas a provoqué un tollé lundi en affirmant sur RMC et BFMTV que Manuel Valls était "probablement" sous influence juive, évoquant ses "alliances personnelles" et, sans la nommer, l'épouse du Premier ministre, Anne Gravoin.

    Le Premier ministre est-il sous influence juive, l'invite à préciser le journaliste Jean-Jacques Bourdin après des propos tenus par M. Dumas en ce sens. "Probablement", "je peux le penser", a répondu l'ancien président du Conseil constitutionnel, âgé de 92 ans. "Il a des alliances personnelles qui font qu'il a des préjugés. Chacun sait qu'il est marié avec quelqu'un, quelqu'un de très bien d'ailleurs, qui a de l'influence sur lui", a-t-il également déclaré.

    Manuel Valls est régulièrement attaqué avec cet argument dans les milieux proches de l'extrême droite et ceux proches de Dieudonné M'Bala M'Bala, qui avait qualifié l'actuel Premier ministre "de petit soldat israélien veule et docile".

    Dans un dossier consacré à M. Valls, le 30 janvier 2014, le très droitier hebdomadaire Valeurs Actuelles écrivait notamment: "De nombreuses sources, Place Beauvau, attestent du +jusqu'au-boutisme+ d'Anne Gravoin, elle-même membre de la communauté juive, dans la lutte contre l'humoriste controversé (Dieudonné, NDLR). Une influence qui expliquerait que Manuel Valls ait mis tout son poids dans un combat pourtant loin d'être prioritaire".

    "Les mots de Roland Dumas sont inadmissibles et dangereux", a dénoncé le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll sur Tweeter.

    La ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a déploré, également sur Twitter, des propos "atterrants". "Roland Dumas nourrit l'antisémitisme ordinaire. Soutien à tous ceux qui combattent la haine".

    Ce sont des "propos inacceptables", qui "dépassent l'entendement en mettant en cause le Premier ministre avec un vocabulaire d'extrême droite", a renchéri le PS dans un communiqué.

    "C'est lamentable. C'est le discours des années 30 sur la France enjuivée. J'ai connu Roland Dumas résistant et pas reprenant le discours de ceux qu'il combattait", a renchéri le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis sur TV5 Monde.

    Le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Bruno Le Roux, s'est dit "révulsé". Proche de Manuel Valls, le sénateur PS Luc Carvounas a dénoncé des "propos nauséabonds", en rappelant que M. Dumas avait "apporté son soutien à Dieudonné en 2006" tandis que l'ex-ministre Benoît Hamon a lâché: "Dumas est écœurant".

    Claude Bartolone, le président PS de l'Assemblée nationale, s'est dit, également sur Twitter, "révolté" par des propos "qui relèvent d’un antisémitisme ordinaire et d’un complotisme délirant", appelant à "ne rien laisser passer".

    Jean-Jacques Urvoas, le président PS de la commission des Lois de l'Assemblée, proche du chef du gouvernement, a ironisé en postant sur Twitter: "Pour la 1ère fois je me sens gaulliste: la vieillesse est un naufrage. Dumas le démontre".

     

    Dumas 'tordu', disait Mitterrand

    Pour Carlos Da Silva, porte-parole du PS, "Roland Dumas a perdu les pédales". "Il faut qu'il arrête de s'exprimer. Des tombes ont été profanées, des citoyens français attaqués parce qu'ils étaient juifs, voilà de quoi on parle!", a dénoncé ce proche de M. Valls sur Europe 1.

    Jérôme Guedj, président PS du Conseil général de l'Essonne, a pour sa part jugé que "les mots choisis de Dumas sont assassins. Pas d'excuse dans l'âge: vieux ou jeune, c'est le même antisémitisme, qui va des mots au meurtre".

    A droite, les propos de l'ancien ministre de François Mitterrand ont également été condamnés: " Les propos de Roland Dumas sur sont inadmissibles et proprement scandaleux Quel naufrage!", a tweeté l'ancien ministre UMP des Transports Dominique Bussereau.

    "Roland Dumas va avoir 93 ans... L'âge du silence médiatique... ou de la révélation de la vraie personnalité? Ses propos sont odieux... comme lui?", a réagi le sénateur et ex-ministre UMP Roger Karoutchi.

    Roland Dumas avait été proche de François Mitterrand, ce qui n'empêchait pas ce dernier de porter un regard sévère sur lui: "J'ai deux avocats, Robert Badinter pour le droit, Roland Dumas pour le tordu", disait l'ancien chef de l'Etat.

    M. Dumas, ancien résistant et fils de résistant fusillé, a par ailleurs rejeté lundi l'expression "islamo-fascisme" employée par M. Valls. "Le fascisme, c'était pas ça, l’hitlérisme non plus, il ne faut pas exagérer". "Il y a une sorte d'escalade qui se produit, moi j'appelle à la raison", a-t-il dit.

     

  • Le numérique et les politiciens

    Le numérique et les politiciens, une longue histoire d’amour brutal

    Publié le 16 février 2015 dans Édito

    Le numérique et les politiciens en France, c’est une histoire longue, douloureuse et remplie de multiples horions. Et lorsqu’on fait se rencontrer des politiciens particulièrement doués pour raconter des bêtises avec un numérique de plus en plus complexe, on obtient une véritable explosion de n’importe quoi que tous les lolcats de la Terre ne parviennent pas à juguler. Et badaboum, ce fut le cas cette semaine.

    Et lorsqu’on évoque les politiciens naturellement doués pour sortir des âneries, Ségolène Royal saute immédiatement à l’esprit avec des petits bonds joyeux et communicatifs. Son actuelle position de ministre de l’Écologie lui donne au demeurant un grand nombre d’occasions d’exercer son art de la saillie drôlatique et d’en faire profiter un vaste parterre de journalistes qui, bien trop déférents, se contentent de retranscrire sagement ses sottises pour notre plus grand plaisir. Lorsque les billevesées sont énormes, on ne peut cependant s’empêcher de détecter une pointe d’ironie dans les papiers des folliculaires, comme par exemple lorsqu’elle a récemment demandé aux fonctionnaires de son ministère de réduire la taille et la quantité de leurs e-mails afin de lutter contre le réchauffement climatique. Oui, vous avez bien lu.

    Ainsi, dans son plan « Administration exemplaire » (qui, lorsqu’on y réfléchit deux secondes, parvient à faire sourire dès le titre), la ministre de l’Écologie milite pour un usage festif, citoyen et éco-responsable de l’informatique qui passe par la réduction du nombre d’e-mails et, surtout, de la taille des pièces qui y sont jointes. Cette réduction permettrait de combattre l’émission de CO2 qui est, dois-je le rappeler ?, le gaz du Diable puisqu’il provoque le réchau refroid changement climatique.

    En effet, grâce à de diaboliques calculs dont la précision ne cessera d’étonner tout observateur un peu versé dans l’utilisation informatique courante, la ministre et ses équipes ont déterminé que, je cite, « un courriel de 1 Mo équivaut à l’émission de 19 g de CO2, avec un seul destinataire, de 73g avec 10 destinataires ». Si le calcul est, probablement, aussi douteusement correct que certainement inutile, croire qu’on va sauver Gaïa en réduisant la taille des attachements de son e-mail est parfaitement grotesque.

    Il faut en effet comprendre que l’e-mail n’est qu’une toute petite partie des coûts d’infrastructure informatique. En termes de bande-passante, on assiste actuellement à une explosion du streaming, que ce soit pour les vidéos, les visioconférences, ou le son (voix sur IP pour la téléphonie, musique, radio). En pratique, les e-mails et leurs attachements n’occupent qu’un petit et sympathique pouième des ressources utilisées pour faire fonctionner Internet (5% ou moins). Autrement dit, un brave fonctionnaire qui échange deux minutes de vidéo-conférence avec un de ses collègues gobe à lui seul l’effort de réduction d’attachements de tout son ministère. Et comme la plupart (pour ne pas dire tous) des appels téléphoniques, externes et internes, sont maintenant eux aussi sur internet, l’impact de la réduction prônée par la ministre est parfaitement négligeable.

    Au passage, il est intéressant de constater que si l’ADEME, l’organisme grâce auquel Royal et ses petits copains ont évalué le poids des e-mails en grammes de dioxyde de carbone, s’est fendu d’une étude détaillée sur les e-mails, il n’a pas poussé le professionnalisme jusqu’à évaluer la facture carbone d’une intervention de la ministre en conférence de presse, coût qui doit facilement se compter en tonnes de CO2 si l’on tient compte du déplacement des journalistes, des centaines de méga-octets d’informations mobilisées pour retranscrire ses performances artistiques, les photographier ou les filmer, et les répandre sur la toile à la vitesse de l’électricité… À n’en pas douter, fermer le clapet d’un politicien revient ici à sauvegarder des pans entiers de forêt amazonienne. Pensez-y, m’ame Royal : quand vous parlez, combien de chatons mignons condamnez-vous ?

    Et quand ce n’est pas Royal qui tabasse des chatons numériques, c’est Fleur Pellerin qui provoque la production de même rageur par paquets de douze.

    Concernant l’actuelle ministre de la Culture, on se souvient de ses précédentes tentatives, à la subtilité d’un hippopotame sous amphétamines, visant à taxer de toutes les façons possibles les géants de l’internet (cible officielle de la nomenklatura française qui n’a pas réussi à y placer ses petits copains énarques). L’idée générale est, bien sûr, que ces multinationales essentiellement américaines, dégageant de solides bénéfices trop loin des doigts crochus de Bercy, doivent être sanctionnées pour l’impudence que constitue leur réussite, tant sur le plan commercial que sur celui de l’optimisation fiscale.

    Il ne faut pas perdre de vue que l’internet et les technologies numériques font jusqu’à présent preuve d’une croissance absolument faramineuse du point de vue très étroit d’un froid collecteur de taxe, ce qu’est intrinsèquement tout politicien actuel, ministre de surcroît et étatiste à plus forte raison. Oublier d’en taxer les moindres recoins, c’est louper une énorme opportunité d’installer de nombreux robinets à finances publiques sur le gros pipeline de richesse que ces technologies créent et entretiennent.

    Ceci explique par exemple la prompte mise en place de taxes aussi iniques que juteuses comme – par exemple – celle sur la copie privée, dont la collecte ne cesse de grossir au détriment complet du consommateur français (qui aime tendrement se faire ramoner le portefeuille à l’aspirateur fiscal, semble-t-il, tant il continue de voter pour ces pillards) :

    Dans de précédents épisodes, Fleur Pellerin, sans doute pour ne pas quitter le gouvernement sans avoir une petite taxe à son nom, avait tenté d’instaurer une nouvelle ponction basée cette fois sur la bande-passante consommée par les internautes français. Les services principaux consommateurs étant précisément ceux-là même qui, par fine optimisation, échappent aux déluges fiscaux de Bercy, Fleur espérait ainsi récupérer ce terrible mankagagner, alpha et oméga de toute gestion étatique de nos jours. Las, son idée n’avait à l’époque pu se mettre en place.

    Qu’à cela ne tienne. Puisqu’apparemment, on autorise Royal à combattre le dioxyde en amaigrissant les e-mails, pourquoi ne pas combattre le déficit budgétaire en amaigrissant le pouvoir d’achat des Français… encore une fois ?

    Et c’est, encore une fois, parfaitement idiot. Outre les évidentes difficultés purement techniques à mettre en place une telle taxation et l’inévitable usine à gaz qui en résultera in fine pour le plus grand bonheur de tous ceux qui y seront assujettis, on peut raisonnablement parier sur des effets de bords à la fois nombreux et catastrophiques sur l’internet français : la vidéo étant la principale raison de consommation de bande-passante, les fournisseurs vont vraisemblablement mettre en place des mécanismes pour s’éviter une taxe trop importante. Autrement dit, ou bien la qualité de distribution des vidéos va décroître très sensiblement, ou bien les Français surferont sur une version particulière et dégradée d’internet. Électoralement, ma chère Fleur, je ne suis pas sûr du tout que ce soit une bonne opération.

    L’informatique et les technologies numériques ont, décidément, un petit coté magique. Surtout pour les profanes et les politiciens, les premiers, parce qu’ils n’en comprennent pas les tenants et les aboutissants, et les seconds parce qu’en plus de n’y rien comprendre, ils les parent de vertus miraculeuses propres à assurer des rentrées d’argent frais pour l’État, des capacités curatives de maux divers et variés, ou plus prosaïquement, leur réélection.

    Mais voilà : comme toujours dans le monde réel, manipuler un grand pouvoir avec une absence totale de responsabilité entraîne toujours de grosses déconvenues. Et, parfois, une bonne quantité de lolcats.