Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Economie - Page 16

  • L’agriculture biologique prise au piège

    BUSINESS

    L’agriculture biologique prise au piège de la grande distribution

    PAR SOPHIE CHAPELLE (10 DÉCEMBRE 2012)

    Les produits biologiques ont envahi les rayons des supermarchés. Mais derrière l’étiquette « bio », on trouve aussi des gigantesques fermes, une main d’œuvre sous-payée et sans droits, des aliments importés de l’autre bout du monde. Les produits chimiques en moins, le label bio en plus. Des dérives de « l’industrie du bio » dénoncées par le journaliste Philippe Baqué dans son ouvrage La Bio entre business et projet de société. Entrez dans les coulisses du nouveau business mondial.

    • Réagir à cet article
    • Recommander à un-e ami-e
    • Augmenter la taille du texte
    • Diminuer la taille du texte
    • Imprimer

    Basta ! : On trouve de plus en plus de produits biologiques dans les rayons des supermarchés. Mais la surface agricole cultivée en bio stagne à 3 % en France. Comment expliquer ce décalage ?

    Philippe Baqué [1 : On assiste depuis 15 ans à un développement fulgurant de l’agriculture biologique. Environ 40 millions d’hectares seraient certifiés bio aujourd’hui dans le monde, selon l’Agence Bio (soit l’équivalent de l’Allemagne et de la Suisse, ndlr). Les deux tiers de ces surfaces sont des prairies qui appartiennent à de grandes exploitations, où paissent des troupeaux qui pour la plupart ne sont même pas vendus en bio. C’est le cas en Argentine où 90 % des 4,4 millions d’hectares labellisés bio sont des terres consacrées à l’élevage de moutons appartiennant à d’immenses fermes.

    En dehors de ces prairies, la majeure partie des surfaces certifiées bio appartiennent à de grandes exploitations, spécialisées dans des monocultures d’exportation – soja, huile de palme, blé ou quinoa. Cette agriculture biologique certifiée se développe surtout en Amérique latine (+26% entre 2007 et 2008), en Asie (+10 %), en Afrique (+6 %), sur des terres où les habitants ne consomment pas, ou très peu, leurs propres productions [2]. Celles-ci sont exportées vers l’Europe, le Japon et l’Amérique du Nord. Cette agriculture bio reproduit le modèle économique agro-industriel dominant qui met les paysans du Sud au service exclusif des consommateurs du Nord et les rend de plus en plus dépendants.

    Sur quelle stratégie commerciale se fonde ce « bio-business » ?

    C’est une véritable OPA de la grande distribution, qui a vu dans le bio un marché qu’elle devait investir à tout prix. Aujourd’hui, en France, 50 % des produits bio sont vendus dans les grandes surfaces. C’est énorme ! Les hypermarchés basent leur stratégie sur la « démocratisation » des produits biologiques. Cela se traduit par de grandes campagnes publicitaires, comme celle d’Auchan qui propose 50 produits à moins de un euro. Ce qui conduit au développement d’une agriculture biologique industrielle intensive, avec l’importation d’une grande quantité de produits à coûts réduits. La France est ainsi devenue importatrice de produits bio, après en avoir été exportatrice.

    Dans le secteur des fruits et légumes, la grande distribution reproduit dans le bio ce qu’elle fait dans le secteur conventionnel. Elle participe à la spécialisation de bassins de production : la province d’Almería en Andalousie s’est ainsi spécialisée dans les légumes ratatouille (tomates, poivrons, courgettes, aubergines...), la région de Huelva dans les fraises. On trouve les mêmes produits dans la plaine d’Agadir au Maroc ou dans le sud de l’Italie. Les producteurs sont mis en concurrence sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Si le coût des tomates d’Andalousie est trop élevé, on ira en chercher au Maroc. Le seul coût qui peut être ajusté, c’est celui de la main d’œuvre agricole, exploitée à outrance, immigrée et sans droit.

    Cette stratégie commerciale n’est-elle pas en contradiction avec la réglementation européenne ? Le droit du travail est-il soluble dans l’agriculture biologique ?

    La nouvelle réglementation européenne concernant l’agriculture biologique, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, a été taillée sur mesure pour favoriser le développement de cette agriculture industrielle et intensive, et la mise en concurrence de ces bassins de production. Elle se réduit à des principes agronomiques, techniques, et ne fixe aucun critère social. La main d’œuvre n’est pas du tout prise en compte, pas plus que les tailles des fermes.

    La question du transport est aussi évincée. Le fait que des tomates d’Andalousie ou des carottes d’Israël soient exportées par des norias de camions dans toute l’Europe n’entre pas en contradiction avec la réglementation européenne. Nous citons l’exemple du soja bio importé du Brésil, qui provient d’énormes exploitations de 5 000 à 10 000 hectares, conquises sur des forêts primaires dans l’État du Mato Grasso. La réglementation n’interdit pas que des produits bio soient cultivés sur des terres récemment déboisées ! Même chose pour l’huile de palme bio massivement importée de Colombie : des paysans ont été violemment chassés de leurs terres pour pouvoir lancer cette culture.

    N’y a t-il pas un risque que le consommateur trompé se détourne des produits bio ?

    Si cette logique se poursuit, les gens finiront par ne plus s’y reconnaître. On est très loin de l’esprit des fondateurs et de la charte de 1972 de l’organisation internationale de la bio (IFOAM), avec des principes agronomiques très forts, mais aussi écologiques, sociaux et politiques. Il était question de transparence, de prix équitable, de solidarité, de non-exploitation des pays du Sud, de fermes à taille humaine, diversifiées et les plus autonomes possible, de consommation de proximité... Aujourd’hui, les cahiers des charges officiels de la bio ont totalement échappé aux paysans, même si les organisations professionnelles sont invitées à en discuter. Au final, ce sont des techniciens à Bruxelles, soumis à tous les lobbies, qui définissent cette réglementation. Et interdisent aux États d’adopter une réglementation plus stricte. Il y a un risque véritable que la bio soit totalement vidée de son sens.

    Heureusement, des marques et mentions ont un cahier des charges plus rigoureux que la réglementation européenne. A l’instar de Nature et Progrès, Demeter, BioBreizh ou Bio Cohérence, qui se démarquent clairement de la bio industrielle. Certains producteurs ne veulent pas de la certification européenne et ont contribué à la mise en place de systèmes de garantie participatifs : un contrôle fondé sur la confiance, en présence d’un consommateur et d’un producteur. S’ils détectent quelque chose qui ne fonctionne pas bien, ils voient avec le paysan comment l’aider à améliorer ses pratiques. C’est une logique d’échange et de solidarité.

    Vous ne voulez pas diaboliser ces agriculteurs, dites-vous. Ceux qui sont dans le système de la bio industrielle peuvent-ils en sortir ?

    Les paysans deviennent des sous-traitants. Ils sont tenus par des contrats avec les toutes-puissantes coopératives agricoles. La filière des élevages intensifs de poulets bio, dominée par des coopératives comme Terre du Sud, MaïsAdour ou Terrena, illustre cette évolution. Dans le Lot-et-Garonne par exemple, Terre du Sud a récemment recruté des producteurs, souvent endettés, pour faire du poulet bio. Elle leur garantit des contrats avec la grande distribution et la restauration collective. La coopérative aide à trouver les financements, fournit les bâtiments, le matériel, les conseils de ses techniciens... En contrepartie, le producteur signe un contrat d’intégration : il s’engage à acheter à la coopérative les poussins, la totalité des aliments pour ses volailles, ainsi que les produits phytosanitaires et médicaux [3]. Il doit vendre toute sa production à la coopérative qui est la seule à déterminer les prix.

    Un exemple : le producteur signe pour un élevage de 40 000 poulets. Il doit investir 250 000 euros. La coopérative l’aide à obtenir 50 000 euros de subventions, le reste provient d’un prêt du Crédit agricole. Endetté dès le départ, le paysan est entièrement soumis à la volonté des coopératives qui peuvent décider du jour au lendemain de convertir son exploitation dans une autre production, si elles jugent que celle du poulet bio n’est plus assez rentable.

    Dans chacune de ces filières industrielles – volailles, soja, café, huile de palme, fruits et légumes – existe-t-il des alternatives biologiques locales ?

    Dans chaque pays où nous avons voyagé, nous rendons compte de cette autre agriculture biologique en rupture avec le système agro-industriel, qu’elle soit certifiée ou pas. J’ai été très marqué par une rencontre avec un producteur à Almería (Andalousie), la plus grande région de concentration de serres au monde. Ses parents ont été pris dans cet engrenage de production de fruits hors-saison destinés à l’exportation. Pendant plusieurs années, il a refusé de cultiver. Il a beaucoup voyagé pour rencontrer d’autres agriculteurs en bio. Aujourd’hui, en plein milieu de cette mer de plastique, sur deux hectares de serres et deux hectares en plein champs, il fait de l’agriculture biologique paysanne, produisant un grand nombre de variétés à partir de semences paysannes et vendant uniquement aux consommateurs andalous. Partout, les résistances abondent. Avec une très grande richesse dans les formes – ferme familiales, coopératives, communautés, groupements – ou les méthodes de culture – cultures associées, systèmes d’agroforesterie, permaculture...

    Le changement des pratiques ne passe-t-il pas aussi par une réflexion autour de la distribution  ?

    Le système des Amap (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) a encouragé l’activité de milliers de maraîchers en France. Les groupements d’achats se développent aussi de façon spectaculaire. Dans le Lot, par exemple, ce sont des personnes bénéficiaires du RSA qui ont décidé de se regrouper afin d’accéder à une alimentation biologique locale. Avec une critique assez radicale de la grande distribution et l’envie d’une relation directe avec les producteurs. Dans l’Aveyron, un groupement a aidé l’un de ses membres à s’installer comme producteur de pâtes locales. Une réflexion plus globale autour de l’alimentation s’amorce.

    La question du prix est-elle essentielle ?

    Des prix de plus en plus bas, la défense du pouvoir d’achat, c’est le combat de la grande distribution. Mais on ne parle jamais du vrai prix des produits « conventionnels », de ce qui n’apparait pas. Pour une tomate « conventionnelle » produite de façon industrielle en Espagne, on ne parle pas du coût du transport, de son coût environnemental, des aides publiques dont cette production bénéficie. Et encore moins des coûts sanitaires dus aux pesticides. Si on prend tout en compte, et que l’on réduit les marges des intermédiaires et des supermarchés, le prix d’une tomate biologique ne serait pas si éloigné du prix d’une tomate conventionnelle. Il n’est pas normal non plus que ce soit les producteurs bio qui paient la certification. Ce devrait être aux pollueurs de payer. Et les maraîchers travaillent 14 heures par jour, six ou sept jours par semaine. Il est essentiel de payer leur travail au juste prix.

    L’agriculture biologique peut-elle être porteuse d’un projet de société ?

    L’agriculture biologique n’est pas une fin en soi. Elle s’inscrit dans un mouvement général basé sur le respect de l’humain et de la nature. On assiste à une querelle d’experts, pour savoir si l’agriculture biologique pourra nourrir ou non la planète en 2050. L’agriculture biologique ne pourra pas nourrir la planète si nous ne changeons pas de système politique. Si nous n’arrêtons pas le transfert massif de populations paysannes vers les bidonvilles des mégalopoles. Si nous n’arrêtons pas de transformer leurs terres en monocultures industrielles destinées à nourrir les élevages des pays riches ou les véhicules. Si nous ne sortons pas de ce capitalisme financier, le plus sauvage à avoir jamais existé. La bio doit nous amener à envisager une société beaucoup plus juste que celle dans laquelle nous vivons. Il existe aujourd’hui un mouvement social diffus et encore peu organisé, mais porteur d’un nouveau projet de société, à l’instar de la lutte du Larzac ou celle de Notre-Dame-des-Landes. Une agriculture biologique ne peut être que paysanne. Si elle est livrée à l’industrialisation, elle ne fera qu’accélérer la disparition du monde paysan.

    Propos recueillis par Sophie Chapelle

    @Sophie_Chapelle sur twitter

    Crédits photo : Philippe Baqué /AlterraviaLes ouvrières de la bio

    A lire : La Bio entre business et projet de société, sous la direction de Philippe Baqué, éditions Agone, 432 pages, 22 euros.

    Notes

    [1] Philippe Baqué est journaliste indépendant, collaborateur du Monde diplomatique, dePolitis, de Silence, de Témoignage Chrétien, auteur du livre Un nouvel or noir (Paris Méditerranée, 1999) et réalisateur de films documentaires : Carnet d’expulsion, de Saint-Bernard à Bamako et Kayes ; Melilla, l’Europe au pied du mur ; L’Eldorado de plastique ;Le Beurre et l’argent du Beurre. Il a coordonné l’ouvrage collectif La Bio entre business et projet de société, paru aux éditions Agone en 2012.

    [2] Chiffres cités par le rapport annuel de l’Agence Bio Les chiffres clés de l’agriculture biologique, la Documentation française, 2010.

  • Obsolescence programmée

    SURCONSOMMATION

    Obsolescence programmée : les Français sont fans de high-tech jetable

    PAR SOPHIE CHAPELLE (2 JANVIER 2013)

    • Réagir à cette brève
    • Recommander à un-e ami-e
    • Augmenter la taille du texte
    • Diminuer la taille du texte
    • Imprimer

    9,5 millions de produits high-tech auraient été vendus pour Noël, en France, dont 2,2 millions de smartphones [1]. Dans un nouveau rapport, l’association Les Amis de la terre dénonce cette surconsommation, liée à l’innovation et aux stratégies publicitaires, qui contribue à créer une véritable obsolescence programmée : un ordinateur portable est renouvelé tous les 3 à 4 ans, et un téléphone tous les 18 mois ! En France, la consommation énergétique des produits high-tech est évaluée à 13,5 % du total de la consommation électrique, soit 5 % des émissions de gaz à effet de serre.

    Obsolescence logicielle

    Comment les fabricants réduisent-ils la durée de vie des produits ? Durée d’usage conditionnée à des offres commerciales, prix élevé des prestations proposées par les services après-vente, batterie intégrée au produit limitant la vie d’un Ipod à 18 mois... Les Amis de la terre pointent également« l’obsolescence logicielle ». Autrement dit, le bridage des systèmes d’exploitation, qui ne sont compatibles qu’avec les dernières générations de produits. Exemple : impossible d’installer le système d’exploitation développé en 2012 sur l’iPad 1 vendu en... 2010 !

    Comment agir contre cette surconsommation imposée ? Le nouveau site lancé par les Amis de la terre www.dessousdelahightech.org donne des pistes pour entretenir son matériel, prolonger la durée de vie de ses batteries, et des contacts pour pouvoir faire réparer près de chez soi. Comme les Ateliers du bocage, qui donnent une seconde vie aux téléphones portables, quelle que soit leur génération. Les plus vieux seront recyclés, les matières issues des téléphones serviront à nouveau et limiteront le prélèvement de nouvelles ressources. Les plus récents sont vérifiés, vidés de leurs données et si besoin réparés. Au niveau national, le sujet de l’obsolescence programmée devrait être débattu en 2013 dans le cadre du projet de loi « Consommation ». Une proposition de loi pour lutter contre l’obsolescence programmée des biens est en cours d’élaboration.

  • Attaquer les pauvres et les bouches inutiles

    Attaquer les pauvres et les bouches inutiles et les assiéger par l’Austérité.

    Comment régler le problème de l’obsolescence des individus (Dissident Voice)

    William Manson

    Mémorandum : Interne (Confidentiel)
    Problème : Grand excédent de main d’oeuvre
    Solution : Austérité (soit, dans les faits, l’annihilation d’une classe sociale).

    Il y a un problème gênant qui refuse de disparaître : que faire de "l’excédent de population" (pour paraphraser Scrooge*, le Malthusien**) ? Je veux dire que dans notre économie post-industrielle du 21ème siècle, des dizaines de millions de personnes - des être humains, n’est-ce pas ? - ont désormais peu de "valeur marchande" pour ne pas dire plus du tout. Deux facteurs en sont principalement responsables : l’automatisation de haute technologie et la délocalisation (la fuite de capitaux, "la course au coût le plus bas"). Leurs compétences professionnelles traditionnelles sont devenues hors de prix, inutiles, dépassées et désuètes. On ne peut plus les exploiter comme salariés (sous-payés) ni comme consommateurs. Ils ne font rien, ils sont malheureux, agités et sujets à des accès spasmodiques de rage qui engendrent de l’agitation sociale.

    Que faire ? On parle ici d’environ 20% de la population des Etats-Unis. Selon la perspective idéologique du néocapitaliste - pour qui la "valeur" individuelle est totalement circonscrite à la "valeur marchande" - ils "ne valent rien". (Souvenez-vous des paroles de Margaret Thatcher : "Il n’y a pas de société civile"). On ne peut pas juste.... les tuer - bien que ce soit certainement le moyen le plus simple, le plus efficace et le moins coûteux de se débarrasser du problème. L’élite qui représente 1% (ou plutôt le dixième de 1%) pourrait même continuer à profiter, dans une impunité quasi-totale, des crimes et des abus commis par les machines à extorquer l’argent que nous appelons Entreprises. Mais il y a des restes de contraintes légales et normatives qui rendent difficiles le meurtre prémédité. (Avec toutefois une exception dont on ne parle jamais mais qui n’en est pas moins flagrante : le bombardement et la destruction de milliers de gens innocents dans des endroits comme l’Irak et l’Afghanistan.)

    Donc, je repose la question : que faire ? Rien qu’aux Etats-Unis, le chômage structurel (plus le "sous-emploi" du temps partiel) touche près de 20% de la population. Et selon les dernières statistiques de l’UNICEF, 23% des enfants étasuniens vivent désormais dans la pauvreté.

    Il y a une variante très efficace de la "doctrine du choc" qu’on peut résumer ainsi : "En ces temps d’incertitude financière - ou plutôt de crise ! - nous ne pouvons tout simplement plus "nous permettre" d’aider tous ces gens. Après tout, personne ne devrait être "en droit" de bénéficier de services à coûts réduits financés par le gouvernement comme la sécurité sociale et le logement (de standing inférieur)".

    En un mot il s’agit de l’Austérité. Quand ces gens n’auront plus aucune ressource, un coup de pied bien appliqué suffira à les chasser de la société. Réduits au désespoir, ils voleront un miche de pain (au sens figuratif) et cette armée de Jean Valjean pourra alors enfin rapporter un peu d’argent - en devenant des hôtes de longue durée de l’hôtellerie carcérale étasunienne (LLC). Mais la désespérance et l’absence d’avenir peuvent aussi pousser ces malheureux dans d’autres formes d’exclusion sociale autodestructrices et (souvent) mortelles comme l’alcoolisme, la drogue, l’emploi d’armes à feu et les "accidents". Pour parler comme les militaires, d’abord on a attaqué les pauvres et les bouches inutiles et maintenant on les "assiége" par l’Austérité.

    Tout cela n’est que du commerce : il faut faire un maximum de profit, c’est tout. Ces gens n’ont "aucune valeur" n’est-ce pas ? En plus ils nous irritent, nous contrarient, et nous voulons "nous en débarrasser". C’est bien cela n’est-ce pas ? Alors il ne faut plus tergiverser. L’histoire regorge d’exemples qui vous aideront à affiner votre stratégie pour mener à bien cette entreprise.

    William Manson a écrit The Psychodynamics of Culture (Greenwood Press).

  • Conso alternative

    LE GRAND ENTRETIEN30/12/2012 à 16h16

    Conso alternative : « Les classes moyennes ont changé de valeurs »

    Sophie Caillat | Journaliste Rue89

    Rencontre avec l’auteure d’un livre porteur d’espoir : partout dans le monde, des citoyens s’organisent pour subvenir à leurs besoins et inventer une autre société.

    A l’heure où la phrase de Margaret Thatcher « There is no alternative » (au libéralisme, à la rigueur budgétaire) n’a jamais été autant dans la bouche des dirigeants, il est bon de rappeler la réponse de Susan George : « There are thousands of alternatives ».

    La journaliste Bénédicte Manier est partie de la deuxième assertion et, pendant deux ans, est allée voir ce qui fait bouger la société civile, les graines de changement semées partout et qui inventent un « autre monde possible ». Elle en a ramené un livre passionnant, « Un million de révolutions tranquilles »(Editions Les liens qui libèrent), qui fourmille d’utopies réalisées.

    Des assemblées villageoises qui gèrent l’eau en Inde aux banques citoyennes en Espagne, elle décrit le fonctionnement de quelques-unes des solutions susceptibles de contourner la grande machine capitaliste.

    Rue89 : Qu’est-ce qu’une « révolution tranquille » exactement ?

    Bénédicte Manier : Ce sont des changements locaux, qui se mettent en place silencieusement pour résoudre les problèmes auxquels la population est confrontée – chômage, pauvreté, malnutrition, dégâts sur l’environnement... –, défis que les pouvoirs publics semblent impuissants à résoudre. Alors les citoyens décident d’agir eux-mêmes. Et aujourd’hui, on assiste à un foisonnement d’initiatives sur tous les continents, de solutions locales facilement transférables d’un pays à l’autre.


    Couverture du livre de Bénédicte Manier

    En agriculture, on voit émerger de nouvelles zones d’autosuffisance alimentaire, avec des réformes agraires menées par les habitants eux-mêmes ou la régénération d’écosystèmes grâce à l’agroforesterie et au bio. En Afrique, en Asie, en Amérique latine, des coopératives créent de l’emploi et sortent de la pauvreté des milliers d’oubliés de la croissance.

    Une autre façon d’habiter les villes a aussi émergé, avec partout l’essor de coopératives de logement et de l’agriculture urbaine (New York, par exemple, compte 800 jardins partagés). Contre la spéculation, des filières d’épargne citoyennes se sont développées.

    Pour les exclus du système de santé, des citoyens américains ont ouvert 1 200 cliniques gratuites. Contre la « malbouffe », les consommateurs japonais ont adhéré par millions aux « Teikei » (les Amap locales) et aux coopératives d’achat direct aux fermiers. Ils ont aussi créé leurs propres services (crèches, emplois familiaux...). Dans des domaines très variés, la société civile reprend ainsi en main les enjeux qui la concernent et devient un vrai moteur du changement social.

    De quand datent ces initiatives ?

    Certaines d’il y a vingt ans, mais depuis une dizaine d’années, les changements sont devenus très visibles dans le domaine de la consommation. Les classes moyennes des pays industrialisés ont largement adopté la « consommation collaborative », qui consiste à acheter moins, mais mieux, et entre soi : on achète d’occasion, on partage, on loue, on troque, on répare au sein d’ateliers participatifs, on échange des services sans argent...

    En bref, on développe les « 4 R » (réduire, réutiliser, réparer, recycler). On se tourne aussi vers le local et le bio, pour savoir ce qu’on mange et soutenir l’économie de proximité. Et en imposant ces nouveaux comportements, la société civile a en partie réorganisé la distribution et amorcé une transition vers des modes de vie plus économes et plus écologiques.

    C’est ce qu’on appelle le « penser global, agir local », que Coline Serreau avait décrit dans son dernier film ?

    Exactement. C’est une évolution profonde : les gens se rendent compte que le modèle de développement actuel a trouvé ses limites et souhaitent d’autres logiques que le tout-marchand. En soutenant une coopérative locale ou uneAmap, en échangeant dans un système d’échange local (SEL) ou en plaçant son épargne dans l’économie solidaire, le citoyen contribue à une activité économique qui répond mieux à ses valeurs.

    Est-ce aussi ce qu’on appelle l’économie de la débrouille ?

    Oui, mais pas seulement. L’« économie de la débrouille » donne l’impression que c’est uniquement déclenché par la crise. En réalité, cela fait plusieurs années que les classes moyennes ont silencieusement changé de valeurs. Par exemple, quand une petite partie d’entre elles se détache des banques commerciales pour aller vers des circuits financiers solidaires, c’est parce qu’elles cherchent du sens et veulent voir leur argent servir à autre chose que la spéculation. Ce changement d’aspiration date d’avant la crise et celle-ci n’a fait que l’accentuer.

    Quels sont les profils concernés ?


    Bénédicte Manier (DR)

    On a affaire à des générations très connectées, très informées, conscientes des grands enjeux et qui ne se retrouvent plus dans l’hyperconsommation, mais davantage dans des comportements conviviaux et coopératifs.

    Les consommateurs sont ainsi devenus des acteurs des filières ; en partageant leurs outils de bricolage, leurs maisons (Couchsurfing) ou en organisant leurs propres circuits de livraison de colis par covoiturage, ils mettent en place une économie collaborative, ce qu’explique Anne-Sophie Noveldans son livre « Vive la co-révolution ».

    Les logiciels libres notamment sont issus de cette coopération transversale. C’est une forme de déclaration d’indépendance vis-à-vis de l’économie classique, qui se fait sans vraiment d’idéologie, mais plutôt avec pragmatisme. C’est finalement une génération post-mondialisation, qui en a adopté les outils (Internet, smartphone), mais qui les met au service d’actions citoyennes participatives et décentralisées.

    Décroissants, créatifs culturels, sous quelle bannière les regrouper ?

    Certains sont dans l’une ou l’autre tendance, mais beaucoup n’entrent dans aucune. Les créatifs culturels sont ceux qui dans les années 1990 ont créé une autre manière d’être au monde, en étant davantage dans l’être que dans l’avoir. Mais aujourd’hui, le changement s’est élargi à d’autres groupes sociaux. Je ne me hasarderais pas à quantifier, mais visiblement le changement concerne une bonne partie des classes moyennes.

    Deux livres parus en 2010 aux Etats-Unis ( « Consumed : Rethinking Business in the Era of Mindful Spending » et « Spend Shift : How the Post-Crisis Values Revolution Is Changing the Way We Buy, Sell, and Live ») ont montré que 72% des habitants des pays industrialisés ont adopté des modes d’achat plus écologiques et plus sociaux, et que 55% des ménages américains ont mis en place une consommation « démondialisée », en adhérant à des valeurs d’autosuffisance, de « do it yourself » ou d’achat sur les marchés fermiers locaux.

    Quelle peut être la traduction politique de tout cela ?

    Ces changements silencieux se font en dehors des groupes constitués, c’est typique des sociétés en réseaux où l’on se regroupe entre voisins ou en groupes informels aidés par les réseaux sociaux. Il n’y a pas de relais politique : les citoyens ont plus ou moins intégré l’idée qu’on ne change pas le monde avec un parti politique, ce qui exprime une sorte de fatigue de la démocratie, comme l’explique Pierre Rosanvallon.

    Et ils ne descendent plus dans la rue. La contestation des Indignés et du mouvement Occupy Wall Street a d’ailleurs trouvé ses limites et ces groupes se réinvestissent maintenant dans les initiatives concrètes. Les Indignés espagnols créent par exemple des coopératives de logement et des systèmes d’échange gratuit de services. On n’est plus dans la protestation, mais dans le passage à l’acte.

    Est-ce que le nouveau réseau social Newmanity est susceptible de leur donner plus d’occasions de se rencontrer et plus d’écho ?

    Il est intéressant de voir se développer des réseaux sociaux davantage liés à ce changement d’aspirations. Cette nouvelle génération de réseaux va au-delà de la simple mise en relation, pour proposer du sens : elle propose de partager les mêmes valeurs éthiques. Et si Newmanity diffuse ces initiatives de changement, il va sans doute accélérer leur progression, notamment par une logique de « translocal », une reproduction d’un territoire à un autre.

    Parmi les acteurs importants, il y a le Québec. Qu’a-t-on à apprendre de lui ?

    Les coopératives d’habitants se sont beaucoup développées là-bas, car la société civile a créé des structures de professionnels qui aident les gens à transformer des bâtiments désaffectés en habitats coopératifs, ou à concevoir des immeubles écologiques et conviviaux où on habite ensemble en mutualisant les charges. Les logements sont à l’abri de la spéculation et sont loués nettement en dessous du marché. Au Québec, on en compte 1 200, qui logent 50 000 personnes.

    Elles se sont aussi développées en Allemagne, en Angleterre, en Suède, aux Etats-Unis... mais peu en France, pays très réglementé et plus colbertiste. Les« Babayagas » ont ainsi eu beaucoup de mal à créer une forme d’habitat coopératif : parce qu’il n’entre dans aucune case administrative, elles ont dû passer par un office HLM. De même, il est difficile ici de créer des coopératives d’énergies renouvelables, notamment parce qu’il faut revendre son électricité à EDF, qui a baissé ses tarifs de rachat. L’individualisme joue aussi sans doute un rôle.

    Les initiateurs de l’expérience des éoliennes citoyennes en Pays de Vilaine ont ainsi ramé pendant dix ans ! Mais ailleurs, ça se développe : au Danemark, 86% des parcs éoliens appartiennent à des coopératives de citoyens. Et en Allemagne, une quarantaine de villages sont déjà autonomes en électricité et se la revendent entre eux, préfigurant ce que Jeremy Rifkin appelle la Troisième révolution industrielle.

    Quels sont les projets les plus avancés en France ?

    Chez nous, ce qui marche bien, ce sont les circuits courts, les monnaies locales, la consommation collaborative ou, dans une certaine mesure, l’épargne solidaire, avec par exemple Terre de liens pour sauver les fermes de terroir. Mais une coopérative financière comme la NEF reste bien moins importante que les grandes coopératives d’épargne américaines (les « credit unions »), ou que la Coop57– coopérative catalane grâce à laquelle les particuliers financent directement l’économie solidaire locale –, ou encore que les banques sociales et écologiques comme la Triodos Bank des Pays-bas ou la Merkur Bank du Danemark.

    « Un million de révolutions tranquilles » peuvent-elles faire une grande révolution ?

    Je décris une évolution des mentalités lente mais réelle, qui va certainement se développer car elle est portée par les classes moyennes, ces « trendsetters » qui fixent les normes de demain. Est-ce qu’un jour tout cela atteindra une masse critique ? Je n’en sais rien, mais on est certainement dans une transition. Les citoyens vont plus vite que les politiques, et ils inventent de nouveaux comportements parce qu’ils ont envie de vivre mieux. Ce mouvement « bottom up » est certainement amené à se développer.

    Comme dirait Pierre Rabhi, changer le monde nécessite de changer soi-même, non ?

    Les gens ont déjà cette intuition que les théoriciens de la décroissance comme Rabhi, Latouche, Viveret, les penseurs de la transition, Rob Hopkins, formulent. Ce sont des initiatives encore minoritaires, mais qui se multiplient maintenant d’un bout à l’autre de la planète, montrant que quelque chose est en train de bouger à la base de la société. Quand des habitants commencent à transformer l’habitat, l’agriculture ou d’autres les aspects de la vie quotidienne, on est peut-être en train de passer à une autre époque.

  • Origines de la crise (fin)

    Origines de la crise (fin) : CDO et p’tites pépées 

    (ou comment développer un système financier planétaire hyper casse-gueule qui affame la moitié de la planète, déstabilise l’économie du reste du monde et enrichit une poignée de tarés en costard-cravate adeptes des martini-gin et des clubs de streching…)

     

    Si vous voulez connaître les derniers détails du raz-de-marée parti en 2007 depuis le pays des adeptes des dindes géantes de Thanks-Giving, raz-de-marée qui s’est pointé en 2008 en Europe (pour être vaguement colmaté à coups de renflouement des banques) et qui s’est de nouveau répandu en 2011, c’est maintenant qu’il faut rester vigilant. Tout réside dans la bonne compréhension des épisodes précédents : c’est à partir de tout cet enchaînement historique (décrit dans les épisodes ouane, tou, fri, faure) qu’on peut arriver à capter comment, à la charnière du XXème et du XXIème siècle, le système s’emballe encore un peu plus pour donner l’hérésie actuelle. Autant dire un système financier déchaîné, sauvage, débridé, et sous l’effet d’une hypertrophie telle que des nations industrielles ultra riches ne sont plus en capacité de lui résister.

    « On est les maîtres du mooooooonde ! »

    Tenez-vous bien à votre clavier, les annonces qui vont suivre ne sont pas des plaisanteries. La période entre 1995 et 2005 voit les fusions-acquisitions des grandes entreprises se multiplier dans tous les secteurs : normal l’OMC et le FMI encouragent la concurrence planétaire, il faut donc grossir pour écraser les adversaires. Petit problème d’ordre éthique : parmi les 200 plus grosses multinationales de l’époque, certaines ont des chiffres d’affaire  plus importants que le PIB du Portugal ou du Danemark. Les autres dépassent les PIB de n’importe quel pays africain. Par exemple, le chiffre d’affaire de Ford en 1999 est de plus de 175 milliard de dollars, le PIB du Danemark de 173 milliards, celui du Portugal, de 126. Il n’est pas compliqué d’imaginer ce qu’il est possible de pratiquer en termes de lobbying politique quand on possède des arguments pareils, hein ? Mais pour arriver à financer tous ces rachats et accroître les parts de marchés et autres investissements all- around-the-world, il faut emprunter un maximum de pépettes. Pas de problème ! On a des solutions dans les tiroirs mon grand, tu vas voir comment qu’on va tous se goinfrer sans trop d’efforts.

    Devine qui vient dîner dans mon hedge-fund ?

    Là, il faut avouer que c’est un peu coton, parce que plus grand monde ne sait exactement comment ça marche ce système des hedge funds. On peut dire quand même que ce sont eux qui financent les entreprises et les investisseurs institutionnels (suivez mon regard), qu’ils jouent avec des portefeuilles sur tous les registres, sans contrôle : cotations en bourse, marché de change des monnaies, immobilier, matières premières… Ces mecs là existent depuis longtemps (les années 50) mais leur pouvoir de nuisance s’est accru ces derniers temps (on comprend pourquoi en relisant les épisodes précédents). Pour plus de pertinence, autant s’appuyer sur un type qui s’est donné la peine de bosser dessus et dont l’article (publié en 2006 dans le « Monde diplomatique ») est assez éloquent à leur sujet. Extrait de « une économie d’apprentis sorciers », par Gabriel Kolko :

    « Il existe au moins dix mille hedge funds, dont les quatre cinquièmes sont domiciliés dans les îles Caïmans. Toutefois, quatre cents d’entre eux, qui gèrent chacun au moins 1 milliard de dollars, réalisent à eux seuls 80 % des opérations. En l’état actuel, il n’existe aucun moyen de les réglementer. Ces fonds spéculatifs détiennent plus de 1 500 milliards de dollars d’actifs, et le chiffre d’affaires quotidien de leurs opérations sur les produits dérivés globaux approche les 6 000 milliards de dollars – soit environ la moitié du produit national brut des Etats-Unis. Dans le climat d’euphorie des cinq dernières années, la plupart ont gagné, mais quelques-uns ont perdu. Ainsi, en un an (d’août 2005 à août 2006), près de mille neuf cents hedge funds ont vu le jour, mais cinq cent soixante-quinze autres ont été mis en liquidation. L’agence de notation Standard & Poor’s voudrait bien évaluer leur solvabilité, mais elle ne l’a toujours pas fait. »

    Ah ouais, c’est ballot que Standard & Poor’s évalue notre solvabilité nationale (pour abaisser notre note) mais n’évalue pas celle des hedge funds. Vraiment trop ballot.  Mais ça devient encore plus amusant quand on continue à lire l’article :

    « /…les clauses juridiques destinées à protéger les investisseurs se sont réduites en nombre, les prêteurs ont moins de possibilités de contraindre les entreprises mal gérées à se déclarer en cessation de paiement. Conscients que leurs paris sont de plus en plus risqués, les hedge funds s’arrangent pour qu’il soit beaucoup plus difficile de retirer l’argent avec lequel ils spéculent. Les opérateurs se sont repositionnés en intermédiaires entre les emprunteurs traditionnels – nationaux et privés – et les marchés ; ce qui contribue à déréglementer un peu plus encore la structure financière mondiale et à augmenter sa vulnérabilité aux crises. Ils recherchent des retours sur investissements élevés et prennent pour cela des risques de plus en plus grands. »

    Oh, les gars, j’ai eu une idée : et si on leur refilait des milliards de crédits merdeux incompréhensibles ? Ooooooh ouais, t’es trop génial John, viens là qu’on t’embrasse ! (bruits de verres qui tintent accompagnés de gloussements féminins).

    Nous sommes obligés d’arriver à cette affaire des subprimes. Forcément. Extrait (toujours du même article de 2006 de Kolko) à propos des produits dérivés :

    « Personne ne peut dire exactement ce que sont les produits dérivés de crédit. Pas même Gillian Tett, principale responsable de la rubrique des marchés de capitaux au Financial Times, qui a pourtant enquêté. Le produit est né, il y a une dizaine d’années (donc autour de 1995, ndlr), lors d’une réunion de certains dirigeants de la banque J. P. Morgan, à Boca Raton, en Floride : entre deux cocktails, et avant de se pousser les uns les autres dans la piscine, ils eurent l’idée d’un nouvel instrument financier, qu’ils voulaient suffisamment complexe pour ne pas être imité facilement (le droit d’auteur n’existe pas en matière de finance) et qui devait leur rapporter gros.…/…Aux yeux de l’investisseur américain Warren Buffet, bien placé pour connaître tous les dessous de la finance, les dérivés de crédit sont des « armes financières de destruction massive ». Alors qu’ils représentent théoriquement une assurance contre les risques de défaut de paiement, ils encouragent des paris encore plus hasardeux et une nouvelle expansion des prêts. Enron en fit abondamment usage, ce qui fut l’un des secrets de sa réussite – et de sa banqueroute finale, qui s’est traduite par un trou de 100 milliards de dollars. Totalement opaques, les dérivés de crédit ne font l’objet d’aucune surveillance réelle. Nombre de ces « produits » innovants, selon un directeur financier, « n’existent que dans le cybermonde et sont seulement des moyens permettant aux ultrariches d’échapper au fisc« .

    Chouette, chouette, chouette. Quand on sait ça, on est heureux de payer ses impôts, nan ?

    Dis monsieur le financier, dessine-moi un CDO… 

    Alors, alors, l’idée de John et ses potes de J.P Morgan tient en quelques mots : inventer un nouveau système de portefeuille d’obligations super pourri appelé CDO. Pas la peine de chercher à comprendre comment fonctionnent les CDO dans le détail, c’est à peu près autant abordable que la physique quantique… Tout ce qu’on peut dire à leur propos c’est qu’ils sont (en gros) des portefeuilles d’actifs qui contiennent des dettes immobilières, mais pas que. Avec aussi des obligations émises par les gouvernements (chouette, ça rassure). Ouais, c’est pas très clair. Mais le principe central qui a foutu le feu sur la planète est quand même en partie ce système qui porte le doux nom de « titrisation ». C’est, en résumé, un système de gestion des créances (donc des dettes, genre des prêts immobiliers) que les banques revendent à des sociétés censés les gérer, les garantir, en fait le plus souvent des fonds d’investissement. On aime bien ça en Amérique, parce que c’est censé être à rendement garanti, les CDO (miam, miam). Dans le cas de nos subprime, c’est un cas d’école : tu vends des crédits immobiliers aux ricains les plus démunis avec écrit en tout petit sur le contrat que leur taux de crédit va bouger en fonction des taux d’intérêts de tout un tas de trucs, mais entre autres le taux directeur de la réserve fédérale américaine (FED). Tu vends aux pauvres ces crédits pourris en 2004, et comme 3 ans plus tard le taux directeur principal de la FED est passé de 1% à 5%, les pauvres ne peuvent plus payer leurs mensualités. Mais pas grave, tu revends ces crédits pourris à des spécialistes de ce genre de trucs qui les titrisent, et donc les transforment en CDO. Et ce qui est très cool, c’est que ces CDO, on se les refile hors marché, on appelle ça de gré à gré, c’est plus discret. Hop, youpla. Ce qui très con, c’est qu’en 2007, après qu’un maximum de pauvres a dû vendre sa maison, le prix de l’immobilier chute en toute logique. Et le prix des maisons étant devenu minable, ben leur vente ne suffit plus à rembourser les créances. Damned ! « On en fait quoi John de nos CDO ? Heu…je sais pas, si on les refilait à des couillons en Europe, hum ? Fucking bastard, you’re a genius, allez, ressers-moi un martini-gin s’il te plaît… »

    Mais…et la crise européenne de la dette, c’est quoi en fait ?

    Allez, let’s go Paulo, on fait rapide, mais on donne des billes quand même. C’est fait de quoi une dette d’Etat, huuuummm ? Par qui elle est détenue ?  Et ben une dette d’Etat elle est faite en premier lieu d’obligations d’Etat. Ah ouais, cool…mais c’est quoi ? Des morceaux de papiers avec marqué dessus « reconnaissance de dette ». Ben ouais. Mais si on peut boursicotter dessus (miser à la baisse ou à la hausse en se les échangeant), c’est quand même de gré-à-gré, comme les CDO. Donc on ne connait pas le volume exact et surtout, surtout, leur taux d’intérêt, à ces obligations, varie en permanence. Fonction de la capacité de l’Etat à rembourser ou pas. Capacité évaluée par…John et ses potes, ce qu’on appelle pudiquement « les marchés ».  Il y a aussi des crédits classique auprès des banques, du FMI, d’autres Etats qui constituent la dette d’un Etat…mais bon, c’est moins important. Niveau Europe, la moitié des dettes dites « souveraines » sont détenues par des banques. Quand on parle de dette souveraine, ça correspond à des obligations émises dans une devise étrangère. Tous ces morceaux de papier qui correspondent à des reconnaissance de dettes sont transformés en bit informatiques pour qu’on puisse se les refiler allègrement entre opérateurs financiers. Tout ça en nano-secondes. Ce qui peut donner 25 000 opérations d’échanges de titres en 14 secondes. Not too bad. Sachant que c’est une intelligence artificielle qui a pris les décisions fonction de critères échangés toujours en nano-secondes avec d’autres intelligences artificielles. Pour finir là dessus, parlons rapidement de la spéculation sur ces dettes souveraines : personne n’a de réponse précise, mais il semble que des produits dérivés de crédits appelés CDS soient en cause. Par exemple les taux d’intérêt des obligations grecques est passé en deux ans (2009-2011) de 5 à…25%. Whaaaaa ! Pas cool pour eux les Grecs. Ben ouais, mais parce que, comme les Frenchies (à peu de chose près), 70% de leur dette est étrangère, aux Grecs. Et que les ventes à découvert permises par les produits financiers super compliqués, les CDS, permettent de faire grimper les taux d’intérêt des obligations. Un CDS c’est un Credit Default Swap : tu vends des crédits pourris super opaques bourrés de trucs différents, genre des CDO, et en version CDS ça te donne une assurance : en gros tu peux tout acheter (et revendre) sans avoir la thune. Ca te permet de faire des transactions super balèzes qui peuvent faire bouger les taux d’intérêt d’une obligation d’Etat sans avoir à t’emmerder à trouver les fonds pour acheter vraiment les obligations. Faut pas pousser non plus : quand t’es un banquier de génie chez J.P Morgan, que tu peux imaginer des trucs comme ça autour de la piscine avec des bimbos, après ton dizième martini-gin, tu peux te fendre la poire un bon coup en pensant à tous ces couillons qui vont devoir aller bosser à vélo jusqu’à 70 ans pour un salaire de 700 euros mensuel quand toi tu émarges à 10 millions de dollars et va faire tes courses de coke en jet privé. Après avoir revendu toutes tes obligations grecques, italiennes, françaises, irlandaises, portugaises, espagnoles, bien entendu… Ah, ouais, la vie est décidément trop trop cool chez J.P Morgan !

    Conclusion  (provisoire) de cette saga des origines (potentielles) de la crise

    Les banques ont perdu un maximum avec les CDO de type subprime, au point qu’il a fallu leur filer du pognon tellement les coffres étaient vides. Puis les fonds d’investissement de spéculation se sont jetés sur les obligations de dettes souveraines avec des CDS et généré cette nouvelle crise financière. Mais cette « crise », dite de la dette, qui est bancaire et spéculative n’est pas le plus inquiétant, ni le centre du problème. Si vous avez bien suivi toute l’histoire vous avez compris que ce qui est appelé « crise » n’en est pas une : c’est un système qui s’est mis en place sur plus de 40 ans, s’est développé, a gonflé et est arrivé aujourd’hui à son paroxysme. Le discours sur la crise des dettes souveraines est aussi débile que de se plaindre de grossir tout en se bourrant de confiseries du soir au matin. Ceux qui détiennent la dette française étaient non-résidents à 32% en 1993, ils sont à plus de 65% aujourd’hui. Ce sont des fonds de pension étatsuniens, des compagnies d’assurance, des grandes banques, des hedge funds. Nos créanciers sont simplement ceux qui ont bouffé la planète. Ils nous dirigent, et par dessus le marché ils spéculent sur la dette qu’ils ont participé à créer. Notre problème est d’avoir une dette publique à 82% parce que les dirigeants ont « oublié » de taxer normalement les multinationales pendant 20 ans tout en les laissant optimiser leurs profits vers les paradis fiscaux. Notre problème est d’avoir permis à nos dirigeants politiques de vendre nos pays à la finance internationale, d’avoir laissé  les multinationales mettre en coupe la planète et dicter leur loi aux Etats. Notre problème est d’avoir laissé se répandre des produits dérivés de crédit à grande échelle, de la spéculation à tous les niveaux (qui affame des peuples quand elle touche les matières premières agricoles), se constituer des monopoles privés de géants industriels plus puissants que les Etats eux-mêmes, l’évasion fiscale vers les paradis fiscaux (avec blanchiment d’argent) devenir la règle des puissants, la volatilité des cours des valeurs boursières par la titrisation se généraliser .

    Tout ce laisser-faire ultra-libéral mis en place avec la complicité et l’assentiment des « responsables politiques » pour qui les peuples ont voté, ont explosé les économies réelles des grandes nations industrielles et est en train d’engendrer une récession mondiale aux effets ravageurs. Alors si tu ne t’appelles pas John, que tu ne travailles pas dans la finance, que tu touches un salaire normal (moins de 50 000 euros par an) mais que tu ne peux pas partir en vacances comme les smicards le faisaient il y a 20, 30 ou 40 ans, dis-toi que tout ça est parfaitement logique. Mais si tu ne fais rien d’autre que de te plaindre en gobant ce que les avocats d’affaire au pouvoir te disent, relis ces articles et cherche le moyen pour collectivement botter le cul  à tous ces escrocs et récupérer le pognon qu’ils nous ont volé depuis des décennies. Amen.

    Prévisions de l’auteur sur l’évolution économique des six à douze prochains mois : 

    Scénario A : crack bancaire et boursier, récession mondiale, achetez des chèvres et des poules, investissez dans un carré de jardin et des bougies.

    Scénario B : restructuration massive des dettes souveraines européennes, mise sous tutelle par le FMI de plusieurs Etats, gouvernance économique européenne non-démocratique. Achetez-vous des masques de « V comme Vendetta », investissez dans les bons du trésor chinois.

    Scénario C : Les chefs d’Etat du G20 décident de mettre en œuvre le programme « Flower Power » : la révolution de la paix et de l’amour est déclarée sur toute la planète, l’argent est aboli, l’appareil productif est entièrement robotisé, plus personne ne travaille. Achetez-vous un bon anti-psychotique pour arrêter de délirer.

    L’origine de la crise (potentielle) se termine ici. Il manque bien entendu plein de choses, comme le fonctionnement économique de l’Europe libérale, la BCE, l’influence des pays en voie de développement, les guerres de l’énergie, la crise monétaire, la Chine et l’Inde comme accélérateurs de la mondialisation, mais l’auteur a besoin de prendre du repos. Et puis le but de cette série d’articles n’était pas de parler de tout ce qui a pu influencer l’état du monde actuel mais donner simplement le maximum d’éléments factuels sur les changements économiques qui nous ont mené là où nous sommes. En espérant que le but a été atteint. Y.M

    Origines de la crise (4) : si tu recules je te dérégule…

    Origines de la crise (3) : i belieeeeve i caaaaan fly

    Origines de la crise (2) : tu l’a vu mon gros baril ?

    Origines de la crise (1) : mais pourquoi, pourquoi, pourquoi…?

    Global economic crisis : comment ça va se passer (ou pas)