Attaquer les pauvres et les bouches inutiles
Comment régler le problème de l’obsolescence des individus (Dissident Voice)
Mémorandum : Interne (Confidentiel)
Problème : Grand excédent de main d’oeuvre
Solution : Austérité (soit, dans les faits, l’annihilation d’une classe sociale).
Il y a un problème gênant qui refuse de disparaître : que faire de "l’excédent de population" (pour paraphraser Scrooge*, le Malthusien**) ? Je veux dire que dans notre économie post-industrielle du 21ème siècle, des dizaines de millions de personnes - des être humains, n’est-ce pas ? - ont désormais peu de "valeur marchande" pour ne pas dire plus du tout. Deux facteurs en sont principalement responsables : l’automatisation de haute technologie et la délocalisation (la fuite de capitaux, "la course au coût le plus bas"). Leurs compétences professionnelles traditionnelles sont devenues hors de prix, inutiles, dépassées et désuètes. On ne peut plus les exploiter comme salariés (sous-payés) ni comme consommateurs. Ils ne font rien, ils sont malheureux, agités et sujets à des accès spasmodiques de rage qui engendrent de l’agitation sociale.
Que faire ? On parle ici d’environ 20% de la population des Etats-Unis. Selon la perspective idéologique du néocapitaliste - pour qui la "valeur" individuelle est totalement circonscrite à la "valeur marchande" - ils "ne valent rien". (Souvenez-vous des paroles de Margaret Thatcher : "Il n’y a pas de société civile"). On ne peut pas juste.... les tuer - bien que ce soit certainement le moyen le plus simple, le plus efficace et le moins coûteux de se débarrasser du problème. L’élite qui représente 1% (ou plutôt le dixième de 1%) pourrait même continuer à profiter, dans une impunité quasi-totale, des crimes et des abus commis par les machines à extorquer l’argent que nous appelons Entreprises. Mais il y a des restes de contraintes légales et normatives qui rendent difficiles le meurtre prémédité. (Avec toutefois une exception dont on ne parle jamais mais qui n’en est pas moins flagrante : le bombardement et la destruction de milliers de gens innocents dans des endroits comme l’Irak et l’Afghanistan.)
Donc, je repose la question : que faire ? Rien qu’aux Etats-Unis, le chômage structurel (plus le "sous-emploi" du temps partiel) touche près de 20% de la population. Et selon les dernières statistiques de l’UNICEF, 23% des enfants étasuniens vivent désormais dans la pauvreté.
Il y a une variante très efficace de la "doctrine du choc" qu’on peut résumer ainsi : "En ces temps d’incertitude financière - ou plutôt de crise ! - nous ne pouvons tout simplement plus "nous permettre" d’aider tous ces gens. Après tout, personne ne devrait être "en droit" de bénéficier de services à coûts réduits financés par le gouvernement comme la sécurité sociale et le logement (de standing inférieur)".
En un mot il s’agit de l’Austérité. Quand ces gens n’auront plus aucune ressource, un coup de pied bien appliqué suffira à les chasser de la société. Réduits au désespoir, ils voleront un miche de pain (au sens figuratif) et cette armée de Jean Valjean pourra alors enfin rapporter un peu d’argent - en devenant des hôtes de longue durée de l’hôtellerie carcérale étasunienne (LLC). Mais la désespérance et l’absence d’avenir peuvent aussi pousser ces malheureux dans d’autres formes d’exclusion sociale autodestructrices et (souvent) mortelles comme l’alcoolisme, la drogue, l’emploi d’armes à feu et les "accidents". Pour parler comme les militaires, d’abord on a attaqué les pauvres et les bouches inutiles et maintenant on les "assiége" par l’Austérité.
Tout cela n’est que du commerce : il faut faire un maximum de profit, c’est tout. Ces gens n’ont "aucune valeur" n’est-ce pas ? En plus ils nous irritent, nous contrarient, et nous voulons "nous en débarrasser". C’est bien cela n’est-ce pas ? Alors il ne faut plus tergiverser. L’histoire regorge d’exemples qui vous aideront à affiner votre stratégie pour mener à bien cette entreprise.
William Manson a écrit The Psychodynamics of Culture (Greenwood Press).