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Azel Guen : Décryptage de l'Actu Autrement - Page 12

  • Les médias dominants et l’Ours russe

    Je suis professeur d’histoire et je donne des cours, parmi d’autres sujets, sur la Russie et l’URSS. J’essaie d’expliquer à mes étudiants comment les Russes se voient eux-mêmes et voient leur histoire, et comment les médias dominants occidentaux (Mainstream Media – MSM dans l’acronyme internet) présentent la Russie à leurs lecteurs. Bien sûr, la cible principale des MSM est le président russe, Vladimir Poutine, mais la Russie en est aussi une.

    Comment est-ce possible ? Après l’effondrement de l’URSS en 1991, la Russie était à genoux, son économie était détruite par des Russes aspirant à devenir des Occidentaux, dits libéraux, qui lui appliquaient des traitements de choc. L’idée était de désintoxiquer rapidement les Russes du socialisme, mais les libéraux ne sont parvenus qu’à ruiner l’épargne personnelle des Russes ordinaires qui ont perdu leurs économies deux fois au cours des années 1990. Peu importe, c’est le prix à payer, ont conseillé les MSM, si vous voulez être comme nous à l’Ouest. Et qui ne voudrait pas nous ressembler ?

    Le président Boris Eltsine, qui est arrivé au pouvoir en démembrant l’URSS, était présenté en Occident comme un héros. En fait, il jouait le fou du roi du président Bill Clinton. « Ce bon vieux Boris », a dit Clinton lorsque Eltsine a lancé des chars contre le Parlement russe en 1993 et a truqué les élections en 1996 avec l’aide de l’ambassade des États-Unis à Moscou. Vous faites ce que vous avez à faire, auraient commenté des responsables du gouvernement états-unien. Eltsine a conservé son pouvoir, pour autant qu’il en ait eu un, manifestant sa gratitude envers les États-Unis en se comportant comme le pote de Clinton lorsqu’il s’est rendu à Washington. C’était de l’excellent matériel pour les MSM, mais pas si excellent vu de Moscou. Vous vous souvenez du premier film de la série des Star Wars, lorsque la princesse Leia est capturée par la méchante limace géante, Jabba le Hutt, qui la tient en laisse ? Eltsine n’était certainement pas la superbe princesse Leia, mais la laisse était bien réelle.

    Être dépendant des États-Unis n’a jamais rien rapporté à Eltsine au-delà de sa survie personnelle. Pendant ce temps, un allié de longue date de l’Union soviétique (et allié de l’Occident aussi), la Yougoslavie, a été détruit par l’Otan. Vous vous souvenez de l’Otan, n’est-ce pas, censément organisée comme défense contre l’URSS, mais qui s’est tournée ensuite vers l’agression au nom d’une « responsabilité de protéger » bidon. Il n’y a eu aucune gratitude —je fais le commentaire en passant— pour le rôle de la Serbie pendant la Première Guerre mondiale et celui de la Yougoslavie pendant la Seconde Guerre mondiale, ou pour la déclaration d’indépendance du maréchal Josip Broz Tito à l’égard de Staline. C’est sûr, la gratitude n’est pas une valeur dans les relations entre États.

    Le gouvernement US a dû être incertain quant à sa capacité de tenir la Russie avec la laisse de Jabba parce que l’Otan s’est vue confier la nouvelle tâche d’encercler la Russie, en s’étendant vers l’Est, contrairement aux engagements de ne pas le faire pris envers le dirigeant soviétique Mikhail Gorbachev, un autre favori des médias dominants. Ce devait être un nouveau cordon sanitaire, bien que personne ne l’appelle comme ça.

    Enfin, Eltsine a démissionné à la fin de 1999. Vladimir Poutine a été élu à la présidence l’année suivante, et il s’est appliqué à intégrer la Russie, politiquement et économiquement, dans l’Europe. En dépit de tous les efforts de Poutine auprès du président des États-Unis George W. Bush, les relations de la Russie avec l’Occident n’ont pas abouti. Comme l’un de mes étudiants l’a découvert en réalisant un mémoire de Master sur les MSM et Poutine, le président russe était caractérisé dès le début comme un ancien officier du KGB, qui voulait faire renaître l’URSS, l’idée la plus éloignée de l’esprit de Poutine. Des caricatures politiques le montraient avec des marteaux et des faucilles dans les yeux, ou se transformant en Staline. Un autre le montrait apportant un petit déjeuner au mausolée de Lénine, et disant : « Réveille-toi, putain, réveille-toi, Vladimir Ilitch ».

    Comment l’Occident (lire les États-Unis) a-t-il pu représenter Poutine de manière aussi fausse, et pourquoi ? Pour une chose, Poutine ne voulait pas se coucher aux pieds de Jabba le Hutt. Il s’est employé à restaurer la force économique, politique et militaire de la Russie. L’Europe occidentale a rarement été à l’aise avec une Russie forte. La russophobie occidentale date en fait depuis au moins le début du XIXe siècle. Un dirigeant assuré et d’esprit indépendant à Moscou est le dernier Russe que les MSM voudraient embrasser. Poutine est l’éléphant, ou plutôt l’ours dans le magasin de porcelaine. L’homme de pouvoir occidental craint et hait les autres soumis qui sortent des rôles de serviteurs courbés qui leur ont été assignés.

    La Russie veut la guerre. Regardez comme elle a mis ses frontières à côté de nos bases militaires

    Poutine a commencé à parler trop franchement d’agression lorsque les États-Unis ont envahi l’Irak en 2003 sous un prétexte bidon et ont financé les révolutions de couleur en Géorgie et en Ukraine en 2003 et 2004. Poutine n’a pas non plus aimé lorsque le président Bush est sorti du traité ABM à la fin de 2001, alors même que Poutine essayait de lier des amitiés.

    Nous devons nous prémunir contre l’Iran, disait Bush. Il n’y a aucune menace de la part de l’Iran, insistait Poutine, il n’y en a jamais eu. Les Russes soupçonnaient que l’Iran était seulement une couverture pour renforcer l’encerclement de la Russie par l’Otan (lire les États-Unis). Il y a maintenant un accord avec l’Iran sur les questions nucléaires, mais le développement et le déploiement des missiles antibalistiques continue allègrement. Les soupçons de la Russie à l’égard des États-Unis semblaient fondés.

    Poutine a aussi osé défier l’élément principal de l’idéologie politique US, l’exceptionnalisme états-unien. Les États-Unis sont « la Nation exceptionnelle », c’est l’idée, la cité qui brille au haut de la colline, destinée à imposer ses valeurs et ses intérêts aux autres peuples et nations, pour leur propre bien, qu’ils le veuillent ou non.

    Une chose qu’on peut dire à propos des MSM, c’est qu’ils n’aiment pas voir critiquer leurs mythes. « Nous sommes un Empire maintenant, a dit Karl Rove, l’un des néocons de Bush junior, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité ». Les MSM, aurait-il pu ajouter, servent de porte-voix de l’Empire, renforçant les nouvelles réalités, exactement comme c’est dépeint dans le roman 1984 d’Orwell. Le problème était, et est encore, que ces réalités ne sont pas la réalité pour la plupart des autres peuples vivant hors des États-Unis et de leurs États vassaux. Qui se soucie de ce qu’ils pensent, a commenté en effet Rove, nous allons créer de nouvelles réalités, « et à vous, vous tous [là-bas], il ne restera qu’à étudier ce que nous faisons ».

    C’est de l’autodéfense

    Regardons la brève confrontation entre la Russie et la Géorgie en 2008. Le président géorgien, Mikhaïl Saakachvili, une marionnette couarde des États-Unis, a envoyé ses soldats en Ossétie du Sud, pensant qu’il pourrait l’occuper avant que la Russie ne réagisse. Il s’était trompé et l’armée géorgienne a été écrasée. Les médias dominants ont traité la riposte comme un acte d’agression russe. Le proverbial ours russe est devenu l’image favorite des caricaturistes états-uniens. L’un d’eux a représenté l’ours rongeant un os appelé Géorgie en surveillant un minuscule Bush Jr., comme s’il disait : vous ne pouvez pas faire en Géorgie ce que vous avez fait en Irak. Un autre ours tient la Géorgie dans sa gueule comme s’il allait l’avaler. C’est une image omniprésente en Occident. Les caricaturistes états-uniens semblent vouloir inciter leurs dirigeants à la bagarre en dessinant un grand ours russe grognant contre le tout petit Bush Jr. ou le minuscule Barack Obama. « Qu’allez-vous faire avec ça ? » demande le méchant ours.

    Bien sûr, l’agresseur en Ossétie du Sud était Saakachvili, encouragé par ses nounous US. Vous pouvez le faire si vous agissez assez rapidement, semble avoir été l’idée des États-uniens. Pour être honnête, tous les caricaturistes occidentaux n’avaient pas emboité le pas à propos de la Géorgie, mais ce n’a pas été long avant que la plupart d’entre eux rentrent dans le rang. Si vous avez le moindre doute, faites seulement une recherche sur internet.

    L’Occident n’a pas aimé les critiques de Poutine à l’égard de l’agression de l’Otan contre la Libye en 2011 —y a-t-il un autre mot pour ça ?— et le lynchage de son dirigeant Mouammar el-Kadhafi. Dans une scène grotesque, la secrétaire d’État Hillary Clinton, semblable à un vampire assoiffé, jubilait sur les images de son cadavre ensanglanté. Poutine a traité l’attaque de l’Otan de « démocratie des frappes aériennes ». C’était une métaphore saisissante pour l’hypocrisie occidentale. Il n’y a pas de démocratie dans la Libye autrefois prospère, seulement ruines, chaos et groupes déchaînés de djihadistes salafistes violents. Merci à l’Otan, elle s’est frayé un chemin en Syrie et en Irak. Les MSM critiquent par ailleurs la Russie pour son soutien à la résistance de la Syrie contre les monstres de Frankenstein occidentaux, si souvent employés, depuis la guerre soviétique en Afghanistan jusqu’à aujourd’hui, pour renverser des gouvernements laïques indépendants au Proche-Orient ou en Asie. Si seulement les djihadistes étaient restés en Syrie et n’étaient pas arrivés en Irak pour créer un État islamique (ÉI). En envoyant des unités de l’armée de l’air russe en Syrie, Poutine a démasqué les États-Unis et leurs vassaux soutiens des membres « modérés » d’ÉI. Il n’y a pas de djihadistes modérés, bien sûr ; ils sont une invention états-unienne. Poutine a parlé de bluff occidental et invité en effet les États-Unis à se tourner contre leurs propres alliés djihadistes. Ce ne sera pas un virage facile à prendre à Washington. Les vieilles habitudes ont la vie dure.

    Là où la Russie défend le processus démocratique

    Le seul développement qui a vraiment déclenché la fureur des médias dominants contre Poutine et la Russie est la crise en Ukraine. Pour l’Occident, c’est la faute de la Russie, l’agression de la Russie, en particulier la réunification avec la Crimée, oubliant que les États-Unis et leurs satellites de l’Union européenne ont déclenché la crise actuelle en soutenant un coup d’ État fasciste violent à Kiev. Faites une recherche sur Internet : l’image du dangereux ours russe est omniprésente. Il a menacé les Criméens pour qu’ils votent en faveur de la réunification avec la Russie. Jusqu’où pouvez-vous aller dans l’absurde et loin de la réalité ? Comme si les Criméens voulaient embrasser la junte fasciste de Kiev.

    L’ours russe est aussi montré en train de manger un poisson nommé Ukraine. « Je me sentais menacé », grogne l’ours, coiffé d’une chapka décorée du marteau et de la faucille.

    Pourtant un autre ours, montrant ses dents acérées, offre des chocolats Valentine à une babouchka nommée Ukraine de l’Est. « Sois à moi… sinon », dit la légende. Le message est si scandaleux qu’on se met à rire. Mais après réflexion, cette image n’est pas drôle du tout car elle montre jusqu’où les médias dominants ont inversé la réalité.

    Ensuite il y a un Time récent, qui pourrait être encore plus MSM que le Time magazine, qui déplore « la dangereuse montée des faucons du Kremlin », ceux qu’on appelle les siloviki, des fonctionnaires puissants, comme s’il n’y avait pas de types de ce genre dans les gouvernements occidentaux. Si l’hôpital se moquait de la charité, ça donnerait ça. Ces nouveaux méchants de Moscou « dominent la vie politique en Russie », selon le Time, « [et]… contribuent […] à une atmosphère paranoïaque et agressive ». Time nous offre un véritable dictionnaire de clichés occidentaux grotesques sur la Russie. Le mégaphone de l’agresseur que sont les médias dominants accuse l’autre de l’agression, c’est un vieux truc d’ailleurs souvent utilisé par les États-Unis. Quant à la paranoïa, regardez une carte. Qui tente d’encercler qui ? Qui menace qui ? Qui dépense presque autant en armements que tous les autres États réunis ? Ce n’est pas la Russie.

    La novlangue orwellienne est maintenant la norme en Occident et tout particulièrement aux États-Unis. Lisez seulement les discours d’Obama. La Russie et la Chine sont des autres mécréants. Cette chosification des adversaires des États-Unis est-elle une préparation à la guerre ? En écoutant Obama, vous ne saurez jamais que les États-Unis ont déclenché un coup État fasciste à Kiev, commis des actes d’agression flagrants contre l’Iran et la Libye, dans d’autres pays, ou qu’ils arment les djihadistes salafistes en Syrie. Les dissidents qui révèlent les mensonges sont ignorés, ridiculisés, noircis. Les lanceurs d’alerte sont emprisonnés. Et Poutine, homme remarquable s’il y en eut, est maudit encore plus que les autres pour oser, comme l’enfant dans le conte de Hans Christian Andersen, révéler que l’empereur est nu. « Est-ce que vous réalisez ce que vous avez fait ? », a demandé Poutine récemment à l’ONU. Niet, Gospodin Prezident, ils ne réalisent pas. Il était d’usage de dire que la vérité a ses droits, mais je ne suis pas sûr qu’elle les aura, du moins assez tôt pour être quelque chose de plus qu’un sujet de débat entre historiens, comme Karl Rove l’a suggéré, trop tard.

    Traduction
    Diane
    site : Le Saker Francophone

    Source
    Strategic Culture Foundation (Russie)

  • Apartheid version 3G

    La politique israélienne est dictée par les colons, qui exigent d’aller plus loin dans l’annexion.

     

    Gwendal Evenou

    Aller en Palestine, c’est un peu comme essayer de tenir sur un fil de funambule : à tout moment on peut tomber dans le vide, un vide du droit et de la diplomatie internationale.

    Lors du début de la construction du « Mur de la honte » au Proche-Orient il y a une douzaine d’années, les militants des Droits de l’Homme s’indignèrent de son tracé, qui rognait très largement sur le territoire officiel de la Cisjordanie. De ce mur, aujourd’hui, plus personne ne veut : ni les pacifistes du monde entier, bien sûr, mais pas davantage les plus radicaux des Israéliens, en l’occurrence les juifs ultra-orthodoxes, qui voient dans cette « barrière de sécurité » un obstacle à leur soif de conquête, devant aboutir à l’avènement du Messie, après l’annexion totale de ce que eux appellent la Judée-Samarie.

    Mais sans doute est-ce également un stimulus pour les nouveaux colons, à qui l’on propose donc de venir s’installer sur des terres palestiniennes, privant souvent les communautés rurales palestiniennes de leur terre, et donc de leur gagne-pain. Qui voudrait donc s’installer ainsi en terre hostile, en voisinage direct avec leurs ennemis de soixante ans, à part les plus convaincus de la cause ultra-orthodoxe ? Si les gouvernements israéliens successifs ont encouragé ce processus de colonisation, en subventionnant largement les familles pour l’acquisition ou la location des habitations et par l’incitation fiscale – toute famille s’installant dans une colonie est exonérée d’impôt pendant dix ans -, ils ont sans doute été dépassés par la puissance que représente aujourd’hui cette communauté des colons. Les dernières élections l’ont montré : la politique israélienne est aujourd’hui en grande partie dictée par ces colons, qui exigent d’aller toujours plus loin dans l’annexion de ce qui reste de la Palestine.

    Ainsi donc vivent les Palestiniens, dans une insécurité permanente, avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : celle de voir une grue débarquer un beau matin sur leurs terres, et de comprendre qu’ils n’en sont plus propriétaires. Ramallah, siège de l’Autorité Palestinienne, « capitale » de la Cisjordanie dans l’attente que Jérusalem la remplace, est une ville embouteillée, du lever du soleil à la nuit tombante. Des files interminables de voitures obstruent le centre-ville, à tel point qu’il est largement conseillé d’utiliser ses deux jambes, quand celles-ci n’ont pas été emportées par une attaque « préventive » de l’armée israélienne [1].

    Car à Ramallah, il est impossible de construire un périphérique : les colons ont décidé d’encercler littéralement une ville condamnée à ne pas s’étendre comme sa démographie devrait le laisser supposer.

    « On a cru qu’il était Arabe »

    En conséquence, cette colonisation empêche tout développement endogène d’un pays qui n’a plus, de fait, de continuité territoriale. Les Palestiniens sont dépendants d’Israël pour tout ce qui touche à la vie quotidienne, et la société israélienne le leur rend bien : il leur est interdit de travailler en Israël.

    Aussi décrit-on souvent la situation des Palestiniens comme celle de « citoyens de seconde zone ». L’expression est sans doute bien faible. Ils sont entassés dans un territoire qui s’amenuise progressivement, comme des Indiens dans leur réserve. Un panneau rouge est d’ailleurs là pour avertir que l’accès à ces « réserves » n’est pas autorisé aux Israéliens. Comprenez : aux Israéliens qui souhaiteraient aller à la rencontre de l’autre, pour comprendre, échanger et partager. Pour les autres - les colons - c’est une autre histoire : à la nuit tombée, ils raffolent de faire le coup de poing dans les zones palestiniennes, parfois escortés par la police israélienne, qui sait protéger sa population quand le besoin s’en fait sentir.

    En territoire israélien, le droit local ne s’applique plus aux Palestiniens. Ainsi, en réaction aux attaques à l’arme blanche, des lynchages publics se sont répétés. A Ber Sheva, une foule d’Israéliens a ainsi battu à mort un réfugié érythréen, avant de se rendre compte qu’il était « des leurs ». « On a cru qu’il était Arabe » se sont justifiés les agresseurs, sous-entendant ainsi que l’argument était suffisant pour les dédouaner de leur acte. Dans l’imaginaire israélien, les Arabes sont donc plus proches du chien qui a la rage que du « citoyen de seconde zone ».

    Aujourd’hui, les frontières de 1948 ou de 1967 sont donc devenues une vaste blague, quasiment une utopie perdue. Les territoires palestiniens en Cisjordanie ressemblent à un archipel, avec des ilots de « réserve indienne » sans lien entre eux. Tout autour, l’Etat Israélien est partout. Et avance. Jusqu’où ? Aujourd’hui, quand on se balade dans les campagnes de Cisjordanie, difficile de savoir si on est en territoire légitime ou colonisé. En fait, il n’y a que l’Apartheid numérique qui nous renseigne : la 3G étant réservée exclusivement aux Israéliens, il vous suffit de récupérer un smartphone pour détecter les zones où « ça capte ». Et quand ça capte, ça colonise...

    Les Palestiniens, usés par ces discriminations et ces provocations incessantes, et incrédules quant à une issue politique du conflit, sont un certain nombre à baisser les bras. Ils cherchent alors par tous les moyens à accéder à la citoyenneté israélienne, condition pour obtenir les aides sociales et accéder aux universités israéliennes. Jusqu’à simuler de fausses agressions pour... se faire prisonnier. Les prisons israéliennes accueillent ainsi de plus en plus de nouveaux étudiants arabes, qui choisissent, ultime paradoxe, le cachot pour espérer un avenir meilleur.

    Ceux qui optent encore pour la lutte le font bien souvent par désespoir et par dépit, comme l’ont montré les événements des dernières semaines, qui traduisent leur colère par des règlements de compte, tel un signe de vengeance impersonnel, souvent dirigé vers des inconnus innocents. La confiance envers les appareils politiques s’est estompée depuis la disparition de Yasser Arafat dans un Etat qui n’a pas renouvelé ses élites -et n’a pas pu le faire- depuis dix longues années.

    Deux peuples se font donc face, pendant que les partis politiques et les gouvernements apparaissent totalement dépassés. Vingt ans après la mort d’Yitzhak Rabin, il ne reste absolument rien de ce qui était alors perçu comme un premier pas dans le bon sens de l’Histoire. Depuis, les deux peuples luttent à reculons, se rapprochant inexorablement de l’abîme.

    Gwendal Evenou

    [1« Ils sont partis en courant loin de la maison, cherchant refuge pour se protéger des drones de la mort(...) Un drone les avait suivis, livrant des missiles les uns après les autres. (…) Le père de Wael, 27 ans, raconte qu’il s’est réveillé après que deux missiles les ont visés. Il a essayé de se tenir debout mais n’a pas réussi, il a regardé son corps et n’a pas retrouvé sa jambe droite ». Extrait des 7èmes concours de plaidoiries pour les droits de l’homme de Palestine, 18 octobre 2015 – plaidoirie à propos d’une famille de Gaza.

  • Appels au boycott : la France aujourd’hui plus répressive qu’Israël (Electronic Intifada)

     

    Ali Abunimah

    Le 20 octobre [2015], la chambre criminelle de la plus haute juridiction de France a confirmé la condamnation d’une dizaine de militants de la solidarité avec la Palestine pour avoir appelé publiquement au boycott des produits israéliens.

    Cette décision de la Cour de cassation en ajoute aux préoccupations déjà croissantes concernant la répression sévère de la liberté d’expression, soutenue par le Président français François Hollande, depuis les assassinats de journalistes dans les bureaux du magazine Charlie Hebdo en janvier.

    Elle fait aussi de la France, avec Israël, le seul pays à pénaliser les appels à ne pas acheter les produits israéliens.

    Mais la loi française qui prévoit des sanctions pénales est probablement plus sévère que celle d’Israël, laquelle autorise de poursuivre les partisans du boycott pour dommages financiers, mais pas de les emprisonner.

    « Un triste jour »

    « Cette décision est une mauvaise nouvelle concernant le respect de la liberté d’expression dans notre pays » déclare la Ligue des Droits de l’Homme, organisation centenaire de défense des droits humains. "Elle constitue un des aboutissements de la volonté de faire taire toute critique de la politique des gouvernants israéliens et tout acte d’opposition aux graves violations des droits de l’Homme dont ils se rendent coupables." (1)

    Pour le groupe de la campagne BDS France, la décision marque un "triste jour pour la démocratie française où l’appel au boycott d’un Etat criminel qui viole les droits humains ne va plus de soi", et où le gouvernement peut "détourner l’esprit de la loi dès qu’elle s’attaque à un partenaire politique".

    Le CRIF, groupe leader du lobbyisme pro-Israël en France s’est réjoui de la décision.

    Les organisations françaises anti-palestiniennes soutiennent activement cette répression judiciaire – sous le couvert de la lutte contre l’antisémitisme – avec l’espoir qu’elle mettra un terme à la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

    Criminalisation d’une protestation pacifique

    En 2009 et 2010, des dizaines de militants BDS étaient entrés dans des supermarchés dans l’est de Mulhouse, où ils ont crié des slogans, distribué des tracts et porté des vêtements appelant au boycott des produits israéliens.

    Leur but, explique BDS France, était « d’informer les consommateurs des problèmes éthiques que pose l’achat de produits provenant d’Israël », et notamment que leur production « est indissociable de la situation d’apartheid vécue par le peuple palestinien, de la spoliation de ses terres (et) du refus du droit au retour des réfugiés »

    Mais en 2010, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, avait donné comme instruction aux procureurs de poursuivre les militants BDS à travers le pays.

    En décembre 2011, les militants de Mulhouse ont été relaxés pour les accusations portées par les procureurs locaux, mais en 2013, la cour d’appel les en a déclarés coupables sur la base de la loi de 1972 qui prévoit jusqu’à un an de prison et d’importantes amendes pour quiconque aura « provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

    Les militants ont été condamnés à des amendes et aux dépens pour un montant de 30 000 €.

    La Cour de cassation vient de confirmer la condamnation de 2013.

    « La nation israélienne »

    Les militants ont été reconnus coupables de propos appelant à une « discrimination » contre des producteurs et fournisseurs de produits en raison de leur appartenance à la « nation israélienne ».

    Dans une suprême ironie, apparemment pas appréciée par les juges français, la Haute Cour d’Israël elle-même a rejeté en 2013 l’existence de toute « nation israélienne ».

    Israël ne reconnaît que la nationalité juive, et aussi d’autres catégories ethniques et sectaires dans lesquelles il range des citoyens et des non-citoyens contre leur volonté.

    Le magistrat français Ghislain Poissonnier fournit le contexte et l’analyse juridique de l’affaire de Mulhouse dans un article pour l’AURDIP (http://www.aurdip.fr/pour-la-cour-de-cassation-la.html), une organisation d’universitaires qui soutient les droits palestiniens.

    Il y écrit que la loi de 1972, un amendement à la loi française sur la presse de 1881, a été conçue pour lutter contre « les discriminations dont sont victimes les personnes physiques, et en aucun cas pour interdire les appels pacifiques au boycott de produits issus d’un État dont la politique (est) critiquée ».

    Poissonnier ajoute que la Cour de cassation a violé les principes établis dans le droit français et le droit européen, et que sa décision est d’autant plus contestable vu l’abondance des appels, ces dernières années, aux boycotts des produits venant d’États accusés de violer les droits de l’homme.

    Les juges, dit-il, n’ont pas tenu compte de faits majeurs : les actions sur les supermarchés sont totalement pacifiques et les gérants de magasins ne portent aucune accusation ; il n’y a aucune ingérence dans la liberté de commercer ; le but des militants était d’amener au respect du droit international ; et souvent les produits israéliens portent des étiquettes falsifiées pour cacher qu’ils proviennent des colonies qui sont illégales en vertu du droit international. Les militants – et la campagne BDS en France – sont, en outre, engagés publiquement contre toute formes de discrimination raciale et religieuse, dont l’antisémitisme.

    Autre ironie, le gouvernement français est à l’heure actuelle en train de pousser fortement en faveur de nouvelles règles à l’échelle européenne pour que soient étiquetés clairement les produits des colonies, probablement pour que les consommateurs puissent les boycotter.

    Suppression de la liberté d’expression

    Le journaliste et militant pour la liberté d’expression Glenn Greenwald s’est montré particulièrement virulent à propos de l’hypocrisie de la France pour la liberté d’expression, avec sa marche de Paris après le massacre à Charlie Hebdo, qui était « conduite par des dizaines de dirigeants du monde entier, dont beaucoup emprisonnent, voire tuent des gens, parce qu’ils ont exprimé des opinions interdites ».

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    Le dirigeant de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, s’était joint aux leaders mondiaux à Paris, dans la marche du 11 janvier pour la liberté d’expression, incluant le droit des dessinateurs français à représenter le prophète Mahomet d’une manière bestiale. (Philippe Wojazer – Reuters)

    S’exprimant dans The Intercept, Greenwald affirme que « l’absurdité d’une France qui s’honore elle-même pour la liberté d’expression » est clairement mise en évidence avec la condamnation des militants BDS.

    « Pensez combien c’est pernicieux. Il est parfaitement légal de recommander des sanctions contre l’Iran, ou la Russie, ou le Soudan, ou pratiquement n’importe quel autre pays », observe Greenwald. « Mais il est illégal – criminel – de préconiser des boycotts et des sanctions contre un pays : Israël ».

    Il note que les dirigeants des organisations anti-palestiniennes en Europe veulent que la répression par la France serve de modèle aux autres pays, objectif partagé par le puissant groupe de lobby pro-Israël aux États-Unis, l’AIPAC.

    Le gouvernement conservateur canadien du Premier ministre sortant, Stephen Harper, a déjà menacé d’utiliser des lois contre les discours haineux afin de pouvoir cibler les militants BDS.

    Compte tenu de son bilan en attaques contre les militants BDS et de son rapprochement avec Israël, ces derniers jours, il y a peu de raisons d’espérer que le Premier ministre entrant du Parti libéral, Justin Trudeau, soit moins intolérant.

    Pour ce qui est de la France, même le groupe de réflexion Freedom House, du Département d’État US, manifeste son inquiétude devant les restrictions grandissantes à la liberté d’expression.

    Dans son dernier rapport annuel sur la liberté sur Internet, la France se voit dégrader sérieusement.Freedom House affirme que le gouvernement et la police sont passés en « surmultipliée » depuis les meurtres à Charlie Hebdo, poursuivant des gens pour des choses qu’ils ont dites en ligne et votant des décrets donnant aux ministres le pouvoir de bloquer des sites.

    De telles mesures, déclare Freedom House, « menacent la liberté sur Internet dans le pays ».

    L’un des cas cités par le rapport est celui du lycéen arrêté pour avoir publié une caricature ironiquesur Facebook.

    Invaincu

    Ghislain Poissonnier déplore qu’avec la décision de la Cour de cassation, « notre pays devient le seul État au monde – avec Israël – à pénaliser les appels citoyens à ne pas acheter de produits israéliens ».

    Il espère que les militants feront appel de leurs condamnations devant la Cour européenne des droits de l’homme.

    Sa jurisprudence, dit-il, est « traditionnellement plus protectrice de la liberté d’expression » que celle du système judiciaire français et ainsi, elle « donne des raisons d’espérer à tous ceux qui sont choqués par une décision qui isole totalement la France ».

    BDS France demande qu’il soit mis un terme aux poursuites des militants basées sur le décret Alliot-Marie de 2010, et il affirme son soutien aux personnes condamnées pour leur expression.

    Invaincu par la répression du gouvernement, BDS France « appelle toutes les personnes, en France comme partout dans le monde, à continuer de mettre en œuvre la décision du peuple palestinien : promouvoir une campagne de boycott, désinvestissement et sanctions contre l’État d’Israël, jusqu’à ce qu’il respecte le droit international et les principes universels des droits humains.

    « Pour tout citoyen de conscience, soucieux des droits et de la dignité des peuples, BDS est non seulement un droit, mais aussi un devoir moral ! »

    Ali Abunimah

    Traduction : JPP pour BDS France

    Source : Electronic Intifada : https://electronicintifada.net/blogs/ali-abunimah/france-now-more-repr...

    EN COMPLEMENT

    [MRAP] Communiqué : décision de la Cour de cassation de Mulhouse : une atteinte à la liberté d’expression

    La Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français, vient de rendre sa décision dans l’affaire d’appel au boycott des produits israéliens par des militants de Mulhouse.

    Elle confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar de novembre 2013, qui condamnait les militants, après leur relaxe en 1re instance par le tribunal correctionnel de Mulhouse en décembre 2011.

    Pour le MRAP il s’agit d’une atteinte à la légitime liberté d’expression politique, il apporte son soutien aux militants inculpés. Lors du jugement de première instance par le Tribunal de Pontoise en 2013, ce dernier avait estimé que : « Cet appel au boycott est en réalité une critique passive de la politique d’un Etat, critique relevant du libre jeu du débat politique qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique. Ainsi dès lors que le droit de s’exprimer librement sur des sujets politiques est une liberté essentielle dans une société démocratique, cet appel au boycott entre dans le cadre normal de cette liberté ».

    Pour le MRAP, l’action des citoyens engagés dans la campagne BDS, à laquelle il participe, entre directement dans ce cadre. En effet, comme indiqué dans le projet d’orientation adopté à son dernier Congrès des 10 et 11 octobre 2015, « le MRAP soutient la campagne internationale BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) en demandant le boycott des produits israéliens en raison de la colonisation illégale ». Une telle campagne - faut-il le rappeler - répond de façon démocratique à la démission totale de la « communauté internationale » face aux violations des droits légitimes du peuple palestinien par les gouvernements israéliens.

    La décision de se pourvoir en cassation dans cette affaire participe à l’évidence d’une stratégie d’intimidation, à laquelle se livrent certains milieux ultra-sionistes, qui n’hésitent pas à porter, contre toutes voix critiquant la politique menée par les gouvernements d’Israël, l’infamante accusation d’antisémitisme.

    La contestation de la politique d’un Etat qui bafoue toutes les règles du droit international et qui opprime un autre peuple est un droit absolu dans toute démocratie.

    C’est pourquoi le MRAP réitère sa demande d’abrogation urgente de la circulaire de Madame Alliot Marie, appelant les procureurs de France à poursuivre toute personne appelant au boycott des produits israéliens.

    Paris, 6 novembre 2015

    Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples
    43 bd Magenta - 75010 Paris - Tél. : 01 53 38 99 82


    Communiqué LDH : Condamnation des militants BDS de Mulhouse : une atteinte à la liberté d’expression

    Le 20 octobre 2015, la Cour de cassation a condamné douze militants du collectif BDS de Mulhouse, initialement relaxés par le tribunal de grande instance, puis condamnés par la cour d’appel de Colmar. Ces derniers avaient participé à deux interventions auprès de clients de supermarchés, leur demandant de s’abstenir d’acheter des produits exportés par Israël dans le cadre de la campagne internationale « Boycott-Désinvestissement-Sanctions » (BDS).

    Cette décision est une mauvaise nouvelle concernant le respect de la liberté d’expression dans notre pays. Elle constitue un des aboutissements de la volonté de faire taire toute critique de la politique des gouvernants israéliens et tout acte d’opposition aux graves violations des droits de l’Homme dont ils se rendent coupables.

    Comme elle l’a déjà affirmé, la LDH refuse catégoriquement que les militants de la campagne BDS soient accusés et jugés pour « provocation publique à la discrimination » lorsqu’ils combattent toute forme de discrimination et militent pour le droit des peuples à l’autodétermination. Elle demande le retrait des directives envoyées par le ministère de la Justice aux parquets pour entreprendre de telles poursuites, et persistera à combattre toutes les atteintes à la liberté d’expression.

    Paris, le 30 octobre 2015

  • Les cobayes humains de l’armée française

     

    Nicolas PLUET

    01/04/1960 : 150 prisonniers algériens utilisés comme cobayes humains lors du second essai nucléaire français à Reggane.

    01/04/1960 : 150 prisonniers algériens utilisés comme cobayes humains lors du second essai nucléaire français à Reggane.

    René Vautier est mort le 4 janvier 2015.
    Résistant à 15 ans, il fut, avec pour seule arme sa caméra, engagé sa vie durant contre le colonialisme et les injustices ; emprisonné dès son premier film à 21 ans ; censuré comme nul autre réalisateur français ne le fut.

    Lui qui avait des liens si forts avec l’Algérie s’était fait l’écho d’un témoignage terrible qui, jusqu’ici n’a pas été évoqué dans la presse française. Il est temps de le faire.

    Cela se passe au CSEM (Centre Saharien d’Expérimentation Militaire) situé à Reggane, à 700 km au sud de Colomb Bechar. Les tirs sont effectués à Hamoudia, à une cinquantaine de km au sud-ouest de Reggane. Le premier avril 1960 a lieu le second essai nucléaire français, sous le nom de code “Gerboise blanche”. La bombe dégagea environ 4 kilotonnes.

    Le tir a été l’occasion d’étudier la résistance des matériels militaires (avions, véhicules, parties de navires...) à une explosion nucléaire.

    L’armée française a mené des essais sur des rats, des lapins et des chèvres.

    Des exercices militaires en ambiance « post-explosion » ont été réalisés. Ils commencèrent vingt minutes après les tirs.

    Mais environ 150 hommes vivants furent aussi exposés aux effets de la bombe, ligotés à des poteaux, à environ 1 km de l’épicentre.

    Nous sommes en pleine guerre d’Algérie, cette guerre qui a fait plusieurs centaines de milliers de victimes algériennes, militaires et surtout civiles. Beaucoup de victimes meurent torturées. Pour le colonialisme français et son armée, la vie des algériens ne vaut pas cher à l’époque...

    René Vautier, avait monté son film “Algérie en flammes”, tourné dans les maquis algériens dans les studios de la DEFA (Deutsche Film-Aktiengesellschaft) en RDA.
    Karl Gass, réalisateur documentariste à la D.E.FA. avait recueilli le témoignage d’un légionnaire français d’origine allemande affectés à la base de Reggane.

    Le témoin affirmait avoir reçu , juste avant l’explosion, l’ordre de récupérer dans des prisons et des camps de concentration, 150 Algériens qui devaient être utilisés comme cobayes à proximité du point zéro . Il déclarait les avoir fait venir, les avoir remis à ses supérieurs hiérarchiques, et ne les avoir jamais revus. Ce légionnaire a été affecté ailleurs en 1961.

    M. Mostefa Khiati, médecin à l’hôpital d’El Harrach et M. Chennafi, enlevé avec cinq de ses amis de Staouéli (ouest d’Alger) à Reggane où ils devaient travailler, confirment ce témoignage (voir encadré “Ce que disent les Algériens”).

    En Algérie, la presse et les médias algériens, la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme, des juristes, des médecins évoquent ces questions.

    Le 14 février 2007, le quotidien Le Figaro cite une réponse à l’interpellation des Algériens. Elle est faite par le responsable de la communication du ministère de la Défense, Jean-François Bureau : "Il n’y a jamais eu d’exposition délibérée des populations locales »". Il s’agit, selon lui, d’une légende entretenue par la photo d’une dépouille irradiée exposée dans un musée d’Alger. "Seuls des cadavres ont été utilisés pour évaluer les effets de la bombe", ajoute-t-il.

    Mais alors, quels sont ces cadavres ? D’où venaient-ils ? Quelles étaient les causes des décès ? Où sont les documents tirant les enseignements de leur exposition à la bombe ? Et surtout, peut-on sérieusement croire qu’en pleine guerre d’Algérie, l’armée française pouvait transporter des cadavres sur des centaines de km pour des essais “éthiques” alors qu’elle torturait et tuait quotidiennement civils et combattants algériens ?

    Qui peut croire aussi, qu’un pouvoir qui se dote à grands frais d’une arme nouvelle, qui fera l’essentiel de ses forces, va s’abstenir d’en faire l’essai jusqu’au bout ? La logique “technique” à défaut d’être humaine, c’est de la tester “en vraie grandeur” c’est à dire sur des êtres humains vivants ... Tous l’ont fait : lisez, pays par pays, l’ encadré à ce sujet.

    Pourtant, il n’y a pas eu de scandale d’Etat à la hauteur de ce fait qui relève du crime contre l’humanité.

    Le fait que le FLN avait accepté, dans le cadre d’"annexes secrètes", que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant quatre années supplémentaires a sans doute créé des conditions propices à ce silence officiel...

    En effet, ces essais se sont poursuivis dans les conditions de mise en danger des populations locales et des travailleurs algériens sur les sites contaminés, le pouvoir algérien ne souhaitait sans doute pas voir ce dossier sensible resurgir.

    Derrière elle, l’armée française a laissé des poubelles nucléaires à peine ensablées
    (voir L’Humanité du 21/02/2007), des populations victimes de multiples cancers, des nappes phréatiques radioactives.

    Mais elle laisse aussi le souvenir, mieux caché pour l’instant, d’une épouvantable expérimentation effectuée sur des êtres humains vivants.

    Merci à René Vautier pour avoir tenté, durant des années, de lever la chape de plomb sur ce crime.

    A présent les bouches et les archives doivent s’ouvrir.

    Comme la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme, exigeons l’ouverture compète des archives militaires sur les essais nucléaires dans le sud du Sahara (algérien) dans les années 1960 à 1966.

    Demandons aux nombreux militaires et civils français et algériens qui ont servi sur la base de Reggane et ont pu être témoins direct ou recueillir des témoignages de dire ce qu’ils savent.

    Que la France officielle reconnaisse aujourd’hui le crime.

    A défaut de pouvoir le réparer, qu’elle prenne ses responsabilités pour atténuer les conséquences de ses essais nucléaires sur les population algériennes :

    La réhabilitation des sites d’essais nucléaires, conformément à la législation internationale.

    La création d’une structure de santé spécialisée dans le traitement des maladies cancéreuses causées par la radioactivité. La mise en place d’un registre du cancer dans les régions d’Adrar, Tamanrasset et Béchar. La prise en charge totale des malades.

    La création d’un pôle d’observation des différents sites ayant servi aux essais nucléaires comme ce fut le cas pour l’Angleterre et ses sites en Australie.

    Auteur : Nicolas Pluet, militant communiste et ami de René Vautier.


    Sources et éléments pour des encadrés éventuels complétant le texte principal.
    Eléments pour un encadré sur
    Ce que disent les algériens

    Du côté algérien, des recherches ont été faites dans les années 2000 et résumées ainsi par l’avocate Me Fatima Ben Braham : « L’étude iconographique, de certaines de ces photos, nous a permis de constater que la position des soi-disant mannequins ressemblait étrangement à des corps humains enveloppés de vêtements. A côté de cela, nombre d’Algériens détenus dans l’ouest du pays et condamnés à mort par les tribunaux spéciaux des forces armées [français] nous ont apporté des témoignages édifiants. Certains condamnés à mort n’ont pas été exécutés dans les prisons, mais ils avaient été transférés pour ne plus réapparaître. Ils avaient, selon eux, été livrés à l’armée. Après consultation des registres des exécutions judiciaires, il n’apparaît aucune trace de leur exécution et encore moins de leur libération. Le même sort a été réservé à d’autres personnes ayant été internées dans des camps de concentration. »

    Après des recherches, l’avocate a retrouvé une séquence des informations télévisées montrant un combattant mort sur une civière entièrement brûlé, ainsi commentée : « Et voilà le résultat de la bombe atomique sur un rebelle. »
De plus, une étude minutieuse des photos de mannequins, et particulièrement une, où plusieurs corps (5 environ) étaient exposés, indique que les mannequins auraient une forte ressemblance à des corps humains.

    Elle a alors réuni un groupe de médecins et de médecins légistes à l’effet de faire le rapprochement des corps exposés avec de véritables corps humains dans la même position (tête, bras, jambes, bassin, buste, etc.)
Les résultats ont été concluants : il s’agit bien de corps humains (même le poids a été déterminé) et leur mort était certaine.
En 2005, la question a été posée aux autorités françaises qui ont d’abord répondu qu’il s’agissait uniquement de mannequins et de rien d’autre, pour tester les habillements face aux essais.

    Après insistance des Algériens, les autorités françaises ont rétorqué que « s’il y avait des corps à la place des mannequins, il faut se rassurer que les corps étaient sans vie ».

    Source : http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/france/cobayes_humains.htm


    Lors d’un documentaire, réalisé par Saïd Eulmi et diffusé à l’ouverture du colloque, il a été rapporté que des prisonniers de guerre avaient été utilisés comme cobayes lors des essais. Des images de corps humains calcinés accrochés à des poteaux ont été montrées. « Les corps de ces martyrs (...) ont été retrouvés durcis comme du plastique », a souligné Mostefa Khiati, médecin à l’hôpital d’El Harrach. « Les conventions de Genève ont été violées. Il s’agit de crimes de guerre », a estimé Abdelmadjid Chikhi, directeur des archives nationales.

    Source : Metaoui Fayçal, El Wattan


    Le témoignage de M. Chennafi, « un sexagénaire, enlevé avec cinq de ses amis de Staouéli (ouest d’Alger) à Reggane où ils devaient travailler jour et nuit et préparer l’installation de la bombe nucléaire : « Après l’explosion de cette bombe, les victimes étaient parties en fumée. Même les ossements ont disparu ». Plusieurs militaires et médecins Français ont confirmé l’utilisation par l’armée française d’habitants de la région ou de Ghardaia afin de "tester l’effet des radiations" sur eux. Ces derniers ont été placés dans les lieux servant de théâtre des opérations sans protection aucune. Les survivants n’ont bénéficié d’aucun traitement contre les radiations nucléaires par la suite.

    Source : Planète non violence (webzine)


    Ligue Algérienne des Droits de l’Homme

    La LADDH pense que l’exposition directe, par la France, de prisonniers dans l’expérience nucléaires constitue “une flagrante violation de la convention de Genève relative aux prisonniers de guerre et à leur traitement.

    Le FLN a accepté, dans le cadre d’"annexes secrètes", que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq années supplémentaires. Onze essais se sont ainsi déroulés après l’Indépendance du 5 Juillet 1962 et ce, jusqu’en février 1966.

    La LADDH est porteuse d’exigences vis à vis de la France (voir article principal).
    Source : http://ekopol.over-blog.com/2014/08/les-essais-nuclaires-francais.html


    Eléments pour un encadré sur :
    Radiations imposées.

    Même les militaires n’étaient pas protégés.

    Si l’on compare avec ce qui a été fait en Polynésie pour la protection des populations – des blockhaus pour Tureia qui se trouve à 110 km de Mururoa et des « abris de prévoyance » sommaires pour les Gambier, Reao et Pukarua, dans le Sahara algérien, les précautions prises pour la protection des personnels militaires et des habitants des palmeraies voisines ont été très sommaires, voire inexistantes.
    Quelques documents estampillés « secret » permettent d’avoir une idée du mépris des autorités militaires à l’égard de leurs hommes. on peut constater que pour les populations sahariennes de Reggane (environ 40 km d’Hammoudia) et quelques palmeraies encore plus proches des points zéro, la protection était nulle. Aucun abri ou autre bâtiment n’a été construit pour ces populations, tout aussi bien que pour les personnels militaires de la base de Reggane Plateau ou les quelques dizaines de militaires et civils qui restaient sur la base d’Hammoudia pendant les tirs.

    A Reggane au Sahara, à moins de 5 km de l’explosion, on donnait des lunettes noires aux soldats pour se protéger les yeux. Mais ils étaient en short et chemisette.

    Des retombées à plus 3 000 km, des conséquences sanitaires terribles.
    Outre dans tout le Sahara algérien, les retombées radioactives ont été enregistrées jusqu’à plus de 3000 km du site (Ouagadougou, Bamako, Abidjan, Dakar, Khartoum, etc.).

    24 000 civils et militaires ont été utilisés dans ces explosions, sans compter l’exposition aux radiations de toute la population de la région.

    A Reggane où les essais ont été atmosphériques et ont couvert une vaste zone non protégée, selon les médecins l’exposition aux radiations ionisantes provoque plus 20 types de cancer (cancers du sein, de la tyroïde, du poumon, du foie, du côlon, des os, etc.).
    Les leucémies dépassent de manière sensible la moyenne dans la région. Des malformations touchent aussi bien les adultes que les enfants, les nouveaux nés et les les fœtus. On constate également une baisse de fertilité des adultes. Des cas de cécité sont dus à l’observation des explosions. A Reggane le nombre de malades mentaux est très important. Des familles entières sont affectées, sans parler des lésions de la peau, des stigmates physiques et des paralysies partielles, ainsi que d’autres phénomènes sur lesquels les médecins n’arrivent pas à mettre de mots.

    Le bilan des décès causés par les maladies radio-induites ne cesse de s’alourdir à Tamanrasset. Au total 20 cancéreux, entre femmes, hommes et enfants, sont morts en juillet dernier, s’alarme Ibba Boubakeur en 201447, secrétaire général de l’Association des victimes des essais nucléaires à In Eker (Aven), Taourirt.

    « Nous avons assisté à l’enterrement d’enfants amputés de leurs membres inférieurs et de femmes à la fleur de l’âge. Le pire, c’est qu’aucune de ces victimes ne possède un dossier médical, hormis les quelques certificats délivrés par les médecins exerçant dans la région », se plaint-il. 52 ans après cette tragédie que la France ne veut toujours pas réparer.

    « On ne peut pas avoir le nombre exact de victimes. En 2010, un recensement partiel faisant état d’un peu plus de 500 victimes a été réalisé dans les localités relevant uniquement de la commune de Tamanrasset, à savoir Inzaouen, Ifak, Toufdet, Tahifet, Indalak, Izarnen, Outoul et Tit. Nous y avons constaté beaucoup de maladies, des avortements, des malformations et toutes les formes de cancer ».

    Selon une étude réalisée par des experts, 21,28% des femmes de cette région sont atteintes de cancer du sein et 10,13% du cancer de la thyroïde.

    Sources :

    http://www.reperes-antiracistes.org/article-dossier-algerie-les-essais...

    Ligue Algérienne des Droits de l’Homme. http://www.lematindz.net/news/15070-essais-nucleaires-en-algerie-la-la...

    http://lavoixdesidibelabbes.info/laven-salarme-des-deces-causes-par-le...

    http://ekopol.over-blog.com/2014/08/les-essais-nuclaires-francais.html

    http://www.djazairess.com/fr/elwatan/60683

    Le jour d’Algérie » du 13/02/2007


    Eléments pour un encadré sur :
    Essais humains : la France n’est pas la seule.

    USA
    Le secrétaire d’Etat à l’Energie américain, Hazel O’Leary, a révélé que son pays a mené des expériences sur quelque 700 "cobayes humains". C’était dans les années quarante, on administra à plus de 700 femmes enceintes, venues dans un service de soins gratuits de l’université Vanderbilt (Tennessee), des pilules radioactives exposant les foetus à des radiations trente fois supérieures à la normale. On leur faisait croire qu’il s’agissait d’un cocktail de vitamines. ..
    En 1963 (là, on était pourtant édifié sur les effets de la radioactivité !), 131 détenus de prisons d’Etat de l’Oregon et de Washington se portèrent "volontaires", en échange d’un dédommagement de 200 dollars chacun, pour recevoir de fortes doses de rayons X (jusqu’à 600 röntgens) aux testicules.
    Mais l’expérimentation humaine principale avait été menée lors des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945 et après eux.
    le Japon avait de toute façon déjà perdu la guerre et s’apprêtait à négocier, avant les bombardements nucléaires.
    Les USA choisissent Hiroshima et Nagasaki pour leurs configurations différentes et y expérimentent deux bombes de types différents : plutonium pour Nagasaki ; uranium 235 pour Hiroshima . Plus de 2 00 000 victimes immédiates, sans compter celles des décennies suivantes.
    Les archives américaines ont révélé , que quatre des plus grandes villes japonaises avaient été retenues comme cibles potentielles et interdites de tout bombardement, afin de pouvoir attribuer à la seule bombe atomique les dégâts observables. Par ordre de « préférence », il s’agissait de Hiroshima, Niigata, Kokura et Nagasaki.
    Après les bombardements les USA construisent tout un hôpital, implantent un camp de scientifiques pour examiner les survivants et mener des expériences sur eux, quelques semaines seulement après le bombardement. Mais ne soigneront personne.

    URSS
    En septembre 1954, l’armée soviétique exposa sciemment des civils et des militaires aux retombées d’une bombe atomique de 20 kilotonnes, explosée à 350 m au-dessus de la ville de Totskoye, dans l’Oural. outre les 45 000 soldats qui furent exposés - quand les généraux décidèrent de leur imposer des exercices militaires sur les terrains encore brûlants de radioactivité -, il y avait aussi des civils : un million de personnes environ, réparties dans un rayon de 160 km autour du site de l’expérience. En effet, Kouibichtchev (aujourd’hui Samara), alors peuplée de 800 000 habitants, se trouve à 130 km à l’ouest du site et Orenbourg, 265 000 habitants, à 160 km à l’est.
    Au Kazakhstan un quart du territoire kazakh est occupé par les terrains d’essais et des usines militaires. On y a fait exploser 466 bombes atomiques : 26 au sol, 90 en altitude et 350 sous terre. Lors de l’essai, en 1953, de la première bombe à hydrogène 14 000 personnes furent exposées aux retombées. Une vaste région de ce pays est contaminée. Elle a subi une irradiation d’un niveau comparable à celui de Tchernobyl pendant quarante ans.
    Source : http://atomicsarchives.chez.com/cobaye_humains.html

    Chine
    Le site d’essais nucléaires chinois de Lob Nor, dans le Xinjiang, est le plus vaste du monde : 100 000 km2, dans le désert du Turkestan oriental, dont environ un cinquième a été irradié.
    Les populations locales se sont plaintes à de nombreuses reprises de maladies inhabituelles : cancers de la thyroïde ou malformations à la naissance. Les estimations du nombre de victimes vont de « quelques décès » selon les autorités, à 200 000 selon les sympathisants de la cause ouïghoure (ethnie majoritaire au Xinjiang). Des tests indépendants, conduits dans quelques villages, ont montré des taux de radioactivité très supérieurs à la limite d’alerte, et 85 000 personnes au moins vivent encore à proximité immédiate des anciennes zones d’essais. Au début des tests, ces riverains n’étaient même pas déplacés. Dans les années 70, on les faisait évacuer quelques jours avant de les faire revenir.
    Source : Denis DELBECQ et Abel SEGRETIN

    Royaume Uni :
    le gouvernement britannique a eu recours à des soldats australiens, anglais et néo zélandais pour les utiliser comme cobayes lors d’essais nucléaires.
    Des centaines d’aborigènes ont probablement été contaminés à proximité du site d’essais de Maralinga.

  • Monsieur le Président, vous êtes tombé dans le piège !

    Monsieur le Président,

     

    Le choix extraordinairement irréfléchi de la terminologie que vous avez utilisée dans votre discours du samedi après-midi, où vous répétiez qu’il s’agissait d’un « crime de guerre » perpétré par « une armée terroriste » m’a interpellé. Vous avez dit littéralement :

    « Ce qui s’est produit hier à Paris et à Saint-Denis près du Stade de France, est un acte de guerre, et face à la guerre, le pays doit prendre les décisions appropriées. C’est un acte de guerre qui a été commis par une armée terroriste, Daech, une armée de terroristes, contre la France, contre les valeurs que nous défendons partout dans le monde, contre ce que nous sommes, un pays libre qui parle à l’ensemble de la planète. C’est un acte de guerre qui a été préparé, organisé, planifié de l’extérieur et avec des complicités intérieures que l’enquête fera découvrir. C’est un acte de barbarie absolue. »

     Si je souscris pleinement à la dernière phrase, force est de constater que le reste de votre discours est la répétition angoissante et presque mot à mot de celui que GW Bush a tenu devant le Congrès américain peu après les attentats du 11 septembre : « Des ennemis de la liberté ont commis un acte de guerre contre notre pays. »

    Les conséquences de ces paroles historiques sont connues. Un chef d’État qui qualifie un événement d’acte de guerre se doit d’y réagir, et de rendre coup pour coup. Cela a conduit Bush à l’invasion de l’Afghanistan, ce qui était encore admissible parce que le régime avait offert asile à Al Qaeda – même l’ONU avait approuvé. A suivi alors l’invasion totalement démente de l’Irak, sans mandat de l’ONU, pour la seule raison que les É.-U. soupçonnaient que ce pays détenait des armes de destruction massive. À tort, s’est-il avéré, mais cette invasion a conduit à l’entière déstabilisation de la région, qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Le départ des troupes américaines en 2011 a laissé le pays dans une vacance du pouvoir. Et c’est peu après, lorsque dans le sillage du Printemps arabe une guerre civile a éclaté dans le pays voisin, que l’on a pu constater à quel point l’invasion militaire américaine avait été pernicieuse. Dans le nord-ouest de l’Irak déraciné et l’est de la Syrie déchirée, entre l’armée gouvernementale et la Free Syrian Army, assez d’espace s’était manifestement créé pour que se lève un troisième grand acteur : DAECH.

    Bref, sans l’invasion idiote de Bush en Irak, il n’y aurait jamais été question de DAECH. C’est par millions que nous avons manifesté contre cette guerre en 2003, moi aussi, la désapprobation était universelle. Et nous avions raison. Cela, pas parce que nous étions capables de prédire l’avenir, nous n’étions pas clairvoyants à ce point. Mais nous en sommes pleinement conscients aujourd’hui : ce qui s’est passé dans la nuit du vendredi à Paris est une conséquence indirecte de la rhétorique de guerre que votre collègue Bush a employée en septembre 2001.

    Et pourtant, que faites-vous ? Comment réagissez-vous moins de 24 heures après les attentats ? En employant la même terminologie que votre homologue américain de l’époque ! Et sur le même ton, bonté divine !

    Vous êtes tombé dans le panneau, et vous l’avez fait les yeux grands ouverts. Vous êtes tombé dans le panneau, Monsieur le Président, parce que vous sentez l’haleine chaude de faucons comme Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen vous brûler la nuque. Et vous avez depuis si longtemps la réputation d’être un faible. Vous êtes tombé dans le panneau. Des élections se préparent en France, elles auront lieu les 6 et 13 décembre, ce ne sont que des élections régionales, mais après ces attentats, elles seront placées sous le signe de la sécurité nationale, à n’en point douter. Vous êtes tombé dans le panneau à pieds joints, parce que vous avez fait mot pour mot ce que les terroristes espéraient de vous : une déclaration de guerre. Vous avez accepté leur invitation au djihad avec enthousiasme. Mais cette réponse, que vous avez voulue ferme, fait courir le risque monstrueux d’accélérer encore la spirale de la violence. Je ne la trouve pas judicieuse.

    Vous parlez d’une « armée terroriste ». Pour commencer, rien de tel n’existe. C’est une contradictio in terminis. Une « armée terroriste », c’est un peu comme pratiquer un régime boulimique. Des pays et des groupes peuvent avoir des armées ; s’ils ne parviennent pas à en former, ils peuvent opter pour le terrorisme, c’est-à-dire pour des actions ponctuelles dont l’impact psychologue est maximal au lieu d’un déploiement structurel de forces militaires avec des ambitions géopolitiques.

    Mais une armée, dites-vous ? Soyons clairs : jusqu’ici, nous ignorons si les auteurs des faits sont des combattants syriens revenus ou envoyés. Nous ne savons pas si les attentats ont été tramés dans le califat ou dans les banlieues et « quartiers ». Et bien que certains indices laissent supposer qu’il s’agit d’un plan global émanant de la Syrie (la quasi-simultanéité de l’attentat-suicide au Liban et de l’attaque éventuelle d’un avion russe), force est de constater que le communiqué de DAECH est venu bien tard, et qu’il ne contient pas d’autres éléments que ceux qui circulaient déjà sur internet. Ne serait-il pas question de coordination ou de récupération ?

    Pour autant que l’on sache, il pourrait s’agir d’individus incontrôlés, sans doute pour la plupart des citoyens français revenus de Syrie : ils y ont appris à manier des armes et des explosifs, s’y sont immergés dans une idéologie totalitaire, cryptothéologique et s’y sont familiarisés aux opérations militaires. Ils sont devenus des monstres, tous tant qu’ils sont, mais ils ne sont pas une armée.

    Le communiqué de DAECH glorifait les « lieux soigneusement choisis » des attentats, vos propres services soulignaient le professionnalisme de leurs auteurs : sur ce point, remarquons que vous parlez la même langue. Mais qu’en est-il, en réalité ? Les trois hommes qui se sont rendus au Stade de France où vous assistiez à un match amical de football contre l’Allemagne semblent plutôt être des amateurs. Ils voulaient sans doute pénétrer dans l’enceinte pour commettre un attentat contre vous, c’est fort possible. Mais celui qui se fait sauter à proximité d’un McDonald et n’entraîne qu’une victime dans la mort est un bien piètre terroriste. Qui ne fait que quatre morts avec trois attentats-suicides, alors qu’un peu plus tard une masse humaine de 80 000 personnes sort de l’enceinte, est un bon à rien. Qui veut décimer le public d’une salle avec quatre complices, mais ne bloque même pas la porte de sortie n’est pas un génie de la stratégie. Qui s’embarque dans une voiture et mitraille des citoyens innocents et sans armes attablés aux terrasses, n’est pas un militaire formé à la tactique, mais un lâche, un enfoiré, un individu totalement dévoyé qui a lié son sort à d’autres individus du même acabit. Une meute de loups solitaires, ça existe aussi.

    Votre analyse d’une « armée terroriste » n’est pas probante. Le terme que vous avez employé, « acte de guerre » est extraordinairement tendancieux, même si cette rhétorique belliqueuse a été reprise sans honte aucune par Mark Rutte aux Pays-Bas et Jan Jambon en Belgique. Vos tentatives de calmer la nation menacent la sécurité du monde. Votre recours à un vocabulaire énergique ne signale que la faiblesse.

    Il existe d’autres formes de fermeté que celle de la langue de la guerre. Immédiatement après les attentats en Norvège, le premier Stoltenberg a plaidé dans détours pour « plus de démocratie, plus d’ouverture, plus de participation ». Votre discours fait référence à la liberté. Il aurait aussi pu parler des deux autres valeurs de la République française : l’égalité et la fraternité. Il me semble que nous en avons plus besoin en ce moment que de votre douteuse rhétorique de guerre.

     

    Traduction du néerlandais par Monique Nagielkopf