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Azel Guen : Décryptage de l'Actu Autrement - Page 101

  • Et Littell niquaAngot

    par Marc-Édouard Nabe

    Et Littell niquaAngot

     

    Chaque année, les ennemis de la littérature qui constituent le « milieu

    littéraire » ont besoin d’un seul auteur et d’un seul livre pour leur rentrée de

    merde. Le «tube » est formaté dès le mois de juin pour devenir l’exclusif succès

    de l’automne. L’an dernier, c’était Houellebecq. L’année d’avant, Beigbeder

    ; l’année d’avant encore : Angot. On tourne en gros sur trois noms. Cette

    fois, c’était au tour d’Angot, elle avait tout préparé dans sa petite tête de garçonnet

    fébrile et soupe au lait. Sûre d’elle, l’Angot! C’était joué : sinon le Goncourt

    dans la poche, le Renaudot les doigts dans son nez à la Louis XI.

    Ce qui me frappe, moi qui ai bien connu ce petit monde-là du temps où

    j’étais «écrivain », c’est sa naïveté stratégique...Ces gens sont toute la journée

    à comploter, à dresser des plans sur leur comète, à se croire joueurs exceptionnels

    d’échecs, de go ou de petits chevaux, mais ils n’ont aucun sens de la

    logique ésotérique des choses. Il était évident que Christine Angot, devenue

    aussi mauvaise écrivaine que mauvaise calculatrice (ça va souvent ensemble),

    allait se ramasser la gueule; même sans l’arrivée de l’« outsider » qu’on

    sait. Pareil pour le Houellebecq 2005. Comment un garçon intelligent comme

    Michel a-t-il pu croire être enfin couronné du prix des prix ( puisque c’est

    ça, incompréhensiblement, qu’ils cherchent tous !) et à la fois obtenir autant

    de succès public qu’il en escomptait, en passant de Flammarion (sic ) à Fayard

    (sic ) après une campagne si mal orchestrée d’annonces cyniques et de rodomontades

    capitalistes ? L’ institution des Lettres françaises ne se plait finalement

    qu’à redorer l’image d’Épinal de l’artiste plein d’épines, c’est-à-dire

    celle d’un messie fantasmé, désargenté, hostile à toute médiatisation, et qui

    arriverait sans crier gare... Surtout ne pas consacrer un laborieux best-seller

    de la glauquitude qui se la joue « grand écrivain maudit » ! Il est bien temps

    après de pleurnicher sur l’épaule de son blog, ou comme Angot de cracher

    dans la soupe tendue, comme à une prisonnière à travers ses barreaux, par

    Le Journal du dimanche... Quel manque de dignité et quelle incohérence surtout.

    Voilà des auteurs qui demandent tellement le beurre et l’argent du

    beurre qu’on finit par leur donner la misère et l’huile de la misère. «Toute

    littérature doit être écrite contre la rentrée littéraire » dit celle qui n’a fait

    qu’écrire des livres pour les rentrées littéraires... Culot ? Bêtise ? Prétention?

    Tout cela à la fois, mais avant toute chose: infantilisme. On a déjà remarqué

    que l’écriture française contemporaine (et si peu moderne) était inspirée par

    l’infantilisme, mais il faut savoir que c’est l’édition tout entière et ses fonctionnaires

    qui sont infantiles dans leurs pratiques de bambins pas propres.

    Comment une Angot a-t-elle pu être assez bête pour quitter Stock (même

    si elle n’avait aucune chance d’y obtenir un prix ) et suivre chez Flammarion

    une éditrice considérée par les autres mafieux, au mieux comme une

    indélicate, au pire comme une traîtresse ? C’était couru que la directrice

    d’origine italienne, dont je ne vois pas pourquoi je citerais le nom puisqu’elle

    m’a ignoré pendant les dix ans où elle trônait rue Sébastien-Bottin, allait

    essuyer la vengeance terrible de Gallimard et des jurés qui le composent,

    tous déchaînés pour infliger à cette arrogante la leçon qu’elle méritait.

    Et quelle leçon ! Terrible, en effet... D’abord, aucun de « ses » livres ne

    s’est retrouvé sur les listes qui comptent. Pas un Flammarion en lice. Quelle

    humiliation ! Fabriquer de toutes pièces les auteurs qui donneront le plus

    au public l’illusion qu’ils sont écrivains, ça ne marche plus. Croire que survendre

    la publication d’un roman aussi raté que Rendez-vous suffit à installer

    un snobisme qui va impressionner les parrains du Milieu relève de la

    mégalomanie la plus pathétique. Faire la gueule à la une des Inrockuptibles,

    ça fait surtout bien rire les dix incorruptibles de chez Drouant.

    Non, le livre d’Angot n’était pas son « meilleur », car la pontifiante donneuse

    de leçons sur la « vérité en littérature » y ment sur ce qu’il y a de pire :

    le sentiment. L’ex-chroniqueuse de Campus, qui croyait que travailler pour

    la télé favoriserait son travail pour le roman ( encore un mauvais calcul ),

    sait maintenant que c’est à ce mensonge littéraire qu’elle doit son échec.

    Dans les choux, la chouchoute ! Son Prix de Flore ( avoir le Prix de Flore à

    45 ans, après quinze livres ! ), remis par son confrère en collaboration télévisuelle

    et en débâcle littéraire Beigbeder, ne la consolera pas au-delà des

    quelques larmes ridicules que ça lui a tiré. En effet, il ne restait plus à l’Angot

    qu’à être émue... Émue par un prix de Flore !

    Et puis Zorro est arrivé ! Sous la forme d’un fluet jeune homme de 38

    ans, blondinet pâle, et souriant sournoisement d’avance de tout ce qu’il

    allait déclancher. Les épaules tombantes, le costard étriqué juste ce qu’il

    faut, la cravate nase, l’anneau à l’oreille...Tout pour plaire ! Bravo, Jonathan

    Littell ! Sincèrement, profondément, fraternellement bravo ! Je n’aime pas

    beaucoup ce que vous faites, mais ce que vous avez défait, j’adore !

    Niquer à ce point tout un système qui se croyait aussi immuable qu’indestructible,

    et d’un seul coup, c’est ça l’exploit. Plus que d’avoir écrit un roman

    de 900 pages directement en français ! La loi est tombée... « Attention!

    Un “carton” peut en cacher un autre. » Celui d’Angot ne faisait pas le poids :

    petit roman d’amour larvés ( l’amour et le roman) d’une écrivaine trop connue,

    trop chiante, trop égocentrique, trop puante, trop médiatisée, trop avide

    de reconnaissance. Celui qu’Antoine Gallimard et Richard Millet ont fabriqué

    comme un monstre de Frankenstein était parfait. L’auteur : un inconnu,

    travaillant dans l’humanitaire, habitant à l’étranger, méprisant les magouilles

    parisianistes. Le livre ? Les mémoires imaginaires sur fond de documentation

    d’un officier SS, névrosé, pédé, raffiné, qui raconte sans chichis les

    camps de la mort... Littell ne pouvait que gagner : c’est mathématique. On

    résume : Jeune + Yankee + Juif + roman + écrit en français + sur les nazis

    + avec un titre facile et mou ( Les Bienveillantes ) + chez Gallimard en collection

    blanche + grand format + à 25 euros = triomphe total !

    Et plus que total car le livre de Littell aurait pu se contenter d’être le

    plus remarqué, ou même le plus vendu de la rentrée, mais cette fois, et c’est

    nouveau, il l’a été à l’exclusion de tous les autres ! Même aux grandes heures de

    Houellebecq ou de Beigbeder, les best-sellers habituels gardaient leur cote.

    Ici, c’est le crack Littell ! Il a empêché les lecteurs « normaux » d’acheter un

    autre livre que le sien, tous genres confondus.

    Littell est responsable de l’effondrement du marché à un point de gravité

    qu’il est trop tôt pour mesurer... Désastre à tous les étages ! Les éditeurs

    déposent le bilan au bord de l’autoroute. Les critiques littéraires, ne pouvant

    pas faire dix articles sur le Littell par semaine, n’ont plus qu’à ranger

    poignards et bouquets. Et les suicides de libraires sont en constante augmentation

    ! Car même les mémères n’ont plus acheté, comme c’était prévu,

    le Nothomb « déjanté », le Zeller « charmant », le Mauvinier « sportif », le

    Dantec « psychédélique », le Shan Sa « exotique », le d’Ormesson « épatant »

    que sais-je encore... Jusqu’aux livres de cuisine, pour gosses, ou les atlas et

    le guide du routard... RIEN NE SE VEND. Bernard Werber lui-même a des

    fourmis dans les jambes. Marc Levy a l’air encore plus triste que d’habitude!

    Ce n’est même plus en « retours » qu’on parle, c’est en rapatriements !

    Littell est le seul écrivain réellement génocidaire de notre époque. Il a

    mis en oeuvre une solution finale romanesque pour détruire les écrivains,

    les éditeurs, les journalistes, les libraires et même les lecteurs. Car acheter son

    livre dispense de le lire. L’élite lit mais la masse est sommée d’acheter. Tirelire

    Littell ! Chaque fois que les 25 euros tombent dans sa poche ( il s’est réservé

    tous les droits étrangers, cet enculé! ), ça fait un livre non-lu de plus, et donc

    un lecteur de vraie grande littérature en moins, quoi qu’en disent les larbins

    extasiés de la critique qui osent voir en lui un nouveau Tolstoï (ce qui

    le gêne lui-même) ou un fils deThomas Mann (alors qu’il est celui de Robert

    Littell ). Beaucoup déplorent cet état de fait, moi je m’en félicite: Les Bienveillantes

    sont peut-être le dernier produit littéraire de tout un cycle de marchandisation

    du livre qui a fait son temps. C’était celui qu’il fallait écrire et

    publier, en apothéose !...

    Les Bienveillantes sont avant tout un attentat dirigé contre les écrivains

    minables du Septième arrondissement qui étaient encore dans l’illusion

    d’écrire des livres «importants» qui se vendent... Tous à la casse! Houellebecq

    en avait rêvé ; Littell l’a fait. Personne, jamais, dans le secteur du livre, n’a exécuté

    aussi méchamment ses confrères. Et je vois dans le sujet même du roman

    de Littell une des raisons de ce carnage. Il n’a pas seulement mis beaucoup

    de lui dans son personnage de nazi, il est lui-même l’exterminateur

    des 680 romans de la rentrée ! Sans état d’âme, faisant son boulot, sans

    remords et appliqué, exactement comme son narrateur SS qui massacre les

    gens en écoutant du Couperin et en relisant L’Education sentimentale.Tu parles

    d’un sentimental ! Est-ce parce que ce SS est demi-français qu’il a tous les

    vices ? Homo superpervers, matricide, beau- parricide, incestueux, scatologique,

    pourquoi pas pédophile et zoophile ? Il ne manque plus qu’à son héros

    d’aller manger des cadavres, ou de se taper son berger allemand devant les

    fours crématoires ! Parfois, dans son roman, on n’est pas loin du cliché du

    nazi « hardcore » et néanmoins très cultivé, connaissant tout de la culture

    française, et rien de la germanique. Littell ignore la langue allemande et

    multiplie les erreurs, les approximations, comme les lapsus dans ses rares

    interventions radiophoniques, au point que ses détracteurs le soupçonnent

    d’avoir eu un Nègre, un Nègre en collection blanche...

    Qu’importe ! Pour le coincer, ça va être difficile : il reste invisible... Comble

    du dandysme, Littell se la joue situationniste ! Mi-Gracq ( les journalistes

    vieille école adorent) mi-Debord ( ce sont les jeunes qui en raffolent ). «La

    littérature n’appartient pas à la société du spectacle.» lance-t-il entre deux

    autres déclarations bien méprisantes sur le petit monde parisien qui le

    glorifie. Le Prix Goncourt et Grand prix de l’Académie Française 2006 est-il

    bien certain d’être hors-spectacle lorsque, sur son nom et son livre, les magazines

    multiplient les numéros spéciaux sur le nazisme avec DVD en bonus

    ( il y a eu Les Damnés sous cellophane ; on attend Portier de Nuit ! ) ? De mauvaise

    langues ont pu voir dans cette attitude antimédiatique une stratégie

    finement commerciale. En effet, plus un livre est médiatisé, moins il se vend:

    c’est prouvé, et les éditeurs et écrivains continuent à se persuader du contraire!

    Chaque émission grand public à laquelle participe un écrivain venu vendre

    son navet le fait aussitôt descendre de plusieurs points dans les classements.

    Littell l’a compris : il est arrivé en douce, sans tambour et encore

    moins de trompettes, et voilà le résultat : le seul livre qui ne passe pas à la télé,

    c’est celui qui se vend le plus !

    Il ne faut plus passer à la télé pour parler de ses livres et accepter d’en

    répondre devant des procureurs. Il faut y aller seulement pour dire qu’on

    n’y va pas. Bref, pour y faire des trous afin que la lumière crue de la réalité

    se glisse dans l’interstice, par surprise, un instant.

    Ah! ça s’est bien déchaîné autour des Bienveillantes... Les pour (Le Point,

    les Figaro, ParisMatch, Le Nouvel Obs, France Inter ) ; les contre ( Les Inrocks,

    Marianne, Le Canard, Libération,Canal +, France 2 ). Les pires attaques viennent

    bien sûr des confrères ulcérés... Il fallait voir l ’Angot, pour une fois

    bien baisée, écumant de rage à la télé contre Littell... « Un Juif n’a pas le

    droit de se mettre dans la peau d’un bourreau ! » Ah bon ? Et dans celle d’un

    soldat israëlien dans la bande de Gaza, il peut ? Non, ce qu’elle voulait dire,

    cette « pure » écrivaine décidément bien moralisatrice quand il s’agit de faire

    le procès d’un confrère plus bankable qu’elle, c ’est que Littell n’avait pas le

    droit de la niquer. Surtout qu’elle est frigide depuis son Inceste...

    Quant à son grand ami, le petit Moix, il explose littéralement ( à défaut

    de le faire littérairement) de haine douloureuse chaque fois qu’on lui parle,

    toujours à la télé, de l’énorme livre qui a réussi à l’enculer à travers son

    Panthéon... Il faut dire que, tremblant si fort qu’on découvre qu’il se lit une

    page de Bagatelles pour un massacre tous les matins au petit déjeuner, Moix

    s’était déjà empressé de traiter Céline d’«ordure » et de dénonciateur de Juifs

    devant 3 millions de téléspectateurs dans une autre émission bas de gamme...

    Même Claude Lanzmann a du mal à cacher que ça lui fait mal aux seins

    de voir avant de mourir qu’un jeune con d’Américain est venu lui piquer

    son exclusivité sur la Shoah, en faisant lui aussi un « chef d’oeuvre » ( dixit

    Le Nouvel Obs ) sur la question. Le vieux bouledogue des Temps Modernes

    n’en décolère pas et il se console ( difficilement ) en décidant que lui seul,

    Lanzmann, peut comprendre le livre de Littell... On n’imagine pas sans frémir

    ce que Lanzmann leur aurait passé si Les Bienveillantes n’avaient pas été

    écrites par un Juif !... À quoi ça tient tout de même ! Et si l’auteur s’était

    appelé « Jean Petit », comme il en avait l’ intention avant d’être refusé par

    plusieurs éditeurs, et qu’il ait publié son roman chez Robert Laffont, traduit

    de l’américain, ou bien encore qu’il porte sur le Rwanda ou la Bosnie,

    personne ne se serait retourné sur son passage...

    D’autres critiques lui ont reproché d’avoir mélangé le vrai et le faux...

    «Docu-fiction » ! Sacrilège pour les historiens, mais aussi sacrilège pour les

    romanciers. Depuis la libération du camp d’Auschwitz en 1945, un tabou

    fictionnel s’est mis en place. ElieWiesel l’a décrété : « Si c’est un roman, il

    ne doit pas parler d’Auschwitz ; si c’est un livre sur Auschwitz, ça ne peut

    pas être un roman. » Le roman rend libre ? Enfermons-le ! À quand la loi qui

    interdira d’écrire quoi que ce soit de fictif après l’Holocauste ? Ce qui s’est

    passé réellement à Auschwitz est impossible à imaginer, donc on ne doit

    plus pouvoir rien imaginer d’autre ! Auschwitz est situé à un tel degré de

    réalité qu’il provoque une sorte de haine de l’imagination. Les fanatiques du

    culte mémoriel ont tellement peur qu’on transforme leur réalité en mythomanie

    qu’ils en arrivent à remettre en question le phénomène transpositionnel

    même de l’art...

    Theodor Adorno était même allé plus loin : « On ne peut plus penser

    après Auschwitz ». En ce sens, Littell a transgressé un tabou. Rien que pour

    ça, il a toute ma sympathie. Mais si on veut comprendre ce qui a provoqué

    toutes ces atrocités, il ne faut pas raconter la Shoah, pas plus du point de

    vue du bourreau que de celui de la victime, mais analyser la place des Juifs

    dans la société allemande depuis la fin de la guerre de 14 jusqu’à l’avènement

    d’Hitler... Le roman ( documenté ! ) qui reste à faire est celui des élites

    juives allemandes, et pas des élites nazies.Tout le secret est là... Littell a

    eu l’intelligence de s’en tenir au sujet qui était dans ses cordes. C’est-à-dire

    à l’histoire d’un nazi interchangeable qui ne fait qu’obéir aux ordres, et dont

    on ne sait toujours pas, au bout de 900 pages, ce qui l’a fait adhérer au parti.

    Contrairement à La Chute, qui était un film allemand sur Hitler dans son

    bunker bondé de personnages hors du commun, Les Bienveillantes sont un

    livre écrit en français sur l’extermination racontée par un seul homme banal...

    On dirait que seule la « normalité » du monstre nazi peut expliquer ce

    qui ce qui a poussé les Allemands à planifier l’Holocauste ! La « banalité du

    bourreau », c’est Hannah Arendt qui l’a inventée, et non pas découverte...

    Beaucoup d’historiens et d’intellectuels juifs la détestent ou l’adulent pour

    ça. Les uns trouvent bon qu’on puisse considérer tout homme médiocre

    comme un nazi potentiel ( parce que ça veut dire qu’au fond tout nazi est

    un médiocre ) ; les autres lui en veulent car depuis elle, on peut croire qu’un

    nazi est un homme comme les autres, alors que c’est faux: tout le monde

    ne peut pas être Himmler, Heydrich, ou Eichmann qui lui a servi de cobaye

    lors de son reportage au fameux procès de Jérusalem. Or, on n’a pas compris

    tout de suite que Hannah Arendt, en banalisant Eichmann, couvrait l’homme

    qu’elle aimait : Martin Heidegger ! Le philosophe d’Être etTemps est, encore

    aujourd’hui, considéré comme le plus impardonnable penseur du XXe siècle

    pour avoir été nazi toute sa vie ( quoi qu’en disent ses blanchisseurs ) et

    jusque dans sa philosophie... Arendt était sa secrétaire et sa maîtresse, et elle

    projeta sur Eichmann ce qu’elle aurait aimé qu’on dise de son Heidegger : que

    c’était juste un pur idéaliste noyé dans la masse, inconscient de sa culpabilité,

    un petit rouage sans importance du système Hitler... Exactement comme

    le héros des Bienveillantes !

    Et c’est bien ce qui manque au livre de Littell, la réponse à la question

    principale: « qu’est-ce qui peut bien convaincre un SS de devenir un meurtier

    ? ». Les apôtres du Christ ne rechignaient pas à dire pourquoi Jésus les faisait

    kiffer ; dans aucun livre sur le Troisième Reich, en particulier ceux écrits

    par des Juifs, on ne cherche à expliquer ce que les nazis trouvaient de génial

    dans les idées du Führer... Ça reste un mystère. Mystère qui n’en est pas un

    d’ailleurs. Quand on voit les connards de trente ans de notre époque, on

    n’a aucune peine à imaginer qu’à la fin des années vingt en Allemagne d’autres

    trentenaires aient pu trouver dans le nazisme une nouvelle façon de

    penser et d’agir...

    «Qui peut savoir comment nous nous serions comportés à l’époque ? »

    répètent en choeur les pseudo-intellos qui adorent se donner du frisson rétrospectif...

    Eh bien, moi je sais: très mal ! Je connais beaucoup d’antinazis

    d’aujourd’hui qui auraient fait d’excellents SS d’hier... Quand on assiste à

    tous ces débats stériles où quinze sociologues, écrivains, psychanalystes,

    historiens, témoins, politiques s’interrogent sur la raison qui a fait que le

    nazisme a pu être possible, on a envie de leur dire en faisant un tour de

    table : « Mais c’est à cause de vous ! » Pour l’instant, on ne peut pas aller plus

    loin. Tout le monde sait, mais personne ne peut le dire. C’est encore trop

    tôt pour répondre clairement à la vraie question: «pourquoi cela s’est-il produit

    ». Soixante ans après, on en est toujours au « comment cela a-t-il pu être

    possible ». Le «comment» a bon dos ! Il permet à tous ceux qui bandent en

    secret pour le nazisme, tous les voyeurs d’Auschwitz, les refoulés de l’extermination,

    les amoureux de la mort, de se planquer derrière la « volonté de

    comprendre ».

    Comment les nazis s’y sont pris, c’est une discussion de chef de gare.

    Se fasciner pour la bureaucratie qui a permis le génocide, c’est encore rester

    au degré zéro de l’Histoire et de la Vérité. Travail de gratte-papiers et d’archivistes

    ! En ce sens, révisionnistes bornés et mémorialistes hystériques sont

    dans le même panier de crabes. Le « pourquoi les Allemands en sont arrivés

    là ? » impliquerait trop de descentes dans l’enfer des sociétés occidentales

    du XXe siècle ( et du début du XXIe ), et pourtant il faudra bien qu’on y

    voie clair une bonne fois pour toutes. Sans l’éclaircissement définitif de ce

    problème, le monde ne pourra plus avancer, car c’est de ça, et de rien d’autre,

    que souffrent les âmes culpabilisées ; c’est ça qui bouche l’accès au bonheur

    depuis 1945 : la non-réponse à cette question : « pourquoi les nazis

    voulaient détruire les Juifs ? » Et ça, ni Poliakoff, ni Hilberg, ni Littell aujourd’hui

    n’y répondent. Leur silence est si fort qu’on pourrait même rajouter un

    second « pourquoi ? » au premier, mais, comme chacun sait, ici il n’y a pas

    deux pourquoi...

    De leur côté, les médias font semblant de se demander pourquoi le public

    se fascine pour le nazisme... Comme s’ils ne savaient pas ! Ce sont eux

    qui imposent, et d’une façon totalement goebbelsienne, le retour des images

    hitlériennes à foison et sans risque d’accusation de complaisance puisque

    c’est à charge, soi-disant... Le système totalitaire du Troisième Millénaire

    sait très bien comment était fabriqué celui du Troisième Reich, car le premier

    est entièrement calqué sur le second : dans sa structure, sa logistique,

    ses mécanismes, ses dispositifs de manipulation des masses... Le public n’a

    plus qu’à obéir à ce nazisme « soft » qu’est le spectacle médiatique à outrance,

    construit de façon peut-être encore plus perverse que celui du Führer. Il ne

    manquait plus à la dictature spectaculaire qu’un Mein Kampf obligatoire,

    que tout le monde doit posséder chez soi, pour potasser le programme...

    Cette bible du « fasciné par le mal malgré lui », c’est Les Bienveillantes dont

    l’achat permet d’assouvir pour l’instant le «désir de nazisme » des Français.

    Oui ! La France a un désir de nazisme, il n’y a même que ça qui la fasse

    jouir. Grâce à un Juif américain, les Français ( tous antisémites et antiaméricains

    ) vont pouvoir se branler à leur guise sur une fresque-compil pornonazi

    et sans en avoir honte, avec l’alibi de « la littérature de Littell », autant

    dire la « littellrature » !

    Les Français, car ce livre a été écrit en français pour des Français, en ont

    marre qu’on ne leur ait jamais expliqué pourquoi ils ont collaboré avec des

    types qui cherchaient à se débarasser physiquement des Juifs, ni ce qui les a

    poussés entre 40 et 44 à faire du zèle dans ce sens-là, bref : quel est le problème

    de la France avec les Juifs depuis l’Affaire Dreyfus, et même avant ? En

    parler franchement ne serait pas une justification des pires crimes, mais un

    geste de détente, un soulagement dans la société d’aujourd’hui qui reste

    étouffée par ça sans le savoir.

    Littell surgit à une époque où les gens cherchent dans la fiction des réponses

    à leur angoisse au sujet de la Shoah. Pourquoi ? Parce que la réalité

    de l’Holocauste finit par devenir abstraite tellement elle est rendue floue et

    reste inexpliquée par les gardiens du Temple de la mémoire. Il fallait que

    quelqu’un lui restitue une forme de réalisme, même si c’est un réalisme

    romanesque... Les Bienveillantes vieilliront-elles bien ? Rien de moins sûr,

    mais Jonathan Littell aura réussi à faire franchir à ce pays de collabos qu’est

    la France une étape de plus dans sa longue marche pour se déculpabiliser.

    Seuls les écrivains ratés ne l’ont pas compris, trop aveuglés par leur

    jalousie. Tous éclopés, cassés, en lambeaux, sur des béquilles après cette

    rentrée qui a ressemblé à la bataille de Stalingrad, ils n’ont plus qu’à reformuler

    la phrase célèbre « peut-on écrire après Auschwitz ? » en « peut-on

    écrire après Littell ? »

    YL /TM 2006

  • La dernière lettre (Truth Dig)

    Message à Georges Bush et à Dick Cheney de la part d’un vétéran mourant

    La dernière lettre (Truth Dig)

    Thomas Young
    Thomas Young (photo de Claudia Cuellar)

    Il est peu vraisemblable que Thomas Young, paralysé et aux portes de la mort, ait écrit lui-même cette lettre. Elle a probablement été dictée et réécrite, dans un style assez percutant et enlevé.

    Quoi qu’il en soit, l’essentiel est ailleurs. Il est dans un réquisitoire terrible au nom de tous ceux qu’on a envoyés à la boucherie et qui sont devenus eux-mêmes bouchers. Pour le plus grand profit de commanditaires qui devraient comparaître devant un Tribunal International.

    LGS

    Je vous écris cette lettre pour le 10è anniversaire de la guerre en Irak au nom de mes collègues vétérans de la guerre en Irak. Je vous écris cette lettre au nom des 4 488 soldats et Marines qui sont morts en Irak. Je vous écris cette lettre au nom des centaines de milliers de vétérans qui ont été blessés et au nom de ceux dont les blessures, physiques et psychologiques, ont détruit leur vie. Je suis l’un de ces blessés graves. J’ai été paralysé dans une embuscade d’insurgés en 2004 à Sadr. Ma vie touche à sa fin. Je vis en soins palliatifs.

    Je vous écris cette lettre au nom des maris et des femmes qui ont perdu leurs époux, au nom des enfants qui ont perdu un parent, au nom des pères et des mères qui ont perdu des fils et des filles et au nom de ceux qui prennent soin des milliers de mes camarades vétérans qui ont des lésions cérébrales. Je vous écris cette lettre au nom de ces vétérans dont le trauma et l’auto-répulsion pour ce qu’ils ont vu, enduré et fait en Irak ont conduit au suicide et au nom des soldats en service et des Marines qui commettent, en moyenne, un suicide par jour. Je vous écris cette lettre au nom de près des un million de morts Irakiens et au nom des innombrables blessés Irakiens. Je vous écris cette lettre au nom de nous tous – les détritus humains que votre guerre a laissés derrière elle, ceux qui passeront leur vie dans une douleur et un chagrin sans fin.

    Je vous écris cette lettre, ma dernière lettre, M. Bush et M. Cheney. Je ne vous écris pas parce que je pense que vous saisissez les terribles conséquences humaines et morales de vos mensonges, de vos manipulations et de votre soif de richesse et de pouvoir. Je vous écris cette lettre parce que, avant ma propre mort, je veux qu’il soit clair que moi, et les centaines de mes camarades anciens combattants, ainsi que des millions de mes concitoyens, comme les centaines de millions d’autres en Irak et au Moyen Orient, sachent réellement qui vous êtes et ce que vous avez fait. Vous pouvez échappez à la justice mais à nos yeux vous êtes chacun coupable de crimes de guerre flagrants, de pillages et, finalement, d’assassinats, y compris l’assassinat de milliers de jeunes Américains – mes camarades vétérans – dont vous avez volé l’avenir.

    Vos postes de dirigeants, vos millions de dollars de richesse personnelle, vos consultants en relations publiques, vos privilèges et votre pouvoir ne peuvent masquer la vacuité de votre caractère. Vous nous avez envoyé combattre et mourir en Irak après que vous, M. Cheney, ayez esquivé la conscription pour le Vietnam, et vous, M. Bush, vous vous soyez porté AWOL (« absent without official leave » c’est-à-dire « absent sans permission officielle », synonyme dans le langage militaire de désertion – NDT) de votre unité de la Garde Nationale. Votre lâcheté et votre égoïsme ont été démontrés il y a des années. Vous n’étiez pas prêts à risquer votre vie pour notre nation mais vous avez envoyé des centaines de milliers de jeunes hommes et de femmes se sacrifier dans une guerre insensée, sans plus de réflexion qu’il n’en faut pour sortir les poubelles.

    J’ai rejoint l’armée deux jours après les attaques du 11 septembre. J’ai rejoint l’armée parce que notre pays avait été attaqué. Je voulais riposter à ceux qui avaient tué près de 3 000 de mes concitoyens. Je n’ai pas rejoint l’armée pour aller en Irak, un pays qui n’avait pas pris part aux attentats du 11 septembre 2001 et ne constituait aucune menace à ses voisins, encore moins pour les Etats-Unis. Je n’ai pas rejoint l’armée pour « libérer » les Irakiens ou pour fermer les installations mythiques d’armes de destruction massive ou pour implanter ce que vous avez appelé cyniquement la « démocratie » à Bagdad et au Moyen-Orient. Je n’ai pas rejoint l’armée pour reconstruire l’Irak, dont vous avez prétendu à l’époque qu’il pourrait être payé par les ressources pétrolières de l’Irak. Au lieu de cela, cette guerre a coûté aux Etats-Unis environ 3 milliards de dollars. Je n’ai surtout pas rejoint l’armée pour mener à bien une guerre préventive. La guerre préventive est illégale au regard du droit international. Et en tant que soldat en Irak, je le sais maintenant, j’étais complice de votre stupidité et de vos crimes. La guerre en Irak est la plus grande erreur stratégique de l’histoire américaine. Elle a fracassé l’équilibre des forces au Moyen-Orient. Elle a installé un gouvernement pro-iranien corrompu et brutal à Bagdad, installé solidement au pouvoir par la torture des escadrons de la mort et la terreur. Et elle a laissé l’Iran comme une puissance dominante de la région. A tous points de vue – moral, stratégique, militaire et économique, l’Irak a été un échec. Et c’est vous, M. Bush et M. Cheney, qui avez commencé cette guerre. C’est vous qui devriez en payer les conséquences.

    Je n’écrirais pas cette lettre si j’avais été blessé en combattant en Afghanistan contre ces forces qui ont perpétré les attentats du 11 septembre. Si j’avais été blessé là-bas, je serais quand même malheureux à cause de ma détérioration physique et de ma mort imminente, mais j’aurais au moins la consolation de savoir que mes blessures seraient la conséquence de ma propre décision à défendre le pays que j’aime. Je ne serais pas obligé de rester couché dans mon lit, le corps rempli d’analgésiques, en train de mourir et d’avoir à faire face à des centaines de milliers d’êtres humains, y compris des enfants, y compris moi-même, qui ont été sacrifiés par vous pour rien de plus que la cupidité des compagnies pétrolières, votre alliance avec les émirs du pétrole d’Arabie Saoudite et votre folle vision de l’empire.

    J’ai souffert, comme beaucoup d’autres anciens combattants handicapés, des insuffisances de soins souvent ineptes fournis par l’administration des vétérans. J’ai fini par réaliser, comme beaucoup d’autres anciens combattants handicapés, que nos blessures mentales et physiques ne sont d’aucun intérêt pour vous, peut-être d’aucun intérêt pour n’importe quel politicien. Nous avons été utilisés. Nous avons été trahis. Et nous avons été abandonnés. Vous, M. Bush, feignez beaucoup d’être chrétien. Mais mentir n’est-il pas un péché ? Tuer n’est-ce pas un péché ? Le vol et l’égoïsme ne sont-ils pas un péché ? Je ne suis pas chrétien. Mais je crois dans l’idéal chrétien. Je crois que ce que vous faites au plus insignifiant de vos frères vous le faites en définitive à vous-même, à votre propre âme.

    Mon jour du jugement dernier approche. Le vôtre viendra. J’espère que vous serez envoyé devant un tribunal. J’espère que, pour le salut de votre âme, vous trouverez le courage moral pour affronter ce que vous avez fait, à moi et à beaucoup, beaucoup d’autres qui méritent de vivre. J’espère qu’avant que votre vie sur terre prenne fin, comme la mienne s’achève à présent, vous trouverez la force de caractère pour vous présenter devant le public américain et devant le monde, et en particulier devant le peuple Irakien, pour implorer leur pardon.

    Thomas Young

    Source : https://www.truthdig.com/dig/item/the_last_letter_20130318/

    Traduction : Romane

    URL de cet article 19839 
    http://www.legrandsoir.info/la-derniere-lettre-truth-dig.ht
  • La Bombe de Damoclès, par Marc Edouard Nabe

    La Bombe de Damoclès, par Marc Edouard Nabe 

    Mis en ligne le 24 février 2008, par Mecanopolis.  

    On y va tout droit. Il suffit de refeuilleter la presse depuis deux ans, pour comprendre que la guerre contre l’Iran est déjà dans les tuyaux. Les journaux ne se trompent jamais quand il s’agit de sentir la merde. Depuis l’élection du président iranien Ahmadinejad en 2005, les médias, tous supports confondus, pous¬sent à lui foutre une bonne branlée « démocratique »…

    C’était pareil pour l’Irak : du 11 septembre 2001 au 20 mars 2003, la tension médiatisée était montée jusqu’à ce que Bush appuie sur son petit bouton. Dans le cas de l’Iran, où les enjeux sont si différents, le processus est le même. C’est un réflexe obligé des démocraties et de leurs médias englués dans leurs échecs flagrants : aller dérouiller celui qui remplit à merveille, à un moment donné, le rôle imposé du grand méchant loup. Les journalistes et responsables politiques jouent les hypocrites en jurant qu’ils sont en train de tout faire pour éviter cette guerre, mais chacune de leurs mises en garde est un appel déguisé à la mobilisation générale. Ça s’est bien vu dans la gaffe de Kouchner, ministre des Affaires étrangères, qui a spontanément déclaré qu’il fallait se préparer au pire, « c’est-dire à la guerre, monsieur ! » Faux tollé général ! Sarkozy rectifie le tir, mais pour la forme car lorsqu’un président a été capable de proposer l’alternative catastrophi¬que suivante : « la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran », on peut faire son paquetage…

    Kouchner n’a fait qu’exprimer le souhait de millions d’occidentalistes crispés. Si c’était un lapsus, il était révélateur pour tout le monde, pas seulement pour lui. Et sa reculade de principe n’a été qu’une façon de mieux monter au créneau d’un futur « je vous l’avais bien dit ». On oublie un peu vite que le Docteur Kouchner, sans remonter à son Kosovo chéri, était l’un des plus acharnés à aller ratonner Saddam Hussein. « Facile d’être contre la guerre ! » clamait-il quelques semaines avant l’offensive, aux côtés de ses potes pousse-au-crime, les Goupil, Glucksmann et Bruckner.

    Faut-il ressortir, tout jaunis (ou plutôt tout rou¬gis du sang des 650 000 Irakiens morts depuis), les ignobles articles de cette bande de névrosés irrespon¬sables toujours prompts à envoyer le plus possible de monde au casse-pipe chez Mahomet ? Le climat est au bellicisme le plus injustifié et les Français ne trouvent rien d’autre à faire que la grève pour des histoires de justice sociale !… Sarko prépare tous les jours l’opinion à lutter contre la barbarie et pour la résistance à tous les totalitarismes… En quoi la lecture obligatoire de la lettre d’un jeune homme, fusillé en 1941, peut servir d’exemple à la conduite de ceux d’aujourd’hui ? Mais c’est tout simple : il faut les habituer à mourir pour un grand idéal. En l’occurrence, celui d’empêcher demain Téhéran d’avoir la bombe atomique. Guy Môquet est le premier mort de la prochaine guerre. Sarkozy oublie juste de rappeler que la Droite (son camp), avait tout fait jadis pour que le pays tant détesté aujourd’hui ait la force nucléaire. Tricastin, Eurodif, ça ne dit apparemment plus rien à personne… Que d’enrichissements dans tous les sens l… Incohérente France ! Et qui continue de l’être, car pour libé¬rer des infirmières bulgares prisonnières en Lybie, Sarkozy n’a pas hésité à promettre à Kadhafi de quoi fabriquer une bombe.

    En coulisse, des sales cops préparent les fusils Lebel et les bandes molletières pour les pioupious anti-perses. Il est temps d’aller stopper l’Iranien à l’uranium ! Les réticents seront accusés d’être des Munichois, le ton va monter, des inspecteurs d’armes de destruction massive vont proposer leurs services (déjà ce nul de Mohamed et Baradeï repointe son museau morveux), d’énormes manifs mondiales de pacifistes ne vont servir à rien, des ultimatums vont succéder aux résolutions, l’ONU va refaire caca dans son vieux slibard, l’Europe va finalement se coller aux États-Unis, et boum Tout pareil, je vous dis ! Petite différence : cette fois, pour attaquer l’Iran, le mobile est nettement avoué : il s’agit de protéger Israël. « Je ne transigerai jamais sur la sécurité d’Israël. » a décidé Sarkozy pour toute la France qui l’a élu et qui commence à comprendre qu’il n’est pas seulement un mec de droite décomplexé. Il est aussi un défenseur acharné (et très bien entouré) de ce pays dont il a dit qu’il ne pou¬vait « qu’admirer le fonctionnement démocratique et les performances économiques ». N’en jetez plus !

    Au moins, les néo-va-t-en guerre ne cachent plus leur motivation sous des prétextes plus ou moins « moraux » de démocratisation d’un pays arabe ou de déboulonnage d’un dictateur musulman. Ils abat¬tent leurs cartes, ou plutôt leur carte, car il s’agit bien d’un problème de carte… L’escroquerie intellec¬tuelle consiste à dire que d’un côté Ahmadinejad veut la bombe et que de l’autre il veut rayer Israël de la carte, et d’en conclure donc : il veut rayer Israël de la carte avec la bombe ! Ce raccourci est bien pratique et rassembleur. Puisque apparemment personne ne s’y colle, je réponds à ce sophisme cousu de fil blanc par des malhonnêtes professionnels et sur mesure pour les paranos et les naïfs.

    Premièrement, Ahmadinejad n’a jamais dit qu’il voulait rayer Israël de la carte. C’est pourtant ce qui se répète partout, de journalistes-perroquets désinformés en spécialistes-autruches catastrophés. La phrase « scandaleuse » a été extraite d’une conférence prononcée à Téhéran le 26 octobre 2005 et intitulée Le Monde sans Sionisme. En anglais : « Tbe World witbout Zionism »… On voyait Ahmadinejad devant une affiche allégorique représentant le globe terrestre sous la forme d’un sablier géant qui s’est déjà délesté de l’Amérique, c’est-dire d’un oeuf cassé au fond du sablier, et dont un autre oeuf, orné de l’étoile de David, est en train de chuter lui aussi, et bientôt se cassera.

    Les scandalisés se sont bien gardés de dire que le « nazi » Ahmadinejad (pour qualifier un iranien, « aryen » aurait suffi ) exposait là une utopie, pour l’instant irréalisable : celle d’un monde sans sionisme, c’est-à-dire sans cette politique internationale de colonisation de Palestiniens, et de culpabilisation du reste de la planète. Un monde soulagé soudain de cette chape de responsabilité collective qui l’étouffe depuis soixante ans pour préserver la mémoire d’une Shoah qui ne concerne pas un quart de la popula¬tion mondiale, et qui prétend continuer d’empoisonner la conscience des nouvelles générations. Pour Ahmadinejad, il y en a marre de vivre avec cette « faute » imposée par des maîtres-chanteurs et sur laquelle prospère un État criminel. La seule faute que les peuples devraient ressentir, c’est de laisser Israël détruire la Palestine tous les jours un peu plus, sans jamais réagir par peur d’être accusés d’antisémitisme.

    Ahmadinejad n’a pas peur car il ne cesse de le répéter (et on ne veut pas l’entendre) : il n’est pas contre les Juifs, il est contre les sionistes, et ses questions sont légitimes : « Pourquoi la Palestine devrait payer pour un holocauste d’Européens ? », « Si on trouve légitime qu’Israël occupe la Palestine, pourquoi ne trouve-t-on pas légitime que Hitler ait occupé la France ? » « Pourquoi l’ONU n’enquête-t-il pas sur la façon dont Israël s’est doté de la bombe atomique ? »

    Déjà, l’année dernière, à la « Journée mondiale de Jérusalem » (créée par l’ayatollah Khomeyni), Ahamadinejad avait prononcé un discours important en demandant à l’Europe « d’abandonner Israël ». Le jour où les Européens, puis les Américains (ça viendra) stopperont leur soutien inconditionnel aux crimi¬nels de Tel Aviv, le monde ira mieux, et dans tous les domaines. Cette évidence, Ahamadinejad est le énième esprit lucide à l’énoncer. Rien d’étonnant à ce que les ennemis de la libération du monde tronquent ses phrases. Après avoir expliqué que l’État sioniste était « la tumeur du Moyen-Orient », le président ira¬nien a cité l’ayatollah Khomeyni, mais les désinformateurs ont supprimé son « comme disait l’Imam » pour ne laisser dans sa seule bouche que le « projet » de rayer Israël de la carte. Le problème, c’est que ni le mot carte, ni le mot rayé, ni même celui d’Israël n’ont été prononcés par Ahmadinejad. D’abord, parce que l’État hébreu est « rayé » d’office des cartes de géographie de tous les pays musulmans dignes de ce nom (Regardez une carte du Liban, vous avez un grand vide au sud ) ; ensuite parce qu’Ahmadinejad n’a fait allu¬sion ni au pays, ni au territoire, mais à ce qu’il appelle précisément « le régime usurpateur de Qods ».

    Si vous voulez jouer au plus fin, on va se farcir la citation en persan : Imam gboft een rezbim-e isbgbal gar-e gods bayad az safbebye ruzgar mabv sbaved Traduite au mot à mot, la phrase exacte est donc : « L’imam a dit que ce régime occupant Jérusalem doit disparaître de la page du temps. », ce qui est beaucoup plus poétique, mais la poésie, surtout quand elle est politique, n’est pas la tasse de thé glacé des ordures qui diri¬gent l’opinion mondiale. La falsification spectaculaire des citations est l’arme des minables qui grugent régulièrement les ignorants bernés. C’est comme sa phrase sur les pédés à l’université Colombia. Ahma¬dinejad n’a pas seulement dit « Nous n’avons pas d’homosexuels en Iran… », mais il a ajouté : « … du genre de ceux que vous avez chez vous. » Ce qui change tout, car soudain ça ne signifie plus que l’islamiste ultra¬conservateur est assez stupide pour nier l’existence des homos en soi, mais qu’en Iran il n’y a pas d’homo¬sexuels comme en Amérique et en Occident, c’est-à-dire revendiqués en réseaux, associations, manifs, Gay Pride, etc.

    Deuxièmement, Ahmadinejad ne veut pas la bombe ! Ça aussi, il ne cesse de le clamer partout et on n’en tient pas compte. « Le temps de la bombe est dépassé. » Pour lui, c’est ringard et inefficace. « Si ça avait été utile, les Russes s’en seraient servi ! » Chirac (encore lui ?) avait dit, lui aussi, qu’une bombe iranienne ne serait pas « tellement dangereuse » puisque inutilisable. Irangaffe avait titré Libé. Après Cbirak, Chiran ? Chiraz plutôt ! La « bombe atomique » est un fantasme de vieux traumatisés par la Seconde Guerre mondiale. On parle de « menace iranienne », mais je vois plutôt une menace permanente des autres pays sur l’Iran, comme si la fameuse bombe était déjà suspendue au dessus de la tête d’Ahmadinejad ! Malgré la foirade en Irak, vous allez voir que des avions américano-franco-israéliens vont bombarder les sites nucléaires d’Arak, Natanz ou Ispahan ( la cité turquoise ! ), comme les bombardiers de Tsahal avaient détruit Osirak en 81. Un raid sur « Osiran » est-il imminent ? Bien sûr ! C’est le dernier cadeau que Bush veut laisser sur la scène internationale avant de tirer sa disgracieuse révérence. L’Iran n’a aucune intention de balancer sa bombe sur Israël, mais si les pro-sionistes d’Amérique ou d’ailleurs y tiennent vraiment, Ahmadinejad pourrait céder au fantasme collectif… Ce à quoi il ne veut pas céder pour l’instant, c’est aux pressions qui lui feraient renoncer à son programme nucléaire civil alors que l’Inde, le Pakistan et Israël ont la bombe atomique sans avoir jugé bon de signer le T.N.P. (traité de non-prolifération nucléaire).

    « L’énergie nucléaire est notre droit inaliénable. » dit l’Oriental, enrichisseur soupçonné d’uranium en douce. « Attention, sanctions ! » répondent les gendarmes de l’Occident. On se croirait à Guignol. Ça va être quoi, les sanctions ? Un coup de bâton sur le crâne d’Ahmadinejad ? Des fessées sur son calcul de Chiite ?… Tous les mauvais prétextes sont bons pour le punir. Lors de son élection, les Américains avaient essayé de faire croire qu’il faisait partie des preneurs d’otages de l’ambassade des États-Unis à Téhéran en 1979. Ce n’était pas Ahmadinejad ! Pour eux, tous les métèques se ressemblent : un barbu en vaut un autre…

    Foutez-lui la paix et non la guerre ! Comment supporter que des peuples sans histoire comme les Américains ou bien sans géographie comme les Israéliens se permettent d’infantiliser un pays tel que l’Iran ? Ah ! Voir le tombeau de Cyrrus à Passargade ! Celui de Darius à Persépolis ! O Iran éternel, profond et mystique ! Immense planète qui a fait rêver plus que la Lune des cerveaux aussi pointus qu’Henry Corbin, Louis Massignon ou Michel Foucault pour ne rester qu’en France (le pays, ne l’oublions pas, qui, en l’hébergeant, a permis à l’ayatollah Khomeyni de renverser l’immonde shah) !

    En octobre 1978, Foucault, tout Foucault qu’il était, a été obligé d’écrire ses articles pro-iraniens dans les journaux italiens tellement les français n’en voulaient pas. Il voyait dans la révolution de Khomeyni « cette chose dont nous avons, nous autres, oublié la possibilité depuis la Renaissance et les grandes crises du chris¬tianisme : une spiritualité politique. J’entends déjà des Français qui rient mais je sais qu’ils ont tort. » Oui ! Et trente ans après, ils rient encore… Aux dépends d’un président qu’ils diabolisent comme un monstre sérieux, alors que c’est un véritable provocateur de la génération de Hara-Kiri. Regardez-le avec son allure de barbu maigrelet en costard gris tergal : il ressemble au dessinateur Buzzelli ! Mahmoud a même un petit côté Prince Muychkine, candide et souriant, concentré sur ses illuminations. Peut-être le seul « Idiot » de notre temps… Voilà pourquoi les vrais débiles des médias se moquent de lui. Un Ariel Wizman, sala¬rié d’une entreprise de dérision généralisée, se permet de le trouver « ridicule » ! Il faut dire que le dandy donneur de leçons avait déjà traité la semaine précédente Che Guevara de « salaud ». Un peu court peut¬être, non ? Ce n’est jamais assez court pour les anciens libertaires reconvertis à la vigilance droitière. Aujourd’hui, ce sont les « rigolos » les plus sinistres qui jugent risible ce qui est drôle.

    Car Abmadinejad est un déconneur. Quand il propose à Bush un référendum mondial genre Star Ac’ pour déterminer qui d’eux deux doit être éliminé de la scène internationale, il a plus d’humour que tous les « Beurs » et « Blacks » des stand-up potacheux. Au lendemain de la victoire divine du Hezbollah sur Israël, lors de la guerre au Liban en août 2006, le président a lancé un concours mondial de caricatures sur l’Holocauste pour répondre aux Occidentaux hypocrites qui jouaient aux outrés lorsque des musulmans se sont dit choqués par les caricatures du Prophète faites au Danemark ! Coincer la liberté d’expression occi¬dentale à son propre piège devrait être considéré comme le top de l’humour. Que Charlie Hebdo, ce tor¬chon antiarabe, en prenne de la graine de couscous ! « Les dessins qui partent du principe que l’Holocauste a existé sont acceptés. » disait le fascicule d’inscription. Des milliers de dessins plus révisionnistes les uns que les autres ont afflué du monde entier et Ahmadinejad s’est fait un plaisir d’en organiser l’exposition Holocust… Enfin un vernissage marrant ! Une dessinatrice française a même décroché le troisième prix !

    Encore plus drôle : en avril 2007, le « scorpion d’Aradan » fait kidnapper 15 gentils marins anglais parce qu’ils ont pénétré les eaux territoriales iraniennes à l’embouchure du fleuve Chatt-al-Arab. Après avoir exhibé les captifs en pénitents, en les obligeant à s’excuser publiquement, le président les libère… Magnanime Ahmadinejad ! Il décore les soldats qui les ont fait prisonniers, puis il joue à la poupée avec ses otages, rhabillant les hommes de costards neufs et voilant la seule femme d’un keffieh palestinien… Ahmadinejad les relâche, les bras chargés de babioles folkloriques en souvenir, dit que c’est un « cadeau » qu’il fait à l’Angleterre de gracier de tels hors-la-loi, et demande à Blair de ne pas les punir à leur retour !

    Mais son plus grand gag, c’est à NewYork qu’il l’a accompli. Ahmadinejad y a été reçu comme un voyou. Accueilli dans les rues de Manhattan par des pancartes le traitant de « Hitler iranien » et ornées du dessin de Hachfeld le transformant en croix gammée, le pacifiste de Téhéran s’est vu successivement interdit de visite à Ground Zero et présenté à l’université Columbia comme « un dictateur cruel et mes¬quin ». Toujours poli, il a répondu aux questions grotesques des étudiants ignares. C’est seulement à la tribune de l’ONU qu’il a pu prononcer un magnifique discours spiritualiste beaucoup plus applaudi qu’on ne l’a dit malgré les grincements de dents dans la salle. Heureusement, certains New-Yorkais ne l’ont pas du tout rejeté (au contraire !), ce sont les rabbins antisionistes…

    Les « Neturei Karta » en chapeaux et papillotes sont encore plus radicaux que l’Iranien indésirable : pour eux, le judaïsme ne doit pas être dévoyé en sionisme et, en tant que Juifs religieux et opposés à l’État d’Israël, ils ont remis à Ahmadinejad, pour sa « douceur envers l’humanité et en particulier envers les Juifs », une coupe digne de celle de Roland Garros ! Ils se sont ensuite embrassés les uns les autres dans des acco¬lades interminables qui ont renvoyé toute image surréaliste au rayon des farces et attrapes. Les barbes des rabbins dégoulinaient de reconnaissance et Ahmadinejad pleurait d’émotion d’être si bien compris, ce qui, après tout, est la seule raison valable de pleurer aujourd’hui.

    Marc-Édouard Nabe

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  • La liste de Patrick Cohen

    La liste de Patrick Cohen 

    17 mars 2013 à 19:06 
    Par DANIEL SCHNEIDERMANN

    Eh bien, c’est dit. Il existe une liste noire d’invités sur France Inter. C’est l’animateur de la Matinale, Patrick Cohen, qui a benoîtement mangé le morceau. Cela se passe au micro de l’émission C’est à vous (France 5). Chroniqueur de cette émission, Patrick Cohen reçoit son collègue Frédéric Taddéï, animateur de Ce soir ou jamais, qui vient d’être transférée de France 3 à France 2. Et Cohen ne va pas le rater, Taddéï. A présent qu’il est passé sur France 2, chaîne amiral, Taddéï continuera-t-il d’inviter les maudits, comme il le faisait à l’abri de la (relative) confidentialité de France 3 ? «Vous invitez des gens que l’on n’entend pas ailleurs, mais aussi des gens que les autres médias n’ont pas forcément envie d’entendre, que vous êtes le seul à inviter.» Et Cohen cite quatre noms : Tariq Ramadan, Dieudonné, Alain Soral et Marc-Edouard Nabe.

    Un théologien, un humoriste, un publiciste inclassable, un écrivain : voici la liste des proscrits, des interdits, des bannis, dressée pour la première fois, tranquillement, sur un plateau de télé convivial et sympathique. Instant de vérité. Deux quinquas se font face, deux animateurs professionnels, au sommet de leur carrière, que tout pourrait réunir, et dont on réalise en une seconde tout ce qui les sépare. Cohen : «Moi, j’ai pas envie d’inviter Tariq Ramadan.» Taddéï : «Libre à vous. Pour moi, y a pas de liste noire, des gens que je refuse a priori d’inviter parce que je ne les aime pas. Le service public, c’est pas à moi.» «On a une responsabilité. Par exemple de ne pas propager les thèses complotistes, de ne pas donner la parole à des cerveaux malades. S’il y a des gens qui pensent que les chambres à gaz n’ont pas existé.» «Qui ?» «Kassovitz sur le 11 Septembre.» «Si je dis "j’ai des doutes sur le fait que Lee Harvey Oswald ait été le seul tireur de l’assassinat de Kennedy à Dallas", vous m’arrêtez ?» «Evidemment pas.» «Quelle différence ? Tout ce qui n’est pas défendu est autorisé. Je m’interdis de censurer qui que ce soit, à partir du moment où il respecte la loi.»

    Même si la liste Cohen mélange tout (quoi de commun entre les quatre ? Et pourquoi Kassovitz ne figurait-il pas dans la liste initiale ?) chacun en entend bien le point commun : les quatre proscrits, sous une forme ou une autre, ont dit des choses désagréables sur les juifs, Israël, ou le sionisme.

    Mais soudain, Taddéï renvoie la balle. «Vous voulez que je vous fasse la liste des ministres condamnés, y compris pour racisme, que vous avez reçus dans votre émission de radio ?» «Y en a pas beaucoup.» Taddéï ne prononce pas le nom de Hortefeux, mais là aussi tout le monde a entendu pointer son nez l’éternelle concurrence victimaire : il est légitime d’être désagréable aux Arabes, mais pas aux juifs. Qu’on s’entende bien : c’est parfaitement le droit de Cohen, de ne pas inviter Ramadan, Soral, Nabe ou Dieudonné. Aucun cahier des charges du service public ne l’oblige à le faire. On a le droit d’estimer que Dieudonné n’est pas drôle, ou que Nabe n’est pas un grand écrivain. Cohen serait parfaitement fondé à dire «j’estime qu’il existe des théologiens plus pertinents, des humoristes plus drôles». Manchettes, sujets, invités : être journaliste, c’est choisir, trier, hiérarchiser. Mais aucune raison d’en faire une question de principe, et de proclamer que même la baïonnette dans les reins, on n’invitera pas Bidule. En reprochant à Taddéï d’inviter les proscrits, Cohen dit en fait «ce n’est pas parce que je ne les juge pas intéressants, que je leur barre l’accès au micro de France Inter. C’est parce qu’ils ont contrevenu à un dogme».

    Se priver d’invités intéressants parce qu’on n’est pas d’accord avec eux est, pour un journaliste payé par le contribuable, une faute professionnelle. Et non seulement c’est indéfendable, mais c’est contre-productif. Aujourd’hui, les dissidents n’ont plus besoin de Cohen et de ses homologues, pour trouver un écho sur Internet. Avant, il était possible de décider qui étaient les «cerveaux malades», et de les condamner pour crime de pensée, comme dans 1984. Mais aujourd’hui, pour un animateur en vue, déclarer qu’il n’invitera pas Bidule, c’est hisser Bidule sur le piédestal de victime de la censure. Le pré carré audiovisuel, s’il veut rester un lieu crédible de débat d’idées, n’a donc plus d’autre choix que de s’ouvrir aux paroles jadis bannies, quitte à leur opposer une contradiction vigoureuse et argumentée, ou à les prendre à leur propre piège de la dialectique. Et de s’en donner les moyens.

     
  • Hollandie : L’ « aimable non changement »

    Hollandie : L’ « aimable non changement » c’est maintenant !

    Denis THOMAS

    Au terme de huit mois, le doute est définitivement levé. Et avec lui, le plus gros de l’espoir de gauche. Le changement promis par François Hollande se décrit simplement : aucune promesse n’est tenue – ce qui ne saurait constituer une surprise – mais fort « aimablement ». Et dans un certain désordre.

    Il est à craindre que ce que retiendra finalement l’homme de gauche du présent quinquennat sera le Mariage pour Tous. Problématique de société, importante comme l’abolition de la peine de mort de 1981, mais qui ne saurait faire oublier l’ampleur de la crise.

    Au surplus, Marianne n’a plus de saint « traditionnel » auquel se vouer.

    Le gouvernement Hollande/Ayrault taille, ou s’apprête à tailler, en pièces ce qui reste de tissu social : prestations sociales, retraites, Sécu, et à imposer des augmentions fiscales tous azimuts, à commencer par une forte hausse de la TVA. Mais la fine équipe de Matignon s’ingénie avec plus ou moins de bonheur à enrober le tout dans la rondeur « normale » du locataire de l’Elysée.

    LA « DROLE D’ALTERNANCE »

    Hollande n’est pas franchement plus nocif, ni, hélas, plus efficace que son prédécesseur sur les grandes préoccupations que sont le chômage ou le pouvoir d’achat, voire la sécurité. Mais l’État est désormais confronté à un sens de la désorganisation qui atteint des sommets presque esthétiques. C’est la « drôle » d’alternance, comme il y eût la drôle de guerre de 39-40. Dans l’une comme dans l’autre, une chatte n’y retrouve pas ses petits.

    Un second constat, tout aussi triste, s’impose : dans cet « aimable » foutoir, les Français ont de plus en plus de mal à rêver à une planche de salut. L’opposition traditionnelle patauge dans une panade grotesque de luttes intestines pendant laquelle elle ne peut trouver le temps de redorer constructivement le blason de l’anti-Sarkozysme, presque de l’anti-UMP, ou, mieux de jeter les fondations de ce qui serait un après Sarko. Il y a, à droite, comme un vrai problème de « casting »…

    Il s’agit là, comme sur le plan économique actuel, d’un véritable scénario catastrophe. Et ceci sera mis à profit par le Front National et, peut-être, par le Front de Gauche, aux élections municipales de l’an prochain qui s’annoncent grandguignolesques. Elles sont déjà une source d’affreux cauchemars dans le camp socialiste.

    Donc nous évoluons sans conteste dans un « aimable » bordel. Celui-ci tient beaucoup à la personnalité de Pépère, surnom qui lui est donné par ses conseillers, nous apprend le Canard Enchaîné.

    Pépère dirige la France comme il gérait le PS lorsqu’il en était premier secrétaire. Il n’aime guère le travail d’équipe, possède un goût Mitterrandien du secret, se mêle de tout (tiens donc…) mais, contrairement à Sarko, fait croire que c’est son Premier ministre qui est aux commandes.

    Le hic, est que, de l’autre main, le Président ne tranche rien, laisse les problèmes en l’état car il a horreur de conflits. Et il s’agit là, sans doute de l’origine du mal.

    PEPÈRE

    Aimablement, Pépère entend préserver les équilibres internes aux socialistes et la paix avec les divers « partenaires » Verts, Radicaux et Communistes (dans une moindre mesure…). Du coup, l’équipe gouvernementale passe pour un retour des Branquignols et est quasi incontrôlable.

    Montebourg bénéficie d’une immunité diplomatique. Ses sorties – pas forcément inutiles – mettent souvent l’Élysée-Matignon dans un vif embarras. Mais le bouillant ministre du Redressement productif, sur tous les fronts, avait obtenu la bagatelle de 17% aux primaires socialistes : Donc pas touche ! Jean-Marc Ayrault en perd son allemand et y gagne de curieuses relations avec Angela Merkel.

    A l’Intérieur, Valls (7% aux primaires) regarde Taubira (1% via Baylet) à la Justice de travers. Cette dernière lui rend bien, et les deux détricotent (plus ou moins « aimablement ») ce que l’un ou l’autre a fait ou s’apprête à faire. Pas grave : on comptera aimablement les points, mais pas tout de suite. Il n’y a pas le feu. Sauf à Marseille, en banlieue ou encore dans les prisons …

    Duflot poursuit un vibrant parcours gouvernemental entre une hâtive dépénalisation du cannabis, des passes d’armes avec l’Église pour des réquisitions de logements d’urgence. Pas de vaguelette : elle bénéficie d’un accord des plus opaques mais « aimable » avec Pépère qui lui a accordé un maroquin en lieu et place d’Eva Joly (très triste) en contrepartie d’indulgences parlementaires (hypothétiques) au cas où le PS perdrait sa majorité absolue au Palais Bourbon. Après une « aimable » loi sur le non-cumul des mandats, par exemple …

    Sans tomber dans un inventaire à la Prévert, on citera les aimables déboires suisses de Cahuzac, la liberté de parole de Lebranchu sur le jour de carence des fonctionnaires. Là non plus : pas de vagues.

    JEU DE PISTE

    Nous aurons aussi la décence de ne pas parler de Pierre Moscovici (Finances) et de Michel Sapin (Travail) qui ont laissé à la porte de leurs établissements toute espérance. Comme dans l’Enfer de Dante. Pourtant ils n’étaient pas si incompétents, initialement. Aimables.

    Tout ce beau monde délivre à qui mieux mieux des messages contradictoires, chacun dans son coin, sans coordination ni pilotage visible mais il nous indique sans ambiguïté : la France n’est pas gouvernée à gauche. Pour son bien ? Pour une image améliorée ? Vous en êtes juges.

    Pépère veut reprendre du poil de la bête : il engage le pays dans un conflit au Mali. La population aime la virilité et lui accorde quelques points d’oxygène dans les sondages. Las ! Une fois décryptée, l’aventure « anti-terroriste » retombe avec des allures de bourbier françafrique.

    Pépère plonge aussi vite dans l’opinion que Sarko. Hollande sait très bien ce que l’anti-Sarkozysme lui a permis de gagner et craint encore plus ce qu’un anti-Hollandisme lui ferait perdre.

    Mais il y a le feu aux caisses de l’État. Pour éteindre et renflouer, les solutions suivent une méthode inédite : moins de retraites, moins de vacances, plus de taxes (TVA, diesel) dans les tuyaux mais tout ceci n’est ni officiellement décidé ni même officiellement arbitré. En élément de langages ce sont des « pistes ».

    De fait un « jeu de piste » dans lequel les ministres eux-mêmes ont du mal à retrouver leur chemin. Quant à suivre, ou montrer, une direction …

    Denis Thomas