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Azel Guen : Décryptage de l'Actu Autrement - Page 104

  • La soif d’eau de Wall Street

    Au début de l’année dernière, j’ai publié un article dans Foreign Policy expliquant comment Wall Street se fait de l’argent sur le dos de ceux qui souffrent des affres de la faim. J’ai procédé à l’historique des marchés financiers des produits alimentaires et relevé que les prix du maïs, du soja, du riz et du blé ont battu des records à trois reprises au cours des cinq dernières années [« How Goldman Sachs Created the Food Crisis »,Foreign Policy, 27 avril 2011.]. J’ai scruté les impacts du changement climatique et des biocarburants sur les marchés à terme des céréales et j’en ai déduit que le système mondial des prix des produits alimentaires qui, jadis, bénéficiait aux agriculteurs, aux boulangers et aux consommateurs a été sapé par les dérivés financiers créés par les banques d’investissement.

    Ces fonds de matières premières ont effectivement détruit la fonction traditionnelle de « découverte des prix » pour les échanges à terme du blé sur les places de Chicago, de Kansas City et de Minneapolis, et ont fait de ces marchés des machines à générer des profits pour les banques et les fonds d’investissement, tout en orientant à la hausse le prix de notre pain quotidien [1].

    Bien que l’on ait promis une réglementation globale des dérivés financiers sur les aliments, les années passent et rien de concret n’a encore été réalisé. A Washington D.C., les abus sur les marchés de matières premières et d’autres trafics ont accouché de 30 000 pages de réglementations nouvelles : la loi dite « réforme de Wall Street de Dodd et Frank » et la loi de 2010 sur « la protection du consommateur ».

    Comme on pouvait s’y attendre, la mise en œuvre de ces lois a été contestée devant les tribunaux et ainsi provisoirement suspendue. Même si ces textes s’appliquent au-delà de la Beltway [2], les échappatoires ne manquent pas pour les grosses banques. En conséquence, il est prudent de se dire que la ressource globale sera le prochain produit financier dérivé. Y a-t-il plus alarmant, plus grave que la catastrophe qui permettra de parier sur les aliments des humains ?

    Qu’en est-il de l’eau ?Retour à la table des matières

    Les spéculateurs peuvent déjà parier sur la neige, le vent et la pluie, au moyen de contrats à terme, pouvant être négociés — vendus et achetés — à la Bourse « Chicago Mercantile Exchange ». La valeur du marché de la météorologie a cru de 20 % entre 2010 et 2011. Mais ce secteur demeure chétif : il représente seulement 11,8 milliards de dollars. Il n’en demeure pas moins que ce type de transactions à terme prouve que la fièvre qui s’est emparée de Wall Street transforme mère nature en mère de tous les casinos.

    Certains environnementalistes pensent que mettre un prix sur l’eau douce serait le meilleur moyen pour sauver le capital hydrique de la planète. Plus cher elle coûtera, moins nous gaspillerons la ressource.

    La financiarisation de précieuses ressources sous-tend une initiative internationale hébergée par le programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) et soutenue par l’Union Européenne, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Hollande, la Norvège, la Suède et le Japon : il s’agit de « The Economics of Ecosystems and Biodiversity » (TEEB).

    Le TEEB vise à calculer jusqu’au dernier trillion de dollars, de rials ou de renminbi, la valeur des écosystèmes. Le mouvement PES « paiement pour les services environnementaux » (rendus par les écosystèmes) se réfère quant à lui à des choses comme l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons.

    On compte, parmi les partisans de ce concept, la Banque mondiale et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Selon le rapport de 2010 du TEEB : « L’accent mis par la société moderne sur le marché des composants du bien-être et notre dépendance quasi totale vis-à-vis des prix du marché pour attribuer la valeur signifient que nous ne mesurons et ne gérons les valeurs économiques échangées qu’à travers les marchés. »

    La faculté de Wall Street à tirer des profits de la bulle alimentaire, l’incapacité de Washington à réglementer les dérivés (financiers) globaux et la forte tendance à faire de la nature une marchandise, au moyen d’instruments du type TEEB et PES, ont convergé cet été vers un seul et unique foyer : la sécheresse qui s’est abattue sur les Etats Unis.

    Une avalanche de prédictions sociales et environnementales sinistres a accompagné cette sécheresse : en 2035, trois milliards d’êtres humains seront affectés par le stress hydrique, le manque d’eau deviendra chronique, les incendies de forêt se déclareront partout, les moussons deviendront imprévisibles et la fonte des neiges décroîtra de manière drastique, étant donné le nombre d’hivers suffocants.

    Or, dans le même temps, l’eau est devenue essentielle pour un spectre de plus en plus large d’industries, allant de la houille blanche à la fracturation hydraulique, de la brasserie à la fabrication des semi-conducteurs. La nappe phréatique est en train de s’effondrer en Asie aux dires des hydrologues. Les politologues voient moult querelles pointer à l’horizon au sujet de la propriété et de l’utilisation des cours d’eau de l’Himalaya et quiconque fore un puits dans le Nebraska sait que l’aquifère de l’Ogallala, dans le centre-ouest des Etats-Unis, est en train de baisser de manière inquiétante.

    Les conséquences sont effroyables : destruction d’écosystèmes, extinction d’un nombre incalculable d’espèces, risques de conflits régionaux et internationaux, telles les fort redoutées « guerres de l’eau » du XXIe siècle. Que se passera-t-il quand l’Ethiopie érigera des barrages sur le Nil ? Ou quand le Yémen deviendra le premier pays dont l’eau aura été épuisée ? Une réponse courte s’impose : rien de bon.

    Tirer profitRetour à la table des matières

    Les investisseurs de tous horizons adorent les ambiances apocalyptiques. A travers les interstices de la violence et du chaos, il reste de l’argent à ramasser. De nos jours, les plus gros profits ne viennent pas de la vente ou de l’achat de choses bien réelles (comme des maisons, du blé ou des voitures), mais bien de la manipulation de concepts éthérés, tels le risque et les dettes collatérales. La richesse coule des instruments financiers qui transcendent la réalité.

    Investir dans l’indice boursier « eau » est aujourd’hui recherché comme jamais. Il existe plus de cent indices [3] pour suivre et apprécier la valeur des titres et les actions des entreprises engagées dans le business de l’eau comme les services publics, l’assainissement et le dessalement. Nombreux sont ceux qui procurent de confortables dividendes (cf « Invest in Water ETFs »).

    D’où la pression qu’exercent la Banque mondiale et le FMI, toujours à l’affût pour étendre les marchés boursiers pour leurs milliards de dollars de crédit et pour amener les pays à privatiser leurs ressources.

    Ces dernières incluent les lacs, les cours d’eau, les retenues et réservoirs d’eau d’Argentine, de Bolivie, du Ghana, du Mexique, de Malaisie, du Nigéria et des Philippines (Lire, par exemple, « Water Privatization Conflicts »).

    Quelle meilleure garantie de prospérité qu’une ruée de multinationales décidées à générer des revenus à partir de quelque chose qu’elles sont seules capables de gérer ? Ainsi, cet été, alors que les champs de maïs d’Ukraine et du Kansas flétrissaient, alors que la pénurie de bacon faisait les gros titres des journaux et à l’heure où les producteurs de lait nourrissaient leurs vaches avec des confiseries, un nouveau message pointait : la prochaine grande matière première dans le monde ne sera ni l’or, ni le blé, ni le pétrole.

    Ce sera l’eau. L’eau exploitable et utilisable. Bien qu’amasser les actions et les intérêts dans les entreprises cotées soit une bonne chose, l’eau générera à coup sûr de juteux profits. Mais ne serait-il pas plus efficace de traduire l’eau en espèces sonnantes et trébuchantes ? Peut-être, complotent les arbitragistes et les spéculateurs, un marché de l’eau — comparable à celui de l’or ou des céréales —, un marché à terme qui assurerait la livraison ou la réception de volumes d’eau pour une date prochaine déterminée pourrait être envisagé. On y négocierait l’eau à terme comme du cash.

    Sous certains aspects, l’eau est un candidat possible pour des contrats à terme sur le marché des matières premières. En premier lieu, elle satisfait aux conditions de fongibilité — l’eau pompée d’un lac, d’un cours d’eau ou d’un torrent est pratiquement la même que celle provenant d’un iceberg, d’un aquifère ou celle recueillie dans un baril d’eau de pluie.

    Bientôt, elle satisfera aussi à la deuxième condition de marchandisation : elle devient de plus en plus… liquide, convertible en cash. Bien évidemment, l’eau est globale. La gestion des bassins versants est un sujet brûlant, tant pour la Volta que pour le fleuve Sénégal [4]. D’un point de vue monétaire, que le fleuve soit le Guadalquivir espagnol, le Rhône français, le Niger ou le Sacramento californien ne fait aucune différence.

    Les prévisionnistes financiers réalisent que, à l’instar des matières premières traditionnellement négociées tels les métaux précieux, l’eau exploitable du futur sera si rare qu’il faudra l’extraire comme un minerai, la traiter, la conditionner, l’embouteiller et, plus important encore, la déplacer et la transporter à travers le monde. Ils savent pertinemment que la demande ne tarira point. L’idée maîtresse d’un marché à terme global de l’eau réside derrière ce concept .

    Jouer grosRetour à la table des matières

    Dans l’histoire de l’eau et de la monnaie, le Rubicon a été franchi en l’an de grâce 1996. L’irrigation par l’eau des Westlands, en Californie, sert à produire un milliard de dollars d’aliments par an. Avec ses deux mille mètres carré, il s’agit du plus grand district d’agriculture irriguée des Etats-Unis. En 1996, le district a créé une messagerie électronique qui permet aux fermiers de vendre ou d’acheter leurs droits sur cette eau à partir de leurs ordinateurs.

    Négocier des droits sur l’eau à partir de son portable est ainsi une réalité. A l’instar des matières premières qui pouvaient être, par le passé, vendues ou achetées à la Bourse de Chicago ou de Kansas City et qui sont, à l’heure actuelle, couramment manipulées par des docteurs en mathématiques pour des fonds d’investissement au Connecticut.

    Si l’eau devenait un produit boursier, elle rejoindrait le brut Brent, le carburant d’aviation et l’huile de soja et pourrait être négociée n’importe où, n’importe quand et par n’importe qui.

    Se faire de l’argent à partir du robinet signifie que l’eau douce peut se voir attribuer un prix, peu importe l’endroit où elle est négociée — un prix global qui peut faire l’objet d’arbitrages à travers les continents. Ceux qui vivent à Mumbaï ou dans le centre-ville de Manhattan et qui constatent une hausse de la valeur de l’eau dans l’économie mondiale spéculeront sur cet « actif » sous-évalué. Leurs investissements orienteront alors partout à la hausse le prix [5].

    Une calamité affectant l’eau en Chine ou en Inde — l’inflation des prix de produits alimentaires, l’instabilité politique et la crise humanitaire qui en résulteront à coup sûr — se répercutera par une hausse des prix de Londres à Sydney. C’est ainsi que les banquiers engrangent des profits.

    Les économistes ont déjà commencé à concevoir des marchés à terme globaux de l’eau munis de tous les attributs : stock-options, trocs, échanges… Les compagnies d’assurance contre les inondations achèteront certainement des actions afin d’atténuer le risque financier.

    Chaque société commerciale qui travaille en zone inondable participera probablement à ce marché. De même, les agriculteurs désireux de se prémunir contre les dégâts causés par la sécheresse ou d’éventuelles inondations ne manqueront pas d’y prendre également part. Tout comme les pêcheurs et les exploitants de gaz de schiste. Quant aux spéculateurs, nous savons qui ils seront.

    Actuellement, personne ne s’adonne à une quelconque activité sur le marché à terme de l’eau, mais ce dernier ne mettra pas longtemps pour affirmer son existence. Lorsque l’Etat du Texas a enregistré 10 milliards de dollars de pertes économiques du fait de la récente sécheresse, des universitaires se sont mis à échafauder des théories pour indexer l’eau du Rio Grande dans un marché à terme [6]. Après les inondations qui ont affecté la Thaïlande l’an dernier et qui se sont soldées par des pertes économiques s’élevant à 46 milliards de dollars, la Bourse thaïe (Thailand’s Securities and Exchange Commission) a étudié la possibilité de développer des dérivés financiers indexés sur les précipitations et les barrages [7]. Le fabricant de semi-conducteurs Intel pourrait être intéressé : la boue et les saletés auraient arrêté sa production de puces électroniques en Thaïlande, occasionnant des pertes économiques de l’ordre d’un milliard de dollars.

    Un véritable commerce global dans le cadre d’un marché à terme de l’eau devra néanmoins attendre que les financiers s’accordent sur l’adoption universelle d’une mesure du stress hydrique. D’ici là, les marchés à terme de l’eau se manifesteront comme des phénomènes sporadiques traduisant des inquiétudes locales. Ainsi, par exemple, dans une Australie affectée par la sécheresse, sur le marché à terme de Sydney (Sydney Futures Exchange), tout est prêt pour accueillir des transactions sur l’eau. Il en va de même dans les districts de Medinipur et de Tumkur des Etats du Bengale-Occidental et du Karnataka en Inde. La mousson est en effet de plus en plus imprévisible : une bourse sud-asiatique d’un marché à terme de l’eau a été conçue pour être commercialisée à la Bourse de Delhi (Delhi Stock Exchange) [8].

    Les transactions à terme engloberont aussi bien les cours d’eau les plus purs que les effluves à peine légaux des usines produisant des déchets solides. Les théoriciens suisses des matières premières ont commencé à mettre sur pied des marchés où se traiteront des transactions à terme de la ressource provenant des eaux usées. Pour ses auteurs, ce concept est un marché à terme éthique de l’eau (voir le site de Prana sustainable water).

    A mon avis, il s’agit davantage d’une plateforme financière pour vendre de l’eau traitée au plus offrant. Dans tous les cas, les contrats à terme apparaîtront suite à l’estimation de la pénurie relative d’eau ou de son abondance. Cette estimation se fera sur la base d’un index des niveaux de l’eau derrière les barrages, les précipitations moyennes ou d’autres indicateurs et indices. Finalement, l’instrument financier aura la même structure de base que les index de fonds qui ont amené des niveaux de spéculation sans précédent sur le marché mondial des céréales et augmenté la volatilité, celle-là même que les transactions à terme devaient à l’origine museler.

    Après tout, si l’industrie du gaz naturel peut payer plus pour l’eau que les producteurs de soja, alors elle pourra se l’accaparer. Les répercussions d’un marché à terme global de l’eau peuvent à peine être imaginées. Parier sur l’eau se fera clairement aux dépens des récoltes et augmentera les prix alimentaires mondiaux au-delà des pics enregistrés au cours des cinq dernières années.

    La bonne nouvelle est que, contrairement aux tentatives avortées de réglementation des marchés dérivés des produits alimentaires, il est encore temps de faire quelque chose dans le cas de l’eau.

    De nombreux exemples d’estimation de la valeur de l’eau en dehors du champ de la marchandisation pure existent. Un cas d’école en la matière : la gestion du bassin de la Ruhr en Allemagne. La ressource fluviale est gérée non par la main invisible des marchés, mais par un organisme politique appelé Association de la Ruhr. Des villes, des départements, des industries et des entreprises de la région sont représentés par des délégués et des associés. Un total de cinq cent quarante-trois parties prenantes négocient les droits pour les prises d’eau (extraction) et les charges imposées à la pollution. Cette politique peut paraître biscornue, mais elle fonctionne. Malheureusement, il en est ainsi en démocratie.

    Nulle panacée à l’horizon pour satisfaire les besoins mondiaux en eau. Surtout pas les dérivés financiers globaux, qui ont prouvé qu’on ne peut leur faire confiance, comme on l’a vu avec ces titres garantis par les hypothèques [9].

    On leur fera d’autant moins confiance qu’il s’agit de notre ressource la plus précieuse. Lancer un marché à terme de l’eau créerait seulement encore plus de folie financière, folie qui semble résister à toute tentative de réglementation. Pour le moment, tuons dans l’œuf ce business avant qu’il n’éclose.

    Voir aussi :Retour à la table des matières

    - L’émission de la télévision publique allemande « Monitor » a diffusé un excellent reportage sur les menaces de privatisation de l’eau de l’eau en Europe. (sous-titres en anglais pour l’instant). 
    - Un article de Ricardo Petrella publié dans la Libre Belgique, critiquant le projet de nouveau programme d’action élaboré par les services de la Commission européenne, « The Blue Print ».

    - Le groupe de travail de l’European Water Movement sur la politique de l’eau de l’UE va également bientôt publier une analyse critique du « Blueprint ».

    Ce texte de Frederick Kaufman a été traduit de l’américain par Larbi Bouguerra. L’article d’origine, en anglais, a été publié dans Nature, la première revue scientifique mondiale, vol. 490, 25 octobre 2012, p. 469-471.

    Notes

    [1] Lagi, M., Bar-Yam, Y.,Bertrand, K.Z. & Bar-Yam, Y. Preprint, « The Food Crises : A quantitative model of food prices including speculators and ethanol conversion », 2011.

    [2] NdT : Le périphérique de la capitale fédérale

    [3] Lire Moya, E., « Water funds tempt investors with booming growth », The Guardian, 8 août 2010.

    [4] Lire « A handbook for integrated water resources management in Basins » (PDF).

    [5] Lire Keim, B., « Speculation Blamed for Global Food Price Weirdness », Wired Science, 6 mars 2012.

    [6] Brookshire, D.S., Gupta, H.V. & Matthews, O.P. (eds) Politique de l’eau dans l’Etat du Nouveau Mexique (RFF Press Water Policy Series, 2011).

    [7] Lire « Worst Floods in 70 Years May Prompt Thai Water Futures Trade », Anuchit Nguyen, Bloomberg, 14 décembre 2011.

    [8] Ghosh, N. Commodity Vision 4, 8-18 (2010).

    [9] NdT : Il semblerait que l’auteur vise les fameux « subprimes » qui ont jeté hors de leur maison des millions d’Américains.

  • Stéphane Hessel, François Hollande et la Palestine

    Stéphane Hessel, François Hollande et la Palestine



    vendredi 8 mars 2013, par Alain Gresh

    Au cours des obsèques de Stéphane Hessel organisées le 7 mars, le président de la République François Hollande a rendu hommage à l’homme. Il s’est pourtant permis, fait à ma connaissance sans précédent dans de telles circonstances, de prendre ses distances à l’égard de Hessel. Sur quel thème ? Les sans-papiers ? Les inégalités sociales ? L’injustice de l’ordre international ? Non, sur aucun de ces thèmes sur lesquels, pourtant, la politique actuelle du gouvernement est bien différente de celle préconisée par Hessel. Un seul sujet a suscité ses réserves, celui de la Palestine :

    « Il pouvait aussi, porté par une cause légitime comme celle du peuple palestinien, susciter, par ses propos, l’incompréhension de ses propres amis. J’en fus. La sincérité n’est pas toujours la vérité. Il le savait. Mais nul ne pouvait lui disputer le courage. »

    Une nouvelle fois, le président a cédé aux nombreuses pressions : il ne faut rien faire qui puisse susciter l’ire du gouvernement israélien. On savait déjà que la personne qui écrit les discours du président était un dirigeant du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Une confusion des genres qui ne peut qu’alimenter les discours antisémites rampants : les juifs sont partout, ce sont eux qui dictent la politique de la France. On savait aussi que Richard Prasquier, président du CRIF, dans un éditorialdaté du 27 février, avait fortement critiqué Hessel, l’accusant d’être « avant tout un maître à ne pas penser ».

    Mais, au-delà de ces pressions, il y a le refus persistant de tous ceux, au gouvernement comme dans l’opposition, de prendre en compte une réalité simple : c’est le gouvernement israélien qui refuse toute négociation de paix sérieuse et qui poursuit une politique de colonisation et de répression contre les Palestiniens — une réalité que Stéphane Hessel avait plusieurs fois soulignée, notamment lors de son voyage à Gaza. A la fin de son mandat, le président Sarkozy avait fini par reconnaître que M. Benjamin Nétanyahou était un « menteur ». Le président Hollande se comporte encore comme si on pouvait « convaincre » ce premier ministre d’aller vers une paix véritable. Mais qui peut sincèrement croire un seul instant que le gouvernement israélien acceptera de se retirer de l’ensemble des territoires occupés en 1967, y compris Jérusalem ?

    Par ailleurs, le gouvernement français ferme les yeux sur le fait que le parti même de M. Nétanyahou est composé d’hommes et de femmes que, dans tout autre pays, on qualifierait de « fascistes ». Comme il ignorera demain que le parti Maison juive, qui s’apprête à entrer dans la coalition gouvernementale en Israël, est un parti fasciste et raciste. Paris, qui n’a pas de mots assez durs pour critiquer le Hamas, cautionne ainsi les partis politiques israéliens d’extrême droite.

    Quant à la politique de colonisation persistante du gouvernement israélien, Paris se borne à des condamnations purement verbales, sans jamais prendre aucune mesure de sanction. Au contraire, la coopération bilatérale (et européenne) avec Israël dans tous les domaines — économique, politique, militaire et même policier — nous ramène à l’année 1956, quand le gouvernement socialiste de Guy Mollet s’alliait à Israël contre l’Egypte de Gamal Abdel Nasser, « un Hitler au petit pied ».

    Partout dans le monde, le gouvernement n’a qu’un mot à la bouche, celui des droits humains et de leur défense, partout sauf en Palestine. Il est ainsi resté bien silencieux sur le dernier rapport de l’Unicef consacré au traitement des enfants palestiniens. Voici comment Libération présentait ce rapport :

    « Les “mauvais traitements” des mineurs palestiniens dans le système de détention militaire israélien sont “répandus, systématiques et institutionnalisés”, affirme dans un rapport rendu public mercredi le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef).

    “Dans aucun autre pays les enfants ne sont systématiquement jugés par des tribunaux militaires pour mineurs qui, par définition, ne fournissent pas les garanties nécessaires au respect de leurs droits”, souligne le rapport.

    L’Unicef évalue à “environ 700 chaque année le nombre d’enfants palestiniens de 12 à 17 ans, en grande majorité des garçons, arrêtés, interrogés et détenus par l’armée, la police et les agents de sécurité israéliens”.

    “Ces mauvais traitements comprennent l’arrestation d’enfants chez eux entre minuit et cinq heures par des soldat lourdement armés, le fait de bander les yeux des enfants et de leur lier les mains par des attaches en plastique”, selon le rapport, qui cite également “les aveux forcés, l’absence d’accès à un avocat ou à des membres de la famille pendant l’interrogatoire”. »

    Comment expliquer ce silence ? Les enfants palestiniens ne seraient-ils pas des enfants comme les autres ? Stéphane Hessel avait simplement témoigné de ces mauvais traitements.

    Lors de l’inhumation de Stéphane Hessel, Michel Rocard affirmait : « Ceux qui l’ont critiqué feraient mieux de faire leur examen de conscience. » Serait-ce un appel à M. Hollande ?

  • Hugo Chavez n'est pas mort



    Hugo Chavez n'est pas mort, 
    il a semé l'espoir, 
    nous sommes tous Chavez !


    MICHEL COLLON

    De tous les dirigeants politiques que j'ai rencontrés, c'est Hugo Chavez qui m'a le plus marqué. 

    Bien sûr par sa vision très forte et son engagement pour son peuple et pour l'Amérique latine. Bien sûr par sa solidarité exemplaire avec tous les peuples en lutte (notamment les Palestiniens), par sa volonté de construire un front international pour que l'humanité échappe enfin à la pauvreté.

    Mais aussi par ses qualités humaines. Quand on lui parlait, il écoutait avec une attention très forte, le temps qu'il fallait, sans interrompre, sans chercher à abréger malgré son emploi du temps hyper-chargé. Aucune prétention, mais au contraire une grande humilité, la volonté très forte d'apprendre de chacun, quel que soit son éducation et son rang, et la volonté de faire participer, de donner un rôle important à tous. C'est grâce à cela qu'il a réussi à mobiliser tout un peuple et à mettre l'Empire en échec.

    Chavez n'est pas mort, il a semé l'espoir, il a rendu l'espoir à toute l'Amérique latine, et son oeuvre est inspirante aussi pour l'Afrique, le monde arabe et l'Europe.

    Ce dossier Chavez, je l'avais préparé avec Meriem Laribi et Vincent Lapierre. Il vous permettra de comprendre pourquoi ce dirigeant est un des plus importants du siècle, pourquoi les médias le diabolisent, pourquoi les Etats-Unis vont essayer de renverser la révolution, mais aussi la force de celle-ci.

    Chavez est un pilier de l'identité vénézuélienne contemporaine - Meriem Laribi
    Interview de Romain Migus, sociologue français vivant à Caracas.

    « ?L'amour est le combustible de la révolution? » - Meriem Laribi
    Violence, dictature, populisme ? Entretien avec Vincent, le sous-titreur des vidéos de Chavez.

    Chavez et la bataille planétaire - Charles Giuseppi
    Pourquoi l'Amérique latine s'est embrasée.

    Les athées prient pour Chavez - John Brown
    Ni un professionnel de la politique, ni un expert, un homme du peuple.

    « Tous sont Chavez même sans Chavez » - Fernando Morais
    Pourquoi la révolution lui survivra.

    La révolution, les femmes et la santé - Jean Araud
    A présent, tous les Vénézuéliens ont droit à des soins de qualité et gratuits.

    De la pauvreté extrême à la richesse humaine : les femmes au Venezuela - Jean Araud
    Récit d'une rencontre de Michel Collon avec des Vénézuéliennes.

    « A ceux qui me souhaitent la mort, je leur souhaite une très longue vie pour qu'ils continuent à voir la Révolution Bolivarienne avancer de bataille en bataille, de victoire en victoire.» - Hugo Rafael Chavez Frias (1954-2013)

  • Ainsi parlait Hugo Chavez

     
     

    7 mars 2013

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    Reniflant « une odeur de soufre » à la tribune de l'ONU, poussant la chansonnette pour Hillary Clinton en conférence de presse, délivrant ses messages de paix et d'amour à la jeunesse du monde ou éveillant la fibre patriotique des Vénézuéliens « jusque dans les c... et les ovaires », Chavez ne laissait personne indifférent à travers ses interventions. Elles étaient toutefois passées sous silence dans les grands médias, quand elles n'étaient pas grossièrement manipulées. C'est donc sur Internet, grâce au précieux travail de Vincent Lapierre, qu'on a pu découvrir la verve du révolutionnaire, son humour et surtout sa profonde humanité. Extraits...

     

     

    "Ainsi parlait Hugo Chavez" par librepenseur007 

     


    Chavez : "C'est le FMI qui dirige l'Europe, pas... par librepenseur007 

     


    Chavez : "Maudit sois-tu, Etat d'Israël !" par librepenseur007

     

     


    Chavez met au pas les banques ! par librepenseur007 

     

    L'AFP en flagrant délit de manipulation sur... par Btoux_1979 

     



    Chavez censure-t-il les médias ? Sous-titré fr par librepenseur007 Chavez annonce une grave rechute de son cancer... par librepenseur007

     

     

     
  • La Libye s’enlise

    TRIBUNE17/02/2013 à 11h48

    La Libye s’enlise dans la violence des milices

    Hélène Bravin | “Kadhafi, vie et mort d’un dictateur” (Ed. Bourin)

    TRIBUNE

    La Libye s’enlise. Deux ans après la révolution, le pays est aujourd’hui coupé en cinq zones (Misrata, Barqa, Djebel Nefusa et Zouwara, Zentan, la Zone du Sud avec les Toubous).

    Les milices constituées par des éléments tribaux disposent chacune de leur propre armée dans les quatre premières zones. A cela il faut ajouter de nombreux conflits tribaux. Ainsi que des populations en déshérence.

    Que veulent ces milices ? Si dès la fin de la révolte, les « Thowars » ont revendiqué la paternité de la révolution, aujourd’hui, elles entendent assurer leur mainmise sur les villes, les quartiers et les édifices publics conquis par la force des armes.

    Les milices entre police et politique

    Cette mainmise, notamment sur les bâtiments ministériels ou lieux stratégiques (les aéroports, les bases militaires, les casernes militaires ou les commissariats de polices…) a amené ces milices à avoir une emprise directe sur les politiques libyens.

    En outre, certaines milices ont tenté l’aventure politique. C’est le cas des milices de Abdulhakim Bel Haj qui a constitué son propre parti, « El Watan », lors des élections de juillet 2012. Il n’a obtenu aucun siège.

    Via les purges orchestrées notamment par la Haute commission pour l’intégrité et le patriotisme (HCIP) – bientôt remplacée par un comité d’« isolation » –, principalement constituée d’islamistes, les milices, notamment islamistes, ont par ailleurs réussi à pénétrer les administrations et les entreprises nationales.

    Cette mainmise risque à long terme, si rien n’est fait pour freiner les velléités du Qatar et de l’Arabie Saoudite qui financent les mouvements islamistes, d’entraîner une forme d’exclusion nouvelle en Libye : l’attribution des postes sur une base tribalo-religieuse.

    Imposer la charia, diriger les trafics

    Ces milices veulent aussi rendre justice. Lourdement armées, elles ont crié vengeance pour les exactions commises durant la révolte, faisant ainsi fuir entre 1 à 1,5 million de pro-Kadhafistes et leurs familles en dehors des frontières du pays.

    Des vengeances aveugles ont entraîné des milliers d’arrestations de personnes soupçonnées d’avoir appartenu à l’ancien régime. Ou tout simplement parce qu’elles possèdent quelque richesse. Il ne faut pas se faire d’illusion, ces milices ou gangs sont avides d’argent et de 4x4.

    Leur intégration dans l’armée régulière fait d’ailleurs l’objet d’incessants chantages. Elles veulent avant tout percevoir leur solde tout en gardant leur structure hiérarchique.

    Certaines milices d’obédience salafiste veulent instaurer exclusivement la charia et n’hésitent pas à s’en prendre aux tombes des marabouts ou à la communauté chrétienne, du jamais vu en Libye !

    Enfin, ces milices veulent diriger les trafics. En cela, il est à prévoir qu’elles entreront directement en conflit avec les cellules des salafistes djihadistes. Avant l’intervention française au Mali, des instructeurs sont venus de ce pays frontalier pour former ces cellules aux techniques de kidnapping, de camouflage des armes… Depuis l’intervention française, certains djihadistes sont passés en Libye.

    Des gangs nés avant la révolution

    Ces éléments de la nouvelle Libye tirent leur origine de bien avant la révolte. Ce qui explique la grande difficulté à les déraciner. Ils ne sont en aucune façon des éléments post-« révolutionnaires », nés spontanément lors de la révolte.

    Les gangs sont ainsi apparus au début des années 90 – période de l’embargo – au cours de laquelle la Libye est en pleine déliquescence et où Kadhafi décide de la quasi-disparition des comités révolutionnaires (1995), sortes de milices de l’ordre et gardiennes de l’idéologie kadhafienne. Ces gangs se sont engouffrés dans ce vide. Kadhafi réussira à les atomiser sans les faire pour autant disparaître.

    Même chose pour les islamistes. Au début des années 90, les mouvements islamistes explosent, prenant ainsi le relais des comités révolutionnaires en désuétude.

    Malgré la répression menée par Kadhafi et qui à cette époque – faut-il le rappeler – touche essentiellement les islamistes, ils prennent pied. De nombreuses cellules se forment notamment sous l’égide de Mohamed Hamed Abou e-Nasser, le « guide » des Frères musulmans en Libye.

    Des mouvements islamistes armés ont également surgi dans la société de Kadhafi. Issus de la guerre en Afghanistan –1979, début des années 80 –, ces vétérans soudainement sans mission sont revenus en Libye pour former des groupuscules.

    Tout comme les Frères musulmans, leur nombre explose aussi durant les années 90 au cours desquelles ils mènent une guerre de maquis contre Kadhafi. Celui-ci est alors le premier à lancer en 1995 un mandat d’arrêt international contre Ben Laden !

    En 2003, une réconciliation

    Le combat de ces islamistes va se prolonger jusqu’au milieu des années 2000. Dans ce combat, les Frères musulmans leur prêtent main forte.

    En 2003, Seif El Islam, le deuxième fils de Kadhafi, actuellement aux mains de la milice de Zentan, au nom d’une réconciliation – pratiquée par d’autres pays –, fait libérer des islamistes. Il souhaitait en faire des alliés.

    De son côté, son père Kadhafi, d’accord sur leur libération, le fera pour d’autres raisons. Entre autre, afin de les utiliser contre les occidentaux, lesquels, à son sens, traînaient les pieds pour assurer une véritable intégration de la Libye sur la scène internationale.

    Tout en les surveillant de près et en menaçant de les réprimer au moindre faux pas, son chantage était de signifier : soit c’est mon régime, soit c’est eux.

    En dépit de cette réconciliation, certains d’entre eux portent allégeance en 2006 à Al Qaeda. C’est le cas de certains chefs, tels que :

    • Abdulhakim Belhaj ;
    • Abou Yahya el-Libie (numéro deux d’Al Qaeda, de son vrai nom, Mohamed Hassan Qaïd, tué au Pakistan par un drone américain en juin 2011) ;
    • Sufian al-Quma, le chauffeur personnel d’Oussama Ben Laden ;
    • et Abdul Hakim el-Hasadi qui a combattu en Afghanistan avant de rejoindre l’insurrection libyenne.

    Durant la révolte de février 2011, les islamistes djihadistes étrangers ont indéniablement encadré les manifestants. Des éléments d’Al Qaeda et particulièrement d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) sont venus prêter main forte à leurs frères libyens.

    L’intégration des milices dans l’armée

    Pour contrer les milices, le gouvernement utilise apparemment plusieurs stratégies. La première est l’intégration des milices dans l’armée nationale. Pour l’instant, celle-ci a eu un impact très limité. Une seule milice a intégré l’armée et encore en gardant ses propres structures, autrement dit son chef !

    Le gouvernement a employé une autre stratégie, plus dangereuse. A la fin de la révolte, il n’a cessé de « déléguer » aux milices le règlement de conflits tribaux. L’exemple type étant celui de Sabha (Sud), l’ancien fief des Maghraha, la tribu de Abdesselam Jalloud, l’ex-numéro deux du régime.

    Les Toubous se sont battus contre la puissante tribu des Oulad Slimane. Enfin, au mois de novembre dernier, le gouvernement s’est allié aux milices de Misrata contre Beni Walid, considéré comme un fief de la résistance kadhafiste !

    En cela, le gouvernement n’a pas joué son rôle pacificateur – le problème principal entre Misrata et Beni Walid étant celui des prisonniers détenus de part et d’autre. L’opération a certes été dévastatrice mais, du coup, l’« unité » de Misrata en est ressortie renforcée.

    S’il se réglait par la victoire d’une milice sur l’autre, le pouvoir central sera alors confronté au bon vouloir du vainqueur. Et il sera fragilisé.

    Plus le temps passe et plus il sera difficile de désarmer les milices. Le chômage existait sous Kadhafi et il existe encore. Dès lors, comment convaincre un jeune sans diplôme de rejoindre une administration, une usine ou de monter sa propre entreprise alors qu’il peut vivre des trafics d’armes ou autres ?

    MERCI RIVERAINS