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Gouvernement français:décryptage - Page 18

  • L’imposture Bernard-Henri Lévy



    Bernard-Henri Lévy, qui aime beaucoup l’Amérique, connaît sans doute l’expression « work in progress ». Elle signifie, grosso modo, chantier en construction. On sait que chacun des ouvrages de cet auteur suscite un déluge d’articles louangeurs présentant ses propos ou analyses comme autant de fulgurantes transgressions de l’idéologie dominante. Par conséquent, plutôt que de s’obliger à commenter chaque année cet invraisemblable tintamarre qui a pour mérite involontaire de rappeler à intervalle régulier le caractère mafieux de la critique « littéraire » en France, Le Monde diplomatique a préparé un dossier… en construction. Davantage que sur un personnage relativement accessoire, il espère informer ainsi sur un épiphénomène significatif de la vie intellectuelle. Son acteur principal et ses très nombreux complices.

    vendredi 10 octobre 2008

    Les voyages de « BHL »

    • « L’homme qui ne s’est jamais trompé », par Pierre Rimbert, janvier 2010.
      Contre les incorrigibles pessimistes d’alors, Bernard-Henry Levy célébrait fin 2001 la victoire éclair de l’armée américaine en Afghanistan. Huit ans après ce verdict sans appel, les Etats-Unis s’enferrent dans le deuxième plus long conflit armé de leur histoire, et M. Barack Obama annonce le déploiement de trente mille soldats supplémentaires.
    • « Bernard-Henri Lévy en Amérique », par Glyn Morgan, et « Enfin la brigade d’acclamation se lasse... », par Serge Halimi, mars 2006.
      Après s’être attaqué au communisme, au monothéisme, à l’existentialisme, à l’islamisme, Bernard-Henri Lévy s’intéresse aux Etats-Unis. Comme Tocqueville avant lui ? A en juger par la réaction des Américains, le livre les a plus divertis qu’il ne les a instruits.
    • « Le douteux bricolage de Bernard-Henri Lévy », par William Dalrymple, et « BHL : “Romanquête” ou mauvaise enquête ? » (S. H.), décembre 2003.
      L’atroce assassinat de Daniel Pearl méritait qu’on relate le courage et le professionnalisme de cet enquêteur du Wall Street Journal. Pourtant, quand Bernard-Henri Lévy a publié son ouvrage, les raisons d’être inquiet ne manquaient pas. Le principal problème que pose Qui a tué Daniel Pearl ? est l’amateurisme du travail de recherche effectué par son auteur.
    • « BHL en Afghanistan ou Tintin au Congo ? » (initialement publié dans Le Monde), par Gilles Dorronsoro, décembre 2003. 
      Le reportage de Bernard-Henri Lévy chez Massoud (Le Monde du 13 octobre) laisse un goût amer à ceux, nombreux en France, qui portent un intérêt à l’Afghanistan. Dans l’un des plus longs articles publiés par Le Monde en vingt ans de guerre afghane, Bernard-Henri Lévy accumule les erreurs et, surtout, les complaisances.
    • « Les généraux d’Alger préfèrent un reportage de BHL à une enquête internationale » (initialement publié dans Le Canard Enchaîné), par Nicolas Beau, décembre 2003.
      En Algérie, Bernard-Henry Lévy a reçu le meilleur des accueils de la part des plus hautes autorités de l’Etat. Malgré les critiques justifiées qu’il formule contre l’armée, ses impressions de voyage ont été fort appréciées par la presse officielle algérienne. Et pour cause, il ne dit rien sur l’autre aspect de la violence dans ce malheureux pays, celle qu’exerce l’Etat.
    • « La Colombie selon Bernard-Henri Lévy », par Maurice Lemoine, Cahier Amérique latine, juin 2001.
      Après avoir sévi en Algérie, avec la pertinence que l’on sait, puis en Angola, au Burundi, au Soudan et au Sri Lanka, « Tintin »-Henri Lévy (THL) a atterri en Colombie. Recensement de quelques approximations et sérieuses inexactitudes.

    Dans les salons parisiens

    « Parade de l’oligarchie à Saint-Germain-des-Prés », Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, février 2011
    La revue fondée par Bernard-Henri Lévy, La Règle du Jeu, a fêté en 2010 ses vingt ans au Flore. Cet anniversaire met en évidence un capital culturel de grande ampleur par la présence d’une « intelligentsia » dont les qualités peuvent être éventuellement discutées, mais qui représente un pouvoir considérable dans les structures de production des biens culturels.
    • « L’oligarchie, le Parti socialiste et Bernard-Henri Lévy » (S. H., novembre 2007.
      La stratégie d’alliance au centre du Parti socialiste, et son soutien solennel au marché, ont replacé au centre du débat idéologique français un intellectuel au crédit entamé mais à la présence médiatique envahissante : Bernard-Henri Lévy.
    • « Tous nazis ! » et « Deux précédents » (S. H.), novembre 2007. 
      Dans son dernier livre, Ce grand cadavre à la renverse (Grasset, Paris, 2007), Bernard-Henri Lévy entend dresser un « relevé des laboratoires où fermente le pire »Le Monde diplomatique y figure ; plutôt en bonne compagnie.
    • « Les intellectuels éternels » (S. H.), La valise diplomatique, 21 février 2007.
      Combien d’intellectuels la France compte-t-elle ? Une dizaine, guère plus. Qui sont-ils ? A peu près les mêmes qu’il y a dix ans, c’est-à-dire presque ceux d’il y a un quart de siècle. Que font-ils ? De la télévision. Quoi d’autre ? Ils virent à droite.
    • « On en est là... », par Jacques Bouveresse, et « Le règne des livres sans qualités » par Antoine Schwartz, mai 2006.
      L’universitaire britannique Perry Anderson, après avoir constaté que la mort a rattrapé à peu près tous les grands noms de la pensée française, observe qu’aucun intellectuel français ne s’est acquis une réputation internationale comparable à la leur, et que ce qui donne l’idée la plus exacte du niveau auquel nous sommes descendus est probablement l’importance démesurée accordée à un intellectuel comme Bernard-Henri Lévy.
    • « Cela dure depuis vingt-cinq ans » (S. H.), et « Dans les cuisines du Bernard-Henri Lévisme » (initialement publié dans le Nouvel Economiste), par Nicolas Beau, décembre 2003.
      Le « système BHL » a été disséqué cent fois. Au point que les critiques se voient désormais opposer que « tout ça on le sait déjà », en particulier par ceux qui s’emploient à ce que « tout ça » se perpétue quelques années de plus. Comme avant, voire un peu plus fort : le rendement de chaque surface de vente médiatique ayant un peu décliné, le système BHL a multiplié le nombre de ses comptoirs de promotion.
    • « Loyaux services » (S. H.), janvier 2003.
      En 2001, M. Bernard-Henri Lévy avait salué en M. Jean-Marie Messier l’homme qui, face à la « pusillanimité franchouillarde (...), s’ouvre au vent du large, force le destin, inverse l’ordre prescrit des choses ». Désormais, pour défendre un « grand groupe français » des appétits des « fonds financiers anglo-saxons » désireux de faire « main basse sur des pans entiers de notre patrimoine culturel », « BHL », responsable éditorial chez Grasset (Hachette), fustige avec des accents (presque) populistes des « capital-risqueurs, animés par la logique de plus-value financière à court terme qui a mené Messier au bord de la faillite ».
    • « Les nouveaux réactionnaires », par Maurice T. Maschino, octobre 2002.
      Naguère en première ligne pour défendre avec courage, contre les pouvoirs et l’opinion publique, des causes désespérées, beaucoup d’intellectuels français semblent désormais s’aligner sur les thèses dominantes les plus frileuses et les plus conservatrices.
    • « Quand les philosophes se font amuseurs », par Nicolas Truong, septembre 2001.
      Sale temps pour les philosophes ! De la vogue éthique et toc des années 1980 à la nouvelle vague des « piètres penseurs » de l’an 2000, jusqu’aux représentants de la vénérable confrérie s’affairant dans les coulisses du pouvoir, cela fait quelque temps que la discipline vacille. Analyse à travers le compte rendu de trois ouvrages.
    • « Les “philo-américains” saisis par la rage » (S. H.), mai 2000.
      Pour nombre d’essayistes et d’éditorialistes français, de Bernard-Henri Lévy à Jean-François Revel, la critique des Etats-Unis ne relève plus du débat politique. Il s’agit d’une déformation mentale.
    • « La nausée » (S. H.), février 2000.
      Jean-Paul Sartre, qui défendait des militants révolutionnaires pourchassés par la police, voulait servir « la cause du peuple » ; Bernard-Henri Lévy relate qu’il tutoie M. Nicolas Sarkozy et il s’affiche en compagnie des plus grands patrons (MM. Pinault et Lagardère). Jean-Paul Sartre fuyait les plateaux de télévision, Bernard-Henri Lévy les adore : « La loi sous le coup de laquelle nous tombons tous, c’est la loi du narcissisme. Médiaphobie ou pas, rapport difficile à son corps ou à son visage ou non, il y a là une espèce de came. »
    • « Des prophètes pour intellectuels », par Louis Pinto, septembre 1997.
      Au moment où d’autres groupes font l’objet d’études plus ou moins poussées et rigoureuses qui tendent à dévoiler les mécanismes de recrutement, les liens avec la politique, la finance, etc., la population des intellectuels dispose d’un monopole du discours sur elle-même, et c’est pourquoi une vision critique dans ce domaine a peu de chances de voir le jour.
  • Du colonialisme français à l’intervention française au Mali


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    6 mai 2013

    F :  

    « La guerre au Mali a pour but de se débarrasser des islamistes radicaux », nous dit-on. Pourtant, ces mêmes islamistes combattent dans « notre » camp en Libye et en Syrie. Et ils sont financés par « nos amis » : Arabie Saoudite et Qatar. Spécialiste de l'Afrique et auteur chez Investig'Action de « La stratégie du chaos », Mohamed Hassan éclaire les dessous d'une guerre beaucoup trop schématisée par les médias. Troisième et dernier volet de notre série « Causes et conséquences de la guerre au Mali » (IGA).

     

     
     

     

     

    Le conflit au Mali s’inscrit dans un large contexte et il a toute une histoire derrière lui. Il y a les djihadistes qui ont quitté la Libye pour le nord du Mali, armés par le Qatar et l’Arabie saoudite. Et il y a les militaires français, belges et autres, occidentaux et africains, qui sont intervenus au Mali. Pour situer correctement cette intervention française, nous devons faire un retour sur le colonialisme français au Mali.

     

    Quand les colonialistes français ont conquis le Mali, le territoire faisait partie d’une vaste zone économique s’étendant autour du Sahel. Les caravanes partaient d’une ville oasis vers une autre, tout droit à travers le désert. Dans cette économie originelle régnait une bonne intelligence entre les paysans et les nomades. Les paysans avaient besoin des nomades pour pouvoir acheter des marchandises venant d’autres régions et constituaient donc leur clientèle. Toute la population de cette région était musulmane.

     

    Cette zone économique était très prospère à l’époque. L’an dernier, le site Internet celebritynetworth.com a classé un Malien à la première place du classement des vingt-cinq individus les plus riches ayant jamais vécu. Le journal a converti les biens du roi Mansa Moussa Ier qui, de 1312 à 1337, a régné sur un royaume situé à l’intérieur du Mali actuel, en tenant compte de l’actuel prix de l’or et de l’inflation au fil des siècles. L’homme, aujourd’hui, pèserait quelque 400 milliards de dollars. Il y avait également une vie intellectuelle très riche : Tombouctou est connue comme l’un des premiers et principaux centres intellectuels du monde. À son apogée, le royaume malien s’étendait jusqu’à la côte du Sénégal. L’arabe y était la langue véhiculaire.

     

    Le colonialisme français a détruit tout ce système. Pour tuer toute capacité intellectuelle, des milliers de professeurs ont été assassinés. À l’instar de la quasi-totalité des pays africains, le Mali que nous connaissons aujourd’hui a des frontières artificielles. La région faisait partie de ce qu’on appelait le Soudan français. En 1960, elle devint indépendante, d’abord comme une fédération avec le Sénégal, mais, après deux mois à peine, le Sénégal se retira de cette fédération. Le Mali actuel est le quatrième pays d’Afrique par sa superficie. Après le coup d’État contre le premier président nationaliste du Mali, Modibo Keita (1960-1968), le pays est devenu un État néocolonial.

     

    Un tel État ne peut constituer une nation ni ne peut se développer de façon autonome. Le Nord, une région désertique, est abandonné à son sort et les habitants y sont discriminés. Il y a des tensions ethniques entre les Touaregs (nomades) et les autres groupes de population. Le commerce à grande échelle de jadis a complètement décliné. Que reste-t-il pour un grand nombre de nomades qui sillonnent la région avec leurs caravanes ? Contrebande, enlèvements moyennant rançon, trafic d’humains…

     

    Une partie importante de ces Touaregs sont devenus soldats en Libye, dans l’armée de Kadhafi. Après leur retour dans le nord du Mali, ils ont entamé une guerre au Nord-Mali pour l’indépendance de ce qu’ils appellent l’Azawad — une lutte qui, depuis quelques décennies, s’anime brusquement puis se calme à nouveau. Le 24 janvier 2012, ils se sont emparés de la ville d’Aguelhok et y ont tué une centaine de soldats de l’armée malienne. Au cours des mois suivants, ils se sont mis à attaquer d’autres villes dans le nord.

     

    Le massacre d’Aguelhok a suscité un énorme mécontentement dans l’armée et parmi les familles des soldats, car c’est très pauvrement armés qu’il leur a fallu combattre les insurgés bien équipés et entraînés. Le 22 mars, le président malien Amadou Toumani Touré (surnommé « ATT ») a été renversé par un coup d’État de militaires mécontents et d’officiers subalternes sous la direction d’Amadou Sanogo.

     

    Pour les pays voisins du Mali qui, après le renversement du président ivoirien Gbagbo, subissent fortement l’influence de la France, ce fut un prétexte pour annoncer un embargo sur les armes contre l’armée malienne qui, de la sorte, n’avait pas l’ombre d’une chance contre les insurgés accourant en masse. Les mois suivants, le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) s’empara de tout le nord du pays. Ensuite, le MNLA fut chassé à son tour par trois groupes djihadistes : Ansar Dine, Al Qaeda dans le Maghreb islamique (AQMI) et MUJAO — des groupes qui reçoivent des armes et de l’argent du Qatar et de l’Arabie saoudite — et ainsi la boucle fut bouclée.

     

    Quand il a semblé alors que ces djihadistes allaient se précipiter vers la capitale malienne Bamako, le président par intérim Dioncounda Traoré aurait demandé au président français François Hollande (PS) d’intervenir militairement. Ce qui rendait en fait impossible un plan soigneusement et difficilement élaboré des Nations unies et de l’Union africaine.

     

    Conclusion

     

    Comment la situation devrait-elle évoluer ? Toute solution au conflit du Mali est contrecarrée par trois problèmes importants.

     

    Primo : personne ne permet aux Maliens de résoudre eux-mêmes leurs différends et problèmes mutuels. L’ingérence étrangère rend la chose impossible. La guerre ne fera qu’exacerber les tensions mutuelles dans tout le pays. Si vous avez la peau plus claire et qu’on vous prend donc pour quelqu’un du nord, vous risquez aujourd’hui de ne plus pouvoir traverser à l’aise les rues de Bamako.

     

    Secundo : les États africains sont très faibles, quand on voit qu’un pays comme le Mali ne peut même pas venir à bout d’une rébellion bien organisée de quelque 500 djihadistes. L’Union africaine (UA) elle aussi est faible. Les pays de la SADC (Southern African Development Community) essaient bien de changer le cours des choses et étaient à l’avant-plan de l’opposition de l’UA à la guerre en Libye. Mais il y a encore bien trop de chefs d’État africains qui pensent davantage à leur propre intérêt et aux ordres qu’ils reçoivent de leurs maîtres en Europe et aux États-Unis qu’à l’unité africaine.

     

    Tertio : si, depuis que la crise du capitalisme mondial s’est aggravée en 2008, la France ne veut pas devenir une nouvelle Espagne, Italie ou Grèce, elle va devoir défendre son hégémonie en « Françafrique » et autour de la Méditerranée. Mais les choses ne s’annoncent pas très bien pour la France, car les contradictions avec les États-Unis en Afrique s’accroissent. En Côte d’Ivoire, l’armée française est intervenue pour installer Ouatarra au pouvoir ; or, en fait ce dernier est avant tout un pion des États-Unis. Et les États-Unis ont tiré parti de la guerre au Mali pour installer une base pour leurs drones dans le pays voisin, le Niger. En d’autres termes, nous pouvons nous préparer à une période durant laquelle le Mali et toute la région qui l’entoure vont se retrouver dans un conflit permanent, comme celui qu’a connu la Somalie au cours des années 90.


     

    Extrait de « Causes et conséquences de la guerre au Mali », article paru dans Études marxistes, n°101.

     

    Voir aussi « L'Occident à la conquête de l'Afrique » et « Ces islamistes que soutient l’Occident ».

     

    Mohamed Hassan est spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique. Il est l’auteur, avec David Pestieau, de L’Irak face à l’occupation (EPO, 2004) et, avec Grégoire Lalieu et Michel Collon, de La stratégie du chaos, Investig’Action/Couleur Livres, 2012.
     

     

     

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  • Guéant n'est pas en règle

    Guéant n'est pas en règle pour la vente de ses tableaux

    Lire aussi

    La vente des tableaux de Claude Guéant était illégale. Pour justifier le versement de 500 000 euros sur son compte en banque révélé mardi 30 avril par le Canard Enchaîné, l’ancien ministre de l’intérieur a affirmé que la somme provenait de la vente, en 2008, de deux tableaux hollandais à un « avocat malaisien ». Nous avions déjà pointé que la somme paraissait très élevée par rapport à la cote de l’auteur des tableaux, le peintre flamand du XVIIe siècle Andries van Eertvelt. Aujourd’hui, il est acquis que le ministre n’a pas demandé l’autorisation, pourtant obligatoire, du ministère de la culture pour effectuer cette vente hors du territoire national.

    Le ministère a affirmé à Mediapart ne pas avoir trouvé trace de la moindre demande d’exportation pour les deux tableaux de Van Eertvelt en 2008. Interrogé dans la foulée, Claude Guéant a déclaré : « J’ai dit tout ce que j’avais à dire sur ce sujet, et je réserve le reste au juge. » Pourtant, joint par téléphone une première fois plus tôt dans la journée, avant que le ministère ne donne sa réponse, il avait indiqué à Mediapart détenir « ce certificat », tout en refusant de donner des explications détaillées. Il est manifestement allé trop loin : lors du second appel, il nous a assuré ne jamais avoir confirmé ce point délicat.

    Le sujet est grave pour l’ancien homme de confiance de Nicolas Sarkozy. Comme l’a signalé le site La Tribune de l’art mercredi 1er mai, tout tableau sorti de France doit obtenir un certificat d’exportation, si sa valeur dépasse 150 000 euros. « L’absence d’une telle autorisation ne ferait pas que fragiliser son argumentation, signalait le site. De deux choses l’une : soit la vente de ces tableaux ne serait qu’une fiction, cachant une source de financement bien plus opaque, soit il se serait rendu coupable d’exportation illégale de trésors nationaux, un délit passif de deux années d’emprisonnement et d’une amende de 450 000 € (article L 114-1 du code du patrimoine). »

    En l’occurrence, il ne s’agit pas ici de « trésors nationaux », mais de bien culturels, tels que définis par le décret n°93-124 du 29 janvier 1993. Pour qu’un tableau entre dans cette catégorie, il doit valoir au moins 150 000 euros et être daté de plus de 50 ans. Son exportation est alors « subordonnée à la délivrance du certificat »que le ministère doit délivrer ou refuser dans les quatre mois suivant la demande du propriétaire de l’œuvre d’art. Mais la sanction maximale est bien de deux ans de prison et 450 000 euros d'amende.

    Pourtant, mardi, répondant à de nombreux journalistes, à la télévision ou à la radio, Guéant avait assuré être en règle, rappelant par exemple sur Canal+ que les oeuvres d'art étaient soumises à« un régime fiscal spécifique ».

     

     

    Il a répété à Mediapart détenir les pièces justificatives de la vente. Ce qui signifie qu’il est donc théoriquement en mesure de prouver qu’il a payé les taxes sur la plus-value réalisée lors de la vente : soit une taxe forfaitaire de 5 % du prix de vente, soit l’imposition au régime général des plus-values sur biens meubles.

  • Les très chers tableaux de Guéant

    Mediapart

     

    Deux tableaux d’un artiste flamand du XVIIe siècle valaient-ils 500 000 euros en 2008 ? C’est ce qu’affirme Claude Guéant pour répondre aux informations du Canard enchaîné de ce matin. L’hebdomadaire révèle qu’au terme des deux perquisitions qui ont visé son domicile, dans le cadre de l’affaire Tapie et du financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy par la Libye de Kadhafi, les enquêteurs ont trouvé la trace d’un versement de 500 000 euros, venant d'un compte à l'étranger, sur un des comptes de l’ex-ministre de l’intérieur.

    « Cet argent n'a strictement rien à voir avec un financement libyen, a déclaré Guéant sur RMC ce mardi. (…) Cet argent vient d'une transaction banale d'œuvre d'art. C'est juste le produit de cette vente. J'ai vendu ces tableaux à un avocat étranger. J'ai tous les justificatifs. Tout cela est une affaire privée et banale. »

    Cette vente, si elle a bien eu lieu, s’est faite à des tarifs étonnants, vu la cote de l’auteur de ces deux marines, Andries Van Eertvelt, dont le Louvre ne détient pas un seul tableau. Un lecteur de Mediapart, féru de peinture classique, nous a mis sur la piste d’un lot de tableaux du même peintre qui avait été mis à la vente en juillet 2008 chez Drouot. Proposée par l’étude Baron-Ribeyre associés, cette paire de tableaux, des batailles navales, était estimée entre 150 000 et 200 000 euros (pour le lot). Mais elle n’a pas trouvé preneur.

    Le catalogue de la vente est encore disponible sur le net, les tableaux sont présentés dans le lot n° 86. Les voici (cliquez sur l'image pour la voir en grand format) :

     

    © BaronRibeyre.com

     

    Il ne semble pas s'agir des tableaux détenus par Guéant. Bien que le peintre, le sujet et les dates concordent, l'ex-ministre a indiqué sur Canal+ que ces tableaux, désormais propriété d'un avocat« malaisien » étaient de petite dimension : « environ 30 cm sur 60, peintes sur bois. » Les tableaux repertoriés par Baron-Ribeyre sont plus grandes (109 x 159 cm).

    Le mystère persiste donc sur le prix de la transaction : les petits tableaux de Guéant se sont vendus plus de deux fois plus chers que l'estimation faite pour les grandes toiles. Et sans doute à une valeur bien plus élevée que la cote officielle de l’artiste. À la même période, une autre marine de Van Eertvelt s'est vendue à Munichpour 17 000 euros. Et chez Sotheby’s, son tableau le plus cher s’est vendu à 168 750 euros en mai 2010. Cela n'a pas empêché Claude Guéant d'indiquer mardi soir sur Europe 1 : « Vous pouvez regarder Internet, c'est à peu près ça. » Mais il était convenu plus tôt : « C'est vrai, j'ai fait une bonne affaire. »

    Des fonds spéciaux toujours distribués après l'interdiction de Jospin en 2001 ?

    Par ailleurs, Claude Guéant s’est livré à des déclarations étonnantes pour justifier des paiements en liquide qui intriguent aussi les enquêteurs. Il assure que l’argent venait des primes en liquide versées aux collaborateurs ministériels : « Les factures en liquide portent sur des montants modestes (20 000 euros). Cela vient de primes payées en liquide. Elles n'ont pas été déclarées car ce n'était pas l'usage. A posteriori, on se dit que c'était anormal. D'ailleurs, ça a été modifié », a-t-il déclaré. Problème, Lionel Jospin est censé avoir officiellement mis fin à cette distribution des« fonds spéciaux » en 2001.

    Or c’est en mai 2002 que Guéant est devenu directeur de cabinet du ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy. Mais il a expliqué auMonde qu’à son époque, le système perdurait : « Quand je suis arrivé au ministère de l'intérieur, il y avait plus de 400 personnes concernées par ces primes dont le régime fiscal n'était pas défini. J'ai d'ailleurs remis le système à plat pour mettre fin à ces pratiques en 2006. » Sur Europe 1, Guéant a ensuite parlé de« plusieurs milliers de personnes concernées ». Des explications qui ne convaincront sans doute pas Roselyne Bachelot, ministre de l’environnement en 2002. « Soit c'est un menteur, soit c'est un voleur », a-t-elle déclaré sur Direct8. Interrogé par Mediapart, un ministre du gouvernement, très au fait de ces questions, ne croyait pas non plus à ces justifications. À notre connaissance, ces primes en liquide, maintenues un moment, concernaient les agents des services secrets ou certains fonctionnaires réalisant des enquêtes. Mais sur France 2, Guéant a indiqué que les primes des membres du cabinet au ministère de l'Intérieur était « alignées ».

  • Même la justice française condamne BHL…

    vendredi 26 avril 2013

    Depuis quarante ans, les élucubrations de Bernard-Henri Lévy lui ont valu les réprimandes et les sarcasmes d’intellectuels aussi divers que Raymond Aron, Pierre Vidal-Naquet, Gilles Deleuze, Pierre Bourdieu... Cela n’a nullement empêché le philosophe préféré des médias d’empiler les signes de reconnaissance de la bonne société et de multiplier les propos diffamatoires. Avec un argumentaire plutôt subtil : tous ses ennemis politiques seraient assimilables à des nazis...

    La liste des bourdes et des calomnies de notre intellectuel de parodie est longue et ancienne. Il a pour distinction de s’être à peu près trompé sur tout. Soucieux d’accomplir un travail de mémoire sur les impostures intellectuelles de BHL, Le Monde diplomatique a, il y a quelques années, regroupé et classé toutes ses calembredaines dans un dossier très détaillé.

    Mais rien n’y faisait. Les présidents français passaient (François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande), et chacun recevait Bernard-Henri Lévy à l’Elysée, comme si une telle charge relevait de son office au même titre que la désignation du premier ministre et la possession des codes nucléaires. Parfois, des présidents lui confiaient même une mission officielle ou semi officielle (en Bosnie dans le cas de Mitterrand, en Afghanistan avec Chirac, en Libye avec Sarkozy). Au risque pour la France d’embarrasser ses diplomates et de devenir (un peu) la risée des chancelleries monde entier.

    Le 23 avril 2013, la 17e chambre correctionnelle de Paris a cessé de rire. Dans un arrêt juridiquement remarquable, elle a reconnu Bernard-Henri Lévy « complice du délit de diffamation publique envers un particulier ». Et elle a estimé que Franz-Olivier Giesbert, qui avait publié le texte diffamatoire, s’était rendu, en qualité de directeur de la publication, « coupable » du même délit de diffamation publique.

    De quoi s’agissait-il ? D’un « bloc-notes de Bernard Henri-Lévy » publié par Le Point. Cet exercice hebdomadaire de BHL est devenu la lecture presque obligée de tous ceux — sociologues, anthropologues, historiens, humoristes — qui travaillent sur les réseaux de connivence en France. Notre philosophe y dispense en effet, sans la moindre distance ni la moindre ironie, les compliments à ses obligés — ou à ceux dont il attend quelque faveur. Symétriquement, il se montre tout aussi généreux de ses remontrances, voire de l’expression violente de son animosité, lorsqu’il parle de ses adversaires. En particulier de ceux qui ont démasqué ses diverses impostures.

    Au nombre desquels ... Le Monde diplomatique, un mensuel qui ferait partie « des chagrins de [l’] existence [de BHL] » depuis qu’il se serait mis « au service du pouvoir pétrolier ». Faute de temps sans doute, et de moyens aussi (ceux de Bernard-Henri Lévy sont considérables), Le Monde diplomatique n’a jamais répliqué sur le terrain judiciaire. Lorsque, le 23 décembre 2010, Bernard Cassen, ancien journaliste et directeur général du Monde diplomatique, a lu le « bloc-notes » de BHL dans Le Point, il a cette fois décidé de porter l’affaire devant les tribunaux.

    Pourquoi ? Parce que Bernard-Henri Lévy avait écrit ceci : « Viennent de se produire deux événements [...] considérables. [...] Le second fut ces Assises internationales sur l’islamisation de l’Europe organisées, quelques jours plus tard, à Paris, par le groupuscule néonazi qui s’était rendu célèbre, le 14 juillet 2002, en tentant d’assassiner Jacques Chirac et qui s’est allié, pour l’occasion, à un quarteron d’anciens trotskistes rassemblés sous la bannière du site Internet Riposte laïque. Il faut le dire et le redire : [...] présenter comme un “arc républicain”, ou comme une alliance entre “républicains des deux rives”, ce nouveau rapprochement rouge-brun qui voit les crânes rasés du Bloc identitaire fricoter, sur le dos des musulmans de France, avec tel ancien du Monde diplo, Bernard Cassen, est un crachat au visage [de la] République. »

    Impatient, peut-être même frénétique à l’idée de fustiger une nouvelle fois Le Monde diplomatique, Bernard-Henri Lévy avait tiré trop vite. Et commis une erreur grossière d’identification. Tel ce singe de la fable de La Fontaine qui avait pris le port du Pirée pour un homme (1), notre intellectuel avait en effet confondu Bernard Cassen avec… Pierre Cassen, fondateur du site Riposte laïque, effectivement proche de l’extrême droite.

    Mais il ne s’agissait que d’une « coquille », gémit BHL. Le tribunal lui répond de manière cinglante en lui reprochant un manque total de « sérieux » : « Il convient de considérer que l’évocation de Bernard Cassen, ancien journaliste et directeur général du mensuel Le Monde diplomatique [...] au lieu et place de Pierre Cassen relève davantage d’une insuffisance de rigueur et d’une carence de fond, que de la simple “coquille” invoquée en défense. »

    Et la 17e chambre correctionnelle précise : « Pour l’ensemble de ces motifs, le bénéfice de la bonne foi ne saurait être accordé [à BHL] et, par voie de conséquence, Franz-Olivier Giesbert ne saurait en bénéficier. »

    La sévérité de la justice — qui aligne dans ses attendus les appréciations peu flatteuses pour le directeur et pour le chroniqueur du Point : absence de sérieux, insuffisance de rigueur, carence de fond, manque de bonne foi... — s’explique assurément par la gravité de la faute commise par Franz-Olivier Giesbert et par BHL, son « complice ». Comme le note le tribunal : « L’alliance explicitement imputée à Bernard Cassen avec un groupe politique présenté comme véhiculant une idéologie gravement attentatoire aux valeurs républicaines et comme ayant tenté d’assassiner le chef de l’Etat le jour de la fête nationale de 2002, constitue un fait précis, dont la vérité est susceptible d’être prouvée, et qui porte atteinte à son honneur et à sa considération. »

    Les deux prévenus, reconnus « auteur et complice du délit de diffamation publique envers un particulier », sont condamnés chacun à une amende de 1 000 euros « qui, pour Bernard-Henri Lévy — dont le casier judiciaire ne porte trace d’aucune condamnation, à la différence de Franz-Olivier Giesbert — sera assortie du sursis ».

    Et la publication de cette décision devra paraître dans un prochain numéro du Point, « au pied du “bloc-notes” de Bernard-Henri Lévy [...] dans un encadré, et sous le titre écrit en caractères majuscules et gras de 0,4 cm de hauteur CONDAMNATION JUDICIAIRE . Les deux complices devront par ailleurs payer les frais d’insertion de la publication de la décision qui pourfend leur diffamation dans deux organes de presse choisies par le plaignant.

    D’ores et déjà, Le Monde diplomatique se porte candidat à la publication dans ses colonnes de cette réjouissante décision de la justice française.