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Gouvernement français:décryptage - Page 20

  • La France veut armer les « rebelles syriens » !

    par André Chamy

    Réagissant aux déclarations de Laurent Fabius et François Hollande appelant à armer « l’opposition » en Syrie, André Chamy, du Réseau Voltaire France, explique en quoi cette position belliqueuse est tout simplement illégale à la lumière du droit international et porte un coup très sévère à la réputation de la France dans le monde. Plus grave encore, selon lui, cette crise syrienne, avec son cortège de massacres et d’attentats terroristes, pourrait à terme s’exporter en France. Les Français vivraient alors sur leur propre sol le cauchemar qu’on impose au peuple syrien depuis deux ans.

    Réseau Voltaire | Paris (France) | 1er avril 2013
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    La France s’aligne sur la position anglaise concernant la livraison d’armes aux bandes armées en Syrie. Mais qu’est ce qui lui prend ? Laurent Fabius et son équipe sont-ils devenus fous ? Après les bavures diplomatiques en Afrique ayant abouti au limogeage d’un certain nombre de responsables au Quai d’Orsay et alors que les perspectives d’enlisement se font jour au Mali, la France déclare la guerre à la Syrie.

    La décision française n’a pas d’autre signification. L’esprit colonial serait-il de retour, si tant qu’il ait disparu ? Les responsables français, chantres des droits de l’Homme et du droit international, viennent de franchir un pas impardonnable dans les relations avec le Moyen-Orient. Cette démarche va avoir des répercussions sur les relations de la France avec le monde entier et le fait que la plupart des Européens se prononcent contre cette idée aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Mais rien n’y a fait. Le duo Hollande-Fabius a décidé de faire la guerre.

    Une déclaration de guerre illégale au regard du droit international 

    L’échec politique de François Hollande dans sa politique économique intérieure, en raison de sa politique européiste insensée, l’incite à créer un écran de fumée tout en arguant qu’il défend les libertés dans le monde. Ce genre de manœuvre ne trompe plus personne.

    Pour comprendre le caractère illicite de cette déclaration de guerre, il est important de rappeler les termes de l’article 2 de la Charte des Nations Unies qui stipule que :

    Article 2 L’Organisation des Nations Unies et ses Membres, dans la poursuite des buts énoncés à l’Article 1, (en l’occurrence de maintenir la paix et la sécurité internationales et de prendre, à cette fin, des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix) doivent agir conformément aux principes suivants :

    1. L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres.
    2. Les Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la présente Charte.
    3. Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger.
    4. Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.
    5. Les Membres de l’Organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s’abstiennent de prêter assistance à un État contre lequel l’Organisation entreprend une action préventive ou coercitive.
    6. L’Organisation fait en sorte que les États qui ne sont pas Membres des Nations Unies agissent conformément à ces principes dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
    7. Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII.

    La France a donc tout faux ! Comment peut-on parler d’une solution politique en Syrie alors que ce pays est agressé depuis plus deux ans et que cette agression vient de prendre un tour particulier avec l’entrée sur ce terrain de deux puissances, en l’occurrence le Royaume-Uni et la France, qui déclarent vouloir armer les rebelles.

    Quelle est la légitimité de ces deux pays pour intervenir dans ce conflit ? Ont-ils soumis cette intervention à leurs peuples respectifs, ou même à leurs représentations nationales ? Dans le cas précis de la France, c’est ce qu’impose l’Article 35 de la constitution de la Cinquième République. La réponse est négative. Il est vrai qu’au regard de ces règles fondamentales du droit international, couchées noir sur blanc dans la Charte des Nations Unies, nous deviendrions indiscutablement des hors-la-loi.

    Parlons sereinement des principes qui régissent les relations internationales. Le premier des principes est celui de la souveraineté nationale : aucun État ne peut porter atteinte à l’intégrité territoriale d’un autre État. Le deuxième de ces principes interdit à tous les États de s’immiscer dans des affaires relevant des compétences nationales d’un autre État. Le troisième principe enjoint aux États d’agir dans le sens du maintien de la paix et de la sécurité internationale.

    Mais la France est en train de faire tout le contraire, puisqu’elle attente à l’intégrité territoriale de la Syrie en livrant des armes à des combattants qui attaquent l’armée régulière de cet État arabe et ses forces de sécurité. Même si l’on devait admettre, pour les besoins de la cause, la thèse française selon laquelle il y aurait un devoir moral à soutenir par tous les moyens une opposition se défendant contre un pouvoir injuste (thèse évidemment très discutable dans le cas qui nous occupe), nous n’avons pas à armer un camp plutôt qu’un autre.

    Nous nous plaçons ipso facto dans la position de l’agresseur et nous sommes à cent lieues de manifester le souci de favoriser les solutions pacifiques au règlement d’une crise internationale.

    La France ne peut s’arroger le droit d’attaquer directement ou indirectement la souveraineté d’un autre État, même s’il s’agit de la Syrie, que Paris n’apprécie guère.

    C’est un comble de l’ironie, soulignons-le au passage, que la France tienne en même temps à être présente dans toutes les réunions des « Amis de la Syrie » ! Ce pays peut très bien se passer de cette amitié.

    Comment ne pas parler de crise internationale alors que plusieurs pays sont notoirement impliqués dans la déstabilisation de la Syrie tels que la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, ou la Libye… Quant à la France, qui prétendait jusqu’à lors se contenter d’aider les réfugiés, plusieurs de ses agents ont été « aperçus » dans le quartier de Baba Amr, à Homs, ou aux frontières avec le Liban et la Turquie, sans le moindre démenti des autorités concernées. Nous venons de franchir un pas supplémentaire dans l’escalade militaire, ce qui n’est pas sans implications…

    Qu’arriverait-il si la Russie, par exemple, pour ne citer qu’elle, estimait que ses intérêts directs sont menacés par cette volonté française de changer le régime en Syrie et décidait d’y envoyer des troupes ? La France est-elle prête à faire face à cette éventualité ? Que cherche-t-elle en adoptant cette posture belliqueuse ?La France entend-elle sauver la paix ? Certainement pas puisque depuis deux ans ce conflit s’envenime justement en raison du flux incessant d’armes et de combattants, qui passent à travers les quatre frontières de la Syrie avec ses voisins, la Turquie, le Liban, la Jordanie et l’Irak.

    Mais le risque principal est peut-être ailleurs…

    Vers une reproduction de la crise syrienne... sur le sol français 

    La France semble se préparer à l’idée de subir ce que la Syrie traverse en ce moment. Ce pays semble servir de ballon d’essai pour plusieurs pays occidentaux qui se croient exposés à un risque de guerre urbaine.

    Aucun observateur honnête ne saurait contester cette réalité. C’est la raison pour laquelle j’émets une hypothèse qui ne relève plus de la fiction, en raison de sa reconnaissance par Monsieur Valls, le ministre de l’Intérieur, en l’occurrence la crainte de troubles généralisés en France, accompagnés de mouvements de foules ou de bandes organisées, particulièrement celles liées à des organisations salafistes, à l’instar de ce qui se passe en Syrie.

    Depuis quelques années la France envisage un tel risque. Le terrorisme islamique est considéré en France comme un « péril fatal ». La caractéristique de cette menace : elle réside en banlieue et est sensible aux discours radicaux délivrés par les organisations proches d’Al-Qaïda, le GSPC algérien, le GICM marocain..

    Que ferait la France si elle devait être exposée à ce danger ? Différents plans semblent être prêts et on est en droit de se demander si notre pays ne joue pas avec le feu. Laisser partir des combattants et fournir des armes qui finiront par tomber entre les mains des salafistes est, en effet, le meilleur moyen pour retrouver ensuite ces mêmes armes dans les banlieues parisiennes, lyonnaises ou marseillaises…

    La présence avérée d’armes de guerre dans le cadre des faits divers survenus dernièrement dans notre pays démontre que nous sommes déjà passés à un stade supérieur pour ce qui est des armes qui circulent dans les banlieues françaises. Pis encore, puisque des sources concordantes confirment la présence de jihadistes français parmi les combattants en Syrie. S’ils ne sont pas tués au combat, que feront-ils à leur retour en France ? La perspective de voir passer à l’action des centaines de Mohamed Merah ne semble pas interpeller nos politiques.

    Envoyer l’armée dans ces territoires marginalisés n’est pas une hypothèse d’école et cet envoi n’aurait pas simplement pour but d’y ramener l’ordre ; il s’agirait avant tout d’en reprendre le contrôle des mains des doctrinaires, à l’étranger comme en France, ainsi que l’indiquait en 2006 une note du CHEAR, le Centre des hautes études de l’armement :

    « De nouvelles frontières dessinent les contours de l’insécurité ou de la confrontation armée dans ces zones urbaines ou dévastées par le terrorisme ou la guerre (....) Ces frontières urbaines délimitent, selon une géographie plus humaine que physique, des groupes d’identité commune ou de communautés de valeurs prêts à défendre par la violence la sanctuarisation de zones dont ils s’estiment détenteurs exclusifs. En France, ces frontières ne sont pas reconnues officiellement par les pouvoirs publics qui usent d’expressions “codées”, cédant au “politiquement correct”, pour évoquer allusivement : “quartiers sensibles”, “quartiers populaires” (sic), “zones de non-droit. Le citoyen, quant à lui, sait très bien où elles se situent et là où … “ça craint. Ces zones acquièrent alors dans l’esprit de ces communautés un statut implicite de territoire “conquis” sur la puissance régalienne de l’État ou sur le pouvoir souverain dont la légitimité est contestée et, si nécessaire, combattue. À l’intérieur de ces frontières urbaines, les représentants des communautés tirent leur autorité d’une sorte de droit coutumier des temps modernes, tendant à se substituer progressivement et subrepticement aux lois souveraines de l’État démocratique. Face à ce type d’évolution, l’emploi de la violence légitime apparaît souvent comme l’ultime recours des démocraties pour réduire ces menaces. » [1]

    Ce rapport n’est pas unique puisqu’après les émeutes de l’automne de l’année 2005, la Délégation aux affaires stratégiques (DAS), un organisme dépendant du ministère de la Défense, lançait un appel d’offre qui posait par la même occasion la question :

    « de quelle capacité doivent disposer les armées pour pouvoir mener des missions sur le territoire national ? »

    En réalité, au-delà de la menace terroriste alléguée, on lit en filigrane la question des violences urbaines dans les banlieues. [2]

    Les banlieues sont devenues un nouveau marché pour la guerre urbaine. La France veut être la spécialiste dans le domaine, ce qui explique l’aide apportée aux rebelles en Syrie en matière de planification des attaques contre les aéroports et contre les bases aériennes. Les services français s’entraineraient-ils sur ce terrain pour expérimenter des nouveaux moyens et des nouvelles techniques de guérillas ?

    Le sociologue Mathieu Rigouste souligne à juste titre :

    « La bataille de Grenoble, comme celle de Villiers-le-Bel et comme chaque opération intérieure, est l’occasion d’expérimenter des nouvelles techniques et de présenter aux marchés internationaux de la sécurité les nouveaux dispositifs tactiques français. » [3]

    Dans cette guerre aux cités, l’État dispose ainsi d’un soutien intéressé des entreprises de défense et de sécurité. Elle considèrent que leur expérience en matière de guerre urbaine sur des théâtres d’opération extérieurs majeurs (Irak, Afghanistan, Côte d’Ivoire, etc.) leur vaut légitimité sur le territoire national et vice versa.

    Ces marchés sont proposés à des Etats pour des opérations de maintien de l’ordre (! !), ce qui aurait pu profiter à la Tunisie de Ben Ali si les déclarations de Mme Alliot-Marie, dans les quelles elle proposait d’apporter au régime tunisien le « savoir-faire » français n’avaient pas suscité un tollé, l’amenant à se rétracter.Ces moyens sont également proposés à des États craignant des manœuvres de déstabilisation, à des villes désireuses de se fournir en moyens de surveillance pour faire face à des mouvements de foules incontrôlés, grâce, par exemple, à la mise en place de systèmes de suivi GPS, de vidéosurveillance et de capteurs sonores.

    La France tente même de créer des partenariats avec d’autres services ayant une expérience dans ce domaine. La France et Israël poursuivent ainsi depuis des années une discrète coopération militaire dans le domaine de la guérilla urbaine. Par exemple, un article du Canard enchaîné paru le 2 juin 2010 révélait que « des officiers de l’armée israélienne ont participé, en France, à des simulations de guerre électronique, d’attaques de sites-radars sur les bases de Biscarosse (dans les Landes) de Cazaux en Gironde ». Le Canard indique également que des militaires français iront s’entraîner en Israël aux combats en zone habitée.

    L’on ne peut s’empêcher de constater la similitude avec ce qui se passe en Syrie.(Attaques des aéroports et des sites radars). Cette expérience française aurait-elle été mise au service du Qatar, qui finance ces opérations en Syrie ? Le problème est que, pendant que les deux grandes puissances (les États-Unis et Russie) discutent des questions stratégiques, la France se contente du rôle de vendeur de quelques prestations, qui restent somme toute insignifiantes par rapport aux enjeux mis sur le tapis.

    Si nous facturons ce type de prestations à des pays étrangers, le peuple français est en droit d’en être informé. Les citoyens français n’accepteraient certainement pas que leurs services républicains soient transformés en entreprises mercenaires travaillant pour des puissances étrangères.

    La difficulté, si l’on passait du stade de l’entraînement au stade de l’explosion dans les banlieues, est de savoir si notre expérience serait suffisante. Allons-nous assister sur le sol français à des scènes similaires à celles qui se déroulent en ce moment en Syrie ? Personne ne peut répondre pour le moment à cette question. En tout cas, le silence est de rigueur par rapport à toute discussion sur cette éventualité.

    Pis encore, que dira-t-on si le Qatar ou l’Arabie saoudite, à qui nous apportons notre expérience, décidaient, à travers leurs réseaux islamistes, d’armer les quartiers « mécontents » pour se battre à Marseille, à Lyon ou à Paris contre les forces de l’ordre françaises ? Que dira-t-on si les armes sophistiquées et les missiles livrés au rebelles syriens revenaient en France en empruntant les réseaux des Balkans (Bosnie, Kosovo ou Albanie), qui sont aux frontières de l’Europe ?

    Il n’y a pas de doute que nos militaires sont parfaitement entraînés et qu’ils sont d’excellents professionnels. Mais, la France a-t-elle les moyens de s’offrir une guerre urbaine ? La France est-elle obligée de jouer avec le feu ? Et de le faire, qui plus est, au service d’intérêts qui ne sont pas ceux des citoyens : en interne, ceux du lobby militaro-industriel ; à l’extérieur ceux des États qui ne veulent pas œuvrer pour la paix et pour la stabilité.

    Les autres pays européens sont conscients de ces enjeux brûlants, ce qui semble expliquer leur farouche opposition à cette escalade. Il est tout à fait remarquable, à ce propos, que le système allemand nous soit présenté comme un modèle quand il s’agit de promouvoir des réformes visant à diminuer les droits sociaux des salariés. À l’inverse, quand il s’agit de promouvoir la paix en Syrie, la France récuse la position allemande et suit les va-t-en guerre…

    Cette position est d’autant plus étonnante qu’à ce jour aucun débat n’a été proposé au peuple français pour lui permettre de savoir dans quel sens la France est en train de s’engager et surtout les motivations réelles de cet engagement !

    Un tel débat est d’autant plus essentiel qu’il faudra bien expliquer au peuple français comment nous trouvons les fonds considérables que nécessitent ces guerres et pourquoi nous ne les trouvons pas pour financer notre système de retraites, notre système de santé. Et pourquoi nous sommes devenus incapables de remettre nos jeunes et moins jeunes au travail...

     
  • Quand la France laisse entrer

    Quand la France laisse entrer les produits des colonies et poursuit ceux qui s’y opposent 

    jeudi 18 mars 2010, par Alain Gresh

    La Cour de justice de l’Union européenne vient d’adopter une importante résolution dont témoigne un communiqué de presse du 25 février, « Des produits originaires de Cisjordanie ne peuvent bénéficier du régime douanier préférentiel de l’accord CE-Israël  ».

    « La Cour statue que les produits originaires de Cisjordanie ne relèvent pas du champ d’application territorial de l’accord CE-Israël et ne sauraient donc bénéficier du régime préférentiel instauré par celui-ci [1]. Il s’ensuit que les autorités douanières allemandes pouvaient refuser d’accorder le traitement préférentiel prévu par cet accord aux marchandises concernées au motif que celles-ci étaient originaires de Cisjordanie. »

    « La Cour rejette également l’hypothèse selon laquelle le bénéfice du régime préférentiel devrait être, en tout état de cause, octroyé aux producteurs israéliens installés en territoires occupés soit en vertu de l’accord CE-Israël soit sur la base de l’accord CE-OLP. La Cour relève que des marchandises certifiées par les autorités israéliennes comme étant originaires d’Israël peuvent bénéficier d’un traitement préférentiel uniquement en vertu de l’accord CE-Israël, pourvu qu’elles aient été fabriquées en Israël. »

    Pourtant, malgré cette résolution, qui confirme bien d’autres déclarations, le gouvernement français se garde bien de toute action contre ces importations illégales qui contribuent à l’extension des colonies que, par ailleurs, verbalement, il condamne.

    En revanche, il a décidé de poursuivre ceux qui, exaspérés par la paralysie de la communauté internationale, se battent pour que ces produits n’entrent pas en France et pour que les entreprises françaises désinvestissent – faisant par exemple campagne contre Veolia et Alstom qui construisent un tramway à Jérusalem.

    Depuis plusieurs semaines déjà, le gouvernement français a développé une campagne calomnieuse contre ceux qui s’élèvent contre l’entrée des produits des colonies, prétendant qu’ils veulent boycotter les produits casher ! Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice, a, quant à elle, effectué un virage à 180 degrés sur cette question (lire Dominique Vidal, « Boycott : la contre-offensive d’Israël et de ses amis  », La valise diplomatique, 22 février 2010).

    Avec le zèle des nouveaux convertis, elle a entériné le 12 février une « dépêche » de la direction des affaires criminelles et des grâces aux procureurs généraux près les cours d’appel. Ce texte confidentiel, que l’on trouvera ci-dessous (PDF), confirme d’abord ce que nous écrivions dans Le Monde diplomatique au mois de juin 2009, à savoir que « l’indépendance de la justice n’est plus un dogme  ».

    M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces, écrit :

    « Depuis le mois de mars 2009, plusieurs procédures faisant suite à des appels au boycott de produits israéliens (...ont été portées à la connaissance de la direction des affaires criminelles et des grâces. (...) Il apparaît impératif d’assurer de la part du ministère public une réponse cohérente et ferme à ces agissements. A cette fin et dans la perspective éventuelle d’un regroupement des procédures (...j’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir porter à la connaissance de la direction des affaires criminelles et des grâces tous les faits de cette nature dont les parquets de votre ressort ont été saisis. »

    Et, au cas où les procureurs n’auraient pas compris leur devoir :

    « Si certaines procédures ont déjà fait l’objet de classements sans suite, vous prendrez soin d’exposer de manière détaillée les faits et de préciser les éléments d’analyse ayant conduit à cette décision. »

    Ce que l’on attend avec intérêt, c’est la dépêche du ministère demandant aux procureurs de poursuivre les magasins qui vendent des produits israéliens entrés illégalement dans le pays, car sans mention du fait qu’ils ont été fabriqués dans des territoires que la France continue de considérer comme occupés.

    Dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces
  • Boycott d’Israël, un appel indigne

    Boycott d’Israël, un appel indigne

    mardi 2 novembre 2010, par Alain Gresh

    Dans le quotidien Le Monde daté du 2 novembre, une trentaine de personnalités signent un appel intitulé « Le boycott d’Israël est une arme indigne ».

    Il commence ainsi :

    « Une entreprise commence à faire parler d’elle en France, consistant à promouvoir un embargo d’Israël tant dans l’ordre économique que dans celui des échanges universitaires ou culturels. Ses initiateurs, regroupés dans un collectif intitulé Boycott, désinvestissement, sanctions, ne s’embarrassent pas de détails. Au vu de leur charte, tout ce qui est israélien serait coupable, ce qui donne l’impression que c’est le mot même d’Israël que l’on souhaite, en fait, rayer des esprits et des cartes. »

    « L’illégalité de la démarche ne fait pas de doute et la justice française ne tardera pas à la confirmer. »

    Les signataires font référence à des condamnations prononcées par des tribunaux français sur injonction politique (« Quand la France laisse entrer les produits des colonies et poursuit ceux qui s’y opposent »), contre des militants appelant au boycott. Mais, ce qu’ils oublient de dire c’est que, même d’un point de vue purement juridique, il est parfaitement légal d’appeler au désinvestissement et aux sanctions contre un Etat. Le seul point de litige est celui que soulignait Willy Jackson dans un article du Monde diplomatique (septembre 2009), « Israël est-il menacé par une campagne de désinvestissement ? » :

    « S’il fait appel à la liberté de chacun de consommer ou de ne pas consommer, le boycott peut contrevenir à certaines dispositions légales lorsqu’il se transforme en incitation à une action collective. En France, par exemple, l’article 225 alinéa 2 du code pénal modifié par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dispose que toute discrimination qui consiste « à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque » est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ainsi, autant chacun peut librement choisir ce qu’il achète et l’afficher publiquement comme attitude individuelle, autant le fait d’appeler au boycott pourrait tomber sous le coup de cet article. »

    Mais même sur ce point, deux remarques s’imposent :

    - d’abord, une grande partie des produits israéliens qui entrent en France comportent une composante qui implique une activité économique dans les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Et c’est en en permettant l’accès libre de ces produits que le gouvernement français viole le droit international. La Cour de justice de l’Union européenne a adopté le 25 février 2010 une résolution stipulant que les produits originaires de Cisjordanie ne peuvent bénéficier du régime douanier préférentiel de l’accord CE-Israël. Quelles mesures les signataires de cet appel préconisent-ils pour arrêter ce scandale ?

     la question que pose le boycott est celle de l’impunité. Comment ne pas comprendre l’indignation devant une occupation qui se poursuit depuis plus de quarante ans sans aucune mesure prise par la communauté internationale contre cette violation du droit international ? Et s’il n’y avait pas eu la flottille de Gaza, le blocus de ce territoire se serait-il (légèrement) assoupli ? Si la société civile n’était pas intervenue, Gaza vivrait encore sous le même blocus (pourtant condamné du bout des lèvres par les Etats-Unis, l’Union européenne, et sans doute la majorité des signataires de ce texte). Les porteurs de valise, qui aidaient le Front de libération nationale algérien violaient la loi, comme la violaient ces Américains qui refusaient de partir au Vietnam.

    Les signataires [1] poursuivent :

    « Mais la justice sera bien en peine de sanctionner ce qui est essentiel dans cette affaire. C’est pourquoi, nous, associations, citoyens de tous bords, acteurs de la vie de notre pays, tous également attachés à la paix au Moyen-Orient et, donc, à l’avènement d’un Etat palestinien viable et démocratique aux côtés d’Israël, nous sommes convaincus que les boycotteurs se trompent de combat en prenant le parti de la censure plutôt que celui de la paix, celui de la séparation plutôt que celui de la possible et nécessaire coexistence – celui, en un mot, de la haine et non de la parole et de la vie partagées. »

    Qui est aujourd’hui, en parole au moins, contre la création d’un Etat palestinien ? Même le président George W. Bush et Benyamin Netanyhou s’y sont ralliés en paroles. Et alors ? Le refus de considérer que l’on a d’un côté un occupant et de l’autre un peuple occupé, d’un côté un Etat puissant, de l’autre une Autorité impuissante, fausse tout possibilité de solution.

    Il est significatif que ce texte sur la nécessaire coexistence soit publié alors même que le gouvernement israélien cherche à faire adopter un texte pour empêcher les Palestiniens citoyens d’Israël de pouvoir habiter dans des quartiers juifs (lire le texte de Zvi Bar’el, « South Africa is already here », Haaretz, 31 octobre 2010)

    « La possibilité de critiquer, même de manière vive, le gouvernement israélien concernant sa politique vis-à-vis des Palestiniens n’est pas ici en cause. Peu de gouvernements sont autant sévèrement jugés, y compris par certains d’entre nous. Mais la critique n’a rien à voir avec le rejet, le déni, et, finalement, la délégitimation. Et rien ne saurait autoriser que l’on applique à la démocratie israélienne un type de traitement qui n’est réservé aujourd’hui à aucune autre nation au monde, fût-elle une abominable dictature. »

    Critiquer Israël ? Finkelkraut, Encel et Lévy critiques du gouvernement israélien ? On croit rêver. En pleine guerre de Gaza, ils justifiaient les crimes commis par l’armée israélienne et, encore plus révoltant, Bernard-Henri Lévy pénétrait dans Gaza assis sur la tourelle d’un char israélien. Quant aux signataires membres du Parti socialiste, faut-il rappeler que leur parti est lié au Parti travailliste, qui a mené les guerres au Liban et à Gaza et qui, aujourd’hui, aux côtés d’Avigdor Lieberman, participent au gouvernement de Benyamin Netanyahou ? et que leur parti est resté passif durant l’invasion de Gaza ?

    Certains des signataires critiquent peut-être le gouvernement israélien, mais comment cette critique se traduit-elle en actes ? Ne sont-ils pas coupables de non-assistance à un peuple en danger ?

    Quant à l’argument selon lequel on applique à la démocratie israélienne un traitement qui n’est réservé à aucun autre pays, il appelle deux remarques :

     le fait qu’Israël soit démocratique (pour ses citoyens juifs seulement) ne l’empêche pas de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. La France martyrisant l’Algérie durant la guerre d’indépendance était aussi un pays démocratique. Faut-il s’étonner que les Palestiniens ne fassent pas la différence entre une bombe démocratique et une bombe dictatoriale ?

     d’autre part, il est vrai que le traitement du gouvernement israélien est sans équivalent : aucun Etat n’a violé impunément autant de résolutions du conseil de sécurité des Nations unies depuis plus de quarante ans, résolutions votées aussi bien par les Etats-Unis que l’Union européenne.

    « D’autant que, de plus, la globalité du rejet et sa bêtise font que l’on emporte dans le même mouvement les forces qui, en Israël, œuvrent jour après jour au rapprochement avec les Palestiniens en sorte que les partisans du boycott sont, aussi, des saboteurs et des naufrageurs d’espérance. »

    Oui, il y a des forces en Israël qui luttent avec courage, mais ce ne sont pas celles auxquelles les signataires font allusion : faut-il rappeler que non seulement le Parti travailliste mais aussi le mouvement La Paix maintenant ont justifié les guerres du Liban et celles de Gaza ?

    Et le texte se poursuit :

    « La paix ne se fera pas sans les Palestiniens. Mais elle ne se fera pas non plus sans les Israéliens. Et moins encore sans les intellectuels et les hommes et femmes de culture qui, quels que soient leur pays d’origine ou leur parti pris politique, travaillent à rapprocher les peuples. Céder à l’appel du boycott, rendre impossibles les échanges, infliger aux chercheurs israéliens, par exemple, ou aux écrivains on ne sait quelle punition collective, c’est abandonner toute perspective de solution politique au conflit et signifier que la négociation n’est plus dans le champ du possible. »

    L’argument est repris sans cesse pour affirmer qu’on ne peut pas boycotter la culture. Rappelons d’abord que la coopération culturelle et scientifique entre Israël et l’Union européenne concerne avant tout des laboratoires et des universités qui participent directement au complexe militaire israélien. Quant à l’argument sur le boycott des livres ou du cinéma, je renvoie à la polémique autour des cinémas Utopia (« Yann Moix et Le Figaro condamnés »).

    Conclusion des signataires :

    « Nous n’acceptons pas cet aveu d’échec. Nous pensons que notre rôle est de proposer un chemin de dialogue. C’est pourquoi, nous, signataires, sommes résolument contre le boycott d’Israël et pour la paix – et, précisément, contre le boycott parce que nous sommes pour la paix. »

    Mais de quel dialogue, de quelle paix parle-t-on ? Qui pourrait être contre la paix ? Les questions qui se posent sont pourtant simples et devraient interpeller les signataires : la paix est-elle possible avec l’occupation et la colonisation ? Comment obtenir la fin de la colonisation qu’ont poursuivie depuis 1967 tous les gouvernements israéliens sans exception ? Comment mettre fin à l’occupation ? Le mouvement de boycott-désinvestissement-sanction (BDS) représente la réponse de la société civile à l’impuissance de la communauté internationale et pose une simple question : Israël se retirera-t-il des territoires occupés s’il n’y a aucune pression, aucune sanction ? La réponse, pour tout observateur de bonne foi, est non. En ne faisant rien, les signataires sont les complices non seulement de la politique d’occupation, mais aussi de la poursuite de l’impasse avec tous les risques qu’elle fait peser sur l’avenir de la région.

    Notes

    [1] La liste des signataires :

    Yvan Attal, comédien ; Pierre Arditi, comédien ; Georges Bensoussan, historien ; Michel Boujenah, comédien ; Patrick Bruel, comédien et chanteur ; Pascal Bruckner, essayiste ; David Chemla, secrétaire général de JCALL, ; Bertrand Delanoë, maire de Paris ; Frédéric Encel, géopolitologue ; Alain Finkielkraut, philosophe ; Patrick Klugman, avocat ; François Hollande, député (PS) de Corrèze ; Georges Kiejman, avocat ; Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris ; Bernard-Henri Lévy, philosophe ; Mohamed Sifaoui, essayiste ; Yann Moix, écrivain ; Bernard Murat, directeur de théâtre ; Jean-Marie Le Guen, député ; Pierre Lescure, directeur de théâtre ; Serge Moati, journaliste ; Daniel Racheline, vice-président de JCALL ; Arielle Schwab, présidente de l’UEJF ; Dominique Sopo, président de SOS-Racisme ; Gérard Unger, président de JCALL ; Manuel Valls, député-maire d’Evry ; Michel Zaoui, avocat.

    On comparera cette liste à celle des personnalités qui se sont prononcées contre l’inculpation de Stéphane Hessel, Alima Boumediene-Thiery et tous ceux qui ont été mis en cause dans la campagne de boycott]. On notera, parmi elles, Michel Rocard, Laure Adler, Raymond Aubrac, Etienne Balibar, Jean Baubérot, Miguel-Angel Estrella, Eva Joly, Jean Lacouture, Noël Mamère, François Maspero, etc.

  • Vous avez aimé Claude Guéant ?

    Vous avez aimé Claude Guéant ? Vous adorerez Manuel Valls 

    mercredi 16 mai 2012, par Alain Gresh

    Non, Manuel Valls, le nouveau ministre de l’intérieur, ne fera sans doute pas de déclaration sur l’inégalité entre les civilisations. Il ne faudrait donc pas lui faire de procès d’intention. Il faudrait se garder de toute caricature.

    Le problème est que Manuel Valls est sa propre caricature, même s’il s’abstiendra, du moins faut-il l’espérer, d’affirmer comme son prédécesseur qu’il y a trop de musulmans en France . C’est tout de même lui qui, se promenant sur un marché de sa bonne ville d’Evry, le 7 juin 2009 , interpellait ses collaborateurs : « Belle image de la ville d’Evry… Tu me mets quelques Blancs, quelques White, quelques Blancos ! »

    Manuel Valls ne représente pas grand-chose dans son parti : il n’a récolté que 5,7 % des voix lors de la primaire d’octobre 2011. Il est vrai que cet admirateur de Dominique Strauss-Kahn et de Tony Blair aurait sans doute plus sa place au Nouveau centre ou au Modem de François Bayrou, dont il reprend les thèses économiques et sociales. Nicolas Sarkozy avait tenté de le débaucher en 2007 et Martine Aubry lui avait écrit une lettre ouverte en juillet 2009 : « Si les propos que tu exprimes reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti socialiste. »

    Mais Valls a su faire le bon choix : rester au PS tout en combattant tous les principes de la gauche et, finalement, accéder à un poste où il pèsera lourd dans les choix gouvernementaux des prochains mois sur la sécurité, l’immigration, l’islam. Concédons-lui donc le fait qu’il est un habile politicien, mais mettons entre parenthèses l’idée qu’il serait de gauche.

    C’est sur le terrain de la sécurité que Valls a voulu se faire un nom, en montrant que la gauche pouvait être aussi répressive, voire plus, que la droite. Il a multiplié les articles et les livres sur le sujet, dont Sécurité, la gauche peut tout changer (Editions du Moment, Paris, 2011). Cet ouvrage rend un hommage appuyé et répété aux forces de l’ordre, sans jamais évoquer les violences policières, les jeunes assassinés dans les quartiers, les procès de policiers qui débouchent toujours sur des non-lieux. En revanche, il est impitoyable avec le terrorisme, ayant été l’un des seuls socialistes à exiger l’extradition de Cesare Battisti. Et aussi avec les délinquants, ces classes dangereuses dont la bourgeoisie a toujours eu peur. Valls ne regrette-t-il pas, dans son livre, que la gauche n’ait pas assez rendu justice à Clemenceau, l’homme qui n’hésitait pas, entre 1906 et 1908, à faire tirer sur les ouvriers au nom, bien sûr, de l’ordre républicain ?

    Lors du soulèvement des banlieues de 2005, il a été l’un des trois députés socialistes à ne pas voter contre la prolongation de l’état d’urgence, une décision qui ramenait la France à l’époque de la guerre d’Algérie. En octobre 1961, s’il avait été ministre de l’intérieur, Valls n’aurait certainement pas hésité à faire appliquer l’ordre républicain à tous ces Algériens qui osaient défier le couvre-feu (lire Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi  »)…

    Pour Valls, la violence dans nos villes « augmente de manière constante » depuis plus de trente ans. Il reprend les arguments de son ami Alain Bauer (lire Les marchands de peur. La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire ), l’homme qui a imposé à la gauche comme à la droite le thème de l’insécurité — avec l’aide active du Front national et de Jean-Marie et Marine Le Pen. Conseiller de Sarkozy, Bauer est aussi proche de Manuel Valls car, pour lui, la sécurité n’est ni de gauche ni de droite (l’économie non plus, sans doute...). Et personne ne sera trop regardant sur les médecines du docteur Bauer, l’homme qui propage la peur dans les villes et en profite pour leur vendre, à travers sa société AB conseils, et à prix d’or, les remèdes à l’insécurité. Un peu comme si un responsable de l’industrie pharmaceutique établissait les prescriptions pour les malades...

    Nous ne reviendrons pas ici sur la critique détaillée de ses théories de la sécurité. Laurent Mucchielli, l’un des meilleurs spécialistes de la question et qui est plusieurs fois cité de manière élogieuse par Valls, a un diagnostic ravageur (« La posture autoritaire et populiste de Manuel Valls  », Lemonde.fr, 5 juin 2011). Critiquant Sécurité, la gauche peut tout changer, qui vient alors de sortir, il fait deux remarques :

    « La première est que M. Valls n’a pas un niveau de connaissance suffisant des problèmes. Nous l’avons vu, son diagnostic est globalement plutôt superficiel. Ses propos ressemblent étrangement aux discours de certains syndicats de police et parfois même d’un certain café du commerce. La violence explose, les délinquants rajeunissent sans cesse, il n’y a plus de valeurs et plus de limites, la justice ne fait pas son boulot, on les attrape le soir ils sont remis en liberté le lendemain... etc. En cela, M. Valls est proche d’un certain terrain politique : celui des plaintes de ses administrés, des courriers de protestation reçus en mairie, des propos entendus en serrant des mains sur le marché le samedi matin ou encore de ce que lui racontent les policiers municipaux de sa ville. Mais il est totalement éloigné de ce que peut-être le diagnostic global d’un problème de société et l’approche impartiale d’une réalité complexe. Telle est sans doute la condition ordinaire d’un responsable politique de haut niveau, dont on imagine l’agenda très rempli. Mais l’on attendrait alors de lui qu’il ait l’intelligence de comprendre les biais et les limites de sa position pour s’entourer de personnes capables de lui donner le diagnostic de base qui fait ici défaut. Encore faut-il toutefois le vouloir et ne pas se satisfaire de ce niveau superficiel d’analyse, au nom d’une posture volontairement très politique pour ne pas dire politicienne. C’est la deuxième hypothèse. »

    Voici donc pour la compétence du nouveau ministre de l’intérieur. Par ailleurs, poursuit Mucchielli :

    « C’est bien une posture politique qui irrigue fondamentalement la pensée de Manuel Valls, une posture politicienne même dans la mesure où elle vise manifestement à se distinguer en politique, en particulier vis-à-vis d’autres personnalités du parti socialiste. Cette posture, on la retrouve d’abord dans les pages consacrées à une sorte d’éloge de l’ordre comme “socle des libertés” (p. 58), comme on la retrouve à la fin du livre dans l’éloge de « l’autorité » qui serait aujourd’hui « bafouée » et « attaquée de toutes parts » (p. 156-157). De nouveau, c’est exactement aussi la posture qui traverse toutes les lois votées ces dernières années par ses adversaires politiques. »

    Valls n’est pas seulement un défenseur de la sécurité, mais aussi uncontempteur du communautarisme et un pseudo-partisan de la laïcité (c’est évidemment tout à fait par hasard que les cibles de ses attaques sont les populations des quartiers populaires).

    On ne compte plus les exemples de ces attaques contre un soi-disant communautarisme, c’est-à-dire contre les musulmans, de sa volonté d’interdire à un Franprix de ne vendre que des produits halal — aurait-il interdit des magasins qui ne vendraient que des produits casher ? — à l’affaire de la crèche Baby Loup et au licenciement d’une employée qui portait le foulard. Après l’absurde décision de Nicolas Sarkozy d’interdire à des théologiens musulmans d’intervenir au congrès de l’UOIF , il a fait de la surenchère, non seulement en approuvant la décision mais en écrivant  :

    « Tariq Ramadan, leader européen de l’Internationale des Frères Musulmans, présenté par ailleurs comme un “intellectuel” muni d’un passeport suisse, doit s’exprimer le week-end prochain à Bagnolet. Il propagera les mêmes idées extrémistes que ceux qui ont déjà été interdits de territoire français. » Quelques jours plus tard,le candidat Nicolas Sarkozy à son tour , mettait en doute les qualités d’intellectuel de Tariq Ramadan. Quant à ces déclarations sur les idées « extrémistes » défendues par Ramadan, il devrait plutôt lire ses textes et écouter ses interventions.

    On ne peut s’étonner alors que Manuel Valls fasse l’éloge du dernier livre de Hugues Lagrange, qui met en avant l’origine culturelle des immigrés pour expliquer les difficultés de l’intégration — rappelons que le même argument culturel était avancé pour expliquer les difficultés des immigrés juifs d’Europe centrale, italiens ou portugais à s’intégrer dans les années 1930, 1940 ou 1950 (lire Gérard Mauger, « Eternel retour des bandes de jeunes  », Le Monde diplomatique, mai 2011). Aucune idée de droite n’est vraiment étrangère à M. Valls.

    Une dernière question : Manuel Valls est aussi signataire d’un appel indigneappelant à poursuivre les militants qui prônent le boycott des produits israéliens. Parmi eux, Stéphane Hessel ou Alima Boumediene. Que fera le ministre de l’intérieur, alors que plusieurs de ces militants ont été relaxés par la justice, mais que certains restent poursuivis ?

    Ajout 17 mai. Voici comment le pourfendeur du communautarisme parle (17 juin 2011) : 
    « Par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël »(vidéo ). Imaginons un responsable français ayant épousé une femme d’origine algérienne ou marocaine et disant « Par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté musulmane et à l’Algérie (ou au Maroc). »

    Ajout du 14 novembre 2012 : la vidéo de Valls a été retirée à la demande de Radio Judaïca de Strasbourg pour atteinte aux droits d’auteur (sic !). Mais la censure est difficile sur Internet e ton peut la trouver à d’autres adresses .

  • Sus à l’islam !

    Sus à l’islam ! Ils ne se fatiguent jamais...

    dimanche 24 mars 2013, par Alain Gresh

    La France est en crise. Comme le reste de l’Europe. Et Chypre n’est que le dernier épisode (avant le prochain) de cette spirale infernale : ébranlement du système financier, austérité imposée à la population au nom d’une rigueur qui ne touche ni les banques ni les riches. Encore un peu plus de chômage, encore un peu plus de souffrances.

    Mais vous n’y êtes pas du tout... Ce qui nous menace vraiment, ce qui met en cause notre identité même, nos raisons de vivre, ce qui fait qu’on ne se sent plus chez nous, ce ne sont ni les financiers ni nos dirigeants, mais ces musulmans, ces étrangers, ces « pelés », ces « galeux » dont nous vient tout le mal. Ce n’est pas la religion en général — il suffit de lire les apologies du nouveau pape, le respect avec lequel il est traité — mais cette religion-là. Elle est fondamentalement différente du christianisme qui aurait permis, lui, la laïcité (et tout le monde de rabâcher, sans la comprendre, la formule « rendre à César ce qui est à César », comme si toute l’histoire chrétienne se reflétait dans cette maxime...).

    Heureusement, contrairement aux élites, le peuple, lui, comprend. Il comprend que cette menace existe. Et il demande des mesures, des lois, des sanctions. Il faut être, n’est-ce pas, à son écoute — et dans ce cas, il ne s’agit pas de populisme démagogique. Et si demain l’opinion exige le retour de la peine de mort, votons une loi pour la rétablir !

    Il est vrai que l’état de l’opinion est inquiétant. La lancinante menace islamiqueinquiète. Et le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) l’illustre.

    Comme le note Le Monde (21 mars), « Les actes antimusulmans progressent pour la troisième année consécutive  » :

    « Pour la présidente de la CNCDH Christine Lazerges, tous ces indicateurs sont le reflet de situations différentes. “Pour l’antisémitisme, les causes sont aujourd’hui essentiellement conjoncturelles”, estime-t-elle. Mme Lazerges les relie notamment au contexte de l’affaire Merah, en mars 2012, et à celui de l’attaque d’une supérette casher de Sarcelles (Val-d’Oise) en septembre 2012.

    Selon elle, la hausse des actes antimusulmans — recensés en tant que tels depuis 2010 — est plus préoccupante. “On a affaire à un phénomène beaucoup plus structurel, car nous observons cette augmentation depuis maintenant trois années consécutives, détaille-t-elle. Numériquement, les chiffres sont faibles, mais ils ne montrent que la partie visible de l’iceberg.

    Tous ces indicateurs corroborent les résultats d’une enquête d’opinion de l’institut CSA dévoilée dans le rapport de la CNCDH. Réalisée auprès d’un échantillon de 1 029 personnes du 6 au 12 décembre 2012, elle confirme que les Français ont une vision de plus en plus négative de l’islam. 55 % des personnes interrogées considèrent qu’il “ne faut pas faciliter l’exercice du culte musulman en France” (+ 7 points par rapport 2011). Ce phénomène de rejet n’existe pas pour les autres religions. »

    Ces enquêtes montrent comment une partie des sympathisants de gauche (socialistes, verts, Front de gauche) partagent cette islamophobie. Au lieu de lutter contre cette évolution inquiétante, à laquelle les médias ont largement contribué, toutes tendances confondues (ceux de « gauche » comme Marianne ouLe Nouvel Observateur — lire « La ruse est leur mot d’ordre  » —, peut-être même un peu plus), on nous appelle à prendre de nouvelles mesures, à adopter de nouvelles lois, notamment pour « libérer » les femmes musulmanes (il faut dire que c’était aussi notre objectif pendant plus d’un siècle en Algérie et que nous avons échoué, alors l’heure de la revanche a sonné).

    Il faut donc légiférer avec courage et détermination, notamment après le jugement sur l’affaire de la crèche Baby Loup de Chanteloup-les-Vignes. La Cour de cassation a annulé le 19 mars le licenciement d’une employée de cet établissement des Yvelines qui avait décidé de porter le foulard. Selon la Cour, le principe de laïcité ne peut s’appliquer dans une entreprise privée.

    Comme le notait Libération le 22 mars  :

    « Le Défenseur des droits a demandé vendredi au législateur de “clarifier” la loi sur la laïcité et recommandé une large consultation préalable, dans un courrier adressé au premier ministre suite à l’affaire de la crèche Baby Loup. “Une clarification de la situation conduite par le législateur me paraît hautement nécessaire”, écrit Dominique Baudis à Jean-Marc Ayrault, en estimant que le parcours judiciaire du dossier Baby Loup illustre les « difficultés d’interprétation » des textes. »

    Et l’hebdomadaire Marianne, se saisissant de l’affaire, « soutient l’appel pour une nouvelle loi sur les signes religieux »  :

    « Sur les crèches et les gardes d’enfants, c’est une proposition de loi venant du Parti radical de gauche qui a été votée l’année dernière au Sénat. N’ayant pas bénéficié de la même diligence que d’autres textes sociétaux, elle n’a toujours pas été présentée à l’Assemblée nationale. C’est dans l’Hémicycle que Manuel Valls, transgressant la règle interdisant à un ministre de commenter une décision de justice, vient de déclarer : “En sortant quelques secondes de mes fonctions, je veux vous dire combien je regrette la décision de la Cour de cassation sur la crèche Baby Loup et sur cette mise en cause de la laïcité. » (Lire la tribune, censurée par Le Point, de Sihem Souid, « Monsieur le Ministre de l’Intérieur, vous faites fausse route ! »).

    Que le ministre viole les règles de séparation de l’exécutif et du judiciaire n’émeut pas l’hebdomadaire. Vous comprenez, nous sommes en situation de guerre : au diable les vieilles règles de l’Etat de droit ! Rappelons que ce ministre de l’intérieur, Manuel Valls, tant aimé par la droite, est celui-là même qui déclare, sûrement au nom de la laïcité, que « par [sa] femme, [il est] lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël » (lire « Vous avez aimé Claude Guéant, vous adorerez Manuel Valls  ») et qui estime que la lutte contre le hijab « doit rester pour la République un combat essentiel », mais affirme qu’un juif doit pouvoir porter fièrement sa kipa (c’est pourtant un signe religieux).

    Marianne poursuit :

    « Voilà donc une contradiction de plus entre les engagements politiques et la triste réalité : le candidat Hollande avait expliqué que la laïcité était l’un des piliers de sa “République exemplaire” et qu’il en graverait les principes dans la Constitution. A défaut de ce symbole dont on ne parle plus, il y a mieux à faire et plus urgent : suivre la suggestion des signataires (parmi lesquels de nombreux parlementaires) de l’appel que nous publions . Colmater vite par une loi les derniers vides juridiques que les amateurs de surenchères, encouragés par la Cour de cassation, ont déjà bien repérés.

    Le président de la République a donné comme première justification de l’intervention militaire française au Mali la volonté de “protéger les femmes”. Celles de Chanteloup-les-Vignes méritent aussi d’être protégées. »

    Ainsi donc les troupes françaises sont au Mali pour protéger les femmes, comme les troupes de l’OTAN les protègent en Afghanistan ?

    Qui rappellera que la loi du 15 mars 2004 a été condamnée par la commission des droits de l’homme des Nations unies, et que la France a six mois pour répondre aux demandes de cette dernière ? (lire « Signes religieux dans les lycées : L’ONU condamne la France à revoir la loi du 15 mars 2004  »). Il paraît, selon un sondage de l’Ifop publié dans Ouest France, que 84 % des Français sont opposés au port du foulard par des femmes employées dans des lieux privés accueillant du public (commerces, supermarchés, cabinets médicaux, crèches, écoles privées). Peu importe qu’une telle décision soit contraire à toutes les conventions internationales et européennes : nous sommes la France, la grande nation qui illumine l’avenir de l’humanité.

    Et pendant ce temps, tranquillement, la droite radicale progresse à travers l’Europe, comme le montre l’élection d’Oskar Freysinger en Suisse (« L’extrême-droite européenne salue l’élection d’Oskar Freysinger  », 22 mars), l’homme qui s’est rendu célèbre en gagnant un référendum contre la construction des minarets.

    Gageons qu’il se réjouira d’une nouvelle loi française hostile aux musulmans (« Suisse, une victoire de l’islamophobie, une défaite de la raison  »).