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Du colonialisme français à l’intervention française au Mali


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6 mai 2013

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« La guerre au Mali a pour but de se débarrasser des islamistes radicaux », nous dit-on. Pourtant, ces mêmes islamistes combattent dans « notre » camp en Libye et en Syrie. Et ils sont financés par « nos amis » : Arabie Saoudite et Qatar. Spécialiste de l'Afrique et auteur chez Investig'Action de « La stratégie du chaos », Mohamed Hassan éclaire les dessous d'une guerre beaucoup trop schématisée par les médias. Troisième et dernier volet de notre série « Causes et conséquences de la guerre au Mali » (IGA).

 

 
 

 

 

Le conflit au Mali s’inscrit dans un large contexte et il a toute une histoire derrière lui. Il y a les djihadistes qui ont quitté la Libye pour le nord du Mali, armés par le Qatar et l’Arabie saoudite. Et il y a les militaires français, belges et autres, occidentaux et africains, qui sont intervenus au Mali. Pour situer correctement cette intervention française, nous devons faire un retour sur le colonialisme français au Mali.

 

Quand les colonialistes français ont conquis le Mali, le territoire faisait partie d’une vaste zone économique s’étendant autour du Sahel. Les caravanes partaient d’une ville oasis vers une autre, tout droit à travers le désert. Dans cette économie originelle régnait une bonne intelligence entre les paysans et les nomades. Les paysans avaient besoin des nomades pour pouvoir acheter des marchandises venant d’autres régions et constituaient donc leur clientèle. Toute la population de cette région était musulmane.

 

Cette zone économique était très prospère à l’époque. L’an dernier, le site Internet celebritynetworth.com a classé un Malien à la première place du classement des vingt-cinq individus les plus riches ayant jamais vécu. Le journal a converti les biens du roi Mansa Moussa Ier qui, de 1312 à 1337, a régné sur un royaume situé à l’intérieur du Mali actuel, en tenant compte de l’actuel prix de l’or et de l’inflation au fil des siècles. L’homme, aujourd’hui, pèserait quelque 400 milliards de dollars. Il y avait également une vie intellectuelle très riche : Tombouctou est connue comme l’un des premiers et principaux centres intellectuels du monde. À son apogée, le royaume malien s’étendait jusqu’à la côte du Sénégal. L’arabe y était la langue véhiculaire.

 

Le colonialisme français a détruit tout ce système. Pour tuer toute capacité intellectuelle, des milliers de professeurs ont été assassinés. À l’instar de la quasi-totalité des pays africains, le Mali que nous connaissons aujourd’hui a des frontières artificielles. La région faisait partie de ce qu’on appelait le Soudan français. En 1960, elle devint indépendante, d’abord comme une fédération avec le Sénégal, mais, après deux mois à peine, le Sénégal se retira de cette fédération. Le Mali actuel est le quatrième pays d’Afrique par sa superficie. Après le coup d’État contre le premier président nationaliste du Mali, Modibo Keita (1960-1968), le pays est devenu un État néocolonial.

 

Un tel État ne peut constituer une nation ni ne peut se développer de façon autonome. Le Nord, une région désertique, est abandonné à son sort et les habitants y sont discriminés. Il y a des tensions ethniques entre les Touaregs (nomades) et les autres groupes de population. Le commerce à grande échelle de jadis a complètement décliné. Que reste-t-il pour un grand nombre de nomades qui sillonnent la région avec leurs caravanes ? Contrebande, enlèvements moyennant rançon, trafic d’humains…

 

Une partie importante de ces Touaregs sont devenus soldats en Libye, dans l’armée de Kadhafi. Après leur retour dans le nord du Mali, ils ont entamé une guerre au Nord-Mali pour l’indépendance de ce qu’ils appellent l’Azawad — une lutte qui, depuis quelques décennies, s’anime brusquement puis se calme à nouveau. Le 24 janvier 2012, ils se sont emparés de la ville d’Aguelhok et y ont tué une centaine de soldats de l’armée malienne. Au cours des mois suivants, ils se sont mis à attaquer d’autres villes dans le nord.

 

Le massacre d’Aguelhok a suscité un énorme mécontentement dans l’armée et parmi les familles des soldats, car c’est très pauvrement armés qu’il leur a fallu combattre les insurgés bien équipés et entraînés. Le 22 mars, le président malien Amadou Toumani Touré (surnommé « ATT ») a été renversé par un coup d’État de militaires mécontents et d’officiers subalternes sous la direction d’Amadou Sanogo.

 

Pour les pays voisins du Mali qui, après le renversement du président ivoirien Gbagbo, subissent fortement l’influence de la France, ce fut un prétexte pour annoncer un embargo sur les armes contre l’armée malienne qui, de la sorte, n’avait pas l’ombre d’une chance contre les insurgés accourant en masse. Les mois suivants, le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) s’empara de tout le nord du pays. Ensuite, le MNLA fut chassé à son tour par trois groupes djihadistes : Ansar Dine, Al Qaeda dans le Maghreb islamique (AQMI) et MUJAO — des groupes qui reçoivent des armes et de l’argent du Qatar et de l’Arabie saoudite — et ainsi la boucle fut bouclée.

 

Quand il a semblé alors que ces djihadistes allaient se précipiter vers la capitale malienne Bamako, le président par intérim Dioncounda Traoré aurait demandé au président français François Hollande (PS) d’intervenir militairement. Ce qui rendait en fait impossible un plan soigneusement et difficilement élaboré des Nations unies et de l’Union africaine.

 

Conclusion

 

Comment la situation devrait-elle évoluer ? Toute solution au conflit du Mali est contrecarrée par trois problèmes importants.

 

Primo : personne ne permet aux Maliens de résoudre eux-mêmes leurs différends et problèmes mutuels. L’ingérence étrangère rend la chose impossible. La guerre ne fera qu’exacerber les tensions mutuelles dans tout le pays. Si vous avez la peau plus claire et qu’on vous prend donc pour quelqu’un du nord, vous risquez aujourd’hui de ne plus pouvoir traverser à l’aise les rues de Bamako.

 

Secundo : les États africains sont très faibles, quand on voit qu’un pays comme le Mali ne peut même pas venir à bout d’une rébellion bien organisée de quelque 500 djihadistes. L’Union africaine (UA) elle aussi est faible. Les pays de la SADC (Southern African Development Community) essaient bien de changer le cours des choses et étaient à l’avant-plan de l’opposition de l’UA à la guerre en Libye. Mais il y a encore bien trop de chefs d’État africains qui pensent davantage à leur propre intérêt et aux ordres qu’ils reçoivent de leurs maîtres en Europe et aux États-Unis qu’à l’unité africaine.

 

Tertio : si, depuis que la crise du capitalisme mondial s’est aggravée en 2008, la France ne veut pas devenir une nouvelle Espagne, Italie ou Grèce, elle va devoir défendre son hégémonie en « Françafrique » et autour de la Méditerranée. Mais les choses ne s’annoncent pas très bien pour la France, car les contradictions avec les États-Unis en Afrique s’accroissent. En Côte d’Ivoire, l’armée française est intervenue pour installer Ouatarra au pouvoir ; or, en fait ce dernier est avant tout un pion des États-Unis. Et les États-Unis ont tiré parti de la guerre au Mali pour installer une base pour leurs drones dans le pays voisin, le Niger. En d’autres termes, nous pouvons nous préparer à une période durant laquelle le Mali et toute la région qui l’entoure vont se retrouver dans un conflit permanent, comme celui qu’a connu la Somalie au cours des années 90.


 

Extrait de « Causes et conséquences de la guerre au Mali », article paru dans Études marxistes, n°101.

 

Voir aussi « L'Occident à la conquête de l'Afrique » et « Ces islamistes que soutient l’Occident ».

 

Mohamed Hassan est spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique. Il est l’auteur, avec David Pestieau, de L’Irak face à l’occupation (EPO, 2004) et, avec Grégoire Lalieu et Michel Collon, de La stratégie du chaos, Investig’Action/Couleur Livres, 2012.
 

 

 

Françafrique - Libye - Mali - Touaregs

 


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