Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 3

  • « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. »

    « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. »
    Bertolt Brecht


    L’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo marquera notre histoire contemporaine. Il reste à savoir dans quel sens et avec quelles conséquences. Dans le contexte actuel de « guerre contre le terrorisme » (guerre extérieure) et de racisme et d’islamophobie d’Etat, les artisans de cet acte ont, consciemment ou non [1] accéléré un processus de stigmatisation et d’isolement de la composante musulmane, réelle ou supposée, des classes populaires.

    Les conséquences politiques de l’attentat sont déjà désastreuses pour les classes populaires et cela va se renforcer si aucune alternative politique à la fameuse « Union Nationale » n’est proposée.

    En effet, la manière dont les médias français et une écrasante majorité de la classe politique réagissent est criminelle. Ce sont ces réactions qui sont dangereuses pour l’avenir et qui portent en elles de nombreux « dégâts collatéraux » et de futurs 7 et 9 janviers toujours plus meurtriers. Comprendre et analyser pour agir est la seule posture qui peut permettre aujourd’hui d’éviter les instrumentalisations et dévoiements d’une émotion, d’une colère et d’une révolte légitime.

    L’occultation totale des causes

    Ne pas prendre en compte les causalités profondes et immédiates, isoler les conséquences du contexte qui les fait émerger et ne pas inscrire un événement aussi violent dans la généalogie des facteurs qui l’ont rendu possible condamne, au mieux, à la tétanie, au pire, à une logique de guerre civile. Aujourd’hui, personne dans les médias n’aborde les causes réelles ou potentielles. Pourquoi est-il possible qu’un tel attentat se produise à Paris aujourd’hui ?

    Comme le souligne Sophie Wahnich, il existe « un usage fasciste des émotions politiques de la foule » dont le seul antidote est le « nouage possible des émotions et de la raison » [2]. Ce que nous vivons aujourd’hui est ce cantonnement des discours médiatiques et politiques dominants à la seule émotion, en occultant totalement l’analyse réelle et concrète. Toute tentative d’analyse réelle de la situation, telle qu’elle est, ou toute analyse tentant de proposer une autre explication que celle fournie par les médias et la classe politique, devient une apologie de l’attentat.

    Regard sur le ventre fécond de la bête immonde

    Regardons donc du côté des causes et d’abord de celles qui relèvent désormais de la longue durée et de la dimension internationale. La France est une des puissances les plus en guerre sur la planète. De l’Irak à la Syrie, en passant par la Libye et l’Afghanistan pour le pétrole, du Mali à la Centrafrique, en passant par le Congo pour les minerais stratégiques, les soldats français contribuent à semer la mort et le désastre aux quatre coins de la planète.

    La fin des équilibres mondiaux issus de la seconde guerre mondiale avec la disparition de l’URSS, couplée à une mondialisation capitaliste centrée sur la baisse des coûts pour maximiser les profits et à la nouvelle concurrence des pays émergents, font de la maîtrise des matières premières la cause principale des ingérences, interventions et guerres contemporaines. Voici comment le sociologue Thierry Brugvin résume la place des guerres dans le monde contemporain :

    « La conclusion de la guerre froide a précipité la fin d’une régulation des conflits au niveau mondial. Entre 1990 et 2001 le nombre de conflits interétatiques a explosé : 57 conflits majeurs sur 45 territoires distincts. […] Officiellement, le départ pour la guerre contre une nation adverse est toujours légitimé par des mobiles vertueux : défense de la liberté, démocratie, justice… Dans les faits, les guerres permettent de contrôler économiquement un pays, mais aussi de faire en sorte que les entrepreneurs privés d’une nation puissent accaparer les matières premières (pétrole, uranium, minerais, etc.) ou les ressources humaines d’un pays. » [3]

    Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le discours de légitimation des guerres s’est construit essentiellement sur le « danger islamiste » contribuant au développement d’une islamophobie à grande échelle au sein des principales puissances occidentales, que les rapports officiels eux-mêmes sont contraints de constater. [4] Dans le même temps, ces guerres produisent une solide « haine de l’occident » dans les peuples victimes de ces agressions militaires. [5] Les guerres menées par l’occident sont une des principales matrices de la bête immonde.

    Dans la volonté de contrôle des richesses pétro-gazières, le Proche et le Moyen-Orient sont un enjeu géostratégique central. Les stratégies des puissances occidentales en général et françaises en particulier, se déploient sur deux axes : le renforcement d’Israël comme base et pivot du contrôle de la région, et le soutien aux pétromonarchies réactionnaires du golfe.

    Le soutien indéfectible à l’Etat d’Israël est ainsi une constante de la politique française ne connaissant pas d’alternance, de Sarkozy à Hollande. L’État sioniste peut assassiner en toute impunité sur une grande échelle. Quels que soient l’ampleur et les moyens des massacres, le gérant local des intérêts occidentaux n’est jamais véritablement et durablement inquiété. François Hollande déclare ainsi lors de son voyage officiel en Israël en 2013 : « je resterai toujours un ami d’Israël ». [6]

    Et, là aussi, le discours médiatique et politique de légitimation d’un tel soutien se construit sur la base d’une présentation du Hamas palestinien mais également (à travers des imprécisions verbales récurrentes) de la résistance palestinienne dans son ensemble, de la population palestinienne dans son ensemble et de ses soutiens politiques internationaux, comme porteurs d’un danger « islamiste ». La logique « du deux poids, deux mesures » s’impose une nouvelle fois à partir d’une approche islamophobe portée par les plus hauts sommets de l’État et relayée par la grande majorité des médias et des acteurs politiques.

    Tel est le second profil du ventre de la bête immonde.

    Ces facteurs internationaux se conjuguent à des facteurs internes à la société française. Nous avons déjà souligné, plus haut, l’islamophobie d’État, propulsée par la loi sur le foulard en 2004 et entretenue depuis régulièrement (discours sur les révoltes des quartiers populaires en 2005, loi sur le niqab, « débat » sur l’identité nationale, circulaire Chatel et exclusion des mères voilées des sorties scolaires, harcèlement des lycéennes en jupes longues, interdiction des manifestations de soutien au peuple palestinien, etc.).
    Il faut maintenant souligner que ce climat islamophobe n’a été confronté à aucune réponse par les forces politiques se réclamant des classes populaires. Plus grave, un consensus très large s’est fait jour à plusieurs reprises, au prétexte de défendre la « laïcité » ou de ne pas frayer avec « ceux qui défendent le Hamas ». De l’extrême-droite à une partie importante de l’extrême gauche, les mêmes arguments ont été avancés, les mêmes clivages ont été construits, les mêmes conséquences ont été produites.
    Le résultat n’est rien d’autre que l’enracinement encore plus profond des islamalgames, l’approfondissement d’un clivage au sein des classes populaires, la fragilisation encore plus grande des digues antiracistes déjà fragilisées, et des violences concrètes ou symboliques exercées contre les musulmans et les musulmanes. Ce résultat peut se décrire, comme le propose Raphaël Liogier, comme la diffusion, dans une partie importante de la société, du « mythe de l’islamisation » débouchant sur la tendance à constituer une « obsession collective ». [7]

    La tendance à la production d’une « obsession collective » s’est de surcroît encore approfondie avec le traitement médiatique récent des cas Zemmour et Houellebecq.
    Après lui avoir offert de multiples tribunes, Eric Zemmour est renvoyé d’I-télé pour avoir proposé la « déportation des musulmans français ». Dans le contexte d’obsession collective que nous avons évoquée, cela lui permet de se poser en victime. Quant à l’écrivain, il est défendu par de nombreux journalistes au prétexte de ne pas confondre fiction et réalité.

    Dans les deux cas cependant, il reste un approfondissement de « l’obsession collective » d’une part, et le sentiment d’être insulté en permanence une nouvelle fois, d’autre part.

    Tel est le troisième profil du ventre de la bête immonde.

    Ce facteur interne d’une islamophobie banalisée a des effets décuplés dans le contexte de fragilisation économique, sociale et politique générale des classes populaires aujourd’hui. La paupérisation et la précarisation massive sont devenues insoutenables dans les quartiers populaires. Il en découle des rapports sociaux marqués par une violence grandissante contre soi et contre les proches. A cela, se combinent le déclassement d’une part importante des classes moyennes, ainsi que la peur du déclassement pour ceux chez qui tout va encore bien mais qui ne sont pas « bien nés ». Ceux-là, se sentant en danger, disposent alors d’une cible consensuelle déjà toute désignée médiatiquement et politiquement comme légitime : le musulman ou la musulmane.

    La fragilisation touche encore plus fortement la composante issue de l’immigration des classes populaires, qui est confrontée aux discriminations racistes systémiques (angle absolument mort des discours des organisations politiques se réclamant des classes populaires), celles-ci produisant des trajectoires de marginalisation (dans la formation, dans l’emploi, dans la recherche du logement, dans le rapport à la police et aux contrôles au faciès, etc.). [8]

    L’approfondissement du clivage entre deux composantes des classes populaires dans une logique de « diviser ceux qui devraient être unis (les différentes composantes des classes populaires) et d’unir ceux qui devraient être divisés (les classes sociales aux intérêts divergents) » est le quatrième profil du ventre de la bête immonde.

    De quoi accouche un tel ventre ?

    Une telle matrice est à l’évidence propice à l’émergence de trajectoires nihilistes se traduisant par la tuerie à Charlie Hebdo. Extrêmement minoritaires, ces trajectoires sont une production de notre système social et des inégalités et discriminations massives qui le caractérisent.

    Mais ce qu’ont révélé les réactions à l’attentat est tout autant important et, quantitativement, bien plus répandu que l’option nihiliste (pour le moment ?).
    Sans pouvoir être exhaustifs, rappelons quelques éléments de ces derniers jours. Du côté des discours, nous avons eu Marine Le Pen exigeant un débat national contre le « fondamentalisme islamique », le bloc identitaire déclarant la nécessité de « remettre en cause l’immigration massive et l’islamisation » pour lutter contre le « djihadisme », le journaliste Yvan Rioufol du Figaro sommant Rokhaya Diallo de se désolidariser sur RTL, Jeannette Bougrab accusant « ceux qui ont traité Charlie Hebdo d’islamophobe » d’être les coupables de l’attentat, sans compter toutes les déclarations parlant « de guerre déclarée ».

    A ces propos, se joignent des passages à l’acte de ces derniers jours : une Femen se filme en train de brûler et de piétiner le Coran, des coups de feu sont tirés contre la mosquée d’Albi, des tags racistes sont peints sur les mosquée de Bayonne et Poitiers, des grenades sont lancées contre une autre au Mans, des coups de feu sont tirés contre une salle de prière à Port la Nouvelle, une autre salle de prière est incendiée à Aix les Bains, une tête de sanglier et des viscères sont accrochés devant une salle de prière à Corte en Corse, un restaurant-snack-kebab est l’objet d’une explosion à Villefranche sur Saône, un automobiliste est la cible de coups de feu dans le Vaucluse, un lycéen d’origine maghrébine de 17 ans est molesté lors d’une minute de silence à Bourgoin-Jallieu en Isère, etc. Ces propos et actes montrent l’ampleur des dégâts d’ores et déjà causés par les dernières décennies de banalisation islamophobe. Ils font aussi partie de la bête immonde.

    La bête immonde se trouve également dans l’absence criante d’indignation face aux victimes innombrables des guerres impérialistes de ces dernières décennies. Réagissant à propos du 11 septembre, la philosophe Judith Butler s’interroge sur l’indignation inégale. Elle souligne que l’indignation justifiée pour les victimes du 11 septembre s’accompagne d’une indifférence pour les victimes des guerres menées par les USA : « Comment se fait-il qu’on ne nous donne pas les noms des morts de cette guerre, y compris ceux que les USA ont tués, ceux dont on n’aura jamais une image, un nom, une histoire, jamais le moindre fragment de témoignage sur leur vie, quelque chose à voir, à toucher, à savoir ? ». [9]

    Cette indignation inégale est à la base du processus de production d’un clivage bien réel au sein des classes populaires. Et c’est ce clivage qui est porteur de tous les dangers, notamment en période de construction de « l’union nationale », comme aujourd’hui.
    L’union nationale qu’ils rêvent de construire, c’est « toutes et tous ensemble contre ceux qui ne sont pas des nôtres, contre celles et ceux qui ne montrent pas patte blanche ».

    Une formidable instrumentalisation politique

    Mais le scandale que nous vivons aujourd’hui ne s’arrête pas là. C’est avec un cynisme consommé que des instrumentalisations de la situation, et de la panique qu’elle suscite, se déploient à longueur de journée.

    * Renforcement sécuritaire et atteintes aux libertés démocratiques

    Certains, comme Dupont Aignan, réclament « plus de souplesse aux forces de l’ordre » alors qu’une nouvelle « loi antiterroriste » a déjà été votée l’automne dernier. Et, en écho, Thierry Mariani fait référence au Patriot Act états-unien (dont la conséquence a été de graves atteintes aux libertés individuelles sous prétexte de lutte contre le terrorisme) : « Les Etats-Unis ont su réagir après le 11 Septembre. On a dénoncé le Patriot Act, mais, depuis, ils n’ont pas eu d’attentat à part Boston ». [10]

    Instrumentaliser la peur et l’émotion pour renforcer des lois et mesures liberticides, telle est la première manipulation qui est aujourd’hui testée pour mesurer le champ des possibles en matière de régression démocratique. D’ores et déjà, certaines revendications légitimes et urgentes sont rendues inaudibles par la surenchère sécuritaire qui tente de profiter de la situation : il sera par exemple beaucoup plus difficile de mener le combat contre le contrôle au faciès, et les humiliations quotidiennes qu’il produit continueront à s’exercer dans l’indifférence générale.

    L’unité nationale

    La construction active et déterminée de l’unité nationale est la seconde instrumentalisation majeure en cours. Elle permet de mettre en sourdine l’ensemble des revendications qui entravent le processus de dérégulation généralisé. La ficelle a beau être grosse, elle est efficace dans un climat de peur généralisé, que l’ensemble des médias produisent quotidiennement.

    Dans certaines villes, l’unité nationale est déjà étendue au Front National qui a participé aux rassemblements de soutien à Charlie Hebdo. Dati et Fillon s’indignent déjà de « l’exclusion » de Marine Le Pen de l’unité nationale. C’est cette « unité nationale » qui fait le plus de dégâts politiquement aussi, car elle détruit les rares repères positifs qui pouvaient exister auparavant en termes d’alliances possibles et d’identités politiques.

    L’injonction à se justifier

    Une autre instrumentalisation se trouve dans l’injonction permanente des musulmans réels ou supposés à se justifier pour des actes qu’ils n’ont pas commis, et/ou à se démarquer des auteurs de l’attentat.

    Cette mise en accusation permanente est humiliante. Il n’est venu à l’idée de personne d’exiger de tous les chrétiens réels ou supposés une condamnation lorsque le Norvégien Anders Behring Breivik a assassiné 77 personnes en juillet 2011 en se revendiquant de l’islamophobie et du nationalisme blanc.

    Derrière cette injonction, se trouve la logique posant l’islam comme étant par essence incompatible avec la République. De cette logique découle l’idée de mettre les musulmans, réels ou supposés, sous surveillance non seulement des policiers, mais également des médias, des profs, des voisins, etc.

    Être Charlie ? Qui peut être Charlie ? Qui veut être Charlie ?

    Le slogan « nous sommes tous Charlie » est enfin la dernière instrumentalisation en déploiement ces jours-ci. Si l’attentat contre Charlie Hebdo est condamnable, il est hors de question cependant d’oublier le rôle qu’a joué cet hebdomadaire dans la constitution du climat islamophobe d’aujourd’hui.

    Il est également hors de question d’oublier les odes à Bush que ses pages accueillaient alors que celui-ci impulsait cette fameuse « guerre contre le terrorisme » en Afghanistan puis en Irak. Ces prises de positions écrites ou dessinées ne sont pas des détails ou de simples amusements sans conséquences : elles sont à l’origine de multiples agressions de femmes voilées et de nombreux actes contre des lieux de cultes musulmans.
    Surtout, ce journal a fortement contribué à cliver les classes populaires au moment où elles avaient besoin plus que jamais d’unité et de solidarité. Nous ne sommes PAS PLUS

    Charlie hier qu’aujourd’hui.

    Les temps qui s’annoncent vont être difficiles et coûteux.
    Pour stopper l’escalade, nous devons mettre fin à la violence des dominants : nous devons nous battre pour stopper les guerres impérialistes en cours et abroger les lois racistes.

    Pour stopper l’escalade, nous devons développer tous les cadres et événements de solidarité destinés à empêcher la déferlante des propos ou actes racistes et notamment islamophobes.

    Pour stopper l’escalade, nous devons construire tous les espaces de solidarité économique et sociale possibles dans nos quartiers populaires, en toute autonomie vis-à-vis de tous ceux qui prônent l’union nationale comme perspective.
    Plus que jamais, nous avons besoin de nous organiser, de serrer les rangs, de refuser la logique « divisant ceux qui devraient être unis et unissant ceux qui devraient être divisés ».

    Plus que jamais, nous devons désigner l’ennemi pour nous construire ensemble : l’ennemi c’est tout ce qui nous divise.

    Publié sur Le blog de Saïd Bouamama

  • 10 techniques de manipulation de masse

     

    1/ La stratégie de la distraction

    Élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique. « Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser; de retour à la ferme avec les autres animaux. »
    Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

     

     

    2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions

    Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une « situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple: laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.

     

    3/ La stratégie de la dégradation

    Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient été appliqués brutalement.

     

    4/ La stratégie du différé

    Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.

     

    5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

    La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-age ou un handicapé mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi ? « Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d’une personne de 12 ans ». Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

     

    6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

    Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…

     

    7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise

    Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage. « La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures. Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

     

    8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité

    Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…

     

    9/ Remplacer la révolte par la culpabilité

    Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution!…

     

    10/ Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

    Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.

    Noam Chomsky

  • L'ENFANCE MISÉRABLE DES KOUACHI

    CHARLIE : L'ENFANCE MISÉRABLE DES KOUACHI (MEDIAPART / REPORTERRE)

    Par la rédaction le 15/01/2015 - 15h23 - lu

    Père absent, mère prostituée, un placement dans un foyer violent : l'enfance des frères Kouachi, auteurs de l'attentat contre Charlie Hebdo, est racontée par Mediapart et le site Reporterre. 

    Nous sommes au 156 rue d’Aubervilliers, dans le 19ème arrondissement de Paris, dans les années 1980-1990. Les frères Kouachi vivent chez leur mère. Une habitante du quartier, qui a créé une association pour sortir les enfants de leur environnement, raconte au site Reporterre le contexte dans lequel vivaient les frères Kouachi, qu'elle a bien connus : l'aîné est plus effacé, le cadet remuant. Mais attachant : "J’adorais cet enfant. Il suffisait qu’on le cajole, qu’on le prenne dans les bras pour qu’il se calme. Moi, je l’ai trouvé touchant, ébahi comme tous les autres par la bande à Mickey, explique-t-elle après une sortie à Eurodisney. On les emmenait au cinéma, Chérif adorait y aller".

    Le père est absent, la mère se prostitue pour tenter de subvenir aux besoins de sa famille. "Quelques mois après la sortie à Eurodisney, Chérif rentre de l’école comme chaque midi, poursuit Reporterre. Accompagné comme toujours de son grand frère, il découvre ce midi-là, en plein milieu de l’appartement, sa maman morte. Morte de quoi ? Elle aurait avalé trop de médicaments. Pour beaucoup, il s’agit d’un suicide". Orphelins, les enfants, âgés de 10 et 12 ans, sont placés dans un foyer, en Corrèze.

    Un de leurs amis de l'époque, que Mediapart a rencontré, raconte l'environnement de ce foyer de la fondation Claude Pompidou : "C’était très violent. On se battait beaucoup entre nous. Certains éducateurs avaient peur de nous. On était tous mélangés : des orphelins, des types vraiment dangereux qui avaient commis des choses très, très dures, des requérants d’asile complètement perdus". Une description qui contraste avec celle du directeur du centre, Patrick Fournier, lequel a déclaré au quotidien La Montagne : "Durant leurs parcours chez nous, ils n’ont jamais posé de problèmes de comportement". Ce que confirme un autre pensionnaire, Jean-Henry Rousseau, qui les a cotoyés entre 1994 et 1996 : "Personne à la Fondation n’avait de problèmes avec ces jeunes. Ils étaient sympas. Moi aussi je venais de Paris. On remontait ensemble sur la capitale. C’était des gamins sans histoire, des gamins carrés".

    Foyer en Corrèze

    Selon le témoin de Mediapart, Saïd Kouachi était discret, il ne boit pas, ne fume pas, et finit par obtenir un CAP en hôtellerie. "C’était un musulman modéré. Il n’avait rien contre les autres religions et n’a jamais essayé de m’embarquer", raconte cet ami qui assure qu'il a dû se "faire laver le cerveau par des ordures qui profitent de la faiblesse d’adolescents paumés". 

    Aujourd'hui, l'habitante du 19ème arrondissement qui s'est occupée des enfants culpabilise : "J’ai pleuré. Je me suis dit que je suis responsable. J’aurais dû aider cette maman. On n’aurait jamais dû emmener les enfants à Eurodisney, avec cet argent-là, on aurait dû aider cette maman. Chérif avait une dizaine d’années, pas plus. Finalement, à n’avoir rien vu, nous avons tué cette mère et avons été incapables de sauver ses enfants", raconte-t-elle. Avant de poursuivre : "Chérif était un enfant comme les autres. Mais il n’aura pas reçu d’amour… Il a trouvé dans le fanatisme religieux, la famille qu’il n’a jamais eue. Ils ont su lui monter la tête. En même temps, c’est facile de s’en prendre à des gamins aussi isolés et fragiles. Personne n’était là pour le remettre dans le droit chemin".

     

    Pour elle, la responsable de cette dérive est toute trouvée : c'est la politique de la ville. "Le but était de parquer là les pauvres. Et personne ne s’en occupait. Les assistantes sociales démissionnaient une à une. Elles avaient trop de boulot par chez nous, elles préféraient se faire muter ailleurs".

    Maj 17h20 : rajout des témoignages publiés dans La Montagne.

    L'occasion de revoir notre émission consacrée à Charlie Hebdo, dans laquelle notre chroniqueuse, Judith Bernard, évoquait le malaise social de certains quartiers.

  • CONDAMNATIONS POUR APOLOGIE...

    CONDAMNATIONS POUR APOLOGIE DU TERRORISME : LES "PROVOCATIONS" CONTRE LA POLICE PRISES EN COMPTE...

    ...mais pas la déficience mentale

     Voter pour ce contenu

     Signaler une faute

     

     Version imprimable

     

     Envoyer à  un ami

     

     Discuter sur le forum

    Plus de 70 procédures et un appel solennel du gouvernement à la plus grande fermeté contre tous ceux qui feraient "l'apologie du terrorisme". Depuis quelques jours, les condamnations se multiplient et vont de quatre ans ferme, à en croire les titres de presse, au simple... rappel à la loi. Alors comment expliquer de telles différences dans les peines ? Et l'apologie au terrorisme sur Facebook est-elle plus ou moins sévèrement punie que des menaces en pleine rue ?

    Le gouvernement avait appelé à la "fermeté" contre "l’apologie du terrorisme". La ministre de la Justice avait publié en ce sens une circulaire le 12 janvier, dans laquelle elle demandait aux procureurs de la Républiquede faire preuve d’une "extrême réactivité dans la conduite de l’action publique envers les auteurs de ce type d’infractions".

    Monde1

    Deux jours plus tard, Le Monde comptait plus de 70 procédures ouvertes pour apologie et menaces d’actions terroristes et notait une "répression accrue". Si la plupart des sites de presse qui traitent du sujet rappellent les condamnations les plus lourdes, dont celle à quatre ans fermes (qui n’avait pas grand-chose à voir avec l’apologie du terrorisme comme @si l’expliquait aussi), peu soulignent que tous les prévenus n’ont pas été jugés aussi sévèrement.

    "JE N'AIME PAS CHARLIE, ILS ONT EU RAISON DE FAIRE ÇA"

    Ainsi, un homme, qui a hurlé "je suis fier d’être musulman, je n’aime pas Charlie, ils ont eu raison de faire ça" dans la rue à Saint-Étienne le 11 janvier, a bien commis un délit d’apologie du terrorisme, qui consiste à "présenter ou commenter" publiquement un attentat "sous un jour favorable" selon la circulaire de Taubira. Pourtant, il n’a pas été condamné et a écopé d’un simple rappel à la loi. Idem pour un homme à Courbevoie (92) qui clamait "nique la France, nique Charlie Hebdo". Point commun : aucun des deux hommes ne menaçait quelqu'un en particulier, et rien n’indique qu’ils avaient déjà été condamnés pour d’autres faits.

    Il semble en fait que les peines les plus lourdes ont été prononcées contre des individus ayant menacé directement des policiers ou des fonctionnaires. Dans ces cas-là, les peines semblent en tout cas plus exemplaires.

    "SA PLACE N'EST PEUT-ÊTRE PAS EN PRISON"

    Il en est ainsi pour un Marocain de 38 ans, par exemple, souffrant de problèmes psychiatriques. "Il s'est fait contrôler après avoir fait un doigt d'honneur à la police lundi dans le XIXe arrondissement. Il traite alors les «Français de bouffeurs de porc», qui «méritent ce qui leur est arrivé» et aurait dit selon la police «quand je vois des bombes qui explosent et des policiers qui crèvent, je rigole», «les policiers méritent de mourir, je suis le fils de Ben Laden»", raconte Le Parisien. Alors que le procureur estimait que sa place n'est "peut-être pas en prison", le tribunal a tout de même prononcé une peine de trois mois ferme avec placement en détention immédiate.

    Parisien

    Un Isérois qui souffre d'une "déficience mentale légere" depuis l'enfance a lui été condamné à six mois de prison ferme pour avoir "provoqué une patrouille" de police, explique Metronews, en ces termes "Ils ont tué Charlie, moi j'ai bien rigolé. Par le passé ils ont déjà tué Ben Laden, Saddam Hussein, Mohamed Merah et de nombreux frères... Si je n'avais pas de père ni de mère, j'irai m'entraîner en Syrie".

    Un dernier cas a été largement relayé : une fille de 14 ans a été mise en examen pour avoir menacé des contrôleurs dans le tram à Nantes. "On est les sœurs Kouachi, on va sortir les kalachnikov" a lancé l'adolescente aux agents, pour laquelle le juge des enfants a prononcé une mesure de réparation (alternative éducative à l'incarcération) explique Ouest-France.

    DES PEINES ENCOURUES PLUS LOURDES SUR INTERNET

    Et il n'y a pas qu'en hurlant ce type de propos dans la rue qu'on risque de lourdes peines. Plusieurs cas d'apologie du terrorisme en ligne ont été jugées ces derniers jours. Un homme de 22 ans de Rueil-Malmaison a ainsi été condamné à un an ferme après avoir publié sur Facebook une vidéo dans laquelle "il se moquait d'Ahmed Merabet, le policier abattu lors de l'attaque contre Charlie Hebdoraconte Metronews, qui précise toutefois qu'il était connu de la police pour des affaires de stupéfiants. Next Inpact a recensé au moins quatre autres condamnations à de la prison ferme pour des messages postés pour les réseaux sociaux, en plus du jeune de Rueil-Malmaison et de la mise en examen de Dieudonné (dont @si parlait ici et ).

    Un Varois de 27 ans a ainsi écopé d'un an de prison dont trois mois ferme pour avoir dit, sur Facebook, «On a bien tapé, mettez la djellaba, on ne va pas se rendre, il y a d'autres frères à Marseille». Il avait pourtant avoué avoir "agi par bêtise, pour faire le buzz" avant de présenter ses excuses. Deux Castrais ont été condamnés à respectivement 5 et 12 mois ferme pour des faits similaires, sur le même réseau social. Idem pour un jeune homme de 18 ans de Châlons-en-Champagne : trois mois de prison ferme pour avoir écrit "Il faut rafaler, rafaler (...), nique sa mère Charlie (...), il y en aura d'autres (...), mort à la France" et publier une photo de djihadistes armés.

    NxI

    Des condamnations parfois lourdes, qui s'expliquent notamment par le fait que la loi antiterroriste de novembre 2014, en plus de faciliter les condamnations pour apologie du terrorisme, a revu à la hausse les condamnations pour ce délit s'il est commis en ligne : la peine maximale encourue est passée de cinq à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende (@si vous en parlait ici). Une sévérité qui fait bondir la Ligue des droits de l’homme, citée par Next Inpact. Celle-ci est très critique vis-à-vis de la dernière loi antiterrorisme, qui créerait un quasi-"délit d’opinion" : "les récentes poursuites en rafale sur la base de cette nouvelle disposition, au motif d’une apologie du terrorisme, donnent lieu à des condamnations parfois importantes, et sont prononcées dans les conditions détestables qui sont celles des comparutions immédiates, alors que le plus souvent il s’agit d’actes d’ivrognes ou d’imbéciles sans même aucune publicité".

    SANCTION ADMINISTRATIVE POUR UNE PROF

    Outre les sanctions pénales, une mesure de suspension a été prise à l'encontre d'une enseignante de Bobigny. En cause, le discours complotiste qu'elle aurait tenu face à une classe, et que des élèves ont enregistré. Un incident rapporté par Le Monde : "Mme M. évoque«le flic soi-disant mort». Elle ajoute qu’«on n’a pas vu les corps des journalistes». «Vous trouvez pas ça bizarre qu’il en manquait un à leur réunion?», interroge l’enseignante en évoquant la conférence de rédaction de l’hebdomadaire satirique".

     
  • « Nique la France »

     
     

    14 janvier 2015

    Article en PDF : Enregistrer au format PDF
     

    Le rappeur Saïdou du groupe Z.E.P (Zone d’expression populaire) et le sociologue et militant Saïd Bouamama sont mis en examen pour « injure publique » et « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence » sur une plainte de l’Agrif, un groupe d’extrême droite nostalgique de l’Algérie française. Comme des millions de gens à travers le globe ces dernières années, les deux auteurs ont attaqué le colonialisme et le système capitaliste et impérialiste. Comme beaucoup d’entre nous, ils dénoncent une idéologie toujours très en vogue : le racisme, sous ses formes les plus courantes mais aussi les plus décomplexées. Comme de nombreux habitants des quartiers populaires, ils ont crié leur colère contre les inégalités, les discriminations et la justice à double vitesse. C’est pour cela qu’ils sont poursuivis en justice. Le procès de Saïdou Zep et de Saïd Bouamama aura lieu le 20 janvier, à 13h30 au TGI de Paris. (4 Boulevard du Palais, 75001 Paris - Métro Cité Ligne 4) Soyons nombreuses et nombreux à nous mobiliser, c'est la liberté d'expression qui y est directement attaquée.

     

    Nous vivons des discriminations racistes massives, systémiques, structurelles et institutionnelles. Celles-ci touchent l’ensemble des sphères de notre existence (scolarité, formation, emploi, logement, rapport à la police, etc.) faisant de nous un groupe social infériorisé, délégitimé, assigné aux places les plus précaires, les plus dégradées, les plus inégales de la société française.

    Nous sommes l’objet de campagnes idéologiques régulières nous construisant comme « barbares », « homophobes », « antisémites », « allergiques à la laïcité », « terroristes », etc.

    L’islamophobie s’impose progressivement comme seule porte d’entrée pour faire de nous des « ennemis de l’intérieur » à mettre sous surveillance, à traquer, à réprimer, etc. Notre intimité est violée par des débats médiatiques et politiques insultants. De la loi sur le foulard à l’école au projet de loi sur la « burqa », en passant par le débat sur les minarets, celui sur ladite « identité nationale » et celui sur la révolte des quartiers populaires en novembre 2005.

    La production systématique d’humiliations à l’endroit de tout un groupe social continue et s’amplifie. Nous sommes enfermés systémiquement dans des frontières qui pour être invisibles n’en sont pas moins réelles. L’ouverture des check points pour quelques uns, largement médiatisés, n’occulte aucunement qu’ils sont infranchissables pour la grande majorité des nôtres.

    Du guichet des préfectures au contrôle de police, en passant par la sélection scolaire et les discriminations à l’emploi, notre quotidien est le rappel permanent de ces frontières. Nous sommes en permanence sommés à l’allégeance. À la soumission. À la justification. À la politesse. À la discrétion. À l’invisibilité. Alors même que la sauvegarde de notre dignité exige de la révolte. De la lutte. De la visibilité. De l’impolitesse.

    De l’irrévérence. De l’insoumission. De l’impatience égalitaire. Nous sommes sommés d’aimer le système qui nous opprime. Nous sommes accusés de « communautarisme » lorsque nous tentons de nous organiser entre dominés de manière autonome. Lorsque nous ne baissons plus la tête et que nous refusons d’être invisibilisés. Ce « communautarisme » diabolisé est pourtant dans le contexte de domination qui est le nôtre, un rempart contre la dépersonnalisation. La décomposition. La « haine de soi ».

    Pourquoi diable aurions-nous honte d’être Arabe, Noir, Musulman… D’être des non-Blancs. Nous sommes accusés de « victimisation » lorsque nous nous contentons de dénoncer les discriminations racistes massives que nous subissons et que nous exigeons d’être traités égalitairement. Nous sommes objectivement des victimes d’un système raciste se traduisant par des discriminations massives et systémiques.

    Quel est donc ce Nous ? Ce nous est à la fois un héritage de la colonisation et une production permanente du système social français actuel. Ce nous est repérable statistiquement dans les multiples travaux de recherches mettant en exergue les catégories touchées par les discriminations et les inégalités. Ce nous est facilement cernable par l’observation des stigmatisations médiatiques et politiques régulières d’une origine, d’un statut juridique, d’une couleur de peau, d’une religion.

    Ce nous est composé des Noirs, des Arabes et des Musulmans de France, quels que soient leur statut juridique et leur nationalité. C’est d’abord et surtout à ce nous que nous nous adressons pour qu’il relève encore plus la tête. Pour qu’il s’organise de manière autonome. Pour qu’il ne se berce plus d’illusions devant les fausses promesses, les discours d’intentions et/ou de compassions et les mythes de la République (égalité des chances, fraternité, pensée des Lumières, etc.) que l’on nous brandit pour nous endormir. Notre avenir dépend d’abord de nous-mêmes. Des luttes que nous serons capables de mener. Des rapports de force que nous serons à même de poser.

    De l’autonomie politique, revendicative, organisationnelle que nous serons en mesure de bâtir. Désormais, nous avons le choix entre la passivité productrice d’une sous-citoyenneté et la lutte productrice de progrès.

    Nous nous adressons ensuite aux « Blancs » qui refusent sans ambiguïté ce système raciste caractérisant la société française, mais qui sont cependant conscients de bénéficier d’un statut de « petits Blancs ». Ils sont produits et construits par un système social raciste qui les met à une place différente de la nôtre par la distribution d’avantages ou de privilèges aux uns, et de désavantages et de traitements inégalitaires aux autres. En construisant une rareté des biens (logement, travail, formation, etc.), ce système social produit une concurrence entre les Blancs et les non-Blancs, poussant les uns à adopter une mentalité de « petits Blancs », comme à l’époque coloniale, et cantonnant les autres à un statut d’indigènes.

    C’est pour cette raison que nous exigeons, aujourd’hui, tout de suite, et dans toutes les sphères de la vie sociale : l’égalité de traitement. Par ailleurs, nous savons aussi que l’histoire coloniale et le système social français actuel ont imprégné et imprègnent profondément toutes les couches et classes sociales de la société française. C’est parce que nous voulons rompre radicalement avec cette imprégnation, qui pour nous prend la forme d’une mentalité du colonisé embrassant la main de son tortionnaire, que nous exigeons la même rupture radicale avec les postures de petits Blancs, les postures paternalistes, civilisatrices, intégrationnistes, etc.

    En 1984, lors d’une de nos marches nationales (Convergence 84 pour l’égalité), nous disions déjà être dans les caves de la société française, mais aussi qu’en tâtonnant dans le noir, nous nous apercevions que des Blancs étaient dans ces caves, juste à l’étage au-dessus. Nous ne nous faisions aucune illusion quant à leur paternalisme. Cependant, nous en appelions à la convergence car nous considérions qu’eux aussi, en tant que pauvres, étaient mis à la marge de la société. Nous ne sommes pas surpris pour autant de constater aujourd’hui, 25 ans après, que nous en sommes à des débats sur la « burqa », l’identité nationale, à des expulsions de sans-papiers dans l’indifférence générale, à la multiplication des crimes racistes et à des discriminations faisant désormais système, qui attestent de l’échec de cette inclusion proposée. La seule conclusion possible, dans ce contexte, est la nécessité de construire une posture de rupture nette, claire, radicale, avec tous les discours mystificateurs produits et diffusés pour légitimer et faire perdurer les inégalités et les injustices de cette société et de cette France qui n’a jamais été décolonisée. Ainsi que l’exigence d’une autonomie inviolable des modes d’énonciation du « soi » et du « nous ».

    C’est pourquoi nous disons calmement et sereinement « Nique la France » coloniale, raciste et inégalitaire. Si cette expression est apparue spontanément dans la bouche de jeunes des quartiers populaires, et ensuite dans des titres et des paroles de chansons, ce n’est ni par une attirance particulière vers la vulgarité ni pour les connotations sexuelles que certains y voient. Cela fait bien longtemps que cette expression signifie le refus de l’insupportable. Le rejet d’une place assignée. La volonté de ne plus être un objet parlé mais de devenir un sujet parlant. Toutes les lois et répressions du monde ne pourront rien contre l’expression du refus d’une vie d’esclave ou d’indigène.

    Siffler la Marseillaise ou dire « Nique França » est un acte politique qui se décline dans une multitude de formes. Il signifie le refus de la place assignée.

    « Nique França » ne dit pas : « Je suis ceci ou cela », mais « Je conteste d’être ceci », « Je refuse d’être cela », « Je m’insurge contre la place à laquelle on veut m’assigner » ;

    « Nique la France » c’est le refus de l’invisibilité et de la discrétion. C’est l’affirmation de notre droit à être ce que nous sommes et à le montrer ostensiblement ;

    « Nique la France » c’est refuser l’injonction de déférence et de politesse envers un fonctionnement social qui nous opprime. Nous exploite. Nous stigmatise. Et nous relègue ;

    « Nique la France » c’est nous affirmer comme seuls porteurs de notre émancipation en refusant une « intégration », une « assimilation », une « civilisation » que l’on a définit pour nous comme si nous n’étions que de la pâte à modeler, façonnable à souhait ;

    Le « Nique la France » perdurera tant que durera l’inégalité. Il ne peut disparaître tant que subsistent l’oppression et les discriminations. Il est engendré en permanence par nos conditions d’existence et les violences physiques, sociales, symboliques qui les caractérisent. Aucune personne ni aucun groupe n’a le moindre pouvoir de le faire disparaître tant que ses causes profondes sont encore en œuvre.

    Nous ne voulons plus être sur la défensive et la justification, car ces postures sont celles de la domination intériorisée. Nous nous situons dans l’exigence d’une égalité immédiate et non dans la plainte ou la négociation.

    Nous n’avons qu’une colère, mais elle est profonde : celle contre les injustices ; nous n’avons qu’une haine, mais elle est profondément enracinée : celle envers l’oppression. Nous n’avons qu’une passion, mais elle est totale : celle de l’égalité.