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  • Philippe Tesson se lave les mains

    Philippe Tesson se lave les mains, France Inter et Le Monde fournissent le savon

    par Henri Malerle 24 janvier 2015

    Bienheureux Philippe Tesson !

    (1) Après s’être livré sur Europe 1, le 13 janvier 2015, à une violente charge contre les musulmans de France (dont nous avions relevé avec quelle complaisance elle avait été fréquemment accueillie), Philippe Tesson a bénéficié du témoignage de moralité de son propre fils, Sylvain Tesson : Europe 1 (encore !), le 20 janvier, a donné à ce dernier l’occasion de défendre son père dont les déclarations auraient, selon lui, dépassé la pensée. Complaisamment, Le FigaroL’Express et le Huffington Post ont relayé la défense du fiston.

    (2) Ce n’était pas assez. Le preux défenseur de la laïcité contre les musulmans qui « amènent la merde en France » était reçu sur France Inter, lors du 7-9 du 22 janvier 2015, en qualité d’invité de Léa Salamé. Une invitation confraternelle en quelque sorte, destinée à permettre à Philippe Tesson de se justifier (et que l’on peut consulter notamment sur le site du Monde).

    Pour sa défense, le cher confrère distingue la forme et le fond alors qu’en l’occurrence la forme est indissociable du fond : une distinction que Léa Salamé, pourtant insistante, lui concède. Ce qui permet à Tesson de se dédouaner sur la forme… en modifiant le fond. Inutile de reproduire la totalité de son indécent et confus bavardage. Il suffit relever ces deux points :

    - D’abord, il se croit obligé de corriger Léa Salamé quand elle le cite de façon inexacte. Non il n’a pas dit que les musulmans « foutent la merde », mais précise-t-il, qu’ils « amènent la merde ». Nuance ! Mais d‘où l’amènent-il ? Léa Salamé n’a pas relevé cette stupéfiante rectification.

    - Ensuite, il prétend se répéter sur le fond en déclarant (ce qui est déjà une généralisation antimusulmane) ceci : « je crois que je n’ai pas complètement tort, tout le monde en convient, s’il y a un problème avec la laïcité, ce ne sont pas les chrétiens qui le posent pour l’instant […], ce sont les musulmans ». Or il avait déclaré : « Ce qui a créé le problème, ça n’est quand même pas… c’est pas les Français. […] D’où vient le problème ? D’où vient le problème de l’atteinte à la laïcité sinon des musulmans ? ». Des pas-français ou des pas-vraiment français : on comprend pourquoi, aux yeux de Tesson, ils « amènent la merde » puisqu’ils viennent d’ailleurs. Léa Salamé, pas plus que ses confrères, n’a relevé le propos initial : elle n’a donc pas relevé la correction qui ne le corrige pas !

    (3) Défenseur lui aussi de la veuve, de l’orphelin et du Philippe Tesson, Le Monde (mais aussi Sud Ouest) résuma le contenu des propos tenus sur France Inter. Les chers confrères ayant déjà parlé d’un simple « dérapage », le titre de l’article du Monde le concède d’emblée : « Philippe Tesson admet un "dérapage" sur les musulmans, mais se défend "sur le fond" » [1].

    Pour évoquer le prétendu « dérapage », le scrupuleux quotidien ne retient que cette phrase : « D’où vient le problème ? D’où vient le problème de l’atteinte à la laïcité, sinon des musulmans ? On le dit, ça ?! Moi je le dis ! ». Et il oublie la phrase qui précède et qu’il nous faut répéter : « Ce qui a créé le problème, ça n’est quand même pas… c’est pas les Français. »

    Un jour viendra, soyons en certains, même s’il faudra sans doute un certain temps, où les « grands » journalistes prêteront attention à ce que disent leurs confrères mis en cause, sans atténuer leurs propos les plus indignes, au moment même où ils entendent s’en démarquer.

    Henri Maler

    Notes

    [1] Titre également choisi par Sud Ouest.

  • Choisir ses combats

    par Serge Halimi, février 2015

    Août 1914 : l’union sacrée. En France comme en Allemagne, le mouvement ouvrier chancelle ; les dirigeants de la gauche politique et syndicale se rallient à la « défense nationale » ; les combats progressistes sont mis entre parenthèses. Difficile de faire autrement alors que, dès les premiers jours de la mêlée sanglante, les morts se comptent par dizaines de milliers. Qui aurait entendu un discours de paix dans le fracas des armes et des exaltations nationalistes ? En juin, en juillet peut-être, il restait possible de parer le coup.

    Un siècle plus tard, nous en sommes là. Le « choc des civilisations » ne constitue encore qu’une hypothèse parmi d’autres. La bataille qui semble s’engager en Europe, en Grèce puis en Espagne permettra peut-être de la conjurer. Mais les attentats djihadistes favorisent le scénario du désastre ; une stratégie de « guerre contre le terrorisme » et de restriction des libertés publiques aussi. Ils risquent d’exacerber toutes les crises qu’il importe de résoudre. Telle est la menace. Y répondre sera l’enjeu des mois qui viennent.

    Un dessinateur est-il libre de caricaturer le prophète Mohammed ? Une musulmane, de porter la burqa ? Et les juifs français, vont-ils émigrer plus nombreux en Israël ? Bienvenue en 2015... La France se débat dans une crise sociale et démocratique que les choix économiques de ses gouvernements et de l’Union européenne ont aggravée. Les thèmes de l’arraisonnement de la finance, de la répartition des richesses, du mode de production ont enfin pris racine dans la conscience publique. Mais, à intervalles réguliers, les questions relatives à la religion les relèguent au second plan (1). Depuis plus de vingt ans, l’« islam des banlieues », les « insécurités culturelles », le « communautarisme » affolent les médias comme une partie de l’opinion publique. Des démagogues s’en repaissent, impatients de gratter les plaies qui leur permettent d’occuper la scène. Tant qu’ils y parviendront, aucun des problèmes de fond ne sera débattu sérieusement, même si presque tout le reste découle de leur solution.

    L’assassinat de douze personnes, en majorité journalistes et dessinateurs, le 7 janvier dernier dans les locaux de Charlie Hebdo,puis de quatre autres, toutes juives, dans un magasin kasher a suscité un sentiment d’effroi. Bien qu’ils aient été commis en invoquant l’islam, ces crimes spectaculaires n’ont pas, pour le moment, enclenché le cycle de haines et de représailles que leurs inspirateurs escomptaient. Les assassins ont en partie réussi : des mosquées sont attaquées ; des synagogues, gardées par la police ; quelques jeunes musulmans — radicalisés, souvent médiocrement instruits des règles de leur foi, en tout cas peu représentatifs de leurs coreligionnaires (lire « Les chemins de la radicalisation ») — sont tentés par le djihad, le nihilisme, la lutte armée. Mais les assassins ont également échoué : ils ont garanti une vie éternelle à l’hebdomadaire qu’ils voulaient anéantir. Gageons cependant que, dans l’esprit de leurs commanditaires, cette bataille-là était secondaire. L’issue des autres dépendra de la résistance de la société française et de la renaissance en Europe d’une espérance collective.

    Mais soyons modestes. Nos grosses clés n’ouvrent pas toutes les serrures. Nous ne sommes pas toujours en mesure d’analyser l’événement séance tenante. S’arrêter, réfléchir, c’est prendre le risque de comprendre, de surprendre et d’être surpris. Or l’événement nous a surpris. La réaction qu’il a suscitée, aussi. Jusqu’à présent, les Français ont tenu le choc. En manifestant en masse, dans le calme, sans trop céder aux discours guerriers de leur premier ministre Manuel Valls. Sans s’engager non plus dans une régression démocratique comparable à celle que les Etats-Unis ont vécue au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 — même s’il est inepte autant que dangereux de condamner des adolescents à des peines de prison ferme au seul motif de propos provocateurs.

    Nul ne peut imaginer cependant les conséquences éventuelles d’une nouvelle secousse du même ordre, a fortiori de plusieurs. Parviendraient-elles à enraciner une ligne de fracture opposant entre elles des fractions de la population qui se détermineraient politiquement en fonction de leur origine, de leur culture, de leur religion ? C’est le pari des djihadistes et de l’extrême droite, y compris israélienne, le péril immense du « choc des civilisations ». Refouler cette perspective réclame non pas d’imaginer une société miraculeusement apaisée — comment le serait-elle avec ses ghettos, ses fractures territoriales, ses violences sociales ? —, mais de choisir les combats les plus susceptibles de porter remède aux maux qui l’accablent. Cela impose, d’urgence, une nouvelle politique européenne. En Grèce, en Espagne, le combat s’engage...

  • Liberté d’expression

    Liberté d’expression : « deux poids, deux mesures » insupportable ?

    Publié le 30 janvier 2015 dans Libertés publiques

    Double discours sur le blasphème, sur le droit au débat, sur l’apologie du terrorisme : empêtré dans ses contradictions, le Gouvernement choisit la répression pour étouffer toute contestation.

    Par Matthieu Vasseur.

    Justice credits Michael Coghlan (licence creative commons)

    Depuis l’attentat de Charlie Hebdo, l’accusation enfle dans les « quartiers » et les écoles ; elle est relayée par des intellectuels et même, en haut-lieu,par des têtes couronnées : entre le blasphème du Prophète et celui de la Shoah et, par ricochet, entre les Musulmans et les Juifs, l’État français pratiquerait le « deux poids, deux mesures ».

    Cette accusation suscite l’ire de Manuel Valls. Lors de son adresse post-Charlie au Parlement, il consacre une longue digression à son obsession, Dieudonné, qui n’a pourtant pas grand-chose à voir avec les attentats.

    La criminalisation du négationnisme relève d’un débat en soi : est-il opportun de judiciariser l’Histoire ? L’affaire du « détail », le « Durafour-crématoire », les « Shoahnanas » et autres « quenelles » sont cependant d’un autre ordre. Point d’affirmation historique ici, mais une trivialisation, une insolence affichée vis-à-vis de la tragédie de la Shoah. Des propos et des gestes qui choquent, qui blessent et qui scandalisent les rescapés des camps de concentration. Des blasphèmes. Qui sont impitoyablement réprimés.

    Les caricatures obscènes de Mahomet dans Charlie Hebdo ? De sympathiques « impertinences » selon Manuel Valls. Mais des insultes qui choquent, qui blessent et qui scandalisent les Musulmans. Des blasphèmes. Que le Premier Ministre brandit ostensiblement du perron de l’Élysée.

    Cette inégalité juridique aurait pu rester une zone grise parmi d’autres d’un système juridique qui en regorge. Mais Manuel Valls avait besoin d’imposer une « figure du Mal » afin d’asseoir son autorité sur le « camp du Bien ». Tactique « bushiste » somme toute banale ; mais tout le monde n’ayant pas un Ben Laden sous la main, il lui a fallu se rabattre sur un comédien. De cette vendetta picrocholine, il fit une bataille cosmique. Aujourd’hui, le piège s’est refermé sur lui, et c’est toute la société française qui est prise en otage. Des millions de Français lui renvoient Dieudonné à la figure, et la proclamation du droit au blasphème n’apparaît plus que comme une hypocrisie, voire une machine de guerre contre une communauté.

    deux poids deux mesures justice rené le honzec

    La mise en scène de la fureur du Premier Ministre peine à masquer l’indigence de son argumentation. Devant le Parlement, il enjoint la Justice de se montrer « implacable » : clairement, la séparation des pouvoirs ne fait pas partie des fameuses « Valeurs de la République » !

    Ces « Valeurs de la République », c’est Najat Vallaud-Belkacem qui va devoir les inculquer aux élèves. Elle, c’est la liberté d’expression qui lui pose problème. « Il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les « Oui je soutiens Charlie, mais », les « deux poids, deux mesures », les « pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? » Ces questions nous sont insupportables (…) ».

    Elle est comme ça, Najat : elle veut des débats, mais pas de « questionnements », qui lui sont « insupportables », des débats Champomyen quelque sorte. Par contre, que les enfants dont elle a la charge soient menottés et placés en garde à vue simplement pour avoir dit « Ils ont eu raison », ça, elle supporte. Il faut dire que des ados qui font de la provoc, a-t-on jamais vu cela ?

    Christiane Taubira, elle, a vu bien pire que cela. En 2011, avant de devenir Ministre de la Justice, elle revendiquait avec fierté ses glorieuses annéesde lutte armée contre la France, quand son mari d’alors était emprisonné pour terrorisme (attentat raté contre une installation pétrolière) : « Moi je n’ai pas un discours indépendantiste, j’ai une pratique militante indépendantiste, ce n’est pas la même chose. J’ai vécu en clandestinité. Tous les deux jours je devais changer de lieu, tout en trimbalant un bébé de deux mois. J’ai pris des risques, mon époux a été en prison pendant un an et demi. Mes autres camarades ont été emprisonnés. Donc ce n’est pas une question de discours, c’est une pratique politique ». Aujourd’hui, lambris ministériels et limousine avec chauffeur aidant, la pasionaria indépendantiste est devenue l’adversaire intraitable de « l’apologie du terrorisme », contre laquelle elle exige « rigueur et fermeté ». Les icônes, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.

    Double discours sur le blasphème, double discours sur le droit au débat, double discours sur l’apologie du terrorisme : empêtré dans ses contradictions, le Gouvernement choisit la fuite en avant répressive pour étouffer toute contestation. Combien de Moussa, de Noureddine et d’Oussama faudra-t-il encore sacrifier sur l’autel de la déraison d’État ?

  • La vérité sur la caricature en islam

     

    Publié le 24 janvier 2015 dans Religion

    La caricature n’est pas interdite en islam, mais dans la Bible !

    Par Farhat Othman.

    Le drame de Charlie Hebdo a été qualifié à juste titre de 11 septembre de l’Europe. J’ajouterai qu’il sera aussi le 11 septembre de la lecture actuelle de l’islam qui est une lecture erronée, bien plus conforme à une tradition judéo-chrétienne qu’à la nature originelle de l’islam.

    La caricature n’est pas interdite en islam, mais dans la Bible !

    Nous parlons ici d’islam pur, celui du Coran et de la Sunna authentique, telle que compilée par les deux plus fiables recensions des dires prophétiques que sont les Sahihs de Boukhari et Mouslem.
    Dans ces deux sources majeures devant être exclusives de l’islam aujourd’hui, il n’est fait aucune interdiction de la caricature ni même de la représentation imagée, contrairement à ce que l’on croit communément. La conception qui prévaut actuellement chez nous est issue de la tradition judéo-chrétienne.

    Dans la Bible, l’interdit est explicite. On lit ainsi dans le Livre de l’Exode : « Tu ne te feras pas d’idole ni de représentation quelconque de ce qui se trouve en haut dans le ciel, ici-bas sur la terre, ou dans les eaux plus bas que la terre ».

    On explique une telle prohibition dans le judaïsme par la distance devant exister entre Dieu et ses créatures, une distance qui rappelle chez les hommes la séparation stricte des gouvernants et des gouvernés.

    Or, dans l’islam, le croyant est bel et bien dans l’intimité de Dieu. On se rappelle, d’ailleurs, que ni le prophète ni les premiers Compagnons ne voulaient être distingués du reste des musulmans. Et il va de soi que ce qu’on se permet avec un intime est plus important que ce que l’on ne se permet pas avec un être distant, omnipotent au point d’être à l’image des dictateurs sur terre.

    S’agissant du christianisme, on a eu ce qu’on a appelé querelle de l’image ou de l’icône qui a fait l’objet de vifs débats depuis l’an 726 de l’ère commune. C’est la guerre entre iconoclastes et iconolâtres qui a dominé les VIIIème et IXème siècles. Et si dans l’Église d’Occident, au XVIème siècle, Jean Calvin et son protestantisme ont fini par imposer l’iconoclasme, cela ne fut pas le cas pour l’Église d’Orient où statuettes, peintures et vitraux ornés de figures de saints ont été toujours honorés.

    En islam, ce qu’il y a vraiment, c’est une réprobation fort compréhensible envers tout ce qui était, à l’époque de la révélation, de nature à rappeler ou faire revivre les pratiques idolâtres caractérisant un polythéisme juste moribond de l’Arabie préislamique. Il y avait donc, non pas une condamnation de l’image, mais de son utilisation en tant que culte des divinités. Ce qui est loin d’être le cas de la représentation figurée de nos jours.

    La conception authentique du sacré en islam

    La conception authentique du sacré dans l’islam diffère de celle de la tradition chrétienne qui est plus matérielle, relevant du tabou, alors que la conception de l’islam premier est davantage morale et spirituelle.

    Ce qui est sacré en islam, ce n’est pas ce à quoi l’on ne touche pas, mais ce dont on a l’amour dans le cœur, ce qu’on honore, et en pensée tout d’abord. Car l’intention pure est primordiale dans notre foi.

    L’islam étant venu abattre les idoles, c’est donc l’idolâtrie qui est combattue, non les images ou les caricatures. Or interdire une représentation figurée au nom du sacré en islam revient bien à ériger des idoles morales de figures dont la sacralité doit d’abord être dans les cœurs. Il s’agit là d’une conception restrictive du sacré, réduit à un pur tabou, une idole, alors que la conception islamique est bien plus extensive, particulièrement tolérante et humaniste.

    Par ailleurs, comme le précise à juste titre Tareq Oubrou, imam actuel à Bordeaux, la notion théologique du blasphème n’existe pas en islam. Le concept de manque de respect à Dieu ou au sacré dérive de la théologie chrétienne et ne possède aucun équivalent en arabe.

    De fait, la pensée théologique et philosophique dans l’islam des origines a été davantage en conformité avec l’attitude des philosophes de l’Antiquité. On sait, à ce propos, la vénération vouée par les Arabes pour la Grèce antique, venue conforter la conception islamique des choses.
    Or les Grecs anciens, perpétuant une tradition bien ancrée chez les Égyptiens, les Indiens et les Mésopotamiens, donnaient figure humaine à leurs dieux. Certes, d’aucuns comme Platon n’ont pas cautionné une telle pratique, mais Aristote — qui influença le plus la pensée islamique — n’était nullement contre.

    De plus, si l’islam se distingue par nombre de traits particuliers des autres religions monothéistes, le plus évident est bien qu’il insiste sur le fait que le prophète est un homme comme les autres, essuyant même des caricatures en parole. Le Coran rapporte ainsi que ses adversaires le traitaient de « châtré » pour absence de fils survivant, ainsi que le rappelle l’historienne, Jacqueline Chebbi, précisant que c’est au IXe siècle, au moment où de nombreux chrétiens et juifs se convertissaient à l’islam que la figure de Mahomet a été, d’une certaine façon, «sacralisée», devenant un modèle pour ces nouveaux musulmans en conformité avec leurs traditions d’origine.

    Origines de l’anathème jeté sur la figure imagée

    Rappelons aussi qu’en un temps où il n’y avait pas d’appareils photographiques, la littérature islamique n’a pas manqué d’illustrations du prophète, tellement détaillées qu’elles en arrivaient à être encore plus expressives que la photographie la plus fidèle. Pareillement, l’art pictural n’a jamais manqué en islam de représenter l’homme et le premier d’entre eux, le prophète lui-même.
    S’agissant de la caricature, et en l’absence d’interdit exprès dans l’islam, elle reste autorisée, n’étant que le pendant de la satire. Or, celle-ci est un pan essentiel de l’éloquence arabe, n’ayant jamais été interdite, même du temps du prophète qui a eu recours d’ailleurs aux poètes pour contrer les satires des polythéistes.

    Durant les guerres d’apostasie, on n’a pas compté les caricatures rimées du calife Abou Bakr qui n’a pas pour autant puni leurs auteurs une fois les guerres terminées à son avantage. Parmi ces poètes impertinents, le plus irrespectueux fut Houtaya’a connu pour son extrême méchanceté, jouant en quelque sorte à Charlie avant la lettre.

    Il est vrai que sous Omar, ledit poète eut à pâtir de la sévérité du second calife, mais celui-ci, comme on le sait, n’a pas peu innové en islam, s’écartant de la pure tradition prophétique, faisant l’effort d’interprétation que commandaient son temps et la mentalité de l’époque.

    C’est à un tel effort et à l’exemple du calife Omar que les musulmans aujourd’hui doivent se conformer en acceptant de nouveau la caricature comme un art majeur, participant de l’effronterie propre à la démocratie. Accepter la caricature qui ne dit que le vrai en accentuant les défauts, c’est mériter la démocratie tout simplement.

    Qu’on ne fasse plus intervenir donc le sacré dans un domaine où il n’a pas à s’y trouver, le sacré en islam étant loin d’être une idole, bien plus moral que matériel, différent de la conception judéo-chrétienne en faisant un tabou. Et il n’est pas de tabou en islam, cette foi la moins pudibonde de toutes les religions monothéistes.

    L’anathème jeté actuellement sur l’art de la caricature et de toute représentation imagée est l’œuvre de la jurisprudence musulmane influencée par la tradition judaïque et judéo-chrétienne tardive récupérée par le pouvoir politique pour asseoir son autoritarisme.

    L‘interdiction de la caricature comme arme politique

    Comme on l’a vu, contrairement aux fausses idées reçues, ni le Coran ni la Sunna avérée du prophète n’interdisent donc la représentation figurée. Si une telle erreur flagrante à l’origine d’un véritable mythe pernicieux pour l’islam est entretenue, c’est que les pouvoirs politiques en place ont toujours eu intérêt à développer une interprétation rigoriste de l’islam pour contrôler la société.

    Comme la caricature relève de l’audace et de l’aplomb, le propre d’une démocratie, elle ne peut que déranger les dictatures. Or, les pays arabes musulmans n’ont plus connu les libertés démocratiques depuis la fin de la civilisation de l’islam, leurs dirigeants faisant tout pour garder le pouvoir, quitte à donner une fausse idée de l’islam, en user pour manipuler et/ou contrôler les masses.

    On sait que, dès la victoire de la dynastie omeyyade, l’islam a été dévié de ses sources, étant instrumentalisé par des califes servant leurs intérêts et non la foi monothéiste. Aussi a-t-on fait de l’islam la lecture judéo-chrétienne ci-dessus décrite et qui a atteint ses sommets avec le salafisme. Celui-ci n’est que la transposition en islam de ce qui prévalait chez les juifs et les chrétiens et qui, bien que gommé par la démocratisation et la sécularisation, y est toujours vivace auprès de leurs propres fondamentalistes.

    Il est vrai que dans l’empire islamique, on a vu par moments le bannissement officiel de la moindre représentation figurée, humaine comme animale ; mais cela n’a jamais été la règle et a toujours été fonction de la nature du régime. On en veut pour preuve que ces représentations humaines qui n’ont jamais manqué en Arabie sunnite ou les miniatures de l’islam chiite qui ont abondé en illustrations des figures de l’islam, y compris du prophète, jusqu’au XVIème siècle pour le moins.

    Pour la période récente, c’est le wahhabisme, qui exploite à fond cette veine judéo-chrétienne de sacralisation de la figure du prophète depuis son apparition en Arabie Saoudite au XVIIIème. On ne peut que le comprendre dans un pays qui est une dictature et une théocratie.

    Pour conclure, donc, critiquer Dieu ou le Prophète en islam pur n’est répréhensible que s’il s’accompagne de reniement de la foi, non pas par simple changement de religion, car l’apostasie en islam n’est pas prohibée, mais par une intention de faire varier la religion, en dénaturer les préceptes tels que les consacrent les textes sacrés, Coran et Sunna authentique, et aussi et surtout leurs visées.
    Si, aujourd’hui, on a dans le droit positif des pays arabes et musulmans une catégorie juridique nommée blasphème, elle n’est nullement islamique. Elle est simplement de nature politique, maintenue dans le cadre de lois liberticides propres aux dictatures arabes soutenues par leurs alliés occidentaux qui, rappelons-le, sont de tradition judéo-chrétienne, consciemment ou inconsciemment hostile à l’islam.

     
  • Opinion: Les terroristes en Europe...

    Les terroristes en Europe sont plus voyous qu’islamistes

    Publié le 19 janvier 2015 dans Police et arméesReligionSujets de société

    On accuse des concepts insaisissables, comme l’Islam radical et l’antisémitisme, au lieu de regarder dans notre arrière-cour comment sont nés ces criminels.

    Par Guy Sorman

    frères kouachi attaque de Charlie Hebdo Credit Françoise C (Creative Commons)

    Les attentats à Paris, le 7 janvier, perpétrés au nom de l’Islam, ne peuvent susciter que l’horreur et la réprobation. On ne peut qu’adhérer au mouvement collectif en Occident pour la liberté d’expression et contre l’antisémitisme. Mais, est-il permis dans ce climat d’unanimisme de s’interroger sur la meilleure réponse possible à ces attentats ? Proclamer comme l’a fait le Président François Hollande que« Paris est la capitale du monde », que l’attaque contre une épicerie casher révèle « le retour de l’antisémitisme » ou déclarer comme le Premier ministre Manuel Valls que les démocraties sont « en guerre contre l’Islam radical », autant de slogans, de postures : l’analyse est absente.

    Pire encore, les slogans donnent satisfaction aux terroristes en leur accordant une sorte de grandeur et de légitimité : ces trois petits voyous de banlieue se voient reconnaître, par les plus hautes autorités de l’État et par les foules qui ont défilé dans toute l’Europe, la noblesse idéologique et religieuse qu’ils prétendaient incarner. Certes, on comprend une fois encore que l’on doit manifester indignation et solidarité avec les victimes, mais devrait-on pour autant nier la réalité ? Les « terroristes » n’étaient que des voyous parisiens pour qui l’Islam de pacotille véhiculé par internet fut un costume de scène, une théâtralisation de leur banalité. À se focaliser sur leurs proclamations, on évite de s’interroger sur leur origine et sur leur parcours : on accuse des concepts insaisissables, comme l’Islam radical et l’antisémitisme, au lieu de regarder dans notre arrière-cour comment et de quoi sont nés ces criminels ? Tous trois ont grandi dans le terreau fertile de banlieues françaises, éduqués par des bandes de délinquants plutôt que par l’école, vivant de larcins plutôt que d’exercer un métier,  évoluant dans des quartiers dits de non droit où la police ne pénètre pas, tout en passant par la case prison qui est l’université du crime et de la radicalisation islamiste. Leur séjour en prison, comme il est d’usage en France, fut trop bref pour que ces voyous soient durablement mis à l’écart.

    On ne s’étonnera pas que les trois compères, rejetés par la société française, soient maintenant idéalisés comme des héros dans les quartiers d’où ils sont issus : pareillement après les attentats du 11 septembre, Oussama Ben Laden devint le Robin des Bois de la jeunesse arabe. Antisémitisme et islam radical sont évidemment haïssables, mais les étiquettes ne devraient pas servir à dissimuler les circonstances sociales de la production du crime : un million de jeunes Français d’origine africaine et maghrébine « rouillent » (c’est leur vocabulaire) dans des quartiers sordides, sans écoles, sans lois et sans emplois. Aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’a jamais proposé ni appliqué une politique forte et continue pour éliminer ces conditions objectives qui transforment des paumés en voyous et des voyous en terroristes. Et ceci se vérifie malheureusement dans toutes les capitales en Europe. Traiter ces voyous d’antisémites et d’islamistes est au total une manière commode de ne pas s’interroger sur l’écologie sociale de l’antisémitisme et de l’islamisme. Les termes d’antisémitisme et d’islamisme sont-ils même appropriés ?

    L’antisémitisme en France fut, pendant des siècles, la doctrine de l’Église, puis l’idéologie de la bourgeoisie conservatrice, de l’intelligentsia nationale et enfin, la loi dans l’État de Vichy. L’antisémitisme fut beaucoup plus que la haine des Juifs : cet antisémitisme institutionnel en France a disparu. Qualifier une prise d’otages dans une épicerie casher d’acte antisémite me semble ignorer ce que fut l’antisémitisme et confère à un acte criminel isolé, une profondeur historique dont le voyou de la Porte de Vincennes ignore tout.

    Le terme d’Islamisme radical me semble d’un maniement tout aussi périlleux, car il suppose que l’islamisme est un dérivé de l’Islam : ce qui reste à prouver. La quasi-totalité des dignitaires et autorités religieuses dans le monde musulman n’ont cessé de se désolidariser de l’Islam radical, mais on les écoute peu. Il est pourtant constant, évident que les terroristes islamistes du type des trois voyous parisiens, ne sont que des musulmans de pacotille, « convertis » et disciples d’un imam autoproclamé, américain, émigré au Yémen.

    Au lieu d’utiliser un vocabulaire qui renvoie à des catégories connues, donc rassurantes, mieux vaudrait qualifier cette violence nouvelle avec des mots adéquats sauf à se tromper dans l’analyse et dans les solutions. Le philosophe français André Glucksman avait proposé, après le 11 septembre 2001, de qualifier ces attentats de « nihilistes » : c’était bien vu, puisque ces attentats ne servaient à rien. George W. Bush voulut leur donner une signification rationnelle en les inscrivant dans une« guerre contre la terreur » et s’enferrant dans une succession de conflits par suite de son erreur d’analyse. Il conviendrait après les attentats de Paris de ne pas répéter la même erreur : nous sommes confrontés à des criminels nihilistes en quête d’une cause, mais ce n’est pas la cause – antisémitisme et  Islam radical – qui est à l’origine de leur crime. La cause n’est que l’étiquette : regardons plutôt ce qui se trouve au fond du bocal. Ce bocal nauséabond est plein de mauvaises écoles, de policiers désenchantés, d’un marché de l’emploi verrouillé par un excès de règles, de zones de non droit, de prisons écoles du crime, de politiques d’immigration non appliquées. Nettoyer le bocal  en Europe n’éliminerait pas le terrorisme mais limiterait ses capacités de recrutement. Évidemment, il est plus facile et glorieux de marcher contre le terrorisme que de faire le ménage chez soi.