Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Nique la France »

 
 

14 janvier 2015

Article en PDF : Enregistrer au format PDF
 

Le rappeur Saïdou du groupe Z.E.P (Zone d’expression populaire) et le sociologue et militant Saïd Bouamama sont mis en examen pour « injure publique » et « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence » sur une plainte de l’Agrif, un groupe d’extrême droite nostalgique de l’Algérie française. Comme des millions de gens à travers le globe ces dernières années, les deux auteurs ont attaqué le colonialisme et le système capitaliste et impérialiste. Comme beaucoup d’entre nous, ils dénoncent une idéologie toujours très en vogue : le racisme, sous ses formes les plus courantes mais aussi les plus décomplexées. Comme de nombreux habitants des quartiers populaires, ils ont crié leur colère contre les inégalités, les discriminations et la justice à double vitesse. C’est pour cela qu’ils sont poursuivis en justice. Le procès de Saïdou Zep et de Saïd Bouamama aura lieu le 20 janvier, à 13h30 au TGI de Paris. (4 Boulevard du Palais, 75001 Paris - Métro Cité Ligne 4) Soyons nombreuses et nombreux à nous mobiliser, c'est la liberté d'expression qui y est directement attaquée.

 

Nous vivons des discriminations racistes massives, systémiques, structurelles et institutionnelles. Celles-ci touchent l’ensemble des sphères de notre existence (scolarité, formation, emploi, logement, rapport à la police, etc.) faisant de nous un groupe social infériorisé, délégitimé, assigné aux places les plus précaires, les plus dégradées, les plus inégales de la société française.

Nous sommes l’objet de campagnes idéologiques régulières nous construisant comme « barbares », « homophobes », « antisémites », « allergiques à la laïcité », « terroristes », etc.

L’islamophobie s’impose progressivement comme seule porte d’entrée pour faire de nous des « ennemis de l’intérieur » à mettre sous surveillance, à traquer, à réprimer, etc. Notre intimité est violée par des débats médiatiques et politiques insultants. De la loi sur le foulard à l’école au projet de loi sur la « burqa », en passant par le débat sur les minarets, celui sur ladite « identité nationale » et celui sur la révolte des quartiers populaires en novembre 2005.

La production systématique d’humiliations à l’endroit de tout un groupe social continue et s’amplifie. Nous sommes enfermés systémiquement dans des frontières qui pour être invisibles n’en sont pas moins réelles. L’ouverture des check points pour quelques uns, largement médiatisés, n’occulte aucunement qu’ils sont infranchissables pour la grande majorité des nôtres.

Du guichet des préfectures au contrôle de police, en passant par la sélection scolaire et les discriminations à l’emploi, notre quotidien est le rappel permanent de ces frontières. Nous sommes en permanence sommés à l’allégeance. À la soumission. À la justification. À la politesse. À la discrétion. À l’invisibilité. Alors même que la sauvegarde de notre dignité exige de la révolte. De la lutte. De la visibilité. De l’impolitesse.

De l’irrévérence. De l’insoumission. De l’impatience égalitaire. Nous sommes sommés d’aimer le système qui nous opprime. Nous sommes accusés de « communautarisme » lorsque nous tentons de nous organiser entre dominés de manière autonome. Lorsque nous ne baissons plus la tête et que nous refusons d’être invisibilisés. Ce « communautarisme » diabolisé est pourtant dans le contexte de domination qui est le nôtre, un rempart contre la dépersonnalisation. La décomposition. La « haine de soi ».

Pourquoi diable aurions-nous honte d’être Arabe, Noir, Musulman… D’être des non-Blancs. Nous sommes accusés de « victimisation » lorsque nous nous contentons de dénoncer les discriminations racistes massives que nous subissons et que nous exigeons d’être traités égalitairement. Nous sommes objectivement des victimes d’un système raciste se traduisant par des discriminations massives et systémiques.

Quel est donc ce Nous ? Ce nous est à la fois un héritage de la colonisation et une production permanente du système social français actuel. Ce nous est repérable statistiquement dans les multiples travaux de recherches mettant en exergue les catégories touchées par les discriminations et les inégalités. Ce nous est facilement cernable par l’observation des stigmatisations médiatiques et politiques régulières d’une origine, d’un statut juridique, d’une couleur de peau, d’une religion.

Ce nous est composé des Noirs, des Arabes et des Musulmans de France, quels que soient leur statut juridique et leur nationalité. C’est d’abord et surtout à ce nous que nous nous adressons pour qu’il relève encore plus la tête. Pour qu’il s’organise de manière autonome. Pour qu’il ne se berce plus d’illusions devant les fausses promesses, les discours d’intentions et/ou de compassions et les mythes de la République (égalité des chances, fraternité, pensée des Lumières, etc.) que l’on nous brandit pour nous endormir. Notre avenir dépend d’abord de nous-mêmes. Des luttes que nous serons capables de mener. Des rapports de force que nous serons à même de poser.

De l’autonomie politique, revendicative, organisationnelle que nous serons en mesure de bâtir. Désormais, nous avons le choix entre la passivité productrice d’une sous-citoyenneté et la lutte productrice de progrès.

Nous nous adressons ensuite aux « Blancs » qui refusent sans ambiguïté ce système raciste caractérisant la société française, mais qui sont cependant conscients de bénéficier d’un statut de « petits Blancs ». Ils sont produits et construits par un système social raciste qui les met à une place différente de la nôtre par la distribution d’avantages ou de privilèges aux uns, et de désavantages et de traitements inégalitaires aux autres. En construisant une rareté des biens (logement, travail, formation, etc.), ce système social produit une concurrence entre les Blancs et les non-Blancs, poussant les uns à adopter une mentalité de « petits Blancs », comme à l’époque coloniale, et cantonnant les autres à un statut d’indigènes.

C’est pour cette raison que nous exigeons, aujourd’hui, tout de suite, et dans toutes les sphères de la vie sociale : l’égalité de traitement. Par ailleurs, nous savons aussi que l’histoire coloniale et le système social français actuel ont imprégné et imprègnent profondément toutes les couches et classes sociales de la société française. C’est parce que nous voulons rompre radicalement avec cette imprégnation, qui pour nous prend la forme d’une mentalité du colonisé embrassant la main de son tortionnaire, que nous exigeons la même rupture radicale avec les postures de petits Blancs, les postures paternalistes, civilisatrices, intégrationnistes, etc.

En 1984, lors d’une de nos marches nationales (Convergence 84 pour l’égalité), nous disions déjà être dans les caves de la société française, mais aussi qu’en tâtonnant dans le noir, nous nous apercevions que des Blancs étaient dans ces caves, juste à l’étage au-dessus. Nous ne nous faisions aucune illusion quant à leur paternalisme. Cependant, nous en appelions à la convergence car nous considérions qu’eux aussi, en tant que pauvres, étaient mis à la marge de la société. Nous ne sommes pas surpris pour autant de constater aujourd’hui, 25 ans après, que nous en sommes à des débats sur la « burqa », l’identité nationale, à des expulsions de sans-papiers dans l’indifférence générale, à la multiplication des crimes racistes et à des discriminations faisant désormais système, qui attestent de l’échec de cette inclusion proposée. La seule conclusion possible, dans ce contexte, est la nécessité de construire une posture de rupture nette, claire, radicale, avec tous les discours mystificateurs produits et diffusés pour légitimer et faire perdurer les inégalités et les injustices de cette société et de cette France qui n’a jamais été décolonisée. Ainsi que l’exigence d’une autonomie inviolable des modes d’énonciation du « soi » et du « nous ».

C’est pourquoi nous disons calmement et sereinement « Nique la France » coloniale, raciste et inégalitaire. Si cette expression est apparue spontanément dans la bouche de jeunes des quartiers populaires, et ensuite dans des titres et des paroles de chansons, ce n’est ni par une attirance particulière vers la vulgarité ni pour les connotations sexuelles que certains y voient. Cela fait bien longtemps que cette expression signifie le refus de l’insupportable. Le rejet d’une place assignée. La volonté de ne plus être un objet parlé mais de devenir un sujet parlant. Toutes les lois et répressions du monde ne pourront rien contre l’expression du refus d’une vie d’esclave ou d’indigène.

Siffler la Marseillaise ou dire « Nique França » est un acte politique qui se décline dans une multitude de formes. Il signifie le refus de la place assignée.

« Nique França » ne dit pas : « Je suis ceci ou cela », mais « Je conteste d’être ceci », « Je refuse d’être cela », « Je m’insurge contre la place à laquelle on veut m’assigner » ;

« Nique la France » c’est le refus de l’invisibilité et de la discrétion. C’est l’affirmation de notre droit à être ce que nous sommes et à le montrer ostensiblement ;

« Nique la France » c’est refuser l’injonction de déférence et de politesse envers un fonctionnement social qui nous opprime. Nous exploite. Nous stigmatise. Et nous relègue ;

« Nique la France » c’est nous affirmer comme seuls porteurs de notre émancipation en refusant une « intégration », une « assimilation », une « civilisation » que l’on a définit pour nous comme si nous n’étions que de la pâte à modeler, façonnable à souhait ;

Le « Nique la France » perdurera tant que durera l’inégalité. Il ne peut disparaître tant que subsistent l’oppression et les discriminations. Il est engendré en permanence par nos conditions d’existence et les violences physiques, sociales, symboliques qui les caractérisent. Aucune personne ni aucun groupe n’a le moindre pouvoir de le faire disparaître tant que ses causes profondes sont encore en œuvre.

Nous ne voulons plus être sur la défensive et la justification, car ces postures sont celles de la domination intériorisée. Nous nous situons dans l’exigence d’une égalité immédiate et non dans la plainte ou la négociation.

Nous n’avons qu’une colère, mais elle est profonde : celle contre les injustices ; nous n’avons qu’une haine, mais elle est profondément enracinée : celle envers l’oppression. Nous n’avons qu’une passion, mais elle est totale : celle de l’égalité.

Les commentaires sont fermés.