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  • Ethylotests obligatoires

    A propos des éthylotests obligatoires dans quelques jours…

    Voilà un scandale qui, s'il était connu d'un grand nombre de Français ferait sans doute une onde de choc à travers tout le pays...

    Voilà un scandale qui, s'il était connu d'un grand nombre de Français ferait sans doute une onde de choc à travers tout le pays...  Vous savez sans doute que le gouvernement a récemment publié un décret qui oblige chaque automobiliste à détenir dans sa voiture un éthylotest – enfin deux, l'un pour se tester en cas de doute, et l'autre à présenter aux gendarmes en cas de contrôle. Officiellement, le but est de lutter contre l'alcoolisme au volant. Tout le monde aimerait voir moins de drames sur la route liés à l'alcool,  c'est incontestable. Mais je vais vous montrer qu'il s'agit de bien autre chose ici...  L'affaire est tellement scandaleuse qu'il fallait absolument que je vous envoie un mail pour vous informer ! 

    Alors, voilà ce qui se passe : En juillet, une association, "I-Test" se crée pour militer en faveur d'éthylotests obligatoires dans toutes les voitures. Ils interpellent le Ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, et hop quelques mois plus tard le décret sort. La nouvelle infraction est créée, avec une amende de 17 euros à la clef.  Quand on sait qu'il faut des années d'habitude pour obtenir quoi que ce soit quand on est une association, nous avons été saisis par cette rapidité !  Vous le savez, ici à la Ligue de Défense des Conducteurs, nous enquêtons depuis plus de trois ans sur la répression routière – il ne nous a pas fallu longtemps pour découvrir le pot aux roses !  Qui sont les membres de cette "association" ? S'agit-il, comme on aurait pu le croire, d'un collectif de familles qui ont perdu un proche sur la route à cause d'un chauffard qui avait trop bu ?  Pas du tout : ce sont tout simplement... des fabricants d'ethylotests ! 

    Le Président de "l'association" est chargé de mission chez Contralco, le plus grand fabricant d'éthylotests chimiques (les fameux "ballons"). 

    Et là, il vient de réussir un coup de maître : assurer à sa boîte un marché 100 % garanti sur 38 millions de voitures ! 

    Le calcul est vite fait : 38 millions de voitures x 2 éthylotests à 1€ pièce = 76 millions d'euros garantis dès l'application du décret en juillet prochain. 

    Mieux : le décret comporte une obligation de norme NF pour les éthylotests... norme que cette entreprise est la seule à avoir ! 

    Voilà : un marché juteux, 100 % garanti, qui va rapporter des millions à une grosse entreprise...Et nous, on vient nous dire que c'est pour notre sécurité ? Et que si l'éthylotest venait à manquer dans notre boîte à gants, ce serait tellement grave qu'on devrait payer une amende ? Franchement, de qui se moque-t-on ? 

    M'aider à faire connaître ce scandale au plus grand nombre de Français possible, en transférant ce message à tous vos amis, vos proches, ou vos collègues. Ne les laissez pas tomber dans le piège de la propagande des pouvoirs publics qui utilisent la sécurité routière comme un alibi pour engraisser un business juteux.

    Je vous remercie. 

    Bien cordialement,

    Christiane Bayard 

    Secrétaire Générale LIGUE DE DEFENSE DES CONDUCTEURS

    116, rue de Charenton 75012 PARIS 

     

    Quand on sait que les éthylotests ont une date d'utilisation d'environ 6 mois, on voit le bénéfice pour cette société ...... De plus, en regardant de plus près, on s'aperçoit que les éthylotests doivent être conservés entre 10 et 40 degré maxi ......

     Quand on connaît la température qu'il fait dans un véhicule en pleine chaleur ...... autant dire que l'on nous fait jeter notre argent par les fenêtres pour engraisser les copains de Monsieur GUEANT !!!!!!!! 

     Pour ma part je refuse de m'y plier et je vous invite à en faire autant et de diffuser ces infos à l'ensemble de vos amis pour qu'un vent de contestation contre cette mesure se lève !!!!!!

     

  • LES NOUVEAUX CHIENS DE GARDE

     

     

     

     

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    La critique des médias, pourquoi faire ?

     

    par Henri Maler, fondateur et co-animateur d’Acrimed

    Acrimed | Action Critique Médias

    Depuis une quinzaine d’années, des livres (comme ceux de Pierre Bourdieu et Serge Halimi), des films (comme ceux de Pierre Carles), des journaux (comme PLPL, puis Le Plan B) et l’association Acrimed (son site et désormais, Médiacrique(s), son magazine) contribuent à une critique radicale et intransigeante des médias qui s’était assoupie pendant les décennies précédentes.

    Cette critique s’étend à la contestation en actes fomentée par des médias associatifs et alternatifs et à la résistance pratiquée par les soutiers de l’information avec le soutien des syndicats de journalistes. Elle se diffuse sur des sites indépendants et de nombreux blogs.

    Ses cibles ? L’ordre médiatique existant et ses gardiens. La soumission des capitaineries industrielles et des chefferies éditoriales au capitalisme dans sa version néolibérale, leur contribution à l’anémie du pluralisme politique et, plus généralement, les effets ravageurs de la logique du profit sur l’information, sur la culture et, dans des professions minées par une précarité grandissante, sur les conditions d’activité des journalistes et des créateurs. Sans oublier les menaces qui pèsent sur la neutralité d’Internet et la liberté de ses usagers.

    Ses enjeux ? Rendre sensible la nécessité, voire l’urgence de transformations en profondeur et d’une appropriation démocratique des médias et, dans ce but, faire ou refaire de la question des médias la question démocratique et donc politique qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Formuler des projets et leur accorder une place à la mesure du défi que représente la conjugaison de la révolution numérique et de la contre-révolution libérale. Et, par conséquent, rompre avec la politique des rustines et des placebos que résument des propositions minimalistes et intermittentes gagées sur les seules échéances électorales.

    Si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi. Pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont nécessaires.

  • Les nouveaux chiens de garde


    Extraits de Les Nouveaux chiens de garde, Liber-Raisons d’Agir, 1997

    Les nouveaux chiens de garde

     

    Par Serge Halimi

    La construction de « l’intérêt du public »

    L’intérêt que nous éprouvons pour un sujet nous vient-il aussi naturellement que le prétendent les fabricants de programmes et de sommaires ? N’est-il pas plutôt construit par la place qui précédemment lui a été accordée dans la hiérarchie de l’information ? Lorsque la mort de Lady Diana fut annoncée (Le Monde y consacra trois « unes », TF1 un journal exceptionnellement prolongé qui, pendant 1 heure 31 minutes, ne traita que de ce seul sujet), comment quiconque aurait-il pu ne pas être « intéressé » ? Non pas que la nouvelle soit importante (la défunte n’avait aucun pouvoir, hormis celui de doper les ventes de la presse people), mais parce qu’à force d’entendre parler d’elle – de son mariage avec le prince Charles, de la naissance de chacun de ses enfants, de ses amants, des infidélités de son mari, de ses régimes alimentaires, de sa campagne contre les mines antipersonnel – La princesse était, qu’on le veuille ou non, entrée dans nos vies. On en avait appris davantage sur elle que sur bien des membres de notre entourage.

    Alors, forcément, sa mort nous « intéressa ». Peut-être se serait-on intéressé à d’autres sujets si les médias leur avaient consacré autant de temps et de moyens qu’à ce fait divers-là. Car comment peut-on se soucier de ce qui advient en Colombie, au Zimbabwe ou au Timor-Oriental quand on ignore l’existence de ces pays ? Les libéraux insistent sans relâche sur le rôle économique de l’offre. Sitôt qu’il s’agit d’information et de culture, ils prétendent cependant tout expliquer par la demande...

    Une uniformité très naturelle

    L’oubli du monde est idéologie puisqu’il construit un autre monde. Le« fait divers qui fait diversion » est idéologie puisqu’il attire l’attention sur l’anodin, et la détourne du reste. L’audimat aussi est idéologie. Alors président de la Société des journalistes de France 2, Marcel Trillat a expliqué que, grâce à une enquête d’audience minute par minute, la direction de l’information savait ce qui avait marché et ce qu’il fallait éviter.

    Mais, au jeu du spectacle, le résultat est connu d’avance : « Notre public devra se contenter, le plus souvent, de pensée prêt-à-porter, d’“images dramatiques”, de la langue de bois des têtes d’affiche de la politique et de l’économie. De vedettes du show-biz ou du cinéma venues assurer la promotion de leur dernier chef-d’œuvre en direct à 20 heures. Sans parler du record du plus gros chou-fleur de Carpentras ou des vaches envoûtées dans une étable des Hautes-Pyrénées. Au nom de la concurrence, chacun court pour copier l’autre. » Tout est dit. Nulle cabale ou conspiration : l’audimat est niché dans la tête des responsables de rédaction, soucieux de satisfaire les actionnaires et les annonceurs. L’uniformité devient alors chose très naturelle, rythmée par le balancier du marché.

    La résistance par la lucidité

    Parlant des journalistes de son pays, un syndicaliste américain a observé : « Il y a vingt ans, ils déjeunaient avec nous dans des cafés. Aujourd’hui, ils dînent avec des industriels. » En ne rencontrant que des « décideurs », en se dévoyant dans une société de cour et d’argent, en se transformant en machine à propagande de la pensée de marché, le journalisme s’est enfermé dans une classe et dans une caste. Il a perdu des lecteurs et son crédit. Il a précipité l’appauvrissement du débat public. Cette situation est le propre d’un système : les codes de déontologie n’y changeront pas grand-chose. Mais, face à ce que Paul Nizan appelait « les concepts dociles que rangent les caissiers soigneux de la pensée bourgeoise », la lucidité est une forme de résistance.

  • Anonymous,petit historique

    Anonymous, de l’humour potache à l’action politique

    Noir total : le 18 janvier, une myriade de sites Internet, dont l’encyclopédie contributive Wikipédia, baissaient le rideau pour protester contre le Stop Online Piracy Act (SOPA). Sous couvert de lutte contre le partage de fichiers, ce projet de loi américain voulu par le lobby de l’industrie culturelle rendait possible une large censure de la Toile. Il fut ajourné. Le lendemain, le Federal Bureau of Investigation (FBI) fermait le site de téléchargement Megaupload, déclenchant une riposte du collectif Anonymous : les sites de la Maison Blanche et d’Universal Music, notamment, étaient touchés. De New York au Caire en passant par Tunis, des réseaux virtuels à la rue, une nouvelle culture de la contestation a émergé. Ceux qui l’ont forgée découvrent à la fois l’étendue et les limites de leur pouvoir.

    par Felix Stalder, février 2012

    Spectaculaires, les attaques informatiques menées au nom de la liberté d’expression et de la justice sociale sous l’étiquette « Anonymous » se multiplient. Dernières cibles en date : le site d’ArcelorMittal en Belgique, au début de janvier, pour protester contre la fermeture de deux hauts fourneaux ; le site du cabinet de renseignement privé américain Stratfor, sur lequel ont été dérobées des dizaines de milliers de données personnelles ; le ministère de la défense syrien, en août 2011, ou avant cela, en juin, le site de la police espagnole, après l’arrestation de trois membres supposés d’Anonymous dans ce pays.

    Qui se cache derrière ce masque ? Hackers d’élite, ados ignorants, dangereux cyberterroristes, simples trolls (« perturbateurs ») à l’humour potache ? Aucune de ces définitions n’est fausse, car chacune rend compte d’une facette du phénomène. Cependant, toutes passent à côté de l’essentiel : Anonymous n’est pas un, mais multiple ;

    il ne s’agit ni d’un groupe ni d’un réseau, mais d’un collectif ou, plus précisément, de collectifs qui s’appuient les uns sur les autres.

    A sa manière — extrême —, Anonymous est emblématique des mouvements de contestation qui s’étendent depuis 2011 aussi bien dans le monde arabe qu’en Europe et aux Etats-Unis. Le gouffre qui sépare ceux-ci des systèmes politiques qu’ils contestent se manifeste dans des formes d’organisation radicalement opposées. D’un côté, des structures hiérarchisées, avec des dirigeants habilités à parler au nom de tous par des procédures de délégation de pouvoir, mais dont la légitimité a été affaiblie par la corruption, le favoritisme, le détournement des institutions. De l’autre, des collectifs délibérément dépourvus de chefs, qui rejettent le principe de la représentation au profit de la participation directe de chacun à des projets concrets. Leur diversité permet que la prise de décision se fasse par agrégation rapide de participants sur un sujet précis, plutôt qu’en dégageant une majorité officielle. L’establishment politique juge ces formes d’organisation inintelligibles et exprime sa stupeur face à l’absence de revendications concrètes qu’il pourrait relayer.

    Ces collectifs temporaires — qu’on peut aussi décrire comme des « essaims », swarms en anglais (1) — se composent d’individus indépendants utilisant des outils et des règles simples pour s’organiser horizontalement. Comme le sou- ligne le fondateur du Parti pirate suédois, M. Rick Falkvinge, « tout le monde étant volontaire (...), la seule façon de diriger consiste à emporter l’adhésion d’autrui (2) ». Ainsi, la force du collectif vient du nombre de personnes qu’il regroupe et de l’éclairage qu’il jette sur leurs projets divers et indépendants.

    Un collectif naît toujours de la même manière : un appel à la mobilisation avec, en regard, des ressources pour une action immédiate. Spécialiste des médias sociaux, Clay Shirky a identifié trois éléments indispensables à l’apparition de ce type de coopération souple : une promesse, un outil, un accord (3). La promesse réside dans l’appel, qui doit être intéressant pour un nombre critique d’activistes et dont la proposition doit sembler réalisable. Il peut s’agir, par exemple, d’attaquer tel ou tel site gouvernemental en réponse à la censure. Des outils disponibles en ligne, comme le fameux logiciel Low Orbit Ion Cannon (LOIC), ainsi nommé en référence à La Guerre des étoiles,permettent de coordonner les démarches dispersées des volontaires. L’accord porte sur les conditions que tout un chacun accepte en entrant dans l’espace collectif de l’action.

    « Foutage de gueule ultracoordonné »

    Au fil du temps, les trois dimensions peuvent évoluer et le collectif, grandir, changer d’orientation, se désagréger. Afin qu’il ne disparaisse pas aussi vite qu’il est apparu, il faut un quatrième élément, un horizon commun qui « permette aux membres dispersés d’un réseau de se reconnaître mutuellement comme vivant dans le même univers imaginaire de référence », ainsi que l’écrit le critique d’art et essayiste Brian Holmes (4). C’est ici qu’intervient le fameux masque d’Anonymous. Identité ouverte, résumée par quelques slogans assez généraux, des éléments graphiques et des références culturelles partagées : chacun peut s’en revendiquer — mais cela n’a de sens que si l’on partage le même esprit, le même humour, les mêmes convictions antiautoritaires et la même foi dans la liberté d’expression.

    Le président français Nicolas Sarkozy avait beau appeler de ses vœux, lors du e-G8 de Paris, en mai 2011, un « Internet civilisé », les recoins sombres où tout est possible continuent d’exister. Le site 4chan.org, forum créé en 2003, simple d’un point de vue technique et plébiscité par les internautes, est emblématique de la démarche : on peut y poster textes et images sans s’inscrire, les messages étant signés « Anonymous ». Son forum le plus fréquenté, /b/, n’obéit à aucune règle en matière de contenu. Le site ne mémorise pas les billets : les messages qui ne suscitent aucune réponse sont rétrogradés en bas de liste avant d’être effacés, ce qui arrive généralement en l’espace de quelques minutes. Rien n’est archivé. La seule mémoire qui vaille est celle des internautes. Une logique qui a ses avantages et ses inconvénients : tout ce qui est difficile à retenir et qui n’est pas répété disparaît.

    Pour ne pas sombrer dans l’oubli, quantité de ces messages prennent chaque jour la forme d’appels à l’action — par exemple, une invitation à vandaliser telle page de l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Si l’idée séduit un nombre suffisant d’internautes, un petit essaim s’abat sur la cible. Pour le simple plaisir. La répétition et l’engagement ont créé une culture où disparaissent les individualités et les origines, une tradition du« foutage de gueule ultracoordonné », selon l’expression d’un hacker interrogé par Gabriella Coleman, anthropologue de la culture geek (5).

    En cinq ans, ces internautes sont devenus des Anonymous, terme générique ou avatar d’une identité collective. Leur habitude de l’outrance induite par l’anonymat va de pair avec une profonde méfiance envers toute forme d’autorité tentant de réguler la parole sur Internet, pour des prétextes jugés parfaitement hypocrites comme la lutte contre la pornographie enfantine.

    Ce n’est donc pas un hasard si, au cours de l’hiver 2008, des internautes ont adopté cette identité pour s’attaquer à l’Eglise de scientologie. La guerre avait été déclarée une dizaine d’années auparavant par les hackers ; ceux-ci révélaient fraudes et manipulations, tandis que l’Eglise de scientologie mobilisait des moyens considérables pour faire disparaître les informations gênantes et détruire la réputation des personnes qui la critiquaient. Les Anonymous s’en mêlèrent quand la secte tenta d’empêcher la circulation d’une vidéo de propagande dans laquelle l’acteur Tom Cruise, haut responsable de l’Eglise, semblait mentalement déséquilibré. En réponse à l’inévitable rafale de procès, une vidéo faussement sérieuse des Anonymous annonça la destruction prochaine de la secte. Il s’ensuivit, sur différents forums de discussion, une période de polémiques virulentes, à l’issue de laquelle s’élabora une combinaison spécifique promesse-outil-accord.

    Au-delà des actions en ligne, une journée mondiale d’action fut organisée. Des manifestations eurent lieu le 18 février 2008 dans quatre-vingt-dix villes d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Afin d’échapper aux représailles de la secte, bon nombre de manifestants portaient le désormais célèbre masque de Guy Fawkes, rebelle catholique anglais du XVIe siècle, imitant ainsi le héros de V pour Vendetta, la bande dessinée d’Alan Moore et David Lloyd dont l’histoire se déroule dans un monde totalitaire. Pour la première fois, des membres d’Anonymous se rencontrèrent physiquement, établissant la jonction avec des militants plus traditionnels.

    Ces manifestations demeurèrent le principal objectif politique des Anonymous pendant les deux années qui suivirent. Puis, en septembre 2010, un collectif se forma autour de la campagne Operation Payback. Celle-ci débuta par une attaque contre Airplex Software, société indienne missionnée pour s’en prendre au site d’échange de fichiers The Pirate Bay. La campagne s’étendit aux sites de la Motion Picture Association of America (MPAA) et d’organismes prônant, sous prétexte de lutter contre les échanges de fichiers, le contrôle d’Internet. Cri de ralliement : « Ils parlent de piratage, nous parlons de liberté ! »

    Au cours de ces actions, l’identité politique des Anonymous se précisa ; leurs moyens techniques et leurs stratégies se sophistiquèrent. En décembre 2010, quand WikiLeaks fut empêché de recevoir des dons après avoir publié des câbles diplomatiques (6), Operation Payback refit surface et attaqua les sites de MasterCard, Visa, PayPal et Bank of America. En janvier 2011, les Anonymous intervinrent de façon très organisée en Tunisie, où ils attaquèrent des sites gouvernementaux. Les blogueurs tunisiens y gagnèrent le sentiment de pouvoir compter sur la solidarité internationale.

    Un effet galvanisant

    Tout au long de l’année 2011, les collectifs Anonymous se sont multipliés et ont lancé d’innombrables appels. Il s’agissait parfois d’internautes désireux d’attirer l’attention sur eux ou de tirer profit de modes médiatiques. Mais d’autres collectifs ont fédéré un grand nombre de personnes. Le 23 août 2011, les Anonymous ont diffusé une vidéo appelant à occuper Wall Street, reprenant ainsi une idée que défendaient depuis quelques semaines les Canadiens d’Adbusters.

    L’outrance et l’audace des Anonymous leur permettent d’adopter des slogans — « Le piratage, c’est la liberté » — si forts que pas un acteur politique traditionnel n’oserait y recourir sans craindre de perdre sa crédibilité. Avec un effet galvanisant radical sur des énergies latentes que les mobilisations classiques ennuient. Cependant, quelle que soit sa force, la spontanéité à grande échelle ne peut se mesurer aux institutions établies que sur le mode de la destruction. Cette forme d’organisation n’a pas pour objectif de construire des institutions alternatives. Elle collabore à la formation d’un horizon commun de contestation qui facilitera peut-être l’action future. Elle a déjà fissuré des murs qui semblaient indestructibles. D’autres protestataires transformeront ces failles en ouvertures.

    Felix Stalder

    Enseignant à l’Université des arts de Zurich et chercheur à l’Institut des nouvelles technologies culturelles de Vienne.
  • L’HOMME-LOUP DE MERZIG

    L’HOMME-LOUP DE MERZIG

    Cécile Muszynski

    Trait de sparation

    A Merzig, en Allemagne, Werner Freund, éthologue aux méthodes intrigantes, vit, mange et hurle avec les loups.



     

    L
    a neige tombe avec la nuit. Soudain, un hurlement déchire le silence de la forêt. Un loup blanc salue l’obscurité nouvelle. Le cri est repris par la meute à travers les bois. Tête renversée, barbe grisonnante, lèvres retroussées, un homme répond au chant.

    Werner Freund dit « avoir choisi la carrière de loup ». Pour les hommes, il est éthologue, un spécialiste du comportement animal. A 77 ans, il a élevé plus de soixante-dix loups. Il vit avec eux, connaît le caractère de chacun.

    Ce dimanche, comme tous les premiers du mois, il présente ses vingt protégés et répond aux questions des visiteurs du Wolfspark. Une promeneuse s’étonne du chant des loups : « C’est beau, on dirait une symphonie ! ».

    Le « parc aux loups » s’étend sur quatre hectares en lisière de la forêt de Merzig, en Allemagne, près de la frontière française. Les loups y sont répartis par race : canadiens, suédois, sibériens et polaires. Chaque meute vit en semi-liberté dans de vastes enclos grillagés, séparés par des chemins boueux. Une manière d’éviter les guerres de clans entre animaux et d’assurer la sécurité des visiteurs – près de 100.000 par an. Pour passer d’un groupe de loups à l’autre, Werner Freund change de vêtements : « Avoir une odeur vierge permet d’éviter les agressions ».

    L’éthologue vit avec Erika, son épouse à l’entrée de la réserve, dans un chalet en bois. Les murs de la salle à manger sont tapissés de photos. Souvenirs d’enfance, portraits de loups bien sûr, mais aussi du prix Nobel Konrad Lorenz. Avant sa mort, le père de la psychologie animale a qualifié Werner Freund d’« expert ès loups ». « Pour étudier les loups, notait Lorenz, l’observation ne suffit pas. Il faut vivre avec eux dès leur naissance, penser comme un loup ».

    L’Allemand est l’un des rares chercheurs à vivre en permanence au contact des loups, à se conformer à leurs codes. A force de les étudier, il a fini par leur ressembler. Il hurle, chasse, joue et parfois se bat avec eux.

    Cette passion lui vient de l’enfance. « Ma mère a grandi avec un garde forestier, elle m’a transmis le don de comprendre les animaux. » A la sortie du lycée, jardinier dans un zoo à Stuttgart, il remplace le soigneur des ours, blessé. A vingt ans, Werner Freund s’engage dans la police de l’air et des frontières. Devenu parachutiste, il se lance dans des expéditions à travers le globe et adopte un ours comme mascotte.

    Un garde-forestier lui offre en 1972 son premier louveteau, Ivan. Une révélation :« Ivan a été mon professeur. J’ai tout appris en observant son comportement, ses réactions. Il avait deux façons de hurler : une pour moi, une pour les autres loups. Il m’a montré comment faire. Au début, il était le seul à me répondre. »

    Le futur éthologue est alors au bataillon de « para » de Merzig. Connu pour son expérience des animaux, il est approché par le premier adjoint au maire qui souhaite ouvrir une zone de loisirs dans la ville. Freund propose de créer un parc à loups. Le Wolfspark est inauguré en 1977. Les quatre premiers occupants sont les petits d’Ivan.

    Conseillé par Erik Zimen, spécialiste suédois des loups, Werner Freund tente une expérience : au quatorzième jour, il écarte la mère des quatre louveteaux pour prendre sa place. Il dort avec eux dans la paille, les allaite au biberon, puis, à cinq semaines, il leur donne de la viande hachée de bouche à gueule. Mais les loups grandissent et veulent bientôt imposer leur force.

    Un jour, en trouvant un chevreuil écrasé sur une route, Werner Freund a une idée. Il s’enduit de sang, entaille la gorge du cadavre pour faire croire qu’il l’a tué et l’amène dans l’enclos. « Tous les loups se sont précipités sur moi, mais j’ai grogné, mordu dans le chevreuil et repoussé les loups. L’un d’eux a montré les crocs. J’ai dû lui donner un coup de poing pour qu’il se soumette. Depuis ce moment, je suis devenu leur maître. »

    Rester le « maître » est vital pour Werner Freund. « Si les loups ne me reconnaissent plus comme chef, je risque d’être tué à chaque conflit. Provoqué par un loup, je dois réagir comme un autre loup, de manière violente ». L’éthologue en a appris tous les codes : « Lorsque je pénètre dans un enclos, je salue toujours le loup dominant en premier. Ma relation avec la meute dépend de lui. »

    Ces pratiques ne font pas l’unanimité des scientifiques. Mais elles ont abouti à plusieurs découvertes, comme celle du hurlement du louveteau. Certains chercheurs affirmaient qu’un jeune loup ne pouvait hurler qu’à partir de six mois. Freund a démontré que c’était possible bien plus tôt : « J’ai vu un louveteau de treize jours répondre aux loups qui chantaient dehors ».

    http://www.wolfspark-wernerfreund.de

    Werner Freund a écrit plusieurs ouvrages sur les loups. L’un d’eux a été traduit en français : Loup parmi les loups, traduction de Patrick Gabella, Ed. APAE, 2005.