Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L’HOMME-LOUP DE MERZIG

L’HOMME-LOUP DE MERZIG

Cécile Muszynski

Trait de sparation

A Merzig, en Allemagne, Werner Freund, éthologue aux méthodes intrigantes, vit, mange et hurle avec les loups.



 

L
a neige tombe avec la nuit. Soudain, un hurlement déchire le silence de la forêt. Un loup blanc salue l’obscurité nouvelle. Le cri est repris par la meute à travers les bois. Tête renversée, barbe grisonnante, lèvres retroussées, un homme répond au chant.

Werner Freund dit « avoir choisi la carrière de loup ». Pour les hommes, il est éthologue, un spécialiste du comportement animal. A 77 ans, il a élevé plus de soixante-dix loups. Il vit avec eux, connaît le caractère de chacun.

Ce dimanche, comme tous les premiers du mois, il présente ses vingt protégés et répond aux questions des visiteurs du Wolfspark. Une promeneuse s’étonne du chant des loups : « C’est beau, on dirait une symphonie ! ».

Le « parc aux loups » s’étend sur quatre hectares en lisière de la forêt de Merzig, en Allemagne, près de la frontière française. Les loups y sont répartis par race : canadiens, suédois, sibériens et polaires. Chaque meute vit en semi-liberté dans de vastes enclos grillagés, séparés par des chemins boueux. Une manière d’éviter les guerres de clans entre animaux et d’assurer la sécurité des visiteurs – près de 100.000 par an. Pour passer d’un groupe de loups à l’autre, Werner Freund change de vêtements : « Avoir une odeur vierge permet d’éviter les agressions ».

L’éthologue vit avec Erika, son épouse à l’entrée de la réserve, dans un chalet en bois. Les murs de la salle à manger sont tapissés de photos. Souvenirs d’enfance, portraits de loups bien sûr, mais aussi du prix Nobel Konrad Lorenz. Avant sa mort, le père de la psychologie animale a qualifié Werner Freund d’« expert ès loups ». « Pour étudier les loups, notait Lorenz, l’observation ne suffit pas. Il faut vivre avec eux dès leur naissance, penser comme un loup ».

L’Allemand est l’un des rares chercheurs à vivre en permanence au contact des loups, à se conformer à leurs codes. A force de les étudier, il a fini par leur ressembler. Il hurle, chasse, joue et parfois se bat avec eux.

Cette passion lui vient de l’enfance. « Ma mère a grandi avec un garde forestier, elle m’a transmis le don de comprendre les animaux. » A la sortie du lycée, jardinier dans un zoo à Stuttgart, il remplace le soigneur des ours, blessé. A vingt ans, Werner Freund s’engage dans la police de l’air et des frontières. Devenu parachutiste, il se lance dans des expéditions à travers le globe et adopte un ours comme mascotte.

Un garde-forestier lui offre en 1972 son premier louveteau, Ivan. Une révélation :« Ivan a été mon professeur. J’ai tout appris en observant son comportement, ses réactions. Il avait deux façons de hurler : une pour moi, une pour les autres loups. Il m’a montré comment faire. Au début, il était le seul à me répondre. »

Le futur éthologue est alors au bataillon de « para » de Merzig. Connu pour son expérience des animaux, il est approché par le premier adjoint au maire qui souhaite ouvrir une zone de loisirs dans la ville. Freund propose de créer un parc à loups. Le Wolfspark est inauguré en 1977. Les quatre premiers occupants sont les petits d’Ivan.

Conseillé par Erik Zimen, spécialiste suédois des loups, Werner Freund tente une expérience : au quatorzième jour, il écarte la mère des quatre louveteaux pour prendre sa place. Il dort avec eux dans la paille, les allaite au biberon, puis, à cinq semaines, il leur donne de la viande hachée de bouche à gueule. Mais les loups grandissent et veulent bientôt imposer leur force.

Un jour, en trouvant un chevreuil écrasé sur une route, Werner Freund a une idée. Il s’enduit de sang, entaille la gorge du cadavre pour faire croire qu’il l’a tué et l’amène dans l’enclos. « Tous les loups se sont précipités sur moi, mais j’ai grogné, mordu dans le chevreuil et repoussé les loups. L’un d’eux a montré les crocs. J’ai dû lui donner un coup de poing pour qu’il se soumette. Depuis ce moment, je suis devenu leur maître. »

Rester le « maître » est vital pour Werner Freund. « Si les loups ne me reconnaissent plus comme chef, je risque d’être tué à chaque conflit. Provoqué par un loup, je dois réagir comme un autre loup, de manière violente ». L’éthologue en a appris tous les codes : « Lorsque je pénètre dans un enclos, je salue toujours le loup dominant en premier. Ma relation avec la meute dépend de lui. »

Ces pratiques ne font pas l’unanimité des scientifiques. Mais elles ont abouti à plusieurs découvertes, comme celle du hurlement du louveteau. Certains chercheurs affirmaient qu’un jeune loup ne pouvait hurler qu’à partir de six mois. Freund a démontré que c’était possible bien plus tôt : « J’ai vu un louveteau de treize jours répondre aux loups qui chantaient dehors ».

http://www.wolfspark-wernerfreund.de

Werner Freund a écrit plusieurs ouvrages sur les loups. L’un d’eux a été traduit en français : Loup parmi les loups, traduction de Patrick Gabella, Ed. APAE, 2005.

Les commentaires sont fermés.