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Racisme - Page 2

  • Migrants:xénophobe en Europe

    L'événement a bouleversé toute l'Allemagne ce week-end. L'agression de la candidate à la mairie de Cologne Henriette Reker, à coups de couteau, par un homme au passé néonazi a suscité une immense vague de réprobation. Gravement blessée au cou, la candidate d'une coalition emmenée par la CDU (conservateur) a finalement été élue, dimanche. Mais les motifs de l'agression viennent rappeler combien l'accueil massif de réfugiés par l'Allemagne suscite les pires oppositions. En charge à Cologne de l'accueil des réfugiés, Henriette Reker a été visée justement pour cela :« Reker et Merkel nous inondent de réfugiés », a lancé l'homme qui l'a attaquée.

    Affiche électorale de Henriette Reker, agressée samedi à Cologne.Affiche électorale de Henriette Reker, agressée samedi à Cologne. © Reuters

    Lundi 19 octobre, l'émoi demeurait très vif, d'autant qu'une nouvelle manifestation du mouvement xénophobe Pegida a réuni dans la soirée près de 15.000 personnes à Dresde. Un an après sa création, ce mouvement des« patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident » s'installe dans le paysage allemand par des rassemblements hebdomadaires. À cela, s'ajoutent des critiques de plus en plus vives de la politique d'accueil revendiquée par Angela Merkel. Partout en Europe, la crise des réfugiés sert de carburant aux mouvements populistes, nationalistes, d'extrême droite.

    Des dirigeants, comme le Hongrois Viktor Orban, aux responsables de partis, tels que Marine Le Pen ou Christian Estrosi en France, l'accueil des réfugiés ne fait pas que bouleverser les frontières de l'espace Schengen : nous assistons à une reconfiguration d'ensemble des discours politiques et à des rapprochements inédits entre la droite et l'extrême droite. Cette reconfiguration est d'autant plus rapide que plusieurs pays européens sont en campagne électorale.

    La Suisse vient de voter, tout comme l'Autriche. La Pologne le fera le 25 octobre, puis la Slovaquie, l'Espagne et la France à l'occasion des élections régionales. La dénonciation de « l'invasion », des migrants et des « faux réfugiés » s'est installée au cœur des discours de campagne. Voici un tour d'Europe des pays et le récit de comment cette crise des réfugiés pèse sur les consultations électorales.

    Suisse.- Les nationalistes-populistes de l’UDC réalisent leur meilleur score

    Cela fait vingt ans que la Suisse place au cœur de ses campagnes électorales les thèmes de l’immigration et des réfugiés, sur fond de progression presque ininterrompue des nationalistes-populistes de l’Union démocratique du centre (UDC). Dimanche 18 octobre, l’UDC a encore amélioré son score avec de 29,4 % des voix (contre 26,6 % en 2011), raflant un total 65 sièges sur 200 au Conseil national (la chambre basse). Elle devance largement le parti socialiste (18,8 %) et la droite libérale (PLR 16,4 %) et les centristes du PDC (11,6 %), alors que les Verts accusent un fort recul. Les résultats du Conseil des États (46 députés élus dans les 26 cantons,) seront connus le 8 novembre prochain (voir ici les résultats).

    « Difficile de savoir ce qui relève de la crise actuelle des réfugiés, ou ce qui est seulement dans la continuité d’un agenda politique suisse dicté par l’UDC aux autres partis politiques »,estime Oscar Mazzoleni, politologue spécialiste de la droite anti-immigration, auteur de Nationalisme et populisme en Suisse : La radicalisation de la « nouvelle » UDC« Ce qu’on peut dire, c’est que l’UDC a bénéficié du climat d’inquiétude créé par la vague migratoire sur l’Europe », ajoute-t-il. Alors que le dossier des relations avec l’Union européenne, pourtant autrement plus brûlant pour le pays, « est resté au second plan, du fait de son extrême complexité », remarque-t-il.  

    Durant toute la campagne, les électeurs ont été abreuvés de discours, débats, chiffres et affiches sur la thématique des migrations qui, si l’on en croit un récent sondage de l’institut gfs.bern, est considérée par 46 % des personnes interrogées comme le « problème le plus urgent » à traiter. Galvanisée par la victoire, en février 2014, de son initiative populaire « contre l’immigration de masse » qui demande la réintroduction des quotas de travailleurs, l’UDC n’a pas lésiné sur les moyens se présentant comme l’« unique parti qui veut limiter l’immigration et corriger les abus de l’asile ».

    « Expulser enfin les étrangers criminels »

    En septembre, tous les foyers ont reçu dans leur boîte aux lettres Edition spéciale, un journal de vingt-deux pages. Plus d’un tiers des articles sont consacrés au péril que font courir les étrangers (toutes catégories confondues) au pays, avec ces titres évocateurs :« Stop au chaos de l’asile » ; « Combien de migrants supporte la Suisse ? » « Expulser enfin les étrangers criminels » « Asile, il faut agir immédiatement » « Genève, malade de son immigration », etc.

    « Êtes-vous inquiet devant une immigration sans limite, devant chaque année quelque 30 000 requérants d’asile qui cherchent une vie meilleure en Suisse et devant les énormes abus sociaux et la criminalité qui y sont liés ? Alors vous devez voter le 18 octobre », lance en première page Toni Brunner, le président de l’UDC. Dans ce « tout-ménage », les Érythréens qui arrivent en tête des demandes d’asile incarnent ces migrants économiques qui cherchent « avant tout à profiter des excellentes prestations sociales et médicales du pays ». Mais à côté de ça, la brochure réussit le tour de force de passer quasiment sous silence la crise des réfugiés syriens en Europe. Et pour cause.

    Comme nous l’avons raconté, la Suisse n’est pas la destination favorite, loin s’en faut, des réfugiés qui fuient les guerres en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Le « chaos de l’asile » invoqué par l’UDC est tout relatif puisque pour les huit premiers mois de l’année 2015, 19 668 personnes ont déposé une requête (dont 1 425 Syriens), alors que les États membres de l’UE et de l’AELE enregistraient environ 550 000 demandes de janvier à juillet 2015 (contre 304 000 durant la même période de 2014). Soit une hausse de 20 % en Suisse, contre une moyenne européenne de plus 71 %.  

    Une affiche électorale de l'UDC.Une affiche électorale de l'UDC.

    En dépit de ces chiffres, les réfugiés se sont retrouvés au cœur de la bataille électorale. Le hasard du calendrier a voulu que le parlement suisse se penche cet été sur unerévision de la loi sur l’asile, un texte qui prévoit une accélération et une simplification des procédures et qui a finalement été adopté le 9 septembre, après dix heures de débats enflammés au Conseil national.   

    L’UDC avait mis toutes ses forces pour s’y opposer, piétinant au passage toutes considérations humanitaires. Alors que la photo du cadavre du petit Aylan échoué sur une plage de Bodrum faisait le tour du monde, le parti réclamait, seul contre tous, « un moratoire d’un an » dans les procédures d’asile, et la réintroduction d’un contrôle systématique aux frontières avec la mobilisation possible de l’armée. La motion était finalement refusée par 103 voix contre 48.

    Au sein de l’UDC, certains (dont les trois députés qui ont voté contre) s’étaient inquiétés de cette stratégie, craignant qu’une partie des électeurs ne soient choqués par un tel cynisme. Mais la ligne dure s’exprime à nouveau sans complexe. « L'UDC trouve anormal que tous ces réfugiés aillent en Europe. Nous préférons privilégier l'aide sur place »fait valoir son leader Toni Brunner, estimant « injuste que Mme Merkel ouvre les portes grandes aux réfugiés et ensuite veuille les répartir dans les autres pays. Ce qui va au final encore plus charger la Suisse ».

    Le 18 septembre, Berne a annoncé sa « participation » au premier programme de répartition de 40 000 réfugiés en provenance de Syrie, Irak et Afghanistan, adopté en juillet par l’Union européenne. Le gouvernement suisse s’est dit prêt à recevoir 1 500 personnes sur deux ans (un chiffre à retrancher de celui du quota de 3 000 personnes promis en mars au Haut-commissariat de l’ONU aux réfugiés), annonçant une enveloppe de 70 millions de francs pour les pays alentour.

    L’UDC n’avait pas manqué de fustiger le Conseil fédéral accusé de suivre « la mauvaise voie de l’UE ». Le parti libéral-radical (PLR) qui chasse depuis des années sur les terres des nationaux-populistes évoque le risque de voir s’infiltrer des « terroristes » parmi les réfugiés. Seuls les socialistes et les Verts demandent à Berne d’en faire davantage, jugeant ces initiatives beaucoup trop timides, face à une crise migratoire d’une telle ampleur.

    Un boulevard semble désormais s’ouvrir au premier parti de Suisse qui, en l’absence de toute législation sur le financement des partis politiques, a dépensé des millions dans cette campagne. Le 6 octobre, l’UDC a lancé unréférendum contre la fameuse loi sur l’asile révisée. Il s’agit d’interdire aux requérants de bénéficier de l’assistance gratuite d’avocats, comme le prévoit le texte. Les Jeunes de l’UDC proposent, eux, une nouvelle initiative populaire pour rétablir un contrôle complet des allées et venues sur le territoire suisse. Annoncée depuis plus d’un an, l’initiative « pour l’interdiction de se voiler le visage » dirigée en priorité contre les musulmans a été ressortie des tiroirs le 29 septembre. Elle est pilotée par le « comité d’Egerkinger », le regroupement qui avait préparé l’initiative sur l’interdiction de construction de minarets, approuvée en 2009. (Agathe Duparc à Genève.)

    Pologne.- Favorite, la droite nationaliste du PiS se déchaîne

    En Pologne, les élections législatives ont lieu dimanche 25 octobre, et la question des réfugiés s'est imposée de plain-pied dans la campagne. Le débat est irréel quand on pense qu'il s'agit d'un pays de 40 millions d'habitants… à qui Bruxelles demande d'accueillir à peine plus de 7 000 réfugiés.

    C'est surtout le parti Droit et Justice (PiS, droite conservatrice) qui s'est emparé de la thématique, pour agiter le chiffon nationaliste et discréditer un gouvernement soi-disant laxiste (PO, Plateforme civique, droite libérale). L'objectif est clair : remporter les élections et mettre fin à la cohabitation actuelle (la Pologne est gouvernée depuis juin par un président PiS face à gouvernement PO).

    Ainsi, le président Andrzej Duda refuse depuis début septembre de rencontrer la première ministre Ewa Kopacz, tout en critiquant dans les médias ce que la chef de l'exécutif accepte à Bruxelles, quand bien même PO serait elle-même allée à reculons sur le dossier migrants. La candidate du PiS au poste de premier ministre, Beata Szydło, parle carrément de « scandale » après le dernier sommet européen sur les quotas. Elle accuse le gouvernement d'avoir trahi le groupe de Visegrad (alliance entre Varsovie, Budapest, Prague et Bratislava). « C'était l'occasion de reconstruire la confiance et de bâtir de la solidarité entre les pays de la régiona-t-elle déclaréDésormais ce sera encore plus difficile. »

     

    Andrzej Duda, 42 ans, responsable du PiS et élu président en mai 2015.Andrzej Duda, 42 ans, responsable du PiS et élu président en mai 2015. © (dr)

     

    Le député PiS Witold Waszczykowski, chef adjoint de la commission parlementaire des affaires étrangères, va même jusqu'à dire que la Pologne « devrait être exclue du système de répartition des réfugiés » en raison de l'éventualité d'un afflux à venir de réfugiés ukrainiens. « Nous avons pour voisin un agresseur et les autres pays devraient le comprendre. » Mais c'est le président du parti qui a eu les mots les plus violents, et que le PiS affiche désormais en tête de gondole sur son site Internet, sous le slogan « Nous avons le droit de défendre notre souveraineté » : Jarosław Kaczyński y réitère les propos qu'il a tenus lors du débat parlementaire consacré au dossier des réfugiés, le 16 septembre dernier.

    « Il y a un vrai danger qu'un processus irréversible se mette en place, qui ressemblera à ça : d'abord le nombre d'étrangers s'accroît violemment, ensuite ils déclarent qu'ils ne respecteront ni notre droit ni nos coutumes, et ensuite ils imposent leur sensibilité et leurs exigences dans différents domaines, et ce de manière agressive et violente », déclarait Kaczyński. Et de prendre l'exemple de la France, de la Suède et de l’Italie, où des musulmans, dit-il, « ont su efficacement imposer la charia »... Le PiS ne fait aucune proposition concrète et ne dit pas s'il renégociera le quota à Bruxelles en cas de victoire aux élections… Or il a toutes les chances de l'emporter, tant PO semble à bout de souffle, après huit années d'exercice du pouvoir.

    Si le PiS a toujours été réactionnaire et nationaliste, c'est la première fois qu'il affiche un positionnement aussi tranché sur la question des immigrés dans une campagne électorale. Autrefois cette thématique était plutôt l'apanage de l'extrême droite polonaise, et encore, elle n'était pas tellement mise en avant, tant la question migratoire ne se posait guère dans ce vaste pays d'Europe centrale. C'est plutôt sur le rapport à l’Église et les problématiques de mœurs que s'arc-boutaient les conservateurs en Pologne.

    Du côté de la « Gauche unitaire » (Front mis sur pied pour le scrutin par les sociaux-démocrates du SLD – Union de la gauche démocratique – et d'autres formations de gauche), c'est la cacophonie. Les prises de position du SLD sont peu cohérentes avec les idées défendues par ses partenaires. La crise migratoire a permis au chef du SLD Leszek Miller de révéler son euroscepticisme ; il regrette, tout comme ses adversaires du PiS, que la Pologne se soit éloignée de ses partenaires du groupe de Visegrad. « Cela aurait été probablement meilleur si les Polonais étaient sur la même ligne que les Hongrois et les Slovaquesa-t-il assuré à différents médias polonais. Nous, les faibles, devons faire front ensemble. »

    Il faut selon lui étudier les possibilités réelles d'accueil… Mais le SLD s'est bien gardé d'avancer un quota, il a tout juste assuré que le pays ne pouvait absolument pas accueillir les quelque 7 000 réfugiés dont il est question. Officiellement, le SLD (né en 1991 d'une reconversion de l'ancien parti communiste) veut s'attaquer aux causes de la crise migratoire, et soutient pour cela la Russie dans la guerre en Syrie. « Nous devons réfléchir où se trouve actuellement le plus grand ennemi. Aujourd'hui, c'est l’État islamique. »

    La ligne est difficile à tenir pour le front unitaire, tant les figures de la formation Twój Ruch (« Ton mouvement ») sont à l'opposé des caciques du SLD. Ainsi, la tête de liste Barbara Nowacka déclarait, lors de la présentation du programme : « Nous sommes solidaires des réfugiés de guerre de Syrie du Proche-Orient, et nous agirons de telle sorte qu'ils puissent vivre dignement en Pologne jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux. »Les Verts, également partenaires de cette coalition électorale, défendent quant à eux des quotas « obligatoires ».

    « Notre patrie n'est plus la nôtre »

    « Non aux quartiers islamiques dans nos villes », dit le slogan de cette affiche du KNP, formation d'extrême droite polonaise.« Non aux quartiers islamiques dans nos villes », dit le slogan de cette affiche du KNP, formation d'extrême droite polonaise.

    C'est sans conteste l'extrême droite libertarienne et eurosceptique de Korwin-Mikke qui est la plus radicale sur le dossier migrants. Le KNP (Congrès de la Nouvelle droite, complètement marginal pendant une quinzaine d'années, brusquement entré au parlement européen en 2014) afficheun programme en trois points. « Liquidation de l'impôt sur le revenu. Retrait des cotisations sociales obligatoires. Arrêt de la vague de migrants. » Quand on sait que la Pologne n'a, pour l'heure, accueilli aucun réfugié (à l'exception d'une fondation catholique qui a fait venir quelque 150 Syriens chrétiens en juillet), la formule a quelque chose de comique.

    Mais les leaders du KNP n'ont rien de drôle. Ils présentent les réfugiés comme des« immigrés islamiques », organisent çà et là des manifestations « contre les immigrés », rejettent en bloc tout ce qui vient de Bruxelles. Pour eux, même le PiS est modéré... L'eurodéputé Michał Marusik (qui siège avec le FN au parlement européen) s'est engagé pleinement dans cette campagne d'amalgames.

    Dans l'un de ses rassemblements, à Gdańsk, au mois de septembre, il lançait à la foule :« L'islamisme est la goutte d'eau qui fait débordela coupe d'amertume ! Mais le problème n'est pas seulement cette vague d'immigrés. C'est aussi que notre patrie n'est plus la nôtre. La Pologne n'est pas gouvernée comme il le faudrait.(...) Nous voulons une Pologne libre ! (…) » L'iconographie va avec le discours. Sur des affiches du parti, on peut voir un groupe terroriste cagoulé et armé jusqu'aux dents. « Non aux quartiers islamiques dans nos villes », dit le slogan. (Amélie Poinssot.)

    Croatie.- Les sociaux-démocrates profitent de l’afflux des réfugiés

    Le gouvernement social-démocrate croate de Zoran Milanovic a-t-il effectué un « sans-faute politique » dans sa gestion de la crise des réfugiés ? On pourrait le croire à regarder les résultats des sondages en vue des élections législatives convoquées pour le 8 novembre.

    Il y a quelques semaines, l’opposition de droite, menée par la Communauté démocratique croate (HDZ), semblait assurée de la victoire. Or, selon les récentes enquêtes d'opinion, la coalition de centre-gauche est au coude-à-coude avec le HDZ, les deux formations étant créditées de 32 % des intentions de vote. Sachant que les sociaux-démocrates peuvent encore compter sur le renfort de plusieurs petits partis, comme les écologistes du mouvement Orah, la victoire semble désormais à portée de main du premier ministre Milanovic, que l’on pensait pourtant « grillé » par quatre années d’un difficile exercice du pouvoir. Tous les indicateurs économiques de la Croatie, membre de l’UE depuis le 1er juillet 2013, sont en effet au rouge : chômage massif, croissance en berne depuis des années, etc.

    C’est grâce à la crise des réfugiés que la coalition au pouvoir a pu restaurer sa crédibilité politique. La Croatie se retrouve, en effet, « prise en étau » entre les réfugiés qui affluent de Serbie (plus de 100 000 depuis la mi-septembre) et les pays voisins, Slovénie et Hongrie. Des corridors humanitaires ont été improvisés mais si l’Autriche et l’Allemagne fermaient les portes, la situation deviendrait ingérable pour les pays de transit, comme la Croatie.

    Omniprésents dans les médias, Zoran Milanovic et son ministre de l’intérieur, Ranko Ostojic, ont su jouer avec brio d’un mélange de fermeté et d’humanisme. Le premier ministre a dénoncé la construction de la clôture de barbelés hongroise, en affirmant que « jamais » la Croatie n’en viendrait à de telles extrémités. Pourtant, Zagreb a fermé durant quelques jours ses frontières avec la Serbie, et a déployé des renforts de police le long de ses frontières avec le Monténégro.

    Alors que l’opinion publique croate, comme celle de tous les pays des Balkans, réagit avec empathie au drame des réfugiés – pour beaucoup de Croates, cette tragédie évoque celle qu’ils ont eux-mêmes vécue durant la guerre du début des années 1990 –, l’humanisme affiché par le gouvernement passe bien. Dans le même temps, les accusations lancées contre la Serbie, qui serait « incapable de gérer ses frontières », satisfont les secteurs les plus nationalistes de l’opinion.

    La reprise de ces antiennes anti-serbes ont coupé l’herbe sous le pied à la droite nationaliste. Le HDZ court derrière la crise des réfugiés, sans parvenir à trouver un angle d’attaque efficace contre le gouvernement. L’opposition concentre ses critiques sur les projets supposés du gouvernement de création d’immenses centres d’accueil sur la péninsule de Prevlaka, sur la frontière monténégrine, à une vingtaine de kilomètres de Dubrovnik, et sur l’île de Lastovo. Alors que l’activité touristique demeure importante toute l’année à Dubrovnik, les Croates font déjà des cauchemars en imaginant des milliers de réfugiés camper sous les remparts de la vieille ville… (Jean-Arnault Dérens en Croatie.)

    Espagne.- Rajoy et la droite hésitent à en faire un thème de campagne

    En Espagne, les législatives se dérouleront le 20 décembre. La campagne n’a pas encore commencé, et elle se jouera avant tout sur la « reprise » de l’économie espagnole promise par le chef de gouvernement conservateur Mariano Rajoy (PP). Les partis devraient tout de même s'affronter sur les questions migratoires, même si le pays ne se situe pas sur les routes des réfugiés fuyant la Syrie.

    Depuis la rentrée, les villes remportées par le mouvement « indigné », dont Madrid et Barcelone, ont constitué un réseau de villes-refuges, censé faciliter l’accueil de réfugiés. Avec l’aide de communautés autonomes remportées par la gauche (en mai), elles font pression sur le gouvernement de Rajoy, pour qu’il assouplisse sa politique. Ce dernier a fini par accepter, dans la douleur, le système de quotas proposé par Bruxelles. 

    En l'absence d'un parti d'extrême droite représenté au niveau national, le PP continue de présenter le cas des enclaves de Ceuta et Melilla, au nord du Maroc, protégées par un triple grillage de six mètres de haut, sur onze kilomètres, comme un succès de sa politique répressive. Depuis quatre mois, les intrusions de migrants sont quasiment impossibles. Le mouvement anti-austérité Podemos, lui, fait campagne pour instaurer des « voies d’accès légales » pour les réfugiés à travers l’Europe.

    À l’instar des Républicains en France, le PP est traversé par de nombreux courants, du centre droit à une ligne proche de l'extrême droite. Pour les élections catalanes du 27 septembre, Rajoy avait joué la carte de l’aile droitière, en imposant l’ancien maire de Badalona, Xavier Garcia Albiol, habitué des sorties nauséabondes visant les Roms en particulier (ce qui lui avait valu un procès, qu’il a gagné), et les migrants en général. Mais le PP n’est arrivé qu’en cinquième position en Catalogne, avec l’un de ses plus mauvais score... Cela pourrait faire réfléchir Rajoy d’ici aux législatives. (Ludovic Lamant.)
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    Autriche.- Les « torrents de réfugiés », aubaine de l'extrême droite FPÖ

    Heinz-Christian Strache rêvait d'arriver en tête. Ce dimanche 11 octobre, Vienne, ville-région et capitale autrichienne où vivent un quart des habitants du pays, élisait son maire. Strache, l'équivalent autrichien de Marine Le Pen, voulait absolument passer devant les sociaux-démocrates. Il rêvait, disait-il, de faire sa « révolution d'octobre ». Le symbole aurait été parfait : la ville, bastion de la bourgeoisie progressiste et libérale, est dirigée par les sociaux-démocrates depuis 1945.

    Strache, leader toujours bronzé d'une extrême droite qui se veut désormais respectable, n'a pas réussi son pari. Avec un progrès de 5 points, son parti, le FPÖ, dépasse certes les 30 % et ratiboise la droite classique, qui passe pour la première fois en dessous des 10 %. Il progresse quand tous les autres partis perdent du terrain, et emporte les districts de Simmering et Floridsdorf. Mais il reste à près de dix points derrière les sociaux-démocrates. Le vieux maire social-démocrate Michael Häupl, au pouvoir à Vienne depuis 1994, l'a joué habile en transformant le scrutin en référendum anti-Strache.

    Mais pour Strache, ce n'est qu'une demi-défaite. Car le leader de l'extrême droite a réussi à imposer ses thèmes, à commencer par la peur de ceux qu'il appelle les « soi-disant réfugiés », des étrangers et de l'islam en particulier. Depuis des mois, l'Autriche ne parle que de ça. La question de l'asile a écrasé la campagne. Rien qu'en septembre, après que l'Allemagne a imposé un strict contrôle à ses frontières, 200 000 migrants sont passés par l'Autriche, devenue une vaste salle d'attente (lire notre reportage). Et 10 000 ont déposé une demande d'asile. 

    Depuis des mois, Strache dénonce le « chaos de l'asile », les « torrents de réfugiés ». Pendant la campagne, il a aussi proposé d'ériger des murs aux frontières comme la Hongrie de Viktor Orban. Jouant à fond l'opposition entre les classes populaires autrichiennes déclassées et les migrants, il abuse de slogans simplistes comme« Vienne n'est pas Istanbul » ou « pas de nouvelles mosquées, mais de nouveaux logements ». Comme d'autres ailleurs, Strache surfe sur les peurs. Il fait référence aux invasions germaniques du IVe siècle (“Volkërwanderung”) – les fameuses « invasions barbares » aussi invoquées par Marine Le Pen. Il assure que les demandeurs d'asile vont prendre le travail ou les logements des honnêtes Autrichiens. Il certifie, comme Christian Estrosi chez nous, que des « terroristes » se cachent parmi eux. Un porte-parole de son parti a même traité les bénévoles qui aident les réfugiés dans les gares de Vienne de « collaborateurs de l'invasion »

    Cette rhétorique agressive lui a permis d'aligner les succès ces derniers mois lors d'autres élections régionales. En mai, après une percée de l'extrême droite (de 6 à 15 %) lors des élections régionales, les sociaux-démocrates du SPÖ ont dû se résoudre à une alliance avec le FPÖ dans l'État du Burgenland, le plus oriental du pays, à la frontière slovaque. Une alliance qui n'est pas inédite, mais prouve le délitement et la perte d'influence de la social-démocratie autrichienne.

    Dans l'État du Steiermark, il a triplé son score à 27 %, égalant les deux grands partis, le SPÖ et le ÖVP – qui ont depuis reconduit leur coalition. Fin septembre, en Haute-Autriche, la région de Linz, il a obtenu plus de 30 % des voix – deux fois plus qu'en 2009 – derrière la droite, devant les sociaux-démocrates – finalement, la droite pourraitgouverner avec les sociaux-démocrates et les écologistes, mais une coalition extrême droite/droite n'est pas exclue. 

    Alors que le SPÖ et les conservateurs gouvernent le pays ensemble, Strache a durement critiqué leur gestion de la crise des réfugiés. Il a surtout imposé son agenda. La ministre de l'intérieur conservatrice a ainsi lancé l'idée d'un asile « temporaire » de trois ans, qui serait ensuite ré-examiné. Une décision contraire à la convention de Genève.Localement, les candidats de droite comme de gauche ont défendu une ligne anti-immigrés dure, pensant ainsi limiter l'hémorragie de leurs électeurs. Une erreur, selon le politologie autrichien Thomas Hofer, interrogé par le journal allemand Süddeutsche Zeitung : « En imitant ce parti, en lui empruntant ses thèmes, on n'attire pas ses électeurs, on ne fait qu'alimenter son fonds de commerce. »

    Le FPÖ, qui gouverna le pays en alliance avec les conservateurs de 1999 à 2006, du temps de son ancien leader Jörg Haider – aujourd'hui décédé –, vise désormais les élections législatives de 2018. (Mathieu Magnaudeix, envoyé spécial à Vienne.)

    Slovaquie.- Surenchère avant les élections 

    En Slovaquie, les réfugiés n'existent pratiquement pas. Le pays est à l'écart des grandes routes de l'exil qui passent par la Serbie, la Hongrie et la Croatie. Les Syriens, Irakiens, Iraniens qui gagnent l'Europe n'en rêvent pas : ils visent l'Allemagne, la Suède ou la Finlande, où il y a du travail, et souvent leurs familles.

    Mais dans ce petit État de 5,4 millions d'habitants, indépendant depuis 1993, il n'est question que d'eux. Dans les médias, ils sont partout, comme si le pays découvrait les mouvements migratoires. Toujours, ou presque, les politiques en parlent comme d'une menace. Le Parlement a consacré sa session de rentrée à la crise migratoire « et les discours étaient plus affligeants les uns que les autres », selon Barbora Massova, l'avocate de la Ligue des droits de l'homme. Il n'est pas rare qu'à gauche comme à droite, les réfugiés soient, comme les Roms l'ont été avant eux, traités d'« inadaptables » ou de« tire-au-flanc ».

    Dans l'actuelle discussion européenne sur des quotas de réfugiés, la Slovaquie refuse farouchement tout système de quotas européen. C'est l' un des pays les plus intraitables, avec la Hongrie et la République tchèque, autres anciennes nations du bloc communiste qui ont intégré l'Union européenne.  Le gouvernement entend même porter plainte contre les quotas européens quand ils seront mis en place.

    Depuis des semaines, le premier ministre Robert Fico, un ancien communiste dont le parti social-démocrate détient la majorité absolue au Parlement, mène cette guerre rhétorique contre les réfugiés. Il les dépeint en profiteurs, venus essentiellement pour des raisons économiques, qui menaceraient l'identité chrétienne slovaque, ou comme des terroristes potentiels qui veulent« essayer de changer la nature, la culture et les valeurs de notre pays ». Pour plusieurs observateurs, cette rhétorique, outre le fait qu'elle permet d'étouffer des scandales de corruption, a un objectif politique immédiat : début mars, la Slovaquie élira ses députés. Fico entend bien conserver sa majorité.

    « Fico et ses proches veulent montrer les muscles, se désole Juraj Buzalka, chercheur à l'institut d'anthropologie sociale de l'université Comenius de Bratislava. Lui et l'autre personnalité de son parti, Robert Kalinak, ne reculent devant aucune instrumentalisation. Ils ont joué pendant longtemps la carte anti-hongroise [une forte minorité de 500 000 personnes, un dixième de la population – ndlr], puis la carte anti-Roms [toujours stigmatisés – ndlr], et maintenant ils s'en prennent aux réfugiés. Fico, qui est entré au parti communiste à la fin des années 1980 pour des raisons purement carriéristes, se présente désormais en catholique fervent. Après avoir été le bon élève de l'Union européenne, il s'en prend à elle parce qu'il espère que cela va lui profiter. »

    Fico n'est pas le seul à faire vibrer la corde anti-immigrés. À l'exception du chef du petit parti de la minorité hongroise, le Most de Bela Bugar, tous les partis s'y sont mis, de l'opposition conservatrice aux nationalistes, en passant, bien sûr, par l'extrême droite crypto-nazie qui dirige une des huit régions du pays. Ces messages simplistes trouvent une résonance dans les campagnes slovaques, délaissées depuis des décennies par le pouvoir central.

    « Jusqu'aux élections, et pour la première fois dans l'histoire de ce pays, les réfugiés vont être au centre des polémiques, alors que leur nombre ici est infinitésimal », soupire Barbora Messova. Un peu seul contre tous, le président de la République et homme d'affaires philanthrope Andrej Kiska, élu en 2014 au suffrage universel, tient un discours d'ouverture. Mais il n'a pas beaucoup de pouvoirs. (Mathieu Magnaudeix, envoyé spécial à Bratislava.)

  • Croatie : comment l'on passe de l'accueil au contrôle des migrants

     

    Après la Hongrie, l'Allemagne, l'Autriche, la République Tchèque, la Slovaquie et la Slovénie, la Croatie ferme à son tour une partie de ses frontières face à l'afflux des migrants. Comment en est-on arrivés à une gestion si chaotique de la situation ? Plusieurs paradoxes de la politique migratoire européenne sont révélés par le cas des Balkans.Morgane Dujmovic, doctorante en géographie en recherche à l'Université de Zagreb, nous livre son analyse.

     


     

     Le mardi 15 septembre 2015, la Hongrie achevait de clôturer sa frontière avec la Serbie. Le jour suivant, la Croatie faisait le « buzz » : on découvrait un peu partout dans les médias qu’une « nouvelle route migratoire » s’ouvrait entre la ville de Šid en Serbie (province de Voïvodine) et le petit village de Tovarnik, en Croatie (Slavonie orientale). Si cet axe constitue une « porte d’entrée dans l’UE » depuis plusieurs années déjà, les arrivées constatées en 24 heures sont sans précédent. Le chiffre annoncé mercredi soir par le ministère de l’Intérieur croate de 1 191 personnes était porté à 5 650 jeudi matin, à 7 300 dans l’après-midi, pour se stabiliser autour de 9 200 à 19h00 et de 11 000 à 22h00. Dans la nuit de jeudi 17 à vendredi 18, 2 000 personnes supplémentaires ont été enregistrées.

     

    La première réaction des autorités croates laissait attendre une politique « à visage humain » : des bus et des trains ont été affrétés pour amener les migrants de la gare de Tovarnik au centre de rétention de Ježevo, spécialement transformé pour l’occasion en « centre d’enregistrement » ; plusieurs lieux d’accueil ont par ailleurs été établis dans l’urgence.

    Les premières déclarations politiques, notamment celles du premier ministre Zoran Milanović, laissaient même supposer qu’un corridor humanitaire serait aménagé pour les migrants, non sans un certain cynisme quant à la supposée fonction de « transit » de la Croatie : « Ils pourront passer par la Croatie et nous travaillons à ce propos (…). Nous sommes prêts à accepter ces gens, quelles que soient leur religion et la couleur de leur peau, et à les diriger vers les destinations où ils souhaitent se rendre, l’Allemagne et la Scandinavie ». Pourtant, dès jeudi, c’est un tout autre discours qui fleurissait dans les médias croates : à l’idée d’accueil inconditionnel succédait la crainte que les capacités croates ne soient insuffisantes, voire que les migrants ne soient finalement bloqués en Croatie si l’Autriche décide de poursuivre la fermeture de sa frontière, et que la Slovénie s’emploie à en faire de même…Et à la Présidente de la République de Croatie de conclure que les « aspects sécuritaires » devaient l’emporter sur les besoins humanitaires...

     

    Le premier constat qui s’impose, une fois de plus, est que le contrôle migratoire et la fermeture des frontières, bien loin de stopper les migrants sur leurs routes, les amènent à de nouveaux contournements sur des routes toujours plus dangereuses. Mais le cas croate nous enseigne aussi sur la tendance généralisée d’une gestion sécuritaire de ces migrants contraints à fuir vers l’Europe. Comment peut-on passer, en 24 heures, d’une logique de l’accueil à une logique de fermeture des frontières ?


     

    Croatie : une « nouvelle » porte d’entrée dans l’Union européenne ?

     

    Jusqu’à la fin de l’été 2015, les parcours migratoires se dirigeaient majoritairement vers la Hongrie, déjà membre de l’espace Schengen, plutôt que vers la Croatie, membre de l’Union européenne mais encore exclue de Schengen. Cette tendance ne signifie pas qu’aucun migrant ne passait auparavant par la Croatie. Dans une carte publiée sur le dossier participatif Ouvrez L’Europe, nous avons d’ailleurs retracé le parcours d’un jeune homme marocain à travers les Balkans entre 2011 et juillet 2015, parcours qui l’avait amené à traverser la Croatie avant d’être renvoyé de l’Autriche à la Croatie dans la cadre du règlement Dublin III.

    Pour l’année 2014, le ministère de l’Intérieur croate (MUP) a comptabilisé 3 914 « franchissements irréguliers des frontières étatiques », contre 4 734 en 2013. Dans la région de Vukovar-Srem (Vukovarsko-Srijemska Županija) qui jouxte la Serbie, à peine 993 passages irréguliers ont été détectés en 2013 et 797 en 2014. Bien sûr, ces chiffres semblent dérisoires à côté des statistiques françaises ou allemandes (800 000 arrivées attendues pour 2015). Mais la Croatie est un pays de taille relativement réduite, qui rassemble une population de 4 millions 300 000 habitants. Par ailleurs, le système d’asile mis en place dans le cadre du processus d’adhésion à l’Union européenne est très récent ; la première Loi sur l’asile est entrée en vigueur en 2004. Dans ces conditions, on peut comprendre que l’arrivée de près de 10 000 migrants en 24 heures amène les autorités de Zagreb à parler de véritable « crise humanitaire ».

     

    Quelle politique d’accueil est possible en Croatie ?

     

    Face à cet afflux non anticipé, les premières annonces politiques ont porté à croire que le gouvernement croate se montrerait « humain » voire  « généreux » dans sa politique d’accueil des migrants. Ainsi les déclarations du premier ministre Zoran Milanović laissaient entendre que la Croatie « accepterait » que les migrants transitent par le territoire croate, alors que leministre de l’Intérieur Ranko Ostojić affirmait que « la Croatie est prête à accueillir jusqu’à 1 500 réfugiés par jour et cherchera des solutions pour augmenter ses capacités si leur nombre augmentait ». De son côté, le ministre de la Santé Siniša Varga a souligné que la Croatie a pu accueillir 450 000 réfugiés durant la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995) ; il a même sous-entendu que les infrastructures touristiques pourraient être utilisées pour accueillir les migrants d’aujourd’hui, comme cela a été fait à l’époque du conflit.

     

    Dans cette première phase de l’accueil, les autorités croates ont de plus affrété un train transportant 800 migrants vers la capitale. Ce convoi s’est dirigé vers la ville de Dugo Selo, à une trentaine de kilomètres de Zagreb, où se situe le centre de rétention de Ježevo, transformé pour l’occasion en « centre d’enregistrement » des migrants. La plupart des migrants ont été dirigés vers les centres d’accueil pour demandeurs d’asile déjà existants à Zagreb et à Kutina (une heure à l’est de la capitale). Aux côtés de ces centres, une solution d’hébergement a été improvisée dans une clinique psychiatrique à l’abandon à Čepin, non loin d’Osijek, et deux autres lieux ont été réquisitionnés à Sisak et Beli Manastir.

     

    Le jeudi 17 au soir, l’ensemble des lieux pouvant accueillir des migrants avaient presque atteint leurs capacités maximales : 791 personnes à Ježevo, 457 à Čepin, 466 à Zagreb, 50 à Kutina, 51 à Sisak et 110 à Beli Manastir, selon les sources officielles. Assez vite, pour faire face à l’arrivée continue de migrants, des tentes ont dû être installées dans la cour de Ježevo et de Čepin, et l’armée a même proposé de prendre en charge la gestion des couchages. Une question s’est très vite imposée : la Croatie est-elle capable de faire face ? Quelle est l’état des capacités d’accueil sur le territoire croate, et quel est le contexte de réception des migrants ?

             

    Tout d’abord, le pays a une solide expérience dans l’accueil des réfugiés et déplacés du conflit des années 90. Très souvent, les observateurs croates qui défendent une politique d’ouverture et de solidarité envers les migrants rappellent que la Croatie est parvenue à prendre en charge 650 000 personnes dans ces années noires - sous-entendant que le pays pourrait aujourd’hui sans problème accueillir ce qui ne représente qu’un dixième de cet effectif…Par ailleurs certains commentateurs soulignent régulièrement qu’environ 50 000 Croates ont trouvé asile dans d’autres pays d’Europe et du monde. L’expérience de cet exil est profondément ancrée dans le vécu de certaines franges de la population, en particulier dans la région de Vukovar où se font aujourd’hui les arrivées. En termes d’infrastructures, il en résulte que certains lieux d’accueil ont perduré à travers les deux dernières décennies. Ainsi, dans la matinée de jeudi, un ancien camp de réfugiés et déplacés, en fonction de 1994 à 2007, a été « ré-aménagé » avec des tentes pour recevoir 1 200 migrants, non loin de Vinkovci.

     

    Frilosité : les conséquences d’une politique attentiste et du « tout Schengen »

     

    Pourtant, après s’être entretenu avec le chancelier fédéral autrichien Werner Faymann, le premier ministre Milanović est vite revenu sur ses premières positions, déclarant que « les capacités croates sont limitées » et insistant sur la nécessité d’identifier et d’enregistrer tous les « réfugiés », ce qui a été présenté comme un « devoir de la Croatie » malgré le fait que « ces personnes ne souhaitent pas rester en Croatie ». Comment peut-on analyser un tel basculement de discours, et quelles en sont les implications pour la gestion de la situation d’urgence ?

     

    En premier lieu, il est vrai que la Croatie était très mal préparée à un tel afflux de migrants. Au printemps 2015, la situation migratoire était stationnaire, voire calme, en Croatie : 160 personnes avaient obtenu le statut de demandeur d’asile,  et seules quelques dizaines de nouvelles demandes étaient enregistrées chaque mois. Lorsque l’idée de quotas à l’échelle européenne a été avancée, nous avons interrogé plusieurs fonctionnaires du ministère de l’Intérieur croate (MUP) sur le dispositif national d’accueil qui pourrait être mis en place dans le cas de la mise en œuvre de ce système de répartition (à l’époque, le chiffre de 747 migrants de Syrie et d’Érythrée était avancé pour la Croatie, contre 1024 prévu par le plan présenté par Claude Junker le 9 septembre).

    Les fonctionnaires du Secteur pour l’asile comme ceux du Secteur pour les migrations irrégulières nous ont invariablement répondu que le thème n’était pas d’actualité, du moins tant que l’Union européenne n’avait pas de position unanime sur le sujet. Pourtant, en juin déjà, la Hongrie annonçait sa volonté de construire un mur à la frontière avec la Serbie, ce qui pouvait naturellement laisser présager un nouveau déplacement des routes migratoires vers la Croatie. Pourtant encore, certains médias alternatifs ont tiré la sonnette d’alarme fin juin, dénonçant une « politique de l’autruche » du fait de l’absence de stratégie du gouvernement croate dans le cas d’un afflux de migrants. Plutôt que d’adopter cette attitude de laisser-faire, les autorités croates n’auraient-elles pas pu anticiper une telle situation ?

     

    C’est que les autorités croates sont tout entières affairées à une activité des plus chronophages depuis cet été : préparer l’adhésion du pays à l’espace Schengen. Début juillet, la procédure de candidature de la Croatie a été lancée : cela implique pour les autorités de remplir le fameux« questionnaire Schengen », outil devenu incontournable  pour « évaluer » tous les aspirants à l’entrée dans le club. On y trouve des questions telles que : « décrivez le modèle de sécurité frontalière dans votre pays ? », ou : « quel est le nombre actuel de personnel travaillant dans les points frontières ?». La stratégie est donc toute entière tournée vers la sécurisation de la frontière externe de l’espace Schengen, que la Croatie partage avec la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro... Et en aucun cas, vers l’accueil de migrants.

    En matière « d’hébergement », l’acquis Schengen prévoit bien plutôt l’installation de centres fermés pour migrants indésirables. Ainsi, si le village de Tovarnik a été abondamment cité dans les médias ces derniers jours, il n’a pas été précisé que la localité se prépare à voir mis en fonction un camp fermé pour migrants, officiellement dénommé « centre de transit pour l’accueil des étrangers ». Ce lieu destiné à organiser l’admission ou l’expulsion de migrants « illégalisés » est financé à hauteur de 3 millions d’euros par « l’instrument Schengen », un fond principalement alloué au contrôle de la frontière.

    « Le projet de camp fermé de Tovarnik financé par l’instrument Schengen, photo Morgane Dujmovic le 10/04/2015. » « Le projet de camp fermé de Tovarnik financé par l’instrument Schengen, photo Morgane Dujmovic le 10/04/2015. »

    Ainsi, à un moment où l’essence même de cet espace Schengen est en train de péricliter avec la réinstauration de contrôles aux frontières internes un peu partout en Europe, l’État croate se doit de se montrer « bon élève » en appliquant strictement les préceptes du Code frontières Schengen, à grands renforts de subsides européens. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que le gouvernement croate ait fait volte-face et l’on peut même supposer que ce dernier s’est fait taper sur les doigts par les représentants slovènes et autrichiens pour avoir émis l’idée de « faciliter le transit des migrants vers l’Allemagne ou la Scandinavie ». C’est probablement la raison pour laquelle jeudi, le premier ministre Milanović n’a eu de cesse de répéter que le devoir des autorités croates était d’enregistrer les migrants qui tentent de traverser le territoire croate, ou dans le cas d’un refus, de les renvoyer dans leur pays d’origine ou dans un pays de transit.

     

    Vers une fermeture de la frontière : maintenir et refouler les migrants

     

    Déjà dans la journée de jeudi, le tournant sécuritaire se laisser deviner. La cheffe de la diplomatie croate Vesna Pušić a déclaré que la Croatie n’était pas prête à accorder le droit d’asile pour des dizaines de milliers de migrants. Puis, c’est la Présidente croate Kolinda Grabar Kitarović qui a donné le ton, en convoquant une réunion du Conseil de sécurité nationale et en assurant : « bien sûr, la Croatie a montré un visage humain, mais j’affirme que pour moi compte en premier lieu la sécurité des citoyens croates et la stabilité de l’État. Je crois qu’en ce premier jour est entré de façon incontrôlée un nombre trop important de réfugiés ». Et d’ajouter : « la Croatie ne peut simplement pas satisfaire les besoins de ces personnes. (…) L’aspect humanitaire est un visage de cette crise, néanmoins d’autres visages sont bel et bien les aspects sécuritaires, économiques et sociaux ». Alors que la Présidente aurait rencontré le chef d’état-major et demandé un relèvement du niveau d’alerte de l’armée, le ministre de l’Intérieur Ranko Ostojić commençait à envisager « d’autres moyens de gérer la situation ».

    C’est en soirée que la décision est tombée : à 23h00 les autorités locales de Vukovar et d’Osijek ont interdit le trafic dans sept postes-frontières en s’appuyant sur la Loi sur la sécurité des transports sur les routes (art. 195) et la Loi sur la procédure administrative (art. 96). Vendredi 18 au petit matin, le contrôle policier était renforcé aux points frontières de Tovarnik, Ilok, Principovac, Batina, et Erdut, ce qui pose de nombreuses questions sur le tour que pourrait prendre la politique croate et sur le sort qui sera réservé aux migrants.

    Si à l’instar de la Hongrie, la Croatie ferme sa frontière avec la Serbie, qu’en sera-t-il alors des milliers de migrants bloqués en Serbie ? Seront-ils tout simplement « refoulés » à l’entrée en Croatie et maintenus dans la zone-tampon serbe ?La fermeture de la frontière externe de Schengen est une chose, certes répréhensible mais néanmoins cohérente. Celle des frontières internes en est une autre : le cas croate pose aussi la question de la fermeture potentielle de la frontière avec la Slovénie, qui pourrait bien décider de procéder comme certains de sesvoisins européens, Autriche et Allemagne en tête. D’autant que la Hongrie a déjà annoncé qu’elle pourrait construire un mur à sa frontière avec la Croatie…On peut alors imaginer que bon nombre de migrants seront tout bonnement bloqués en Croatie, où ils n’ont aucune intention de faire leur vie du fait notamment de très faibles perspectives d’intégration.

     

    A Tovarnik, des milliers de personnes étaient amassées à la gare de train toute la journée de jeudi. Ces hommes, femmes et enfants attendaient un hypothétique train qui pourrait les mener jusqu’à la capitale. Des barricades policières ont été forcées, des migrants bousculés et séparés de leurs familles. Il n’a pas fallu longtemps pour conclure à une véritable « scène de chaos ». Beaucoup de migrants interrogés par la presse croate affirmaient ne pas vouloir rester en Croatie. Certains ont souligné qu’ils ne comprenaient pas pourquoi ils étaient « détenus », et ont refusé de se rendre dans les camps. Dans le même temps, la Slovénie renvoyait 150 individus vers la Croatie. Pour ces migrants maintenus sur le territoire croate, c’est à la recherche d’une solution durable que le gouvernement devrait s’atteler. 

     

    Petit à petit, l’Europe semble craquer sous toutes ses coutures. Comment en est-on arrivés à une gestion si chaotique de la situation ? Plusieurs paradoxes de la politique migratoire européenne sont révélés par le cas des Balkans. D’une part, alors que la politique de fermeture des frontières s’est montrée tant inefficace qu’inhumaine dans la gestion des flux de migrants, le vieux fantasme d’une opacité totale de ces frontières continue d’être brandi par les gouvernements des Etats-Membres de l’UE, Hongrie en tête. D’autre part, malgré l’élan de solidarité manifesté par les différentes populations des Etats-Membres (à Calais et Vintimille, comme en Macédoine, en Serbie et en Croatie), depuis dimanche 13 septembre les gouvernements européens ont décidé de se fermer en réinstaurent les uns après les autres un contrôle à leurs frontières internes, suivant l’exemple de l’Allemagne. Cette absence de solidarité entre Etats-Membres entraîne inévitablement la création de zones-tampons aux frontières externes de l’espace Schengen, où les situations humaines sont désastreuses - Grèce, Italie, Ceuta et Melilla, Hongrie en sont autant d’illustrations. Dans le cas croate, on voit comme de « bonnes intentions » peuvent être annihilées par les politiques des Etats membres voisins, mais aussi par les dispositifs de l’acquis Schengen eux-mêmes. En l’absence de réponse coordonnée des gouvernements européens, ce genre de situation risque de se prolonger...mais jusqu’à quand, et jusqu’où ?

    Morgane Dujmovic est doctorante en géographie (attachée au laboratoire TELEMME de l'Université Aix-Marseille/CNRS) en recherche à l'Université de Zagreb.

  • Checkpoint Charlie...

    Checkpoint Charlie, un trait d’union à sens unique

    Orient XXI > Magazine > Le choc « Charlie Hebdo » > Marc Cher-Leparrain > 19 janvier 2015

    L’attentat contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo et l’attaque contre le supermarché cacher parisien ont confirmé que nous vivions à l’heure de la mondialisation, où il devient difficile de disjoindre politique intérieure et politique extérieure. Le choc créé devrait aussi permettre un débat sur la place des populations musulmanes, aussi bien en France que dans le monde, et sur leur rapport avec ce que l’on nomme « l’Occident ».

    Rassemblement devant la mosquée de Châteauroux le 9 janvier 2015. Vidéo La Nouvelle République, (copie d’écran postérisée).

    Il y avait autrefois à Berlin un point de passage dans le mur entre le «  monde libre  » et le monde communiste, qui s’appelait «  checkpoint Charlie  ». Il était plus facile à franchir pour ceux de l’Ouest que pour ceux de l’Est. Aujourd’hui, un autre mur, invisible, existe entre l’Occident et le monde musulman. À la grande différence du mur de Berlin construit par l’Allemagne de l’Est, c’est l’Occident qui l’a édifié, non pas en une nuit, mais par étapes successives dont ces dernières décennies sont les plus marquantes et les plus violentes. En France, son point de passage est la présence d’une importante population française musulmane. À l’image du mur de Berlin, le franchissement de ce pont culturel n’est malheureusement autorisé que dans un seul sens.

    Agressions extérieures et intérieures

    De même que de nombreux Français juifs sont attachés à Israël et à tout événement qui s’y rapporte, les Français musulmans sont sensibles aux événements qui touchent les pays arabo-musulmans. La réaction majoritaire à l’attentat contre Charlie Hebdo parmi ces derniers a été de le condamner, tout en rappelant l’inadmissibilité de blasphémer sur l’islam. Elle est très comparable à celle de la population musulmane française.

    Cette similarité est bien sûr fondée sur le partage d’une même religion, mais elle est également nourrie de la sensibilité légitime de la population française musulmane à ce que vivent et ont vécu les pays arabo-musulmans. Et en la matière l’addition est lourde. Au passif de la colonisation et de ses dérives subies par les parents ou grands-parents de nombre de compatriotes transformés par la guerre d’Algérie en «  sales Arabes  » et en «  bougnoules  » et qu’un projet de loi en 2005 soulignant «  le rôle positif  » de cette colonisation a giflés un peu plus, se sont ajoutés ces vingt dernières années les errements violents de l’Occident au Proche-Orient au cours de guerres à répétitions. Celles-ci n’ont fait effectivement que semer le chaos politique et la destruction humaine, avec des centaines de milliers de morts.

    Aujourd’hui, alors que le traitement de la question palestinienne persiste dans son «  deux poids-deux mesures  » et dans l’effacement de la notion d’occupé et d’occupant, la guerre contre le terrorisme qui se poursuit, et à laquelle participe la France, tue davantage de civils ordinaires que de djihadistes, drones et bombardements aériens confondus.

    À cette agression permanente sur les terres de leurs racines culturelles, et à laquelle la France participe, se superpose en même temps, avec un impact encore plus violent, celles subies par les Français musulmans de façon permanente dans leur propre pays. Ces agressions, dans un premier temps à dominante raciste, sont devenues également islamophobes au fur et à mesure du développement de la confrontation de l’Occident au djihadisme et des récupérations qui en ont été faites. Le résultat est qu’une bonne partie des Français musulmans font face à la marginalisation raciale et religieuse qui les désigne comme éléments exogènes. Délit de «  sale gueule  », discriminations de toutes sortes et allusions à fond raciste dans la vie de tous les jours, mais aussi stigmatisation de leur foi par des lois les visant tout particulièrement (lois sur les signes religieux et le port du voile dans l’espace public), par la remise en cause de leur religion vis-à-vis de la démocratie, et aujourd’hui par la désignation à la vindicte populaire s’ils ne trouvent pas acceptable qu’on injurie et dégrade ce qu’ils ont de plus sacré.

    Va-t-on expliquer que des lois spécifiques comme celles qui protègent — à juste titre — leurs compatriotes juifs ne sont pas possibles en France  ? Une loi contre l’islamophobie  ? Comment expliquer que l’on accueille dans les médias audiovisuels du service public des auteurs islamophobes dont les ouvrages ne font qu’entretenir la haine et la peur du musulman  ? La participation à la marche de protestation du 11 janvier de nombreux Français musulmans s’est trouvée contrainte, tant les voix s’étaient élevées dans les grands médias, y compris du service public, pour qu’ils condamnent l’attentat en tant que musulmans plus qu’en tant que citoyens. Ce faisant, la France a gommé la pleine citoyenneté des Français musulmans au regard du reste de la population, les a obligés à accepter le statut de coupable a priori jusqu’à preuve du contraire. Condamner l’attentat est une chose, le faire en stigmatisant un peu plus une partie de la population française, en l’obligeant en l’occurrence à cautionner l’islamophobie, en est une autre. Une avanie de plus, et pas des moindres.

    Des remèdes aux effets pervers

    La terminologie d’«  islam de France  » ou d’islam à la française, promue par nos politiques, est perverse. Elle est même une erreur. Au nom de l’intégration dans la République et dans la société française, elle tend à couper de leurs origines nos compatriotes musulmans issus de l’immigration, de leur foi, qui se partage en branches et écoles bien définies, lesquelles ne sont pas plus françaises que le catholicisme ou le judaïsme. Pire, elle stigmatise l’islam en tant que tel.

    À travers l’expression d’«  islam de France  », est mise en avant la notion d’«  islam modéré  », qui seul serait admis en France. Cela sous-tend de façon implicite que l’islam en tant que tel ne l’est pas. Ce faisant, on contribue à nourrir les récupérations de la part de certains partis politiques qui surfent sur les peurs irrationnelles de ceux dont la vision de l’islam est parallèlement nourrie par les buzz sensationnels de médias cherchant à attirer le chaland. Cette terminologie perturbe son objectif, qui est de lutter contre les dérives radicales et intégristes s’opposant à la République et à ses lois. Plus grave, elle accepte — et donc rend légitime — la prise en otage de l’islam par les djihadistes et radicaux de tout poil, y compris par le wahhabisme saoudien qui est issu de la plus rigoriste des quatre écoles du sunnisme.

    Il ne peut y avoir un «  islam de France  », comme il ne peut y avoir un «  judaïsme de France  » ou un «  catholicisme de France  ». Tout ce qui peut être imposé, c’est le respect des lois de la République par chaque citoyen dans la pratique de sa religion, et à traitement égal. Cette imposition est de la responsabilité de l’État, et non pas de représentants de chaque religion. Se décharger de cette mission sur ces derniers reviendrait à entériner le communautarisme sur une base religieuse, principe de communauté qui en outre n’existe pas au sein des Français musulmans. Comme le souligne fort justement Olivier Roy1, il n’y a pas en effet, dans la population musulmane française, de phénomène de communautarisation au niveau national, ni de volonté pour se transformer en communauté. Cette population est très hétérogène religieusement, socialement et politiquement. Les organisations voulues «  représentatives  » existantes sont portées par le gouvernement français et des gouvernements étrangers, et n’ont de ce fait pas de légitimité locale.

    Et cette non-communautarisation est plutôt une bonne nouvelle, conclut Olivier Roy. Du fait de l’absence d’équivalent de la «  papauté  » chez les sunnites, ce qui pose problème cependant sont des immixtions d’États étrangers dans certaines mosquées françaises, en particulier quand il s’agit de l’Arabie saoudite dont le wahhabisme (salafisme) est catalyseur de radicalisation.

    Les racines du djihadisme

    Le terrorisme djihadiste n’est pas né de rien. Il n’est pas né d’emblée au sein des populations musulmanes. Il a plusieurs racines ou incitations. Parmi les principales :
     la colonisation occidentale, qui a provoqué en réaction défensive l’émergence de l’islam politique  ;
     la répression des mouvements de l’islam politique par les régimes arabes post-coloniaux laïcisants ainsi que par certaines monarchies du Golfe (en particulier l’Arabie Saoudite, y compris récemment) et le soutien de l’Occident à ces régimes  ;
     la politique coloniale ininterrompue de l’État d’Israël aux dépens des Palestiniens et avec le soutien de l’Occident  ;
     la promotion et la manipulation de mouvements djihadistes par certains États du Proche-Orient, notamment l’Arabie saoudite (en Afghanistan dans les années 1980, en Syrie depuis 2011), la Syrie (au Liban, en Irak et en Syrie même pour contrer la révolution de 2011), le Pakistan (talibans en Afghanistan pendant les années 1990) et l’Iran  ;
     la prise en otage parallèle de l’islam par les régimes saoudiens et iraniens dans le cadre de leur compétition politique  ;
     et enfin le retour massif des interventions militaires occidentales.

    Le djihadisme s’est attaqué — et s’attaque encore — aussi bien à des régimes arabes (et à celui du Pakistan aujourd’hui) qu’aux pays occidentaux. Les victimes sont, sans commune mesure, infiniment plus nombreuses parmi les populations musulmanes de ces pays que parmi les populations occidentales. Le grand dénominateur commun est l’agression contre l’islam ou sa manipulation par des régimes politiques à des fins strictement profanes.

    Tendre la main

    Aujourd’hui, la stigmatisation des musulmans en France, la propension à leur demander implicitement des comptes pour les violences commises par les djihadistes, les écrase dans un étau. Musulmans, ils sont suspects alors que les musulmans sont les premières victimes de ce terrorisme. Musulmans, ils doivent arborer «  Je suis Charlie  » alors que leur histoire récente n’a été qu’une succession d’agressions violentes contre l’islam. Musulmans, ils doivent cautionner le fait que pour combattre la prise en otage de leur religion par des groupes terroristes, l’on blesse cet otage pendant que l’on tue ces preneurs d’otage.

    Lutter contre le terrorisme des groupes djihadistes et contre les idées qu’ils tentent de propager au sein des populations musulmanes en Occident, commence par tendre la main aux populations musulmanes qui, dans leur quasi-totalité, ne demandent qu’à vivre en paix comme citoyens de la République. À défaut de réduire le chômage des banlieues qui contribue à la rancœur de populations fragilisées, un premier pas gigantesque serait l’arrêt de la stigmatisation de toute une population, davantage de respect et d’écoute. Un second grand pas serait fait avec une remise en cause de la politique étrangère française dans le monde arabe. Une politique qui, telle qu’elle est conduite, ne fait qu’aggraver la situation et contribue à fabriquer toujours plus de djihadistes. À défaut d’avoir la volonté et le courage de la modifier pour des raisons d’intérêts économiques immédiats, ayons au moins la volonté, qui ne nécessite pas de courage et qui est sans conséquences économiques, de prêter davantage attention à ceux qui, citoyens français, sont de confession musulmane. Si l’on déclare que «  La France, sans les juifs de France, n’est pas la France  », il faut déclarer aussi que sans les Français musulmans, la France n’est pas la France.

    À toi, jeune Européen, je voudrais dire que la peur des autres les façonne à nos peurs, nous allons créer et rencontrer ce que nous craignons. Surtout quand des politiciens sans conscience utilisent nos peurs pour des raisons électorales.
    Père Paolo Dall’Oglio.

     

  • Vous avez parlé du "terrorisme" ?

    Aux États-Unis aussi, la définition médiatique du « terroriste » est à géométrie variable

    par FAIRle 25 juin 2015

    Si l’on trouve des « terroristes » et du « terrorisme » sous toutes les plumes journalistiques ou presque, en France, aux États-Unis et ailleurs, force est de constater que les grands médias appliquent trop souvent, dans ce domaine aussi, le « deux poids, deux mesures ». En effet, s’ils s’empressent de brandir le terme dans certains contextes et pour certains individus (plutôt « islamistes » ou, par défaut, « musulmans »), ils répugnent parfois à le faire alors même que tout semble indiquer qu’il se justifierait (les individus sont alors plutôt « occidentaux » ou, comme on le dit dans le monde anglophone, de type « caucasien »). À cet égard, le traitement du « cas Breivik » fut « exemplaire ».


    Le court texte qui suit, paru le 19 juin dernier sous le titre « Why Are persons Unknown More Likely to Be Called « Terrorist » Than a Known White Supremacist ? », sur le site de l’observatoire américain des médias Fair, revient sur ce travers journalistique. (Acrimed)

    Au lendemain d’un acte de violence de masse, un pays hébété se tourne généralement vers ses grands médias pour voir la façon dont ils présentent les évènements. Les termes utilisés par les journalistes dans les heures qui suivent un massacre contribuent à former l’opinion publique tout en ayant une influence majeure sur les réactions politiques.

    Lorsque deux bombes ont explosé le 15 avril 2013 lors du marathon de Boston, faisant trois morts et des centaines de blessés, cela a immanquablement fait les gros titres : une recherche effectuée le lendemain de l’attentat à partir d’une base de données regroupant les journaux américains indiquait que 2593 articles mentionnaient le marathon, tous ou presque relatant les explosions. Parmi ceux-ci, 887 (34%) eurent recours au terme « terrorisme » ou assimilé (« terroriste », sous sa forme adjectivale ou nominale) – bien que l’on ne connût les auteurs, et a fortiori leur motivation, que plusieurs jours plus tard.

    Lorsque neuf personnes ont été tuées le 17 juin dernier dans l’Eglise épiscopale méthodiste africaine Emanuel, 367 articles ont paru le lendemain qui mentionnaient « Charleston » et « l’église », selon la même base de données ; un important fait d’actualité, certes, mais loin du traitement hors norme des attentats du marathon de Boston. Et parmi ces 367 articles, seuls 24 (7%) parlaient de « terrorisme » ou de « terroriste », bien que d’emblée, Dylan Roof, suspect n°1, fût identifié, tout comme furent exposées les preuves selon lesquelles il était mu par une idéologie suprémaciste blanche ainsi que le désir de « déclencher une guerre civile » (selon le journal local de Caroline du Sud The State).

    D’après certains, on a tellement usé et abusé du terme « terrorisme » que l’on ferait mieux de s’en passer. Reste que la violence motivée politiquement ciblant des civils – invariant de toutes les définitions du « terrorisme » – est un phénomène bien réel qu’il est difficile de ne pas nommer.

    Si les médias veulent utiliser ce terme, néanmoins, ils doivent le faire sans recourir au « deux poids, deux mesures ». En l’appliquant à des attaques dont les auteurs n’étaient alors pas encore identifiés, tout en refusant, dans la plupart des cas, de l’utiliser pour qualifier un massacre attribué à un blanc suprémaciste souhaitant déclencher une guerre raciale, ils ont échoué.

    Jim Naureckas

    (Traduit par Thibault Roques)

  • Le nouveau cabinet ministériel israélien

    Le nouveau cabinet ministériel israélien : un aréopage de racistes et d’extrémistes !

    Les nouveaux ministres israéliens ont pris leurs fonctions dimanche passé et ce, après que le 34ème gouvernement du pays ait été assermenté tard dans la journée du jeudi. Il s’agit d’un gouvernement composé d’extrémistes qui soutiennent la colonisation et les crimes de guerre tout en exprimant ouvertement la propagande raciste et l’incitation à la haine contre les Palestiniens.

    Qui sont les membres du gouvernement Netanyahu et quelles sont leurs postions ?

    Benjamin Netanyahu, Premier Ministre, Ministre des Affaires Etrangères :

    « Jérusalem est indivisible et nous ne ferons jamais de concessions. Nous ne nous retirerons jamais de notre terre. »

    Naftali Bennett, Ministre de l’Education, de Jérusalem et des Affaires de la Diaspora :

    « Il n’y aura pas d’état Palestinien au sein de la petite terre d’Israël. »

    Moshe Ya’alon, Ministre de la Défense :

    « Les caractéristiques de la menace palestinienne sont comme celles du cancer. »

    Yuval Steinitz, Ministre de l’Infrastructure Nationale, de l’Energie et de l’Eau :

    « Nous n’accepterons pas la division de Jérusalem ni l’abandon de la Vallée du Jourdain. »

    Ayelet Shaked, Ministre de la Justice :

    « Lorsque votre mari le pilote est aux commandes de son avion, souhaiteriez-vous qu’il bombarde violemment les Arabes ? (Rires) « Oui. »

    Silvan Shalom, Ministre de l’Intérieur :

    « Nous sommes tous contre l’établissement d’un état Palestinien, cela ne fait aucun doute. »

    Moshe Kahlon, Ministre des Finances :

    « Nous devons annexer tous les territoires le jour même. » (Ce fut sa réponse lorsqu’on lui a demandé son avis sur ce que ferait Israël si les Palestiniens déclaraient unilatéralement leur indépendance).

    Uri Ariel, Ministre de l’Agriculture et du Développement Rural :

    « Je pense que dans cinq ans, il y aura 550 000 voire 600 000 Juifs en Judée- Samarie [la Cisjordanie], plutôt que les 400 000 actuels. »

    Zeev Elkin, Ministre de l’Immigration et de l’Absorption, et des Affaires Stratégiques :

    « Il n’y a pas de place pour un état Palestinien, ni sur les frontières temporaires ni dans n’importe quelle autre configuration. »

    Ofir Akunis, Ministre sans portefeuille :

    « Je m’oppose fermement à l’établissement d’un état Palestinien là où notre nation est née. »

    Danny Danon, Ministre de la Science, de la Technologie et de l’Espace :

    « Nous renforcerons les colonies en Judée-Samarie [la Cisjordanie]. »

    Yisrael Katz, Ministre des Transports, de la sécurité Routière et des Renseignements :

    « L’idée de l’établissement d’un état Palestinien est inacceptable et je m’y oppose en raison, principalement, de nos droits sur cette terre. »

    Gila Gamliel, Ministre de l’Egalité des Sexes, des Minorités et des Séniors :

    « Je refuse qu’on utilise le mot « occupation »…La Bande de Gaza peut se rattacher à l’Égypte et la Jordanie peut annexer quelques Palestiniens. Ils ont le choix entre plusieurs pays. »

    Benny Begin, Ministre sans portefeuille :

    « Si la solution à deux états est l’unique solution, alors il n’y a pas de solution. »

    Haim Katz, Ministre du Bien-Etre et des Services Sociaux :

    « La conclusion est on ne peut plus Claire : non à l’établissement d’un état Palestinien car ce sera un état terroriste à la périphérie de Tel Aviv. »

    Yariv Levin, Ministre du Tourisme et de la Sécurité Publique :

    « Une loi Israélienne claire prouvera que nous sommes un état Juif. »

    Miri Regev, Ministre de la Culture et des Sports, Ministre du Renseignement :

    « La Terre d’Israël appartient au peuple Juif, et pas seulement aux Juifs qui vivent sur cette terre. »

    Eli Ben-Dahan, vice-ministre de la Défense :

    « Les Palestiniens sont des animaux, pas des êtres humains. »

    À la lumière de toutes ces déclarations, les alliés d’Israël, notamment l’Union Européenne, continueront-ils d’agir comme si de rien n’était ?

    Pour rappel, lorsque l’extrême droite autrichienne représentée par le Parti de la Liberté était arrivé second lors des élections de 1999, les états membres de l’Union Européenne avaient imposé des sanctions diplomatiques qui ont été levées en septembre 2000. Actuellement, plus de 30 pays soumis à plusieurs types de sanctions ou de « mesures restrictives » sont inscrits sur la liste de l’Union Européenne.

    Récemment, d’anciens politiciens et diplomates Européens ont exhorté une réévaluation urgente de la politique européenne, en insistant sur le fait de tenir Israël pour responsable de la colonisation de la terre Palestinienne. En Avril, 16 ministres européens des Affaires étrangères ont appelé à une introduction généralisée à travers toute l’Union Européenne de directives concernant l’étiquetage correct et exact des produits en provenance des colonies israéliennes, ainsi que des « mesures plus sévères » supplémentaires. En janvier, 63 membres du Parlement européen ont exprimé leur soutien à la suspension de l’Accord d’Association entre l’UE et Israël.

    Les Palestiniens et plusieurs groupes de la société civile en Europe ont, pendant un certain temps, appelé à l’application de ces mesures et bien d’autres similaires. Aujourd’hui, la question qui se pose est la suivante : avec un gouvernement Israélien qui rejette effrontément les normes internationales et les droits des Palestiniens, va-t-on enfin assister à une prise de décision et d’action radicale et significative de la part de Bruxelles pour en finir avec sa complicité avec l’apartheid Israélien ?