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Racisme

  • Le gouvernement français ouvre officiellement la chasse aux musulmans

     

     
     
    Il n’a pas fallu attendre 3 semaines après les attentats terroristes qui ont frappé Paris pour que la France, pays autoproclamé des droits de l’homme lance officiellement la chasse aux musulmans sur son propre sol.
    Sous prétexte de « continuer et renforcer l’action de lutte contre la menace terroriste », le gouvernement Français vient en effet de mettre en ligne un site Internet www.stop-djihadisme.gouv.fr que Vichy et Pétain n’auraient pas renié si Internet avait existé à l’époque.

    En invitant les bons citoyens à « se mobiliser ensemble pour agir contre la menace terroriste et lutter contre l’enrôlement djihadiste », le gouvernement propose un arsenal de moyens pour dénoncer les personnes suspectes de son entourage.
     
    Suspectes de quoi ? C’est tout le problème.
     
    Le site s’ouvre d’abord sur un clip de 2 minutes pendant lesquelles on ne peut s’empêcher de penser à Fabius et Hollande qui nous ont cassé les oreilles pendant des semaines en ânonnant qu’il fallait absolument aller combattre Bachar El Assad en Syrie, exactement ce que font les djihadistes qu’ils prétendent aujourd’hui dénoncer.
    On ne peut pas s’empêcher non plus de penser à l’article du New York Times qui affirme que la France est le plus gros financeur d’Al Quaïda avec 58 M $ versés au titre de rançons pour libérer ses ressortissants. (1)
    Et puis, pour rester dans le ton très second degré du clip, remplacez « djihadiste » par « socialiste » et le message de fin donne :  « les discours d’embrigadement djihadistes socialistes font chaque jour de nouvelles victimes » #stopsocialisme.
     
    Bref, on se marre devant tant d’hypocrisie.
     
    Là où le site devient moins marrant, c’est quand on fouille un peu dedans. On y trouve la parfaite panoplie du collabo modèle, pardon du citoyen modèle.
    Les services de renseignements, la police et la gendarmerie sont incapables d’identifier des Merah, des Coulibaly ou des Kouachi avant qu’ils ne passent à l’action, mais toi, futur agent du renseignement, grâce à ton flair de policier, tu vas y arriver. On y croit.
     
    Le site comprend donc un numéro vert, un formulaire de signalement, un formulaire de dénonciation et un petit schéma censé aider les Français à repérer et signaler les futurs terroristes.
     
    Le numéro vert ne fonctionne qu’en semaine et de 9h à 17h. Il doit être utilisé pour « prévenir les radicalisations violentes ». Donc si vous trouvez un djihadiste en voie de radicalisation violente le vendredi à 17h05, vous le gardez bien au chaud jusqu’à lundi en espérant qu’il ne se radicalise pas trop violemment pendant le week-end. Non mais, on va quand même pas bosser le samedi, jour du Shabbat ou le dimanche, jour du Seigneur. La laïcité à ses limites.
     
    En dehors de ces horaires, on nous indique qu’on peut utiliser un formulaire de dénonciation. On passe donc sur le site du ministère de l’intérieur et là on vous propose de dénoncer un proche ou un membre de votre famille par écrit, en vous promettant de vous rappeler très rapidement.  En espérant que votre fils, neveu ou cousin que vous aimez tant au point de le foutre en taule pour des années ne prenne pas l’avion samedi ou dimanche.
     
    Enfin pour ceux qui voudraient en remettre une couche, ils peuvent aussi aller jusqu’au formulaire « signaler une apologie du terrorisme ». Vous savez, cette fameuse apologie du terrorisme dont se sert le gouvernement socialiste pour terroriser tout le monde et surtout les enfants en les inculpant à tour de bras, de 7 à 77 ans. (2)
    Bien évidemment, tout cela est anonyme, ce qui vous permet de balancer n’importe qui et n’importe quoi.
     
    Mais ce n’est pas fini. Si jamais vous n’aviez encore trouvé personne à qui vous voudriez nuire, ils ont inventé une petite infographie pour vous aider à trouver quelqu’un à qui pourrir la vie. C’est du lourd. Ca s’intitule : « les premiers signes qui peuvent alerter »
     
    Parmi ces signes que le gouvernement socialiste nous ordonne maintenant de surveiller, principalement chez nos proches, on trouve :
     
    - Ils rejettent des membres de leur famille (comme Hollande qui fait hospitaliser Trierweiler folle de rage d’être trompée)
    - Ils se méfient des anciens amis (comme les socialistes avec Cahuzac, ministre chargé de la fraude fiscale qui possédait des comptes en Suisse)
    - Ils ne regardent plus la télévision, ils fréquent assidument des sites et des réseaux sociaux
    (comme de plus en plus de monde qui se rend compte que les mass-médias ont pour unique objectif de manipuler, pas d’informer)
    - Ils changent brutalement leurs habitudes alimentaire (surtout, ne vous mettez pas dans la tête de commencer un régime en 2015, vous allez finir en garde-à-vue)
     
    Et le meilleur pour la fin :
    - Ils changent leur tenue vestimentaire, « notamment pour les filles, avec des vêtements qui cachent le corps ».
    Oui, vous ne saviez-pas ? Le vêtement laïc, lui, ne cache pas le corps, surtout en hiver. C’est par exemple la tenue « seins nus » des Femen quand elles vont pisser dans les églises. Ca c’est du vrai vêtement laïc garanti 100% anti-radicalisation. Tu m’étonnes.

    Hollande, un djihadiste en voie de radicalisation ?

    Mais il y a un gros problème. Moi, à titre personnel quand je lis ce truc, je dénoncerai bien Hollande. Il rentre dans au moins 3 cases. Il se méfie de ses anciens amis (et ses anciens amis se méfient de lui), il a rejeté des membres de sa famille (demandez à Ségolène ou Valérie…), il a changé brusquement ses habitudes alimentaires (quand il a décidé de se présenter aux présidentielles). Si on rajoute que, selon Obama, il a financé Al Quaïda et qu’il a essayé d’envoyer des milliers d’hommes combattre en Syrie, plus de doutes, je le dénonce.
     
    Donc il manque quelque chose, ça déconne leur truc. Si on peut dénoncer le Président de la République Laïque Socialiste car il présente des signes très clairs de radicalisation djihadiste, c’est qu’il y a un problème.
     
    Un appel à la délation des musulmans

    Le problème, c’est que ces bons à rien ont oublié l’essentiel, le plus important, le plus fondamental. Cet oubli est volontaire, car s’il était mentionné, le site tomberait sous le coup de l’incitation à la haine raciale et serait fermé immédiatement. Un comble…
    Oui, le plus important, qui est sous-entendu du début à la fin de ce site, qui est insinué entre chaque mot, qui transpire à chaque phrase, c’est bien évidemment que TOUS les suspects qu’on nous invite à dénoncer sont forcément MUSULMANS.
    Ne vous amusez pas à dénoncer un juif qui s’habille tout en noir ou un catholique qui fait le carême, vous pourriez vous retrouvez devant un tribunal pour dénonciation calomnieuse.
    Et puis, c’est bien connu, les juifs ou les chrétiens ne tuent pas au nom de leur Dieu des citoyens dans leur propre pays.  Il leur arrive bien de massacrer de temps en temps des populations entières, particulièrement des civils comme en Palestine, mais ça, c’est moins grave, c’est autorisé par la communauté internationale.
     
    Ne vous amusez pas non plus à dénoncer comme ça votre voisin qui vous empêche de dormir ou votre ex-mari qui veut absolument la garde des enfants. Avant toute chose, assurez-vous bien qu’il est musulman, sinon ça ne marche pas. Et n’oubliez pas le plus important, ne le dites pas hein, surtout pas d’amalgame. La France est en guerre contre les terroristes islamistes qui sont tous musulmans mais pas contre les musulmans, vous comprenez la nuance ?
     
    Et si vous ne vous sentez pas concernés, ne rêvez pas. Hier il fallait dénoncer les juifs. Aujourd’hui, il faut dénoncer les musulmans. Demain, il faudra dénoncer tous ceux qui n’adhèrent pas aux valeurs laïques socialistes. Après demain, il ne restera plus personne debout.
     
    Vive la Ripoublique, Vive la France


    (1) http://philippealain.blogspot.fr/2015/01/nous-sommes-tous-des-charlots.html

    (2) http://philippealain.blogspot.fr/2015/01/la-france-en-guerre-contre-ses-enfants.html
    Publié par à 01:11

  • I AM A MAN, DE MEMPHIS À FERGUSON

     

    Dans un Vite dit paru ici cette semaine et intitulé Ferguson / Photos : retour aux années 60, il était question d'un article du New York Times traitant des images de Ferguson qui ne seraient pas sans rappeler celles de la lutte pour les droits civiques des années 60. Des images qui se ressemblent, sans aucun doute :


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    Photo © Whitney Curtis pour le New York Times


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    Photo © Danny Lyon / Etherton Gallery


    « Certains échos visuels des années 60, comme l'utilisation de chiens par la police de Ferguson, ne sont probablement pas intentionnels », écrit le NY Times (on ose l'espérer !).


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    Photo © David Carson


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    Photo © David Carson


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    Photo © Bill Hudson / AP


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    Photo © Charles Moore


    « Mais du côté des manifestants, continue le quotidien, on a délibérément fait des efforts pour évoquer les manifestations non-violentes de l'époque de la lutte pour les droits civiques. Avec, notamment, ces t-shirts au slogan I Am A Man emprunté aux panneaux brandis pendant la grève des éboueurs de Memphis en 1968. »

    Ici le NY Times se trompe, aucune photo prise à Ferguson ne montre de tels t-shirts. L'inscription, en revanche, se retrouve sur des panneaux brandis (voir plus loin).

    Cela dit, la grève des éboueurs de Memphis est historique : le 1er février 1968, deux éboueurs noirs, qui n'avaient pas le droit de s'abriter de la pluie ailleurs qu'à l'arrière des camions-benne, furent broyés par l'un de ces camions. La grève fut déclarée le 12. Le maire la déclara illégale, recruta des "jaunes" (forcément blancs) pour vider les poubelles.

    De nombreuses manifestations non-violentes eurent lieu ; les employés municipaux noirs y dénoncèrent, en brandissant des panneaux portant les mots I Am A Man, ces deux morts atroces ainsi que leurs conditions de travail dangereuses et la discrimination qu'ils subissaient par rapport aux éboueurs blancs.


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    Photo © Ernest C. Withers, 28 mars 1968


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    Photo © Richard L. Copley, Memphis, 1968


    Martin Luther King rencontra les grévistes le 18 mars, participa dix jours plus tard à une manifestation au cours de laquelle un adolescent de seize ans fut tué par la police. Il fut quant à lui assassiné le 4 avril, au Lorraine Motel de Memphis. Le 8, 42 000 personnes manifestaient silencieusement dans la ville. Le 16, la municipalité se pliait aux exigences des éboueurs grévistes.

    La phrase I Am A Man est une référence à Am I Not A Man And A Brother (Ne suis-je pas un homme et un frère), slogan de la britannique Society for the Abolition of the Slave Trade créée en 1787 par des Quakers. Voici son emblème, abondamment copié :

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    Emblème de la société des Amis des Noirs,
    créée à Paris en 1788


    À Ferguson, aujourd'hui, on défile en brandissant des panneaux I Am A Man.

    « Diane McWhorter, continue le NY Times, auteure de Carry Me Home: Birmingham, Alabama, the Climactic Battle of the Civil Rights Revolution, dit qu'elle a également vu des échos de ces pancartes dans les bras levés des manifestants. Il s'agit là d'une image instantanément reconnaissable qui semble née de la rapidité avec laquelle les nouvelles circulent sur internet, et qui à son tour contribue à cette rapidité. Dans le premier cas, les pancartes I Am a Man sont une sorte d'affirmation massive d'humanité ; dans le second, celui des mains levées, c'est une manifestation de masse d'innocence. Deux images très fortes. »

    Le même pouvoir suggestif parce que dans les deux cas ce sont des milliers de personnes qui disent Je suis un homme, Ne tirez pas.


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    Photo © Wiley Price / St Louis American


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    Pendant ce temps, note enfin le NY Times, certains historiens s'inquiètent de ces rapprochements Ferguson 2014 / Droits civiques années 60 : « Nous pouvons regarder ces images et dire que Ferguson est comme Los Angeles ou Birmingham parce que ça y ressemble, dit le professeur Berger. Mais si nous devons nous demander "Qu'est-ce qui est pareil ?" nous devons aussi nous demander "Dans quelle mesure l'Amérique a-t-elle changé ?" Histoire d'avoir une conversation qui ne s'arrête pas aux brutalités policières, ce qui ne nous mène pas très loin. »

    Certes. Il est vrai qu'une image ne dit pas tout, loin de là. Ou bien elle dit tout et son contraire, selon la légende qu'on y appose. Mais tout de même. Les rapprochements sont nombreux :

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    Si en 1968 les éboueurs de Memphis soutenus par Martin Luther King ont choisi leur slogan I Am A Man en s'inspirant de la devise des abolitionnistes du XVIIIe siècle Am I Not A Man And A Brother et si les manifestants de Ferguson brandissent ces jours-ci des pancartes I Am A Man, cela signifie peut-être que rien n'a vraiment changé. L'esclavage fut aboli en 1863, la déségrégation commença lentement en 1954, mais aujourd'hui encore c'est un policier de Ferguson qui traite les Noirs d'enculés d'animaux…


     … après qu'un autre a abattu un jeune homme noir nommé Michael Brown (et l'on pense à Trayvon Martin, abattu par un vigile volontaire le 26 février 2012, voir cette précédente chronique). Dans les faits, rien n'a vraiment changé, non.

    Reste la lutte et l'espoir chantés par Pete Seeger dont le texte fut repris par Martin Luther King, We shall overcome (Nous vaincrons). Someday.


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    Martin Luther King à Lakeview (État de N.Y.), 12 mai 1965

     

    chronique du 23/08/2014 par Alain Korkos

     

     

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    Dans Le Monde.fr à la date du 22 août, un article d'Annick Cojean intitulé Tommie Smith, le poing noir de l'Amérique. Tommie Smith et John Carlos levèrent le poing sur les marches du podium aux J.O. de Mexico en 1968 (pour abonnés).

  • L'IMAGE DES NOIRS AMÉRICAINS ...

    DE SELMA À URGENCES : L'IMAGE DES NOIRS AMÉRICAINS AU CINÉMA ET DANS LES SÉRIES TÉLÉ


     

    Mercredi dernier est sortie sur les écrans une bobine intitulée Selma qui raconte les marches pour les droits civiques menées en 1965 par Martin Luther King.

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    Selma est une ville située en l'État d'Alabama aux États-Unis. Dans les années 60 sa population s'élève à 30 000 âmes, dont la moitié sont des Noirs. Parmi eux, trois cents personnes seulement sont habilitées à voter. Car à cette époque, les électeurs des États du Sud doivent passer un test d'écriture voire s'acquitter d'une taxe pour avoir le droit de s'approcher les urnes. Ces deux conditions éliminent la quasi-totalité de la population noire, qui ne prend même pas la peine de s'inscrire sur les listes électorales.

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    Selma, dans Selma


    En 1963, Amelia Boynton lance à Selma l'American Civil Rights Movement (le Mouvement pour les droits civiques) dont le but est l'abolition de la ségrégation raciale et la possibilité pour tout citoyen américain d'accéder, sans condition aucune, au droit de vote.

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    Lorraine Toussaint dans le rôle d'Amelia Boynton


    La même année, Martin Luther King prononce son célèbre I Have a Dream à Washington. L'année suivante est voté le Civil Rights Act qui abolit toute discrimination raciale. Sauf que les États du Sud ne sont pas d'accord, refusent par la force que les Noirs s'inscrivent sur les listes électorales. En février 1965, un manifestant est tué à Marion, petite ville située à quarante kilomètres de Selma.

    Le 7 mars, six cents manifestants menés par Amelia Boynton veulent marcher de Selma à Montgomery, capitale de l'Alabama, là où Rosa Parks refusa en 1955 de céder sa place de bus à un Blanc (ce fut le sujet d'un précédent article, voir par là). Mais la police montée intervient sur le pont Edmund Pettus, fait de nombreux blessés. Parmi eux, Amelia Boynton dont la photo du corps à terre fera le tour du monde. Cette première marche sera baptisée Bloody Sunday.

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    Photogrammes issus de Selma
    et photos du 7 mars 1965


    Martin Luther King lance alors un appel pour une seconde marche qui doit s'effectuer deux jours plus tard, le 9 mars. Mais les manifestants finissent par renoncer car, sans la protection de la police locale, ils risquent fort d'être attaqués par des milices blanches.

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    David Oyelowo dans le rôle de Martin Luther King

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    Photogrammes issus de Selma
    et couverture de Life du 19 mars 1965

    Aussi rejoignent-ils l'église de Selma, sous la houlette du pasteur. Cette nuit-là, le pasteur James Reeb, venu de Boston, est assassiné par un groupe d'hommes blancs.

    Le 21 mars a lieu la troisième marche. Protégés par des soldats, des gardes nationaux et des shérifs fédéraux, deux mille manifestants partent de Selma pour rejoindre Montgomery, à quatre-vingt-dix kilomètres de là.

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    Ils y arrivent trois jours plus tard, ils sont alors vingt-cinq mille. Réunis devant le Capitole, ils écoutent un discours de Martin Luther King. Cinq mois plus tard, le gouverneur George Wallace signe le Voting Right Act.

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    Photo de Stephen Somerstein

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    Photogrammes issus de Selma
    et photos du 24 mars 1965


    Ces événements sont le coeur du film Selma réalisé par Ava DuVernay avec David Oyelowo dans le rôle du pasteur King et Oprah Winfrey (qui est co-productrice) dans celui d'Annie Lee Cooper. Cette femme, qui fit la queue pendant des heures en janvier 1965 pour s'inscrire sur les listes électorales de Selma, fut chassée à coups de matraque par le shérif Jim Clark. Annie Lee Cooper se rebella, lui colla un vigoureux bourre-pif, fut aussitôt saisie par les nervis dudit shérif.

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    Oprah Winfrey dans le rôle d'Annie Lee Cooper


    Accusée de "provocation criminelle", elle passa onze heures en prison au cours desquelles elle ne cessa de chanter des negro spirituals.

    Les marches de Selma sont, pour les Américains, un moment historique d'une extrême importance. Barack Obama s'y rendit le 7 mars dernier à l'occasion du cinquantième anniversaire du Bloody Sunday, prononça un discours sur le pont Edmund Pettus. Il en avait prononcé un autre la veille à la faculté Benedict de Columbia, en Caroline du Sud, au cours duquel il avait évoqué la mort de Michael Brown à Ferguson (lirecette précédente chronique) et celle d'Eric Garner, tué lui aussi par un policier à New York le 17 juillet dernier. Il avait également déclaré : «Selma, c'est maintenant. Selma, c'est le courage de gens ordinaires faisant des choses extraordinaires parce qu'ils croient qu'ils peuvent changer le pays, qu'ils peuvent modeler le destin de la nation. Selma, c'est chacun d'entre nous se demandant ce qu'il peut faire pour améliorer l'Amérique. »

    La dernière phrase est un écho de celle que Kennedy prononça le 20 janvier 1961 : «Mes chers compatriotes, ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour lui. » Et le « Selma is now » sonne terriblement juste à l'heure où trente-et-un États sur cinquante (dont la totalité de ceux du Sud) demandent maintenant aux électeurs un papier officiel avec photo d'identité alors qu'auparavant une facture ou une signature suffisait. Cette mesure, qui touche essentiellement les Noirs n'ayant, bien souvent, ni passeport ni permis de conduire (lire cet article deLa Croix), rappelle tristement les restrictions au droit de vote pratiquées à l'époque des marches de Selma.Selma now! est aussi l'un des slogans du film :

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    Ces derniers mois ont vu l'émergence de plusieurs films étazuniens parlant des Noirs : Dear White People de Justin Simien (sorti en mars 2014) est une comédie satirique racontant la vie de quatre étudiants noirs dans une faculté blanche ;

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    Fruitvale Station de Ryan Coogler (sorti en janvier 2014) raconte les vingt-quatre heures précédant le moment où Oscar Grant croise des policiers dans la station de métro Fruitvale à San Francisco ;

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    12 Years a Slave de Steve McQueen (sorti en janvier 2014) raconte la vie d'un esclave avant la guerre de Sécession (on en avait parlé par là).

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    Ces trois bobines cartonnèrent au box-office. Aussi, McQueen est-il en train de préparer un film sur Paul Robeson, célèbre chanteur qui immortalisa Old Man River dans le film Show Boat de James Whale (1936). Ryan Coogler, quant à lui, travaille sur un film intitulé Creed, un spinoff mettant en scène le petit-fils d'Apollo Creed, adversaire et ami de Rocky Balboa.

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    Si les films ont un impact certain sur les consciences, les séries télé marquent sans doute plus durablement les esprits. Sauf que malheureusement, ces dernières sont beaucoup moins ambitieuses que les bobines de cinéma. C'est ce que raconte par le détail un article de Pierre Langlais paru cette semaine sur le site deTélérama : De l'image trop rose de la vie des Noirs américains dans les séries. Il y cite Black-ish, une série comique dans laquelle un homme noir travaillant dans une boîte de pub à Los Angeles et marié à une chirurgienne noire itou, se rend compte petit à petit qu'il est devenu, comme disent les Africains de France, un Bounty : noir dehors, blanc dedans. Aussi va-t-il tenter une espèce de retour aux sources.

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    « Black-lish, peut-on lire dans l'hebdomadaire, s'inscrit dans le même registre bienveillant et optimiste[que le Cosby Show ou Le Prince de Bel-Air], alors que les événements tragiques de Ferguson, de New York ou de Berkeley soulignent les inégalités et les injustices raciales dont la communauté noire continue d'être victime. »

    Autres séries américaines mettant en scène des personnages noirs : Scandal et How to get away with murderde Shonda Rhimes, la créatrice de Grey's Anatomy. Là encore, la réussite individuelle prime sur une vision de l'état de la société : l'héroïne de Scandal officie dans les relations publiques et est mêlée à un scandale impliquant la Maison-Blanche, celle de How to get… est avocate.

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    David J. Leonard, spécialiste de l'image des minorités raciales dans les médias américains cité par Télérama, pense que ces séries « parlent de l'individu, pas de la société, et réduisent des questions globales à des ­enjeux intimes. Elles nous font croire que la réussite d'un citoyen dépend de sa volonté, de ses valeurs et de sa culture ».

    Nous sommes loin de The Wire (Sur écoute) et Treme, deux séries créées par David Simon dans lesquelles les problèmes raciaux étaient traités frontalement : la première évoquait (entre autres choses) le trafic de drogue à Baltimore, la seconde racontait l'après-Katrina à La Nouvelle-Orléans avec son flot de corruption. Mais ces deux séries, tout à fait extraordinaires, n'eurent que peu d'écho aux USA.

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    Il exista cependant une série télé vue par des millions de téléspectateurs qui aborda avec beaucoup de réalisme et de subtilité les problèmes raciaux : Urgences (ER en anglais). Les quinze saisons furent diffusées en France à partir de 1996 (et sont actuellement rediffusées sur la chaîne belge AB3).

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    Dans cette série chorale étaient traités plusieurs problèmes inhérents à la société américaine. Parmi eux, l'assurance-maladie que seuls les plus riches peuvent s'offrir, la guerre des gangs, le racisme et l'image du Noir. Le Dr Pratt cristallisait ces deux derniers points, en voici deux exemples.

    L'épisode 16 de la saison 9 intitulé Mille oiseaux de papier (A Thousand Cranes) nous montre le docteur Chen entrevoyant un type qui sort en courant du diner situé en face des urgences et qui monte dans une voiture. Elle découvrira ensuite qu'une tuerie a eu lieu dans ce coffre shop et déclarera aux policiers :

    — J'ai vu l'un d'eux, je pense qu'il était noir.

    Au plan suivant, les docteurs Pratt et Gallant se font arrêter.

    —Bienvenue dans le ghetto, dit Pratt.

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    Ils sont plaqués au sol, l'un des policiers appuie sa chaussure sur le cou de Pratt, les deux hommes se retrouvent peu après incarcérés.

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    Ils seront plus tard libérés et raconteront leur mésaventure à l'hôpital où Jerry, le réceptionniste pince-sans-rire, leur dira :

    —Le problème c'est que vous êtes tous les deux coupables.
    —De quoi !? demande Pratt.
    —De conduite en état de négritude.

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    Le Dr Elizabeth Corday fait alors l'apologie du contrôle au faciès, ce qui surprend désagréablement les personnes présentes. Peu de temps après, le policier qui avait arrêté les docteurs Pratt et Gallant est blessé, arrive aux urgences. Après avoir reçu les premiers soins, il se retrouve seul avec eux.

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    —Là, vous devez vraiment avoir peur, dit Pratt au flic alité. Tous les Blancs sont sortis, il n'y a plus que vous et deux grands nègres avec des couteaux…

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    Dans l'épisode 9 de la saison 12 intitulé Une demande galante (I Do), le jeune KJ, fils de Darnell Thibeaux, est injustement accusé d'avoir volé une caméra vidéo avant que d'être innocenté. KJ, Darnell et le Dr Pratt se retrouvent devant l'entrée des urgences :

    Pratt : — Finalement, c'est toujours les Noirs qu'on vient chercher. Même si t'as un bon boulot, que tu habites dans un bon quartier et que tu gagnes beaucoup d'argent…

    Darnell : —… Les flics finissent par t'arrêter pour avoir traversé un quartier blanc.

    KJ annonce alors qu'il ne veut plus retourner travailler comme volontaire à l'hôpital :

    On me tombera toujours sur le dos, même si je fais du bon boulot.

    Darnell : —Oui, et ça sera toujours comme ça, alors il faut t'y habituer. Faut pas y penser, vis ta vie de ton mieux.

    Pratt : — Il faut rester dans la course, KJ, sinon c'est eux qui gagnent.

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    Dans d'autres épisodes le Dr Pratt se retrouve réquisitionné pour jouer le rôle de nègre de service : on lui demande d'aller parler avec tel ou tel membre de gang blessé dans une bagarre, une fusillade.

    Nous n'avons pas de conscience collective, se défend le médecin, souvent préoccupé par sa réussite personnelle. Mais finalement, il ira parler au petit malfrat.

    Il est à espérer que ce thème du racisme ainsi que les autres problèmes de société traités pendant les quinze saisons d'Urgences auront touché le public et continueront de le toucher, puisque la série est toujours diffusée ici où là. Et peut-être Oprah Winfrey, co-productrice de Selma et d'autres films, devrait-elle investir ses picaillons dans une série télé à l'opposé de celles qui mettent en avant la réussite individuelle. Une série susceptible de passionner les foules sur le modèle d'Urgences, par exemple.

     

  • Best of de l’apartheid

     

    27 décembre 2015

     

    On connait l’arsenal de lois racistes et répressives votées régulièrement par le parlement israélien. Mais pour ceux qui croiraient encore que la Cour suprême israélienne rétablit ne serait-ce qu’un peu de justice, l’ONG Palestinienne Adalah énumère ici 10 décisions discriminatoires, de nature à renforcer l’apartheid israélien.

     

    2015 : année anti-Droits de l’Homme pour la Cour Suprême israélienne

    1. La loi du seuil électoral

    En janvier 2015, la Cour Suprême a confirmé la hausse du pourcentage de voix nécessaire pour avoir des députés au parlement, dans le but évident d’éliminer les candidats d’organe palestinienne. Ce qui a contraint les citoyens Palestiniens d’Israël à abandonner leurs droits au multipartisme, comprenant différentes idéologies et plateformes, et à fusionner leur 4 principaux partis politiques en une seule liste électorale, afin d’obtenir des sièges et des représentations à la Knesset.

    2. La loi Anti-Boycott

    En avril, la Cour Suprême a rejeté une requête contre la loi Anti-Boycott qui autorise les israéliens à poursuivre en justice les individus ou les groupes qui appellent à un boycott économique, culturel ou académique d’Israël ou des colonies israéliennes en Cisjordanie.

    La Cour a affirmé que le boycott équivalait à du « terrorisme politique », ignorant le caractère légitime et non-violent de cet acte de liberté d’expression, et de pression sur l’état d’Israel afin qu’il cesse son occupation militaire et ses lois racistes.

    3. La Loi sur la Propriété des Absents à Jérusalem-Est

    En avril, la Cour Suprême a approuvé la décision du gouvernement d’étendre la Loi de 1950 sur la Propriété des Absents à Jérusalem-Est occupée, autorisant ainsi l’Etat à confisquer les propriétés des citadins Palestiniens qui vivent actuellement en Cisjordanie. Israël a « annexé » Jérusalem-Est à la suite de son occupation de la ville en 1967, et a depuis maintenu une politique visant à séparer géographiquement, socialement et politiquement la ville Sainte du reste de la Cisjordanie occupée.L’objectif de ces confiscations vise à faciliter davantage la construction de colonies israéliennes dans les Territoires occupés.

    4. Interdire l’enseignement supérieur pour les prisonniers de "haute sécurité*

    En avril dernier, la Cour Suprême a décidé d’adopter la position du Service Général de la Sécurité (le Shin Bet ou Shabak) rejetant la demande d’abrogation de l’interdiction faire aux prisonniers palestiniens "de haute sécurité" de poursuivre un enseignement supérieur en prison. La Cour a affirmé que la distinction faite entre les prisonniers de droit commun et les prisonniers de haute sécurité (comme sont appelés la grande majorité des prisonniers palestiniens) était « légale et légitime ».

    5. Démolition d’Atir &amp; Umm al-Hiran

    En mai 2015, la Cour Suprême a approuvé la décision du gouvernement de démolir les deux villages Bédouins jumelés et non-reconnus d’Atir et Umm al-Hiran, dans le but d’étendre la forêt artificielle ’Yatir’ et de construire une ville juive nommée ’Hiran’ sur leurs ruines. La décision de la Cour autorise la démolition de douzaines de maisons et le déplacement forcé de 1000 citoyens bédouins d’Israël. Cette décision fut prise en dépit du fait que l’état avait déplacé ces familles bédouines sur leurs terres actuelles en 1956 après les avoir expulsé de leur village de Khirbet Zubaleh en 1948, et que la Cour avait reconnu ces habitants comme n’étant pas des ’intrus’. La décision de la Cour viole les droits des bédouins à la dignité et au logement, en plus de légitimer la politique raciste du gouvernement consistant à déplacer des villages non-reconnus.

    6. Nier les revendications territoriales de la famille Uqbi

    En Mai encore, la Cour Suprême a rejeté un appel émis par la famille Uqbi, citoyens bédouins d’israel, revendiquant 1000 dunams de possession territoriale familiale dans le Neguev. La Cour a refusé de reconnaître l’appartenance historique de la terre à la famille, bien que la famille en fût propriétaire avant 1948. Décision qui ne respecte pas la déclaration de l’ONU au regard des Droits des Peuples Autochtones.

    7. Interdire l’unification familiale pour les Palestiniens de Gaza

    En juin, la Cour Suprême a rejeté une demande de lONG israélienne Hamoked qui s’opposait à un décret du gouvernement ordonnant au Ministère de l’Intérieur de refuser les requêtes de réunification pour les familles palestiniennes, si l’un des parents ou conjoint était originaire de la bande de Gaza.Le décret considère tous les civils de Gaza comme une menace pour la sécurité de façon généralisée et discriminatoire, au lieu de traiter les individus au cas par cas. En outre, il viole gravement les droits constitutionnels des Palestiniens à la vie de famille.

    8. condamnation de l’ancien premier ministre Said Nafaa

    En août, la Cour Suprême a rejeté un appel de Said Nafaa, ancien membre de la Knesset, demandant à annuler une décision prise par la cour fédérale. En effet, celle-ci le condamne pour avoir voyagé en Syrie, un ’Etat ennemi’, dans lequel il organisa une visite des lieux saints avec des clercs druzes et des figures publiques, et où il rencontra des personnalités politiques palestiniennes qualifiées par la loi israélienne comme des ’agents étrangers’.

    La Cour a reconnu que les rencontres de l’ancien ministre Nafaa ne comportaient d’aucun élément ni d’aucune répercussion lié à la sécurité. Néanmoins, la Cour a choisi de criminaliser la communauté palestinienne dans ses droits à des activités et à une représentation politique, ainsi que dans son droit d’établir des liens avec leurs compatriotes dans la région arabe.

    9. Détention administrative des citoyens palestiniens

    En octobre, la Cour Suprême a approuvé la prolongation d’une ordonnance de détention administrative de 3 mois à l’encontre de A.H., une Palestinienne citoyenne d’Israël âgée de 19 ans. Un message de nature politique qu’elle a envoyé à ses frères et qui représenterait prétendument une menace pour la sécurité, d’après les services de sécurité israéliens, en est la cause. La décision de la Cour légitime l’utilisation des Mesures d’Exceptions de 1945 dans le but d’arrêter des citoyens sans preuve qu’ils aient commis des infractions criminelles, violant ainsi les droits fondamentaux des citoyens à un procès en bonne et due forme.

    10. Démolitions des maisons comme punition collective

    En novembre, la Cour Suprême a rejeté une demande mettant en cause la politique du gouvernement consistant à démolir les maisons des familles de Palestiniens suspectés, accusés ou condamnés pour avoir attaqué Israël ou ses citoyens.

    La décision autorise l’Etat à mener à bien des démolitions sous couvert de mesures punitives et de représailles, ce qui constitue pourtant une grave violation du droit humanitaire international et du droit pénal international.

    Source : Adalah. Traduit par Fadoua EH pour EuroPalestine

     

  • Une fabuleuse découverte sur l’islam

    « Lettre ouverte au monde musulman », d’Abdennour Bidar

     

     

    vendredi 27 mars 2015, par Alain Gresh

    Il faut toute l’assurance — certains diront l’arrogance ou la suffisance — d’un philosophe pour se dresser sur ses ergots et lancer, de France, une « lettre ouverte au monde musulman », dans laquelle le tutoiement familier se mêle à des dizaines d’occurrences de « mon cher islam », « mon cher monde musulman » [1], avec une familiarité un peu condescendante.

    Au monde musulman tout entier ? Rien de moins. L’auteur s’adresse à un milliard et quelques centaines de millions d’individus, majoritaires dans une cinquantaine de pays, qui vivent dans les conditions les plus dissemblables et qui sont pourtant amalgamés sous un seul vocable — incluant aussi les musulmans des pays où ils sont minoritaires.

    Ces centaines de millions de mahométans seraient, pour l’immense majorité d’entre eux, atteints d’une grave maladie — seule une petite minorité d’élus y échappant dont, bien sûr, l’auteur du pamphlet, Abdennour Bidar. Car son ton mi-compatissant mi-donneur de leçons ne peut dissimuler le fond du propos, l’essentialisation des musulmans, leur réduction à une abstraction qui s’appelle « islam » et qui permettrait d’expliquer tous les maux dans lesquels il se débattent.

    Que l’Indonésie soit, au même titre que le Brésil, un pays démocratique (et le plus peuplé des pays musulmans), que l’autoritarisme égyptien ait peu à voir avec la religion, que l’Albanie connaisse des problèmes et des conflits qui ne portent pas sur la religion, qu’importe. Que la situation des femmes soit difficile dans beaucoup de pays musulmans, nul le contestera. Mais vivent-elles des conditions plus dures au Pakistan qu’en Inde, un pays laïque ? Peut-on vraiment affirmer que les femmes turques n’ont pas conquis de nombreux droits ces dernières décennies ? Comment expliquer que les jeunes femmes soient majoritaires dans toutes les universités du monde arabe (à l’exception du Yémen) ?

    Preuve de leur maladie, les musulmans seraient, selon l’auteur, convaincus que « l’islam est la religion supérieure à toutes les autres ». Et alors ? N’est-ce pas une conviction qui anime, en général, tous les croyants des trois grandes confessions et leurs institutions ? Ni le Pape, ni aucun grand rabbin ne met, à ma connaissance, sa religion sur le même plan que les autres cultes.

    Un secret soigneusement dissimulé

    Selon Bidar, « les racines du mal » qui a atteint le monde musulman sont à chercher en son sein, dans un secret qui remonterait à la mort du Prophète et qui aurait été soigneusement dissimulé, enfoui, enterré depuis plus de 1 400 ans par tous les docteurs de l’islam, mais que notre philosophe a su mettre au jour. Quel est donc ce mystère ? « Le Coran nous dit que l’homme est appelé à grandir jusqu’à ce qu’il devienne créateur. » Et le texte sacré prône que « tout être humain doit être rendu suffisamment libre, suffisamment maître de sa vie et non plus créature ou l’esclave de quiconque ». Ah bon, le texte sacré dit cela et personne ne l’avait compris avant Bidar ?

    Lire aussi Olivier Roy, « “Bon” islam, “mauvais” islam », Le Monde diplomatique, octobre 2005.Je ne m’engagerai pas sur ce terrain miné. Ce que prône le Coran, comme l’écrit Olivier Roy, c’est ce que les musulmans disent qu’il prône. Et n’étant pas musulman, je me garderai bien d’interpréter un texte aussi beau qu’obscur. Un croyant a tout à fait le droit de s’y essayer, Bidar aussi. Mais l’Histoire nous apprend que le Coran a été compris au cours des siècles de manière très diverse et changeante, les hérésies d’hier devenant le dogme d’aujourd’hui.

    Pourtant, c’est dans la mauvaise interprétation du Coran depuis la mort du Prophète que Bidar voit les raisons de l’émergence de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI). « Les racines du mal sont en toi-même » jette-t-il aux millions de ses « chers amis musulmans ». Aussi simple que cela. Bien sûr, l’OEI habille ses crimes d’un langage religieux, mais faut-il la prendre au mot ? Les aventures occidentales en Irak et en Afghanistan n’ont-elles pas été commises au nom de la démocratie et des droits humains ? On peut trouver des causes bien plus sérieuses et bien plus « terrestres » à la naissance du califat que la bonne ou mauvaise exégèse d’une sourate du Coran. En 2002, Al-Qaida n’existait pas en Irak. Il a fallu l’invasion américaine de 2003, la dissolution de l’armée irakienne par les Etats-Unis, la confessionnalisation du pays organisée par Washington, pour voir l’organisation d’Oussama Ben Laden prendre son essor, avant de muter en Etat islamique. Soyons donc clairs ! Si les Etats-Unis n’avaient pas envahi l’Irak en 2003, jamais Al-Qaida ne se serait développée dans ce pays, jamais elle ne se serait transformée en OEI, même si des milliers de musulmans avaient interprété le Coran de telle ou telle manière [2].

    D’autre part, si, dès la mort du Prophète, les croyants ont mal compris son message, s’ils n’ont pas déterré le secret que Bidar seul a découvert, comment diable (si l’on peut dire) ont-ils été capables de fonder des empires aussi brillants — sur tous les plans, y compris intellectuel et scientifique — que l’Empire omeyyade, l’Empire abasside, l’Empire moghol ou l’Empire ottoman ?

    Une première solution

    Mais Bidar a déjà une première solution pour changer les choses. « Laisse-moi être, demande-t-il à son “cher monde musulman”, de ceux qui parlent un peu en ton nom au lieu de continuer à faire s’exprimer pour toi n’importe quel savant ignorant… (…) Je suis frappé de voir, ici en France et partout ailleurs, à quel point on fait parler des “maîtres de religion” au nom de l’Islam. (…) [Je suis] étonné de l’obstination avec laquelle les pays occidentaux s’imaginent que pour parler au nom de la culture musulmane, on donne ici des tribunes et une fonction de représentation des musulmans à des imams parfois sympathiques mais souvent bornés, et à toute une clique de “clercs éclairés” qui sont à la fois heureusement assez ouverts d’esprit mais malheureusement formatés par le système de la religion. »

    Si l’on comprend bien, il faudrait donner la parole, pour parler de culture musulmane, à des gens qui ne sont pas formatés par le système de la religion ! Mais n’est-ce pas ce qu’on fait déjà, y compris par les nombreuses tribunes auxquelles a droit Bidar dans notre presse (lire « Bidar, ces musulmans que nous aimons tant », Nouvelles d’Orient, 25 mars 2012). Ce sont ces intellectuels vivant en Occident et qui ont la chance ou la malchance de se prénommer Abdennour ou Mohammed, très étrangers aux pratiques majoritaires des musulmans, qui devraient être les seuls à parler de la culture musulmane ?

    Même si on peut être d’accord avec Bidar que promener à la télévision l’imam Chaghoumi — qui ne représente que lui-même, et surtout l’Etat français et parfois aussi Israël — n’est pas très positif. Mais faut-il vraiment choisir entre des imams de cour manipulés par des capitales étrangères et ces musulmans que nous aimons tant, qui disent exactement ce que l’Occident attend d’eux et dont l’influence parmi les musulmans, en France ou à l’étranger, est inversement proportionnelle au nombre de tribunes dont ils disposent dans les médias ?

    Lire aussi Nabil Mouline, « Surenchères traditionalistes en terre d’islam », Le Monde diplomatique, mars 2015.Comme tout réformateur musulman adoubé par l’Occident, Abdennour Bidar nous offre un remède à la maladie de l’islam, le soufisme, dont la vision est souvent hagiographique. Pourtant, faut-il rappeler que Hassan Al-Banna, fondateur des Frères musulmans, se rattachait à la tradition soufie, comme le cheikh marocain Abdessalam Yassin, qui fut pendant de longues années le dirigeant d’Al-Adl wal Ihsan, un mouvement avec lequel notre philosophe ne s’identifie probablement pas ?

    Mais cela nécessiterait de sortir des simplifications abusives dont nous abreuvent les médias, notamment en calquant leurs analyses sur celles de Bidar ou, hier, sur celles d’Abdelwahhab Meddeb et que nos responsables politiques reprennent de manière opportuniste en espérant gagner quelques voix, alors même qu’ils font le lit du Front national et de l’islamophobie.

    Notes

    [1] Abdennour Bidar, Lettre ouverte au monde musulman, Editions Les Liens qui libèrent, Paris, 2015. Lire également le texte éponyme publié par l’auteur dans Marianne en octobre dernier.

    [2] Lire aussi « Funeste rivalité entre Al-Qaida et l’Organisation de l’Etat islamique », par Julien Théron, Le Monde diplomatique, février 2015.