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Media-info - Page 8

  • Médias & Mouvements Sociaux

    « Pourquoi les médias sont-ils si unanimes contre les mouvements sociaux ? » (Tribune dans L’Humanité)

    par Henri Malerle 6 août 2014

    Le Jeudi 26 juin 2014, L’Humanité posait cette question : « Pourquoi les médias sont-ils si unanimes contre les mouvements sociaux ? ». Et ouvrait ses colonnes aux contributions de Patrick Kamenka, représentant de la Fédération européenne des journalistes, Véronique Marchand, journaliste, secrétaire générale du SNJ-CGT France Télévisions et d’Henri Maler, co-animateur de l’association Action-critique-médias (Acrimed). Toutes ces contributions sont accessibles sur le site de L’Humanité. Nous publions ci-dessous celle d’Henri Maler, sous un titre de notre choix.

    Sur l’hostilité médiatique contre mouvements sociaux


    Pour ne pas être trop schématique, il faut distinguer selon les médias et selon les journalismes. Les chefferies éditoriales, chroniqueurs et éditorialistes des « grands médias », parce que ce sont les médias des alternances sans alternative entre la gauche et la droite, soutiennent peu ou prou les réformes gouvernementales ou les mesures patronales, même lorsqu’elles sont outrageusement défavorables aux salariés.

    Nettement enregistrée chez les éditorialistes, l’hostilité aux mouvements sociaux prend d’autres formes, non dans les commentaires, mais dans les informations ou prétendues informations : en vérité une sous-information lamentable et parfaitement anti-démocratique. Sur quoi la plupart des journalistes des télévisions et des radios peuvent-ils prétendre avoir informé puisque presque aucune information sérieuse n’a été donnée, notamment dans les journaux télévisés sur la nature des réformes proposées, qu’il s’agisse de celle de la SNCF ou celle du régime des intermittents du spectacle, ni sur les motivations des grévistes ou encore sur les contre-propositions faites par les différents acteurs organisés de ces mobilisations sociales. La demande de la CGT-Cheminots ou de Sud-rail d’un débat avec la secrétaire d’Etat aux transports sur la réforme ferroviaire a reçu une fin de non-recevoir. Certes dans la presse écrite, on a pu trouver quelques tentatives de décryptage mais presque rien à la radio et à la télévision qui sont les médias de plus large audience.

    Cette hostilité, ne serait-ce que par défaut quand elle vient des journalistes d’information n’est pas nécessairement intentionnelle, mais elle est fonctionnelle : elle repose sur la recherche de la plus grande audience au moindre coût et sur le ressassement, à grand renfort de micros-trottoirs, des désagréments provoqués par la grève, au détriment de tout le reste.

    Le comble a été atteint avec la marée de reportages et de micros-trottoirs sur la grande angoisse des lycéens de ne pas pouvoir rejoindre leurs centres d’examens, alors que selon certains comptages, seulement 8% des lycéens prenaient le train. Des micros-trottoirs sont parfois concédés aux cheminots, non sans préjugé de classe, comme si les cheminots et leurs syndicats n’avaient rien dire et comme s’ils pouvaient s’expliquer en quelques secondes.

    L’hostilité d’ailleurs n’est pas systématique. Le mouvement des « bonnets rouges », par exemple, a bénéficié d’un traitement que je ne qualifierais pas de favorable mais qui faisait largement état de leurs motivations et aspirations. On peut remarquer également que l’attitude n’est pas tout à fait la même selon qu’il s’agit du mouvement des cheminots ou de celui des intermittents du spectacle. Sans doute parce qu’’une partie du lectorat de presse écrite est fortement attachée à la culture et à la création. Et à la différence d’ailleurs de ce qui s’était passé en 2003 où l’hostilité avait été quasiment générale, les médias ont cette fois-ci adopté une attitude un peu moins malveillante (et parfois même bienveillante) vis-à-vis des intermittents. Cela changera peut-être si le festival d’Avignon était annulé ! On voit là que les proximités sociales entre les journalistes et certains mouvements sociaux font parfois qu’ils ne sont pas traités avec le même degré d’hostilité.

    Mais le journalisme d’enquête sociale est tellement misérable que les préjugés des nouveaux chiens de garde de l’éditocratie infusent un peu partout !

    Henri Maler

  • Marc-Edouard Nabe et Téléréalité

    Téléréalité et crépuscule d’une transcendance

    "A présent j'étais devant les faits bien assurés de mon néant individuel"

    « La légèreté c’est une valeur et je suis prêt à mourir pour elle(…) » Cette phrase de Frédéric Beigbeder, prononcée le 13 septembre 2003 sur le plateau de Thierry Ardisson face à Marc-Edouard Nabe, invite, avec une gravité relative, à une réflexion beaucoup plus large sur la dimension transcendantale de ce qu’on peut appeler la frivolité mortifère du système de valeur défendu par les Téléréalités. Extrapoler cette citation au milieu qui nous intéresse, à savoir celui des Téléréalités, nous permet de reconnaître que, au-delà d’être une valeur, la légèreté, comprise ici comme le cadre idéologique symbolique et fonctionnel dans lequel se sont structurées les Téléréalités françaises, est une conception de l’histoire et un formatage psychologique à une échelle massifiée, celles des sociétés humaines.

     Cette « légèreté », d’une lourdeur extraordinaire, permet également, et c’est souvent moins évident, la transformation d’individus décentralisés en consommateurs que l’on tourne, par la mutation forcée de l’inconscient collectif, vers des marchés nouveaux. A titre d’exemple, nul ne peut ignorer les immenses services rendus par le Loft Story, les Anges de la Téléréalité ou encore Secret Story à l’industrie de la chirurgie esthétique, des cosmétiques, de la mode, etc.  

    C’est en prolongeant l’analyse de Michel Clouscard en la matière qu’on peut affirmer qu’il existe un lien de causalité entre, d’une part, la rentabilité effective de certains secteurs de production de biens et/ou services et , d’autre part, l’affirmation des valeurs d’argent et de frivolité comme horizon absolu et nécessaire pour la jeunesse française. Cette alliance est celle d’un mariage, d’une union sacrée entre une production financiarisé répressive et un système de consommation permissif jusqu’auboutiste. Je ne fais rien d'autre ici qu'une réactualisation en somme de la pensée de Clouscard.

    En ce qui concerne la France, la transmission de cet horizon de valeurs d’avenir s’effectue d’autant plus facilement que la jeunesse vit la mort de l’idéologie, dans une société qui se caractérise par l’absence relative de transcendance traditionnelle partagée, en dehors de la sacralisation des droits de l'homme. La prétention des Téléréalités d’offrir une lecture de la réalité sociologique des rapports interindividuels du monde qui l’entoure s’opère par un regard biaisé qui retranscrit à grande peine la réalité sociale du pays. Je dirais même, en ce qui concerne la France, qu’en niant, pour parler vite, la valeur d’Egalité dans leurs programmes, les Téléréalités nient l’un des piliers du socle anthropologique synthétique français. Qui plus est, cette volonté de présenter une pseudo-réalité des rapports entre humains est d’autant plus paradoxale qu’elle se couple, dans le contenu brut des programmes des Téléréalités, d’une vulgarité glauque, assez bourgeoise dans sa superficialité, qui sacralise le voyeurisme et érige la célébrité au rang d’un sacré contradictoire. Ce sacré est contradictoire car il procède d’une dynamique propre, étrangère à la starification traditionnelle, telle qu’a pu l’identifier Edgar Morin. En effet, la « star » de Téléréalité se retrouve dans une position ambivalente où elle atteint un niveau de gloire médiatique appréciable, bien qu’éphémère, mais où elle doit faire face à l’absence apparente d’une dynamique de sympathie ou de soutien important de la part du « public », une autre notion à définir. En effet, une de ces stars de Téléréalité, Nabilla, personnage emblématique de ce « sacré contradictoire », parle pour désigner son public non pas de fans mais de followers. Sans doute a-t-elle conscience de la précarité de sa situation qui ne repose pas sur le fondement principal de la starification traditionnelle : le talent. L’absence de talent ne permet pas, en effet, l’instauration d’un lien d’amour ou d’admiration bilatéral qui puisse s’inscrire dans une durée. Il faut donc innover, se renouveler pour conserver la flamme du désir du téléspectateur ardente. Si on s’y refuse, dans un univers aussi concurrentiel, on prend le risque de sombrer dans l’oubli absolu. Il faut donc organiser le spectacle de sa propre survivance, théâtraliser sa fuite en avant personnel, grossir ou périr à la triste manière d’une roue tournant vite, certes, mais à vide. Chosifiées, les stars des Téléréalités se prennent et se jettent dans une communion à la fois morose et frivole où sont réconciliés, l’espace d’un instant, producteurs et consommateurs. Quand l'acteur se situe dans une perspective artistique, la star de téléréalité, dénuée en général de quelconque capacité de ce registre, est impuissante. 

    Pour recentrer les choses, être contre la « Téléréalité », une dénomination qui prend en compte un ensemble global complexe et méritant une analyse séquentielle, c’est afficher son hostilité à un ensemble de valeurs dont la fonction objective première, du moins telle qu’elle peut apparaître, est de permettre la fructification d’un marché, réel et concret, appuyé par la puissance publicitaire. Il faut à ce titre admettre que l’action consistant en la proposition d’une déchéance de cette transcendance malsaine est un combat, sans doute à mort au sens Beigbederien du terme.

    L’ambition de ces lignes est celle d’une volonté politique : déstabiliser le marché des Téléréalités. Ainsi présentée, l’approche est trop globalisante et il conviendra de procéder à la prudente dissection d’un certain nombre de programmes télévisés, dans le but affiché d’en dénoncer la dimension néfaste pour la société Française. C’est pourquoi, comme a pu le remarquer le lecteur, on parlera ici de les ou des Téléréalitésmais jamais de la Téléréalité. On évite ainsi de tuer la diversité propre à ces programmes aux spécificités nombreuses et, par ailleurs, de regrouper un ensemble de corps constitués différents sous une étiquette commune.

    Tout d’abord, il peut apparaitre, dans une tentative de délimitation générale des contours sémantiques du sujet abordé, que le terme de « Téléréalité » ne constitue pas un genre en soi. En effet, celui-ci relève de programmes pouvant prendre la forme de jeux, de divertissement télévisuels ou encore de magazines. Par ailleurs, sont à distinguer également toute une série d’avatars des Téléréalités comme la « scripted-reality », la « constructed-reality », ce qui n’est pas sans rajouter de la complexité à notre sujet : est-il possible de déstabiliser un marché aussi transcourant que celui des Téléréalités ? Adapter la règlementation télévisuelle française sur la question, satisfaisante sur certains points mais plutôt défaillante sur l’essentiel, est une tâche difficile pour le juriste qui doit prendre acte de la jurisprudence récente concernant cette amoncellement de sous-catégories liées par des caractéristiques communes que constitue le marché des Téléréalités, notamment en matière de dignité de la personne humaine.

    Avant d’aller plus loin, il est important de rappeler que le constat proposé se situe dans un cadre national, français, parfois européen, qui ne pourra prétendre à une analyse entièrement « internationalisante ». Certes, il peut apparaitre impératif de mettre en place une dialectique critique à l’encontre des valeurs pouvant servir de base commune aux différentes multinationales des Téléréalités dans leurs activités de production de services culturelles à travers la planète. Toutefois, on constate des différences dans l’adaptation qu’opèrent les Téléréalités dans les différentes régions du monde dans lesquelles elles s’implantent. Ces marchés nationaux, fruits d’une construction historique particulière, constituent, pour les transnationales des Téléréalités, des défis de taille. En effet, sans leur compréhension il ne peut y avoir, pour le marché des Téléréalités, de progression ou de stabilisation pérenne de ses activités de services. Par conséquent, ce changement continuel de stratégie dans l’approche mercantile rend impossible la généralisation au monde entier de l’impact des Téléréalités en France. La localisation géographique, dans ces lignes, « de ce combat à mort » est un point fondamental.

    Clouscard pensait que la Nation, après avoir été l’organisme oppressif et coercitif permettant la diffusion dans le corps social du capitalisme inégalitaire, était devenu la structure politique la plus à même, aujourd’hui, de résister à ce que le libéral-socialiste Allais appelait le « libre-échangisme mondialisé ». Le parti pris, ici, est celui d’une extrapolation de cette vision des choses : on comprend l’Etat-Nation républicain comme l’entité institutionnelle la mieux placée pour mettre en œuvre une politique publique de déstabilisation durable des Téléréalités. On écartera l’hypothèse d’une production législative à l’échelon européen pouvant contraindre le marché des Téléréalités en raison d’un scepticisme amer. Ce scepticisme est issu d’un constat froid : celui de la fragmentation du pouvoir Européen entre les différentes nations, institutions, groupements d’intérêts, cabinets d’expertises, think tanks, qui empêchent une action cohérente, structurée, drastique et adaptée pour le problème qui est le nôtre. Par ailleurs, la prégnance des groupements d’intérêts au parlement européen rendrait difficile, pour ne pas dire impossible, une action juridique déstabilisante pour le marché des Téléréalités en Europe. Malheureusement, la question de l’Europe ne pourra être épisodiquement envisagée que d’un point de vue critique à l’égard de sa production ou non-production législative sur le marché des formats européens ou sur les contraintes qu’elle pourrait faire peser sur la France si, demain, un gouvernement prenait la décision d’interdire telle ou telle programme, ce qui est en soit, Europe mis à part, loin d’être une chose aisée.

    Une première objection à ce combat peut se matérialiser sous la forme d’un discours dédramatisant, prônant l’idée suivant laquelle il existe des combats sociaux plus importants et plus fondamentaux pour la société française. A ce titre, un marxiste pourrait dire que la critique des Téléréalités est un combat d’arrière-garde servant la dissimulation de sujets plus importants au titre desquels, par exemple, l’introduction d’un nouveau type de rapports de classes en France via la crise du capitalisme financiarisée de 2008. La réponse à cette objection doit être claire. Critiquer les Téléréalités ne saurait occulter d’aucune manière la gravité extrême de la situation sociale en France. Par ailleurs, il pourrait être affirmé que la destruction opérée par les Téléréalités ne s’organise pas seulement du point de vue de l’intelligence, du concept et de la sagesse. Cette destruction peut aussi être concrète. A ce titre, on ne peut demander à un jeune spectateur de « A prendre ou à laisser » s’il est, supposons le, issu de quartiers défavorisés où l’émancipation sociale est un combat de survie économique de tous les instants, de prendre au sérieux « la valeur travail » quand il voit qu’il est possible, sans talent particulier, de gagner en quelques secondes le triple de ce que ses deux parents réunis peuvent gagner en un mois (par la simple sélection d’une boîte dans laquelle se cache une somme, inconnue par le joueur avant son ouverture). Pourra-t-on alors lui reprocher de se tourner vers une économie souterraine qui lui permet de fournir une quantité de travail minimum pour un revenu optimisé alors même que la Télévision, qui joue encore un rôle de socialisation fondamental malgré internet, promeut implicitement ce genre d’attitude ? La délinquance, qu’elle soit celle des banlieues ou des financiers à col blanc, peut dans certains cas s’expliquer, sans être pour autant excusée, par la dégénérescence apportée par de nouveaux types de transcendances banalisantes, d’autant plus fortes qu’elles sévissent dans un No Man’s Land idéologique.

     Une autre critique pourrait prendre la forme suivante : la liberté d’expression et de la presse se confond avec la Téléréalité dans un même ensemble de manifestation démocratique. Dans cette perspective, affirmer son désaccord dans une réserve sage et tranquille est acceptable mais, en revanche, il est inacceptable, si on se veut démocrate, de supposer l’interdiction de certaines Téléréalités. Ce détournement de la maxime bien connue : « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrais jusqu’à la mort pour que vous puissiez l’exprimer », est abject. Certes, prôner la liberté d’expression la plus absolue possible est une nécessité contemporaine (ex : dénoncer l’insulte d’ « antisémite » à l’encontre de certains intellectuels comme, dans certains cas, une arme d‘intimidation massive étouffant toute critique à l’encontre de l’Etat d’Israël, comme l’ont fait Eric Hazan et Alain Badiou, est une manière de défendre la liberté d’expression tout en en réclamant son élargissement relatif sur certains sujets difficiles).Cependant, le monde des Téléréalités n’est pas celui de la production des idées ou des concepts, il est celui du mensonge, de la manipulation (que ce soit des téléspectateurs ou des participants), du marketing et du formatage psychologique. En aucun cas il ne peut être rattaché à l’expression d’idées démocratiques regroupant, entre autre, une dimension relevant de la liberté d’expression ou de la presse. Les Téléréalités françaises sont le produit d’oligarques parisiens publicitaires qui, si on suit la chaine télévisée de leur évolution, ne sont rien d’autres que des grenouilles de bénitiers « Endemoliennes ». Je ne vois rien dans la disparition de ce que le polémiste Eric Naulleau identifie comme, je cite, « la poubelle de l’esprit », une atteinte aux fondements de la République ou de la démocratie d’opinions. La démocratie est un régime politique complexe aux possibilités de lectures et de manifestation multiples dont la première formulation concrète se fit durant l’Antiquité. Les téléréalités ont douze ans : il serait temps de prendre acte de la temporalité Endemolienne ainsi que de sa relative petitesse face au Léviathan Démocratique moderne en matière de passif historique. Pour finir sur cette question, l’utilisation de l’argument de la liberté d’expression et de la presse, en matière de défense des Téléréalités, constitue une extrapolation dangereuse dont on n’arrive pas à trouver une quelconque justification historique. Cette extrapolation donc, basée sur un vide conceptuel apparent, dissimule mal une volonté de protection d’intérêts économiques puissants sous couvert de démocratie, cette dernière notion, pourtant fondamentale, étant devenue tristement passe-partout.

     
     

     

    Qu’est-ce que les Téléréalités ?

    Il est important, à mon sens, de comprendre que les Téléréalités n’ont pas séduit le public malgré leur malséance mais grâce à celles-ci. Paradoxalement « le public », d’ailleurs, a plutôt tendance à comprendre, dans sa majorité, le côté artificiel de ce genre de manifestations télévisuelles. Celle-ci semble aller de soi : on la retrouve chez les participants des jeux des Téléréalités, exagérément décérébrés, comme chez les présentateurs aseptisés. Mais alors, comment expliquer le succès des Téléréalités ? Beaucoup ont émis l’hypothèse suivante : la tendance au voyeurisme et à l’exploitation mercantile de ce qu’il peut y avoir de pire chez l’homme a fait gagner des parts de marché plus qu’appréciables pour les chaînes privées françaises, en lutte constante pour leur maintien face à une concurrence internationale féroce. Ceci peut paraître absurde mais rejoint l’hypothèse du sacré contradictoire des vedettes des Téléréalités : les émissions de Téléréalités parviennent à atteindre un succès brut en termes de chiffres tout en provoquant un dégoût relatif dans une large partie de la population. C’est une dynamique d’attirance-répulsion assez déconcertante, qu’on peut rattacher à une forme d’addiction malsaine. Peut-être que la clé des réussites des Téléréalités réside dans leur capacité à mobiliser sous la forme d’un divertissement les pires instincts de notre époque, forçant ainsi nos populations à regarder dans un miroir déformant l’image présupposé de leur « réalité », une « réalité » dans laquelle elles sont censées se retrouver. Le problème est que, pour la plupart d’entre nous, nous ne nous y retrouvons pas. Il est possible que certains adoptent une attitude de témoin moqueur à l’encontre de ces émissions, en se mettant ainsi dans une position de recul amusé empêchant de constater qu’ils constituent alors le combustible permettant le fonctionnement de cette machinerie déroutante, qu’on peut très bien détester par ailleurs. Exaltation de l’hyper individualisme, consécration d’un type de « beauté », mise en avant de la manipulation stérile comme rampe de lancement personnel, défense du droit de chacun à la célébrité, négation du talent, etc. Toutes ces valeurs vont à l’encontre du message que tente de véhiculer l’éducation nationale (mérite, travail, respect de l’autre, etc) et l’individu se retrouve face à une double proposition de modèles de vie qui est problématique. En effet, quelle grille de valeurs faut-il alors choisir ?

    Ce choc de valeurs est porteur de déstabilisation dans une société en danger de fragmentation et devant faire face à la multiplication des égoïsmes catégoriels et communautaires. Ce constat amène à penser que les Téléréalités peuvent être comprises comme le symptôme d’un fléau de la pensée pervers qui guette les démocraties modernes de ce début de siècle.

    Une notion fondamentale à définir est celle du « carburant » permettant le fonctionnement de la grande machinerie des Téléréalités. Cet aspect des choses est complexe, la question du « public » des Téléréalités étant à comprendre comme un ensemble à la fois globalisant et exclusif, adapté à une partie assez large de la population française mais face auquel se construisent en opposition un nombre d’individus non-marginaux. Il est curieux de constater par ailleurs, dans ce que Bernard Stiegler appelle la « Télécratie » (une formulation abusive mais qui retranscrit assez justement une partie de ce qu’est devenu la télévision moderne), que lorsqu’on sollicite ce « public » sur les programmes télévisés qu’il préfère, on constate un décalage entre les préférences annoncées de ce « public », qu’on devrait appeler, là encore ,« les publics », et la réalité des chiffres en matière d’audience télévisuelle.. Les sondages d’opinion IFOP montrent que les gens, quand on leur pose la question, disent préférer le cinéma, les documentaires, les reportages et les programmes d’informations. Le décalage entre ces préférences affichées et la réalité « honteuse » de ce qu’ils regardent réellement, quand on voit le succès brut en matière d’audimat des Téléréalités, laisse perplexe.

    Bernard Stiegler compare ce comportement à celui d’une addiction : de la même manière qu’un toxicomane a un stade très avancé de dépendance est conscient du mal qu’il s’inflige et du danger que constitue sa drogue, il n’en demeure pas moins qu’il en a viscéralement besoin.

     Le procédé est plus implicite en ce qui concerne le spectateur des Téléréalités mais fonctionne dans une logique similaire : celui-ci se retrouve dans une situation où, quand il regarde des programmes relaxants et structurants son cerveau, il ne s’aperçoit pas qu’on le prépare à la réception mentale de publicités et de valeurs nouvelles formatant la psychologie collective du « public », dans lequel il s’insère alors, aux exigences du marché. Toute la force de cette technique est l’imposition indolore à l’individu, jusque dans l’intimité de sa sphère familiale, d’une posture de consommateur-récepteur. A mon sens, cette réalité concerne des milliers de victimes malheureuses, et les considérer ainsi ne revient pas à les déresponsabiliser car celles-ci sont assez prétentieuses ou inconscientes pour être convaincues d’avoir le contrôle sur les Téléréalités qu’elles visionnent. Peu de personnes, même si elles en ont les moyens, prennent le temps d’analyser l’emprise qu’opère la Télévision (et les Téléréalités constitue une excroissance grotesque de cette institution) sur leurs comportements d’achats les plus anodins. Beaucoup s’inquiètent, y compris au CSA, qu’il ait été mis au service du marketing, de la publicité et du marché le savoir acquis par la recherche fondamentale. Quand on demande à Michel Desmurget si les publicités télévisuelles sont dangereuses il répond : « (…) qu'il ne s'agit plus simplement de vendre, mais de générer des comportements à l'insu des gens, et l'éducation aux images ne peut pas combattre ces mécanismes infraconscients. Si le mot « viol » a un sens, cela en est une parfaite illustration. » On pourrait extrapoler cette citation pour affirmer que ce « neuro-marketing » est un viol de l’inconscient commun et les Téléréalités les complices vicieuses, soumises et dévouées de cette mécanique. Je souscris, pour ma part, à cette idée forte.

     

     Ce formatage ne pouvait être permis par les anciennes valeurs républicaines traditionnelles (parfois défendues par certains dans le cadre d’un discours nostalgique idéalisant et déformant) de méritocratie, de respect, de travail, d’égalité, etc. De la même manière, le rejet de l’argent et de la rapacité de la part du catholicisme et du communisme, même si ce n’était parfois qu’une apparence, ne permettait pas la production de consommateurs « efficients ». La disparition relative de ces deux églises longtemps fondatrices dans le paysage politique français fut une des conditions de l’avènement en France d’une société plus anglo-saxonne et individualiste. Par conséquent, les Téléréalités peuvent être comprises comme l’aboutissement d’une dynamique libérale-libertaire, au sens Clouscardien, ayant diffusé le marché dans toutes les structures du corps social, y compris dans ses parcelles les plus inattendues.

    Dans cette même lignée de réflexion, deux éléments sont à analyser : les mutations qu’on put connaître les institutions télévisuelles, d’une part, et, d’autre part, ce qu’entend la prétention à la retranscription de la réalité. Ces deux éléments se conjuguent ensemble, bien qu’ils relèvent tous deux de dynamismes distincts.

    Laissez-faire, laissez-passer et laissez-voir

    On ne peut pas éternellement discuter des Téléréalités sans parler des mutations profondes qu’on put connaître les télévisions françaises. Jean Louis Missika découpe l’histoire de la télévision française en trois phases : la paléo-télévision, la néo-télévision et la post-télévision.

    La première période s’étend des années 1950 aux années 1970 et se caractérise par un souci pédagogique de transmission de la culture, du savoir et des informations. Affirmer cela ne saurait angéliser la télévision de cette époque qui, comme celle d’aujourd’hui, n’hésitait pas, car au service de l’Etat, à manipuler l’information en transformant la réalité des faits, que ce soit par l’exagération ou la prétendue insignifiance. « On cache en montrant, et plus on dévoile plus on voile » comme disait Bourdieu.

    On ne peut d’ailleurs pas souhaiter si l’on désire une démocratie directe impliquant d’avantage l’esprit critique de ses citoyens une transposition à notre époque de cette paléo-télévision qui était réservé à une petite frange d’experts, de stars, d’hommes politiques et de journalistes. Il ne faudrait toutefois pas nier un certain nombre de vertus inspirantes de cette paléo-télévision, un site comme l’INA.fr permet de visualiser des émissions artistiques, politiques et culturelles mobilisant des débats contradictoires de qualité, de la poésie, de la chanson à textes, des grands films, en somme une grande plus-value intellectuelle qui pourrait permettre aux français de construire la télévision de demain. Si ce genre d’émissions continue d’exister aujourd’hui, elles sont malheureusement trop marginales pour peser face à l’Empire des Téléréalités et de la publicité. Toujours est-il que cette césure, qui apparaît au niveau des années 1970, semble confirmer l’avènement, en France, d’une dynamique libérale-libertaire d’après 68 envahissant l’univers de la Télévision et permettant le démarrage d’une nouvelle ère télévisuelle, celle de la néo-télévision au sens de Missika. Ce fut le réveil de la France à la mondialisation que nous connaissons, un réveil curieusement anesthésiant.

     La deuxième période s’étend des années 1970 aux années 1990, elle se base sur un rapport plus direct avec « le public » et le simple fait, pour certaines personnes, d’avoir pu être témoins d’évènements quelconques leur donne le droit de participer à des émissions. En outre, on offre aux gens lambda une source de légitimité et de revendication potentielle au droit d’être « télévisable ». Cette démarche s’inscrit dans un souci apparent de transparence et de retranscription avec la plus grande exactitude possible des « faits », de la part des journalistes en général. La télévision analyse ainsi des préoccupations particulières et tend à se rapprocher le plus possible des individus. Alexandra Faure parle du passage de la Télévision vers une mission de régulation et de médiation avec la tentative de résoudre, de sa part, dans le cadre de talk-shows et de reality-shows, des problèmes relevant de l’intime, des conflits personnels et interfamiliaux. A mon sens, cette affirmation est fausse et ce que l’on cherche plus à ce moment-là, de la part des producteurs, consiste en une innovation dans le rapport aux téléspectateurs en faisant de la Télévision un organe tourné vers la production de manière beaucoup plus importante qu’autrefois. L’enjeu est alors de mettre les téléspectateurs dans une situation où ils sont amenés à se retrouver en proximité relative avec leurs écrans, ce qui supprime une partie d’altérité et de distance dans le rapport entretenue à l’égard de ceux-ci et permet la transformation progressive de l’instance télévisuelle en un puissant support de propagande pour une société de consommation d’un type nouveau. La Télévision n’a pas inventé le consumérisme, certes, mais elle l’a exacerbé dans des proportions délirantes. Je ne parlerais donc pas d’une position de médiation et de régulation, surtout quand on est conscient du caractère artificiel, préparé et faussé de ces situations « problématiques » à réguler, mais d’un transfert, complexe et partiel, d’allégeance. Pour parler vite, nous dirons que ce transfert d’allégeance de la Télévision s’est opéré de l’Etat au marché. On énonce ainsi trois entités extrêmement abstraites qu’il conviendrait d’approfondir plus longuement (Télévision, Etat et marché). Pour conclure, l’intérêt soudain de la télévision pour la sphère privée relève d’avantage de la stratégie mercantile que de l’adoption samaritaine d’une volonté de voir évoluer son rôle, par rapport à la société civile, vers une mission de régulation et de médiation.

    La dernière période, celle que nous vivons, serait celle de la post-télévision. Celle-ci pourrait se résumer par le besoin croissant dans nos sociétés moderne d’une reconnaissance individuelle. Le « laissez-faire, laissez-passer » se couple alors du « laissez-voir ». Dans la même idée, alors qu’il semble y avoir une quête, de la part des téléspectateurs, vers plus « d’authentique », on pose les bases institutionnelles et morales d’un empire de l’imposture, en la personne des Téléréalités. La diffusion du Loft story en 2001 a provoqué une rupture radicale, certes, mais cette apparition ne se fit pas à partir de rien ou de manière soudaine. On peut en effet trouver toute une série de racines d’émissions dites de dévoilement dans les années 80 (Psy-Show, Moi, je) ou avec les reality shows (L’amour en danger, Perdue de vue). Jean Louis Missika parle de « lifeentainement », d’un genre télévisuel ayant évolué vers l’expérimental par la mise en situation de « cobayes », les participants, dans un environnement où ceux-ci se retrouvent confrontés à des « stimulis », sous le feu des projecteurs, dans l’attente, je n’ose dire l’étude, de leurs réactions. Alexandra Faure affirme que la fiction (réalité imaginaire), l’information (réalité rapportée) et le reality show (réalité constituée) sont des genres qui se sont faits dépassés par la réalité expérimentée, expression utilisée pour recouper l’ensemble des Téléréalités, un type d’émission inédit répondant à la recherche, par la télévision, de l’ordinaire. On constate en effet que tout est fait pour renforcer le sentiment de proximité des téléspectateurs avec les programmes qu’ils visualisent, que ce soit du présentateur aux candidats, du thème abordé aux règles du jeu (notamment sur le vote qui permet de faire participer le public directement en influant sur le cours du jeu par le biais de SMS surtaxés).

     Rien n’est plus amer pour l’analyse critique que ce maquillage astucieux du marketing sous les oripeaux de « l’ordinaire », du « concret » et du « réel ». Si l’Etat veut assumer son rôle de conservateur de l’ordre social, il lui revient de s’emparer de cette problématique qui pose des graves questions en matière d’aggravation de la destruction, permise par la crise, du lien social et du rapport à l’autre dans les milieux populaires. Sans doute les médias aiment-ils utiliser le vide, la vulgarité et la stupidité comme une pompe aspirante de la colère gagnant « la common deacency » orwellienne du peuple de France. Une fois le débat posé en ces termes, je pense qu’interdire une grande majorité des programmes de Téléréalité est une hypothèse envisageable, voir souhaitable si l’on désire des gens doués d’esprit critique et non pas des consommateurs obéissants.

     

  • Réflexions sur les théories du complot


    TRIBUNE
    04/08/2013 à 12h23

    11 Septembre, OGM, ondes... : la science citoyenne, cette fumisterie

    Jérôme Quirant | Enseignant-chercheur

    TRIBUNE

    Lorsqu’en 2008 je me suis penché sur les théories du complot autour des attentats du 11 septembre 2001, je n’imaginais pas que cela m’amènerait à m’intéresser à des domaines aussi divers que les OGMles ondes électromagnétiques ou le nucléaire.

    Confronté à l’époque à des théories conspirationnistes plus insolites les unes que les autres sur les effondrements des tours du World Trade Center, j’avais certes trouvé une source inépuisable de sujets d’examen, ludiques, pour mes étudiants, mais je ne pouvais non plus me résoudre à laisser circuler de telles inepties.

    Cela m’a conduit à créer un site Internet, puis à coordonner un numéro spécial de la revue Science et pseudosciences qui donnait la parole aux – vrais – spécialistes du domaine, pour expliquer quelle est la connaissance scientifique sur un sujet précis.

    C’est à la suite de ce numéro que j’ai été invité, en 2011, à entrer dans le comité de rédaction de cette revue, éditée par l’Association française pour l’information scientifique.


     

    Depuis, j’ai été sidéré par les similitudes entre le mouvement conspirationniste autour du 11 septembre et ceux agissant dans bien d’autres domaines (OGM, nucléaire, etc.) :

    • des associations se revendiquant « citoyennes »,
    • des pétitions,
    • des actions médiatiques,
    • la dénonciation d’un complot dont ils seraient les uniques pourfendeurs,
    • le souhait d’organiser des débats publics,
    • le vide en matière d’argumentation scientifique.

    Pas besoin d’associations citoyennes
    pour démontrer le théorème de Pythagore

    Pourtant, nul besoin d’associations « citoyennes » pour démontrer le théorème de Pythagore. Il n’existe pas plus de science citoyenne que prolétarienne ou bourgeoise, mais une démarche scientifique qui permet d’expliquer notre monde et de proposer des solutions techniques pour améliorer notre quotidien.

    Et toute allégation, quelle qu’elle soit, doit être vérifiable et vérifiée par n’importe quel scientifique respectant les fondements de la démarche scientifique. Ainsi progresse la science.

    Or, si sur le 11 septembre ces gesticulations n’ont eu aucune influence sur la production scientifique – elle en est restée à un enchaînement « crash d’avion – incendie – affaiblissement de la structure – effondrement » pour les tours du WTC –, il en va autrement pour d’autres secteurs d’activité. Souvent, les mouvements « anti » ont instillé la frilosité, voire sapé toute recherche ou développement industriel :

    • Alors que dans les années 90, la France était leader sur les OGM, il est devenu impossible de faire la moindre recherche de manière sereine sur ce sujet.
    • Dans les années 70 et 80, des projets industriels majeurs ont vu le jour en France (TGV, Airbus, Ariane, nucléaire civil…). Aujourd’hui, quels sont les grands desseins capables de doper une industrie moribonde et créer les emplois qui iraient avec ?

    Des collectifs « indépendants »... de toute démarche scientifique sérieuse

    Ces associations citoyennes se revendiquent aussi et surtout « indépendantes ». Reopen911, qui a donné du crédit en France aux théories complotistes sur le 11 septembre, demande une enquête « indépendante » pour expliquer comment se sont effondrées les tours du World Trade Center, alors que cette question est réglée depuis longtemps dans la communauté scientifique.

    L’association Robin des toits, « indépendante du lobby de la téléphonie », lutte pour la baisse d’intensité des champs électromagnétiques (supposés nocifs) induits pas les antennes de téléphonie mobile et s’esbaudit devant n’importe quelle expérience allant dans ce sens, même totalement inepte.

    La dernière en date était celle de lycéennes danoises, qui ont magistralement démontré que l’exposition de semences à des conditions de température et d’hygrométrie différentes (les graines étaient placées derrières les ventilateurs d’ordinateurs !) joue sur leur croissance

    Le Criigen, farouchement opposé au développement des OGM, a été capable de recueillir 2 millions d’euros pour financer une étude « indépendante », mais qui ne vaut rien sur le plan scientifique…

    Le Criirad, censé révéler la vérité vraie sur le nucléaire, a redécouvert la radioactivité naturelle grâce à ses compteurs Geiger. L’association, « indépendante du lobby nucléaire », a même dû mettre à jour ses connaissances sur la mesure de la radioactivité suite à la catastrophe de Fukushima.

    On le voit, ces associations sont surtout « indépendantes » de toute démarche scientifique, une notion qui leur est même totalement étrangère. Cela n’empêche pas les médias de leur fournir régulièrement des tribunes, leur octroyant une légitimité qu’elles n’ont jamais acquise sur le plan scientifique.

    Car si on peut être « anti » pour diverses raisons, justifiées et tout à fait honorables (qu’elles soient économiques, sociétales, environnementales, etc.), il n’est pas acceptable que les données scientifiques soient travesties de manière fallacieuse à des fins idéologiques.

    La science ne sort pas forcément victorieuse des « débats publics » sur les sujets sensibles

    L’autre dada des associations citoyennes est l’organisation de débats publics qu’elles réclament à cors et à cris. Pourquoi ? Platon l’a très bien expliqué dans son « Gorgias », trois siècles avant J.-C., en écrivant un dialogue entre Gorgias, maître rhéteur, et Socrate : 

    « Suppose qu’un orateur et qu’un médecin se rendent dans la cité que tu voudras, et qu’il faille organiser, à l’assemblée […], une confrontation entre le médecin et l’orateur pour savoir lequel des deux on doit choisir comme médecin.

    Eh bien j’affirme que le médecin aurait l’air de n’être rien du tout, et que l’homme qui sait parler serait choisi s’il le voulait. […] Car il n’y a rien dont l’orateur ne puisse parler, en public, avec une plus grande force de persuasion que celle de n’importe quel spécialiste.

    Ah, si grande est la puissance de cet art rhétorique ! [...]

    – La rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ; simplement, elle a découvert un procédé qui sert à convaincre, et le résultat est que, devant un public d’ignorants, elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs ».

    Non seulement la vérité scientifique est loin d’être assurée de sortir victorieuse de tels débats, mais comme l’a souligné le physicien Serge Galam dans une tribune parue dans Le Monde en avril, le débat est une machine à produire de l’extrémisme :

    « Le débat public […] cache une machine infernale de production d’extrémisme au service des a priori, des menteurs, des préjugés ». A supposer même que ces débats puissent se tenir. »

    Quoiqu’il en soit, s’il est concevable que des débats publics soient organisés sur des choix sociétaux ou autres, il faut aussi rappeler que jamais dans l’histoire aucun « débat public » n’a fait avancer la connaissance scientifique d’un pouce. Jamais. Ce n’est tout simplement pas là que la science se développe.

    Le savoir académique est devenu inaudible

    Hélas, de nos jours, lorsqu’un scientifique donne des explications sur un sujet sensible, il est systématiquement accusé d’être en « conflit d’intérêt », vendu aux « lobbies » et au « grand capital ».

    Le savoir académique est devenu inaudible : on se retrouve à devoir choisir, par exemple, entre l’avis d’un scientifique compétent sur le nucléaire, mais par la force des choses en relation avec l’industrie ou la recherche dans le domaine, et celui d’un « citoyen » incompétent qui se promène avec son compteur Geiger (remplacer « nucléaire » par « cancer » ou « OGM », et « compteur Geiger » par « poudre de perlimpinpin » ou « tomate bio » pour le même effet).

    Pourtant, une simple étude bibliographique de la littérature scientifique à disposition suffit à tordre le cou à pas mal de contre-vérités. Malheureusement, les médias sont plus enclins à donner du crédit aux associations citoyennes véhiculant un message simple (voire simpliste) plutôt que de se plonger dans un article scientifique à la compréhension ardue.

    Pire, ils les mettent sur un même plan, comme si la connaissance scientifique avait la même valeur que le premier propos impromptu de comptoir.

    C’est ce qui m’a amené à proposer plusieurs articles sur Rue89, mais en me bornant bien sûr à des études bibliographiques d’articles parus dans des revues scientifiques. N’étant pas spécialiste des domaines traités il n’était pas question de me substituer aux personnes faisant référence dans leur secteur.

    Les revues à comité de lecture ne sont certes pas la panacée (elles sont devenues, elles aussi, une véritable industrie), mais le processus de « peer-review » reste un premier filtre efficace pour éliminer la majeure partie du grand n’importe quoi qui est proposé sur le Net ou dans les médias avides de sensationnel, mais peu de démonstrations scientifiques.

    La situation économique de la France, avec une industrie atone et un commerce extérieur catastrophique, est grave. Les Chinois exportent leur propre TGVou leurs centrales nucléaires… Nos récoltes ne se vendent plus à l’étranger, car non OGM ( !)... et demain, nous en serons réduits à acheter les semences issues de laboratoires indiens.

    Sous prétexte de principe de précaution, nous en sommes arrivés à ne plus rien faire du tout, et même à régresser. De façon paradoxale, alors que la gauche a été porteuse des progrès considérables que nous avons connus au XXe siècle, elle est aujourd’hui en prise avec les pires obscurantismes contemporains.

    Il serait temps d’en prendre conscience avant de percuter le mur vers lequel nous avançons à vive allure. Et surtout de relancer la recherche en France, seule façon pour les « citoyens » français de subsister encore au XXIe siècle.

    Dans les années 70, on disait qu’en France on n’avait pas de pétrole, mais des idées. Aujourd’hui, le paradigme s’inverse : il semblerait qu’on ait du gaz de schistes (à vérifier) mais qu’on soit en panne d’idées…

     
  • Yemen : La menace terroriste


    Yemen : La menace terroriste est une pure fabrication selon le diplomate français Gilles Gauthier
    Au sujet de la menace terroriste présentée par les États-Unis comme imminente au Yémen et des fermetures d’ambassades occidentales, M. Gilles Gauthier (*), ancien ambassadeur de France au Yémen, a déclaré sur les ondes de France Culture, que les dirigeants européens se sont couverts de ridicule.
    8 AOÛT 2013

    Gilles Gauthier 
     Au journaliste [1] qui demandait si les éléments qui ont permis aux États-Unis de faire état d’une menace imminente au Yémen étaient crédibles et si la fermeture des ambassades et l’évacuation des ressortissants américains ne servaient pas à justifier les écoutes généralisées dénoncées par Edward Snowden M. Gilles Gauthier a répondu :

    « Je voulais d’abord vous dire que j’ai beaucoup aimé votre présentation [2] parce que depuis quelques jours je suis ahuri par la présentation des évènements […] touchant le Yémen par la presse, par tous les médias.

    Effectivement on a un évènement totalement fabriqué ; une communication américaine qui devient un évènement […] et à ce moment là tout le monde commence à s’affoler [...]. Je crois qu’il y a un emballement ; c’est-à-dire que nos chancelleries à nous, nos dirigeants européens, sont pris dans le mouvement, ne savent plus trop ce qu’ils font et ils suivent et ils ferment eux aussi les ambassades […]. C’est un peu dérisoire tout ça…Je suis très content que votre radio, votre émission remette un peu les choses d’aplomb… ».

    […]

    « J’étais ambassadeur au Yémen jusqu’à il y a 3 ans ; et j’y suis retourné au mois de janvier [...] Il y avait eu un moment où le mouvement d’Al-Qaïda avait entièrement contrôlé une assez importante région proche d’Aden. Depuis, le président yéménite a réussi très intelligemment à la récupérer entièrement. On n’en a pas beaucoup parlé ; c’était un évènement positif. […] Les Américains avec leurs drones ne sont pas capables de faire ça. Cela a été fait en coopération avec le président et les tribus du sud. Du coup les gens d’Al-Qaïda se sont trouvés dispersés […] Donc effectivement il y a un danger de ce type … pour les Américains, mais ils sont en danger aussi à cause de leur politique… »

    À la question de savoir si la méthode des États-Unis – l’usage des drones pour combattre le terrorisme - n’est pas contreproductive et si on ne créé pas du terrorisme avec les drones, Obama étant sur la même ligne que George Bush junior, Gilles Gauthier a répondu :

    « Bien sûr, la politique des drones est une façon de fabriquer les terroristes […] Oui c’est dommage, c’est regrettable. Il (Obama) est totalement sur la même ligne ; il l’a même accentuée […] ; les États-Unis, un pays qui a des valeurs démocratiques, sont totalement en dehors de tout droit international ; l’usage des drones en dehors des situations de guerre […] les opérations de guerre sur un territoire étranger, sont une monstruosité. […] Le Yémen n’est pas les État-Unis ; ils n’ont aucun accord militaire officiel qui les autorise à faire cela ; ils sont dans un cadre tout à fait illégitime qui peut être qualifié d’opération terroriste […] ce sont des opérations qui n’entrent dans le cadre d’aucune légitimité internationale. »

    Silvia Cattori




     

    [1] Lors de l’émission « Les Matins d’été » de France Culture, du 8 août.

    [2] Nous avions nous aussi été agréablement surpris par l’honnêteté rare de la part du journaliste

     


  • Foutage de plomb ?


    Alerte anti-terro générale, fermeture des ambassades, mise en ordre de marche de mainstream …

    Seraient-ils en train de péter les plombs ?

    C'est étrangement le patron de l'armée himself qui ouvre le bal dans mainstream. Pourquoi lui d'ailleurs, et non les affaires étrangère ou la sécurité « domestique » ?

    On nous dit que l'alerte a été donner suite à des écoutes. Mais comment ces supposés terroristes, après des années de guerre clandestine, seraient-ils encore assez idiots pour se laisser intercepter ? Galéjade !

    Qui seraient d'ailleurs ces derniers sinon les héritiers de leurs alliés d'hier mis en place, recrutés, formés, et financés obligamment par des pays amis (ça continue d'ailleurs) pendant des années en Afghanistan contre les Soviétiques ? Et ne feraient-ils d'ailleurs pas partie de ces « rebelles » qui combattent en Syrie ?

    Ne voient-ils donc pas les incohérences et les incongruités de leur discours ?

    On nous parle de « guerre juste et d'autodéfense ».

    Mais qui peut bien avoir l'audace de menacer ceux qui, à eux seuls, détiennent pas moins de 50 % du budget mondiale en matière de défense, loin, très loin de ce qu'y consacre la Chine, la Russie et l'Inde réunies ?

    De plus qui attaque vraiment qui depuis des années et des années ?

    Et pourquoi maintenant ? Pour gâcher les légitimes vacances de millions de citoyens tranquilles ou parce que l'affaire syrienne et tout le Proche-orient ne tourne pas comme ils le souhaitent, ou que « la » monnaie est en train de s'écrouler, ou que … ou que ...

    Et quand bien même il y aurait de vraies attaques, comment ne pas penser qu'on ne ferait ainsi qu'alimenter l'ineffable machine à titiller les anti-conspirationistes ?

    Qui peut y croire vraiment sinon mainstream, dont on nous dit d'ailleurs, que paniqués, ils viennent de se rendre compte que personne ne l'écoute plus, qu'on le fiancerait à vide ?

    Toujours la même antienne, … « Bis répétita ne placet » auraient dits les anciens.

    Mais quand redeviendront-ils cette grande nation tant admirée ?

    Tiens, on me dit qu'on va se faire choper par les « grandes oreilles » informatiques !