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GéoPolitik - Page 16

  • Drogue, pétrole et guerre

    AFGHANISTAN

     

    Peter Dale Scott poursuit son analyse du système de domination US. Lors d’une conférence moscovite, il a résumé le résultat de ses recherches sur le financement de ce système par les drogues et les hydrocarbures. Bien que tout soit déjà connu, la vérité est toujours aussi difficile à admettre.

     | MOSCOU (RUSSIE) | 1ER JUIN 2013 
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    J’ai prononcé le discours suivant à une conférence anti-OTAN, qui fut organisée à Moscou l’année dernière. J’étais le seul intervenant états-unien lors de cet événement. On m’y avait convié suite à la parution en russe de mon livre Drugs, Oil, and War – un ouvrage jamais traduit en français, contrairement à La Route vers le nouveau désordre mondial et à mon dernier livre, La Machine de guerre américaine –. [1] En tant qu’ancien diplomate préoccupé par la paix, j’étais heureux d’y participer. En effet, il me semble que le dialogue entre les intellectuels états-uniens et russes soit moins sérieux aujourd’hui qu’il ne l’était au paroxysme de la guerre froide. Pourtant, les dangers d’une guerre impliquant les deux principales puissances nucléaires n’ont visiblement pas disparu.

    En réponse au problème des crises interconnectées que sont la production de drogue afghane et le jihadisme salafiste narco-financé, mon discours exhortait les Russes à coopérer dans un cadre multilatéral avec les États-uniens partageant cette volonté —malgré les activités agressives de la CIA, de l’OTAN et du SOCOM (pour US Special Operations Command) en Asie centrale—. Cette position divergeait de celles des autres intervenants.

    Depuis cette conférence, j’ai continué de réfléchir en profondeur sur l’état dégradé des relations entre la Russie et les États-Unis, et sur mes espoirs légèrement utopiques de les restaurer. Malgré les différents points de vue des conférenciers, ils avaient tendance à partager une grande inquiétude sur les intentions états-uniennes envers la Russie et les anciens États de l’URSS. Cette anxiété commune se fondait sur ce qu’ils savaient des actions antérieures des États-Unis, et de leurs engagements non tenus. En effet, contrairement à la plupart des citoyens de ce pays, ils étaient bien informés sur ces questions.

    L’assurance que l’OTAN ne profiterait pas de la détente pour s’étendre en Europe de l’Est est un important exemple de promesse non tenue. Évidemment, la Pologne et d’autres anciens membres du Pacte de Varsovie sont aujourd’hui intégrés au sein de l’Alliance atlantique, tout comme les anciennes Républiques socialistes soviétiques de la Baltique. Par ailleurs, des propositions visant à faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN sont toujours d’actualité, ce pays étant le véritable cœur de l’ancienne Union soviétique. Ce mouvement d’extension vers l’Est fut accompagné d’activités et d’opérations conjointes alliant les troupes US aux forces armées et sécuritaires de l’Ouzbékistan —dont certaines furent organisées par l’OTAN—. (Ces deux initiatives commencèrent en 1997, sous l’administration Clinton.)

    Nous pouvons citer d’autres ruptures d’engagements, comme la conversion non autorisée d’une force des Nations Unies en Afghanistan (approuvée en 2001 par la Russie) en une coalition militaire dirigée par l’OTAN. Deux intervenants critiquèrent la détermination des États-Unis à installer en Europe de l’Est un bouclier antimissile contre l’Iran, refusant les suggestions russes de le déployer en Asie. Selon eux, cette intransigeance constituait « une menace pour la paix mondiale ».

    Les conférenciers percevaient ces mesures comme des extensions agressives du mouvement qui, depuis Washington, visait à détruire l’URSS sous Reagan. Certains des orateurs avec qui j’ai pu échanger considéraient que, pendant les deux décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, la Russie avait été menacée par des plans opérationnels des États-Unis et de l’OTAN pour une première frappe nucléaire contre l’URSS. Ils auraient pu être exécutés avant que la parité nucléaire ne soit atteinte, mais ils ne furent évidemment jamais mis en œuvre. Malgré tout, mes interlocuteurs étaient persuadés que les faucons ayant voulu ces plans n’avaient jamais abandonné leur désir d’humilier la Russie, et de la réduire au rang de tierce puissance. Je ne peux réfuter cette inquiétude. En effet, mon dernier livre, intitulé La Machine de guerre américaine , décrit également des pressions continuelles visant à établir et à maintenir la suprématie des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale.

    Les discours prononcés à cette conférence ne se limitaient en aucun cas à critiquer les politiques menées par les États-Unis et l’Alliance atlantique. En effet, les intervenants s’opposaient avec une certaine amertume au soutien de Vladimir Poutine pour la campagne militaire de l’OTAN en Afghanistan, qu’il avait exprimé le 11 avril 2012. Ils étaient particulièrement révoltés par le fait que Poutine ait approuvé l’installation d’une base de l’Alliance atlantique à Oulianovsk, située à 900 kilomètres à l’est de Moscou. Bien que cette base ait été « vendue » à l’opinion publique russe comme un moyen de faciliter le retrait états-unien d’Afghanistan, l’un des conférenciers nous assura que l’avant-poste d’Oulianovsk était présenté dans les documents de l’OTAN comme une base militaire. Enfin, les intervenants se montraient hostiles aux sanctions onusiennes contre l’Iran, qui étaient inspirées par les États-Unis. Au contraire, ils considéraient ce pays comme un allié naturel contre les tentatives états-uniennes de concrétiser le projet de domination globale de Washington.

    Mis à part le discours suivant, je suis resté silencieux durant la majeure partie de cette conférence. Cependant mon esprit, voire ma conscience, sont perturbés lorsque je songe aux récentes révélations sur Donald Rumsfeld et Dick Cheney. En effet, immédiatement après le 11-Septembre, ces derniers ont mis en œuvre un projet visant à faire tomber de nombreux gouvernements amis de la Russie —dont l’Irak, la Libye, la Syrie et l’Iran—. [2] (Dix ans plus tôt, au Pentagone, le néoconservateur Paul Wolfowitz avait déclaré au général Wesley Clark que les États-Unis disposaient d’une fenêtre d’opportunité pour se débarrasser de ces clients de la Russie, dans la période de restructuration de ce pays suite à l’effondrement de l’URSS. [3]) Ce projet n’a toujours pas été finalisé en Syrie et en Iran.

    Ce que nous avons pu observer sous Obama ressemble beaucoup à la mise en œuvre progressive de ce plan. Toutefois, il faut admettre qu’en Libye, et à présent en Syrie, Obama a montré de plus grandes réticences que son prédécesseur à envoyer des soldats sur le terrain. (Il a tout de même été rapporté que, sous sa présidence, un nombre restreint de forces spéciales US ont opéré dans ces deux pays, afin d’attiser la résistance contre Kadhafi puis contre Assad.)

    Plus particulièrement, l’absence de réaction des citoyens des États-Unis face au militarisme agressif et hégémoniste de leur pays me préoccupe. Ce bellicisme permanent, que j’appellerais le « dominationisme », est prévu sur le long terme dans les plans du Pentagone et de la CIA. [4] Sans aucun doute, de nombreux États-uniens pourraient penser qu’une Pax Americana globale assurerait une ère de paix, à l’image de la Pax Romana deux millénaires auparavant. Je suis persuadé du contraire. En effet, à l’instar de la Pax Britannica du XIXe siècle, ce dominationisme conduira inévitablement à un conflit majeur, potentiellement à une guerre nucléaire. En vérité, la clé de la Pax Romana résidait dans le fait que Rome, sous le règne d’Hadrien, s’était retirée de la Mésopotamie. De plus, elle avait accepté de strictes limitations de son pouvoir dans les régions sur lesquelles elle exerçait son hégémonie. La Grande-Bretagne fit preuve d’une sagesse comparable, mais trop tard. Jusqu’à présent, les États-Unis ne se sont jamais montrés aussi raisonnables.

    Par ailleurs, dans ce pays, très peu de monde semble s’intéresser au projet de domination globale de Washington, du moins depuis l’échec des manifestations de masse visant à empêcher la guerre d’Irak. Nous avons pu constater une abondance d’études critiques sur les raisons de l’engagement militaire des États-Unis au Vietnam, et même sur l’implication états-unienne dans des atrocités telles que le massacre indonésien de 1965. Des auteurs comme Noam Chomsky et William Blum [5] ont analysé les actes criminels des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. Cependant, ils ont peu étudié la récente accélération de l’expansionnisme militaire états-unien. Seule une minorité d’auteurs, comme Chalmers Johnson et Andrew Bacevich, ont analysé le renforcement progressif de la Machine de guerre américaine qui domine aujourd’hui les processus politiques des États-Unis.

    De plus, il est frappant de constater que le jeune mouvementOccupy se soit si peu exprimé sur les guerres d’agression que mène ce pays. Je doute qu’il ait même dénoncé la militarisation de la surveillance et du maintien de l’ordre, ainsi que les camps de détention. Or, ces mesures sont au cœur du dispositif de répression intérieure qui menace sa propre survie. [6] Je fais ici référence à ce que l’on appelle le programme de « continuité du gouvernement » (COG pour « Continuity of Government »), à travers lequel les planificateurs militaires US ont développé des moyens de neutraliser définitivement tout mouvement antiguerre efficace aux États-Unis. [7]

    En tant qu’ancien diplomate canadien, si je devais retourner en Russie, j’en appellerais de nouveau à une collaboration entre les États-Unis et ce pays afin d’affronter les problèmes mondiaux les plus urgents. Notre défi est de dépasser ce compromis rudimentaire qu’est la détente, cette soi-disant « coexistence pacifique » entre les superpuissances. En réalité, cette entente vieille d’un demi-siècle a permis —et même encouragé— les atrocités violentes de dictateurs clients, comme Suharto en Indonésie ou Mahamed Siyaad Barre en Somalie. Il est probable que l’alternative à la détente, qui serait une rupture complète de celle-ci, mène à des confrontations de plus en plus dangereuses en Asie —très certainement en Iran—.

    Néanmoins, cette rupture peut-elle être évitée ? Voilà que je me demande si je n’ai pas minimisé l’intransigeance hégémoniste des États-Unis. [8] À Londres, j’ai récemment discuté avec un vieil ami, que j’avais rencontré durant ma carrière diplomatique. Il s’agit d’un diplomate britannique de haut rang, qui est un expert de la Russie. J’espérais qu’il aurait modéré mon évaluation négative des intentions des États-Unis et de l’OTAN contre ce pays. Or, il n’a fait que la renforcer.

    Ainsi, j’ai décidé de publier mon discours agrémenté de cette préface, qui est destinée aussi bien aux citoyens US qu’au public international. Je pense qu’aujourd’hui, le plus urgent pour préserver la paix mondiale est de restreindre le mouvement des États-Unis vers l’hégémonie incontestée. Au nom de la coexistence dans un monde pacifié et multilatéral, il faut donc raviver l’interdiction par l’ONU des guerres préemptives et unilatérales.

    Dans cet objectif, j’espère que les citoyens des États-Unis se mobiliseront contre le dominationisme de leur pays, et qu’ils en appelleront à une déclaration politique de l’administration ou du Congrès. Cette déclaration :

    1) renoncerait explicitement aux appels antérieurs du Pentagone faisant de la « suprématie totale » (« full spectrum dominance ») un objectif militaire central dans la politique étrangère des États-Unis ; [9]

    2) rejetterait comme étant inacceptable la pratique des guerres préventives, aujourd’hui profondément enracinée ;

    3) renoncerait catégoriquement à tout projet états-unien d’utilisation permanente de bases militaires en Irak, en Afghanistan ou au Kirghizstan ;

    4) réengagerait les États-Unis à mener leurs futures opérations militaires en accord avec les procédures établies par la Charte des Nations Unies.

    J’encourage mes concitoyens à me rejoindre afin d’exhorter le Congrès à introduire une résolution dans ce but. Initialement, une telle démarche pourrait ne pas aboutir. Cependant, il est possible qu’elle contribue à recentrer le débat politique US vers un sujet qui est selon moi urgent et peu débattu : l’expansionnisme des États-Unis, et la menace contre la paix globale qui en découle aujourd’hui.

    Discours à la conférence d’Invissin sur l’OTAN 
    (Moscou, 15 mai 2012)

    Avant tout, je remercie les organisateurs de cette conférence de me permettre de parler du grave problème qu’est le narcotrafic d’Afghanistan. Aujourd’hui, il constitue une menace aussi bien pour la Russie que pour les relations entre ce pays et les États-Unis. Je vais donc discuter de politique profonde selon les perspectives de mon livre Drugs, Oil, and War, mais aussi de mon dernier ouvrage (La Machine de guerre américaine ) et du précédent (La Route vers le nouveau désordre mondial ). Ces livres analysent notamment les facteurs sous-tendant le trafic de drogue international ainsi que les interventions US, deux phénomènes préjudiciables à la fois au peuple russe et au peuple états-unien. Je parlerai également du rôle de l’OTAN dans la facilitation des stratégies visant à établir la suprématie des États-Unis sur le continent asiatique. Mais d’abord, je voudrais analyser le trafic de drogue à l’aune d’un important facteur, qui s’avère déterminant dans mes livres. Il s’agit du rôle du pétrole dans les politiques asiatiques des États-Unis, et également de l’influence d’importantes compagnies pétrolières alignées sur les intérêts de ce pays, dont British Petroleum (BP).

    Derrière chaque offensive récente des États-Unis et de l’OTAN, l’industrie pétrolière fut une force profonde déterminante. Pour l’illustrer, songeons simplement aux interventions en Afghanistan (2001), en Irak (2003) et en Libye (2011). [10]

    J’ai donc étudié le rôle des compagnies pétrolières et de leurs représentants à Washington —dont les lobbies—, dans chacune des grandes interventions des États-Unis depuis le Vietnam dans les années 1960. [11] Le pouvoir des compagnies pétrolières US nécessiterait quelques explications à un public venant de Russie, où l’État contrôle l’industrie des hydrocarbures. Aux États-Unis, c’est pratiquement l’inverse. En effet, les compagnies pétrolières tendent à dominer aussi bien la politique étrangère de ce pays que le Congrès. [12] Ceci explique pourquoi les présidents successifs, de Kennedy à Obama en passant par Reagan, ont été incapables de limiter les avantages fiscaux des compagnies pétrolières garantis par la « oil depletion allowance » —y compris dans le contexte actuel, où la plupart des États-uniens sombrent dans la pauvreté—. [13]

    Les activités US en Asie centrale, dans des zones d’influence traditionnelles de la Russie telles que le Kazakhstan, ont un fondement commun. En effet, depuis une trentaine d’années (voire plus), les compagnies pétrolières et leurs représentants à Washington ont montré un grand intérêt dans le développement, et surtout dans le contrôle des ressources gazières et pétrolières sous-exploitées du bassin Caspien. [14] Dans cet objectif, Washington a développé des politiques ayant eu comme résultat la mise en place de bases avancées au Kirghizstan et, pendant quatre ans, en Ouzbékistan (2001-2005). [15] Le but affiché de ces bases était de soutenir les opérations militaires des États-Unis en Afghanistan. Néanmoins, la présence états-unienne encourage aussi les gouvernements des nations avoisinantes à agir plus indépendamment de la volonté russe. Nous pouvons citer comme exemple le Kazakhstan et le Turkménistan, ces deux pays étant des zones d’investissements gaziers et pétroliers pour les compagnies US.

    Washington sert les intérêts des compagnies pétrolières occidentales, pas seulement du fait leur influence corruptrice sur l’administration, mais parce que la survie de l’actuelle pétro-économie US dépend de la domination occidentale du commerce mondial du pétrole. Dans l’un de mes livres, j’analyse cette politique, en expliquant comment elle a contribué aux récentes interventions des États-Unis, mais aussi à l’appauvrissement du Tiers-Monde depuis 1980. En substance, les États-Unis ont géré le quadruplement des prix du pétrole dans les années 1970 en organisant le recyclage des pétrodollars dans l’économie états-unienne, au moyen d’accords secrets avec les Saoudiens. Le premier de ces accords assurait une participation spéciale et continuelle de l’Arabie saoudite dans la santé du dollar US ; le second sécurisait le soutien permanent de ce pays dans la tarification intégrale du pétrole de l’OPEP en dollars. [16] Ces deux accords garantissaient que l’économie des États-Unis ne serait pas affaiblie par les hausses de prix du pétrole de l’OPEP. Le plus lourd fardeau pèserait au contraire sur les économies des pays les moins développés. [17]

    Le dollar US, bien qu’étant en cours d’affaiblissement, dépend encore en grande partie de la politique de l’OPEP imposant cette monnaie pour régler le pétrole de cette organisation. Nous pouvons mesurer avec quelle force les États-Unis sont capables d’imposer cette politique en observant le destin des pays ayant décidé de la remettre en cause. « En 2000, Saddam Hussein insista pour que le pétrole irakien soit vendu en euros. Ce fut une manœuvre politique, mais qui augmenta les revenus récents de l’Irak grâce la hausse de la valeur de l’euro par rapport au dollar. » [18] Trois ans plus tard, en mars 2003, les États-Unis envahirent ce pays. Deux mois après, le 22 mai 2003, Bush décréta par un ordre exécutif que les ventes de pétrole irakien devaient s’effectuer de nouveau en dollars, et non en euros. [19]

    Selon un article russe, peu avant l’intervention de l’OTAN en Libye début 2011, Mouammar Kadhafi avait manœuvré pour refuser le dollar comme monnaie de règlement du pétrole libyen, à l’instar de Saddam Hussein. [20] En février 2009, l’Iran annonça avoir « complètement cessé de conduire les transactions pétrolières en dollars US. » [21] Les véritables conséquences de cette audacieuse décision iranienne n’ont pas encore été observées. [22]

    J’insiste sur le point suivant : chaque intervention récente des États-Unis et de l’OTAN a permis de soutenir la suprématie déclinante des compagnies pétrolières occidentales sur le système pétrolier global, donc celui des pétrodollars. Néanmoins, je pense que les compagnies pétrolières elles-mêmes sont capables d’initier, ou au moins de contribuer à des interventions politiques. Comme je l’ai mentionné dans mon livre Drugs, Oil, and Wars(p.8) :

    « De façon récurrente, les compagnies pétrolières US sont accusées de se lancer dans des opérations clandestines, soit directement, soit par le biais d’intermédiaires. En Colombie (comme nous le verrons), une entreprise de sécurité états-unienne travaillant pour Occidental Petroleum participa à une opération militaire de l’armée colombienne, ‘qui tua 18 civils par erreur.’ »

    Pour citer un exemple plus proche de la Russie, j’évoquerais une opération clandestine de 1991 en Azerbaïdjan, qui est un exemple classique de politique profonde. Dans ce pays, d’anciens collaborateurs de la CIA, qui étaient employés par une entreprise pétrolière douteuse (MEGA Oil), « se lancèrent dans des entraînements militaires, distribuèrent des ‘sacs remplis d’argent liquide’ à des membres du gouvernement, et mirent en place une compagnie aérienne […] qui permit bientôt à des centaines de mercenaires moudjahidines d’être acheminés dans ce pays depuis l’Afghanistan. » [23] À l’origine ces mercenaires, finalement estimés à environ 2 000, furent employés pour combattre les forces arméniennes soutenues par la Russie dans la région disputée du Haut-Karabagh. Mais ils appuyèrent aussi les combattants islamistes en Tchétchénie et au Daguestan. Ils contribuèrent également à faire de Bakou un point de transbordement de l’héroïne afghane à la fois vers le marché urbain de Russie et vers la mafia tchétchène. [24]

    En 1993, ils participèrent au renversement d’Abulfaz Elchibey, le premier président élu de l’Azerbaïdjan, et à son remplacement par Heydar Aliyev. Ce dernier signa ensuite un important contrat pétrolier avec BP, incluant ce qui devint finalement l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan reliant ce pays à la Turquie. Il faut souligner que les origines états-uniennes des agents de MEGA Oil sont indiscutables. En revanche, nous ne savons pas exactement qui a financé cette entreprise. Il aurait pu s’agir des majors pétrolières, la plupart d’entre elles disposant (ou ayant disposé) de leurs propres services clandestins. [25] Certaines entreprises pétrolières importantes, incluant Exxon, Mobil et BP, ont été accusées d’être « derrière le coup d’État » ayant conduit au remplacement d’Elchibey par Aliyev. [26]

    De toute évidence, Washington et les majors pétrolières pensent que leur survie dépend du maintien de leur actuelle suprématie sur les marchés pétroliers internationaux. Dans les années 1990, alors que l’on localisait généralement les plus grandes réserves non prouvées d’hydrocarbures dans le bassin Caspien, cette région devint centrale à la fois pour les investissements pétroliers des entreprises US et pour l’expansion sécuritaire des États-Unis. [27]

    S’exprimant en tant que secrétaire d’État adjoint, Strobe Talbott, un proche ami de Bill Clinton, tenta de mettre en avant une stratégie raisonnable pour assurer cette expansion. Dans un important discours prononcé le 21 juillet 1997,

    « Talbott exposa les quatre aspects d’un [potentiel] soutien des États-Unis pour les pays du Caucase et de l’Asie centrale : 1) la promotion de la démocratie ; 2) la création d’économies de marché ; 3) le parrainage de la paix et de la coopération, au sein et parmi les pays de la région et 4) leur intégration dans la plus vaste communauté internationale. […] Critiquant avec virulence ce qu’il considère être une conception dépassée de la compétition dans le Caucase et en Asie centrale, M. Talbott mit en garde quiconque envisagerait le ‘Grand Jeu’ comme grille de lecture de la région. Au contraire, il proposa une entente dans laquelle chacun sortirait gagnant de la coopération. » [28]

    Mais cette approche multilatérale fut immédiatement attaquée par des membres des deux partis. Seulement trois jours plus tard, Heritage Foundation, le cercle de réflexion droitisant du Parti républicain, répondit que « [l]’administration Clinton, désireuse d’apaiser Moscou, rechignait à exploiter l’opportunité stratégique de sécuriser les intérêts des États-Unis dans le Caucase.  » [29] En octobre 1997, cette critique trouva son écho dans Le Grand Échiquier, un important ouvrage écrit par l’ancien conseiller à la Sécurité nationale Zbigniew Brzezinski. Ce dernier est certainement le principal opposant à la Russie au sein du Parti démocrate. Admettant que « la politique étrangère [états-unienne devrait] […] favoriser les liens nécessaires à une vraie coopération mondiale », il défendait toutefois dans son livre la notion de « Grand Jeu  » rejetée par Talbott. Selon Brzezinski, il était impératif d’empêcher « [l]’apparition d’un concurrent en Eurasie, capable de dominer ce continent et de défier [les États-Unis] ». [30]

    En arrière-plan de ce débat, la CIA et le Pentagone développaient à travers l’Alliance atlantique une « stratégie de projection » contraire aux propositions de Talbott. En 1997, dans le cadre du programme « Partenariat pour la Paix » de l’OTAN, le Pentagone démarra des exercices militaires avec l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Kirghizstan. Ce programme constituait « l’embryon d’une force militaire dirigée par l’OTAN dans cette région ». [31] Baptisés CENTRAZBAT, ces exercices envisageaient de potentiels déploiements de forces combattantes états-uniennes. Catherine Kelleher, une assistante du secrétaire adjoint à la Défense, cita « la présence d’énormes ressources énergétiques » comme justification de l’engagement militaire des États-Unis dans cette région. [32] L’Ouzbékistan, que Brzezinski distingua pour son importance géopolitique, devint un pivot pour les exercices militaires états-uniens, bien que ce pays ait l’un des pires bilans en matière de respect des droits de l’Homme dans cette région. [33]

    De toute évidence, la « révolution des tulipes » de mars 2005 au Kirghizstan constitua une autre étape de la doctrine de projection stratégique du Pentagone et de la CIA. Elle s’est déroulée à une époque où George W. Bush parlait fréquemment de « stratégie de projection de la liberté ». Plus tard, alors qu’il visitait la Géorgie, ce dernier approuva ce changement de régime en le présentant comme un exemple de « démocratie et de liberté en pleine expansion ». [34] (En réalité, il ressemblait plus à un coup d’État sanglant qu’à une « révolution ».) Cependant, le régime de Bakiyev « dirigea le pays comme un syndicat du crime », pour reprendre les termes d’Alexander Cooley, un professeur à l’Université de Columbia. En particulier, de nombreux observateurs accusèrent Bakiyev d’avoir pris le contrôle du trafic de drogue local et de le gérer comme une entreprise familiale. [35]

    Dans une certaine mesure, l’administration Obama s’est éloignée de cette rhétorique hégémoniste que le Pentagone appelle la « suprématie totale  » (« full-spectrum dominance »). [36] Toutefois, il n’est pas surprenant de constater que sous sa présidence, les pressions visant à réduire l’influence de la Russie se soient maintenues, comme par exemple en Syrie. En réalité, pendant un demi-siècle, Washington a été divisée en deux camps. D’un côté, une minorité évoluant principalement au Département d’État (comme Strobe Talbott), qui avait envisagé un avenir de coopération avec l’Union soviétique. De l’autre, les faucons hégémonistes, travaillant principalement à la CIA et au Pentagone (comme William Casey, Dick Cheney et Donald Rumsfeld). Ces derniers ont continuellement fait pression pour instaurer aux États-Unis une stratégie unipolaire de domination globale. [37] Dans la poursuite de cet objectif inatteignable, ils n’ont pas hésité à s’allier avec des trafiquants de drogue, notamment en Indochine, en Colombie et à présent en Afghanistan. [38]

    Par ailleurs, ces faucons ont massivement employé les stratégies d’éradication narcotique de la DEA (Drug Enforcement Administration). [39] Comme je l’ai écrit dans La Machine de guerre américaine (p.43),

    «  Le véritable objectif de la plupart de ces campagnes […] n’a jamais été l’idéal sans espoir de l’éradication de la drogue. Il a plutôt consisté à modifier la répartition du marché, c’est-à-dire à cibler des ennemis spécifiques pour s’assurer que le trafic de drogue reste sous le contrôle des trafiquants alliés à l’appareil de la sécurité d’État en Colombie et/ou à la CIA. » [40]

    De manière flagrante, cette tendance s’est vérifiée en Afghanistan, où les États-Unis recrutèrent d’anciens trafiquants de drogue pour qu’ils soutiennent leur invasion de 2001. [41] Plus tard, Washington annonça une stratégie de lutte contre la drogue qui se limitait explicitement à attaquer les trafiquants de drogue qui appuyaient les insurgés. [42]

    Ainsi, ceux qui comme moi se préoccupent de la réduction des flux de drogue venant d’Afghanistan se retrouvent face à un dilemme. En effet, pour être efficaces, les stratégies de lutte contre le trafic de drogue international doivent être multilatérales. En Asie centrale, elles nécessiteront une plus grande coopération entre les États-Unis et la Russie. Mais au contraire, les efforts des principales forces pro-US présentes dans cette région —notamment la CIA, l’US Army, l’OTAN et la DEA—, ont été jusqu’à présent concentrés non pas sur la coopération mais sur l’hégémonie états-unienne.

    Selon moi, la réponse à ce problème résidera dans l’utilisation conjointe de l’expertise et des ressources des deux pays, dans le cadre d’agences bilatérales ou multilatérales qu’aucune partie ne dominera. Une stratégie anti-drogue réussie devra être pluridimensionnelle, comme la campagne qui a été menée avec succès en Thaïlande. De plus, elle nécessitera probablement que les deux pays envisagent la mise en œuvre de stratégies favorables à la population, ce que ni l’un ni l’autre n’a encore concrétisé. [43]

    La Russie et les États-Unis ont beaucoup de caractéristiques communes, et ils partagent de nombreux problèmes. Tous deux sont des super-États, bien que leur prééminence s’affaiblisse face à la Chine émergente. En tant que superpuissances, ces nations cédèrent toutes deux à la tentation de l’aventure afghane, que de nombreux esprits mieux avisés regrettent aujourd’hui. Dans le même temps, ce pays ravagé qu’est devenu l’Afghanistan doit faire face à des problèmes urgents, qui le sont aussi pour ces trois superpuissances. Il s’agit de la menace que constitue la drogue, et du danger correspondant qu’est le terrorisme.

    Il est dans l’intérêt du monde entier de voir la Russie et les États-Unis affronter ces périls de façon constructive et désintéressée. Et espérons que chaque progrès dans la réduction de ces menaces communes sera une nouvelle étape dans le difficile processus de renforcement de la paix.

    Le siècle dernier fut le théâtre d’une guerre froide entre les États-Unis et la Russie, deux superpuissances qui se sont lourdement armées au nom de la défense de leurs peuples respectifs. L’Union soviétique a perdu, ce qui aboutit à une Pax Americana instable, à l’image de la Pax Britannica du XIXe siècle : un dangereux mélange de globalisation commerciale, d’accroissement des disparités de revenus et de richesses, et d’un militarisme brutalement excessif et expansif. Celui-ci provoque de plus en plus de conflits armés (Somalie, Irak, Yémen, Libye), tout en accentuant la menace d’une possible guerre mondiale (Iran).

    Aujourd’hui, afin de préserver leur dangereuse suprématie, les États-Unis sont en train de s’armer contre leur propre population, et plus seulement pour la défendre. [44] Tous les peuples du monde, y compris aux États-Unis, ont comme intérêt l’affaiblissement de cette suprématie en faveur d’un monde plus multipolaire et moins militariste.

    Traduction 
    Maxime Chaix

           
     

    [1] Le chercheur suisse Daniele Ganser – auteur du livre intitulé Les Armées Secrètes de l’OTAN : Réseaux Stay Behind, Opération Gladio et Terrorisme en Europe de l’Ouest (Éditions Demi-Lune, Plogastel-Saint-Germain, 2011 [seconde édition]) –, et l’homme politique italien Pino Arlacchi, ancien directeur de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), étaient également invités à cette conférence.

    [2] Initialement, Donald Rumsfeld voulait répondre au 11-Septembre en attaquant non pas l’Afghanistan, mais l’Irak. Selon lui, il n’y avait « pas de cibles convenables en Afghanistan » (Richard Clarke, Against All Enemies, p.31).

    [3] Paul Wolfowitz déclara à Wesley Clark que « nous avons environ cinq ou dix ans devant nous pour nettoyer ces vieux régimes clients des Soviétiques —la Syrie, l’Iran, l’Irak— avant que la prochaine superpuissance ne vienne nous défier » (Wesley Clark, discours au San Francisco Commonwealth Club, 3 octobre 2007). Dix ans plus tard, en novembre 2001, Clark entendit au Pentagone que des plans pour attaquer l’Irak étaient « en discussion dans le cadre d’un plan quinquennal, […] débutant avec l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, l’Iran, la Somalie et le Soudan » (Wesley Clark, Winning Modern Wars [Public Affairs, New York, 2003], p.130).

    [4] Le terme « hégémonie » peut avoir un sens léger, connotant une relation amicale dans une confédération, ou un sens hostile. Le mouvement des États-Unis vers l’hégémonie globale, inébranlable et unipolaire est sans précédent, et il mérite d’avoir sa propre appellation. « Dominationisme » est un terme hideux, ayant une forte connotation sexuelle et perverse. C’est pourquoi je l’ai choisi.

    [5] Les livres les plus récents de William Blum sont Killing Hope : U.S. Military and CIA Interventions Since World War II (2003) et Freeing the World to Death : Essays on the American Empire (2004).

    [6] Paul Joseph Watson, « Leaked U.S. Army Document Outlines Plan For Re-Education Camps In America », 3 mai 2012 : « Le manuel énonce clairement que ces mesures s’appliquent également ‘sur le territoire des États-Unis’, sous la direction du [Département de la Sécurité intérieure] et de la FEMA. Ce document ajoute que ‘[l]es opérations de réinstallation peuvent nécessiter l’internement temporaire (moins de 6 mois) ou semi-permanent (plus de 6 mois) d’importants groupes de civils.  »

    [7] Voir Peter Dale Scott, « La continuité du gouvernement étasunien : L’état d’urgence supplante-t-il la Constitution ? » ; Peter Dale Scott, « Continuity of Government’ Planning : War, Terror and the Supplanting of the U.S. Constitution ».

    [8] Il y a deux nuits, j’ai fait un rêve intense et troublant. À la fin de celui-ci, j’observai l’ouverture d’une conférence où j’allais m’exprimer de nouveau, comme à Moscou. Immédiatement après mon discours, le programme de cet événement appelait à discuter de la possibilité que « Peter Dale Scott » soit une fiction servant de sombres objectifs clandestins et qu’en réalité, aucun « Peter Dale Scott » n’existait.

    [9] « La ‘suprématie totale’ (‘full-spectrum dominance’) signifie la capacité des forces US, agissant seules ou avec des alliés, de battre n’importe quel adversaire et de contrôler n’importe quelle situation entrant dans la catégorie des opérations militaires. » (Joint Vision 2020, Département de la Défense, 30 mai 2000 ; cf. « Joint Vision 2020 Emphasizes Full-spectrum Dominance », Département de la Défense).

    [10] De façon indiscutable mais moins évidente, le pétrole —ou plutôt un oléoduc— fut également un facteur conditionnant l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1998. Voir Peter Dale Scott, Drugs, Oil, and War : The United States in Afghanistan, Colombia, and Indochina (Rowman & Littlefield Publishers, Lanham, MD), p.29 ; Peter Dale Scott, « La Bosnie, le Kosovo et à présent la Libye : les coûts humains de la collusion perpétuelle entre Washington et les terroristes », Mondialisation.ca, 17 octobre 2011.

    [11] Scott, Drugs, Oil, and War, pp.8-9, p.11.

    [12] Par exemple, l’entreprise Exxon n’aurait payé aucun impôt fédéral sur le revenu en 2009, à une période de bénéfices presque record pour cette compagnie (Washington Post, 11 mai 2011). Cf. Steve Coll, Private Empire : ExxonMobil and American Power (Penguin Press, New York, 2012), pp.19-20 : « Dans certains pays lointains où elle a fait des affaires, […] l’emprise d’Exxon sur les politiques civiles et sécuritaires locales dépassait celle de l’ambassade des États-Unis. »

    [13] Charles J. Lewis, « Obama again urges end to oil industry tax breaks »,Houston Chronicle, 27 avril 2011 ; « Politics News : Obama Urges Congress to End Oil Subsidies », Newsy.com, 2 mars 2012.

    [14] Cf. un article publié en 2001 par le Foreign Military Studies Office de Fort Leavenworth : « La mer Caspienne semble reposer elle-même sur une autre mer —une mer d’hydrocarbures—. […] La présence de ces réserves de pétrole et la possibilité de les exporter fait [sic] naître de nouvelles préoccupations stratégiques pour les États-Unis et les autres puissances occidentales industrialisées. Alors que les compagnies pétrolières construisent un oléoduc du Caucase vers l’Asie centrale pour fournir le Japon et l’Occident, ces préoccupations stratégiques revêtent des implications militaires. » (Lester W. Grau, « Hydrocarbons and a New Strategic Region : The Caspian Sea and Central Asia » (Military Review [May-Juin 2001], p.96) ; cité dans Peter Dale Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial (50 ans d’ambitions secrètes des États-Unis) [Éditions Demi-Lune, Paris, 2010], p.51).

    [15] Discussion dans Peter Dale Scott, « Le ‘Projet Jugement dernier’ et les événements profonds : JFK, le Watergate, l’Irangate et le 11-Septembre »,Réseau Voltaire, 4 janvier 2012. Des tractations diplomatiques visant à établir une base US au Tadjikistan ont également eu lieu : voir Joshua Kucera, « U.S. : Tajikistan Wants to Host an American Air Base », Eurasia.net, 14 décembre 2010.

    [16] David E. Spiro, The Hidden Hand of American Hegemony : Petrodollar Recycling and International Markets (Ithaca, Cornell UP, 1999), x : « En 1974, [le secrétaire au Trésor William] Simon négocia un accord secret pour que la banque centrale saoudienne puisse acheter des titres du Trésor US en dehors du processus de vente habituel. Quelques années plus tard, le secrétaire au Trésor Michael Blumenthal noua un accord secret avec les Saoudiens, assurant que l’OPEP continuerait de vendre le pétrole en dollars. Ces accords étaient confidentiels car les États-Unis avaient promis aux autres démocraties industrialisées de ne pas poursuivre des politiques unilatérales de ce genre. » Cf. pp.103-12.

    [17] « Aussi longtemps que le pétrole de l’OPEP était vendu en dollars, et que cette organisation les investissait dans des obligations du gouvernement US, ce dernier bénéficiait d’un double prêt. La première part de ce prêt concernait le pétrole. En effet, le gouvernement des États-Unis pouvait imprimer des dollars pour acheter son pétrole. En échange, l’économie US n’avait donc pas à produire de biens et services, jusqu’à leur achat par l’OPEP avec ces dollars. Évidemment, cette stratégie ne pouvait fonctionner si cette monnaie n’avait pas constitué un moyen de régler le pétrole. La seconde part de ce prêt venait des autres économies nationales, qui devaient acquérir des dollars pour acheter leur pétrole, mais qui ne pouvaient imprimer cette monnaie. Celles-ci devaient vendre leurs biens et services afin de posséder les dollars requis pour payer l’OPEP. » (Spiro, Hidden Hand, p.121).

    [18] Carola Hoyos et Kevin Morrison, « Iraq returns to the international oil market », Financial Times, 5 juin 2003. Cf. Coll, Private Empire, p.232 : « À la fin de son règne, un Saddam Hussein désespéré avait signé des contrats de partage de la production [pétrolière] avec des entreprises russes et chinoises, mais ces accords n’ont jamais été mis en œuvre. »

    [19] Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial , pp.265-66. Voir également William Clark, « The Real Reasons Why Iran is the Next Target : The Emerging Euro-denominated International Oil Marker », Global Research, 27 octobre 2004.

    [20] Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial , pp.265-66. Voir également William Clark, « The Real Reasons Why Iran is the Next Target : The Emerging Euro-denominated International Oil Marker », Global Research, 27 octobre 2004.

    [21] « Iran Ends Oil Transactions In U.S. Dollars », CBS News, 11 février 2009.

    [22] En mars 2012, SWIFT, la société qui gère les transactions financières globales, a exclu les banques iraniennes de ce système, conformément aux sanctions de l’ONU et des États-Unis (BBC News, 15 mars 2012). Le 28 février 2012, Business Week déclara que cet acte « pourrait perturber les marchés pétroliers [,] inquiets de la possibilité que les acheteurs ne puissent plus payer les 2,2 millions de barils de pétrole quotidiens du second pays exportateur de l’OPEP. »

    [23] Peter Dale Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial , pp.229-31 ; cf. Scott, Drugs, Oil, and War, p.7.

    [24] Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial , p.231.

    [25] L’Office of Strategic Services (OSS), l’agence d’opérations clandestines des États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, fut hâtivement mise sur pied en recrutant notamment des employés de certaines compagnies pétrolières présentes en Asie, comme Standard Oil of New Jersey (Esso). Voir Smith, OSS, p.15, p.211.

    [26] « BP oiled coup with cash, Turks claim », Sunday Times (Londres), 26 mars 2000 ; cité dans Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial , pp.231-33.

    [27] En 1998, Dick Cheney, qui était alors le PDG de l’entreprise de services pétroliers Halliburton, fit la remarque suivante : « Je ne me souviens pas avoir vu émerger si soudainement une région en tant que zone de grande importance stratégique comme c’est le cas aujourd’hui pour [le bassin] Caspien. » (George Monbiot, « America’s pipe dream », The Guardian[Londres], 23 octobre 2001).

    [28] R. Craig Nation, « Russia, the United States, and the Caucasus », US Army War College, Strategic Studies Institute. Les paroles de Talbott méritent d’être amplement citées : « Depuis de nombreuses années, il a été en vogue de proclamer, ou du moins de prédire une répétition du ‘Grand Jeu’ dans le Caucase et en Asie centrale. Bien entendu, ceci implique que la dynamique motrice dans cette région – alimentée et encouragée par le pétrole – serait la compétition entre les grandes puissances. Celle-ci serait défavorable aux populations locales. Notre objectif est d’éviter cette issue régressive, et d’agir afin d’en décourager les promoteurs. […] Le Grand Jeu, au cœur [des romans] Kim de Kipling et Flashman de Fraser, s’est conclu par une somme nulle. Ce que nous voulons apporter est tout simplement le contraire. Nous désirons voir tous les acteurs responsables d’Asie centrale et du Caucase sortir gagnants.  » (M.K. Bhadrakumar, « Foul Play in the Great Game », Asia Times, 13 juillet 2005).

    [29] James MacDougall, « A New Stage in U.S.-Caspian Sea Basin Relations », Central Asia, 5 (11), 1997 ; citant Ariel Cohen, « U.S. Policy in the Caucasus and Central Asia : Building A New ‘Silk Road’ to Economic Prosperity »,Heritage Foundation, 24 juillet 1997. En octobre 1997, le Sénateur Sam Brownback introduisit une loi, le Silk Road Strategy Act of 1997 (S. 1344), destinée à encourager les nouveaux États d’Asie centrale à coopérer avec les États-Unis plutôt qu’avec la Russie ou l’Iran.

    [30] Zbigniew Brzezinski, Le Grand Échiquier (L’Amérique et le reste du monde), (Bayard Éditions, Paris, 1997), pp.24-25.

    [31] Ariel Cohen, Eurasia In Balance : The US And The Regional Power Shift, p.107.

    [32] Michael Klare, Blood and Oil (Metropolitan Books/Henry Holt, New York, 2004), pp.135-36 ; citant R. Jeffrey Smith, « U.S. Leads Peacekeeping Drill in Kazakhstan », Washington Post, 15 septembre 1997. Cf. Kenley Butler, « U.S. Military Cooperation with the Central Asian States », 17 septembre 2001.

    [33] Zbigniew Brzezinski, Le Grand Échiquier, p.172.

    [34] Peter Dale Scott, « Kyrgyzstan, the U.S. and the Global Drug Problem : Deep Forces and the Syndrome of Coups, Drugs, and Terror », Asia-Pacific Journal : Japan Focus ; citant le Président Bush, Discours sur l’état de l’Union, 20 janvier 2004 ; « Bush : Georgia’s Example a Huge Contribution to Democracy », Civil Georgia, 10 mai 2005. De la même manière, Zbigniew Brzezinski fut cité dans un article de presse kirghiz déclarant : «  Je pense que les révolutions en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizstan furent l’expression sincère et soudaine de la volonté politique prédominante » ( 27 mars 2008).

    [35] Scott, « Kyrgyzstan, the U.S. and the Global Drug Problem : Deep Forces and the Syndrome of Coups, Drugs, and Terror », citant Owen Matthews, « Despotism Doesn’t Equal Stability », Newsweek, 7 avril 2010 (Cooley) ; Peter Leonard, « Heroin trade a backdrop to Kyrgyz violence », Associated Press, 24 juin 2010 ; « Kyrgyzstan Relaxes Control Over Drug Trafficking », Jamestown Foundation, Eurasia Daily Monitor, vol. 7, issue 24, 4 février 2010, etc.

    [36] Département de la Défense, Joint Vision 2020, 30 mai 2000 ; discussion dans Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial , pp.50-51.

    [37] Wesley Clark rapporta que Paul Wolfowitz, l’un des principaux néoconservateurs au Pentagone, lui annonça en 1991 que « [les États-Unis avaient] environ cinq ou dix ans devant [eux] pour nettoyer ces vieux régimes clients des soviétiques – la Syrie, l’Iran, l’Irak – avant que la prochaine superpuissance ne vienne nous défier » (Wesley Clark, discours au San Francisco Commonwealth Club, 3 octobre 2007). Dix ans plus tard, en novembre 2001, Clark entendit au Pentagone que des plans pour attaquer l’Irak étaient « en discussion dans le cadre d’un plan quinquennal, […] débutant avec l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, l’Iran, la Somalie et le Soudan » (Wesley Clark, Winning Modern Wars [Public Affairs, New York, 2003], p.130).

    [38] Voir Scott, La Machine de guerre américaine : La politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan, … , (Éditions Demi-Lune, Plogastel-Saint-Germain, 2012).

    [39] Concernant la dérive hégémoniste de la « guerre contre la drogue » menée par la DEA en Asie, voir Scott, La Machine de guerre américaine , pp.187-212.

    [40] Scott, La Machine de guerre américaine , p.43.

    [41] Par exemple, nous pouvons citer Haji Zaman Ghamsharik, qui s’était retiré à Dijon (France), où des responsables britanniques et états-uniens l’ont rencontré et l’ont persuadé de retourner en Afghanistan (Peter Dale Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial, p.181 ; citant Philip Smucker, Al Qaeda’s Great Escape : The Military and the Media on Terror’s Trail[Brassey’s, Washington, 2004], p.9.

    [42] Scott, La Machine de guerre américaine , pp.340-41 (insurgés) ; James Risen, « U.S. to Hunt Down Afghan Lords Tied to Taliban », New York Times, 10 août 2009 : «  Les commandants militaires des États-Unis ont déclaré au Congrès que […] seuls ces [trafiquants de drogue] apportant leur soutien à l’insurrection seraient ciblés. »

    [43] La Russie s’est légitimement indignée de l’échec des États-Unis et de l’OTAN à combattre sérieusement les immenses cultures d’opium en Afghanistan depuis une dizaine d’années (voir par exemple : « Russia lashes out at NATO for not fighting Afghan drug production », Russia Today, 28 février 2010). Cependant, la solution simpliste proposée par la Russie —la destruction des cultures dans les champs—, précipiterait certainement les paysans dans les bras des islamistes, ce qui menace autant les États-Unis que la Russie. De nombreux observateurs ont remarqué que l’éradication des champs de pavot endette les petits fermiers vis-à-vis des propriétaires terriens et des trafiquants. Ainsi, ils doivent souvent rembourser leurs dettes « en argent liquide, en terrain, en bétail ou en donnant une fille —ce qui est fréquent—. […] L’éradication du pavot les a simplement précipités davantage dans la pauvreté qui les avait initialement conduits à cultiver de l’opium. » (Joel Hafvenstein, Opium Season : A Year on the Afghan Frontier, p.214) ; cf. « Opium Brides », PBS Frontline). L’éradication de l’opium en Thaïlande —souvent citée comme le programme le plus réussi depuis celui qui fut appliqué en Chine dans les années 1950—, fut accomplie en associant la coercition militaire à des programmes très complets de développement alternatif. Voir William Byrd et Christopher Ward, « Drugs and Development in Afghanistan », Banque Mondiale, Conflict Prevention and Reconstruction Unit, Working paper series, vol. 18 (décembre 2004) ; voir également « Secret of Thai success in opium war », BBC News, 10 février 2009.

    [44] Voir par exemple Peter Dale Scott, « La continuité du gouvernement étasunien : L’état d’urgence supplante-t-il la Constitution ? »,Mondialisation.ca, 6 décembre 2010.

  • Sauter l’échelon

    Programme de surveillance « PRISM »

     

    mercredi 12 juin 2013, par Thibault Henneton

    Sans nécessairement en maîtriser toutes les subtilités, nous parlons tous l’anglais. Aussi, lorsque le Guardian et leWashington Post relaient l’alerte de leur informateur sur «  Prism  », un programme de surveillance massif mis en place aux Etats-Unis par l’Agence nationale de sécurité (NSA) avec l’aide du Federal Bureau of Investigation (FBI), c’est une vaste partie du monde, bien au-delà de l’anglo-saxon, qui se sent concernée.

    Après Verizon, un des principaux opérateurs téléphoniques du pays, nous apprenions donc le 6 juin que les services Internet de Paltalk, Dropbox, AOL, Google, Facebook, Microsoft, Apple, Yahoo et Skype étaient eux aussi amenés à collaborer avec le renseignement militaire américain. Lequel disposerait, même si ces derniers s’en défendent, de portes dérobées (backdoor) dans leurs centres de données, jusqu’à pouvoir piocher à volonté et directement toute information jugée utile (déplacements, conversations, centres d’intérêt, « graphe social » etc.) pour la sécurité nationale. Parfois en temps réel, et sans autre forme de procès, et ce depuis 2007.

    Deux questions au moins se posent immédiatement devant cette confirmation d’une surveillance globale : l’absence presque totale de contre-pouvoirs et d’instances de supervision d’une part, absence encore soulignée dans un récent rapport de l’ONU [1]. Ce flou juridique international sur le statut des données personnelles profite évidemment aux Etats-Unis, du fait de leur position dominante sur la carte de l’Internet mondial [2].

    Son caractère massif, presque exhaustif, d’autre part. Qui, parmi les deux milliards d’internautes que compte aujourd’hui la planète, pourrait prétendre ne jamais fréquenter les services précédemment cités, ou un de leurs sous-services [3] ? Sans doute pour une part celles et ceux dont l’alphabet diffère trop du latin. Et encore. Manière de relativiser dans un premier temps un scoop qui n’en est pas vraiment un : l’existence dusystème Echelon, déjà à l’initiative de la NSA, fut en effet révélée dès la fin des années 1990. Et, depuis les attentats du 11 septembre 2001 et le vote du Patriot Act par le Congrès des Etats-Unis un mois plus tard renforçant les pouvoirs du FBI, l’espionnage de la vie privée de citoyens à l’intérieur comme à l’extérieur du territoire américain n’a cessé de prendre de l’ampleur [4]. Il y a plus d’un an, le magazine Wired décrivait ainsi la construction sous l’égide de la NSA du plus grand centre de cybersurveillance du monde à Bluffdale, dans le désert de l’Utah, pour le programme « vent stellaire » [5]. Les informations de la semaine viennent donc « simplement » confirmer l’immense portée des « grandes oreilles » dont disposent les Etats-Unis.

    Dans sa conférence de presse du 7 juin 2013, le commandant en chef des forces armées, après avoir tenté de relativiser le scandale, déclarait : « Je pense qu’il est important de reconnaître que vous ne pouvez pas avoir 100 % de sécurité mais aussi 100 % de respect de la vie privée et zéro inconvénient. Vous savez, nous allons devoir faire des choix de société. » [6]

    Le président Obama a formulé très clairement l’aporie de la cybersécurité, en contexte de guerre asymétrique contre le terrorisme. Voilà résumée, dans la foulée des attentats de Boston, le dilemme de la raison d’Etat, dilemme qui sert à légitimer une surveillance globale. Sans compter les autres cyberrisques que les agences de sécurité doivent également anticiper — notamment les intrusions informatiques iraniennes et chinoises [7] —, qui jouent comme des incitations au panoptique. Ce que le président, en revanche, n’explique pas, c’est ce dernier pourcentage : 100 % des communications espionnées. Quelques « loups solitaires » justifient-ils le caractère totalisant de ce contrôle des communications ? D’autant que les suspects sont en général bien connus des services, comme a pu l’illustrer en France « l’affaire Merah » — tout le problème résidant dans la prédiction ultime, celle du passage à l’acte. Alors, pourquoi un tel culte du secret au sein de gouvernements démocratiques ?

    Au vu de la répression qui s’abat sur les lanceurs d’alerte (whistleblower) à l’origine de fuites de documents confidentiels jugés d’intérêt général, tel Edward Snowden avec Prism [8], on peut s’interroger. Coïncidence ou pas du calendrier, l’informateur du Washington Post et du Guardian, pour l’instant réfugié à Hongkong, s’est découvert au moment même où débutait le procès d’un autre informateur de taille, Bradley Manning, la source de WikiLeaks lors du « cablegate ». Ce dernier doit se défendre de 22 chefs d’accusation, dont celui d’« intelligence avec l’ennemi », il risque la prison à vie [9].

    Autre coïncidence, le vote, prévu le 19 juin prochain à Bruxelles, du rapport final de la Commission européenne chargée de revoir la directive sur la libre circulation des données personnelles, dossier brûlant pour une Europe non seulement « à la merci de l’espionnage américain » (Jean-Pierre Stroobants,Le Monde, 12 juin) donc, mais également des lobbies du « marketing direct » [10].

    Pour l’heure, seuls cinq fichiers de présentation du programme « Prism » — sur quarante et un — ont été rendus publics, nous n’en savons donc pas beaucoup plus sur la manière précise dont s’effectue cette surveillance globale, sinon qu’elle est profonde, et qu’elle touche potentiellement l’ensemble des communications, appels téléphoniques et historiques de recherche, jusqu’aux dispositifs d’écoute placés sur certains câbles sous-marins. Mais le plus inquiétant reste peut-être l’apathie ambiante qu’une telle confirmation est la plus à même de conforter, sur l’air du « rien de nouveau sous le soleil ». Une apathie qui arrange bien les garants d’une indéfinissable « sécurité intérieure », puisqu’elle leur garantit le coup d’avance. D’ores et déjà, quelques actions se préparent en ligne, telle l’opération « Troll the NSA », dans quelques minutes, qui invite l’ensemble des internautes à s’envoyer des mails avec les mots clés les plus susceptibles de ressortir sur les écrans de la NSA... Le but : tester les limites du prisme ? Ou répéter l’histoire, comme farce [11] ?

  • Ecoutes, espionnage

    BIG BROTHER10/06/2013 à 16h14

    Ecoutes, espionnage... : cinq questions sur le scandale Prism

    Philippe Vion-Dury | Journaliste Rue89

    Ecoutes téléphoniques, portails d’accès aux serveurs centraux, détournement de milliards de données personnelles, sans oublier les références à Orwell et Big Brother...

    Vendredi dernier, le Guardian et le Washington Post révélaient l’existence d’un programme américain secret baptisé Prism espionnant les citoyens à échelle internationale, plongeant dans l’embarras les neuf entreprises ayant collaboré, dont les géants du Web Google, Microsoft, Apple et Facebook. Et intriguant les internautes que nous sommes.

    Cinq questions concrètes auxquelles Rue89 répond.

    1

    Les Américains et leurs interlocuteurs étrangers sont-ils sur écoute ?

     


    Extrait de « La Vie des autres » (&copy ; Oc&eacute ; an Films)

    Pas vraiment. Le programme concerne en réalité la collecte de métadonnées – les informations « externes » – et non le contenu des appels téléphoniques ou l’identité des appelants. Sont ainsi collectés les numéros de téléphone appelant et recevant l’appel, les numéros IMSI et IMEI, l’identifiant de la communication, l’heure à laquelle a été passé l’appel et sa durée.

    La National Security Agency (NSA) reçoit ces données de l’opérateur Verizon pour toutes les communications entre les Etats-Unis et l’étranger ou à l’intérieur du territoire américain, et peut même localiser géographiquement les individus au moment de la communication – si ceux-ci se trouvent à une distance raisonnable des antennes-relais.

    Si la mise sous surveillance apparaît (pour le moment) ne pas être une mise sur écoute à proprement parler, elle reste massive : l’opérateur Verizon compte plus de 100 millions de clients, soit près d’un Américain sur trois, et son réseau fixe compte 44 millions de lignes.

    2

    Cette surveillance est-elle légale ?

     

    Le document qui a fuité est une ordonnance judiciaire émise par un tribunal fédéral compétent en renseignement étranger (le Fisa). L’opération reste doncdans le champ de la légalité, puisqu’elle est soumise à l’autorisation préalable et au contrôle de ce tribunal.

    En réalité, l’administration Obama est bien plus respectueuse des droits de ses citoyens que celle de Bush, qui extrayait ces informations de manière unilatérale et sans contrôle.

    L’ordonnance émise le 25 avril est encadrée temporellement et devait expirer le 19 juillet. Enfin, le programme est supervisé par le Congrès, qui a accès à toutes les ordonnances et avis donnés par la Fisa.

    3

    Comment marche la surveillance sur le Net ?

     

    Le scandale, qui a démarré par la mise sous surveillance téléphonique, a pris de l’ampleur lorsque les géants du Web ont été accusés d’avoir coopéré eux aussi à ce programme. Ils auraient donné à la NSA l’accès à leurs serveurs centraux contenant toutes les données relatives à leurs abonnés. Le New York Timesrésume bien le procédé :

    « En gros, on a demandé aux entreprises de créer une boîte aux lettres verrouillée et d’en donner la clé au gouvernement, selon des personnes au courant des négociations. Facebook, par exemple, a construit un système de demande et de partage d’informations, selon les mêmes sources. »

    Le journal américain tempère cependant l’ampleur de l’opération, en précisant qu’il n’y a pas d’automaticité et que les entreprises gardent la main sur leurs données et leur accès :

    « Les données ainsi partagées, selon ces sources, le sont après que les avocats des entreprises ont vérifié que la requête sur la base de Fisa est conforme aux pratiques de la compagnie. Elles ne sont donc pas envoyées automatiquement ou en vrac, et le gouvernement n’a pas un accès illimité aux serveurs des compagnies. Au contraire, selon ces sources, il s’agit d’un moyen plus sûr et plus efficace de remettre les données. »

    4

    Les Européens sont-ils concernés ?

     

    Oui, dans la mesure où les Européens utilisent massivement les produits d’Apple et de Microsoft ou les services de Google et Facebook. Les quatre géants du Web font tous partis du programme, ainsi que Yahoo, AOL ou Skype.

    Cela signifie donc que toutes vos données Facebook, vos courriers reçus et envoyés sur Gmail et vos dossiers entreposés en Cloud sur les services de ces entreprises sont potentiellement accessibles par le gouvernement américain.

    Les Européens sont d’autant plus concernés que rien n’a été fait au niveau national ou communautaire pour les protéger efficacement. Une étude du Parlement européen parue en 2012 soulignant les risques d’une surveillance américaine massive sur les citoyens européens était passée relativement inaperçue.

    Les choses pourraient changer : l’eurodéputée Françoise Castex a saisi aujourd’hui la Commission pour savoir si elle connaissait l’existence du programme Prism, et ce qu’elle prévoit de faire en termes de protection des données européennes.

    5

    Comment peut-on y échapper ?

     

    Protéger sa vie privée n’est pas une tâche facile sur le Net. Elle l’est encore moins lorsque Google, Apple et Facebook sont impliqués. La seule option réside dans le choix du prestataire de service. Le site Salon.com fournit uneliste détaillée des alternatives disponibles.

    Quant aux réseaux sociaux, seul Twitter semble avoir résisté aux mandats du gouvernement américain, ce qui lui a valu les félicitations de la fondation de défense de la vie privée Electronic Frontier – elle a récompensé le réseau social de sa note maximum.

    Les blogueurs devront renoncer à Blogger, détenu par Google, et Tumblr, lié à Yahoo, mais pourront se réfugier chez Wordpress. Les moteurs de recherche Google Search, Yahoo et Bing sont à proscrire. Restent les indépendants Blekko et DuckDuckGo.

    La liste des services populaires à éviter est interminable : Gmail, Yahoo Mail, Hotmail/Outlook, Google Maps, Skype, YouTube et bientôt Dropbox, qui devrait rejoindre sous peu le programme Prism.

    Sans oublier que si vous avez un téléphone portable utilisant Android, iOS ou Windows Phone, il vous faudra également lui préférer un Blackberry ou renoncer tout simplement au smartphone. Tel est le prix pour protéger au mieux sa vie privée.

  • La Syrie : L’immense humiliation de la France

     


    Irib 2013.05.06 Bassam Tahhan "la ligue arabe... par Hieronymus20

    J'ai mal pour la France comme j'ai mal pour la Syrie. Nous avons des amateurs, des guignols, ou des traitres à la nation. Chacun en fonction de ses analyses pourra se faire une idée de notre classe politique.

     

    Nous avons (beaucoup de blogueurs, certains hommes politiques dont la voix est mise en sourdine, journalistes marginalisés) mis en garde contre l'aventure syrienne.

    Une aventure criminelle, qui n'apporte ni prestige ni richesse à la France, rien que le déshonneur. Comme souvent la France se fait doubler par les pays anglo-saxons. La France a perdu son honneur et son prestige ou le peu de ce qui lui en reste. Elle a pris fait et cause pour un projet criminel. Et à aucun moment elle n'a pas cherché à tempérer sa conduite et son engagement, au mépris des conventions et des accords internationaux.

    Je n'ose crier victoire, la guerre fait toujours rage en Syrie. Encore des morts et des déplacés. Je suis méfiante et j'ai bien peur que la joie soit courte de durée. Les Anglo-saxons sont perfides. Rappelons nous les accords de Genève, à peine sortis de la salle de réunion que les Américains présentaient leur propre interprétation des textes.

     

    Comment expliquer ce revirement ? Est-ce que les Russes montrent leur détermination d'armer d'avantage la Syrie ? L'Iran et le Hezbollah qui ont déclaré dernièrement qu'ils deviendront partie prenante dans le conflits pour éviter que Damas tombe dans les mains américaines ou israéliennes ? Ou d'autres raisons que l'on ne connait pas ?

    En tout cas, la France sort amoindrie comme d'habitude, décidément, incapable de tirer les leçons de son histoire avec les Anglo-saxons. Elle s'est fait doubler à plusieurs reprises, souvent elle fait le sale boulot à leur profit.

    Question armes chimiques et notamment l'utilisation du sarin, même les Américains reconnaissent maintenant qu'il a été utilisé pas les terroristes. Surement dans le but d'accélérer l'intervention étrangère en Syrie. Mais nos médias persistent dans la fable de l'utilisation par Damas d'armes chimiques.

     

    Notre diplomatie fera-t-elle son inventaire, son état des lieux, en tirera-t-elle les conséquences qui s'mposent et surtout que les responsables et les coupables devront payer le prix.

    Au moins le prix politique, un ostracisme à perpétuité.

     

    Le Figaro titre « Syrie : la diplomatie française en échec » « Trop peu ? Trop tard ? Paradoxalement, Paris, qui apparaît aujourd'hui à la traîne, était à l'initiative sur le front syrien. Mais cette proactivité n'a pas toujours été menée à bon escient, pas plus qu'elle n'a conduit aux bons interlocuteurs. Elle a nourri des ambiguïtés et s'est accompagnée d'une absence de lisibilité qui fait dire à un autre expert que « jamais nos intérêts et les conséquences stratégiques de nos décisions n'ont été clairement définis et évalués ».

    Trop souvent aussi, les initiatives ont été dictées par des « considérations médiatiques », ajoute cette source. À son arrivée au Quai d'Orsay, Laurent Fabius a plaidé, comme son prédécesseur Alain Juppé , pour une saisie de la Cour pénale internationale (CPI) à l'encontre de Bachar. Un an plus tard et alors que les massacres se poursuivent, aucune démarche n'a été engagée vis-à-vis de la Cour de La Haye. »

    Même nos journalistes ne se gênent plus de citer du président syrien par son prénom, comme notre lulunational. Un mépris que ni les cours criminelles ni les assises n'affichent ostensiblement vis à vis des pires criminels, ou la civilité reste de rigueur. Sur ce point, la presse anglophone ne déroge presque jamais. Cela montre la décadence de nos intellectuels, de nos politiques et de nos communicants.

    http://www.dailymotion.com/video/xznb40_table-ronde-2013-05-06-tahhan-dortiguier-raids-israeliens-contre-la-syrie_news#.UY1vKEqyw84

    http://french.irib.ir/analyses/interview/item/256327-j%C3%A9r%C3%B4me-lambert,-analyste-g%C3%A9opolitique

    http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=109599&frid=18&seccatid=23&cid=18&fromval=1

     
  • Le Monde et les gaz chimiques : des invraisemblances médicales ?

     

    30 mai 2013

    Comme par hasard au moment où la France et les USA poussent à une intervention militaire contre la Syrie, et comme par hasard au moment où Carla Del Ponte et d’autres enquêteurs ont établi que des forces d’opposition ont employé des armes chimiques, voilà que survient un “témoignage” du Monde prétendant que l’armée syrienne utilise des armes chimiques. Rappelons que ce journal avait menti à ses lecteurs sur les armes chimiques de Saddam Hussein, sur le génocide au Kosovo, sur la guerre en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, en Libye et au Mali (test-médias à disposition de nos lecteurs). Sans parler des médiamensonges plus anciens de ce journal : contre Nasser en 1956, contre le Vietnam, Panama et de nombreux autres pays agressés par les USA et la France. On lira donc avec intérêt l’analyse médicale qui suit... (IGA)

    Un correspondant du quotidien vespéral français aurait été témoin de l’emploi d’armes chimiques par l’armée gouvernementale syrienne.
    La description des symptômes endurés par les miliciens « rebelles » évoquent ceux produits par des gaz neurotoxiques.
    Signes ophtalmologiques avec troubles visuels et une pupille ‘rétractée’, signes digestifs, vomissements et signes respiratoires décrits comme raclements et suffocation.
    Le récit, espéré digeste grâce la petite touche littéraire avec le petit bruit de la canette non pas sur le comptoir d’étain mais un certain cliquetis à peine audible, produit des témoignages de ces combattants et d’un médecin.
    Le photographe du journal le Monde (en lettres gothiques) aurait souffert de troubles visuels et respiratoires durant plusieurs jours. Première invraisemblance du récit : les gaz neurotoxiques utilisés comme armes de guerre sont certes inodores et incolores, mais les signes digestifs sont sur le même plan que les signes respiratoires. L’antidote doit être immédiatement administré pour lever le blocage des terminaisons nerveuses sans quoi la paralysie est rapidement mortelle.
    Deuxième incongruité. L’iconographie censée illustrer le texte montre un homme qui tente avec une seringue de prodiguer des instillations oculaires. Les effets des gaz neurotoxiques à pénétration cutanée et respiratoire n’ont aucune chance d’être levés par des lavages oculaires. Ceux-ci ne peuvent soulager qu’en cas de gaz irritants des muqueuses.
    Troisième aberration. Le médecin rebelle rapporte le cas d’un combattant qui lui a été confié avec un rythme cardiaque fou. Le blocage enzymatique qui conduit à l’accumulation du neurotransmetteur l’acétylcholine induit surtout une bradycardie, et l’hypotension majeure par absence du tonus vasculaire est l’urgence absolue. On restitue une tension artérielle inexistante avant de vouloir contrôler un rythme cardiaque, même aberrant, même anarchique. Pour être rigoureux une phase d’hypertension avec tachycardie peut être observée dans les premières minutes de l’intoxication. Le délai nécessaire pour transporter un patient jusqu’à un centre de secours à travers le dédale imposé par une zone de guerre en milieu urbain exclut cette hypothèse.
    Quatrième anomalie. La consultation de n’importe quelle encyclopédie en ligne indique comme symptôme cardinal des effets neurotoxiques les convulsions. Le sujet mortellement atteint suffoque dans un contexte de crises cloniques spectaculaires. Ce type de manifestations est si impressionnant que leur absence dans le roman permet de qualifier le récit de faux témoignage.
    L’auteur à la fin de son article prend une précaution rhétorique. Il émet la possibilité de l’usage de plusieurs variétés de gaz toxiques par l’armée gouvernementale, solution élégante pour brouiller les pistes de l’usage d’un gaz mortel prohibé qu’il suggère fortement tout au long de son histoire très arrangée.
    Cependant, sensation de brûlure oculaire et toux irritatives se rencontrent lors de l’exposition à des gaz lacrymogènes. À chaque dispersion de foules ou de manifestations par les CRS en France ou aux USA où l’usage des gaz poivrés connaît un regain, il faudra mobiliser la Cour européenne des Droits de l’Homme.
    La publication de cet épisode survient au moment où les pays incarcérés dans l’Union Européenne ont décidé de suspendre officiellement l’embargo sur la livraison des armes à la rébellion en Syrie.
    Elle est contemporaine également de la préparation des pourparlers en faveur d’un Genève II où devraient siéger les « belligérants » et les pays qui les arment et sans lesquels cette confrontation du bloc occidental avec les intérêts de puissances dites émergentes sur les décombres de la souveraineté de la Syrie n’aurait pas lieu.
    Le régime syrien est explicitement accusé de crimes de guerre ou contre l’humanité au moment où plus de 15 000 soldats des armées impériales occidentales et de leurs vassaux subissent un entraînement intense en Jordanie. Cette préparation anormale sur le plan numérique indiquerait l’imminence d’une attaque type coalition contre l’Irak.
    Déjà, les effets d’une dissémination du conflit au Liban se font ressentir.
    Les escarmouches autour du plateau occupé du Golan entre Israël et des combattants du côté syrien signalent la possibilité d’un autre front. Un char d’assaut israélien y a été récemment détruit.
    Ce que redoutent le plus les rares stratèges sionistes, c’est l’extension du chaos à la Jordanie. La version officielle de la neutralité israélienne est une légende de façade. Le soutien à la rébellion syrienne a pris de nombreuses formes, y compris celle d’une assistance logistique et médicale. Au-delà de leur crainte que des missiles russes S 300 soient opérationnels aux mains de la défense de la souveraineté syrienne, l’embrasement de la région aura un impact civil non négligeable sur une population israélienne prête à émigrer en cas de danger. En cas de conflit militaire généralisé, l’État-major sioniste n’oublie pas que les discours de Sayed Hassan Nasrallah ne sont pas des rodomontades. Le Hezbollah doit disposer d’un arsenal et d’un entraînement convaincants.
    Badia Benjelloun
    28 mai 2013

    Armes chimiques Le Monde Syrie 


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