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GéoPolitik - Page 14

  • Qui gouvernera Internet ?


    Multinationales, Etats, usagers

     

    En France, le fournisseur d’accès à Internet Free reproche au site de vidéo YouTube, propriété de Google, d’être trop gourmand en bande passante. Son blocage, en représailles, des publicités de Google a fait sensation. Free a ainsi mis à mal la « neutralité d’Internet » — l’un des sujets discutés en décembre à la conférence de Dubaï. La grande affaire de cette rencontre a cependant été la tutelle des Etats-Unis sur le réseau mondial.

    par Dan Schiller, février 2013

    Habituellement circonscrite aux contrats commerciaux entre opérateurs, la géopolitique d’Internet s’est récemment étalée au grand jour. Du 3 au 14 décembre 2012, les cent quatre-vingt-treize Etats membres de l’Union internationale des télécommunications (UIT, une agence affiliée à l’Organisation des Nations unies) s’étaient donné rendez-vous à Dubaï, aux Emirats arabes unis, pour la douzième conférence mondiale sur les télécommunications internationales. Une rencontre où les diplomates, abreuvés de conseils par les industriels du secteur, forgent des accords censés faciliter les communications par câble et par satellite. Longues et ennuyeuses, ces réunions sont cependant cruciales en raison du rôle déterminant des réseaux dans le fonctionnement quotidien de l’économie mondiale.

    La principale controverse lors de ce sommet portait sur Internet : l’UIT devait-elle s’arroger des responsabilités dans la supervision du réseau informatique mondial, à l’instar du pouvoir qu’elle exerce depuis des dizaines d’années sur les autres formes de communication internationale ?

    Les Etats-Unis répondirent par un « non » ferme et massif, en vertu de quoi le nouveau traité renonça à conférer le moindre rôle à l’UIT dans ce qu’on appelle la « gouvernance mondiale d’Internet ». Toutefois, une majorité de pays approuvèrent une résolution annexe invitant les Etats membres à « exposer dans le détail leurs positions respectives sur les questions internationales techniques, de développement et de politiques publiques relatives à Internet ». Bien que « symbolique », comme le souligna le New York Times (1), cette ébauche de surveillance globale se heurta à la position inflexible de la délégation américaine, qui refusa de signer le traité et claqua la porte de la conférence, suivie entre autres par la France, l’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Kenya, la Colombie, le Canada et le Royaume-Uni. Mais quatre-vingt-neuf des cent cinquante et un participants décidèrent d’approuver le document. D’autres pourraient le signer ultérieurement.

    En quoi ces péripéties apparemment absconses revêtent-elles une importance considérable ? Pour en clarifier les enjeux, il faut d’abord dissiper l’épais nuage de brouillard rhétorique qui entoure cette affaire. Depuis plusieurs mois, les médias occidentaux présentaient la conférence de Dubaï comme le lieu d’un affrontement historique entre les tenants d’un Internet ouvert, respectueux des libertés, et les adeptes de la censure, incarnés par des Etats autoritaires comme la Russie, l’Iran ou la Chine. Le cadre du débat était posé en des termes si manichéens que M. Franco Bernabè, directeur de Telecom Italia et président de l’association des opérateurs de téléphonie mobile GSMA, dénonça une « propagande de guerre », à laquelle il imputa l’échec du traité (2).

    Fronde antiaméricaine

    Où que l’on vive, la liberté d’expression n’est pas une question mineure. Où que l’on vive, les raisons ne manquent pas de craindre que la relative ouverture d’Internet soit corrompue, manipulée ou parasitée. Mais la menace ne vient pas seulement des armées de censeurs ou de la « grande muraille électronique » érigée en Iran ou en Chine. Aux Etats-Unis, par exemple, les centres d’écoute de l’Agence de sécurité nationale (National Security Agency, NSA) surveillent l’ensemble des communications électroniques transitant par les câbles et satellites américains. Le plus grand centre de cybersurveillance du monde est actuellement en cours de construction à Bluffdale, dans le désert de l’Utah (3). Washington pourchasse WikiLeaks avec une détermination farouche. Ce sont par ailleurs des entreprises américaines, comme Facebook et Google, qui ont transformé le Web en une « machine de surveillance » absorbant toutes les données commercialement exploitables sur le comportement des internautes.

    Depuis les années 1970, la libre circulation de l’information (free flow of information) constitue l’un des fondements officiels de la politique étrangère des Etats-Unis (4), présentée, dans un contexte de guerre froide et de fin de la décolonisation, comme un phare éclairant la route de l’émancipation démocratique. Elle permet aujourd’hui de reformuler des intérêts stratégiques et économiques impérieux dans le langage séduisant des droits humains universels. « Liberté d’Internet », « liberté de se connecter » : ces expressions, ressassées par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton et les dirigeants de Google à la veille des négociations, constituent la version modernisée de l’ode à la « libre circulation ».

    A Dubaï, les débats couvraient une myriade de domaines transversaux. Au programme, notamment, la question des rapports commerciaux entre les divers services Internet, comme Google, et les grands réseaux de télécommunication, tels Verizon, Deutsche Telekom ou Orange, qui transportent ces volumineux flux de données. Crucial par ses enjeux économiques, le sujet l’est aussi par les menaces qu’il fait peser sur la neutralité du Net, c’est-à-dire sur le principe d’égalité de traitement de tous les échanges sur la Toile, indépendamment des sources, des destinataires et des contenus. Le geste de M. Xavier Niel, le patron de Free, décidant début janvier 2013 de s’attaquer aux revenus publicitaires de Google en bloquant ses publicités, illustre les risques de dérive. Une déclaration générale qui imposerait aux fournisseurs de contenus de payer les opérateurs de réseaux aurait de graves conséquences sur la neutralité d’Internet, qui est une garantie vitale pour les libertés de l’internaute.

    Mais l’affrontement qui a marqué la conférence portait sur une question tout autre : à qui revient le pouvoir de contrôler l’intégration continue d’Internet dans l’économie capitaliste transnationale (5) ? Jusqu’à présent, ce pouvoir incombe pour l’essentiel à Washington. Dès les années 1990, quand le réseau explosait à l’échelle planétaire, les Etats-Unis ont déployé des efforts intenses pour institutionnaliser leur domination. Il faut en effet que les noms de domaine (du type « .com »), les adresses numériques et les identifiants de réseaux soient attribués de manière distinctive et cohérente. Ce qui suppose l’existence d’un pouvoir institutionnel capable d’assurer ces attributions, et dont les prérogatives s’étendent par conséquent à l’ensemble d’un système pourtant extraterritorial par nature.

    Profitant de cette ambiguïté originelle, les Etats-Unis ont confié la gestion des domaines à une agence créée par leurs soins, l’Internet Assigned Numbers Authority (IANA). Liée par contrat au ministère du commerce, l’IANA opère en qualité de membre d’une association californienne de droit privé, l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), dont la mission consiste à « préserver la stabilité opérationnelle d’Internet ». Quant aux standards techniques, ils sont établis par deux autres agences américaines, l’Internet Engineering Task Force (IETF) et l’Internet Architecture Board (IAB), elles-mêmes intégrées à une autre association à but non lucratif, l’Internet Society. Au vu de leur composition et de leur financement, on ne s’étonnera pas que ces organisations prêtent une oreille plus attentive aux intérêts des Etats-Unis qu’aux demandes des utilisateurs (6).

    Les sites commerciaux les plus prospères de la planète n’appartiennent pas à des capitaux kényans ou mexicains, ni même russes ou chinois. La transition actuelle vers l’« informatique en nuages » (cloud computing), dont les principaux acteurs sont américains, devrait encore accroître la dépendance du réseau envers les Etats-Unis. Le déséquilibre structurel du contrôle d’Internet garantit la suprématie américaine dans le cyberespace, à la fois sur le plan commercial et militaire, laissant peu de marge aux autres pays pour réguler, verrouiller ou assouplir le système en fonction de leurs propres intérêts. Par le biais de diverses mesures techniques et législatives, chaque Etat est certes à même d’exercer une part de souveraineté sur la branche « nationale » du réseau, mais sous la surveillance rapprochée du gendarme planétaire. De ce point de vue, comme le note l’universitaire Milton Mueller, Internet est un outil au service de la « politique américaine de globalisme unilatéral (7) ».

    Leur fonction de gestionnaires a permis aux Etats-Unis de propager le dogme de la propriété privée au cœur même du développement d’Internet. Quoique dotée, en principe, d’une relative autonomie, l’Icann s’est illustrée par les faveurs extraterritoriales accordées aux détenteurs de marques commerciales déposées. En dépit de leurs protestations, plusieurs organisations non commerciales, bien que représentées au sein de l’institution, n’ont pas fait le poids face à des sociétés comme Coca-Cola ou Procter & Gamble. L’Icann invoque le droit des affaires pour imposer ses règles aux organismes qui administrent les domaines de premier niveau (tels que « .org », « .info »). Si des fournisseurs nationaux d’applications contrôlent le marché intérieur dans plusieurs pays, notamment en Russie, en Chine ou en Corée du Sud, les services transnationaux — à la fois les plus profitables et les plus stratégiques dans ce système extraterritorial — restent, d’Amazon à PayPal en passant par Apple, des citadelles américaines, bâties sur du capital américain et adossées à l’administration américaine.

    Dès les débuts d’Internet, plusieurs pays se sont rebiffés contre leur statut de subordonnés. La multiplication des indices signalant que les Etats-Unis n’avaient aucune intention de relâcher leur étreinte a progressivement élargi le front du mécontentement. Ces tensions ont fini par provoquer une série de rencontres au plus haut niveau, notamment dans le cadre du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), organisé par l’UIT à Genève et à Tunis entre 2003 et 2005.

    En offrant une tribune aux Etats frustrés de n’avoir pas leur mot à dire, ces réunions préfiguraient le clash de Dubaï. Rassemblés en un Comité consultatif gouvernemental (Governmental Advisory Committee, GAC), une trentaine de pays espéraient convaincre l’Icann de partager une partie de ses prérogatives. Un espoir vite déçu, d’autant que leur statut au sein du GAC les mettait au même niveau que les sociétés commerciales et les organisations de la société civile. Certains Etats auraient pu s’accommoder de cette bizarrerie si, malgré les discours lénifiants sur la diversité et le pluralisme, l’évidence ne s’était imposée à tous : la gouvernance mondiale d’Internet est tout sauf égalitaire et pluraliste, et le pouvoir exécutif américain n’entend rien lâcher de son monopole.

    Revirement de l’Inde et du Kenya

    La fin de l’ère unipolaire et la crise financière ont encore attisé le conflit interétatique au sujet de l’économie politique du cyberespace. Les gouvernements cherchent toujours des points de levier pour introduire une amorce de coordination dans la gestion du réseau. En 2010 et 2011, à l’occasion du renouvellement du contrat passé entre l’IANA et le ministère du commerce américain, plusieurs Etats en ont appelé directement à Washington. Le gouvernement kényan a plaidé pour une « transition » de la tutelle américaine vers un régime de coopération multilatérale, au moyen d’une « globalisation » des contrats régissant la superstructure institutionnelle qui encadre les noms de domaine et les adresses IP (Internet Protocol). L’Inde, le Mexique, l’Egypte et la Chine ont fait des propositions dans le même sens.

    Les Etats-Unis ont réagi à cette fronde en surenchérissant dans la rhétorique de la « liberté d’Internet ». Nul doute qu’ils ont aussi intensifié leur lobbying bilatéral en vue de ramener au bercail certains pays désalignés. A preuve, le coup de théâtre de la conférence de Dubaï : l’Inde et le Kenya se sont prudemment ralliés au coup de force de Washington.

    Quelle sera la prochaine étape ? Les agences gouvernementales américaines et les gros commanditaires du cybercapitalisme tels que Google continueront vraisemblablement d’employer toute leur puissance pour renforcer la position centrale des Etats-Unis et discréditer leurs détracteurs. Mais l’opposition politique au « globalisme unilatéral » des Etats-Unis est et restera ouverte. Au point qu’un éditorialiste du Wall Street Journal n’a pas hésité, après Dubaï, à évoquer la « première grande défaite numérique de l’Amérique (8) ».

    Dan Schiller

    Professeur de sciences de l’information et des bibliothèques à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign.

     

  • L’armée, les urnes, la rue



    par Serge Halimi, août 2013

    Ils avaient juré qu’ils ne brigueraient pas la présidence égyptienne. Ce premier serment rompu, les Frères musulmans devaient apporter « pain, liberté, justice sociale ». Sous leur férule, l’insécurité s’est accrue, la misère aussi. La foule a alors reconquis la rue pour exiger le départ du président Mohamed Morsi (lire « En Egypte, la révolution à l’ombre des militaires »). Certaines révolutions commencent ainsi. Lorsqu’elles triomphent, on les célèbre pendant des siècles sans se soucier exagérément de leur spontanéité relative ou des fondements juridiques de leur déclenchement. L’histoire n’est pas un séminaire de droit.

    Au lendemain de la dictature de M. Hosni Moubarak, il était illusoire d’imaginer que l’étouffement prolongé de la vie politique, du débat contradictoire, ne pèserait pas sur les premiers scrutins. Dans de tels cas, les électeurs confirment souvent l’influence des forces sociales ou institutionnelles les mieux structurées (les grandes familles, l’armée, l’ancien parti unique) ou celle des groupes organisés qui ont maillé leurs réseaux clandestins pour échapper à la répression (les Frères musulmans). L’apprentissage démocratique déborde largement le temps d’une élection (1).

    Des promesses non tenues, des dirigeants élus de justesse et qui affrontent aussitôt la désaffection ou la colère de l’opinion, des manifestations géantes organisées par une coalition hétéroclite : ces dernières années, d’autres pays que l’Egypte ont connu des situations de ce type sans que, pour autant, l’armée ne prenne le pouvoir, n’emprisonne sans jugement le chef de l’Etat, n’assassine ses militants. Sinon, on appelle cela un coup d’Etat.

    Ce terme, les pays occidentaux ne l’emploient pas. Arbitres des élégances diplomatiques, ils semblent estimer que certains putschs — au Mali, au Honduras, en Egypte... — sont moins inadmissibles que d’autres. D’abord, les Etats-Unis ont appuyé les Frères musulmans, puis ils ont maintenu leur aide militaire au Caire lorsque le président Morsi fut « déposé » par l’armée. Une alliance conservatrice entre celle-ci et les Frères aurait constitué le scénario rêvé de Washington ; il est par terre. S’en réjouissent à la fois les nostalgiques de l’ancien régime, des nationalistes nassériens, les néolibéraux égyptiens, des salafistes, la gauche laïque, les monarques saoudiens. Il y aura forcément des déçus parmi eux…

    Bien que l’Egypte soit en banqueroute, l’affrontement entre les militaires et les islamistes ne concerne guère les choix économiques et sociaux, largement inchangés depuis la chute de M. Moubarak. Pourtant, qu’elle débouche sur des élections ou qu’elle recoure à un coup d’Etat, que vaut au juste une révolution si elle ne change rien sur ces plans-là ? Les nouveaux dirigeants subordonnent le salut de leur pays aux aides financières (12 milliards de dollars) des Etats du Golfe — en particulier de la très réactionnaire Arabie saoudite (2). Si cette option se confirme, les juristes auront beau dire et médire, le peuple égyptien reprendra le chemin de la rue.

    Serge Halimi

     

  • Hezbollah, Hamas, PKK, vous avez dit terrorisme ?

     

    mercredi 24 juillet 2013, par Alain Gresh

    Vous trouverez la version arabe de ce texte ici.

    Ainsi l’Union européenne a-t-elle décidé de placer « l’aile militaire du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes » (LeMonde.fr, 22 juillet).

    « La décision — un accord politique qui doit être transcrit juridiquement pour entrer en application — a suscité de vifs débats. L’Irlande et Malte ont multiplié les réserves jusqu’au bout. D’autres, comme l’Autriche, craignaient les conséquences d’une telle sanction sur la sécurité des forces de l’ONU implantées au Liban, dans une zone sous contrôle du Hezbollah. Ces derniers jours, le gouvernement libanais a lui-même appelé officiellement à renoncer à une telle décision, en expliquant que l’organisation représentait une “composante essentielle de la société” libanaise.

    Pour convaincre leurs collègues les plus réticents, les ministres des affaires étrangères ont convenu de “poursuivre le dialogue” avec tous les partis politiques libanais, y compris le Hezbollah. Ils entendent aussi maintenir leur aide humanitaire à l’ensemble du territoire libanais. L’implication croissante du Hezbollah dans le conflit syrien, aux côtés de l’armée du régime, n’est pas citée par l’Union européenne. » [1]

    C’est pourtant bien l’implication du Hezbollah dans le conflit syrien qui avait, après l’attentat de Burgas en Bulgarie, conduit les américains et les israéliens à accentuer les pressions sur l’Union européenne.

    Quoiqu’il en soit, la décision est marquée par une forme d’hypocrisie car elle ne précise pas ce qu’est l’aile militaire du Hezbollah, bien difficile à différencier de la politique.

    Notons aussi, sur l’attentat de Burgas, que, malgré les allégations, aucune preuve sérieuse n’indique l’implication du Hezbollah dans cette action [2].

    Mais, au-delà des difficultés à déterminer les responsables de telle ou telle action, on peut s’interroger sur cet usage du terme terrorisme qui permet de boycotter le Hamas tout en maintenant d’excellentes relations avec Israël, dont l’usage du terrorisme d’Etat est patent.

    Nous le savons, le terrorisme est une accusation facile qui permet aux Etats de criminaliser des groupes qui luttent contre une occupation étrangère ou contre un agresseur. Cette accusation est principalement proférée contre des organisations au Proche-Orient, notamment le Hezbollah et le Hamas, mais pas seulement.

    Il n’y a pas si longtemps, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le gouvernement blanc d’Afrique du Sud qualifiaient le Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela d’organisation terroriste. Et pourtant, Mandela est devenu aujourd’hui l’un des hommes les plus vénérés de la planète (au risque, souvent, de déformer l’histoire de sa vie [3].

    François Hollande peut prétendre vouloir le détruire au Mali, mais, dans la plupart des cas, c’est la négociation qui permet de faire reculer la violence.

    La Turquie constitue un exemple important de la manière dont on peut traiter du problème du terrorisme.

    « Le chef rebelle kurde Abdullah Ocalan a appelé, jeudi 21 mars, les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à déposer les armes et à quitter la Turquie, affirmant que le temps était venu de “faire prévaloir la politique” », écrivait LeMonde.fr le 21 mars [4].

    Lire Wendy Kristianasen, « Le gouvernement turc face au défi kurde », Le Monde diplomatique, novembre 2011Le chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) poursuit : « “Nous sommes arrivés à une phase dans laquelle les armes doivent se taire (...)et les éléments armés doivent se retirer en dehors des frontières de la Turquie”, a indiqué M. Ocalan dans une lettre lue à Diyarbakir (sud-est) devant des centaines de milliers de personnes par un député du Parti pour la paix et la démocratie (BDP). “Je le dis devant les millions de personnes qui écoutent mon appel, une nouvelle ère se lève où la politique doit prévaloir, pas les armes” (…).

    “La période de la résistance armée a ouvert une porte à un processus de politique démocratique. Les sacrifices n’ont pas été faits en vain, les Kurdes y ont gagné leur véritable identité”, a ajouté le chef kurde, actuellement emprisonné, en faisant référence aux quelques 45 000 morts causées depuis 1984 par le conflit kurde. “Ce n’est pas la fin, c’est un nouveau départ, ce n’est pas la fin du combat, c’est le début d’un nouveau combat”. »

    Il est difficile de savoir si cette lettre lue devant des centaines de milliers de Kurdes à Diyarbakir ouvrira la voie à la paix. Interrogé par Hélène Sallon pour savoir si cet appel peut déboucher sur un processus de paix [5], Jean Marcou, professeur à l’Institut d’études politiques de Grenoble et spécialiste de la Turquie répond :

    « Oui, car il n’y a pas qu’un cessez-le-feu, il y a également la demande aux combattants du PKK de quitter le territoire. C’est un engagement pour lancer un processus d’abandon de la lutte armée. Les autres cessez-le-feu avaient été déclarés hors de toutes négociations et contacts avec le gouvernement turc. Celui-ci intervient dans le cadre du processus dit d’Imrali, du nom de l’île où est emprisonné Abdullah Öcalan, lancé fin 2012. Ce processus a débuté par des contacts entre Öcalan et des membres des services de renseignement, mais s’est surtout traduit, entre janvier et mars, par la visite de députés du Parti pour la paix et la démocratie — BDP (kurde). Ils ont transmis des lettres du chef du PKK aux commandements kurdes, en Irak et en Europe, qui dressent une feuille de route qui tient lieu de cadre pour un accord de paix. »

    S’il débouchait sur la paix, cet accord pourrait avoir des conséquences géopolitiques importantes. La Turquie, qui a renforcé ses relations avec le gouvernement du Kurdistan d’Irak pourrait acquérir un statut de protecteur des Kurdes, et renforcer son influence dans toute la région.

    En conclusion, penser régler le problème d’organisations représentatives (hier le Front de libération nationale algérien ou l’ANC, aujourd’hui le Hezbollah, le PKK ou le Hamas) par ce type d’accusation est futile et contre-productif.

    Encore une fois, l’Union européenne s’est alignée sur Washington et Tel-Aviv, se privant ainsi de tout rôle réel au Proche-Orient.

    Notes

    [1] Lire sur ce blog « Syrie, l’entrée en guerre du Hezbollah », 23 mai 2013.

    [2] Lire Gareth Porter, « Inside the Hezbollah Bombing “Hypothesis” of an Israeli Tour Bus », Counterpunch, 18 février 2003.

    [3] Lire « L’évangile selon Mandela », Le Monde diplomatique, juillet 2010) et dans le numéro d’août 2013, à paraître, « Nelson Mandela, les chemins inattendus ».

    [4] « Le chef du PKK appelle à une trêve, la Turquie ouverte au dialogue », LeMonde.fr, 21 mars 2013.

    [5] « "L’appel du PKK à la fin de la lutte armée n’est qu’une première étape », LeMonde.fr, 22 mars 2013.

  • Annexer le monde

     

     
    Vader

    De l'Empire

     Le marché fait la loi. L'expression nous est maintenant familière, pourtant elle reste relativement faible. Nous devrions dire : le marché fait le crime. 
    Si nous voulons amorcer une esquisse de résistance, ce marché organisé par une synarchie doit être mieux distingué et discriminé. Combien se leurrent toujours à frapper les mauvaises personnes, au mauvais endroit !
     

    Chess game USA vs World
    © Inconnu
    Nous entendons parler de mondialisation pour stigmatiser un fléau finalement vague qui nourrit les discours politiciens, les indignations carnavalesques et les doctrines consensuelles. Cette face abstraite de la mondialisation nous dissimule, de fait, la face réelle d'un empire. Un empire analysé, décortiqué, cartographié par une intelligentsia variée : parfois académique, parfois dissidente, mais unanime sur sa nature oligarchique et économico-financière. 

    A l'exemple d'Hannah Arendt qui écrivait, au début des années 50, que l'impérialisme devait être compris : « comme la première phase de la domination politique de la bourgeoisie, et qu'elle naquit lorsque la classe dirigeante détentrice des instruments de production capitaliste s'insurgea contre les limitations nationalistes imposées à son expansion économique ». Pour la philosophe allemande la notion d'expansion illimitée était désormais seule capable de répondre à l'espérance d'une accumulation illimitée de capital. 

    « L'argent pouvait engendrer l'argent parce que le pouvoir, au total mépris de toute loi - économique aussi bien que morale - pouvait s'approprier la richesse ». La richesse devenue un moyen illimitée de s'enrichir, se substituant de la sorte à l'action politique. Ainsi constituée, la puissance impériale pouvait « balayer toutes les protections politiques qui accompagnaient les autres peuples et englober la terre entière dans sa tyrannie ». 

    De même, Alain Soral constate aujourd'hui une évolution de même nature : « L'oligarchie mondialiste, pas plus que le principe bancaire dont elle tire sa dynamique et son pouvoir, n'a de territoire ou de lieu. Cette aristocratie nomade et sans noblesse se niche partout où il y a de la richesse à capter et du profit à faire ». 

    Encore mieux dit ailleurs : « La banque, intrinsèquement fondée sur l'abstraction du chiffre au détriment de l'humain, libérée de tout frein politique et social, et protégée de surcroît par son invisibilité politique et médiatique devenant progressivement - compte tenu de sa logique même - pure prédation et pure violence ». 

    Enfin revenons à Hannah Arendt soulignant qu'un pouvoir « ne peut garantir le statu quo, seulement en gagnant plus de... pouvoir. C'est uniquement en étendant constamment son autorité par le biais du processus d'accumulation du pouvoir qu'elle peut demeurer stable ». 

    L'Axe du Mal 

    Pour légitimer leur ambition impériale les américains donnent l'illusion qu'ils sont le centre du monde par la protection qu'ils lui offrent en attaquant des adversaires faibles présentés comme « l'axe du mal ». 

    Emmanuel Todd écrit à propos, dans son livre Après l'Empire, que « pour maintenir sa centralité financière l'Amérique se bat, mettant en scène son activité guerrière symbolique au cœur de l'Eurasie, tentant ainsi d'oublier et de faire oublier sa faiblesse industrielle, ses besoins d'argent frais, son caractère prédateur ». 

    Rajoutons que cette soif de profit coïncide opportunément avec un pillage systématique des terres impérialisées : c'est l'obsession pétrolière du complexe militaro-industriel américain qui dicte toute la stratégie prétorienne au Proche Orient, et ce depuis plus de cinquante ans. La survie et le développement de ces sociétés industrielles dépendent de leur accès à cette région, dont l'Irak est le pays d'intersection.
    Obama prédateur
    © Inconnu
     Ainsi les Etats-Unis, insiste le célèbre démographe français, « mettent sous embargo des pays incapables de se défendre et bombardent des armées insignifiantes. Ils conçoivent et produisent des armements de plus en plus sophistiqués et appliquent en pratique à des populations civiles désarmées, des bombardements lourds digne de la Seconde Guerre Mondiale ». 

    Le journaliste Thierry Meyssan précise cet accablant procès-verbal en étudiant courageusement les barbouzeries de la domination impériale américaine. Il dénonce en premier lieu, à l'instar d'un Michel Collon, l'intoxication médiatique occidentale. Une propagande généralisée présentant de faux désordres sociaux, de fausses dictatures et donc de faux prétextes d'émancipation des peuples. Meyssan détaille ainsi « comment sont provoquées les guerres civiles pour faire éclater les Etats et comment sont redessinées les frontières de sorte qu'aucun Etat ne soit plus en mesure d'opposer de résistance ». 

    Par ailleurs, il développe la théorie effroyable qu'un complot issue d'une faction du même complexe militaro-industriel serait à l'origine des attentats du 11 septembre. L'imposture aurait d'abord permit de lancer une croisade évangéliste contre l'Islam en instaurant une forme de régime militaire dans les pays alliés, et aurait facilité l'exploitation des plus importantes réserves de pétrole et de gaz planétaires. 

    Chocs stratégiques 

    A propos du 11 septembre, Naomi Klein parle d'un choc utile, sans pour autant se prononcer sur la possibilité ou non d'un complot interne. « L'idée d'envahir un pays arabe et d'en faire un Etat modèle se répandit au lendemain du 11 septembre et quelques noms circulèrent : l'Irak, la Syrie, l'Egypte ou l'Iran ».
    « L'administration Bush profita de la peur suscité par les attentats non seulement pour lancer sans délai la guerre contre le terrorisme, mais aussi pour faire de cette dernière une entreprise presque entièrement à but lucratif, une nouvelle industrie florissante qui insuffla un dynamisme renouvelé à une économie chancelante ».
    La journaliste canadienne dénonce une méthode d'expansion des idées néolibérales par des chocs propices - souvent provoqués - à des réformes économiques impopulaires, fondées sur la doctrine de Milton Friedmann. Théorie dans laquelle ce Nobel de l'économie américain explique que la réduction du rôle de l'Etat dans une économie de marché est le seul moyen d'atteindre la liberté politique et économique. « Pendant plus de trois décennies, Friedmann et ses puissants disciples avaient perfectionné leur stratégie : attendre une crise de grande envergure, puis pendant que les citoyens sont encore sous le choc, vendre l'Etat, morceau par morceau, à des intérêts privés avant de s'arranger pour pérenniser les « réformes » à la hâte. » 

    Lieux de ce capitalisme du désastre ? Tous les continents sont touchés. 

    Du Chili de Pinochet dans les années 70 au Sri Lanka post tsunami en 2004, en passant par le Royaume Uni de Thatcher, la Bolivie des années 80, la Pologne post chute du mur, la Chine post Tiananmen, l'Afrique du Sud post Apartheid ou enfin la Russie de Eltsine. Résultat de cet expansionnisme ultra libéral : les populations finissent toujours par sombrer dans la misère et les élites continuent de s'enrichir. 

    La rareté garantit le profit 

    Hannah Arendt nous avait pourtant prévenu : l'impérialisme « n'a d'autre règle de conduite que celle qui concourt le plus à son profit et il dévorera peu à peu les structures les plus faibles jusqu'à ce qu'il en arrive une ultime guerre qui fixera le sort de chaque homme dans la victoire ou dans la mort ». 

    L'actuel Vice Président du Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies, le suisse Jean Ziegler, l'explique plus radicalement :
    « Aujourd'hui la planète croule sous les richesses. (La terre peut nourrir douze milliards d'habitants). Autrement dit, l'infanticide, tel qu'il se pratique jour après jour, n'obéit plus à aucune nécessité. Les maîtres de l'empire de la honte organisent sciemment la rareté. Et celle-ci obéit à la logique de la maximalisation du profit ».
    Famine
    © Inconnu
    Ces maîtres, qu'il nomme « cosmocrates », planifient la pénurie et la faim. Une captation des richesses par des classes dirigeantes corrompues et rendue possible par l'action militaire américaine. Nous l'avons déjà vu avec Emmanuel Todd, Thierry Meyssan et Naomi Klein. 

    Avec la complicité des grandes instances financières internationales (FMI, OMC, Banque Mondiale), les féodalités capitalistes ont engendré un endettement des Etats de l'hémisphère sud (cent vingt-deux pays sont aujourd'hui concernés) abdiquant leur souveraineté en restant solvables pour rembourser les créanciers du nord. Par la faim qui découle de cette rareté des biens et de cette dette injuste, les peuples agonisent et renonce à lutter pour la liberté. 

    Ce nouvel ordre mondial établi sur « l'organisation de la faim » n'est pas près de changer. Aristote définissait l'homme comme un animal politique, de fait, nous le percevons plus comme une bête corruptible. Aussi, pour préserver leur pouvoir, nos seigneurs de la guerre n'ont d'autre alternative que de conforter leur mode de vie économique.
    « S'ils veulent survivre aux postes qu'ils occupent, les cosmocrates doivent être féroces, cyniques et impitoyables. S'écarter du sacro-saint principe de la maximalisation des profits au nom de l'humanisme personnel équivaudrait à un suicide professionnel. »
  • Procès Bradley Manning

    Procès Bradley Manning: c'est de la vengeance, pas de la justice

    Permettre au gouvernement de juger celui qui a fourni à WikiLeaks des rames entières de données pour «collusion avec l'ennemi» est un dangereux précédent.

    Bradley Manning est escorté devant le tribunal militaire de Fort Meade dans le Maryland, le 18 juillet 2013. REUTERS/Jose Luis Magana

    - Bradley Manning est escorté devant le tribunal militaire de Fort Meade dans le Maryland, le 18 juillet 2013. REUTERS/Jose Luis Magana -

    Le gouvernement veut-il vraiment gratter la moindre livre de chair disponible sur le dos du première classe Bradley Manning pour le punir d'avoir fourni à WikiLeaks un énorme paquet d'informations? La réponse, lamentable, est oui.

    Jeudi, le juge militaire chargé du procès de Manning a décidé de ne pas abandonner le chef d'accusation le plus grave –et le moins supportable– pesant sur sa personne, la «collusion avec l'ennemi». Une charge qui, au départ, n'aurait même pas dû être avancée par le gouvernement.

     
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    Qu'importe votre avis sur Manning, cela crée un terrible précédent pour les «whistleblowers», les lanceurs d'alerte. Et son seul intérêt est la possibilité d'une peine de prison à perpétuité pour un jeune homme de 25 ans ayant d'ores et déjà plaidé coupable pour des chefs d'accusation susceptibles de l'envoyer vingt ans derrière les barreaux. On est devant une affaire de vengeance, pas de justice.

    La fuite dont est responsable Manning est, bien sûr, gigantesque. En 2009, il a donné à WikiLeaks des rames entières de câbles diplomatiques, des carnets de guerre sur les conflits en Irak et en Afghanistan, des dossiers sur Guantánamo, des notes internes des services secrets américains et la vidéo du raid d'un hélicoptère Apache en Irak, responsable de la mort «collatérale» d'un photographe de Reuters et de son chauffeur.

    Manning a reconnu être à l'origine des fuites, en plaidant coupable pour dix des chefs d'accusation pesant sur lui. Mais il affirme ne pas être coupable de collusion avec l'ennemi, car son intention n'était pas de voir la publication des documents secrets aider des organisations terroristes comme Al-Qaïda.

    Voici ce que dit la loi: la charge concerne «quiconque aide ou tente d'aider l'ennemi avec des armes, des munitions, du matériel, de l'argent et autres ressources;  ou qui, sans en avoir l'autorisation idoine, dissimule, protège, renseigne, communique ou correspond avec ou encore établit un lien quelconque avec l'ennemi, sciemment et de manière directe comme indirecte».

    Le chef d'accusation est large – le juge ne l'a pas inventé de toutes pièces. Mais dans d'autres affaires, les tribunaux ont requis que l'accusé ait spécifiquement et volontairement aidé l'ennemi. La charge a jusqu'à présent été réservée à des traîtres murmurant aux oreilles de nos adversaires.

    Comme le faisait remarquer en mars Yochai Benkler, un des experts de la défense dépêché au procès Manning, dans les colonnes de la New Republic, la collusion avec l'ennemi a auparavant été utilisée dans des«affaires stratégiques où quelqu'un avait remis des informations sur des mouvements de troupes directement à un individu que le collaborateur estimait être 'l'ennemi', où des prisonniers de guerre américains avaient collaboré avec leurs geôliers nord-coréens, ou encore dans le cas d'un citoyen germano-américain ayant participé à une opération de sabotage pour le compte des Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale».

    Une jurisprudence qui ne correspond à aucun des faits de l'affaire Manning. Pour le gouvernement et l'armée, les fuites relèvent du sabotage et de la folie. Mais selon Manning, son geste visait à provoquer un débat public. Il avait de plus en plus de doutes sur la guerre et voulait révéler les exactions de l'armée américaine pour que l'opinion sache. Ou pour citer la déposition de Manning devant la cour, plus tôt cette année:

    «Mon sentiment, c'était que nous prenions trop de risques pour des gens peu disposés à coopérer avec nous, ce qui générait de la frustration et de l'amertume des deux côtés. La situation, dans laquelle nous nous embourbions davantage année après année, s'est mise à me déprimer. (…) J'ai aussi cru que l’analyse détaillée des données sur le long terme et réalisée par différents secteurs de la société pouvait permettre à celle-ci de réévaluer le besoin, voire l'envie, de s’engager dans des opérations de lutte contre le terrorisme ou contre l’insurrection, ignorant les dynamiques complexes des populations vivant au quotidien dans les régions concernées». Pour lire sa déclaration complète, c'est ici.  

    Pour justifier leur décision, les procureurs ont fait valoir que «les preuves montreront que l'accusé a sciemment donné des renseignements à l'ennemi». Les preuves, c'est que certains des documents révélés par Manning, une fois sur Internet, ont atteint Ben Laden et ont été retrouvés sur son ordinateur.

    En d'autres termes, en donnant des informations à WikiLeaks, Manning les donnaient aux terroristes. Il s'agit d'une interprétation scandaleusement trop large d'une loi rédigée à l'emporte-pièce. Elle compromet toutes sortes d'individus publiant des choses susceptibles de contrarier les intérêts américains en ternissant l’image des Etats-Unis à l'étranger.

    Ce que font tous les jours des journalistes, ce que font tous les jours des tas de gens sur les réseaux sociaux. On appelle cela la liberté d'expression. La plupart des critiques de l'Amérique n'ont pas accès au genre de données nuisibles que Manning avait en sa possession. Mais désormais, quand ils l'auront, ils devront craindre que leur publication soit l'équivalent juridique d'un cadeau aux terroristes.

    Comme le souligne Benkler, qu'importe que la plate-forme de publication soit WikiLeaks, le New York Times ou Twitter. Et cette théorie de collusion avec l'ennemi est «inédite dans l'histoire américaine contemporaine». Il nous faut remonter à la Guerre de Sécession et à une affaire où un officier de l'Union avait donné à un journal de Virginie une liste de camarades soldats pour trouver l'équivalent du cas Manning.

    Si Manning passe le restant de ses jours en prison pour un geste de défiance commis au début de sa vingtaine, cela sera du même acabit que ses conditions de détention préventive que, dans un énorme euphémisme, le juge estimait «excessives».

    Pendant neuf mois, dans une prison militaire, Manning était à l'isolement pendant 23 heures par jour. Il devait dormir nu, sans draps ni oreillers. Il n'avait aucun moyen de faire du sport. La version officielle, c'est qu'il présentait un risque suicidaire élevé, mais, encore une fois, cela ressemble bien davantage à de la vengeance. 

    Aujourd'hui, pas même Manning n'en appelle à sa libération. Son affaire ne relève pas de la culpabilité ou de l'innocence, mais de la proportionnalité. En choisissant la démesure, le gouvernement et le tribunal risquent d'aller trop loin et vers un endroit trop sombre. La voie juridique est bien assez large pour punir Manning sans avoir à effectuer ce genre d'embardée. Et les raisons de s'en passer sont, aussi, bien plus que suffisantes.  

    Emily Bazelon