L'événement a bouleversé toute l'Allemagne ce week-end. L'agression de la candidate à la mairie de Cologne Henriette Reker, à coups de couteau, par un homme au passé néonazi a suscité une immense vague de réprobation. Gravement blessée au cou, la candidate d'une coalition emmenée par la CDU (conservateur) a finalement été élue, dimanche. Mais les motifs de l'agression viennent rappeler combien l'accueil massif de réfugiés par l'Allemagne suscite les pires oppositions. En charge à Cologne de l'accueil des réfugiés, Henriette Reker a été visée justement pour cela :« Reker et Merkel nous inondent de réfugiés », a lancé l'homme qui l'a attaquée.
Lundi 19 octobre, l'émoi demeurait très vif, d'autant qu'une nouvelle manifestation du mouvement xénophobe Pegida a réuni dans la soirée près de 15.000 personnes à Dresde. Un an après sa création, ce mouvement des« patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident » s'installe dans le paysage allemand par des rassemblements hebdomadaires. À cela, s'ajoutent des critiques de plus en plus vives de la politique d'accueil revendiquée par Angela Merkel. Partout en Europe, la crise des réfugiés sert de carburant aux mouvements populistes, nationalistes, d'extrême droite.
Des dirigeants, comme le Hongrois Viktor Orban, aux responsables de partis, tels que Marine Le Pen ou Christian Estrosi en France, l'accueil des réfugiés ne fait pas que bouleverser les frontières de l'espace Schengen : nous assistons à une reconfiguration d'ensemble des discours politiques et à des rapprochements inédits entre la droite et l'extrême droite. Cette reconfiguration est d'autant plus rapide que plusieurs pays européens sont en campagne électorale.
La Suisse vient de voter, tout comme l'Autriche. La Pologne le fera le 25 octobre, puis la Slovaquie, l'Espagne et la France à l'occasion des élections régionales. La dénonciation de « l'invasion », des migrants et des « faux réfugiés » s'est installée au cœur des discours de campagne. Voici un tour d'Europe des pays et le récit de comment cette crise des réfugiés pèse sur les consultations électorales.
Suisse.- Les nationalistes-populistes de l’UDC réalisent leur meilleur score
Cela fait vingt ans que la Suisse place au cœur de ses campagnes électorales les thèmes de l’immigration et des réfugiés, sur fond de progression presque ininterrompue des nationalistes-populistes de l’Union démocratique du centre (UDC). Dimanche 18 octobre, l’UDC a encore amélioré son score avec de 29,4 % des voix (contre 26,6 % en 2011), raflant un total 65 sièges sur 200 au Conseil national (la chambre basse). Elle devance largement le parti socialiste (18,8 %) et la droite libérale (PLR 16,4 %) et les centristes du PDC (11,6 %), alors que les Verts accusent un fort recul. Les résultats du Conseil des États (46 députés élus dans les 26 cantons,) seront connus le 8 novembre prochain (voir ici les résultats).
« Difficile de savoir ce qui relève de la crise actuelle des réfugiés, ou ce qui est seulement dans la continuité d’un agenda politique suisse dicté par l’UDC aux autres partis politiques »,estime Oscar Mazzoleni, politologue spécialiste de la droite anti-immigration, auteur de Nationalisme et populisme en Suisse : La radicalisation de la « nouvelle » UDC. « Ce qu’on peut dire, c’est que l’UDC a bénéficié du climat d’inquiétude créé par la vague migratoire sur l’Europe », ajoute-t-il. Alors que le dossier des relations avec l’Union européenne, pourtant autrement plus brûlant pour le pays, « est resté au second plan, du fait de son extrême complexité », remarque-t-il.
Durant toute la campagne, les électeurs ont été abreuvés de discours, débats, chiffres et affiches sur la thématique des migrations qui, si l’on en croit un récent sondage de l’institut gfs.bern, est considérée par 46 % des personnes interrogées comme le « problème le plus urgent » à traiter. Galvanisée par la victoire, en février 2014, de son initiative populaire « contre l’immigration de masse » qui demande la réintroduction des quotas de travailleurs, l’UDC n’a pas lésiné sur les moyens se présentant comme l’« unique parti qui veut limiter l’immigration et corriger les abus de l’asile ».
« Expulser enfin les étrangers criminels »
En septembre, tous les foyers ont reçu dans leur boîte aux lettres Edition spéciale, un journal de vingt-deux pages. Plus d’un tiers des articles sont consacrés au péril que font courir les étrangers (toutes catégories confondues) au pays, avec ces titres évocateurs :« Stop au chaos de l’asile » ; « Combien de migrants supporte la Suisse ? » ; « Expulser enfin les étrangers criminels » ; « Asile, il faut agir immédiatement » ; « Genève, malade de son immigration », etc.
« Êtes-vous inquiet devant une immigration sans limite, devant chaque année quelque 30 000 requérants d’asile qui cherchent une vie meilleure en Suisse et devant les énormes abus sociaux et la criminalité qui y sont liés ? Alors vous devez voter le 18 octobre », lance en première page Toni Brunner, le président de l’UDC. Dans ce « tout-ménage », les Érythréens qui arrivent en tête des demandes d’asile incarnent ces migrants économiques qui cherchent « avant tout à profiter des excellentes prestations sociales et médicales du pays ». Mais à côté de ça, la brochure réussit le tour de force de passer quasiment sous silence la crise des réfugiés syriens en Europe. Et pour cause.
Comme nous l’avons raconté, la Suisse n’est pas la destination favorite, loin s’en faut, des réfugiés qui fuient les guerres en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Le « chaos de l’asile » invoqué par l’UDC est tout relatif puisque pour les huit premiers mois de l’année 2015, 19 668 personnes ont déposé une requête (dont 1 425 Syriens), alors que les États membres de l’UE et de l’AELE enregistraient environ 550 000 demandes de janvier à juillet 2015 (contre 304 000 durant la même période de 2014). Soit une hausse de 20 % en Suisse, contre une moyenne européenne de plus 71 %.
En dépit de ces chiffres, les réfugiés se sont retrouvés au cœur de la bataille électorale. Le hasard du calendrier a voulu que le parlement suisse se penche cet été sur unerévision de la loi sur l’asile, un texte qui prévoit une accélération et une simplification des procédures et qui a finalement été adopté le 9 septembre, après dix heures de débats enflammés au Conseil national.
L’UDC avait mis toutes ses forces pour s’y opposer, piétinant au passage toutes considérations humanitaires. Alors que la photo du cadavre du petit Aylan échoué sur une plage de Bodrum faisait le tour du monde, le parti réclamait, seul contre tous, « un moratoire d’un an » dans les procédures d’asile, et la réintroduction d’un contrôle systématique aux frontières avec la mobilisation possible de l’armée. La motion était finalement refusée par 103 voix contre 48.
Au sein de l’UDC, certains (dont les trois députés qui ont voté contre) s’étaient inquiétés de cette stratégie, craignant qu’une partie des électeurs ne soient choqués par un tel cynisme. Mais la ligne dure s’exprime à nouveau sans complexe. « L'UDC trouve anormal que tous ces réfugiés aillent en Europe. Nous préférons privilégier l'aide sur place », fait valoir son leader Toni Brunner, estimant « injuste que Mme Merkel ouvre les portes grandes aux réfugiés et ensuite veuille les répartir dans les autres pays. Ce qui va au final encore plus charger la Suisse ».
Le 18 septembre, Berne a annoncé sa « participation » au premier programme de répartition de 40 000 réfugiés en provenance de Syrie, Irak et Afghanistan, adopté en juillet par l’Union européenne. Le gouvernement suisse s’est dit prêt à recevoir 1 500 personnes sur deux ans (un chiffre à retrancher de celui du quota de 3 000 personnes promis en mars au Haut-commissariat de l’ONU aux réfugiés), annonçant une enveloppe de 70 millions de francs pour les pays alentour.
L’UDC n’avait pas manqué de fustiger le Conseil fédéral accusé de suivre « la mauvaise voie de l’UE ». Le parti libéral-radical (PLR) qui chasse depuis des années sur les terres des nationaux-populistes évoque le risque de voir s’infiltrer des « terroristes » parmi les réfugiés. Seuls les socialistes et les Verts demandent à Berne d’en faire davantage, jugeant ces initiatives beaucoup trop timides, face à une crise migratoire d’une telle ampleur.
Un boulevard semble désormais s’ouvrir au premier parti de Suisse qui, en l’absence de toute législation sur le financement des partis politiques, a dépensé des millions dans cette campagne. Le 6 octobre, l’UDC a lancé unréférendum contre la fameuse loi sur l’asile révisée. Il s’agit d’interdire aux requérants de bénéficier de l’assistance gratuite d’avocats, comme le prévoit le texte. Les Jeunes de l’UDC proposent, eux, une nouvelle initiative populaire pour rétablir un contrôle complet des allées et venues sur le territoire suisse. Annoncée depuis plus d’un an, l’initiative « pour l’interdiction de se voiler le visage » dirigée en priorité contre les musulmans a été ressortie des tiroirs le 29 septembre. Elle est pilotée par le « comité d’Egerkinger », le regroupement qui avait préparé l’initiative sur l’interdiction de construction de minarets, approuvée en 2009. (Agathe Duparc à Genève.)
Pologne.- Favorite, la droite nationaliste du PiS se déchaîne
En Pologne, les élections législatives ont lieu dimanche 25 octobre, et la question des réfugiés s'est imposée de plain-pied dans la campagne. Le débat est irréel quand on pense qu'il s'agit d'un pays de 40 millions d'habitants… à qui Bruxelles demande d'accueillir à peine plus de 7 000 réfugiés.
C'est surtout le parti Droit et Justice (PiS, droite conservatrice) qui s'est emparé de la thématique, pour agiter le chiffon nationaliste et discréditer un gouvernement soi-disant laxiste (PO, Plateforme civique, droite libérale). L'objectif est clair : remporter les élections et mettre fin à la cohabitation actuelle (la Pologne est gouvernée depuis juin par un président PiS face à gouvernement PO).
Ainsi, le président Andrzej Duda refuse depuis début septembre de rencontrer la première ministre Ewa Kopacz, tout en critiquant dans les médias ce que la chef de l'exécutif accepte à Bruxelles, quand bien même PO serait elle-même allée à reculons sur le dossier migrants. La candidate du PiS au poste de premier ministre, Beata Szydło, parle carrément de « scandale » après le dernier sommet européen sur les quotas. Elle accuse le gouvernement d'avoir trahi le groupe de Visegrad (alliance entre Varsovie, Budapest, Prague et Bratislava). « C'était l'occasion de reconstruire la confiance et de bâtir de la solidarité entre les pays de la région, a-t-elle déclaré. Désormais ce sera encore plus difficile. »
Le député PiS Witold Waszczykowski, chef adjoint de la commission parlementaire des affaires étrangères, va même jusqu'à dire que la Pologne « devrait être exclue du système de répartition des réfugiés » en raison de l'éventualité d'un afflux à venir de réfugiés ukrainiens. « Nous avons pour voisin un agresseur et les autres pays devraient le comprendre. » Mais c'est le président du parti qui a eu les mots les plus violents, et que le PiS affiche désormais en tête de gondole sur son site Internet, sous le slogan « Nous avons le droit de défendre notre souveraineté » : Jarosław Kaczyński y réitère les propos qu'il a tenus lors du débat parlementaire consacré au dossier des réfugiés, le 16 septembre dernier.
« Il y a un vrai danger qu'un processus irréversible se mette en place, qui ressemblera à ça : d'abord le nombre d'étrangers s'accroît violemment, ensuite ils déclarent qu'ils ne respecteront ni notre droit ni nos coutumes, et ensuite ils imposent leur sensibilité et leurs exigences dans différents domaines, et ce de manière agressive et violente », déclarait Kaczyński. Et de prendre l'exemple de la France, de la Suède et de l’Italie, où des musulmans, dit-il, « ont su efficacement imposer la charia »... Le PiS ne fait aucune proposition concrète et ne dit pas s'il renégociera le quota à Bruxelles en cas de victoire aux élections… Or il a toutes les chances de l'emporter, tant PO semble à bout de souffle, après huit années d'exercice du pouvoir.
Si le PiS a toujours été réactionnaire et nationaliste, c'est la première fois qu'il affiche un positionnement aussi tranché sur la question des immigrés dans une campagne électorale. Autrefois cette thématique était plutôt l'apanage de l'extrême droite polonaise, et encore, elle n'était pas tellement mise en avant, tant la question migratoire ne se posait guère dans ce vaste pays d'Europe centrale. C'est plutôt sur le rapport à l’Église et les problématiques de mœurs que s'arc-boutaient les conservateurs en Pologne.
Du côté de la « Gauche unitaire » (Front mis sur pied pour le scrutin par les sociaux-démocrates du SLD – Union de la gauche démocratique – et d'autres formations de gauche), c'est la cacophonie. Les prises de position du SLD sont peu cohérentes avec les idées défendues par ses partenaires. La crise migratoire a permis au chef du SLD Leszek Miller de révéler son euroscepticisme ; il regrette, tout comme ses adversaires du PiS, que la Pologne se soit éloignée de ses partenaires du groupe de Visegrad. « Cela aurait été probablement meilleur si les Polonais étaient sur la même ligne que les Hongrois et les Slovaques, a-t-il assuré à différents médias polonais. Nous, les faibles, devons faire front ensemble. »
Il faut selon lui étudier les possibilités réelles d'accueil… Mais le SLD s'est bien gardé d'avancer un quota, il a tout juste assuré que le pays ne pouvait absolument pas accueillir les quelque 7 000 réfugiés dont il est question. Officiellement, le SLD (né en 1991 d'une reconversion de l'ancien parti communiste) veut s'attaquer aux causes de la crise migratoire, et soutient pour cela la Russie dans la guerre en Syrie. « Nous devons réfléchir où se trouve actuellement le plus grand ennemi. Aujourd'hui, c'est l’État islamique. »
La ligne est difficile à tenir pour le front unitaire, tant les figures de la formation Twój Ruch (« Ton mouvement ») sont à l'opposé des caciques du SLD. Ainsi, la tête de liste Barbara Nowacka déclarait, lors de la présentation du programme : « Nous sommes solidaires des réfugiés de guerre de Syrie du Proche-Orient, et nous agirons de telle sorte qu'ils puissent vivre dignement en Pologne jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux. »Les Verts, également partenaires de cette coalition électorale, défendent quant à eux des quotas « obligatoires ».
« Notre patrie n'est plus la nôtre »
C'est sans conteste l'extrême droite libertarienne et eurosceptique de Korwin-Mikke qui est la plus radicale sur le dossier migrants. Le KNP (Congrès de la Nouvelle droite, complètement marginal pendant une quinzaine d'années, brusquement entré au parlement européen en 2014) afficheun programme en trois points. « Liquidation de l'impôt sur le revenu. Retrait des cotisations sociales obligatoires. Arrêt de la vague de migrants. » Quand on sait que la Pologne n'a, pour l'heure, accueilli aucun réfugié (à l'exception d'une fondation catholique qui a fait venir quelque 150 Syriens chrétiens en juillet), la formule a quelque chose de comique.
Mais les leaders du KNP n'ont rien de drôle. Ils présentent les réfugiés comme des« immigrés islamiques », organisent çà et là des manifestations « contre les immigrés », rejettent en bloc tout ce qui vient de Bruxelles. Pour eux, même le PiS est modéré... L'eurodéputé Michał Marusik (qui siège avec le FN au parlement européen) s'est engagé pleinement dans cette campagne d'amalgames.
Dans l'un de ses rassemblements, à Gdańsk, au mois de septembre, il lançait à la foule :« L'islamisme est la goutte d'eau qui fait déborder la coupe d'amertume ! Mais le problème n'est pas seulement cette vague d'immigrés. C'est aussi que notre patrie n'est plus la nôtre. La Pologne n'est pas gouvernée comme il le faudrait.(...) Nous voulons une Pologne libre ! (…) » L'iconographie va avec le discours. Sur des affiches du parti, on peut voir un groupe terroriste cagoulé et armé jusqu'aux dents. « Non aux quartiers islamiques dans nos villes », dit le slogan. (Amélie Poinssot.)
Croatie.- Les sociaux-démocrates profitent de l’afflux des réfugiés
Le gouvernement social-démocrate croate de Zoran Milanovic a-t-il effectué un « sans-faute politique » dans sa gestion de la crise des réfugiés ? On pourrait le croire à regarder les résultats des sondages en vue des élections législatives convoquées pour le 8 novembre.
Il y a quelques semaines, l’opposition de droite, menée par la Communauté démocratique croate (HDZ), semblait assurée de la victoire. Or, selon les récentes enquêtes d'opinion, la coalition de centre-gauche est au coude-à-coude avec le HDZ, les deux formations étant créditées de 32 % des intentions de vote. Sachant que les sociaux-démocrates peuvent encore compter sur le renfort de plusieurs petits partis, comme les écologistes du mouvement Orah, la victoire semble désormais à portée de main du premier ministre Milanovic, que l’on pensait pourtant « grillé » par quatre années d’un difficile exercice du pouvoir. Tous les indicateurs économiques de la Croatie, membre de l’UE depuis le 1er juillet 2013, sont en effet au rouge : chômage massif, croissance en berne depuis des années, etc.
C’est grâce à la crise des réfugiés que la coalition au pouvoir a pu restaurer sa crédibilité politique. La Croatie se retrouve, en effet, « prise en étau » entre les réfugiés qui affluent de Serbie (plus de 100 000 depuis la mi-septembre) et les pays voisins, Slovénie et Hongrie. Des corridors humanitaires ont été improvisés mais si l’Autriche et l’Allemagne fermaient les portes, la situation deviendrait ingérable pour les pays de transit, comme la Croatie.
Omniprésents dans les médias, Zoran Milanovic et son ministre de l’intérieur, Ranko Ostojic, ont su jouer avec brio d’un mélange de fermeté et d’humanisme. Le premier ministre a dénoncé la construction de la clôture de barbelés hongroise, en affirmant que « jamais » la Croatie n’en viendrait à de telles extrémités. Pourtant, Zagreb a fermé durant quelques jours ses frontières avec la Serbie, et a déployé des renforts de police le long de ses frontières avec le Monténégro.
Alors que l’opinion publique croate, comme celle de tous les pays des Balkans, réagit avec empathie au drame des réfugiés – pour beaucoup de Croates, cette tragédie évoque celle qu’ils ont eux-mêmes vécue durant la guerre du début des années 1990 –, l’humanisme affiché par le gouvernement passe bien. Dans le même temps, les accusations lancées contre la Serbie, qui serait « incapable de gérer ses frontières », satisfont les secteurs les plus nationalistes de l’opinion.
La reprise de ces antiennes anti-serbes ont coupé l’herbe sous le pied à la droite nationaliste. Le HDZ court derrière la crise des réfugiés, sans parvenir à trouver un angle d’attaque efficace contre le gouvernement. L’opposition concentre ses critiques sur les projets supposés du gouvernement de création d’immenses centres d’accueil sur la péninsule de Prevlaka, sur la frontière monténégrine, à une vingtaine de kilomètres de Dubrovnik, et sur l’île de Lastovo. Alors que l’activité touristique demeure importante toute l’année à Dubrovnik, les Croates font déjà des cauchemars en imaginant des milliers de réfugiés camper sous les remparts de la vieille ville… (Jean-Arnault Dérens en Croatie.)
Espagne.- Rajoy et la droite hésitent à en faire un thème de campagne
En Espagne, les législatives se dérouleront le 20 décembre. La campagne n’a pas encore commencé, et elle se jouera avant tout sur la « reprise » de l’économie espagnole promise par le chef de gouvernement conservateur Mariano Rajoy (PP). Les partis devraient tout de même s'affronter sur les questions migratoires, même si le pays ne se situe pas sur les routes des réfugiés fuyant la Syrie.
Depuis la rentrée, les villes remportées par le mouvement « indigné », dont Madrid et Barcelone, ont constitué un réseau de villes-refuges, censé faciliter l’accueil de réfugiés. Avec l’aide de communautés autonomes remportées par la gauche (en mai), elles font pression sur le gouvernement de Rajoy, pour qu’il assouplisse sa politique. Ce dernier a fini par accepter, dans la douleur, le système de quotas proposé par Bruxelles.
En l'absence d'un parti d'extrême droite représenté au niveau national, le PP continue de présenter le cas des enclaves de Ceuta et Melilla, au nord du Maroc, protégées par un triple grillage de six mètres de haut, sur onze kilomètres, comme un succès de sa politique répressive. Depuis quatre mois, les intrusions de migrants sont quasiment impossibles. Le mouvement anti-austérité Podemos, lui, fait campagne pour instaurer des « voies d’accès légales » pour les réfugiés à travers l’Europe.
À l’instar des Républicains en France, le PP est traversé par de nombreux courants, du centre droit à une ligne proche de l'extrême droite. Pour les élections catalanes du 27 septembre, Rajoy avait joué la carte de l’aile droitière, en imposant l’ancien maire de Badalona, Xavier Garcia Albiol, habitué des sorties nauséabondes visant les Roms en particulier (ce qui lui avait valu un procès, qu’il a gagné), et les migrants en général. Mais le PP n’est arrivé qu’en cinquième position en Catalogne, avec l’un de ses plus mauvais score... Cela pourrait faire réfléchir Rajoy d’ici aux législatives. (Ludovic Lamant.)
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Autriche.- Les « torrents de réfugiés », aubaine de l'extrême droite FPÖ
Heinz-Christian Strache rêvait d'arriver en tête. Ce dimanche 11 octobre, Vienne, ville-région et capitale autrichienne où vivent un quart des habitants du pays, élisait son maire. Strache, l'équivalent autrichien de Marine Le Pen, voulait absolument passer devant les sociaux-démocrates. Il rêvait, disait-il, de faire sa « révolution d'octobre ». Le symbole aurait été parfait : la ville, bastion de la bourgeoisie progressiste et libérale, est dirigée par les sociaux-démocrates depuis 1945.
Strache, leader toujours bronzé d'une extrême droite qui se veut désormais respectable, n'a pas réussi son pari. Avec un progrès de 5 points, son parti, le FPÖ, dépasse certes les 30 % et ratiboise la droite classique, qui passe pour la première fois en dessous des 10 %. Il progresse quand tous les autres partis perdent du terrain, et emporte les districts de Simmering et Floridsdorf. Mais il reste à près de dix points derrière les sociaux-démocrates. Le vieux maire social-démocrate Michael Häupl, au pouvoir à Vienne depuis 1994, l'a joué habile en transformant le scrutin en référendum anti-Strache.
Mais pour Strache, ce n'est qu'une demi-défaite. Car le leader de l'extrême droite a réussi à imposer ses thèmes, à commencer par la peur de ceux qu'il appelle les « soi-disant réfugiés », des étrangers et de l'islam en particulier. Depuis des mois, l'Autriche ne parle que de ça. La question de l'asile a écrasé la campagne. Rien qu'en septembre, après que l'Allemagne a imposé un strict contrôle à ses frontières, 200 000 migrants sont passés par l'Autriche, devenue une vaste salle d'attente (lire notre reportage). Et 10 000 ont déposé une demande d'asile.
Depuis des mois, Strache dénonce le « chaos de l'asile », les « torrents de réfugiés ». Pendant la campagne, il a aussi proposé d'ériger des murs aux frontières comme la Hongrie de Viktor Orban. Jouant à fond l'opposition entre les classes populaires autrichiennes déclassées et les migrants, il abuse de slogans simplistes comme« Vienne n'est pas Istanbul » ou « pas de nouvelles mosquées, mais de nouveaux logements ». Comme d'autres ailleurs, Strache surfe sur les peurs. Il fait référence aux invasions germaniques du IVe siècle (“Volkërwanderung”) – les fameuses « invasions barbares » aussi invoquées par Marine Le Pen. Il assure que les demandeurs d'asile vont prendre le travail ou les logements des honnêtes Autrichiens. Il certifie, comme Christian Estrosi chez nous, que des « terroristes » se cachent parmi eux. Un porte-parole de son parti a même traité les bénévoles qui aident les réfugiés dans les gares de Vienne de « collaborateurs de l'invasion ».
Cette rhétorique agressive lui a permis d'aligner les succès ces derniers mois lors d'autres élections régionales. En mai, après une percée de l'extrême droite (de 6 à 15 %) lors des élections régionales, les sociaux-démocrates du SPÖ ont dû se résoudre à une alliance avec le FPÖ dans l'État du Burgenland, le plus oriental du pays, à la frontière slovaque. Une alliance qui n'est pas inédite, mais prouve le délitement et la perte d'influence de la social-démocratie autrichienne.
Dans l'État du Steiermark, il a triplé son score à 27 %, égalant les deux grands partis, le SPÖ et le ÖVP – qui ont depuis reconduit leur coalition. Fin septembre, en Haute-Autriche, la région de Linz, il a obtenu plus de 30 % des voix – deux fois plus qu'en 2009 – derrière la droite, devant les sociaux-démocrates – finalement, la droite pourraitgouverner avec les sociaux-démocrates et les écologistes, mais une coalition extrême droite/droite n'est pas exclue.
Alors que le SPÖ et les conservateurs gouvernent le pays ensemble, Strache a durement critiqué leur gestion de la crise des réfugiés. Il a surtout imposé son agenda. La ministre de l'intérieur conservatrice a ainsi lancé l'idée d'un asile « temporaire » de trois ans, qui serait ensuite ré-examiné. Une décision contraire à la convention de Genève.Localement, les candidats de droite comme de gauche ont défendu une ligne anti-immigrés dure, pensant ainsi limiter l'hémorragie de leurs électeurs. Une erreur, selon le politologie autrichien Thomas Hofer, interrogé par le journal allemand Süddeutsche Zeitung : « En imitant ce parti, en lui empruntant ses thèmes, on n'attire pas ses électeurs, on ne fait qu'alimenter son fonds de commerce. »
Le FPÖ, qui gouverna le pays en alliance avec les conservateurs de 1999 à 2006, du temps de son ancien leader Jörg Haider – aujourd'hui décédé –, vise désormais les élections législatives de 2018. (Mathieu Magnaudeix, envoyé spécial à Vienne.)
Slovaquie.- Surenchère avant les élections
En Slovaquie, les réfugiés n'existent pratiquement pas. Le pays est à l'écart des grandes routes de l'exil qui passent par la Serbie, la Hongrie et la Croatie. Les Syriens, Irakiens, Iraniens qui gagnent l'Europe n'en rêvent pas : ils visent l'Allemagne, la Suède ou la Finlande, où il y a du travail, et souvent leurs familles.
Mais dans ce petit État de 5,4 millions d'habitants, indépendant depuis 1993, il n'est question que d'eux. Dans les médias, ils sont partout, comme si le pays découvrait les mouvements migratoires. Toujours, ou presque, les politiques en parlent comme d'une menace. Le Parlement a consacré sa session de rentrée à la crise migratoire « et les discours étaient plus affligeants les uns que les autres », selon Barbora Massova, l'avocate de la Ligue des droits de l'homme. Il n'est pas rare qu'à gauche comme à droite, les réfugiés soient, comme les Roms l'ont été avant eux, traités d'« inadaptables » ou de« tire-au-flanc ».
Dans l'actuelle discussion européenne sur des quotas de réfugiés, la Slovaquie refuse farouchement tout système de quotas européen. C'est l' un des pays les plus intraitables, avec la Hongrie et la République tchèque, autres anciennes nations du bloc communiste qui ont intégré l'Union européenne. Le gouvernement entend même porter plainte contre les quotas européens quand ils seront mis en place.
Depuis des semaines, le premier ministre Robert Fico, un ancien communiste dont le parti social-démocrate détient la majorité absolue au Parlement, mène cette guerre rhétorique contre les réfugiés. Il les dépeint en profiteurs, venus essentiellement pour des raisons économiques, qui menaceraient l'identité chrétienne slovaque, ou comme des terroristes potentiels qui veulent« essayer de changer la nature, la culture et les valeurs de notre pays ». Pour plusieurs observateurs, cette rhétorique, outre le fait qu'elle permet d'étouffer des scandales de corruption, a un objectif politique immédiat : début mars, la Slovaquie élira ses députés. Fico entend bien conserver sa majorité.
« Fico et ses proches veulent montrer les muscles, se désole Juraj Buzalka, chercheur à l'institut d'anthropologie sociale de l'université Comenius de Bratislava. Lui et l'autre personnalité de son parti, Robert Kalinak, ne reculent devant aucune instrumentalisation. Ils ont joué pendant longtemps la carte anti-hongroise [une forte minorité de 500 000 personnes, un dixième de la population – ndlr], puis la carte anti-Roms [toujours stigmatisés – ndlr], et maintenant ils s'en prennent aux réfugiés. Fico, qui est entré au parti communiste à la fin des années 1980 pour des raisons purement carriéristes, se présente désormais en catholique fervent. Après avoir été le bon élève de l'Union européenne, il s'en prend à elle parce qu'il espère que cela va lui profiter. »
Fico n'est pas le seul à faire vibrer la corde anti-immigrés. À l'exception du chef du petit parti de la minorité hongroise, le Most de Bela Bugar, tous les partis s'y sont mis, de l'opposition conservatrice aux nationalistes, en passant, bien sûr, par l'extrême droite crypto-nazie qui dirige une des huit régions du pays. Ces messages simplistes trouvent une résonance dans les campagnes slovaques, délaissées depuis des décennies par le pouvoir central.
« Jusqu'aux élections, et pour la première fois dans l'histoire de ce pays, les réfugiés vont être au centre des polémiques, alors que leur nombre ici est infinitésimal », soupire Barbora Messova. Un peu seul contre tous, le président de la République et homme d'affaires philanthrope Andrej Kiska, élu en 2014 au suffrage universel, tient un discours d'ouverture. Mais il n'a pas beaucoup de pouvoirs. (Mathieu Magnaudeix, envoyé spécial à Bratislava.)