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  • Mes impressions d’Algérie


     

    Je reviens d’Alger. C’était ma première visite. Un débat au Salon du Livre, deux conférences, un débat télé et un grand nombre de bonnes discussions avec des Algériens : hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, militants et débutants.

     

     

     
    C’était très émouvant pour moi d’autant que l’Algérie a joué un grand rôle au point de départ de mes engagements. Provenant d’une famille bourgeoise de Bruxelles, à droite et même pro-Israël à l’époque, j’avais eu la chance de rencontrer deux « porteurs de valises », ces Belges solidaires qui aidaient le FLN et la libération face à la répression de l’Etat colonial français. Ils m’avaient recommandé le bouleversant petit livre « La Question » où Henri Alleg décrivait et dénonçait la torture pratiquée en Algérie par les forces françaises. Ce livre m’avait fait comprendre la gravité des crimes du colonialisme et l’héroïsme de ceux qui lui résistaient.

    Par la suite, j’avais eu la chance de rencontrer Henri, ce héros tout simple qui vient de nous quitter il y a quelques mois, à l’âge de 91 ans. C’était devenu un ami, nous avions fait des conférences ensemble, des formations aussi. Et j’étais fort impressionné par son engagement militant : un homme modeste mais tellement déterminé.

    J’ai été très impressionné aussi par les Algériens. Bien sûr, ce pays connaît des problèmes énormes, il a été marqué par la tragédie et la vie n’y est pas simple. Mais les épreuves forgent aussi une conscience très forte. Ce qui m’a frappé chez les Algériens rencontrés, c’est leur leur ouverture et leur curiosité. Leur soif de comprendre le monde, de saisir les dessous des propagandes de l’Empire, d’en maîtriser les mécanismes. Leur volonté aussi de jouer un rôle actif dans les changements qu’il faut apporter dans leur pays et dans le monde.

    Soyons clairs, je ne vis pas en Algérie et ne peux prétendre connaître un pays en quelques jours, et en plus en se limitant à la capitale. C’était juste un premier contact. Et, comme partout, c’est aux Algériens à trouver des solutions aux problèmes graves de leur pays. Ce que j’essaie d’apporter pour ma part, c’est mon expérience sur les stratégies de l’Empire, sur les médiamensonges des guerres « humanitaires », sur les menaces géostratégiques visant l’Algérie. Et d’apporter aussi quelques expériences d’autres pays où j’ai pu enquêter.

    De tout cela ressortent deux principes, il me semble : 1. Un pays ne pourra être fort et repousser les agressions que s’il s’appuie sur son peuple, s’il mobilise toute la population. Développer la justice sociale et la démocratie, la participation maximum de chacun, c’est l’arme suprême qui a permis à Hugo Chavez et Evo Morales notamment de vaincre les coups d’Etat, les menaces de sécessions, les opérations de déstabilisation, les tentatives de corruption. Se battre pour cela est la tâche des Algériens et de personne d’autre. 2. Quels que soient les problèmes et défauts d’un pays, jamais les USA, la France et compagnie ne sont la solution. Tout ce qui les intéresse, c’est faire main basse sur le pétrole, le gaz, les richesses en général. Ils ne sont pas la solution, ils sont le problème. Regardez l’Irak, la Libye, la Syrie, la Palestine !

    C’est pourquoi résoudre les problèmes de justice sociale et de démocratie, combattre la bureaucratie et la corruption ne pourra réussir qu’en défendant bec et ongles la souveraineté de son pays face aux grandes puissances qui sont toujours coloniales. Et en s’unissant avec les peuples voisins afin de créer des alliances régionales solidaires qui permettent de résister ensemble. Donc, on se demandera toujours : qui cherche à diviser le Maghreb, quels intérêts se cachent derrière ces querelles provoquées ?
    Concrètement, mon séjour m’a permis aussi de prendre des contacts très utiles. Je souhaitais que nos livres sur Chavez, Israël, la Libye, la Stratégie du Chaos des USA puissent être accessibles au public algérien, en français et en arabe, et à des prix compatibles avec le pouvoir d’achat local. J’aimerais aussi que nos articles d’Investig’Action puissent être traduits et diffusés en langue arabe, avec une nouvelle newsletter dans cette langue. Nous allons essayer de réaliser cela au plus vite. Ceux qui peuvent nous aider à traduire et diffuser peuvent contacter notre site michelcollon.info (rubrique nous écrire), merci d’avance !

    Merci à tous les amis algériens, à bientôt !

    Michel

    PS. Nous publierons bientôt ce débat télé et ces interviews sur michelcollon.info Pour être averti, inscrivez-vous à notre newsletter.


  • Deux poids...

    Education aux médias : selon que vous soyez Américain ou Bangladaise...

    17 septembre 2013

    Tout le monde le dit - et je ne ferai pas exception : toutes les victimes innocentes d’accidents ou d’attentats sont des victimes de trop ; toutes ont droit au respect ; il n’est pas question de discuter la peine que la disparition crée à leurs proches ; et il n’est pas question non plus de tenir une comptabilité morbide pour savoir si certaines victimes le sont plus que d’autres. Jetons donc un coup d’oeil sur l’actualité récente pour voir comment ces nobles principes se vivent et s’appliquent dans les médias ces derniers jours.

    Une des règles de base qu’on enseigne dans les écoles de journalisme est que "L'intérêt d'un fait divers en un point du monde est directement proportionnel au nombre de morts et inversement proportionnel à la distance qui nous sépare de ce point." Et on y ajoute deux autres critères qui peuvent peser lourd dans la balance : la notoriété des personnes impliquées et le côté spectaculaire de l’incident.
    En termes plus simples, cela signifie qu’un mort à Charleroi mérite plus d’intérêt que dix morts en Argentine - sauf s’il y a parmi eux un Président, ou un Pape, ou un international de football... ou deux Belges (mais ce dernier critère ne vaut que pour la Belgique !). Et qu’on ne parlera d’un mort au Cameroun que s’il a reçu une météorite de cinquante kilos sur la tête.
    De Boston à Dacca
    Sur cette base bien scientifique, examinons un peu la manière dont les médias ont rendu compte de deux informations récentes : l’attentat terroriste à Boston aux USA et l’effondrement d’un bâtiment abritant une usine textile à Dacca au Bangladesh.
    La distance, d’abord. Boston est à six heures de décalage horaire de chez nous, Dacca est à quatre heures. Mais, au départ de Bruxelles-National, on arrive plus vite en avion à Boston qu’à Dacca. Egalité grosso modo donc sur ce point.
    La célébrité des personnes impliquées. Des spectateurs d’un marathon et deux immigrés tchétchènes, d’un côté, des ouvriers du textile et leur patron, tous bangladais, de l’autre. Bref, de parfaits inconnus. Egalité parfaite sur ce point.
    Le côté spectaculaire. Explosion de cocottes-minutes bourrées de billes d’acier et de clous contre effondrement d’un immeuble de huit étages de l’autre, c’est une question de goût. Quelques images filmées en direct à Boston avec des victimes étendues sur le sol (important pour les JT du premier jour - avantage Boston) contre images des ruines fumantes et des secours qui s’affairent pendant des jours (idéal pour tenir dans la durée - avantage Dacca). Egalité au final, donc.
    Reste le nombre de morts. Là, par contre, il n’y a pas photo. 4 morts (dont un des terroristes) et 270 blessés à Boston. 400 morts (mais pas le patron de l’usine), 900 disparus et plus d’un millier de blessés à Dacca. Et un nombre de morts qui augmente d’heure en heure. Et des disparus qui se rapprochent à grands pas du moment où ils vont quitter la colonne des disparus pour entrer discrètement dans celle des morts. Donc, à la grosse louche, entre 100 et 400 fois plus de morts à Dacca qu’à Boston.
    Résultat : à la grosse louche aussi, entre 100 et 400 fois plus d’infos, de dramatisation, de directs et d’émotion télévisée à Boston qu’à Dacca.
    La science journalistique n’expliquerait-elle pas tout ?
    Quel intérêt y aurait-il à ce que vous sachiez que...
    Quelle raison peut-on bien trouver pour expliquer une réponse aussi complètement contraire aux règles journalistiques de base ?
    La première serait notre proximité affective avec les Américains. Il est vrai que si vous passez ne serait-ce qu’une semaine complète devant votre TV, toutes chaînes grand public confondues, la prolifération de films et surtout de séries "made in USA" fait que vous vous sentirez plus en terre de connaissance dans les rues de San Francisco ou les bayous de Floride que dans les rues de Hanovre (ou même de Malines) pour ne pas parler de celles de Dacca. Difficile quand même de trouver cette explication suffisante pour expliquer le déséquilibre médiatique.
    La deuxième serait l’idée que "On en parle beaucoup parce cela pourrait vous arriver un jour". Personne ne peut se dire en effet à l’abri d’une action terroriste. Il n’empêche que le nombre de personnes assistant à des marathons est en Belgique nettement inférieur au nombre de personnes travaillant en usine. Il n’empêche surtout qu’en 2012 le nombre d’attentats terroristes en Belgique a été de zéro, provoquant logiquement zéro mort. Cette même année, par contre, il y a eu dans notre pays 150.000 accidents sur les lieux de travail qui ont fait 80 morts.
    Par contre, la vraie raison pourrait bien être tout simplement "On en parle beaucoup parce qu’on veut que vous ayez peur que certaines choses vous arrivent un jour". Et là, bingo, tout devient un peu plus clair.
    Il devient tout à fait logique d’évoquer dans les moindres détails les souffrances des blessés, la douleur des familles, l’efficacité des secours, le courage des sauveteurs bénévoles, la détermination des autorités et l’efficacité des forces de l’ordre dans la traque des terroristes à Boston. Et tout à fait logique aussi de mettre en évidence et en valeur le bon droit et la retenue d’une nation (chrétienne) frappée dans sa chair par la folie et la férocité de deux jeunes Tchétchènes fanatisés par un Islam rétrograde (ce qui est très exactement le discours tenu par tous les médias grand public).
    Notez bien que vous ne devez avoir peur que de certaines choses. Quel intérêt y aurait-il à ce que vous sachiez que le propriétaire du bâtiment de Dacca a ajouté sans autorisation trois étages aux cinq qu’il était autorisé à construire ? Que le patron n’a tenu aucun compte des rapports des ouvriers dénonçant l’apparition de fissures de plus en plus grandes dans les murs ? Qu’il n’a même tenu aucun compte du rapport de police lui enjoignant de fermer l’usine à cause du risque d´écroulement ? Que la plupart des portes des issues de secours étaient fermées parce qu’il ne fallait pas que les ouvriers puissent sortir sans contrôle de l’usine pendant leurs heures de travail ?
    Quel intérêt y aurait-il à ce que vous vous mettiez après cela à regarder l’état des murs de votre entreprise ? Ou à demander si toutes les procédures de sécurité sur les lieux de travail sont bien respectées ? Ou à vous inquiéter du fait que des camions qui sont des bombes chimiques circulent sur nos autoroutes et que des trains chargés de déchets nucléaires hautement radioactifs traversent régulièrement notre pays ? Et quel intérêt y aurait-il à ce que vous vous posiez ces questions devant votre TV à l’heure où il est essentiel que vous ayez l’esprit disponible pour les pubs de Coca-Cola et de Benetton ?
    Dès lors, il est tout à fait logique que l’attentat de Boston soit traité pendant 20 minutes en entame du journal télévisé (après une émission spéciale en primetime) et que ce sujet soit présenté comme LE fait politique essentiel de la semaine, analysé sous toutes les coutures avec le concours d’une kyrielle d’experts en terrorisme. Et il est tout aussi logique que l’écroulement de l’usine de Dacca soit relégué dans les faits divers en fin de journal, au rayon des "catastrophes naturelles en Asie", entre un tremblement de terre en Chine et un glissement de terrain aux Philippines.
    Ah oui, encore deux détails. On a retrouvé des T-shirts marqués Benetton dans les ruines de l’usine. Et la grande majorité des travailleurs de l’usine étaient en fait de jeunes ouvrières, évidemment musulmanes (comme la quasi-totalité de la population du pays). Quel intérêt y aurait-il donc que vous sachiez que les T-shirts que vous portez sont produits par des jeunes filles musulmanes - et portant très certainement le voile - qui ne rêvent absolument pas de se faire sauter avec une bombe en plein milieu de votre supermarché mais qui espèrent simplement pouvoir nourrir un peu mieux leur famille.
    J’ai commencé cet article en écrivant que tout le monde vous dira, la main sur le cœur, que toutes les victimes innocentes ont droit au respect et qu’il serait indécent de les "analyser" et de les "peser" en fonction de critères dont elle n’ont que faire.
    Et bien cette règle ne s’applique pas à nos médias. Sur le marché de la compassion intéressée, il vaut beaucoup mieux être un amateur de sport aux Etats-Unis, blanc et chrétien si possible, que d’être une jeune ouvrière, musulmane de surcroît, au Bangladesh.

    Attentat de Boston Bangladesh Médias 


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  • Ce qu’Albert Jacquard nous apprend

     

    Généticien, statisticien, philosophe, humaniste, Albert Jacquard était un grand homme. Son parcours de vie quelque peu atypique apporte de l’espoir. Polytechnicien, il a évolué dans le monde de l’entreprise, s’est orienté vers une carrière scientifique par la suite, pour finalement opérer un revirement à 180 degrés et s’investir sans relâche dans l’engagement citoyen. Les traces laissées par Albert Jacquard sont une invitation à une réflexion profonde sur les déséquilibres au sein de notre société, sur l’importance de l’éducation et les défis qui sont à relever. Son objectif disait-il « ce n’est pas de construire la société de demain, c’est de montrer qu’elle ne doit pas ressembler à celle d’aujourd’hui. » (IGA)

     

     

     

    « C’en est fini de toutes ces guerres ridicules ! »
     

     

    Albert Jacquard nous explique qu’il est important de chercher les causes de toutes les guerres et que la cause première n’est autre que l’acceptation par nos cultures d’avoir pris comme moteur la concurrence et la compétition. Il est de l’intérêt de chacun de faire que la planète soit pacifiée et c’est à travers l’éducation des enfants que le changement peut s’opérer.

     
     
    Différent ne veut pas dire meilleur que l’autre
     
    Les avancements de la science aujourd’hui nous prouvent que la définition des races de l’espèce humaine est pratiquement impossible : chacun d’entre nous est unique. C’est une sottise de croire que si nous sommes différents, nous sommes meilleur que l’autre. 
     
    De la coopération, pas de compétition !

    La coopération est nécessaire, pas la compétition. Dans la nature humaine, le désir de l’emporter sur l’autre est à l’origine du dopage, des excès, de l’argent. Essayer d’être meilleur que soi-même, c’est cela le challenge. [

    Comment fait-on pour changer le monde ?
     
    bert Jacquard a consacré l’essentiel de son activité à la diffusion d’un discours humaniste destiné à favoriser l’évolution de la conscience collective. Réfléchir sur ses paroles, c’est porter un regard différent sur grand nombre de thèmes qui sont au cœur de la société d’aujourd’hui. 

    Alternatives Paloises - Pourquoi refusez-vous la compétition dans le monde actuel ?
    Albert JACQUARD - La compétition, telle qu’elle est entendue par notre société, c’est la lutte avec un gagnant et un perdant. Un heureux et un malheureux. Cela fait la moitié de l’humanité qui perd, et même beaucoup plus de la moitié actuellement, ce qui n’est pas quelque chose de rationnel. Cela pourrait être différent. Pourquoi est-ce que face à l’autre j’aurais vraiment besoin de l’emporter ? Il n’y a aucune raison.

     

    Regardez l’histoire de l’humanité : nos arrière-grands-parents, il y a 20 000 ans, étaient des gens qui partaient à la chasse pour les plus forts et les autres, les gringalets, restaient dans les grottes pour les peindre. J’ai plaisir à penser que mon arrière-grand-père, d’il y a 20 000 ans, faisait partie des gringalets qui peignaient des roches plutôt que de ceux qui courraient bêtement après le bison.

    Autrement dit, la compétition des uns contre les autres est une idée récente. Un peu stupide. Elle ne correspond à aucune réalité contrairement à la coopération qui est toute évidente.
    Je ne comprends pas qu’on puisse se lancer dans la compétition. Lorsque l’on chasse le bison, il vaut mieux s’y mettre à plusieurs. La coopération est de loin la réponse à la difficulté d’être.

    Alternatives Paloises - Vous semblez garder foi en l’Homme, n’avez-vous jamais eu peur de sombrer dans le cynisme ?
    Albert JACQUARD - Pourquoi ne pas être cynique ? Ce qu’il faut c’est être véridique, être lucide.Si vraiment j’ai démontré que l’humanité était une catastrophe pour la planète, je le dirais avec cynisme.
    Il ne faut pas avoir peur du cynisme, ce qu’il faut c’est avoir peur de l’erreur. Ce que j’aimerais, c’est diffuser de la lucidité, cynique ou pas.

    Alternatives Paloises - Vous parlez souvent de l’importance de créer du lien, que pensez-vous des réseaux sociaux du type Facebook qui ont par exemple aidé au soulèvement de la population en Tunisie et en Egypte ?
    Albert JACQUARD - Alors c’est peut-être une question d’âge, mais je n’ai aucune confiance en Facebook. Je crois en la nécessité de la rencontre. Est-ce que vraiment, par internet je rencontre quelqu’un ? Cela peut arriver mais c’est très rare.


    Pour moi Facebook est plus une façon d’échapper à la nécessité de rencontrer. Pour rencontrer, il faut véritablement un plaisir de s’exprimer, faire des allers-retours. Cela ne se fait pas aussi vite. Par conséquent, j’ai peur que tout ce ne soit qu’un leurre. Je pense qu’au travers d’internet on fait un tri, et nous ne sommes jamais sincères. Être sincère c’est très long, l’ajustement des mots n’est pas une chose rapide.


    J’ai envie de vous faire comprendre qui je suis, quel est vraiment mon motif etc. Je ne vais pas faire cela en 5 minutes. Il ne faut pas oublier l’amour dans tout ça. L’amitié aussi est magnifique. Elle a la capacité de dire à quelqu’un autre chose que ce que l’on dit aux autres, non pas pour le cacher, mais pour tourner autour de la réalité.


    Je suis en train d’écrire mon prochain livre et pour être sincère justement, cela m’oblige à relire Proust. Proust est un bel exemple de quelqu’un qui tourne autour d’une idée sans arriver à bien la définir, parce qu’il est sincère...il arrive peu à peu à pénétrer dans sa propre pensée, mais c’est long. Avec internet, Proust écrit tout ça en 5 minutes et ainsi on ne sait rien de lui...


    L’important, ce sont les rencontres, mais les vraies. Celles où nous aurons ensemble certains réflexes, certaines réactions.

    Alternatives Paloises - Et que pensez-vous du site internet WikiLeaks ayant fait polémique par le fait qu’il diffuse des documents diplomatiques ?
    Albert JACQUARD - Cela m’a fait sourire, même si je ne l’aurais pas fait à la place de ces gens. Cela au moins a permis à des gens d’être sincères sans le savoir.

    Alternatives Paloises - Comment concevez-vous la croissance économique ?
    Albert JACQUARD - C’est une stupidité. Quand j’entends un homme politique de gauche ou de droite me dire « heureusement l‘année prochaine il y aura 3% de croissance » je me dis que soit il est idiot, soit il est menteur.
    Il aurait dû apprendre ce que l’on enseignait au certificat d’études, à la fin de l’école primaire où on nous parlait des « intérêts composés ». On nous expliquait la chose suivante : Tu mets 1 franc à la caisse d’épargne, et l’année suivante tu auras 1,03 puis 1,06 etc. et cela va se multiplier de telle façon que lorsque tu auras 1000 années d’économies, tu auras une fortune fabuleuse. Ce sont les intérêts composés, la croissance exponentielle. Avant, c’était avant un simple exercice de mathématiques. Désormais nous disons aux enfants que grâce à cette croissance, tout ira bien.

    Mais lorsque monsieur Fillon ou madame Aubry nous promettent 3% de croissance pendant un siècle, cela revient à nous promettre de multiplier par 20 nos capacités de consommation, ce qui est absurde. Heureusement pour la planète.


    La croissance n’a de contenu que si elle ne concerne, non pas des biens que l’on consomme et qu’on détruit, mais des biens qui peuvent être développés à l’infini comme l’amitié, la compréhension, le rapprochement entre les gens etc.

    Alternatives Paloises - C’est en ce sens que vous avez abordé à plusieurs reprises la notion de décroissance soutenable ?
    Albert JACQUARD -En effet, il faut très vite décroître, ceux qui sont au sommet en tous cas. Pour nous, les occidentaux, il s’agit d’avoir très vite une décroissance de 1 à 3%.Evidemment on ne peut demander cela aux peuples du Bengladesh, mais de notre côté, une croissance de 3% serait insoutenable.Malgré cela nous continuons les incantations à la croissance.

    Il faut que les jeunes en aient conscience, qu’ils sachent qu’en étant bon en marketing, en sachant créer des besoins, on ne leur donnera pas la légion d’honneur car ils sont un danger public.
    Dans l’immédiat ils font le bénéfice de l’entreprise, de l’Etat, mais globalement ils nous entraînent vers une catastrophe.

    Alternatives Paloises - Aujourd’hui on se tourne de moins en moins vers les hommes politiques, alors selon vous, vers qui pouvons-nous nous tourner ?
    Albert JACQUARD - Je vais vous répondre très clairement : vers ceux dont le métier est d’être lucide. Je parle évidemment des scientifiques. Ce sont des gens qui ont appris à raisonner, et même si la plupart d’entre eux l’oublie, leur vrai rôle est d’apporter de la lucidité.
    



    Alternatives Paloises - Pour terminer, une question pratique : Comment fait-on pour changer le Monde ?
    Albert JACQUARD - Alors tout d’abord il faut faire attention aux mots que l’on emploie : ce n’est pas le Monde qu’il faut changer, c’est l’humanité. Le Monde, on ne peut pas le définir. Par contre, si je veux changer l’humanité, cela dépend de moi. Et, je suis en train de la changer, chaque fois que je fais un discours. Tout le monde peut le faire autour de soi.


    Par conséquent ce qu’il faut, c’est essayer d’imaginer une humanité meilleure, et commencer à la réaliser. Voilà une possibilité.
    On s’est donné des moyens d’efficacité extraordinaires pour communiquer avec le monde entier de manière instantanée, profitons-en de manière raisonnable. Je vous parlais du marketing qui est une incohérence. Débusquer les incohérences est une chose nécessaire.

    - propos recueillis par Clémence LEGRAND et Nicolas PONCATO
    élèves à l’ESC Pau

     Source : Alternatives-paloises.com

     

    Des mots simples, intemporels pour une réflexion actuelle

     
    Albert Jacquard laisse derrière lui de nombreux ouvrages. Les mots du philosophe résonnent comme l’écho d’une certaine vérité qui tente de nous tenir éveillés.

    [Citations]

    « Idéalement, tout comportement devrait résulter d'une décision personnelle prise après une analyse lucide. Suivre un exemple, c'est se défausser d'une responsabilité sur un autre. Donner l'exemple en proposant à l'autre de suivre cet exemple, c'est l'encourager à une irresponsabilité. Mieux vaudrait lui demander de mener à son terme sa propre réflexion. »
    (Albert Jacquard, Petite philosophie à l'usage des non-philosophes, p. 58, Éd. Québec-Livres)
     
    « Ceux qui prétendent détenir la vérité sont ceux qui ont abandonné la poursuite du chemin vers elle. La vérité ne se possède pas, elle se cherche. »
    (Albert Jacquard, Petite philosophie à l'usage des non-philosophes,p.205, Éd. Québec-Livres)
     
     « Exprimer une idée est une activité difficile à laquelle il faut s'exercer ; la télé supprime cet exercice ; nous risquons de devenir un peuple de muets, frustrés de leur parole, et qui se défouleront par la violence. »
    (Albert Jacquard, Petite philosophie à l'usage des non-philosophes, p. 18, Éd. Québec-Livres)

    « Plus nous sentons le besoin d'agir, plus nous devons nous efforcer à la réflexion. Plus nous sommes tentés par le confort de la méditation, plus nous devons nous lancer dans l'action. »
    (Albert Jacquard, Petite philosophie à l'usage des non-philosophes, p. 167, Éd. Québec-Livres)

    « Présenter la télévision comme un prolongement des moyens d'information d'autrefois est lui faire beaucoup trop d'honneur. Elle ne succède nullement aux journaux ou aux revues qui décrivaient les faits et proposaient une réflexion à leur propos. Elle a plutôt pris la place des bonimenteurs qui jadis, sur les boulevards, vendaient des poudres miraculeuses, et celle des camelots qui distribuaient des chansons illustrées paraphrasant l'actualité. » 
    (Mon utopie, p.100, Stock, 2006) 

     

     

  • Le régime d’Obama

     

     

    26 septembre 2013

    En vertu d'une pratique bien ancrée, les gouvernements opposés à la domination nord-américaine sont automatiquement qualifiés de « régimes » par les grands médias de communication, par les intellectuels colonisés de seconde zone et par ceux que le grand dramaturge espagnol Alfonso Sastre appelle les intellectuels bien-pensants. En sciences politiques, le terme « régime » a pris une connotation foncièrement négative, dont il était dépourvu à l'origine. Jusqu'au milieu du XXe siècle, on parlait d'un régime féodal, d'un régime monarchique ou d'un régime démocratique pour se référer à l'ensemble de lois, d'institutions et de traditions politiques et culturelles caractéristiques d'un système politique. Or, avec la Guerre froide, puis avec la contre-révolution néoconservatrice, le vocable a acquis un tout autre sens. Actuellement, il est utilisé pour stigmatiser des gouvernements ou des États qui refusent de se plier aux diktats de Washington et auxquels sont collées les étiquettes dépréciatives d'« autoritaire », voire de « tyrannies sanglantes ».

     

     

    Toutefois, sans être particulièrement éclairé, on peut constater l'existence d'États manifestement despotiques que les chantres de la droite n'auraient jamais l'idée de qualifier de "régimes". Qui plus est, la conjoncture actuelle voit apparaître une pléthore d'analystes et de journalistes (dont quelques "progressistes" un tant soit peu distraits) qui ne répugnent nullement à employer le langage établi par l'empire. Dans leur bouche ou sous leur plume, il n'y a pas de gouvernement syrien, mais le "régime de Bachar el-Assad". 

    La même dépréciation s'opère avec les pays bolivariens : au Venezuela, c'est le régime chaviste, en Équateur, le régime de Correa et la Bolivie subit les caprices du régime d'Evo Morales. Le fait que dans ces trois pays ont émergé des institutions ainsi que des formes de participation populaires et de fonctionnement démocratiques supérieurs à celles que connaissent les États-Unis et la grande majorité des pays du monde capitaliste développé est soigneusement passé sous silence. Comme il ne s'agit pas de pays amis des Etats-Unis, leur système politique ne peut être autre qu'un régime.

    L'application de deux poids, deux mesures est manifeste. Les monarchies pétrolières du Golfe, pourtant autrement plus despotiques et brutales que le "régime" syrien, ne se verraient jamais affublées de ce terme. On parle du gouvernement d'Abdul Aziz ibn Abdillah, jamais du régime saoudien, même si l'Arabie saoudite ne dispose pas de parlement, mais d'une simple "Assemblée constitutive", formée d'amis et de parents du monarque, que les partis politiques membres sont expressément interdits et que la gouvernance est exercée par une dynastie qui occupe le pouvoir depuis des décennies.

    Le Qatar présente exactement le même tableau, sans pour autant que le New York Times ou les médias hégémoniques d'Amérique latine et des Caraïbes évoquent le "régime saoudien" ou le "régime qatari". Par contre, le gouvernement de la Syrie – un État pourtant laïque au sein duquel cohabitaient encore récemment plusieurs religions, où existent des partis politiques reconnus légalement et doté d'un congrès monocaméral comprenant une représentation de l'opposition – est taxé de régime. Personne ne le débarrasse de cette étiquette.

    En d'autres termes : un gouvernement ami, allié ou client des États-Unis peut être le pire oppresseur ou commettre les violations des droits de l'homme les plus graves, jamais il ne sera qualifié de régime par l'appareil de propagande du système. À l'inverse, ce terme est systématiquement appliqué aux gouvernements de pays tels que l'Iran, Cuba, le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua, l'Équateur et j'en passe. [1]

    Pour constater cette tergiversation idéologique, il n'y a qu'à voir comment les journalistes de droite désignent le gouvernement américain, qu'ils considèrent comme le nec plus ultra de la réalisation démocratique. Pourtant, l'ancien président James Carter a lui-même dit que dans son pays, il n'y avait pas de démocratie qui fonctionne. Ce qu'il y a, c'est un État policier très habilement dissimulé, qui exerce une surveillance permanente et illégale sur ses citoyens, et dont la principale réalisation des trente dernières années a été de permettre que 1% de la population s'enrichisse comme jamais auparavant, au détriment de 90% de la population. 

    Dans la même ligne critique vis-à-vis de cette cynique ploutocratie que sont les Etats-Unis, le philosophe politique Sheldon Wolin a défini le régime politique de son pays comme étant un "totalitarisme inversé". Selon lui, il s'agit "d'un phénomène qui (…) représente fondamentalement la maturité politique du pouvoir corporatif et de la démobilisation politique des citoyens” [2], à savoir la consolidation de la domination bourgeoise dans les principales situations d'oligopole et la désactivation politique des masses, ce qui provoque une apathie politique, l'abandon de la vie publique – et le dédain à son égard – ainsi que la fuite en avant dans l'approche privatiste vers une consommation effrénée soutenue par un endettement encore plus endiablé.

    Le résultat : un régime totalitaire d'un genre nouveau, une démocratie particulière, en somme, sans citoyens ni institutions, dans laquelle le poids faramineux de l'establishment vide de tout contenu le discours et les institutions de la démocratie pour en faire une pauvre mascarade et les rendre absolument impropre à garantir la souveraineté populaire ou à concrétiser la vieille formule d'Abraham Lincoln définissant la démocratie come "le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple".

    Par la magie de la gigantesque opération de falsification du langage, l'État américain est considérée comme une "administration", soit une organisation qui gère en toute transparence, impartialité et dans le respect de l'état de droit les affaires publiques en fonction de règles et de normes clairement établies. En réalité, comme l'affirme Noam Chomsky, rien de tout cela n'est vrai.

    Les États-Unis constituent un État voyou qui viole comme nu autre le droit international ainsi que certains des droits et des lois les plus importants du pays. Au niveau national, les révélations récentes à propos des pratiques d'espionnage usitées par la NSA et d'autres agences contre la population américaine le prouvent, sans parler des atrocités perpétrées quotidiennement dans la prison de Guantánamo, ni du fléau chronique du racisme [3].

    Par conséquent, je propose que nous ouvrions un nouveau front dans la lutte idéologique et qu'à compter d'aujourd'hui, nous désignions le gouvernement américain par les termes "régime d'Obama" ou "régime de la Maison-Blanche". Il s'agira d'un acte de justice, qui aura également pour effet d'améliorer notre capacité d'analyse et d'assainir le langage de la politique, contaminé et perverti par l'industrie culturelle de l'empire et par sa prolifique fabrique à mensonges.

    Traduction : Collectif Investig'Action

    Source : Atilio Boron

    Notes : 

    [1] Aux États-Unis, cette dualité de critères moraux a une longue histoire. Rappelons-nous la réponse du Président Franklin D. Roosevelt face à des membres du parti démocrate horrifiés par la brutalité des politiques répressives adoptées par Anastasio Somoza au Nicaragua : "Oui, c'est un fils de pute, mais c'est notre fils de pute". L'appellation pourrait s'appliquer aux monarques de l'Arabie saoudite et du Qatar, entre autres. Par contre, Bachar Al Assad n'est pas leur fils de pute, ce qui vaut à son gouvernement le qualificatif de "régime".

    [2] Cf. Democracia Sociedad Anónima (Buenos Aires : Katz Editores, 2008) p. 3

    [3] Pour en savoir davantage sur la violation systématique des droits de l'homme par le gouvernement américain, ou par le "régime" américain, voir : Atilio A. Boron et Andrea Vlahusic, El lado oscuro del imperio. La violación de los derechos humanos por Estados Unidos (Buenos Aires : Ediciones Luxemburg, 2009)

    Barack Obama Démocratie de façade NSA


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  • Arabie Saoudite : Le silence blanc

     

    Arabie Saoudite : Le silence blanc et un cocktail de wahhabisme et de pétrole

    28 septembre 2013

    Jack London disait : « Alors que le silence de l’obscurité est protecteur, le silence blanc - à la lumière du jour -, est terrifiant ». Ainsi se meuvent les cheiks d’Arabie Saoudite de par le monde, furtivement. Couverts par la complicité de la presse « démocratique » de l’Occident qui, se gardant bien de porter préjudice à l’image de ce régime de terreur comparé auquel les autres dictatures de la région ressemblent à de pures démocraties, occulte tout simplement ce qu’il s’y passe. Par exemple : en mai dernier, cinq Yéménites accusés de « sodomie » ont été décapités et crucifiés par le gouvernement. Les attaques perpétrées par plusieurs individus contre des homosexuels en Russie avaient pourtant fait la Une pendant des jours.

    Contrats de ventes d’armes et odeur du pétrole à bas prix, entre autres, contribuent à désactiver la « moralité » des défenseurs des Droits de l’Homme. Forçant le président des USA, Barak Obama lui-même, à une révérence, presque un agenouillement face au monarque saoudien.

    L’Arabie Saoudite élargit son pouvoir et sa zone d’influence. En plus d’utiliser l’argument du pétrole, elle exporte à grande échelle le wahhabisme, de surcroît takfiri : non seulement il considère comme des ennemis de l’Islam tous les non-musulmans - même les pratiquants des autres religions du Livre - mais il considère comme « infidèles » les autres musulmans et appelle au Jihad, dans son sens guerrier, afin de les guider vers le bon chemin. En utilisant les attraits du fameux « gagner le butin dans ce monde et le Ciel dans l’autre » utilisé par les premiers conquérants arabes, les wahhabites takfiris ignorent l’avertissement du Coran (14 :4) qui affirme : « Et Nous n'avons envoyé de Messager qu'avec la langue de son peuple, afin de les éclairer. » Ainsi Il « envoya » Moïse pour les juifs, Zarathushtra pour les perses et Mahomet pour les arabes. Alors pourquoi Riad envoie-t-il en Afghanistan, en Tchétchénie ou en Europe des wahhabites arabes propager des ordonnances élaborées par et pour des sociétés tribales de la péninsule arabique il y a quatorze siècles ?

    Protégés par les pétrodollars et la force militaire des Etats-Unis, les leaders saoudiens, non seulement affirment être les représentants d’Allah sur Terre, mais de surcroît transfèrent leur agenda politique au monde entier, provoquant tensions et chaos en terres lointaines, renversant des gouvernements non-alignés et réprimant des soulèvements populaires : Afghanistan, Tchétchénie, Bahreïn, Irak, Lybie, Egypte et à présent, Syrie.

    Ce pays, qui porte le nom de la famille qui le gouverne comme s’il s’agissait de son fief privé, exhibe sur son drapeau l’image d’une arme, une épée. Toute une déclaration d’intentions basée sur certains principes au nom desquels on tranche les têtes des dissidents politiques, assassins, sorciers et autres jeteurs de sorts.

    La théocratie octogénaire saoudienne a une vision du monde profondément irrationnelle, un regard moyenâgeux très particulier sur le concept d’Etat, le pouvoir et la sécurité nationale. Elle abuse de l’emploi de la force et de l’arbitraire pour imposer sa volonté. Elle ignore le rôle de la société civile en politique, et elle est incapable d’élaborer un projet régional viable et en accord avec les droits humains.

    Obsédés par l’Iran

    Ryad considère l’Iran comme son principal ennemi. Son intervention en Syrie est motivée par la volonté de « rompre le croissant chiite ». Il serait erroné d’exprimer cette poussée de conflits en terme d’arabo-perse ou sunnite-chiite. Les dirigeants religieux iraniens ne sont pas nationalistes mais plutôt « Pan-islamistes » et étendent leur zone d’influence dans le but d’acquérir une sécurité stratégique.

    Le scénario actuellement en cours au Proche-Orient infirme totalement la pseudo-théorie du « choc des civilisations » de Samuel Huntington : elle ne saurait expliquer comment une Arabie Saoudite musulmane s’allie à un Israël juif et à des Etats-Unis chrétiens pour détruire les musulmans syriens. Ni comment elle a participé à la destruction de l’Irak, de la Lybie et de la Syrie, trois Etats arabes.

    L’Arabie Saoudite et Israël n’ont pas pardonné aux Etats-Unis d’avoir cédé le pouvoir aux chiites pro-iraniens en Irak. Les attentats qui ôtent quotidiennement la vie à une centaine d’Irakiens sont le reflet de la bataille menée par ces trois pays pour s’approprier les ressources de l’Irak.

    Ryad est déjà parvenu il y a longtemps à ce que les médias éliminent le terme « persique » du golfe qui porte ce nom depuis 2.500 ans - le substituant par « (guerre du) Golfe » ou encore « golfe arabique » (si le Pakistan était un état riche, il aurait donné son nom à l’Océan indien !). A présent, le gouvernement saoudien tente de réduire le pouvoir de l’Iran en envoyant une partie de son pétrole par la Mer rouge, évitant ainsi le détroit d’Ormuz. Il ne lésine pas non plus sur les efforts pour se rapprocher de la minorité arabe iranienne - discriminée par Téhéran- qui peuple la pétrolifère province du Zhousistan, dans le golfe persique.

    L’Arabie Saoudite, qui est en train de perdre en Syrie, bien qu’elle ait gagné au Yémen, en Lybie et en Egypte pourrait avoir à essuyer un coup dur : que la République Islamique parvienne à un accord avec les Etats-Unis : mettre fin à son programme nucléaire et ôter son soutien à Bashar al Assad en échange de garanties de ne pas être attaquée par Israël.

    Les angoisses des Etats-Unis

    En plus des trois piliers de l’influence saoudienne aux Etats-Unis : le secteur financier, le pétrole et l’industrie militaire, il faut compter des organisations comme la Ligue Musulmane Mondiale, le Conseil des relations Americano-Islamiques, la Société Islamique d’Amérique de Nord, l’Association des Etudiants Musulmans (notamment), qui convergent autour de l’objectif d’affaiblir l’Islam modéré. Mais la Maison Blanche n’en a que faire. Les investissements saoudiens atteignent les six milliards de dollars, sans compter le retour de l’argent de la vente du pétrole aux entreprises d’armement étasuniennes.

    L’OTAN a invité l’Arabie Saoudite à intégrer sa structure. Dans le même temps, Obama a signé avec Al Saud une vente d’arme d’une valeur de 67 milliards de dollars, le plus important accord de vente d’arme entre deux états de l’histoire.

    Bien que le vieux pacte « pétrole à bas prix contre protection militaire » soit toujours en vigueur entre les deux parties, il se pourrait que la convergence d’intérêts touche à sa fin. La Maison Blanche est inquiète de la situation interne de son seul allié stable dans la région pour plusieurs raisons :

    1. Le poids croissant de la faction pan-arabiste au sein de la maison Saoud, une fraction qui considère les Etats-Unis, Israël et l’Iran comme ses principaux ennemis. Cette faction était déjà parvenue à faire expulser les troupes nord-américaines de la terre de Mahomet. De même, la révélation de l’existence d’une base secrète de drones dans ce pays, filtrée par la presse US, bien qu’ayant pour but d’intimider l’Iran, a mis Ryad dans une situation délicate.

    2. L’appui d’un certain secteur de la maison Saud au terrorisme anti-USA.

    3. Le fait que le régime ait refusé de dissocier l’Etat et la famille royale et de prendre ses distances avec le wahhabisme.

    4. Que le régime ignore l’urgence de mettre en place des réformes politiques, comme d’introduire le suffrage universel, créer des partis politiques tout en restant une dictature. La pauvreté touche des millions de personnes, obtenir un crédit immobilier implique des années sur une liste d’attente et l’atmosphère de terreur asphyxie toute tentative de progrès. 

    5. L’incertitude du résultat de la lutte pour la succession du roi Abdallah de 89 ans, malade, dont l’héritier, le prince Salman, de 78, souffre également d’ennuis de santé propres à son âge. Les quarante fils mâles du monarque sont à l’affût.

    6. Une opposition faible et fragmentée qui complique la situation, ainsi que le manque d’expérience du peuple pour se mobiliser. Les dix fondateurs du parti politique islamiste Umma, qui en ont réclamé la légalisation ont été arrêtés : ils exigeaient la fin de la monarchie absolue. Il en fût de même, il y a quelques années, pour les dirigeants du parti communiste.

    La mort de la poule aux œufs d’or ?

    Au ralentissement de la croissance économique de 5,1% généré par les prix élevés de l’or noir en 2012, il faut ajouter la diminution de la capacité du pays en production de pétrole brut. De plus, la population est passée de 6 millions de personnes en 1970 à 29 millions actuellement, augmentant donc considérablement la demande en énergie. Il est à craindre qu’à partir de 2028, l’Arabie Saoudite soit contrainte d’importer du pétrole. Ryad a maintenu jusqu’à présent des prix bas dans le but d’empêcher les investissements publics en énergies alternatives dans les pays consommateurs. Mais à présent elle n’a plus d’autre choix que de les augmenter.

    Il s’agit d’une économie fragile, mono-productrice et d’un pays soumis à la corruption où l’on manque d’eau potable et d’électricité même dans la capitale. Un pays qui, malgré les gains pétroliers - quelques 300 milliards de dollars en 2011, sans compter les bénéfices du « tourisme religieux » de millions de musulmans à La Mecque -, doit faire soigner son propre chef d’Etat dans un hôpital du Maroc. Pendant qu’on planifie la construction d’une station de métro aux murs d’or et d’argent...

    Il faut aussi relever qu’alors que Kadhafi convertissait le désert libyen en verger en construisant un fleuve artificiel de 4.000 kilomètres de long, le régime saoudien spoliait les terres fertiles et les eaux africaines : Egypte, Sénégal et delta du Mali, afin de s’approvisionner en aliments.

    Les cheiks ont à présent affaire à une société jeune, qui commence à être contestataire, qui souhaite en finir avec les vêtements « blanc et noir ». Les femmes surtout veulent se libérer du vêtement de deuil obligatoire et cesser d’être considérées comme des mineures toute leur vie, constamment dépendantes d’un tuteur mâle.

    Les Saoudiens, malgré le fait de financer le « dialogue des civilisations » : réunion de leaders religieux pour consolider leurs alliances dans le but de faire obstacle à la laïcisation et au progrès dans leurs sociétés, malgré le fait d’interdire sur leur territoire toute activité religieuse non wahhabite, ont obtenu du gouvernement espagnol l’ouverture d’une succursale du Centre Roi Abdallah Ban Abdulaziz pour le Dialogue Interreligieux et interculturel.

    « Cela n’a rien de personnel, c’est du business » dirait le Parrain.

    Nazanin Armanian est une écrivaine d’origine iranienne qui habite en Espagne depuis 1983. Elle donne des cours en ligne sur le monde arabe à l'Université de Barcelone depuis 2008 et publie un article tous les dimanches sur blogs.publico.es/puntoyseguido/. Armanian a publié 15 livres en espagnol, dont « Iran : la revolucion constante » (2012), « El Islam sin velo » (2010) et « Al gusto persa : tradiciones y ritos iranies » (2007).