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  • Concernant la Syrie

    Remarques éthiques concernant la Syrie

    La conférence de Genève 2 est dans l’impasse car l’opposition armée, soutenue par l’Arabie saoudite, pose comme condition préalable à sa participationl’abdication du président Bachar el-Assad. C’est dans ce contexte que les pères provinciaux de la Compagnie de Jésus rappellent des points élémentaires que les gouvernements occidentaux semblent avoir oubliés.

     | ROME (ITALIE) | 4 NOVEMBRE 2013 
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    Nous les Provinciaux Jésuites, en tant que Supérieurs majeurs de la Compagnie de Jésus au Proche-Orient et en Europe, accueillons chaleureusement la récente déclaration du Saint-Père sur la Syrie. De toutes ses forces, il a alerté l’opinion internationale sur la tragédie syrienne et a demandé aux « parties en conflit d’écouter la voix de leur conscience et de ne pas s’enfermer dans leurs propres intérêts ». Avec lui, nous déclarons aussi que « ce n’est jamais l’usage de la violence qui conduit à la paix » [1], mais que la seule voie pour la paix se trouve dans la culture de la rencontre et du dialogue.

    Des pas vers la paix

    Nous nous réjouissons que la menace d’attaques aériennes contre la Syrie ait cessé et nous soutenons le lancement du processus qui vise à la destruction de toutes les armes chimiques trouvées sur le sol syrien. Nous soutenons les négociations entreprises pour convoquer une conférence de paix pour la Syrie et nous souhaitons fortement que ce processus de paix avance rapidement, courageusement et fermement. Nous demandons à toutes les parties en conflit, aussi bien qu’à la communauté internationale, 
    - de rechercher de façon urgente un cessez-le-feu garanti par une autorité internationale ; 
    - d’établir une feuille de route pour préparer la réunion de toutes les parties prenantes du conflit ; 
    - de réunir une conférence de paix pour trouver un accord commun qui puisse sauvegarder les vies des Syriens.

    Mobilisation sociale et civile

    En même temps, nous appelons de nouveau à la mobilisation de tous les organismes civils et sociaux afin d’aider la population syrienne qui doit faire face à l’une des plus grandes tragédies humanitaires de notre siècle. L’assistance aux réfugiés à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du pays (environ un quart de la population), le besoin de nourriture, de médicaments et de soins, la libération des détenus et des otages et la réouverture des institutions d’éducation, continuent d’être des besoins urgents.

    Intérêts en jeu

    Nous souhaitons aussi attirer l’attention sur la nécessité de reconnaître et de nommer les intérêts réels qui sont en jeu, à la fois localement, régionalement et internationalement, et qui malheureusement ne correspondent pas toujours aux intérêts du peuple syrien. En particulier, nous appelons à une réflexion sur les conséquences de la production et de la vente d’armes ; nous appelons à la cessation des livraisons et des ventes d’armes à toutes les parties en conflit.

    Discernement nécessaire

    Nous invitons la communauté internationale au refus de tout soutien, qu’il soit diplomatique ou militaire, de toute partie en présence qui préconise ouvertement quelque forme que ce soit de violence, de fanatisme ou d’extrémisme. Le respect de la dignité de la personne humaine aussi bien que de ses droits devrait constituer un préliminaire pour toute aide matérielle et un critère incontournable.

    Les communautés chrétiennes en Syrie

    Enfin, nous attirons particulièrement l’attention sur le sort des communautés chrétiennes vivant en Syrie. Présentes sur place depuis le commencement de l’ère chrétienne, ces communautés constituent un élément inséparable de son tissu social et de sa richesse culturelle ; elles contribuent aussi activement à son développement. Les solutions préconisant l’exil ou l’élimination de ces communautés sont inacceptables. Nous voulons encourager ces communautés chrétiennes et leur assurer qu’elles peuvent jouer un rôle important dans leurs sociétés à travers leur témoignage fidèle à l’Évangile : un Évangile qui appelle à la paix, à la justice, au pardon, à la compréhension mutuelle et à la réconciliation.

  • Monsanto :Ravages dans son sillage

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    Monsanto a réussi à prendre le contrôle de la production du coton en Inde avec l’appui de gouvernements soumis, néo-libéraux et aujourd’hui 90% de la production dépend des semences et des poisons. Ce qui a entraîné une destruction du mode paysan de production du coton et l’endettement généralisé des producteurs. La conjonction de l’usage de produits toxiques qui ont mené à la dépression et à la honte de la dette, ont poussé depuis 1995 284.000 paysans indiens au suicide. Un véritable génocide occulté par les grands médias du monde entier et dont le coupable principal est l’entreprise privée Monsanto.

     

    C’est pour près de 3000 personnes que la célèbre scientifique indienne Vandana Shiva a réalisé un exposé d’une heure et a répondu aux questions, ouvrant la IIIème journée internationale d’agro-écologie à Botucatu, Brésil, l’après-midi du 31 juillet 2013.

    Vandana Shiva a commencé par raconter sa vie d’étudiante en biologie et en physique quantique à l’université, aliénée par rapport aux réalités du monde, jusqu’au choc que signifia pour elle le tragique accident survenu dans l’usine états-unienne de pesticides Union Carbide, installée à Bhopal qui causa la mort de 35 mille indiens, il y a trente ans. A partir de là, elle s’est convertie à la cause du peuple et n’a cessé d’enquêter sur les activités des entreprises transnationales dans l’agriculture. 

    Elle est aujourd’hui considérée comme une des principales scientifiques et chercheuses en matière des atteintes à la santé et de la destruction de la biodiversité que les OGM et les produits agro-toxiques des entreprises transnationales causent dans le monde entier.

    Elle est repartie des conséquences de la “révolution verte” des années 60, que le gouvernement des États-Unis imposa à son aire d’influence comme moyen de vendre plus de produits agro-chimiques et plus de marchandises agricoles, subjuguant la paysannerie de tous ces pays. Résultat : 65% de toute la biodiversité et des ressources en eau douce mondiale ont été polluées par les agro-toxiques. Des études montrent que 40% de l’effet de serre qui affecte le climat planétaire est causé par l’usage excessif et non nécessaire de fertilisants agricoles chimiques. Dans de nombreuses régions d’Europe, à la suite de la mortalité et de la disparition des abeilles, la productivité agricole a déjà chuté de 30%. Vandana Shiva a rappelé que si nous nous calculions les préjudices et les coûts nécessaires pour rétablir la biodiversité, rééquilibrer l’environnement et remédier aux dégâts climatiques, le montant en dollars dépasserait le chiffre d’affaires de la vente de biens par les entreprises.

    En ce qui concerne l’action des entreprises transnationales qui opèrent dans l’agriculture – Monsanto, Bungue, Syngenta, Cargill – Vandana explique qu’elles contrôlent la production et le commerce mondial de la soja, du maïs, du colza et du blé, martelant via la publicité que l’humanité dépend des aliments produits par l’agro-business. En réalité l’humanité se nourrit de centaines d’autres végétaux et sources de protéines qu’elles écartent et n’ont pas encore pu contrôler. 

    Pour la chercheuse “ces entreprises qui promeuvent les OGM n’ont rien inventé et n’ont rien développé. La seule chose qu’elles ont faite fut d’opérer des mutations génétiques qui existent dans la nature pour rentabiliser la vente de leurs produits agro-toxiques.

    Elle a expliqué que Monsanto a réussi à prendre le contrôle de la production du coton en Inde avec l’appui de gouvernements soumis, néo-libéraux et qu’aujourd’hui 90% de la production dépend des semences et des poisons. Ce qui a entraîné une destruction du mode paysan de production du coton et l’endettement généralisé des producteurs. La conjonction de l’usage de produits toxiques qui ont mené à la dépression et à la honte de la dette, ont poussé depuis 1995 284.000 paysans indiens au suicide. Un véritable génocide occulté par les grands médias du monde entier et dont le coupable principal est l’entreprise privée Monsanto.

    Malgré tout ce sacrifice en vies humaines, Monsanto reçoit dans son pays 200 millions de dollars annuels, perçoit des royalties pour l’usage de semences génétiquement modifiées de coton.

    La critique du modèle de l’agro-business en général

    Le modèle de l’agro-business n’est qu’une forme de s’approprier les bénéfices des biens agricoles mais il ne résout pas les problèmes du peuple. La preuve : en augmentant beaucoup la production, nous pourrions alimenter 12 milliards de personnes alors qu’aujourd’hui nous avons un milliard de personnes qui souffrent de la faim quotidiennement, 500 millions d’entre elles étant des paysans qui ont vu leur système de production d’aliments détruit par l’agro-business. 

    Les produits agricoles sont de simples marchandises, plus des aliments. 70 % des aliments dans le monde restent produits par les paysans. Nous devons comprendre que les aliments sont la synthèse de l’énergie nécessaire aux êtres humains pour survivre à partir du milieu où ils vivent, recueillant cette énergie de la fertilité et de l’environnement. Plus grande la biodiversité naturelle, plus grand le nombre de sources nutritives et plus saine pour les humains l’alimentation produite dans cette région. L’agro-business a détruit la biodiversité et les sources d’énergie véritables.

    Les entreprises utilisent le fétiche de la publicité des techniques modernes de la bio-technologie utilisées pour augmenter la productivité des plantes. Mais ce n’est qu’un hameçon : quand on fait des recherches sur ces bio-technologies on se heurte au secret. Dans le fond elles ne sont que des mécanismes pour augmenter la rentabilité des grandes plantations ; l’agriculture industrielle est la standardisation de la connaissance, la négation de la connaissance de l’art de cultiver la terre. La vraie connaissance est développée par les agriculteurs eux-mêmes et par les chercheurs dans chaque région, dans chaque biome, pour chaque plante.

    Le modèle de l’agro-business veut transformer les personnes en « consommateurs » de leurs produits. Nous devons combattre l’usage et le réductionnisme du terme “consommateurs”, pour utiliser l’expression "êtres humains" ou personnes qui ont besoin de vie saine. Le consommateur est une réduction subalterne de l’être humain.

    Les entreprises de l’agro-business disent qu’elles incarnent ledéveloppement et le progrès, qu’elles contrôlent 58% de toute la production agricole mondiale, mais en fait elles ne donnent du travail qu’à 3% des personnes vivant dans le monde rural. C’est donc un système anti-social.

    La scientifique indienne a révélé qu’elle fait partie d’um groupe de 300 autres chercheurs internationaux qui se sont consacrés à étudier l’agriculture pendant trois années intensives et ont démontré que ni la révolution verte des États-Unis ni l’usage intensif des semences transgéniques et des produits agro-chimiques ne peuvent résoudre les problèmes de l’agriculture et de l’alimentation mondiales. Seule peut le faire la récupération des pratiques agro-écologiques em harmonie avec la biodiversité, partout sur la planète.

    Elle a conclu sa critique du modèle de l’agro-business en montrant comment son projet génère la destruction, la peur, parce qu’ il est basé sur la concentration et l’exclusion. C’est pour cela que les entreprises procèdent à l’intimidation ou à la cooptation des scientifiques qui s’opposent à elles.

    La solution : l’agro-écologie.

    Le modèle agro-écologique est le seul qui permette de développer des techniques accroissant la productivité et la production sans destruction de la biodiversité. L’agro-écologie est la seule forme de créer de l’emploi et des formes de vie saines pour que la population puisse vivre en milieu rural sans être contrainte de se marginaliser dans les villes.

    Surtout, les méthodes agro-écologiques sont les seules qui permettent la production d’aliments sains, sans poisons.

    6 recommandations aux jeunes étudiants en agro-écologie et aux producteurs agricoles.

     

    1. La base de l’agro-écologie est la préservation et la mise en valeur des sources nutritives existantes dans le sol – en cela elle s’est référée à une autre scientique présente à cette rencontre et qu’elle a écoutée attentivement – la professeure Ana Maria Primavesi. Nous devons appliquer des techniques qui garantissent la santé du sol et de cette santé recueillir les fruits en termes d’énergie saine.

     

    2. Stimuler et promouvoir le contrôle des semences par les agriculteurs. Les semences sont la garantie de la vie. Nous ne pouvons permettre que des entreprises privées, transnationales, les transforment en marchandises. Les semences sont un patrimoine de l’humanité.

     

    3. Nous devons lier l’agro-écologie à la production d’aliments sains qui garantissent la santé et peuvent ainsi conquérir les cœurs et les esprits des habitants des villes comme des zones rurales, de plus en plus empoisonnés par les marchandises traitées par les agro-toxiques (multiplication de cancers depuis quarante ans). Si nous lions les aliments à la santé des personnes, nous gagnerons des millions des habitants des villes à notre cause.

     

    4. Nous devons transformer les territoires sous contrôle des paysans en véritables sanctuaires de semences, d’arbres sains, de cultures de la biodiversité, d’élevage d’abeilles, de diversité agricole.

     

    5. Nous devons défendre l’idée, qui fait partie de la démocratie, de la liberté des personnes de choisir les aliments. Les produits de référence ne peuvent pas se réduire à ceux que les entreprises décident de mettre dans les rayons.

     

    6. Nous devons lutter pour que les gouvernements cessent d’utiliser des fonds publics qui appartiennent à l’ensemble des citoyens, pour les transférer en subventions aux grands propriétaires et entrepreneurs de l’agro-industrie. C’est ce qui se passe dans le monde entier et aussi en Inde. Le modèle de l’agro-business ne survivrait pas sans ces subventions et sans les avantages fiscaux offerts par les gouvernements qui les garantissent.

     

     

     

    En Inde, rappelle Vandana Shiva, on a vécu des problèmes majeurs à l’époque du colonialisme anglais. Gandhi a enseigné que la force est de toujours “lutter pour la vérité”. Le capital trompe, ment, pour pouvoir accumuler des richesses. Et la vérité est avec la nature, avec les personnes. S’il existe une volonté politique de réaliser des changements, s’il y a une volonté de produire des aliments sains, il deviendra possible de les cultive.

     

    Source : mouvementsansterre.wordpress.com

     

     

     

     

     

     
  • Les drones américains

    Les drones américains au Moyen-Orient contre le droit international 

    11 novembre 2013

    IA : L'utilisation de drones pour cibler les « terroristes » ne respecte pas les règles du droit international, et encore moins les normes morales qui sont censées d’encadrer les politiques et les pratiques de nos « démocraties » dans le cadre des soi-disant « guerres humanitaires ». Ben Emmerson, Rapporteur Special des Nations Unies, se plonge sur cette question, en analysant la relation entre anti-terrorisme et droits de l’homme. Ce discours concerne le lancement d’une enquête internationale sur l’impact de l’utilisation de ces machines de mort et autres formes d’élimination programmée à distance sur les civils et sur les droits de l’homme, à l’occasion des actions d’anti-terrorisme et de contre-insurrection. Mais alors, qui provoque la vraie terreur ?

    En Juin de l’année passée, au Conseil des Droits de l’Homme à Genève, un groupe d’états, incluant deux membres permanents du Conseil de Sécurité, ainsi que le Pakistan et un certain nombre d’autres Etats concernés, ont fait une déclaration conjointe demandant de mener une enquête, durant le mandat en cours, sur l’utilisation des drones dans le contexte des opérations anti-terrorisme.
    J’ai déclaré peu après cela que les Etats utilisant cette technologie, ainsi que les Etats qui sont la cible de celle-ci, sont sujets au droit international qui oblige à établir des enquêtes indépendantes et impartiales lorsque quelque attaque d’un drone a selon toute probabilité pu causer des pertes civiles. J’ai aussi indiqué que si ces Etats ne mettaient pas en œuvre des enquêtes suffisamment solides et impartiales, il pourrait s’avérer nécessaire, en dernier recours, que les Nations Unies mènent des enquêtes sur des frappes de drones individuelles.
    L’enquête que je lance aujourd’hui est une réponse directe aux demandes qui m’ont été faites par ces Etats au Conseil des Droits de l’Homme en Juin dernier, ainsi qu’à la préoccupation internationale grandissante au sujet des frappes programmées à distance via l’utilisation des UAVs (Véhicules Aériens sans pilotes, Drones). L’augmentation exponentielle de l’utilisation de la technologie des drones dans une série de contextes militaires et non-militaires représente un défi réel dans le cadre du droit international et c’est à la fois une question de principe, et une réalité politique incontournable, la communauté internationale devrait focaliser son attention sur les standards applicables à ce développement technologique, tout particulièrement son déploiement dans des contextes d’anti-terrorisme et de contre-insurrection, et chercher à atteindre un consensus sur la légalité de son utilisation, et les standards de sauvegardes qui devraient s’y appliquer.
    Le fait est que cette technologie va perdurer, et que son utilisation dans le cadre de conflits est une réalité avec laquelle le monde doit s’accommoder. Il est dès lors impératif de mettre en place des structures opérationnelles appropriées et légales pour réguler son utilisation de telle façon qu’elle respecte les exigences du droit international, y compris les droits de l’homme internationaux, le droit humanitaire international (ou le droit de guerre comme il est couramment appelé), et le droit international des réfugiés.
    Il y a pour l’instant au moins trois théories légales principales en lices pour la primeur sur cette question. Il y a ceux qui considèrent qu’en dehors de situations avérée de conflit armé international, le cadre applicable est le droit de l’homme international, sous lequel il est tout à fait illégal d’engager des frappes programmées à distance sous quelque forme que ce soit. Les standards établis dans l’Alliance des Droits Civils et Politiques, et tout particulièrement les provisions de l’article 6 qui protège le droit à la vie, permet l’utilisation d’une force létale uniquement si c’est strictement nécessaire et dans une optique d’auto-défense immédiate. D’après cette analyse, les Etats désirant passer à l’action contre des éléments suspectés d’être des terroristes et hors du cadre de conflit armé international, doivent d’abord tenter une arrestation, et ensuite utiliser la force létale uniquement si cette personne résiste à l’arrestation et qu’il s’avère strictement nécessaire d’avoir recours à cette solution.
    À l’autre bout de ce spectre d’idées, on retrouve une analyse qui a été promue par les avocats internationaux des Etats Unis, et par John Brennan, nommé à la tête de la CIA par le Président Obama, considère que les démocraties occidentales sont engagées dans un conflit global contre un ennemi sans Etat, sans frontières géographiques sur le terrain, et sans limite de temps. Cette analyse est fortement discutée par la plupart des Etats, et par la majorité des avocats du droit international hors des Etats Unis d’Amérique.
    Une troisième analyse consiste à évaluer si une organisation terroriste est engagée dans un conflit armé interne (ou non-international) contre un gouvernement en particulière, comme les gouvernements du Pakistan, du Yémen et de Somalie ; et ensuite évaluer si et dans quelles circonstances il est légal pour un tierce état d’entrer en guerre dans ce conflit interne armé pour soutenir les forces gouvernementales. Il est clair qu’en termes de droit international, une intervention de la sorte pourrait être légale si elle a lieu sous la demande exprimée par le gouvernement de l’Etat concerné. C’est beaucoup moins évident dans le cas où une nation étrangère comme les Etats Unis utilisent la force militaire sans le consentement de l’Etat concerné.
    Les avocats du droit international sont en désaccord sur la question de savoir si un consentement tacite ou un acquiescement sont suffisants ; ou si le déploiement de la technologie des frappes à distances dans de telles circonstances constitue une violation de la souveraineté de l’Etat dont le territoire en est la cible ; ou si cela pourrait cependant être légal si l’Etat concerné est soit contraire, soit incapable de prendre des mesures contre ces menaces terroristes de la part d’un groupe d’insurrection opérant sur son territoire.
     L’absence d’un consensus sur ces questions très fondamentales de droit international est le centre d’un débat intense aux Nations Unis en ce moment, et sera l’objet d’une série de discussion de haut niveau et de négociations entre Etats et experts dans les années qui viennent, avec pour but de trouver une entente sur ces points de vues fort divergents. La réalité, c’est que le monde est face à un nouveau développement technologique qui n’est pas facilement acceptable dans le cadre légal existant, et aucune des analyses qui ont été émises n’est entièrement satisfaisante ou complète. La situation légale en Afghanistan par exemple, où il y a un conflit armé international reconnu, est très différente de celle des Zones Tribales Administrées Fédéralement au Pakistan, qui est à son tour très différente du Yémen ou du Territoire Palestinien Occupé (OPT). Et même dans un pays comme le Yémen, il pourrait y avoir des zones du pays dans lesquelles certains pourraient voir un conflit armé interne, tandis que dans d’autres zones du pays, ce n’est clairement pas le cas.
    Etant donné la relative facilité avec laquelle cette technologie peut être déployée, et étant donné son coût relativement peu élevé (à la fois économiquement et en termes de risque de vie pour le personnel en service pour l’Etat qui a recours à cette technologie), la question doit désormais être traitée avec fermeté par la communauté internationale. Et par cela, je ne veux pas dire juste un pacte tacite ou vite-fait par des gouvernements derrière des portes closes. Je veux dire que des efforts doivent être faits pour obtenir un consensus parmi les citoyens des gouvernements représentés. Après tout, les Etats qui déploient cette technologie à des fins militaires sont pour la plupart des Etats démocratiques.
    Je voudrais aussi clarifier que ces questions légales ne sont pas confinées à l’usage de drones. En ce qui concerne le droit, elles s’appliquent à toute utilisation de force armée, incluant les avions avec présence humaine et les frappes de missiles pour des éliminations télécommandées. Mais c’est l’usage de ces drones qui a propulsé cette question au sommet de l’agenda international, car ils peuvent être (et l’ont été) utilisés avec une apparente facilité et fréquemment, avec des effets dévastateurs, sans mettre en péril la vie de pilotes. Etant donné que cette technologie est déployée régulièrement sur des cibles qui sont profondément ancrées dans des populations civiles dans des zones tribales du Pakistan et du Yémen par exemple, des voix s’élèvent du fait du taux de risque inacceptable d’avoir des victimes parmi les civils.
    L’objectif central de la présente enquête est de regarder les preuves qui démontrent que des frappes de drones et autres formes de frappes télécommandées à distance ont causé des dommages civils disproportionnés dans certains cas, et d’émettre des recommandations concernant le devoir des Etats de conduire des enquêtes approfondies et impartiales au sujet de ces allégations, avec un égard particulier visant à s’assurer des responsabilités et des remédiations là où les choses sont visiblement allées fortement de travers, avec des conséquences potentiellement graves pour les civils.
    Mon mandat a reçu un nombre conséquent de plaintes se référant à des frappes individuelles, et mon équipe à Genève a commencé à étudier certains incidents.De manière à formuler des recommandations à l’Assemblée Générale à ce propos, j’ai sélectionné une petite équipe d’experts pour m’assister dans ma tâche d’identification des cas où il semble possible que des opérations télécommandées de cette nature aient pu causer des pertes civiles, et à conduire une enquête approfondie sur les preuves disponibles. Nous proposons de nous focaliser sur 25 cas d’études au Pakistan, Yémen, Somalie, Afghanistan, et en Territoire Palestinien Occupé, et d’examiner les preuves en détail en veillant à déterminer si il est plausible que des tueries aient eu lieu en dehors de la loi, ce qui déclencherait obligatoirement une enquête du droit international, qui s’impose à la fois sous la perspective du droit humain international et des droits de l’homme.
    Il n’y a bien sûr pas de substitut aux enquêtes officielles effectives indépendantes par les états concernés. Je n’anticipe pas non plus que cela va résulter dans un dossier de preuves capable de mener directement à l’attribution de responsabilité – criminelle ou civile – légale. Le but de cette enquête est de m’aider à mettre ces allégations plausibles sous le regard des Etats pour une réponse, et de rapporter mes découvertes à l’Assemblée Générale à l’automne 2013, en veillant à faire les recommandations pour d’ultérieures actions au niveau des Nations Unis s’il s’avère que c’est justifié par les découvertes de mon enquête.
    L’enquête sera divisée en trois phases. La première phase, dont la fin est attendue pour fin mai, est le rassemblement de preuves. Durant cette période, mon équipe va travailler avec des avocats, des journalistes et des ONG qui travaillent sur le terrain, ainsi qu’avec des ONG internationales. Je vais aussi consulter directement les Etats concernés via mon bureau à Genève. J’espère mener une série de visites dans des pays incluant le Pakistan, le Yémen et le Sahel. La seconde phase, qui s’étendra de fin mai jusqu’à fin juin, est une phase de consultation durant laquelle je vais recueillir les vues et réponses des Etats concernés à propos des cas d’étude particuliers sur laquelle mon enquête porte. La troisième phase, de fin juin à fin septembre, sera une phase d’évaluation, et d’élaboration de mon rapport final. J’espère présenter mon rapport, ainsi que mes conclusions et recommandations, à l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York en octobre de cette année.
    Je voudrais clarifier que j’approche cette enquête avec un esprit tout à fait ouvert sur les allégations qui ont été portées à mon attention, et que je ne me suis pas encore forgé d’opinion sur les difficiles questions légales qui en dérivent. L’objet de mon mandat est d’établie des faits de manière aussi fiable que possible, gardant à l’esprit les obstacles pratiques significatifs qui existent pour conduire une collecte de preuves fiables sur le terrain au Waziristân, au Yémen, en Afghanistan et en Somalie.
    Cette enquête qui sera coordonnée via le bureau du Rapporteur Spécial de l’Anti-Terrorisme et des Droits de l’Homme à Genève, qui s’occupera de tout engagement avec les Etats Membres des Nations Unies. Par ailleurs, j’ai une équipe ici à Londres qui m’aide à assurer la liaison avec ceux qui ont déjà ou sont toujours en train de mener des enquête sur le terrain. Je peux vous dire que j’ai déjà reçu un volume conséquent d’éléments de preuves pertinentes sous forme de phrases, de photographies ou d’éléments légistes. L’équipe d’enquête qui va m’assister se compose de Abdul-Ghani Al-Iryani, un analyste politique et consultant au développement au Yémen, qui est actuellement leader du Mouvement d’Eveil Démocratique (Democratic Awakening movement), un mouvement politique trans-partisan qui promeut la démocratie et le règne de la loi au Yémen. Dr Nat Cary, un légiste pathologiste de premier ordre avec une expertise spéciale dans l’interprétation des blessures disruptives liées à des explosions : Imtiaz Gul, Directeur Général du Centre Indépendant de Recherche et d’Etudes de Sécurité situé à Islamabad ; le Professeur Sarah Knuckey de la NYU (New York University), co-auteur du rapport « Living Under Drones » ; Lord Macdonald de River Glaven QC, ancien Directeur des Poursuites Judiciaires en Angleterre et au Pays de Galles ; Sir Geoffrey Nice QC, ancien procureur au Tribunal Pénal International pour l’ancienne Yougoslavie, qui a poursuivi Slobodan Milosevic ; Capitaine Jason Wright, Juge-Avocat en service pour l’armée des USA qui assiste l’enquête en sa qualité personnelle ; Justice Shah Jehan Khan Yousafzai, ancien Juge Puiné Senior de la Haute Cour de Peshawar au Pakistan, et Jasmin Zerinini, Ancienne Députée Directeur pour l’Afghanistan et l’Asie du Sud pour le Ministère des Affaires Etrangères de France. Le conseil légal de cette enquête sera basé à Londres. L’équipe d’enquêteurs consultera des experts militaires légistes, ainsi que des experts et des ONG et journalistes du Royaume Uni, des USA et du Pakistan, qui ont une connaissance approfondie de la région et de ses questions sensibles.
    Je travaille aussi en étroite collaboration avec la Forensic Architecture (Architecture Légiste), une organisation qui se spécialise dans la modélisation légiste de conflits militaires dans le but d’établir leur compatibilité avec le Droit Humain International et le Droit Humain.
    De par mes communications initiales avec les Etats concernés, j’ai la sensation optimiste que l’enquête jouira d’une bonne coopération de la part des gouvernements du Pakistan, du Yémen, des Etats Unis et du Royaume Uni.
    Traduit depuis l'anglais par Fabrice Lambert pour Investig'Action

    Droit international Guerre contre le terrorisme 

  • Les drones, nous droguent-ils ?

    Les drones, nous droguent-ils ? Une géostratégie nouvelle mais inquiétante !

    Les militaires se réjouissent et les politiques sont soulagés, alors que les juristes de droit international froncent leurs sourcils et les pacifistes se lamentent ! Voici un résumé des attitudes. Ce phénomène que l’on appelle d’usage militaire, est de plus en plus intensif des avions sans pilotes (aéronefs sans personnel, ou encore autrement dit « drones », « faux bourdons » en anglais). Ces avions correspondent à des aéronefs ou des plateformes volantes télécommandés (voir annexes), contrairement à des robots volants entièrement automatisés. 
     Dans le commerce des jouets, on vend des petits avions légers que l’on peut diriger soi-même. On parlera alors de l’aéromodélisme. Certes, ce n’est pas ce genre de jouet qui suscite autant d’intérêt du grand public. Les drones qui nous préoccupent essentiellement ici, sont ceux qui peuvent emporter une charge utile, destinée à des missions de surveillance, de renseignement, de transport ou surtout de combat de caractère militaire. Ils semblent révolutionner l’art de la guerre.

     « Drôles de drones »[1 ]

     Un système de drones comprend, outre le personnel sur terre ou mer, trois éléments :
      1) les plateformes volantes (bien sûr sans effectif),
      2) les stations au sol (les relais ou les centres de commandes) et
      3) les moyens de communication et de liaisons satellitaires.
    Dans les différents pays du monde, on assiste à des développements variés mais rapides des systèmes de drones. D’après les militaires, leur usage n’est pas encore totalement pensé ou pensable. En fait, on ne peut que difficilement mesurer et évaluer les effets de ces développements sur l’art de la guerre, les politiques, les juristes ou l’opinion publique.
     Ces drones sont en général utilisés au service des forces armées ou de sécurité tels que service secret, police, douane, etc. d'un Etat. La taille et la masse (de quelques grammes à plusieurs tonnes) sont fonction des capacités opérationnelles recherchées. Le pilotage automatique ou à partir du sol permet d'envisager des vols de très longue durée, de l'ordre de plusieurs dizaines d'heures, à comparer aux deux heures typiques d'autonomie d'un avion de chasse.
    Un début d’essor des drones s’observait à l’époque de la guerre de Corée et de la guerre de Viêtnam, respectivement dans les années 1950 et 1960. Plus tard, ce genre d’armes s’est surtout développé aux Etats-Unis d'Amérique (EUA), puis Washington a opéré un transfert technologique en faveur d’Israël. Ce dernier est devenu avec le temps un fabricant, un exportateur et un utilisateur importants de drones à côté de l’armée américaine. En Europe, les drones ont été utilisés lors de l’agression américaine contre la Serbie en 1999. L'utilisation de drones est aujourd'hui devenue courante, en Afghanistan, en Irak, en Corne d’Afrique ou en Israël. Il existe plusieurs types de drones : des systèmes de renseignement stratégiques aux drones de combat. Ceux-ci posent désormais des questions militaires, juridiques et politiques[2] - en particulier lors de missions de combat de drones américains contre n’importe qui gênerait Washington.
     Très approximativement, il existe actuellement quelque 15 000 drones à usage militaire dans le monde, dont la moitié est fabriquée, hébergée et utilisée par les EUA. Ces derniers peuvent les lancer à partir de leurs quelque 800 bases à travers le monde ou à partir de leurs navires dans les océans. Cette concentration du secteur autant que la publicité et les débats qui en sont faits avant tout dans ce pays expliquent que les considérations suivantes se concentreront sur les agissements de Washington et plus particulièrement de l’administration d’Obama. En fait, celle-ci a institutionnalisé et développé l’usage des drones militaires. Il est vraisemblable que, comme de nombreux autres pays, la Russie ou la Chine fait aussi des efforts dans ce domaine.
    Sans doute, Israël est-il particulièrement actif dans ce secteur en tant que fabricant, client et surtout exportateur mais nous ne le traiterons pas ici de ce sujet, faute de données suffisantes. Mentionnons simplement que ce pays est considéré comme le plus grand utilisateur de drones aériens militaires, même si en nombre d’appareils les forces américaines en possèdent plus. Pour Israël, les drones permettent de disposer d’un réseau de surveillance et de frappe presque permanent en Palestine et plus largement au Proche- et Moyen-Orient.
    Avant aborder directement la problématique qui nous préoccupe, voyons dans quel contexte elle se situe.

    Quel contexte, pour quelle arme ?

    Les grandes puissances et les firmes multinationales ont de plus en plus tendance de coloniser le « reste de l’univers » disponible : les profondeurs des mers, mêmes arctiques, et l'atmosphère terrestre, ainsi que le cosmos cybernétique ou virtuel. A défaut de régulations adéquates, ce « reste de l’univers » devient une jungle pour ces acteurs puissants et une source de guerres. Ces puissants ne souhaitent guère une régulation qui les freinerait dans leurs stratégies, notamment dans le domaine de leurs approvisionnements en matières premières et énergétiques. Enfin, l’environnement subit une colonisation sauvage, sans règles ni loi (d’où l’échec de Rio+20).
    Cette sorte de colonisation est à interpréter en fonction d’une série d’autres évolutions fondamentales. La donnée de fond est sans soute le déclin relatif des EUA, la consolidation de la Russie et l’avènement laborieux mais réel de l’UE, ainsi que le renforcement de la Chine et, dans une moindre mesure, de quelques autres pays. La Chine opère une expansion - apparemment économique mais en réalité fort politique aussi - vers l’Asie du sud-est et centrale, vers l’Afrique et vers l’Amérique latine. Les EUA assumant leur déclin visent simultanément deux choses : une zone de libre-échange des deux côtés de l’Atlantique qu’ils espèrent dominer, ainsi que la substitution du bilatéralisme où ils peuvent encore s’imposer au multilatéralisme à la mode depuis la guerre 1939-1945 (d’où l’échec de Doha de l’Organisation mondiale du commerce).
    Le monde est devenu ipso facto multilatéral à l’instar de ce qu’il a été pendant les dernières décennies du 19e siècle. Nonobstant, le but des EUA d’établir des zones de libre-échange est sans doute de « vassaliser » davantage l’UE ou le Japon sur le plan socio-économique ; sur le plan sécuritaire, ce serait déjà réalisé, à défaut d’une armée européenne ou japonaise proprement dite. Il en est de même pour « encercler » davantage la Chine et la Russie. Le Conseil des ministres de l’UE a approuvé le projet en juin 2013. Or, en fonction de cela et à mon sens, l’UE aurait été mieux inspirée en renforçant son alliance stratégique avec la Chine, face à la Russie et surtout, pour d’autres raisons, face aux EUA.
    Il convient enfin de se rappeler que faisant suite à l’accord international de 1982 sur les « zones économiques exclusives » (ZEE), les grandes ou moyennes puissances ont déjà pu énormément étendre leurs territoires maritimes[3]. Ces territoires s’étendent sur 54 millions de km², soit quelque 1/3 des surfaces maritimes en tant que territoires d’outre-mer contrôlés ou éventuellement revendiqués. Ces territoires se composent avant tout d’innombrables îles, archipels ou atolls, notamment dans le Pacifique. Leurs sous-sols contiennent énormément de matières premières et énergétiques.
    Par l’usage intensif des drones entre autres, ces puissances peuvent surveiller et contrôler ces territoires, y attaquer ou y détruire quiconque et toute chose qui leurs paraissent inacceptables. Outre la mobilisation des multinationales privées de mercenaires[4], les écoutes et les enregistrements clandestins des communications à l’échelle mondiale complètent le programme de tentative de regagner une position dominante ou de garder un rang dans le concert des Nations.

    Du point de vue militaire, est-ce une guerre efficace ?

    Lorsqu’on parle de drones, de quoi s’agit-il véritablement ? Les drones sont souvent des aéronefs légers, sans personnel, donc à peu de charge. Ils disposent d’une grande autonomie d’action tant dans la durée de vol que du fonctionnement. La plupart du temps, ils sont lancés et dirigés à partir d’une base terrestre ou d’un navire. Ils ne sont pas encore entièrement automatisés. Le guidage peut cependant aussi s’opérer à des milliers de kilomètres, à supposer que l’on dispose des satellites et de relais terrestres entre ceux-ci. Les drones utilisent, entr’autres, la propulsion électrique par cellules solaires ou par pile à combustible.
    Les drones d'observation, aujourd'hui les plus courants, équipés de caméras normales et infrarouges, de radars, représentent un élément important du renseignement tactique et stratégique. Les drones armés permettent, eux, de réduire au maximum la boucle bien connue des militaires : « Observation - Orientation - Décision - Action ». Cette capacité s’avèrerait particulièrement efficace dans l’assassinat à distance tel qu’il se pratique à travers le monde par les EUA ou Israël. Contrairement à l’administration de Bush II, celle d’Obama accepte les arguments militaires et dès lors a largement recours à l’usage de cette arme.
    Comment gagner une guerre sans faire de victimes dans ses propres rangs ? Comment sécuriser un territoire sans y envoyer de soldats ? Sans doute les drones pourraient-ils y contribuer, car les opérateurs et les pilotes sont à l’abri, à distance, et opèrent par télécommande. En général, les militaires se montrent ainsi favorables aux drones, parce que ceux-ci seraient fiables, endurants et précis dans les localisations et les frappes. Les armes en question permettent un traitement des informations en temps réel et, surtout, elles réduisent radicalement les risques de pertes humaines, en tous cas du côté des attaquants. Or, aux yeux des militaires comme des politiques cela importe car à notre époque les médias et opinions acceptent mal les morts des siens au combat. Depuis la guerre de Viêtnam, c’est le principe de « zéro mort », du moins ce qui s’en avère visible au grand public.
    De plus, les militaires apprécient aussi que le drone puisse survoler un territoire étranger, sans grands risques politiques et diplomatiques. La distinction entre les non combattants et les combattants est aisée. Enfin, les drones apparaissent attrayants, capables de voler longtemps et aptes à effectuer, dans un délai très bref, un raid dans la profondeur du dispositif des combattants ennemis.

    Est-ce une guerre sans limite mais asymétrique ?

    En tant qu’engin militaire, les drones connaissent certaines limites à leurs usages :
    - ils restent sensibles à la météorologie et à l’aérologie. Le nombre d’accidents s’avère non négligeable ;
        - les flux de communications dont ils dépendent et qui leur assurent une grande efficacité sont aussi un facteur de vulnérabilité face à la possibilité d’interférences relativement aisées : des simples - logiciels sont capables d’intercepter, brouiller et pirater des communications satellitaires ;
        - ils agissent de manière relativement prévisible et peuvent être contrés. Ainsi, par exemple, ils seraient fort vulnérables aux rayons lasers. A court terme, la défense anti-drones devrait évoluer,  étape de la « lutte éternelle entre la lance et le bouclier » : des missiles air-air d'avions de combat, des missiles sol-air, capables de combattre des drones ;
        - ils ne peuvent dès lors opérer impunément que dans le cadre d'une supériorité aérienne et technologique importante. Cette supériorité serait assez fragile à plus long terme ;
    - enfin, dans la sécurisation d’un territoire, les drones ne peuvent intervenir qu’au titre d’observateurs ou d’exterminateurs mais échappent à un contrôle véritable.
    Beaucoup de ceux qui subissent la surveillance par drones et les attaques par ces derniers, expriment leur anxiété grandissante. Etre constamment regardé, observé et surveillé d’en-haut/au-dessus de sa tête… Le bourdonnement discret de cet avion sans pilote use les nerfs et épuise l’esprit. Ne pas savoir quand on doit subir une attaque accentue l’anxiété lancinante et durable. Une personne qui subit le phénomène souligne : « les drones, c’est comme être assis à côté de quelqu’un qui joue avec un pistolet chargé. On redoute à chaque instant que le coup parte ». De tous ceci résulte sans doute une accentuation de l’anti-américanisme déjà fort présent dans les pays concernés. L’usage des drones en tant qu’armes contre-insurrectionnelle risquent de cette façon d’amplifier au lieu de diminuer le risque d’insurrection.
    A propos du « terrorisme », les militaires ou les politiques ont souvent évoqué le concept de « conflits asymétriques » dont l’illustration par excellence serait le bombardement des Deux Tours à New York en 2001. Or, en Yougoslavie[5], en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie, à Yémen, en Lybie ou au Mali, la soi-disant « guerre anti-terroriste » (les bombardements, les tortures et bien entendu l’usage des drones militarisés) est bien plus asymétrique au vu des millions de victimes (tués, blessés ou chassés) qu’elle a occasionnées.
    Du reste, on imagine assez mal que Washington accepte que des drones d’un autre pays survolent par exemple New York ou San Francisco. C’est bien la guerre asymétrique où on meurt encore, mais d’un côté seulement. L’usage croissant des drones n’a fait qu’accentuer ce caractère militairement asymétrique, ce qui soulève notamment des questions juridiques.

    Quelques principes ou faits non avérés 

    Depuis les années 1990, Washington a, d’abord implicitement puis explicitement, déclaré la guerre au terrorisme. Le but en aurait été triple :
              1) éliminer ceux qu’il considérait comme les terroristes partout dans le monde, 
              2) contenir les conflits locaux préjudiciables aux intérêts américains et
              3) préserver la sécurité du peuple américain.
    Le premier correspond à vouloir opérer une substitution aux polices locales en sa propre faveur, alors que le second rejette tout respect de la souveraineté des différents pays. Seul, le troisième paraît légitime, par contre. Mais, Washington suppose que le terrorisme soit organisé à échelle mondiale sous le nom Al Qu’Aïda. Or, rien ne prouve que cela soit exact.
    Il serait insupportable aux EUA de savoir que quel que soit l’endroit, des terroristes ou du moins ce que Washington considère comme tels, restent en vie. Pour ce dernier, il faut les éliminer par drones à coûts bas. Politiquement, cette manière d’agir paraît d’ailleurs plus indiquer qu’arrêter et détenir des terroristes suspects. Enfin, il vaut mieux recourir aux drones qu’envahir un territoire étranger et violer la souveraineté d’un pays. Or, si l’on admettait tous ces arguments, les quelques 200 Etats dans le monde pourraient potentiellement se comporter de la même façon. Vers quoi irions-nous ?
    Quel que soit le principe, Obama admet avoir fait assassiner, sans jugement ni légitimité, par des centaines de frappes, plus de 3 000 personnes, sans compter le nombre des « victimes collatérales » (non combattants et enfants) dont le nombre serait faible selon l’administration. Quelle que soit la vérité, beaucoup s’inquiètent plus fondamentalement que l’utilisation d’un outil ne deviennent une stratégie en soi, stratégie qui se substituerait à une véritable stratégie nationale. Quant aux coûts bas, rien ne les confirme comme l’exemple récent de l’Allemagne le montre. Pour quelques 16 drones de combat[6], ce pays s’est engagé dans un programme de plus d'un milliard d'euros, soit € 63 millions la pièce. Il a dû y renoncer pour des raisons techniques, voire budgétaire.
    Washington bénéficierait de la complicité tacite de beaucoup de ses alliés, notamment de celle des dirigeants pakistanais mais aussi celle de l’Europe. Même, il aurait procédé à de « tueries par délégation et de bienveillance » à la demande de ces dirigeants. Que ce soit vrai ou faux, il reste qu’il s’agit d’assassinats par un Etat, aucunement justifiés, sauf par ces initiateurs. Pour ces derniers, ces assassinats seraient même justifiés au titre de prévention ou parfois par préemption. Il suffit que Washington attribue à telle ou telle personne dans le monde une simple « propension à la violence » et croit pouvoir en empêcher l’accomplissement pour que l’assassinat s’impose. Or, la majorité de l’humanité a une telle propension, qu’elle surmonte par soi-même ou sous la contrainte. Il n’en résulte aucun droit de tuer.

    Des interrogations des juristes du droit international 

     D’aucuns envisagent de réguler l’usage des drones pour les assassinats et c’est ce que prétend l’administration d’Obama depuis peu. L’usage serait limité aux cas où
     - le danger d’être attaqué s’avère imminent,
     - la personne soupçonnée et ses aides (familles, collègues, clans, amis, chauffeur, docteur, financier, etc.) sont identifiés,
     - l’arrestation des personnes concernées n’est pas faisable,
     - la frappe mortelle peut se faire sans « dommages collatéraux » excessifs.
    Or, ce sont des organes exécutifs et administratifs qui prendraient en considération ces critères et décideraient de l’opportunité de tuer ou non. Ni le pouvoir judiciaire, ni la présomption d’innocence n’ont de place ici. En outre, on ne voit pas bien comment à partir des pays en jeu, les EUA pourraient être en danger imminent. L’identification des personnes soupçonnées n’est par ailleurs jamais certaine et le nombre de ses « aides » peut avérer quasi infini. De plus, une arrestation est une affaire de police qui en toute logique ne peut être remplacée par un meurtre. Enfin, qui appréciera si les dommages en question sont excessifs ou non ?
    Les opérations par drones déjà évoquées se présentent pour les juristes comme des combats particuliers[7]. En effets, ces combats sont transformés en simple « campagne d’abattage plus ou moins ciblé » dans certains pays déjà cités. Par ailleurs, en raison de la différence démesurée de niveaux technologiques entre l’attaquant et la victime, il y a aujourd’hui encore la quasi impossibilité de toute réciprocité. En réalité, ces pays correspondent en plus à ceux contre lesquels il n’y a pas eu de déclaration de guerre, donc pas « d’état de guerre » dans le langage de la constitution belge.
    La législation internationale de guerre suit un modèle qui semble dépassé en l’occurrence. Une guerre à distance, du moins des actes de guerre, correspond dans notre cas être capable de combattre sans engager un seul de ses propres soldats sur place. Plus de fronts, plus de bataille ligne contre ligne, plus de combattants proprement dit et plus d’opposition en face à face. Dans les attaques aux drones il n’y a plus rien qui ressemblerait au duel de jadis. Le principe d’égalité de droit entre combattants s’effondre. Que peut justifier l’exercice d’un pouvoir national qui supprime des femmes, des hommes et des enfants hors des frontières nationales et hors de guerres ?
    La guerre comme violence armée et légitime se mue ainsi en exécution illégitime hors combat. On observe qu’en cas de guerre, la fin justifie les moyens, alors qu’avec l’usage des drones, le moyen semble imposer la fin en raison de ses nombreux avantages techniques. L’un ne risque rien, tandis que l’autre est tué. Serait-ce la guerre sans risque et même sans combattant ?
    Mais finalement est-ce une guerre ? Non. Une déclaration de guerre passe d’Etat à Etat, Etats que le droit reconnaît comme des égaux. Ce n’est manifestement pas le cas pour aucun des pays mentionnés. Or, sur le plan international, il n’existe non plus un droit policier de poursuite. La déclaration de la « guerre globale contre le terrorisme » de Washington autorise ce dernier à abattre quiconque et partout où il le juge opportun : le monde entier devient un champ de bataille, sans qu’il y ait un champ. Voici un concept que le droit international ne connaît pas.
    Selon les règles de la loi, la stratégie de la chasse à l’homme est d’ordre policier alors que celle opérée par les militaires et suivie de l’assassinat ne s’appuie sur aucune règle. Le statut des homicides par drones semble par ailleurs flotter entre le travail du policier et la prévention de l’assistant social (sic !). L’ennemi se transforme en un être asocial, un terroriste dont il convient de protéger la société civilisé. Si l’arrêter, le juger et le condamner ne sont pas possibles, alors il faut le tuer. Il implique une mesure de sûreté signifiant en l’occurrence l’exécution extrajudiciaire. A supposer que la cible soit la cible visée, quid par ailleurs des « dommages collatéraux », des innocents assassinés ou blessés, des dégâts matériels ?
    Du reste, par tir de roquettes ou de missiles, l’assassinat vise les buts ciblés. Or les cibles ne sont jamais suffisamment visibles. Donc, la décision du tirer à l’Américaine se base en réalité sur les modèles ou les profils de comportements (une analyse des formes de vie) ou des photos du soi-disant terroriste ou groupe de terroristes ou terroristes potentiels. Tuer donc telle ou telle personne sans identification individuelle ! Certes, un terroriste présumé mais assassiné ne conteste pas.
    Rapprocher les lieux où vous circulez et vos fréquentations permettrait de les mettre sur la liste des condamnés par une instance administrative ou exécutive à Washington. Il en résulte que l’imprécision du tir se conjugue avec celle de la cible. Les personnes vaguement visées mais bien touchées sont présumées coupables jusqu’à ce qu’elles soient prouvées innocentes, bien entendu à titre posthume !
    Les questions politiques nombreuses qui restent posées
    Qu’arriverait-il si Washington décidait d’exterminer systématiquement ses ennemis, voire même ses simples adversaires partout dans le monde, en prétextant de sa sécurité ou ses intérêts comme en cas de la « guerre au terrorisme » ? Il pourrait tuer quiconque en Chine, en Russie ou même en UE. Or, ces derniers pourraient aussi le faire sur le sol américain. Que dirait Washington si les Russes abattaient un Tchétchène militant en pleine rue de New York ou si les Chinois en feraient autant avec un Ouighour récalcitrant ? N’est-ce pas la montée de Léviathan ?
    Les drones sont développés pour fonctionner de manière automatique ou presque. Ils pourront bientôt attaquer sur base de programmes préétablis afin de tuer en se référant à de simples « profils de comportements » fort approximatifs. La responsabilité des assassinats n’existerait plus ! Peut-on l’accepter ? Comment réguler la question en droit international de guerre ? Une législation nationale peut-elle justifier le non-respect des lois internationales de la guerre ? L’usage des drones devient de plus en plus discret et l’opinion publique en reste mal informée. N’en résulte-t-il pas inéluctablement une réduction drastique du contrôle démocratique ?
    La Charte de l’ONU interdit l’agression entre les Etats et prescrit le respect de la souveraineté de chacun d’eux. Quel qu’il soit, l’usage des drones s’oppose-t-il à cette interdiction, à cette prescription ? Que peuvent faire actuellement des gens qui subissent la présence des drones en Afghanistan, au Yémen ou en Somalie, contre Washington ? Et, que faire s’il s’agit simplement du « terrorisme international » largement imaginaire, engendré aux EUA ? Quelle sera la situation redoutable lorsque de plus en plus d’Etats acquièrent la technique des drones et enclenchent, avec bon ou mauvais prétexte, des guerres de drones ?
    Le nombre de terroristes vaguement présumés paraît sans limite dans le temps. S’installe-t-on dans une soi-disant guerre sans limitation temporelle ? N’y a-t-il pas de risque que les autorités qui disposent des drones les utilisent contre leurs propres citoyens, même à l’étranger, comme cela fut parfois le cas ces derniers temps ? Ou pis, elles les feraient intervenir pour surveillances et répressions sur le sol national, plus particulièrement contre les manifestants ou les grévistes ?
    Ce dont le président Eisenhower parlait, le « complexe militaro-industriel » légitime-t-il cet « arme du lâche » ? N’y a-t-il pas un danger que les développements industriels en tant que tels[8] suscitent, par le biais de leurs propres logiques de profits, l’usage croissant des drones contre toute opposition que craindrait un pouvoir ? Le chiffre d’affaires de ce « secteur de mort » s’élève dès aujourd’hui à plus € 5 milliards et demain au multiple de ce chiffre. Le débat politico-éthique est largement ouvert mais le temps presse pour pouvoir, ne fut-ce que, réguler le phénomène. Suffira-t-il qu’il soit transparent ?
    Les systèmes de drones armés ne sont-ils pas susceptibles de devenir des moyens de destruction massive, actes potentiels contre l’humanité ? L’ONU ne devrait-elle exiger un moratorium sur l’usage militaire des drones ? Certes, il ne fait pas encore partie des armes interdites par le droit international positif. Ne faut-il pourtant pas les interdire à l’instar des mines anti-personnelles et des armes à sous-munitions ? N’est-il pas urgent de démilitariser simplement les drones en circulation, en les rendant à l’exploitation civile bien utile dans les domaines de la surveillance de la circulation ou des risques de catastrophes naturels, du jeu d’amateurs, de la protection de l’environnement, de la météorologie, etc. ?
    Les protestations contre l’usage militaire des drones se multiplient bien sûr aux EUA et au Pakistan mais également au Royaume-Uni et en Allemagne mais non pas en Belgique mais bien en Iran[9]. De nombreux milieux y participent : certains partis, beaucoup d’Eglises, les mouvements de paix, les associations telles que Pax Christi US, Deutschland et UK[10], Human Rights Watch, MIR/IRG, Drones Campaign Network ou Scientists for Global Responsability[11].
    [1] AgoraVox, Drôles de drones, 20.5.2013.
    [2] Les dimensions éthique, psychique, sociologique et philosophique qui sont négligées ici, par contre sont excellemment traitées par CHAMAYOU, Grégoire, Théorie du drone, La Fabrique, Paris, 2013 & PAJON, Christoph et Grégory Boutherin, Les systèmes aériens opérés à distance : vers un renouveau des rapports homme/machine dans l’art de la guerre ?, in : Documentation Française, La, Les drones aériens : passé, présent et avenir. Approche globale, Paris, 2013.
    [3] En ordre d’importance, les puissances en question sont la France, les Etats-Unis d'Amérique, la Russie, le Royaume-Uni et la Chine. Rappelons qu’une zone économique exclusive est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Elle s'étend à partir de la ligne de base de l'État jusqu'à 200 milles marins (environ 370 km) de ses côtes au maximum.
    [4] Ces multinationales ont des effectifs qui dépassent plusieurs millions de personnes et des équipements nombreux les plus actuels.
    [5] Rappelez-vous des « frappes chirurgicales » des avions de l’OTAN en Serbie !
    [6] Il s’agirait des Global Hawk RQ-4B (USA - Allemagne), voir le tableau dans les annexes.
    [7] Ils rappellent les massacres commis lors de la colonisation en Afrique et aux deux Amériques.
    [8] Les multinationales fournisseurs de ces engins ou des pièces nécessaires ou encore le personnel (les mercenaires privés) pour les faire fonctionner sont notamment Northrop Grumman, Dassault Aviation, Lockheed Martin, General Atomics, Boeing, Raytheon, Rafal Advanced Defense Systems, lAl, Paramount Group, UAV-Engines-Elbit, Aerosud Holdings, Vanguard Defense Industries, Blackwater, Aerovironnement.
    [9] L’Iran proposera dès la rentrée de septembre 2013 des cours de lutte contre les drones à ses collégiens et lycéens. C’est l22 août 2013 que le journal Al Arabiya qui nous l’apprenait : la nation iranienne formera bientôt ses plus jeunes citoyens au maniement de dispositifs de défense aérienne. Sources : english.alarabiya.net , melty
    [10] La question des drones figurait au programme des deux journées de conférence organisées par Pax Christi International à Bruxelles les 29 et 30 juin 2011.
    [11] Voir les nombreuses indications in : BOUTHERIN, Grégory, Les drones, futurs objets d’Arms control  ?, in : Documentation Française, La, Les drones aériens : passé, présent et avenir. Approche globale, Paris, 2013.

     

  • Traité de libre échange USA - UE

     
     

    13 novembre 2013

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    L'année 2013 semble être une année trépidante pour le lobby des multinationales ainsi que pour les défenseurs du libre-échange. Alors qu’ils s'activent frénétiquement d'une conférence mondiale sur le libre-échange à une autre, telles des abeilles butinant de délicieuses orchidées, leurs efforts commencent à porter leurs fruits.

     

    Rien que le mois passé, les dirigeants de 12 pays dont les Etats-Unis, l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et le Mexique, ont promis de signer le Trans-Pacific Partnership (TPP) d'ici la fin de l'année. Pendant ce temps, de l'autre côté de la planète, l'Europe a signé un traité majeur de libre-échange avec les Etats-Unis, le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Malgré le scandale des allégations selon lesquelles la NSA (agence de sécurité nationale) et le GCHQ (centre d'interception des télécommunications étrangères) auraient mis sur écoute des dirigeants européens, la majorité des membres de l'UE sont déterminés à s'assurer que les retombées de ce scandale n'affectent pas les négociations actuelles du TTIP. Ce traité réunirait alors les pays qui concentrent à eux seuls la moitié du PIB de la planète dans une vaste zone de libre-échange.

     

     

    Cependant le président du Parlement Européen, Martin Schultz, a déclaré qu'il serait peut-être nécessaire de suspendre temporairement les négociations. En fait, ce n’est pas qu’il se soucie du danger de conclure un partenariat étroit avec un pays dont les actions récentes ont bafoué toute notion de confiance mutuelle et de coopération. C’est parce qu’il craint que la poursuite des négociations dans le climat actuel entraîne un mouvement plus général d'opposition au libre-échange :

     

     

     

     

    « Si les faits continuent à prendre de l'ampleur, je crains que les opposants à l'accord de libre-échange ne deviennent majoritaires » a déclaré M. Schultz lors du sommet de l'UE de la semaine dernière. « Je conseille donc de suspendre les négociations dans l'immédiat et de réfléchir à comment éviter qu'un tel mouvement d'opposition se développe ». Tout ceci soulève une question : pourquoi cet engouement soudain pour plus de libre-échange ? Et qui plus est : pourquoi toute cette discrétion ? Pourquoi nos dirigeants tentent-ils désespérément de reconfigurer les méga-structures légales du marché mondial sans même prendre la peine de consulter leurs électeurs ou du moins leur en dire davantage quant au bénéfice à tirer des négociations ?

     

    Après tout, même les statistiques officielles sont claires : les bénéfices à tirer de ces accords sont, dans le meilleur des cas, quasiment nuls. Dans le cas du TTIP, l'UE et les Etats-Unis peuvent s'attendre à recevoir à terme (peut-être après une période d'une dizaine d'années) 100 milliards d'Euros pour augmenter leurs PIB respectifs. Ce sont des sommes qui, il fut un temps, étaient considérées comme astronomiques et pouvaient signifier quelque chose. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui du moins plus depuis que la Fed (Réserve fédérale) et la Bank of England (Banque d'Angleterre) ont mené le système bancaire mondial à recourir à la planche à billets dans des proportions jamais atteintes auparavant.

     

    Pendant ce temps, dans la région Asie-Pacifique, on s'attend à ce que l'accord TPP ouvre des perspectives nouvelles pour les affaires, qu'elles soient petites ou grandes alors que de nouveaux réseaux d'échange se créent entre les économies dont les taux de croissance sont les plus élevés au monde.

     

    Néanmoins même si les bénéfices de ce nouvel accord commercial sont supposés être gigantesques, ils ne peuvent pas être divulgués au public pour le moment. Comme l'a précisé récemment le représentant américain du commerce, Ron Kirk, à l'agence Reuters : à ce stade des négociations il paraît prématuré de rédiger un texte préliminaire afin de recueillir l'avis du public. Mais il n'est pas exclu « qu'il y ait, à un moment donné, lorsque nous nous serons mis d'accord sur le texte comme nous l'avons fait pour d'autres accords, un texte préliminaire ». Le message ne peut être plus clair : comme disait feu le grand BillHicks : « Retournez vous coucher, Amérique, Europe, Asie et Australie : nos gouvernements contrôlent la situation. »

     

     

    Le véritable ordre du jour

     

    Pour les quelques insomniaques qui demeurent encore éveillés, le but du jeu dans cette ère nouvelle du libre-échange (ou plutôt de protection du pouvoir absolu des multinationales) devient de plus en plus claire. Selon Andrew Gavin Marshall, ces nouveaux accords n'ont pas grand chose à voir avec le véritable « commerce » mais concernent, au contraire, l'extension des droits et des pouvoirs des grandes multinationales : les multinationales sont devenues des entités économiques et politiques qui rivalisent avec les plus grandes économies nationales et ont de ce fait revêtu un caractère « cosmopolite ».

     

    Selon un classement publié par Global Trends pour 2012, 58% des 150 entités économiques les plus importantes au monde sont des multinationales. Parmi elles, les principales entreprises pétrolières, de gaz naturel et d'exploitation minière, les banques et les assurances, les géants de la télécommunication, les géants de la grande distribution, les fabricants automobile et les entreprises pharmaceutiques.

     

    L'entreprise qui arrive en tête du classement est la Royal Dutch Shell, qui a enregistré en 2012 un chiffre d'affaires dépassant les PIB de 171 pays faisant d'elle la 26ème puissance économique au monde. Elle arrive devant l'Argentine et Taïwan malgré le fait que Shell n'emploie que 90.000 personnes. En effet, le chiffre d'affaires cumulé des cinq plus grandes compagnies pétrolières (Royal Dutch Shell, ExxonMobil, BP, Sinopec et China National Petroleum) équivalait à 2,9 % du PIB mondial en 2012.

     

    Devrions-nous paraître surpris par ces gigantesques multinationales privées qui en veulent toujours plus pour elles et de ce fait, en laissent moins pour les autres ? Après tout, l'augmentation du chiffre d'affaires est leur raison d'être ; c'est ce qui fait battre leur cœur de sociopathes. « En agissant au travers d'associations d'industries, de lobbies, de groupe d'experts et de fondations, les multinationales mettent en œuvre de vastes projets visant à concentrer les pouvoirs économiques et politiques transnationaux entre leurs mains » écrit A.G. Marshall. « Avec l'ambitieux projet de mise en place d'une zone de libre-échange Europe-Amérique, nous assistons à la mise en place d'un projet international sans précédent, nouveau et global de colonisation corporatiste transnationale »

     

    A la base de ce modèle se trouve la notion selon laquelle les profits et les retours sur investissement priment sur les inquiétudes quant à l'intérêt général. De ce fait, comme le souligne Open Democracy, les règlements de différends entre les investisseurs sous l'effet du TTIP permettraient aux multinationales basées en Europe et aux Etats-Unis de prendre part à (ou de déclencher) des guerres d'usure afin de limiter le pouvoir des gouvernements des deux côtés de l'Atlantique :

     

     

    Or, des milliers d'entreprises européennes et américaines ont des filiales de l'autre côté de l'Atlantique ; grâce au TTIP ces entreprises pourraient engager des procédures en dommages et intérêts par le biais de leurs filiales afin de contraindre leur propre gouvernement à renoncer à édicter des lois qui les dérangent.

     

    Avec une ironie écœurante, un nombre croissant de pays remettent en question voire même abandonnent les arbitrages entre investisseurs justement en raison des retombées négatives sur l'intérêt général. En effet, de puissants lobbies en Europe et aux Etats-Unis y compris Business Europe (la fédération européenne des employeurs), la Chambre américaine du Commerce, AmCham EU et le Transatlantic Business Council font pression pour l'introduction de l'arbitrage dan le TTIP.

     

    Et comme vous le savez, ils obtiendront tout ce qu'ils souhaitent !

     

     

    Le dernier effort

     

    Comme pour la signature de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) et la création du GATT (Global Agreement on Tariffs and Trade) qui deviendra plus tard l'OMC (Organisation Mondiale du commerce) il n'y aura aucune consultation populaire sur les conséquences potentielles du traité.

    Feu Sir James Goldsmith nous avait mis en garde contre le GATT, l’ALENA et la souveraineté des Etats membres qui se fondrait dans l'UE elle-même. Dans cette interview étrangement prophétique avec Charlie Rose en 1994, il avait déclaré que la mise en application de ces traités mènerait à l'élimination de millions d'emplois occupés par la classe moyenne et à la destruction de l'agriculture (comme on l'a vu au Mexique) et du commerce de proximité. Et qui, en connaissance de cause, mis à part nos maîtres corporatistes et leurs fidèles alliés, voterait de telles mesures ?

     

    Néanmoins, la dernière génération de traités commerciaux dépasse largement ce qui avait été envisagé pour l’ALENA ou le GATT. Ce que les instigateurs de ces traités cherchent à obtenir c'est le transfert du peu de souveraineté nationale que détiennent encore les Etats pour la transférer dans les QG de gigantesques conglomérats internationaux. En résumé, c'est le coup de grâce de ce coup d'Etat. Pas une balle ne sera tirée. Cependant tout le pouvoir sera concentré entre les mains d'individus et tout cela sera facilité par nos élus qui, en signant ces traités, renoncent à la responsabilité qui est la leur, à savoir de représenter et protéger les intérêts des électeurs.

     

     

    Par exemple, une fuite récente sur le texte du TPP nous révèle que les nouvelles dispositions limiteraient le pouvoir que détiennent les gouvernements pour intervenir en matière de service public, de transports, de santé ou d'éducation. Ces mesures viseraient également à restreindre l'accès partiel ou total à ces services fondamentaux.

    Mais ceci n'est que la pointe de l'iceberg. Comme on l'apprend sur Alternet le traité entraînerait également les conséquences suivantes : les droits d'auteur pour tous les contenus émanant des grosses sociétés seraient garantis pour une durée surprenante de 120 ans. Le traité permettrait également de transformer les fournisseurs d'accès internet en Big Brother en un véritable pouvoir policier capable de contrôler l'activité des utilisateurs, de supprimer du contenu et de priver les utilisateurs de l'accès à internet. Il autoriserait aussiBig Pharma à continuer à exercer son monopole sur les tarifs des brevets, ce qui lui permettrait de bloquer la circulation de médicaments génériques moins chers.

    Les gouvernements n’auraient plus d’autorité en matière de régulation des exportations de pétrole ou de gaz naturel vers les pays membres du TPP. Cela aurait pour conséquence une intensification massive du processus destructeur des forages à travers le monde. Les géants de l'énergie pourraient alors exporter du gaz naturel en provenance de et vers n'importe quel pays membre sans qu'aucun gouvernement ne puisse émettre son avis quant aux conséquences sur l'environnement et l'économie des communautés locales ou sur les intérêts nationaux respectifs.

    Les taxes sur les transactions (comme la Robin Hood Tax– taxe sur les transactions financières) auxquelles sont soumis les spéculateurs qui déclenchent régulièrement des crises financières et économiques à travers le monde, seraient interdites. Le traité permettrait également de restreindre les réformes « pare-feu » qui séparent les opérations bancaires des particuliers des opérations d'investissement à haut risque. Enfin ce traité serait l'occasion pour les « to-big-to-fail » (grandes entreprises dont la faillite serait catastrophique pour l'économie selon les gouvernements qui sont prêts à les soutenir cas de pépin) de se soustraire aux lois nationales visant à limiter leur taille.

     

    Ce ne sont ici que quelques exemples des propositions qui sont parvenues aux oreilles du public uniquement grâce à l'acte courageux d'un informateur (ou ce que l'administration Obama nomme : un terroriste). Mais qui nous dira ce qui se trame dans notre dos dans les salles de conférence des hôtels les plus luxueux du monde ?


    Pourtant ce qui ne fait aucun doute c'est que la dictature des multinationales est quasi en place. L'horloge tourne et à moins que les peuples de toutes les nations d'Est en Ouest et du Nord au Sud ne prennent conscience des agissements de leurs gouvernements, il sera bientôt trop tard. Les nouvelles règles seront rendues légales et nous vivrons une nouvelle dystopie (contre-utopie) présentant une certaine ressemblance avec le totalitarisme inversé comme l'avait prédit Sheldon Wolin. Une contre-utopie dans toutes les directions et aussi loin que l'oeil de Big Brother puisse voir.


    Traduit de l'anglais par Carolina Badii pour Investig'Action

    Source : Raging Bullshit

     

     

     

    Marché transatlantique