par André Chamy
Réagissant aux déclarations de Laurent Fabius et François Hollande appelant à armer « l’opposition » en Syrie, André Chamy, du Réseau Voltaire France, explique en quoi cette position belliqueuse est tout simplement illégale à la lumière du droit international et porte un coup très sévère à la réputation de la France dans le monde. Plus grave encore, selon lui, cette crise syrienne, avec son cortège de massacres et d’attentats terroristes, pourrait à terme s’exporter en France. Les Français vivraient alors sur leur propre sol le cauchemar qu’on impose au peuple syrien depuis deux ans.
Réseau Voltaire | Paris (France) | 1er avril 2013
La France s’aligne sur la position anglaise concernant la livraison d’armes aux bandes armées en Syrie. Mais qu’est ce qui lui prend ? Laurent Fabius et son équipe sont-ils devenus fous ? Après les bavures diplomatiques en Afrique ayant abouti au limogeage d’un certain nombre de responsables au Quai d’Orsay et alors que les perspectives d’enlisement se font jour au Mali, la France déclare la guerre à la Syrie.
La décision française n’a pas d’autre signification. L’esprit colonial serait-il de retour, si tant qu’il ait disparu ? Les responsables français, chantres des droits de l’Homme et du droit international, viennent de franchir un pas impardonnable dans les relations avec le Moyen-Orient. Cette démarche va avoir des répercussions sur les relations de la France avec le monde entier et le fait que la plupart des Européens se prononcent contre cette idée aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Mais rien n’y a fait. Le duo Hollande-Fabius a décidé de faire la guerre.
Une déclaration de guerre illégale au regard du droit international
L’échec politique de François Hollande dans sa politique économique intérieure, en raison de sa politique européiste insensée, l’incite à créer un écran de fumée tout en arguant qu’il défend les libertés dans le monde. Ce genre de manœuvre ne trompe plus personne.
Pour comprendre le caractère illicite de cette déclaration de guerre, il est important de rappeler les termes de l’article 2 de la Charte des Nations Unies qui stipule que :
Article 2 L’Organisation des Nations Unies et ses Membres, dans la poursuite des buts énoncés à l’Article 1, (en l’occurrence de maintenir la paix et la sécurité internationales et de prendre, à cette fin, des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix) doivent agir conformément aux principes suivants :
- L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres.
- Les Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la présente Charte.
- Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger.
- Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.
- Les Membres de l’Organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s’abstiennent de prêter assistance à un État contre lequel l’Organisation entreprend une action préventive ou coercitive.
- L’Organisation fait en sorte que les États qui ne sont pas Membres des Nations Unies agissent conformément à ces principes dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
- Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII.
La France a donc tout faux ! Comment peut-on parler d’une solution politique en Syrie alors que ce pays est agressé depuis plus deux ans et que cette agression vient de prendre un tour particulier avec l’entrée sur ce terrain de deux puissances, en l’occurrence le Royaume-Uni et la France, qui déclarent vouloir armer les rebelles.
Quelle est la légitimité de ces deux pays pour intervenir dans ce conflit ? Ont-ils soumis cette intervention à leurs peuples respectifs, ou même à leurs représentations nationales ? Dans le cas précis de la France, c’est ce qu’impose l’Article 35 de la constitution de la Cinquième République. La réponse est négative. Il est vrai qu’au regard de ces règles fondamentales du droit international, couchées noir sur blanc dans la Charte des Nations Unies, nous deviendrions indiscutablement des hors-la-loi.
Parlons sereinement des principes qui régissent les relations internationales. Le premier des principes est celui de la souveraineté nationale : aucun État ne peut porter atteinte à l’intégrité territoriale d’un autre État. Le deuxième de ces principes interdit à tous les États de s’immiscer dans des affaires relevant des compétences nationales d’un autre État. Le troisième principe enjoint aux États d’agir dans le sens du maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Mais la France est en train de faire tout le contraire, puisqu’elle attente à l’intégrité territoriale de la Syrie en livrant des armes à des combattants qui attaquent l’armée régulière de cet État arabe et ses forces de sécurité. Même si l’on devait admettre, pour les besoins de la cause, la thèse française selon laquelle il y aurait un devoir moral à soutenir par tous les moyens une opposition se défendant contre un pouvoir injuste (thèse évidemment très discutable dans le cas qui nous occupe), nous n’avons pas à armer un camp plutôt qu’un autre.
Nous nous plaçons ipso facto dans la position de l’agresseur et nous sommes à cent lieues de manifester le souci de favoriser les solutions pacifiques au règlement d’une crise internationale.
La France ne peut s’arroger le droit d’attaquer directement ou indirectement la souveraineté d’un autre État, même s’il s’agit de la Syrie, que Paris n’apprécie guère.
C’est un comble de l’ironie, soulignons-le au passage, que la France tienne en même temps à être présente dans toutes les réunions des « Amis de la Syrie » ! Ce pays peut très bien se passer de cette amitié.
Comment ne pas parler de crise internationale alors que plusieurs pays sont notoirement impliqués dans la déstabilisation de la Syrie tels que la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, ou la Libye… Quant à la France, qui prétendait jusqu’à lors se contenter d’aider les réfugiés, plusieurs de ses agents ont été « aperçus » dans le quartier de Baba Amr, à Homs, ou aux frontières avec le Liban et la Turquie, sans le moindre démenti des autorités concernées. Nous venons de franchir un pas supplémentaire dans l’escalade militaire, ce qui n’est pas sans implications…
Qu’arriverait-il si la Russie, par exemple, pour ne citer qu’elle, estimait que ses intérêts directs sont menacés par cette volonté française de changer le régime en Syrie et décidait d’y envoyer des troupes ? La France est-elle prête à faire face à cette éventualité ? Que cherche-t-elle en adoptant cette posture belliqueuse ?La France entend-elle sauver la paix ? Certainement pas puisque depuis deux ans ce conflit s’envenime justement en raison du flux incessant d’armes et de combattants, qui passent à travers les quatre frontières de la Syrie avec ses voisins, la Turquie, le Liban, la Jordanie et l’Irak.
Mais le risque principal est peut-être ailleurs…
Vers une reproduction de la crise syrienne... sur le sol français
La France semble se préparer à l’idée de subir ce que la Syrie traverse en ce moment. Ce pays semble servir de ballon d’essai pour plusieurs pays occidentaux qui se croient exposés à un risque de guerre urbaine.
Aucun observateur honnête ne saurait contester cette réalité. C’est la raison pour laquelle j’émets une hypothèse qui ne relève plus de la fiction, en raison de sa reconnaissance par Monsieur Valls, le ministre de l’Intérieur, en l’occurrence la crainte de troubles généralisés en France, accompagnés de mouvements de foules ou de bandes organisées, particulièrement celles liées à des organisations salafistes, à l’instar de ce qui se passe en Syrie.
Depuis quelques années la France envisage un tel risque. Le terrorisme islamique est considéré en France comme un « péril fatal ». La caractéristique de cette menace : elle réside en banlieue et est sensible aux discours radicaux délivrés par les organisations proches d’Al-Qaïda, le GSPC algérien, le GICM marocain..
Que ferait la France si elle devait être exposée à ce danger ? Différents plans semblent être prêts et on est en droit de se demander si notre pays ne joue pas avec le feu. Laisser partir des combattants et fournir des armes qui finiront par tomber entre les mains des salafistes est, en effet, le meilleur moyen pour retrouver ensuite ces mêmes armes dans les banlieues parisiennes, lyonnaises ou marseillaises…
La présence avérée d’armes de guerre dans le cadre des faits divers survenus dernièrement dans notre pays démontre que nous sommes déjà passés à un stade supérieur pour ce qui est des armes qui circulent dans les banlieues françaises. Pis encore, puisque des sources concordantes confirment la présence de jihadistes français parmi les combattants en Syrie. S’ils ne sont pas tués au combat, que feront-ils à leur retour en France ? La perspective de voir passer à l’action des centaines de Mohamed Merah ne semble pas interpeller nos politiques.
Envoyer l’armée dans ces territoires marginalisés n’est pas une hypothèse d’école et cet envoi n’aurait pas simplement pour but d’y ramener l’ordre ; il s’agirait avant tout d’en reprendre le contrôle des mains des doctrinaires, à l’étranger comme en France, ainsi que l’indiquait en 2006 une note du CHEAR, le Centre des hautes études de l’armement :
« De nouvelles frontières dessinent les contours de l’insécurité ou de la confrontation armée dans ces zones urbaines ou dévastées par le terrorisme ou la guerre (....) Ces frontières urbaines délimitent, selon une géographie plus humaine que physique, des groupes d’identité commune ou de communautés de valeurs prêts à défendre par la violence la sanctuarisation de zones dont ils s’estiment détenteurs exclusifs. En France, ces frontières ne sont pas reconnues officiellement par les pouvoirs publics qui usent d’expressions “codées”, cédant au “politiquement correct”, pour évoquer allusivement : “quartiers sensibles”, “quartiers populaires” (sic), “zones de non-droit”. Le citoyen, quant à lui, sait très bien où elles se situent et là où … “ça craint”. Ces zones acquièrent alors dans l’esprit de ces communautés un statut implicite de territoire “conquis” sur la puissance régalienne de l’État ou sur le pouvoir souverain dont la légitimité est contestée et, si nécessaire, combattue. À l’intérieur de ces frontières urbaines, les représentants des communautés tirent leur autorité d’une sorte de droit coutumier des temps modernes, tendant à se substituer progressivement et subrepticement aux lois souveraines de l’État démocratique. Face à ce type d’évolution, l’emploi de la violence légitime apparaît souvent comme l’ultime recours des démocraties pour réduire ces menaces. » [1]
Ce rapport n’est pas unique puisqu’après les émeutes de l’automne de l’année 2005, la Délégation aux affaires stratégiques (DAS), un organisme dépendant du ministère de la Défense, lançait un appel d’offre qui posait par la même occasion la question :
« de quelle capacité doivent disposer les armées pour pouvoir mener des missions sur le territoire national ? »
En réalité, au-delà de la menace terroriste alléguée, on lit en filigrane la question des violences urbaines dans les banlieues. [2]
Les banlieues sont devenues un nouveau marché pour la guerre urbaine. La France veut être la spécialiste dans le domaine, ce qui explique l’aide apportée aux rebelles en Syrie en matière de planification des attaques contre les aéroports et contre les bases aériennes. Les services français s’entraineraient-ils sur ce terrain pour expérimenter des nouveaux moyens et des nouvelles techniques de guérillas ?
Le sociologue Mathieu Rigouste souligne à juste titre :
« La bataille de Grenoble, comme celle de Villiers-le-Bel et comme chaque opération intérieure, est l’occasion d’expérimenter des nouvelles techniques et de présenter aux marchés internationaux de la sécurité les nouveaux dispositifs tactiques français. » [3]
Dans cette guerre aux cités, l’État dispose ainsi d’un soutien intéressé des entreprises de défense et de sécurité. Elle considèrent que leur expérience en matière de guerre urbaine sur des théâtres d’opération extérieurs majeurs (Irak, Afghanistan, Côte d’Ivoire, etc.) leur vaut légitimité sur le territoire national et vice versa.
Ces marchés sont proposés à des Etats pour des opérations de maintien de l’ordre (! !), ce qui aurait pu profiter à la Tunisie de Ben Ali si les déclarations de Mme Alliot-Marie, dans les quelles elle proposait d’apporter au régime tunisien le « savoir-faire » français n’avaient pas suscité un tollé, l’amenant à se rétracter.Ces moyens sont également proposés à des États craignant des manœuvres de déstabilisation, à des villes désireuses de se fournir en moyens de surveillance pour faire face à des mouvements de foules incontrôlés, grâce, par exemple, à la mise en place de systèmes de suivi GPS, de vidéosurveillance et de capteurs sonores.
La France tente même de créer des partenariats avec d’autres services ayant une expérience dans ce domaine. La France et Israël poursuivent ainsi depuis des années une discrète coopération militaire dans le domaine de la guérilla urbaine. Par exemple, un article du Canard enchaîné paru le 2 juin 2010 révélait que « des officiers de l’armée israélienne ont participé, en France, à des simulations de guerre électronique, d’attaques de sites-radars sur les bases de Biscarosse (dans les Landes) de Cazaux en Gironde ». Le Canard indique également que des militaires français iront s’entraîner en Israël aux combats en zone habitée.
L’on ne peut s’empêcher de constater la similitude avec ce qui se passe en Syrie.(Attaques des aéroports et des sites radars). Cette expérience française aurait-elle été mise au service du Qatar, qui finance ces opérations en Syrie ? Le problème est que, pendant que les deux grandes puissances (les États-Unis et Russie) discutent des questions stratégiques, la France se contente du rôle de vendeur de quelques prestations, qui restent somme toute insignifiantes par rapport aux enjeux mis sur le tapis.
Si nous facturons ce type de prestations à des pays étrangers, le peuple français est en droit d’en être informé. Les citoyens français n’accepteraient certainement pas que leurs services républicains soient transformés en entreprises mercenaires travaillant pour des puissances étrangères.
La difficulté, si l’on passait du stade de l’entraînement au stade de l’explosion dans les banlieues, est de savoir si notre expérience serait suffisante. Allons-nous assister sur le sol français à des scènes similaires à celles qui se déroulent en ce moment en Syrie ? Personne ne peut répondre pour le moment à cette question. En tout cas, le silence est de rigueur par rapport à toute discussion sur cette éventualité.
Pis encore, que dira-t-on si le Qatar ou l’Arabie saoudite, à qui nous apportons notre expérience, décidaient, à travers leurs réseaux islamistes, d’armer les quartiers « mécontents » pour se battre à Marseille, à Lyon ou à Paris contre les forces de l’ordre françaises ? Que dira-t-on si les armes sophistiquées et les missiles livrés au rebelles syriens revenaient en France en empruntant les réseaux des Balkans (Bosnie, Kosovo ou Albanie), qui sont aux frontières de l’Europe ?
Il n’y a pas de doute que nos militaires sont parfaitement entraînés et qu’ils sont d’excellents professionnels. Mais, la France a-t-elle les moyens de s’offrir une guerre urbaine ? La France est-elle obligée de jouer avec le feu ? Et de le faire, qui plus est, au service d’intérêts qui ne sont pas ceux des citoyens : en interne, ceux du lobby militaro-industriel ; à l’extérieur ceux des États qui ne veulent pas œuvrer pour la paix et pour la stabilité.
Les autres pays européens sont conscients de ces enjeux brûlants, ce qui semble expliquer leur farouche opposition à cette escalade. Il est tout à fait remarquable, à ce propos, que le système allemand nous soit présenté comme un modèle quand il s’agit de promouvoir des réformes visant à diminuer les droits sociaux des salariés. À l’inverse, quand il s’agit de promouvoir la paix en Syrie, la France récuse la position allemande et suit les va-t-en guerre…
Cette position est d’autant plus étonnante qu’à ce jour aucun débat n’a été proposé au peuple français pour lui permettre de savoir dans quel sens la France est en train de s’engager et surtout les motivations réelles de cet engagement !
Un tel débat est d’autant plus essentiel qu’il faudra bien expliquer au peuple français comment nous trouvons les fonds considérables que nécessitent ces guerres et pourquoi nous ne les trouvons pas pour financer notre système de retraites, notre système de santé. Et pourquoi nous sommes devenus incapables de remettre nos jeunes et moins jeunes au travail...