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  • Libye:Comment la France a ouvert la voie au chaos

    ENTRETIEN19/05/2013 à 16h25

    « Sahelistan » : comment la France a ouvert la voie au chaos

    Pierre Haski | Cofondateur Rue89

    Après s’être rendu dans les zones de Libye sous contrôle islamiste, Samuel Laurent montre comment l’intervention voulue par Sarkozy a déstabilisé toute la région.


    Sahelistan

    Samuel Laurent est un personnage inclassable.

    Ni journaliste, ni diplomate, ni chercheur, il s’aventure là où plus personne n’ose aller : au plus près de la mouvance jihadiste du Sahel, dans cette zone grise où se mêlent idéologie, terrorisme, trafics en tous genres, et, surtout, où la vie humaine ne coûte pas cher.

    C’est un homme d’apparence lisse, qui publie un livre où il faut le croire sur parole. Consultant pour des entreprises chinoises, cet auteur atypique...

    • plonge dans le maelström libyen post-Kadhafi,
    • se frotte aux brigades islamistes qui mettent le pays en coupe réglée,
    • fait parler ceux que l’on entend rarement,
    • et débusque au passage les idées reçues en Occident, singulièrement en France.

    Au cœur du récit, cette idée-force selon laquelle Nicolas Sarkozy, mal inspiré par Bernard Henri-Lévy, a déstabilisé, en déclenchant la guerre de Libye en 2011, une zone bien plus vaste, qui s’étend jusqu’au Maroc et à la Mauritanie, et dont l’intervention française au Mali n’a été qu’une des conséquences.

    Le récent attentat contre l’ambassade de France à Tripoli en est visiblement une autre manifestation.


    Parade de miliciens libyens, Tripoli, 2012 (AP Photo/Abdel Magid Al Fergany, File)

    Voici la dernière phrase de son livre :

    « L’incompétence et la myopie de nos présidents successifs génèrent une cascade de mauvaises décisions dont la France et l’Afrique commencent tout juste à payer le prix ».

    « Sarkozy d’une irresponsabilité folle »


    Samuel Laurent, mai 2013 (Pierre Haski/Rue89)

    Dans un entretien à Rue89, Samuel Laurent nuance son propos :

    « Je suis plus sévère à l’encontre de Sarkozy que de Hollande.

    Sarkozy n’était pas obligé d’intervenir comme il l’a fait. Il a été d’une irresponsabilité folle, ouvrant la boîte de Pandore.

    Il a laissé à son successeur un choix impossible : soit laisser s’installer un califat sur l’ensemble du Mali, soit monter une intervention qui n’allait régler aucun problème et simplement le déplacer.

    Le Mali est une opération largement inutile. En nettoyant le nord du Mali, on a renforcé les positions de ces mêmes islamistes dans le sud de la Libye et même en Tunisie, en Mauritanie, au Niger, jusqu’à poser un risque pour le Maroc. »

    Un « échec retentissant »

    En Libye, l’intervention de l’Otan initiée par la France « se solde aujourd’hui par un échec retentissant », écrit Samuel Laurent dans son livre. Il en liste les maux :

    « Meurtres, règlements de comptes, tortures, arrestations arbitraires, viols, massacres, pour ne pas dire génocide à l’encontre des Africains et des tribus noires du pays, présence massive d’Aqmi dans le sud, implantation d’Al Qaeda en Cyrénaïque (Est de la Libye, ndlr), trafic de drogue, trafic d’armes et déstabilisation régionale... »

    Il ajoute :

    « C’est une nation en lambeaux, disloquée et plus fragile que jamais, pleine de violence et de dangers, qu’on nous cache depuis maintenant des mois ».

    Mais au-delà de ce constat, dont les lecteurs de Rue89 avaient pu avoir un avant-goût au travers des analyses d’Hélène Brevin sur le rôle des Touaregs libyens ou la montée des milices islamistes armées, il y a la dimension de déstabilisation régionale.

    Sud Libye, zone interdite

    Samuel Laurent nous emmène dans le sud de la Libye, région où quasiment plus aucun étranger ne se rend désormais,

    Il parvient à se rendre, non sans mal, à Oubari, dans le désert du Sud libyen, aux confins du Niger et, surtout, de l’Algérie.

    L’auteur gagne, grâce à des complicités parmi les Toubous, cette partie de la Libye qui échappe au contrôle de Tripoli, afin de vérifier l’implication libyenne dans l’opération des jihadistes de Mokhtar Belmokhtar contre la raffinerie d’In Amenas, en Algérie, au début de cette année.

    Ce qu’il décrit est décoiffant :

    • une région contrôlée par la brigade islamiste 315, fondée par un Touareg malien lié par mariage à Mokhtar Belmokhtar, lié à Al Qaeda, engagé dans le trafic de drogue et le transport de jihadistes ;
    • une région où des stocks d’armes de l’ère Kadhafi sont entreposés dans des bunkers souterrains, dont les Touaregs révèlent l’emplacement au plus offrant ;
    • une région où, au vu et au su de Tripoli, Mokhtar Belmokhtar a rassemblé les hommes qui ont lancé l’attaque d’In Amenas, à quelques centaines de kilomètres de là, et l’imposant matériel de guerre dont de l’explosif Semtex qui devait servir à faire exploser la raffinerie algérienne ;
    • une région hors de tout contrôle : « A Tripoli, tout le monde connaît l’existence de ces groupes terroristes implantés chez les Touaregs. Mais sans moyens militaires et sans véritable volonté politique, impossible d’intervenir ! Alors on enterre le dossier en faisant de son mieux pour que l’Occident reste à l’écart. »

    Samuel Laurent demande à son interlocuteur à Oubari, qui dit avoir prévenu Tripoli de ce qui se tramait, si l’attaque d’In Amenas aurait pu être évitée. Sa réponse :

    « Sans l’ombre d’un doute ! Beaucoup de gens savaient ce qui se préparait. Mais personne ne voulait risquer sa vie pour en parler. D’ailleurs, à qui auraient-ils bien pu s’adresser ? »

    « L’incompétence de nos services »

    Il en va de même pour l’attentat à la voiture piégée qui a détruit l’ambassade de France à Tripoli, le 23 avril. Samuel Laurent

    met en cause « l’incompétence de nos services, qui n’ont pas su évaluer le risque » :

    « Certains Libyens travaillant à l’ambassade avaient alerté sur l’absence de sécurité. N’importe qui un peu attentif savait que c’était très dangereux. »


    Des officiels et des gardes de sécurité sur le site de l’attentat à Tripoli, en Libye, le 23 avril 2013 (Abdul Majeed Forjani/AP/SIPA)

    Samuel Laurent ne partage pas la thèse d’une responsabilité d’Aqmi, aidée de jihadistes locaux. Une thèse renforcée par les dernières menaces d’Aqmi contre la France.

    « Aqmi n’a rien à voir avec les attentats du nord, c’est impossible. Raison simple : les islamistes du nord sont partisans de la “loi d’isolation politique” visant les ex-collaborateurs de Kadhafi.

    Qui sont les premiers collaborateurs de Kadhafi ? Les Touaregs, qui sont aujourd’hui ceux qui protègent Aqmi dans le sud. Il y a donc une vraie méfiance des gens du Nord vis-à-vis du Sud. »

    Samuel Laurent privilégie plutôt une piste Al Qaeda en provenance de l’Est, en particulier la milice Ansar el Charia (fondée par un ancien garde du corps de Ben Laden), originaire de la ville de Derna, fief jihadiste.

    Le « Sahelistan », nouvel Afghanistan

    Si le récit et les informations de Samuel Laurent sont exactes, la déstabilisation est à l’échelle régionale. Elle a créé un vaste espace ouvert aux groupes jihadistes et/ou trafiquants en tous genres, qui se déplacent au gré des événements.

    Quand l’Algérie boucle ses frontières après In Amenas, ou quand la France et ses alliés reconquièrent le nord du Mali, le foyer se déplace dans le sud tunisien ou dans son sanctuaire du sud de la Libye, sans problèmes d’argent ou d’armes, prêt à ressurgir ailleurs.

    De quoi relativiser les termes de la victoire française annoncée au Mali, pays qui ne peut être jugé isolé du reste de ce que Samuel Laurent, surnomme le « Sahelistan », un petit frère, plus modeste, de l’Afghanistan, mais plus près de l’Europe...

  • Cannabis vs Alcool

     

    Suite à l’article « Cannabis, données essentielles », de vives réactions sont venues alimenter le débat, en criant au scandale de l’alcool qui jouissait encore d’une bonne notoriété alors que sa consommation est bien plus redoutable. Comme je suis tout à fait d’accord avec cette assertion, mais partant du principe que même s’il y a pire ailleurs, ce n’est pas une raison pour ne pas en parler, j’entreprends de comparer les données du cannabis avec celles de l’alcool.

    L’alcool est avec le tabac la substance psychoactive la plus consommée en France, même si on note une diminution régulière de celle-ci. On estime à 42,5 millions les expérimentateurs (12-75 ans) de l’alcool en France. Les usagers réguliers sont estimés à 9,7 millions. Pour le cannabis, on dénombre 12,4 millions d’expérimentateurs et 550 000 usagers réguliers.

    Lors d’une enquête menée en 2002, 61 % de la population déclarent se sentir informés sur les drogues. Lorsqu’on leur demande de citer les principales drogues, 82 % des sondés citent le cannabis contre 18,8 % l’alcool. L’alcool jouit encore d’une notoriété bien installée et n’est pas considéré comme une drogue. Cependant, 70 % des sondés sont convaincus que l’abus d’alcool représente des dangers plus grands pour la société que la consommation de substance illicite, notamment le cannabis.


    Les effets de l’alcool

    L’alcool n’est pas digéré, il passe directement du tube digestif aux vaisseaux sanguins. En quelques minutes, l’alcool se retrouve dans toutes les parties de l’organisme, véhiculé par le sang. Le taux d’alcoolémie est donc très rapidement élevé et baisse progressivement avec le temps selon la quantité absorbée. Il augmente très rapidement d’autant que l’on a mangé ou non lors de l’absorption. Il faut compter en moyenne, une heure par verre absorbé, pour voir son alcoolémie diminuer.

    L’alcool provoque un état d’ivresse qui peut entraîner des troubles digestifs, des nausées, des vomissements, une nette diminution de la vigilance, une perte de contrôle de soi qui peut conduire à des comportements violents, à des passages à l’acte, des agressions sexuelles, suicides, homicides. Mais aussi à une exposition à des agressions par une attitude parfois provocatrice, ou tout simplement par la faiblesse induite par l’alcool qui rend la personne inapte à se défendre. Elle devient donc une proie privilégiée selon le degré d’imbibition.

    La consommation régulière augmente le risque de nombreuses pathologies comme le cancer (bouche, gorge, œsophage...), la cirrhose, maladie du pancréas, troubles cardiovasculaires, hypertension artérielle, maladies du système nerveux et troubles psychiatriques (anxiété, dépression, troubles du comportement).

    Il existe une réelle dépendance à l’alcool. La personne est incapable de diminuer ou d’arrêter sa consommation, malgré les dommages. Des symptômes apparaissent comme les tremblements, crampes, anorexie, trouble du comportement. Cette dépendance s’accompagne de difficultés majeures d’ordre relationnel, social, professionnel, sanitaire et judiciaire.

    De plus la consommation d’alcool lors de la grossesse a des effets dévastateurs pour l’enfant à naître. Le seuil de consommation n’étant pas défini, il est vivement recommandé de s’abstenir durant toute la période de grossesse.


    Les effets du cannabis
    Une prise de cannabis entraîne une euphorie souvent modérée et un sentiment de bien-être suivis d’une somnolence, mais aussi un affaiblissement de la mémoire à court terme (dite de travail) et des troubles de l’attention. En fonction de la dose, de la tolérance et de la sensibilité de l’usager, une altération des performances psychomotrices apparaît ainsi que des troubles de l’attention et de la coordination motrice, de l’allongement du temps de réaction, une altération des capacités cognitives et des modifications des perceptions sensorielles et de l’évaluation du déroulement du temps. Ces troubles peuvent devenir aigus ou chroniques.

    Sur le plan somatique, une prise de cannabis provoque une accélération du débit et de la fréquence cardiaque et une dilatation des vaisseaux sanguins périphériques pouvant entraîner une hypotension en position debout, des maux de tête, une hypersudation. Elle est également responsable des fameux « yeux rouges ». Dans un premier temps, l’inhalation provoque une dilation bronchique responsable de réactions inflammatoires susceptibles d’entraîner une toux. L’appétit augmente également.


    Consommation
    Si le cannabis est la drogue illicite la plus consommée en France, l’alcool est la drogue licite, avec le tabac, les plus consommés.

    15 % des adultes déclarent consommer de l’alcool tous les jours. Ce sont les 45-75 ans qui en consomment le plus quotidiennement, alors que l’usage quotidien chez les jeunes est plus rare. Contrairement au cannabis, plus populaire chez les jeunes et qui voit sa consommation diminuer avec l’âge.

    Pour les deux produits, ce sont les hommes les plus consommateurs. On dénombre 42,5 millions d’expérimentateurs, dont 39,4 millions consommateurs occasionnels, et dont 9,7 millions de consommateurs réguliers d’alcool contre 550 000 de consommateurs réguliers de cannabis.

    Si la France fait partie des pays les plus consommateurs de cannabis en Europe, elle se situe à la quatrième place pour l’alcool. Ce sont les Pays-Bas qui détiennent la première place pour la consommation d’alcool chez les jeunes (20e pour la France), alors qu’ils sont 16e pour une consommation globale.


    Risques et conséquences de l’abus d’alcool

    La consommation excessive d’alcool est associée à d’importants dommages sur le plan sanitaire et social.

    L’alcool est directement à l’origine d’un peu plus de 22 500 décès (2000), que ce soit par cirrhose, psychose alcoolique ou cancer. 80 % étaient des hommes et 50 % âgés de moins de 65 ans. Mais l’alcool est également impliqué dans de nombreuses pathologies et causes de décès (AVC, accidents de la route, domestiques, etc.). On peut donc estimer à environ 45 000 le nombre de décès attribuables à l’alcool.

    Un tiers de l’ensemble des décès par accidents de la route est imputable à l’alcool, soit 2 300 décès par an. Le nombre de décès décroît régulièrement depuis plusieurs décennies, expliqué par la diminution de la consommation, mais aussi par les progrès thérapeutiques.

    En termes de recours aux soins, 80 à 90 000 personnes ont été reçues dans le système spécialisé de soins en 2003. 93 000 séjours avec diagnostic de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de l’alcool ont été comptabilisés et plus de 26 000 séjours pour sevrage alcoolique. Une enquête auprès des médecins de ville a révélé un nombre de 48 000 pour les patients vus en une semaine pour sevrage alcoolique.

    Un tiers des nouveaux consultants dans les structures spécialisées est demandeur d’emploi ou exerce une activité précaire, 12 % n’ont pas de domicile stable.

    En 2003, 67 400 personnes ont été interpellées pour ivresse publique, plus de 243 000 dépistages de l’alcoolémie routière se sont révélés positifs. Les tribunaux ont prononcé environ 104 600 condamnations pour conduite en état alcoolique, 3 736 pour blessures involontaires par conducteur en état alcoolique et 421 pour homicide par conducteur en état alcoolique. Les autres infractions n’ont pas fait état de mesure en France.

    On dénombre 230 accidents attribuables à la consommation de cannabis.


    Faits et chiffres
    12,4 millions d’expérimentateurs de cannabis contre 42,5 millions pour l’alcool.

    1,2 million de consommateurs occasionnels de cannabis contre 39,4 millions pour l’alcool.

    550 000 usagers réguliers de cannabis contre 9,7 millions pour l’alcool.

    49,5 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis avec un début vers l’âge de 15 ans. Si avant 14 ans la consommation d’alcool reste rare, à 17 ans 57 % déclarent avoir déjà été ivres. 46 % d’entre eux ont eu un comportement d’alcoolisation correspondant au binge drinking anglo-saxon. Contrairement à l’alcool, l’usage intensif ponctuel ne présente pas les mêmes risques.

    La peine encourue peut aller jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende pour l’usage de cannabis. La conduite sous l’emprise de stupéfiants est sanctionnée d’une peine de 2 ans et de 4 500 euros d’amende. Pour l’alcool, l’ivresse publique et manifeste est actuellement passible d’une contravention de 2e classe (150 € d’amende). L’ivresse dans une enceinte sportive constitue un délit passible d’emprisonnement, notamment en cas de violences. L’alcoolémie au volant est passible entre autres d’une peine d’amende (de 135 à 4 500 €), du retrait de points du permis de conduire, de la suspension ou du retrait du permis, voire d’une peine de prison. En cas d’accident corporel, les peines sont aggravées et peuvent atteindre dix ans d’emprisonnement en cas d’homicide involontaire avec manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence.

    Le coût social du cannabis s’élève à 919 millions d’euros, soit 0,06 % du PIB de 2003 ou encore un peu plus de 15 euros par habitant. Pour l’alcool, le coût social s’élève à 2,37 % du PIB soit 599 euros par habitant. Soit 40 fois plus que le cannabis.
  • Le football, illustration extrême du néolibéralisme

     

    Le transfert d’Edinson Cavani au PSG pour la bagatelle de 64 millions d’euros est le 4ème transfert le plus cher de l’histoire du football. Une nouvelle illustration des dérives du football business dont on voit tous les jours davantage qu’il n’est que le cirque de l’anarchie néolibérale globalisée.

    L’argent pour seule règle
     
    Bien sûr, le football peut être un très beau sport et l’on peut encore vibrer devant les exploits de telle ou telle équipe ou de tel ou tel joueur, mais le spectacle qu’il donne depuis trop longtemps est de plus en plus cynique. En effet, que penser des plus grands joueurs, devenus des mercenaires payés jusqu’à un million d’euros par mois (plus de 600 SMICs), prêts à se vendre à n’importe quel milliardaire désireux de les recruter ? Que penser de la compétition devenue totalement inégale avec des clubs qui bénéficient du mécénat plus ou moins intéressé d’un oligarque russe ou d’un émir ?
     
     
    Il n’est pas inutile de rappeler ici qu’en 2012-2013, le budget moyen des clubs de la ligue tournait autour de 50 millions d’euros, variant entre 19 et 60 millions du moins fortuné au 6ème. L’Olympique de Marseille, sur la dernière marche du podium, affichait un budget de 110 millions, contre 145 pour Lyon, second et très loin derrière le PSG version quatari, à 300 millions. Pire, cette année, le budget est annoncé en hausse de 100 millions (l’équivalent du budget total du 4ème club de la ligue 1…), à 400 millions. Seuls Barcelone et le Real de Madrid affichent encore un budget supérieur en Europe.
     
     
    Naturellement, ces chiffres n’ont aucun sens économique, du moins au démarrage. Les pertes réalisées par les plus grands clubs sont totalement abyssales (232 millions pour Manchester City en 2010-2011). Mais, au bout d’un certain temps, certains clubs européens peuvent arriver à l’équilibre. Mais le plus souvent, de généreux mécènes règlent la note, sauf quand, comme en Espagne, ce n’est pas tout simplement par un recours délirant à l’endettement que les clubs de football financent leurs dépenses somptuaires (15 milliards de dettes brutes et 1,6 milliards de pertes en 2010 en Europe).
     
    Un mauvais exemple pour la jeunesse
     
     
    Jean-Claude Michéa, dans son dernier livre, porte un jugement dur sur les dérives du football business. Il faut dire que ce beau sport s’est transformé en une célébration de l’argent roi, où les plus riches gagnent, où les joueurs ne sont plus guidés que par leur compte en banque. Pire, la place de l’argent est contestable. Tout d’abord, le critère de rentabilité n’entre pas forcément en compte pour les oligarques ou les émirs qui dépensent des sommes folles. Ensuite, on peut même avoir des doutes sur la propreté de l’argent dépensé, comme le rappelle The Economist dans ce papier.
     
    Quel triste modèle donné à la jeunesse que ce jeu où des joueurs trop souvent mercenaires et mal élevés amassent des fortunes. Quel triste modèle donné à la jeunesse que ce jeu où les plus riches gagnent quelle que soit l’origine de l’argent et sans rapport avec le sens économique ? Quel triste modèle également que ce sport qui refuse de mettre en place un arbitrage vidéo qui permettrait de sanctionner les tricheurs et ainsi d’éviter de leur donner le beau rôle, comme cela est un peu le cas aujourd’hui. Quel triste spectacle que ces clubs de plus en plus déracinés de la région d’où ils viennent.
     
    Comme le soutient Michéa dans son dernier livre, ne faudrait-il pas revenir sur le fameux arrêt Bosman, et ainsi limiter le nombre de joueurs étrangers dans chaque club ? Cela valoriserait les clubs qui sont capables de former les jeunes dans un centre d’apprentissage, la recette du succès d’Auxerre avant le triomphe de l’argent-roi. Et cela créerait un lien entre le club et ses supporters. Il faudrait également envisager des règles permettant d’éviter cette concurrence déloyale des grands clubs, comme cela se fait aux Etats-Unis, soit par des contraintes budgétaires ou de recrutement.
     
    De nos jours, le football donne un triste spectacle qui n’est, après tout, que le reflet du système économique que nos dirigeants ont laissé se construire, où la règle du plus fort est toujours la meilleure. Dans la réforme à venir, il ne faudra pas oublier d’en soigner toutes les dérives, y compris sportives.

     

  • Qui gouvernera Internet ?


    Multinationales, Etats, usagers

     

    En France, le fournisseur d’accès à Internet Free reproche au site de vidéo YouTube, propriété de Google, d’être trop gourmand en bande passante. Son blocage, en représailles, des publicités de Google a fait sensation. Free a ainsi mis à mal la « neutralité d’Internet » — l’un des sujets discutés en décembre à la conférence de Dubaï. La grande affaire de cette rencontre a cependant été la tutelle des Etats-Unis sur le réseau mondial.

    par Dan Schiller, février 2013

    Habituellement circonscrite aux contrats commerciaux entre opérateurs, la géopolitique d’Internet s’est récemment étalée au grand jour. Du 3 au 14 décembre 2012, les cent quatre-vingt-treize Etats membres de l’Union internationale des télécommunications (UIT, une agence affiliée à l’Organisation des Nations unies) s’étaient donné rendez-vous à Dubaï, aux Emirats arabes unis, pour la douzième conférence mondiale sur les télécommunications internationales. Une rencontre où les diplomates, abreuvés de conseils par les industriels du secteur, forgent des accords censés faciliter les communications par câble et par satellite. Longues et ennuyeuses, ces réunions sont cependant cruciales en raison du rôle déterminant des réseaux dans le fonctionnement quotidien de l’économie mondiale.

    La principale controverse lors de ce sommet portait sur Internet : l’UIT devait-elle s’arroger des responsabilités dans la supervision du réseau informatique mondial, à l’instar du pouvoir qu’elle exerce depuis des dizaines d’années sur les autres formes de communication internationale ?

    Les Etats-Unis répondirent par un « non » ferme et massif, en vertu de quoi le nouveau traité renonça à conférer le moindre rôle à l’UIT dans ce qu’on appelle la « gouvernance mondiale d’Internet ». Toutefois, une majorité de pays approuvèrent une résolution annexe invitant les Etats membres à « exposer dans le détail leurs positions respectives sur les questions internationales techniques, de développement et de politiques publiques relatives à Internet ». Bien que « symbolique », comme le souligna le New York Times (1), cette ébauche de surveillance globale se heurta à la position inflexible de la délégation américaine, qui refusa de signer le traité et claqua la porte de la conférence, suivie entre autres par la France, l’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Kenya, la Colombie, le Canada et le Royaume-Uni. Mais quatre-vingt-neuf des cent cinquante et un participants décidèrent d’approuver le document. D’autres pourraient le signer ultérieurement.

    En quoi ces péripéties apparemment absconses revêtent-elles une importance considérable ? Pour en clarifier les enjeux, il faut d’abord dissiper l’épais nuage de brouillard rhétorique qui entoure cette affaire. Depuis plusieurs mois, les médias occidentaux présentaient la conférence de Dubaï comme le lieu d’un affrontement historique entre les tenants d’un Internet ouvert, respectueux des libertés, et les adeptes de la censure, incarnés par des Etats autoritaires comme la Russie, l’Iran ou la Chine. Le cadre du débat était posé en des termes si manichéens que M. Franco Bernabè, directeur de Telecom Italia et président de l’association des opérateurs de téléphonie mobile GSMA, dénonça une « propagande de guerre », à laquelle il imputa l’échec du traité (2).

    Fronde antiaméricaine

    Où que l’on vive, la liberté d’expression n’est pas une question mineure. Où que l’on vive, les raisons ne manquent pas de craindre que la relative ouverture d’Internet soit corrompue, manipulée ou parasitée. Mais la menace ne vient pas seulement des armées de censeurs ou de la « grande muraille électronique » érigée en Iran ou en Chine. Aux Etats-Unis, par exemple, les centres d’écoute de l’Agence de sécurité nationale (National Security Agency, NSA) surveillent l’ensemble des communications électroniques transitant par les câbles et satellites américains. Le plus grand centre de cybersurveillance du monde est actuellement en cours de construction à Bluffdale, dans le désert de l’Utah (3). Washington pourchasse WikiLeaks avec une détermination farouche. Ce sont par ailleurs des entreprises américaines, comme Facebook et Google, qui ont transformé le Web en une « machine de surveillance » absorbant toutes les données commercialement exploitables sur le comportement des internautes.

    Depuis les années 1970, la libre circulation de l’information (free flow of information) constitue l’un des fondements officiels de la politique étrangère des Etats-Unis (4), présentée, dans un contexte de guerre froide et de fin de la décolonisation, comme un phare éclairant la route de l’émancipation démocratique. Elle permet aujourd’hui de reformuler des intérêts stratégiques et économiques impérieux dans le langage séduisant des droits humains universels. « Liberté d’Internet », « liberté de se connecter » : ces expressions, ressassées par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton et les dirigeants de Google à la veille des négociations, constituent la version modernisée de l’ode à la « libre circulation ».

    A Dubaï, les débats couvraient une myriade de domaines transversaux. Au programme, notamment, la question des rapports commerciaux entre les divers services Internet, comme Google, et les grands réseaux de télécommunication, tels Verizon, Deutsche Telekom ou Orange, qui transportent ces volumineux flux de données. Crucial par ses enjeux économiques, le sujet l’est aussi par les menaces qu’il fait peser sur la neutralité du Net, c’est-à-dire sur le principe d’égalité de traitement de tous les échanges sur la Toile, indépendamment des sources, des destinataires et des contenus. Le geste de M. Xavier Niel, le patron de Free, décidant début janvier 2013 de s’attaquer aux revenus publicitaires de Google en bloquant ses publicités, illustre les risques de dérive. Une déclaration générale qui imposerait aux fournisseurs de contenus de payer les opérateurs de réseaux aurait de graves conséquences sur la neutralité d’Internet, qui est une garantie vitale pour les libertés de l’internaute.

    Mais l’affrontement qui a marqué la conférence portait sur une question tout autre : à qui revient le pouvoir de contrôler l’intégration continue d’Internet dans l’économie capitaliste transnationale (5) ? Jusqu’à présent, ce pouvoir incombe pour l’essentiel à Washington. Dès les années 1990, quand le réseau explosait à l’échelle planétaire, les Etats-Unis ont déployé des efforts intenses pour institutionnaliser leur domination. Il faut en effet que les noms de domaine (du type « .com »), les adresses numériques et les identifiants de réseaux soient attribués de manière distinctive et cohérente. Ce qui suppose l’existence d’un pouvoir institutionnel capable d’assurer ces attributions, et dont les prérogatives s’étendent par conséquent à l’ensemble d’un système pourtant extraterritorial par nature.

    Profitant de cette ambiguïté originelle, les Etats-Unis ont confié la gestion des domaines à une agence créée par leurs soins, l’Internet Assigned Numbers Authority (IANA). Liée par contrat au ministère du commerce, l’IANA opère en qualité de membre d’une association californienne de droit privé, l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), dont la mission consiste à « préserver la stabilité opérationnelle d’Internet ». Quant aux standards techniques, ils sont établis par deux autres agences américaines, l’Internet Engineering Task Force (IETF) et l’Internet Architecture Board (IAB), elles-mêmes intégrées à une autre association à but non lucratif, l’Internet Society. Au vu de leur composition et de leur financement, on ne s’étonnera pas que ces organisations prêtent une oreille plus attentive aux intérêts des Etats-Unis qu’aux demandes des utilisateurs (6).

    Les sites commerciaux les plus prospères de la planète n’appartiennent pas à des capitaux kényans ou mexicains, ni même russes ou chinois. La transition actuelle vers l’« informatique en nuages » (cloud computing), dont les principaux acteurs sont américains, devrait encore accroître la dépendance du réseau envers les Etats-Unis. Le déséquilibre structurel du contrôle d’Internet garantit la suprématie américaine dans le cyberespace, à la fois sur le plan commercial et militaire, laissant peu de marge aux autres pays pour réguler, verrouiller ou assouplir le système en fonction de leurs propres intérêts. Par le biais de diverses mesures techniques et législatives, chaque Etat est certes à même d’exercer une part de souveraineté sur la branche « nationale » du réseau, mais sous la surveillance rapprochée du gendarme planétaire. De ce point de vue, comme le note l’universitaire Milton Mueller, Internet est un outil au service de la « politique américaine de globalisme unilatéral (7) ».

    Leur fonction de gestionnaires a permis aux Etats-Unis de propager le dogme de la propriété privée au cœur même du développement d’Internet. Quoique dotée, en principe, d’une relative autonomie, l’Icann s’est illustrée par les faveurs extraterritoriales accordées aux détenteurs de marques commerciales déposées. En dépit de leurs protestations, plusieurs organisations non commerciales, bien que représentées au sein de l’institution, n’ont pas fait le poids face à des sociétés comme Coca-Cola ou Procter & Gamble. L’Icann invoque le droit des affaires pour imposer ses règles aux organismes qui administrent les domaines de premier niveau (tels que « .org », « .info »). Si des fournisseurs nationaux d’applications contrôlent le marché intérieur dans plusieurs pays, notamment en Russie, en Chine ou en Corée du Sud, les services transnationaux — à la fois les plus profitables et les plus stratégiques dans ce système extraterritorial — restent, d’Amazon à PayPal en passant par Apple, des citadelles américaines, bâties sur du capital américain et adossées à l’administration américaine.

    Dès les débuts d’Internet, plusieurs pays se sont rebiffés contre leur statut de subordonnés. La multiplication des indices signalant que les Etats-Unis n’avaient aucune intention de relâcher leur étreinte a progressivement élargi le front du mécontentement. Ces tensions ont fini par provoquer une série de rencontres au plus haut niveau, notamment dans le cadre du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), organisé par l’UIT à Genève et à Tunis entre 2003 et 2005.

    En offrant une tribune aux Etats frustrés de n’avoir pas leur mot à dire, ces réunions préfiguraient le clash de Dubaï. Rassemblés en un Comité consultatif gouvernemental (Governmental Advisory Committee, GAC), une trentaine de pays espéraient convaincre l’Icann de partager une partie de ses prérogatives. Un espoir vite déçu, d’autant que leur statut au sein du GAC les mettait au même niveau que les sociétés commerciales et les organisations de la société civile. Certains Etats auraient pu s’accommoder de cette bizarrerie si, malgré les discours lénifiants sur la diversité et le pluralisme, l’évidence ne s’était imposée à tous : la gouvernance mondiale d’Internet est tout sauf égalitaire et pluraliste, et le pouvoir exécutif américain n’entend rien lâcher de son monopole.

    Revirement de l’Inde et du Kenya

    La fin de l’ère unipolaire et la crise financière ont encore attisé le conflit interétatique au sujet de l’économie politique du cyberespace. Les gouvernements cherchent toujours des points de levier pour introduire une amorce de coordination dans la gestion du réseau. En 2010 et 2011, à l’occasion du renouvellement du contrat passé entre l’IANA et le ministère du commerce américain, plusieurs Etats en ont appelé directement à Washington. Le gouvernement kényan a plaidé pour une « transition » de la tutelle américaine vers un régime de coopération multilatérale, au moyen d’une « globalisation » des contrats régissant la superstructure institutionnelle qui encadre les noms de domaine et les adresses IP (Internet Protocol). L’Inde, le Mexique, l’Egypte et la Chine ont fait des propositions dans le même sens.

    Les Etats-Unis ont réagi à cette fronde en surenchérissant dans la rhétorique de la « liberté d’Internet ». Nul doute qu’ils ont aussi intensifié leur lobbying bilatéral en vue de ramener au bercail certains pays désalignés. A preuve, le coup de théâtre de la conférence de Dubaï : l’Inde et le Kenya se sont prudemment ralliés au coup de force de Washington.

    Quelle sera la prochaine étape ? Les agences gouvernementales américaines et les gros commanditaires du cybercapitalisme tels que Google continueront vraisemblablement d’employer toute leur puissance pour renforcer la position centrale des Etats-Unis et discréditer leurs détracteurs. Mais l’opposition politique au « globalisme unilatéral » des Etats-Unis est et restera ouverte. Au point qu’un éditorialiste du Wall Street Journal n’a pas hésité, après Dubaï, à évoquer la « première grande défaite numérique de l’Amérique (8) ».

    Dan Schiller

    Professeur de sciences de l’information et des bibliothèques à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign.

     

  • L’armée, les urnes, la rue



    par Serge Halimi, août 2013

    Ils avaient juré qu’ils ne brigueraient pas la présidence égyptienne. Ce premier serment rompu, les Frères musulmans devaient apporter « pain, liberté, justice sociale ». Sous leur férule, l’insécurité s’est accrue, la misère aussi. La foule a alors reconquis la rue pour exiger le départ du président Mohamed Morsi (lire « En Egypte, la révolution à l’ombre des militaires »). Certaines révolutions commencent ainsi. Lorsqu’elles triomphent, on les célèbre pendant des siècles sans se soucier exagérément de leur spontanéité relative ou des fondements juridiques de leur déclenchement. L’histoire n’est pas un séminaire de droit.

    Au lendemain de la dictature de M. Hosni Moubarak, il était illusoire d’imaginer que l’étouffement prolongé de la vie politique, du débat contradictoire, ne pèserait pas sur les premiers scrutins. Dans de tels cas, les électeurs confirment souvent l’influence des forces sociales ou institutionnelles les mieux structurées (les grandes familles, l’armée, l’ancien parti unique) ou celle des groupes organisés qui ont maillé leurs réseaux clandestins pour échapper à la répression (les Frères musulmans). L’apprentissage démocratique déborde largement le temps d’une élection (1).

    Des promesses non tenues, des dirigeants élus de justesse et qui affrontent aussitôt la désaffection ou la colère de l’opinion, des manifestations géantes organisées par une coalition hétéroclite : ces dernières années, d’autres pays que l’Egypte ont connu des situations de ce type sans que, pour autant, l’armée ne prenne le pouvoir, n’emprisonne sans jugement le chef de l’Etat, n’assassine ses militants. Sinon, on appelle cela un coup d’Etat.

    Ce terme, les pays occidentaux ne l’emploient pas. Arbitres des élégances diplomatiques, ils semblent estimer que certains putschs — au Mali, au Honduras, en Egypte... — sont moins inadmissibles que d’autres. D’abord, les Etats-Unis ont appuyé les Frères musulmans, puis ils ont maintenu leur aide militaire au Caire lorsque le président Morsi fut « déposé » par l’armée. Une alliance conservatrice entre celle-ci et les Frères aurait constitué le scénario rêvé de Washington ; il est par terre. S’en réjouissent à la fois les nostalgiques de l’ancien régime, des nationalistes nassériens, les néolibéraux égyptiens, des salafistes, la gauche laïque, les monarques saoudiens. Il y aura forcément des déçus parmi eux…

    Bien que l’Egypte soit en banqueroute, l’affrontement entre les militaires et les islamistes ne concerne guère les choix économiques et sociaux, largement inchangés depuis la chute de M. Moubarak. Pourtant, qu’elle débouche sur des élections ou qu’elle recoure à un coup d’Etat, que vaut au juste une révolution si elle ne change rien sur ces plans-là ? Les nouveaux dirigeants subordonnent le salut de leur pays aux aides financières (12 milliards de dollars) des Etats du Golfe — en particulier de la très réactionnaire Arabie saoudite (2). Si cette option se confirme, les juristes auront beau dire et médire, le peuple égyptien reprendra le chemin de la rue.

    Serge Halimi