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  • Après l’Irak et l’Afghanistan, les drones...

    SOURIEZ, VOUS ÊTES DRONÉS29/12/2012 à 17h42

    Après l’Irak et l’Afghanistan, les drones envahissent le ciel américain

    Elsa Ferreira | Rue89

    Utilisés par l’armée américaine en temps de guerre, les drones surveillent désormais aussi les citoyens, ce qui inquiète les défenseurs de la vie privée.


    Deux agents surveillent les frontières américaines grâce aux drones (Eric Gay/AP/SIPA)

    Demain, le futur ? Le ciel des Etats-Unis pourrait bientôt être envahi de dizaines de milliers de drones. 30 000 d’ici 2020. Leur mission : surveiller les citoyens américains.

    On connaît les drones pour leur utilisation par l’armée américaine en territoire étranger. Des bombardements à la télécommande qui ont fait beaucoup de morts dits « collatéraux ».

    Mais ils sont aussi utilisés dans le ciel américain. La police des frontières les utilisent depuis 2005 pour repérer les immigrants clandestins et le trafic de drogue entre les Etats-Unis et ses deux voisins, le Mexique et le Canada. A quelques reprises, et sous des conditions restreintes, le FBI (le Bureau fédéral d’investigation) et la DEA ( l’Agence de lutte contre les trafics de drogue) ont été autorisés à emprunter les robots volants de leurs collègues. En juin 2011, les forces de l’ordre du comté de Nelson (Dakota du Nord), procédaient à lapremière arrestation de citoyens américains assistée d’un drone.

    Espions-robots

    Ce n’est que le début... la « dronaïsation » du territoire s’accélère. En février de cette année, le congrès a voté une loi pressant l’Administration fédérale de l’aviation (la FAA) d’élargir les conditions de survol du territoire domestique aux drones. En plus de l’armée, le secteur privé et les agences civiles du gouvernement (au niveau fédéral, des Etats et local) seront autorisés à faire flotter les engins dans l’espace aérien américain.

    Selon le Christian Science Monitor, il y aurait déjà plus de 110 bases d’activité pour les drones, actuelles ou en construction, dans 39 Etats. La Electronic Fontiere Fondation a établi une carte répertoriant les autorisations données, ou en attente, pour leur utilisation. Le pays entier est quadrillé.

    D’un point de vue technologique, les drones sont de redoutables espions. De la taille d’un avion ou aussi petit qu’un colibri, ils peuvent être équipés de caméras infrarouges, de détecteurs de chaleur, de GPS, de détecteur de mouvement, d’un lecteur automatisé de plaque d’immatriculation et on leur prête un prochain système de reconnaissance faciale.

    Le scénario de science-fiction ne fait pas sourire les défenseurs de la vie privée, qui s’inquiètent d’un « Etat de surveillance ».

    Surveillance non-consensuelle

    Dans son article sur l’imminente « attaque des drones » pour le Guardian,Naomie Wolf publie un document non-classifié de l’armée de l’air américaine, clarifiant les limites de la « surveillance dronaire ». On y apprend que les robots-espions ne pourront pas « mener de surveillance non-consensuelle sur des personnes américaines spécifiquement identifiées, sauf si approuvé expressément par la secrétaire à la Défense. »

    Une bonne nouvelle... jusqu’à ce qu’on lise entre les lignes. Tout d’abord, cela veut dire que la surveillance contre leur gré des citoyens américains ne dépend que de l’approbation de la secrétaire à la Défense. Comme l’écrit Naomie Wolf :

    « Le Pentagone peut désormais envoyer un drone domestique rôder autour de la fenêtre de votre appartement, recueillir des images de vous et de votre famille, si la secrétaire de la Défense l’approuve. »

    Cela veut dire aussi que des personnes américaines non « spécifiquement identifiées » – « une détermination si vague qu’elle en perd son sens » – pourraient être surveillées à leur insu. Comme par exemple « un groupe de militants ou de manifestants », interprète l’auteure américaine.

    La fin du 4e amendement

    La surveillance des citoyens par les drones a déjà commencé. A titre d’entraînement. C’est ce qu’à découvert un journaliste du New York Times lors d’un reportage (en groupe) sur la « drone zone », une base d’entraînement pour les « pilotes » de drones.

    « Cela n’a pris que quelques secondes pour comprendre exactement ce que nous regardions. Un véhicule blanc, roulant sur l’autoroute à côté de la base, arrivait dans le viseur au centre de l’écran et était traqué alors qu’il roulait vers le sud le long de la route déserte. Quand le véhicule sorti de l’image, le drone commença à suivre une autre voiture.

    “ Attendez, vous vous entraînez à traquer l’ennemi en utilisant des voitures de civils ?”, demanda un journaliste . Un officier de l’armée de l’air répondit que ce n’était qu’une mission d’entraînement et le groupe (de journalistes, Ndlr) a été précipité hors de la pièce. »

    Si les informations peuvent être collectées à l’insu des citoyens américains, sous des conditions vagues, que deviennent-elles ensuite ? Là encore, le document de l’armée de l’air réserve quelques surprises.

    Il indique qu’en cas d’informations sur un citoyen américain « reçues par inadvertance », l’unité en question peut conserver ces informations jusqu’à 90 jours, pour déterminer si elles peuvent être gardées de façon permanente. « Ce qui en finit pour de bon avec le quatrième amendement », – amendement qui protège les citoyens américains contre les perquisitions et saisies non motivées et non justifiées –, juge Naomie Wolf.

    1984

    Les américains accueillent les drones avec méfiance. A la question « A quel point seriez vous inquiet si les forces de l’ordre américaine commençait à utiliser des drones avec des caméras haute technologie ? » posée lors d’un sondage réalisé par l’université de Monmouth, 42 % ont répondu qu’ils seraient « très inquiets ».

    Ils s’opposent également en masse (67 %) à l’utilisation des drones lors de dépassement de vitesse. Ils sont cependant largement favorable à l’utilisation des robots pour contrôler l’immigration illégale, pour poursuivre des criminels ou encore pour des missions de recherche et de secours (respectivement 64 %, 67 % et 80 %).

    Dans un article de la Stanford Law Review, le spécialiste de la vie privée et la robotique, Ryan Calo, s’excuse de l’inévitable référence au livre 1984 de George Orwell et écrit :

    « Les citoyens ne bénéficient pas d’une intimité raisonnable en public, même pas sur les portions de leur propriété, visible depuis un lieu public. En 1986, la Cour Suprême n’a pas estimé qu’il s’agissait d’une fouille lorsque la police vola au dessus du jardin d’un suspect avec un avion privé. Quelques années plus tard, la Cour a accepté des preuves obtenues par un officier qui avait regardé depuis un trou dans le toit d’une serre depuis un hélicoptère. Ni la constitution, ni la “ common-law ” ne semblent interdire aux médias ou à la police de faire de la surveillance quotidienne avec des drones. »

  • Conso alternative

    LE GRAND ENTRETIEN30/12/2012 à 16h16

    Conso alternative : « Les classes moyennes ont changé de valeurs »

    Sophie Caillat | Journaliste Rue89

    Rencontre avec l’auteure d’un livre porteur d’espoir : partout dans le monde, des citoyens s’organisent pour subvenir à leurs besoins et inventer une autre société.

    A l’heure où la phrase de Margaret Thatcher « There is no alternative » (au libéralisme, à la rigueur budgétaire) n’a jamais été autant dans la bouche des dirigeants, il est bon de rappeler la réponse de Susan George : « There are thousands of alternatives ».

    La journaliste Bénédicte Manier est partie de la deuxième assertion et, pendant deux ans, est allée voir ce qui fait bouger la société civile, les graines de changement semées partout et qui inventent un « autre monde possible ». Elle en a ramené un livre passionnant, « Un million de révolutions tranquilles »(Editions Les liens qui libèrent), qui fourmille d’utopies réalisées.

    Des assemblées villageoises qui gèrent l’eau en Inde aux banques citoyennes en Espagne, elle décrit le fonctionnement de quelques-unes des solutions susceptibles de contourner la grande machine capitaliste.

    Rue89 : Qu’est-ce qu’une « révolution tranquille » exactement ?

    Bénédicte Manier : Ce sont des changements locaux, qui se mettent en place silencieusement pour résoudre les problèmes auxquels la population est confrontée – chômage, pauvreté, malnutrition, dégâts sur l’environnement... –, défis que les pouvoirs publics semblent impuissants à résoudre. Alors les citoyens décident d’agir eux-mêmes. Et aujourd’hui, on assiste à un foisonnement d’initiatives sur tous les continents, de solutions locales facilement transférables d’un pays à l’autre.


    Couverture du livre de Bénédicte Manier

    En agriculture, on voit émerger de nouvelles zones d’autosuffisance alimentaire, avec des réformes agraires menées par les habitants eux-mêmes ou la régénération d’écosystèmes grâce à l’agroforesterie et au bio. En Afrique, en Asie, en Amérique latine, des coopératives créent de l’emploi et sortent de la pauvreté des milliers d’oubliés de la croissance.

    Une autre façon d’habiter les villes a aussi émergé, avec partout l’essor de coopératives de logement et de l’agriculture urbaine (New York, par exemple, compte 800 jardins partagés). Contre la spéculation, des filières d’épargne citoyennes se sont développées.

    Pour les exclus du système de santé, des citoyens américains ont ouvert 1 200 cliniques gratuites. Contre la « malbouffe », les consommateurs japonais ont adhéré par millions aux « Teikei » (les Amap locales) et aux coopératives d’achat direct aux fermiers. Ils ont aussi créé leurs propres services (crèches, emplois familiaux...). Dans des domaines très variés, la société civile reprend ainsi en main les enjeux qui la concernent et devient un vrai moteur du changement social.

    De quand datent ces initiatives ?

    Certaines d’il y a vingt ans, mais depuis une dizaine d’années, les changements sont devenus très visibles dans le domaine de la consommation. Les classes moyennes des pays industrialisés ont largement adopté la « consommation collaborative », qui consiste à acheter moins, mais mieux, et entre soi : on achète d’occasion, on partage, on loue, on troque, on répare au sein d’ateliers participatifs, on échange des services sans argent...

    En bref, on développe les « 4 R » (réduire, réutiliser, réparer, recycler). On se tourne aussi vers le local et le bio, pour savoir ce qu’on mange et soutenir l’économie de proximité. Et en imposant ces nouveaux comportements, la société civile a en partie réorganisé la distribution et amorcé une transition vers des modes de vie plus économes et plus écologiques.

    C’est ce qu’on appelle le « penser global, agir local », que Coline Serreau avait décrit dans son dernier film ?

    Exactement. C’est une évolution profonde : les gens se rendent compte que le modèle de développement actuel a trouvé ses limites et souhaitent d’autres logiques que le tout-marchand. En soutenant une coopérative locale ou uneAmap, en échangeant dans un système d’échange local (SEL) ou en plaçant son épargne dans l’économie solidaire, le citoyen contribue à une activité économique qui répond mieux à ses valeurs.

    Est-ce aussi ce qu’on appelle l’économie de la débrouille ?

    Oui, mais pas seulement. L’« économie de la débrouille » donne l’impression que c’est uniquement déclenché par la crise. En réalité, cela fait plusieurs années que les classes moyennes ont silencieusement changé de valeurs. Par exemple, quand une petite partie d’entre elles se détache des banques commerciales pour aller vers des circuits financiers solidaires, c’est parce qu’elles cherchent du sens et veulent voir leur argent servir à autre chose que la spéculation. Ce changement d’aspiration date d’avant la crise et celle-ci n’a fait que l’accentuer.

    Quels sont les profils concernés ?


    Bénédicte Manier (DR)

    On a affaire à des générations très connectées, très informées, conscientes des grands enjeux et qui ne se retrouvent plus dans l’hyperconsommation, mais davantage dans des comportements conviviaux et coopératifs.

    Les consommateurs sont ainsi devenus des acteurs des filières ; en partageant leurs outils de bricolage, leurs maisons (Couchsurfing) ou en organisant leurs propres circuits de livraison de colis par covoiturage, ils mettent en place une économie collaborative, ce qu’explique Anne-Sophie Noveldans son livre « Vive la co-révolution ».

    Les logiciels libres notamment sont issus de cette coopération transversale. C’est une forme de déclaration d’indépendance vis-à-vis de l’économie classique, qui se fait sans vraiment d’idéologie, mais plutôt avec pragmatisme. C’est finalement une génération post-mondialisation, qui en a adopté les outils (Internet, smartphone), mais qui les met au service d’actions citoyennes participatives et décentralisées.

    Décroissants, créatifs culturels, sous quelle bannière les regrouper ?

    Certains sont dans l’une ou l’autre tendance, mais beaucoup n’entrent dans aucune. Les créatifs culturels sont ceux qui dans les années 1990 ont créé une autre manière d’être au monde, en étant davantage dans l’être que dans l’avoir. Mais aujourd’hui, le changement s’est élargi à d’autres groupes sociaux. Je ne me hasarderais pas à quantifier, mais visiblement le changement concerne une bonne partie des classes moyennes.

    Deux livres parus en 2010 aux Etats-Unis ( « Consumed : Rethinking Business in the Era of Mindful Spending » et « Spend Shift : How the Post-Crisis Values Revolution Is Changing the Way We Buy, Sell, and Live ») ont montré que 72% des habitants des pays industrialisés ont adopté des modes d’achat plus écologiques et plus sociaux, et que 55% des ménages américains ont mis en place une consommation « démondialisée », en adhérant à des valeurs d’autosuffisance, de « do it yourself » ou d’achat sur les marchés fermiers locaux.

    Quelle peut être la traduction politique de tout cela ?

    Ces changements silencieux se font en dehors des groupes constitués, c’est typique des sociétés en réseaux où l’on se regroupe entre voisins ou en groupes informels aidés par les réseaux sociaux. Il n’y a pas de relais politique : les citoyens ont plus ou moins intégré l’idée qu’on ne change pas le monde avec un parti politique, ce qui exprime une sorte de fatigue de la démocratie, comme l’explique Pierre Rosanvallon.

    Et ils ne descendent plus dans la rue. La contestation des Indignés et du mouvement Occupy Wall Street a d’ailleurs trouvé ses limites et ces groupes se réinvestissent maintenant dans les initiatives concrètes. Les Indignés espagnols créent par exemple des coopératives de logement et des systèmes d’échange gratuit de services. On n’est plus dans la protestation, mais dans le passage à l’acte.

    Est-ce que le nouveau réseau social Newmanity est susceptible de leur donner plus d’occasions de se rencontrer et plus d’écho ?

    Il est intéressant de voir se développer des réseaux sociaux davantage liés à ce changement d’aspirations. Cette nouvelle génération de réseaux va au-delà de la simple mise en relation, pour proposer du sens : elle propose de partager les mêmes valeurs éthiques. Et si Newmanity diffuse ces initiatives de changement, il va sans doute accélérer leur progression, notamment par une logique de « translocal », une reproduction d’un territoire à un autre.

    Parmi les acteurs importants, il y a le Québec. Qu’a-t-on à apprendre de lui ?

    Les coopératives d’habitants se sont beaucoup développées là-bas, car la société civile a créé des structures de professionnels qui aident les gens à transformer des bâtiments désaffectés en habitats coopératifs, ou à concevoir des immeubles écologiques et conviviaux où on habite ensemble en mutualisant les charges. Les logements sont à l’abri de la spéculation et sont loués nettement en dessous du marché. Au Québec, on en compte 1 200, qui logent 50 000 personnes.

    Elles se sont aussi développées en Allemagne, en Angleterre, en Suède, aux Etats-Unis... mais peu en France, pays très réglementé et plus colbertiste. Les« Babayagas » ont ainsi eu beaucoup de mal à créer une forme d’habitat coopératif : parce qu’il n’entre dans aucune case administrative, elles ont dû passer par un office HLM. De même, il est difficile ici de créer des coopératives d’énergies renouvelables, notamment parce qu’il faut revendre son électricité à EDF, qui a baissé ses tarifs de rachat. L’individualisme joue aussi sans doute un rôle.

    Les initiateurs de l’expérience des éoliennes citoyennes en Pays de Vilaine ont ainsi ramé pendant dix ans ! Mais ailleurs, ça se développe : au Danemark, 86% des parcs éoliens appartiennent à des coopératives de citoyens. Et en Allemagne, une quarantaine de villages sont déjà autonomes en électricité et se la revendent entre eux, préfigurant ce que Jeremy Rifkin appelle la Troisième révolution industrielle.

    Quels sont les projets les plus avancés en France ?

    Chez nous, ce qui marche bien, ce sont les circuits courts, les monnaies locales, la consommation collaborative ou, dans une certaine mesure, l’épargne solidaire, avec par exemple Terre de liens pour sauver les fermes de terroir. Mais une coopérative financière comme la NEF reste bien moins importante que les grandes coopératives d’épargne américaines (les « credit unions »), ou que la Coop57– coopérative catalane grâce à laquelle les particuliers financent directement l’économie solidaire locale –, ou encore que les banques sociales et écologiques comme la Triodos Bank des Pays-bas ou la Merkur Bank du Danemark.

    « Un million de révolutions tranquilles » peuvent-elles faire une grande révolution ?

    Je décris une évolution des mentalités lente mais réelle, qui va certainement se développer car elle est portée par les classes moyennes, ces « trendsetters » qui fixent les normes de demain. Est-ce qu’un jour tout cela atteindra une masse critique ? Je n’en sais rien, mais on est certainement dans une transition. Les citoyens vont plus vite que les politiques, et ils inventent de nouveaux comportements parce qu’ils ont envie de vivre mieux. Ce mouvement « bottom up » est certainement amené à se développer.

    Comme dirait Pierre Rabhi, changer le monde nécessite de changer soi-même, non ?

    Les gens ont déjà cette intuition que les théoriciens de la décroissance comme Rabhi, Latouche, Viveret, les penseurs de la transition, Rob Hopkins, formulent. Ce sont des initiatives encore minoritaires, mais qui se multiplient maintenant d’un bout à l’autre de la planète, montrant que quelque chose est en train de bouger à la base de la société. Quand des habitants commencent à transformer l’habitat, l’agriculture ou d’autres les aspects de la vie quotidienne, on est peut-être en train de passer à une autre époque.

  • UN JOURNALISTE BELGE REMET A SA PLACE UN POLITICIEN ISRAELIEN

    Voilà un journaliste belge courageux comme on aimerait en voir en France. Eddy Caekelberghs n' a pas hésité au cours de l'émission "Face à l'info" diffusée en direct sur la RTBF, à remettre à sa place un politicien israélien qui visiblement n' a pas supporté d'entendre certaines vérités énoncées par Alain Gresh, directeur adjoint du Monde diplomatique. Le politicien en question est Emmanuel Navon, professeur de Relations Internationales à l’Université de Tel-Aviv et candidat du Likoud pour les prochaines législatives israéliennes. Une scène inimaginable en France! Le clash a lieu à partir de 4'32.
     

  • Couvrir Gaza, sous les insultes :

    TÉMOIGNAGE03/12/2012 à 18h10

    Couvrir Gaza, sous les insultes : journaliste, je ne me tairai pas

    Caroline Bourgeret | Journaliste

    (De Gaza) Le cessez-le-feu est effectif depuis plus de trois jours. Les derniers journalistes sont partis ce matin, j’ai tout l’hôtel pour moi. C’est un peu glauque. L’actualité s’est déplacée. Les regards se tournent ailleurs. Gaza retourne à son quotidien et le côté « coupé du monde » se fait soudainement sentir.


    La chaise vide, dans une école de Gaza (Caroline Bourgeret)

    Je me retrouve seule sur mon lit, avec Twitter et Facebook où pleuvent les messages d’encouragement mais aussi d’insultes. J’entends la mer, les vagues frappent fort ce matin. Il ne fait pas chaud et je reste sous ma couette car ma fenêtre a explosé dans le bombardement de la rue devant l’hôtel mardi dernier. Ils ont mis de la cellophane mais ce n’est pas très efficace contre le froid.

    Les critiques sont variées. Ça commence par « manque d’impartialité » parce que j’ai posté la photo d’une salle de classe où une des petites chaises est restée vide hier matin. Et ça va jusqu’aux accusations de gens qui me traitent de « porte-parole du Hamas ».

    Il faudrait que ça me fasse rire. Mais je suis épuisée, et ça ne me fait pas rire.

    Des ravages dans les murs, sur les corps...


    Des enfants jouent dans des ruines (Caroline Bourgeret)

    Je suis là depuis une semaine, et je rêve tout simplement d’une douche d’eau douce. Mais je suis à Gaza, et dans cette partie de la ville, l’eau du robinet est très salée. C’est un truc sympa ça. Il n’y a de l’électricité que par intermittence.

    Je traîne dans le centre aujourd’hui. La vie a repris. Régulièrement on croise un champ de ruines. Des cratères parfois tellement profonds que tout l’immeuble a disparu dedans. Le point commun entre Gaza et l’Inde, c’est le nombre d’estropiés qui font la manche.

    En retirant de l’argent à la banque, je vois un homme assis par terre, amputé des deux jambes. Un vieux. Blessé dans un bombardement israélien il y a longtemps déjà, d’après ce qu’il baragouine. Il y en a des dizaines dans les rues. Les ravages des offensives israéliennes sont visibles partout. Dans les murs, sur les corps, dans les esprits et dans les cœurs.

    Je prends un café et une claque

    Je prends un café avec un jeune rappeur dont on m’avait donné le contact à Beyrouth (Liban). Il me raconte à quel point ça rend fou de ne pas pouvoir se déplacer :

    « Tu conduis au maximum vingt minutes vers le Nord, une demi-heure vers le Sud, et un gros quart d’heure vers l’Est si tu as la chance qu’il y ait des embouteillages. »

    Le road trip qui vide la tête, ça n’existe pas à Gaza. Antara a voyagé un peu, en Europe, pour des concerts. Mais ça ne l’intéresse plus vraiment. C’est aux Arabes qu’il veut s’adresser avec sa musique.

    « Ce sont eux qui doivent nous soutenir en priorité. »

    Comment peuvent-ils vouloir rester ici ? Lui et les autres musiciens font partie de la catégorie des Gazaouis qui n’auraient pas trop de mal à obtenir des visas d’émigration. Mais ce jeune mec, comme la petite cyberactiviste rencontrée une heure après, disent la même chose :

    « Ma place est ici, avec les miens. C’est mon devoir d’apporter une pierre à l’édifice de la lutte de notre peuple. »

    Je prends une claque. Jamais, nulle part, je n’ai vu autant de courage. Les vieux, les jeunes, les femmes, les hommes, les enfants. Tout le monde est courageux.

    C’est un chauffeur de taxi, Mohammed, qui me conduit chez Rana. Il engage la conversation pour savoir ce que je fais encore là. Il me raconte qu’il vient de Bethléem, en Cisjordanie. Toute sa famille est là-bas. Ses parents, ses frères, sa femme et leurs trois enfants. Il ne les a pas vus depuis 2002 :

    « Enfin si, deux fois, au passage d’Erez, mais les soldats ne nous ont donné qu’une heure. »

    Ces trois petits êtres que je n’oublierai pas

    En lisant les textes de Rana sur Internet, j’imaginais quelqu’un de plus âgé. En réalité c’est une petite minette de 21 ans – mais qui à l’air d’en avoir 15 – qui m’ouvre la porte. Sweat à capuche, visage de poupée, 40 kg toute mouillée. Les yeux cernés. Son père est là aussi. Il est chirurgien à l’hôpital al-Shifa. J’en profite pour lui demander des nouvelles du gosse de 11 ans, Mohamad, que j’avais photographié il y a quelques jours aux soins intensifs. Sale blessure à la tête. Pareil pour son cousin et sa cousine.

    Je n’oublierai jamais ces trois petits êtres dans le coma, allongés sur des lits les uns à côté des autres. Le docteur dit qu’ils vont aussi bien que possible mais qu’on ne peut savoir s’ils se réveilleront, et dans quel état, pour le moment.

    Finalement, je passerai à l’hôpital plus tard dans la journée pour découvrir que Fouad et sa sœur ont été transférés en Egypte. Leurs cas étaient trop graves. Mohamad a repris conscience.

    Rana me raconte sa vie pendant deux bonnes heures. Les livres de Noam Chomsky et d’Ilan Pape rapportés avec elle de voyage parce qu’introuvables à Gaza :

    « Les livres, ce n’est pas vraiment prioritaire quand on doit déjà utiliser des tunnels souterrains pour faire passer des matériaux de construction et des médicaments. »

    Rana ne déteste pas les Israéliens

    Elle parle des Israéliens. M’affirme qu’elle ne les déteste pas. Qu’elle fait la différence entre le gouvernement et ceux qui le suivent d’une part, et ceux qui sont conscients des droits bafoués des Palestiniens d’autre part. Elle rêve d’un Etat unique avec Jérusalem pour capitale.

    Antara, le rappeur, en rêve aussi.

    « Mais ça restera un rêve. Imaginer vivre ensemble n’est plus possible. Il y aurait forcement une vengeance. »

    Aucun des deux n’est religieux pratiquant. Ils n’étaient pas vraiment fans du Hamas. Antara s’est même fait arrêter plusieurs fois pour avoir composé des morceaux critiques à leur égard.

    Mais après cette guerre, ils n’ont qu’un mot à la bouche : respect. Antara pense que jamais un gouvernement ne les a aussi bien défendus jusqu’à maintenant. Pareil pour Rana. Soutient inconditionnel à la résistance.

    Sa version du déroulement du conflit

    Elle est furieuse contre les médias « mainstream » comme elle dit. Elle n’aime pas le terme « médias occidentaux », elle trouve ça réducteur. « Plusieurs médias arabes sont sur cette ligne aussi. » Elle insiste sur le vrai déroulement des évènements de ce conflit :

    « Tous les médias disent que la guerre a commencé avec l’assassinat d’Ahmed al-Jaabari, un des chefs du Hamas, le 14 novembre.

    En réalité, l’armée israélienne a bombardé un terrain de foot le 8 novembre, près de la frontière, à Khan Younès. L’un des jeunes qui jouait avec ses potes est mort, il avait 13 ans.

    En représailles, le Front Populaire pour la Palestine (FPLP) a tiré deux roquettes. Le Hamas a négocié un cessez-le-feu via l’Egypte, qu’Israël a brisé en assassinant l’un de leurs responsables une semaine plus tard. »

    Rana pense qu’on présente toujours les Palestiniens comme les agresseurs sans jamais se pencher sur le vrai enchaînement des évènements.

    Elle a passé la guerre à relayer ce qu’elle voyait sur les réseaux sociaux et à enregistrer le son des bombardements tout autour de chez elle.

    Elle me fait visiter sa chambre. Tout est rose bonbon. Elle s’empresse de me dire qu’elle déteste la déco. « Je ne suis plus une gamine. » Ça c’est sûr, ce n’est plus une gamine.

    Les gamins de Gaza se marrent comme tous les gamins du monde, mais ils ont par moments dans le regard une gravité qui vous explose le cœur.

    Je parcours les photos prises cette semaine.

    Je retombe sur ce tract largué par les avions israéliens sur le nord de la bande de Gaza deux jours avant le cessez-le-feu. Un croquis fléché qui ordonne à la population du Nord de fuir vers le centre de Gaza ville, « pour sa sécurité ».

    Une fillette : « Laisse-moi venir avec toi »


    Des enfants réfugiés auprès de l’UNRWA (Caroline Bourgeret)

    Des milliers de personnes ont quitté leur maison en quelques minutes, sans rien pouvoir prendre avec elles. La plupart se sont réfugiées dans des écoles de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).

    En débarquant dans la cour de l’une d’entre elles, je me souviens avoir découvert un chaos absolu : 2 000 personnes, entassées par groupes de 60 par classe. Une quantité d’enfants impressionnante.

    Un tiers de la population a moins de 18 ans à Gaza. Dans l’une des salles, Maram, une fillette de 3 ou 4 ans, m’a sauté dans les bras en me serrant si fort que j’ai failli en perdre l’équilibre. Elle répétait dans mon oreille en arabe : « Laisse-moi venir avec toi. » Il a fallu que sa mère l’arrache littéralement.


    Maram, dans une classe d’école (Caroline Bourgeret)

    Tous ces gens se sont réfugiés dans le centre-ville, qui a ensuite été bombardé toute la nuit, plus violemment que jamais.


    Un des immeuble touchés, où se trouvait notamment la société de production avec laquelle moi et de nombreux autres journalistes français ont travaillé (Caroline Bourgeret)

    C’est cette nuit-là que la rue de notre hôtel a été bombardée. Après les multiples missiles ayant touché des bureaux de presse, la quasi-totalité des journalistes présents s’était rassemblée dans deux hôtels qui longent la mer, près du port. L’obus est tombé en face, juste entre les deux, à une quinzaine de mètres.

    Toutes les vitres de l’hôtel ont explosé et ce soir encore je m’endors près d’une fenêtre en cellophane. Il est de notoriété publique que la précision des raids israéliens est infaillible.

    Cette fois-ci, ils avaient donc décidé de frapper un terrain vague près duquel j’avais fait un direct quelques heures auparavant. Inutile de dire qu’aucun rassemblement de combattants du Hamas n’avait lieu à cet endroit quand la bombe est tombée en nous faisant tous frôler l’arrêt cardiaque.

    « Pas des journalistes légitimes »

    Le lendemain, au détour d’une rue, je suis tombée sur ce qui restait de la voiture des deux journalistes palestiniens de la télévision Al-Aqsa. Ils sont trois à avoir été visés dans deux différents raids.

    Hussam Mohammed Salama, 30 ans. Mahmoud Ali al-Koumi, 29 ans. Deux cameramen qui se rendaient vers l’hôpital de Gaza pour filmer l’arrivée de blessés après un bombardement israélien. Etait-ce cela leur crime ?

    Mohammed Mousa Abu Eisha, 24 ans, visé une heure plus tard, mort lui aussi.

    Ah ça, ils n’ont pas dû souffrir. En regardant la photo de la carcasse calcinée de la Jeep, je repense aux explications données par l’armée israélienne :

    « Ce n’était pas des journalistes légitimes. »

    Personne ne s’arrête sur cette déclaration ? Ces deux jeunes hommes travaillaient pour une télévision proche du Hamas, certes. Mais si le monde s’offusque par exemple de l’assassinat de Samir Kassir au Liban, qui était lui aussi un journaliste militant, pourquoi n’assiste-t-on pas aux mêmes cris de protestation à propos de ce qui s’est passé ici ? Quelle est la ligne rouge ? Quelle est la prochaine étape ? Ecrire et parler à haute voix peut-il causer ma mort si j’ai le malheur de déplaire à l’Etat d’Israël ?

    La majorité des télévisions étrangères présentes pendant ce conflit ont eu besoin de services techniques et humains sur place. Les sociétés de production à Gaza sont composées d’équipes palestiniennes. Je peux témoigner de leur professionnalisme dans les heures les plus sombres.

    Ces producteurs, journalistes reconvertis en « fixeurs » (intermédiaires) pour l’occasion, cameramen, preneurs de son, monteurs, ne méritent-ils pas le même respect que nous autres, journalistes occidentaux ? S’ils travaillent à Gaza, c’est parce qu’ils y vivent, de gré ou de force. Les morts qu’ils filment, ce sont les leurs. Cela leur retire-t-il le droit de faire leur métier ?

    Mon travail n’a pas plu à tout le monde

    Mon travail n’a pas plu à tout le monde. Mes détracteurs me demandent de donner de « vraies informations » sur Gaza. Mais qu’est-ce que ça veut dire de « vraies informations » ? Je n’ai pas menti, je n’ai pas inventé. Si la description de la vie à Gaza est si accablante pour Israël, qu’y puis-je ? Devrais-je modifier la réalité pour leur faire plaisir ? Pour qu’une partie du monde occidental entende ce qu’elle a envie d’entendre ?

    Dire que les conditions de vie à Gaza sont insoutenables et inhumaines ne relève pas du jugement, ni de la prise de partie. C’est un constat. Je n’ai pas rencontré chacun des habitants de Gaza. Mais de tous ceux à qui j’ai parlé, pas un n’a pu me raconter sa vie sans qu’un drame lié au gouvernement israélien n’intervienne. Pas un seul.

    Si un journaliste quelconque, venu à Gaza, peut prétendre le contraire, je suis toute disposée à entendre un discours différent du mien. Qu’on vienne me prouver que Gaza, ce n’est pas des familles déchirées par un blocus, des milliers de femmes et d’enfants morts sous les bombes, des paysans dépossédés de leurs terres, des hôpitaux sans moyens, des réfugiés sur trois ou quatre générations.

    Je suis payée pour être vos yeux, vos oreilles

    Couvrir Gaza, c’est devoir se battre pour faire son métier. Toute information qui sort d’ici est immédiatement remise en cause. Parce qu’elle vient de Gaza. Que Gaza est une honte pour l’humanité mais que les responsables de cette situation sont puissants et que la vérité rendue publique les gêne.

    Les gouvernements occidentaux invoquent les droits de l’Homme quand ça les arrange.

    A une prétendue objectivité aseptisée et hypocrite, je préfère une honnêteté nue, sans fard et humaine. Je suis payée pour être vos yeux et vos oreilles là où vous ne pouvez être. Est-ce ma faute si la réalité que je rapporte va à l’encontre de certains agendas politiques ?

    J’ai été élevée dans une société où la liberté de la presse est sacrée et je n’ai pas choisi de faire ce métier pour abdiquer aujourd’hui devant des intimidations, quelles qu’elles soient.

    Si pour rester une journaliste « légitime », il faut falsifier la réalité, alors j’entamerai fièrement une carrière de journaliste illégitime. Je ne me tairai pas.

  • Irak : après les feux de la guerre, les cancers

    Irak : après les feux de la guerre, les cancers

    mercredi 5 décembre 2012, par Agnès Stienne

    C’est en homme satisfait que l’ancien premier ministre britannique Tony Blair déclarait à l’automne 2012 que « les forces britanniques devaient être fières de leur intervention en Irak, lors de l’invasion américaine, car le pays a connu une forte croissance économique depuis que Saddam Hussein a été chassé du pouvoir en 2003 », et se réjouissait d’« une chute de la mortalité infantile ». Ces déclarations enthousiastes ont indigné les médecins irakiens, qui doivent faire face à une progression alarmantes des cancers et des malformations congénitales des nouveaux-nés dans les villes bombardées par la coalition internationale.

    La situation environnementale de l’Irak est calamiteuse. En cause, les industries polluantes et l’absence de règlement pour les contrôler. Les guerres et les insurrections qui ravagent le pays depuis trente ans ont, elles aussi, des conséquences désastreuses sur l’environnement, notamment lorsque pipelines et sites industriels sont bombardés. Mais ce n’est pas tout. Il semble que les munitions utilisées pour soumettre les villes irakiennes pendant la guerre du Golfe (1990-1991) et l’invasion en 2003 par les Etats-Unis et ses alliés (Lire « Une guerre à mille milliards de dollars », Défense en ligne (blog du Monde diplomatique), janvier 2011) soient devenues un agent majeur de pollution environnementale, avec de graves conséquences sur la santé publique.

    « Atomisées » dans la nature lors des bombardements, elles continuent de tuer à petit feu les populations civiles plusieurs années après que les combats aient cessé. Les militaires réfutent, la science dénonce.

    Constats sanitaires alarmantsRetour à la table des matières

    En 2005, le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dans un rapport intitulé « Assessment of environmental hot spots in Iraq », estimait à plusieurs milliers le nombre de zones contaminées cumulant — à des degrés divers — pollutions industrielles et contaminations militaires. Plus de trois cents « points chauds » — comprendre hautement toxiques —, ont été identifiés, parmi lesquels quarante-deux sites concentrant des taux considérables de dioxine et d’uranium appauvri, et dont dix avec des taux très élevés de radioactivité.

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    Utilisation de munitions à uranium appauvri
    Carte : Agnès Stienne, 2012.

    On retrouve une forte accumulation de dioxine aux abords des installations industrielles détruites pendant la guerre du Golfe, alors que la stratégie consistait à pilonner systématiquement les sites industriels civils et militaires, pipelines et raffineries. Dans la région de Bassorah, l’une des plus touchées par les bombardements, c’est un véritable désastre sanitaire. « Business is business » : après 2003, la priorité fut donnée à la remise en service des installations pétrolières et gazières. Hélas, les pluies de pétrodollars — loués par M. Blair — n’ont pas encore réussi à lessiver les zones contaminées.

    L’uranium appauvri, interdit par certains pays, provient des munitions utilisées par la coalition en 1991 et 2003 [1]. Ce métal lourd a les faveurs de l’industrie de l’armement en raison de son fort pouvoir de pénétration des matériels blindés. Une fois la charge explosée, ce composant chimique se disperse et s’infiltre dans le sol et dans l’eau, occasionnant des pollutions durables dans les rues, les jardins, les champs ou les aires de jeu pour enfants… Il contamine aussi les soldats sans que le commandement ne s’en émeuve. D’autres métaux lourds, comme le plomb et le mercure, entrent dans la composition des munitions et se retrouvent aussi disséminés en quantités significatives dans l’environnement.

    Passé l’orage, le cauchemar se prolonge malgré tout pour les civils. Le ciel ne tonne certes plus, les armes se sont tues, la rue s’anime, on circule et on commerce. La vie reprend, semble-t-il, comme avant. Pas tout à fait, pourtant. Partout le même constat tragique : une hausse alarmante de la mortalité infantile, des leucémies, des cancers, des tumeurs, des malformations congénitales.

    La coalition réfute, la science dénonceRetour à la table des matières

    En dépit des avertissements successifs lancés par les médecins, aucune étude sérieuse n’a été menée pour déterminer l’origine de ces symptômes. Washington refuse de reconnaître un lien de causalité entre les contaminations militaires et ce très inquiétant problème de santé publique, et semble même déterminé à entraver toute recherche scientifique [2].

    En 2009, les médecins de l’hôpital général de Falloujah, effrayés par ce qu’ils constataient au fil des années, adressèrent un courrier commun aux Nations unies pour réclamer des investigations indépendantes : « En septembre 2009, sur 170 nouveaux-nés , 24 % d’entre eux sont morts dans leur première semaine, parmi lesquels 75 % présentaient des malformations importantes. » Des enquêtes partielles seront ensuite menées à Falloujah et à Bassorah quelques mois plus tard et les résultats publiés dans le« Bulletin of environmental contamination and toxicology » de l’université du Michigan [3]. Les auteurs résument leurs observations en une phrase qui veut tout dire : « Le taux de cancers, de leucémies et de mortalité infantile observé à Falloujah est plus élevé qu’il ne le fut à Hiroshima et Nagasaki en 1945. » [4] Il est rappelé que l’exposition aux métaux toxiques (dont les effets morbides sont reconnus) est source de complications sévères pour les femmes enceintes et le développement du fœtus. En conclusion, il est plus que probable que les munitions utilisées pour les bombardements dans ces deux villes soient à l’origine de ces tragédies.

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    Géographie des bébés à Falloujah
    Carte : Ag. St. 2012.

    A Falloujah, cinquante-six familles se sont mises à la disposition du personnel hospitalier pendant trois mois pour répondre à un questionnaire type et se soumettre à des examens.

    Entre 2004 et 2006, le taux de fausses couches s’élève à 45 % du nombre de grossesses et celui de bébés malformés à 30 % du nombre de naissances.

    Entre 2007 et 2012, le nombre de fausses couches diminue et tombe à 15 %, tandis que celui de bébés souffrant de malformations augmente sensiblement pour atteindre 54 %.

    Plus de la moitié des nouveaux-nés souffrent de malformations congénitales affectant le cœur, le cerveau, la moelle épinière, les poumons et le palais.

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    Natalité déréglée
    Graphique : Ag. St. 2012.

    Petit retour en arrière et gros plan sur la villeRetour à la table des matières

    Située à soixante-cinq kilomètres à l’ouest de Bagdad, Falloujah est toujours, en cette année 2004, un bastion des fidèles de Saddam Hussein et, pour cette raison, l’objet de fréquentes attaques menées par l’armée américaine. La situation s’embrase lorsque les corps de quatre mercenaires américains tués au combat sont exhibés à travers la ville. En représailles, l’artillerie lourde et l’aviation sont déployées. Un premier assaut meurtrier est lancé pour y déloger les insurgés — sans réel succès —, puis quelques mois plus tard, une seconde offensive, pendant laquelle les bombardements intensifs dureront plusieurs semaines. Le Pentagone reconnaîtra plus tard, dans une brève note, avoir utilisé des bombes au phosphore blanc [5]. Le nombre de morts côté irakien est incertain : plusieurs centaines d’insurgés et plusieurs milliers de civils. Côté américain, 95 soldats...

    Sur la base des chiffres fournis par le département de la défense, à Washington, John Pike, le directeur du groupe de rechercheGlobalSecurity.org, estime que les soldats américains ont tiré en moyenne entre deux cents cinquante à trois-cents mille munitions de petit calibre par insurgé tué en Irak et en Afghanistan [6].

    Voilà des chiffres qui laissent perplexe. Et s’ajoute à cela l’artillerie lourde. C’est au bas mot des milliers de tonnes de munitions éclatées en petites particules toxiques de métaux lourds, notamment du mercure et du plomb, qui contaminent les sols et l’eau. Ce n’est donc pas un hasard, si les analyses de cheveux des enfants de Falloujah souffrant de malformations congénitales révèlent la présence de plomb et de mercure à des taux très supérieurs par rapport au reste de la population.

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    Les enfants au plomb
    Graphique : Ag. St. 2012.

    À Bassorah, l’étude présente des résultats similaires. Les voix s’élèvent pour que des recherches plus poussées et exhaustives soient entreprises à travers tout le pays, afin que la situation soit enfin reconnue avec précision et des mesures adéquates mises en place. Pour la justice et les réparations, il faudra bien un jour mettre la coalition — principalement les Etats-Unis et le Royaume-Uni — face à ses responsabilités pour qu’elle reconnaisse enfin son rôle dans ce qu’il faut bien appeler un crime. Un crime de plus, puisque les crimes d’hier — Hiroshima, Nagasaki, Vietnam — demeurent, aujourd’hui encore, impunis.

    A consulter

    Depuis que les munitions à l’uranium appauvri (UA) ont été testées par les Etats-Unis contre l’Irak, décès et maladies inexpliquées se multiplient chez les combattants ayant servi dans le Golfe, mais aussi en Bosnie et au Kosovo. A des degrés divers, les agences des Nations unies ont imposé une chape de silence sur la dangerosité radiologique et chimique de cette arme. N’a-t-il pas fallu attendre janvier 2001 pour que l’Organisation mondiale de la santé « envisage » d’enquêter sur les effets de l’UA sur les populations du Golfe ?

    Notes

    [1] Lire Depleted Uranium Radioactive Contamination In Iraq : An Overview

    [2] Depleted Uranium Radioactive Contamination In Iraq : An Overviewhttp://www.brussellstribunal.org/DU...

    [3Metal contamination and the epidemic of congenital birth defects in Iraqi cities, septembre 2012, Bulletin of environmental contamination and toxicology

    [4] « The moral equivalent of Nuremberg », The Chicago Tribune, 18 octobre 2012

    [5] Lire « U.S. Used Phosphorous Munitions In Fallujah », The Washington Post, 16 novembre 2005

    [6] « US forced to import bullets from Israel as troops use 250,000 for every rebel killedThe Belfast Telegraph, 10 janvier 2011